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(Klaus-Michael GRÜBER)
Corpus de textes
ANTIOCHUS à BERENICE
PHÉNICE
Titus n'a point encore expliqué sa pensée.
Rome vous voit, Madame, avec des yeux jaloux ;
La rigueur de ses lois m'épouvante pour vous.
L'hymen chez les Romains n'admet qu'une Romaine ;
Rome hait tous les rois, et Bérénice est reine.
BÉRÉNICE
Le temps n'est plus, Phénice, où je pouvais trembler.
Titus m'aime, il peut tout, il n'a plus qu'à parler.
Il verra le sénat m'apporter ses hommages,
Et le peuple, de fleurs couronner ses images.
De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ?
Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ?
Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée,
Ces aigles, ces faisceaux, ce peuple, cette armée,
Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,
Qui tous, de mon amant empruntaient leur éclat ;
Cette pourpre, cet or, que rehaussait sa gloire,
Et ces lauriers encor témoins de sa victoire ;
Tous ces yeux qu'on voyait venir de toutes parts
Confondre sur lui seul leurs avides regards ;
Ce port majestueux, cette douce présence.
Ciel ! avec quel respect et quelle complaisance
Tous les cœurs en secret l'assuraient de leur foi !
Parle : peut-on le voir sans penser comme moi
Qu'en quelque obscurité que le sort l'eût fait naître,
Le monde, en le voyant, eût reconnu son maître ?
Mais, Phénice, où m'emporte un souvenir charmant ?
Cependant Rome entière, en ce même moment,
Fait des vœux pour Titus, et par des sacrifices
De son règne naissant célèbre les prémices.
Que tardons-nous ? Allons, pour son empire heureux,
Au ciel, qui le protège, offrir aussi nos vœux.
Aussitôt, sans l'attendre, et sans être attendue,
Je reviens le chercher, et dans cette entrevue
Dire tout ce qu'aux cœurs l'un de l'autre contents
Inspirent des transports retenus si longtemps.
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Plaignez ma grandeur importune. Pour rendre vos États plus voisins l'un de l'autre,
Maître de l'univers, je règle sa fortune ; L'Euphrate bornera son empire et le vôtre.
Je puis faire les rois, je puis les déposer : Je sais que le sénat, tout plein de votre nom,
Cependant de mon cœur je ne puis disposer. D'une commune voix confirmera ce don.
Rome, contre les rois de tout temps soulevée, Je joins la Cilicie à votre Comagène.
Dédaigne une beauté dans la pourpre élevée. Adieu : ne quittez point ma princesse, ma reine,
L'éclat du diadème et cent rois pour aïeux Tout ce qui de mon cœur fut l'unique désir,
Déshonorent ma flamme et blessent tous les yeux. Tout ce que j’aimerai jusqu’au dernier soupir.
Mon cœur, libre d'ailleurs, sans craindre les
murmures,
Peut brûler à son choix dans des flammes obscures ;
Et Rome avec plaisir recevrait de ma main
La moins digne beauté qu'elle cache en son sein.
Jules céda lui-même au torrent qui m'entraîne.
Si le peuple demain ne voit partir la Reine,
Demain elle entendra ce peuple furieux
Me venir demander son départ à ses yeux.
Sauvons de cet affront mon nom et sa mémoire ;
Et puisqu'il faut céder, cédons à notre gloire.
Ma bouche et mes regards, muets depuis huit jours,
L'auront pu préparer à ce triste discours.
Et même en ce moment, inquiète, empressée,
Elle veut qu'à ses yeux j'explique ma pensée.
D'un amant interdit soulagez le tourment :
Épargnez à mon cœur cet éclaircissement.
Allez, expliquez-lui mon trouble et mon silence.
Surtout qu'elle me laisse éviter sa présence.
Soyez le seul témoin de ses pleurs et des miens ;
Portez-lui mes adieux, et recevez les siens.
Fuyons tous deux, fuyons un spectacle funeste,
Qui de notre constance accablerait le reste.
Si l'espoir de régner et de vivre en mon cœur
Peut de son infortune adoucir la rigueur,
Ah ! Prince, jurez-lui que toujours trop fidèle,
Gémissant dans ma cour, et plus exilé qu'elle,
Portant jusqu'au tombeau le nom de son amant,
Mon règne ne sera qu'un long bannissement,
Si le ciel, non content de me l'avoir ravie,
Veut encor m'affliger par une longue vie.
Vous que l'amitié seule attache sur ses pas,
Prince, dans son malheur ne l'abandonnez pas.
Que l'Orient vous voie arriver à sa suite ;
Que ce soit un triomphe, et non pas une fuite ;
Qu'une amitié si belle ait d'éternels liens ;
Que mon nom soit toujours dans tous vos entretiens.
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Textes complémentaires
Michel VUILLERMOZ dans le rôle de Cyrano, mise en scène Comédie Française par Denis PODALYDES (2007)
PHÈDRE
On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous,
Seigneur. À vos douleurs je viens joindre mes larmes ;
Je vous viens pour un fils expliquer mes alarmes.
Mon fils n’a plus de père ; et le jour n’est pas loin
Qui de ma mort encor doit le rendre témoin.
Déjà mille ennemis attaquent son enfance :
Vous seul pouvez contre eux embrasser sa défense.
Mais un secret remords agite mes esprits :
Elsa Lepoivre (Phèdre) dans la mise en sc Comédie Française de
Je crains d’avoir fermé votre oreille à ses cris ;
Michael Marmarinos (2013) Je tremble que sur lui votre juste colère
Ne poursuive bientôt une odieuse mère.
HIPPOLYTE
Madame, je n’ai point des sentiments si bas.
PHÈDRE
Quand vous me haïriez, je ne m’en plaindrais pas,
Seigneur : vous m’avez vue attachée à vous nuire ;
Dans le fond de mon cœur vous ne pouviez pas lire.
À votre inimitié j’ai pris soin de m’offrir :
Aux bords que j’habitais je n’ai pu vous souffrir ;
En public, en secret, contre vous déclarée,
J’ai voulu par des mers en être séparée ;
J’ai même défendu, par une expresse loi,
Qu’on osât prononcer votre nom devant moi.
Si pourtant à l’offense on mesure la peine,
Si la haine peut seule attirer votre haine,
Jamais femme ne fut plus digne de pitié,
Et moins digne, seigneur, de votre inimitié.
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HIPPOLYTE
Des droits de ses enfants une mère jalouse
Pardonne rarement au fils d’une autre épouse ;
Madame, je le sais : les soupçons importuns
Sont d’un second hymen les fruits les plus communs.
Tout autre aurait pour moi pris les mêmes ombrages,
Et j’en aurais peut-être essuyé plus d’outrages.
PHÈDRE
Ah, seigneur ! que le ciel, j’ose ici l’attester
De cette loi commune a voulu m’excepter !
Qu’un soin bien différent me trouble et me dévore !
HIPPOLYTE
Madame, il n’est pas temps de vous troubler encore :
Peut-être votre époux voit encore le jour ;
Le ciel peut à nos pleurs accorder son retour.
Neptune le protège ; et ce dieu tutélaire
Ne sera pas en vain imploré par mon père.
PHÈDRE
On ne voit point deux fois le rivage des morts,
Seigneur : puisque Thésée a vu les sombres bords,
En vain vous espérez qu’un dieu vous le renvoie ;
Et l’avare Achéron ne lâche point sa proie.
Que dis-je ? Il n’est point mort, puisqu’il respire en vous.
Toujours devant mes yeux je crois voir mon époux :
Je le vois, je lui parle ; et mon cœur... je m’égare,
Seigneur ; ma folle ardeur malgré moi se déclare.
HIPPOLYTE
Je vois de votre amour l’effet prodigieux :
Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux ;
Toujours de son amour votre âme est embrasée.
PHÈDRE
Oui, prince, je languis, je brûle pour Thésée :
Je l’aime, non point tel que l’ont vu les enfers,
Volage adorateur de mille objets divers,
Qui va du dieu des morts déshonorer la couche ;
Mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche,
Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,
Tel qu’on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.
Il avait votre port, vos yeux, votre langage ;
Cette noble pudeur colorait son visage,
Lorsque de notre Crête il traversa les flots,
Digne sujet des vœux des filles de Minos.
Que faisiez-vous alors ? Pourquoi, sans Hippolyte,
Des héros de la Grèce assembla-t-il l’élite ?
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HIPPOLYTE
Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Madame, oubliez-vous
Que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?
cruelles peines le soir que la reine me donna cette lettre de Mme de Thémines, que l’on disait qui s’adressait
à vous, qu’il m’en est demeuré une idée qui me fait croire que c’est le plus
grand de tous les maux.
Par vanité ou par goût, toutes les femmes souhaitent de vous attacher. Il y
en a peu à qui vous ne plaisiez : mon expérience me ferait croire qu’il n’y en
a point à qui vous ne puissiez plaire. Je vous croirais toujours amoureux et
aimé et je ne me tromperais pas souvent. Dans cet état néanmoins, je
n’aurais d’autre parti à prendre que celui de la souffrance ; je ne sais même La Princesse de Clèves, film de Jean
Delannoy, 1961
si j’oserais me plaindre. On fait des reproches à un amant ; mais en fait-on à
un mari quand on n’a qu’à lui reprocher que de n’avoir plus d’amour ? Quand je pourrais m’accoutumer à
cette sorte de malheur, pourrais-je m’accoutumer à celui de croire voir toujours M. de Clèves vous accuser
de sa mort, me reprocher de vous avoir aimé, de vous avoir épousé, et me faire sentir la différence de son
attachement au vôtre ? Il est impossible, continua-t-elle, de passer par-dessus des raisons si fortes : il faut
que je demeure dans l’état où je suis, et dans les résolutions que j’ai prises de n’en sortir jamais.
– Hé ! croyez-vous le pouvoir, Madame ? s’écria M. de Nemours. Pensez-vous que vos résolutions tiennent
contre un homme qui vous adore et qui est assez heureux pour vous plaire ? Il est plus difficile que vous ne
pensez, Madame, de résister à ce qui nous plaît, et à ce qui nous aime. Vous l’avez fait par une vertu austère,
qui n’a presque point d’exemple ; mais cette vertu ne s’oppose plus à vos sentiments, et j’espère que vous
les suivrez malgré vous.
– Je sais bien qu’il n’y a rien de plus difficile que ce que j’entreprends, répliqua Mme de Clèves ; je me défie
de mes forces au milieu de mes raisons. Ce que je crois devoir à la mémoire de M. de Clèves serait faible s’il
n’était soutenu par l’intérêt de mon repos ; et les raisons de mon repos ont besoin d’être soutenues de celles
de mon devoir. Mais, quoique je me défie de moi-même, je crois que je ne vaincrai jamais mes scrupules et
je n’espère pas aussi de surmonter l’inclination que j’ai pour vous. Elle me rendra malheureuse et je me
priverai de votre vue, quelque violence qu’il m’en coûte. Je vous conjure, par tout le pouvoir que j’ai sur
vous, de ne chercher aucune occasion de me voir. Je suis dans un état qui me fait des crimes de tout ce qui
pourrait être permis dans un autre temps, et la seule bienséance interdit tout commerce entre nous. M. de
Nemours se jeta à ses pieds, et s’abandonna à tous les divers mouvements dont il était agité. Il lui fit voir, et
par ses paroles et par ses pleurs, la plus vive et la plus tendre passion dont un cœur ait jamais été touché.
Celui de Mme de Clèves n’était pas insensible et, regardant ce prince avec des yeux un peu grossis par les
larmes :
– Pourquoi faut-il, s’écria-t-elle, que je vous puisse accuser de la mort de M. de Clèves ? Que n’ai-je
commencé à vous connaître depuis que je suis libre, ou pourquoi ne vous ai-je as connu devant que d’être
engagée ? Pourquoi la destinée nous sépare-t-elle par un obstacle si invincible ?
– Il n’y a point d’obstacle, Madame, reprit M. de Nemours. Vous seule vous opposez à mon bonheur ; vous
seule vous imposez une loi que la vertu et la raison ne vous sauraient imposer.
– Il est vrai, répliqua-t-elle, que je sacrifie beaucoup à un devoir qui ne subsiste que dans mon imagination.
Attendez ce que le temps pourra faire. M. de Clèves ne fait encore que d’expirer, et cet objet funeste est
trop proche pour me laisser des vues claires et distinctes. Ayez cependant le plaisir de vous être fait aimer
d’une personne qui n’aurait rien aimé, si elle ne vous avait jamais vu ; croyez que les sentiments que j’ai pour
vous seront éternels et qu’ils subsisteront également, quoi que je fasse. Adieu, lui dit-elle ; voici une
conversation qui me fait honte : rendez-en compte à M. le vidame ; j’y consens, et je vous en prie.