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Séquence roman,

COLETTE, texte 3

« E N M ARGE D ’UNE
PL AGE B L AN CHE ( II) »,
IN LES VRILLE S DE L A
V IGN E
11/29/2023

• COLETTE est une terrienne avant tout :


Introduction née en Bourgogne, lectrice de BALZAC
lui-même un homme du terroir, a adoré
son Eden familial des premières années à
St Sauveur en Puisaye, puis amoureuse
des jardins (a illustré un herbier du
peintre Raoul DUFY), et aussi dans les
titres d’œuvres: Les vrilles de la vigne, Le
blé en herbe …
• Pourtant, attrait pour le littoral, elle
aimera séjourner dans sa maison sur les
bords de Somme avec Missy, où elle
reçoit la visite d’abord de Willy mais aussi
de Sacha Guitry.

SAMPLE FOOTER TEXT


• Dans les Vrilles de la vigne (20 récits) la
mer revient dans « En baie de somme »,
« partie de pêche », et l’élément marin est
évoqué dans « Jours gris » (avec la vague,
la coquille, le sable…).
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Place dans le recueil des VV
• Texte qui est contenu dans une section, la seule des Vrilles de la vigne, en forme d’instantanés
rétrospectifs => nostalgie déclinée en plusieurs tableaux plus ou moins vivants:
Puisque « En baie de somme » contient:
• « En baie de somme », le texte proprement dit, lui-même en trois paragraphes
• Puis « En marge d’une plage blanche I » (« bain de soleil »)
• « En marge d’une plage blanche II » (« à marée basse »)
• Et « Forêt de Crécy »
En pleine période « Missy » (que plus tard, dans Le pur et l’impur, Colette appellera « la cavalière »),
personnage fantasque et secret à la fois, qui a ouvert Colette au théâtre et qui correspond à la
période d’émancipation de Colette vis-à-vis de son mari Henry de Gauthier-Villars (Willy)
Mouvements de texte
11/29/2023

L’extrait est ici en 3 temps:


• Le tableau de groupe, plan large, description alerte et d’apparence anodine (volontiers énumératif -
passage en revue des éléments du paysage, notamment les enfants à la place- mais de plus en plus
caustique): lignes 1-17 pour installer le décor propice à la réflexion ;
• Arrêt sur image sur deux protagonistes en particulier : le garçon & la fille – pris comme une seule et
même entité, ce qui déjà pose problème- aux lignes 19-22, la description a bien basculé dans la
confrontation et la problématisation.
• Le zoom sur la petite fille, son portrait physique, lignes 23-33 ; elle devient l’héroïne, ce qui scelle
l’ironie critique de l’extrait.
Intérêt porté sur la petite fille, qui devient le support d’une réflexion amorcée sur els attentes genrées et la
marge de liberté laissée aux femmes.

SAMPLE FOOTER TEXT


On passe ainsi du tableau vaguement nostalgique => instauration d’un regard empathique sur le destin
des femmes: discours subtilement militant sur la place et les possibilités de la femme, sur la conscience
d’être une femme dans le monde.
Célébration moins de l’enfance en général que de la féminité naissante.
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• Spontanéité de l’amorce, avec ton et faussement blasé au début du
11/29/2023

passage : phrase nominale livrée en une énumération liminaire à six


termes différents juxtaposés:
(« enfants »/ »gosses »/ »mioches »/ »bambins »/ »lardons »/ »salés »), du
niveau de langue courant au populaire (argotique) et surtout, vers de
moins en moins humain => projet démonstratif plus que réellement
descriptif
• Aposiopèses successives avec les suspensions (« enfants… », « salés… »)
Mouvement 1 : combinée à la ponctuation émotive « ils sont trop! » = traduit
l’implication personnelle de la locutrice dans le propos = pas du tout
de une saisie sur le vif qui aurait quelque prétention documentaire objective
l’observation => on déduit que l’extrait est davantage une confession, un partage
intime. Glissement de l’enfance au discours autobiographique par l’habit
au jugement (« je tombe dans cette grenouillère ») avec prise à témoin du lecteur

SAMPLE FOOTER TEXT


(démonstratif « cette grenouillère »)
• 2e paragraphe nouvelle énumération des vêtements, puis des couvre-
chefs puis des ustensiles de plage = passage en revue = rythme vif ,
éléments repris dans le pronom anaphorique « tout cela ».
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suite • Détour par le jugement de valeur d’une mère « petits Parigots,
victimes d’une foi maternelle et routinière » et la sympathie : termes
relevant du champ lexical du malheur (« victimes de » , « pitoyables »,
« larmes ») couplés aux adjectifs péjoratifs (« piètres ») et associés
aux hypocoristiques (« pauvres », « petits ») et à la tournure
restrictive (« ils ne sont que ») = jugement moral où les rôles sont
clairement distribués: les adultes coupables qui propagent les
injonctions sociales et les enfants innocents
• Le deuxième paragraphe fait passer des membres inférieurs
(« jersey », « culottes ») à la tête (joufflue, bérets, chapeaux…) mais
pour mieux retomber ensuite puisqu’on passe des membres
inférieurs (« cuissots », « genoux » etc. ) et qu’à nouveau on passe
des « yeux » aux « mollets » : par trois fois, on expérimente la chute.
• L’image cesse d’être festive pour se faire plus critique avec la
victimisation des parisiens maltraités par ces activités balnéaires : ils
sont objets et non pas sujets (« les croient robustes »), sont réduits,
par synecdoque à des parties de corps « l’eau corrosive pèle leurs
mollets ») et sont présentés dans toute leur passivité: « petits
nerveux passés au jus de chique… »).
Mouvement 2 : l’impérative distinction
• Réduction de la différence dans les pluriels ou dans la tournure
collective («pêle-mêle, garçons et filles », « tous deux », « pareils » en fin
de paragraphe). Confusion des individus dans le pronom indéfini neutre
« on » (« on barbote », « on mouille le sable , on canalise… »). Insistance
sur la similarité (reprise de l’adjectif « même » et parallélisme (« les
mêmes yeux bleus , la même calotte de cheveux ») = dénonciation de
l’uniformisation des individus.
• Le rythme ternaire (« on barbote », « on mouille », « on canalise ») fait
sentir l’automatisme d’un rituel qui ne laisse aucune place aux initiatives
personnelles.
• Identité fuyante, avec des périphrases successives pour désigner les
deux enfants: « écrevisses », « frère et sœur », « peut-être jumeaux »
avec gradation dans la confusion (espèce animale mise à distance par
les guillemets > fratrie > gémellité c’est-à-dire identité du patrimoine
génétique)
• Réfutation de la croyance par trois négations syntaxiques enchaînées
entre le 2e et le 3e paragraphe: « ne peut les confondre », « ils ne se
ressemblent pas », « je ne saurais dire ».
Mouvement 3: la célébration d’une féminité en devenir
• Le 3e mouvement va s’intéresser de plus près à la petite fille, érigée en exemple de la condition
féminine: être regardée, à la fois sa malchance et sa chance.
• Approche d’abord prudente par la prétérition « Je ne sauras dire… » et hypothèses (sous la forme de
questions successives). Le sujet délicat et important est amené progressivement, non sans sous-
entendus : aposiopèse (« déjà une petite fille… ») et modalisations sous la forme de quantitatifs
traduisant le poids insidieux des schémas genrés qui font de la femme un enjeu du regard : « un peu en
dedans », « quelque chose », « à peine, « un petit bras nu ». Le corps est omniprésent, seule manière
d’exister dans la société : accumulation de termes relatifs au physique « genoux », « hanches », « bras
nu », « poignet », « doigts, « épaule », « poings », taille ». On pourrait à une esthétisation de la scène
d’après les termes mélioratifs: « moelleux », « grâce », impérieux », souple », « coquette ».
• La fin de l’extrait confirme pourtant que la petite fille a intégré le regard posé sur elle et en joue: elle
confirme sujet des verbes (« elle a une volte souple » déjà dans le paragraphe précédent) : « elle laisse »,
« [elle] arrange », « elle devance », « elle nouera »). Confirmation du corps non plus subi mais utilisé selon
les reprises du terme (« bras » repris en « bras levés », « grâce » du paragraphe précédent se retrouve
dans le polyptote « grâcieuse » Retournement du substantif « garçon » (placé avant fille, plus haut quand
il était question des « garçons et filles ») en son dérivé trivial « garçonnière ». La fille objet a pris le
pouvoir et le garçon est déshumanisé, réduit à n’être plus que le lieu des aventures.
Conclusion
• BILAN
D’une page d’apparence anecdotique (le souvenir de vacances, la célébration du paysage littoral des
vacances), COLETTE esquisse un propos plus critique et plus profond sur la conscience d’être une
femme, c’est-à-dire un être sexualisé, regardé, désiré, inégal mais non pas sans pouvoir. Colette se
voit dans cette petite fille mais voit aussi LA femme en général. En un texte, elle fait prendre sa
revanche à la fille qui deviendra une femme, objet qui peut aussi devenir sujet de son destin.

Le texte est ici donc bien prétexte à une réflexion presque sociologique et a presque valeur de
parabole, ce qu’annonçait son début sur les parisiens qui se croient tout permis sur la plage; peut-
être une réflexion plus fine, appliquée aux relations h/f sur les rapports de force, illusoires et
apparents.
• OUVERTURE
Contresens que d’attribuer à COLETTE une visée féministe. COLETTE admirée par BEAUVOIR ne fait
pas tribune pour les femmes même si, dans les Vrilles de la vigne (cf. « Maquillages ») et Sido, on
voit des femmes fortes ; Emmanuelle LAMBERT dans sa biographie Gabrielle Sidonie Colette
rapproche notre écrivaine de Mme de Merteuil déclarant à Valmont « née pour venger mon sexe et
maîtriser le vôtre». (lettre 81 des Liaisons dangereuses).

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