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♦ Mouvement 1 : Portrait du moine en action, et parodie du combat épique (Lignes 1 à 10)
Le premier mouvement du texte offre un portrait de frère Jean en action, dans un combat hors
norme.
• Le parallélisme de construction juxtapose 5 phrases commençant toutes par une subordonnée
circonstancielle de condition. Cette construction permet d’envisager différentes situations dans
lesquelles le moine frère Jean s’est trouvé dans le combat et d’apprécier ses différentes réactions : si
son adversaire voulait se cacher, fuir, grimper dans un arbre pour lui échapper, se rendre, résister…
Dans chaque situation, force est de constater que frère Jean réagit par des actions d’une grande
violence et vient à bout de tous ses adversaires. Cette anaphore de « Si » montre sa toute-puissance.
• Le champ lexical de la violence est omniprésent, notamment dans les verbes d’action utilisés :
« frottait toute l’arrête du dos », « cassait les reins », « empalait », « donnait un coup », « montrait
la force de ses muscles », « transperçait la poitrine par le médiastin et par le cœur », « frappant dans
le creux des côtes », « retournait l’estomac », « frappait si sauvagement par le nombril », « faisait
sortir les tripes », « perçait le boyau culier à travers les couilles ». Dans ces expressions, on retrouve
non seulement le champ lexical de la violence mais aussi celui du corps (clin d’œil au parcours de
Rabelais en tant que médecin) : le narrateur propose une description anatomique des corps meurtris
par les coups de frère Jean qui apparaît comme un moine en toute puissance, dont la force physique est
extraordinaire.
• Notons que ces verbes d’action sont à l’imparfait : cet imparfait à une valeur de répétition, ce qui
souligne encore l’atrocité des gestes répétés.
• Le passage au discours direct (ligne 8) permet de mesurer l’intransigeance morale du moine, qui ne
se laisse pas apitoyer. Notons le futur catégorique « tu rendras » qui dévoile son autorité et sa décision
implacable de donner la mort. On est loin de la figure traditionnelle du moine tout entier dédié à ses
prières.
• La description très visuelle du combat nous offre plusieurs points de vue : « à d’autres », « aux
autres » : frère Jean apparaît seul contre tous, ce qui renforce l’héroïsme du personnage. Il apparaît
dans une forme de toute-puissance, de condition physique exceptionnelle, d’une maîtrise incroyable de
l’art de tuer. C’est presque un surhomme ici.
• Le 2e mouvement s’ouvre par une énumération de tous les saints et toutes les saintes que prient les
ennemis pris au dépourvu par la violence de frère Jean. Rabelais se moque de la foi naïve des
adversaires qui implorent les divinités tutélaires (censées assurer une protection).
Juste avant ce passage, la satire de la religion était déjà présente dans la description de frère Jean : son
habit de moine était détourné de sa fonction première, puisque frère Jean se servait de son bâton de
croix comme d’une lance ; cet objet religieux, sacré, se transformait alors en une arme redoutable.
Rabelais continue ici de manière amusée et comique la satire de la religion, en se focalisant sur les
guerriers emplis de naïveté qui implorent les saints.
• Là encore, l’effet est comique car le narrateur juxtapose des noms de saints et de saintes authentiques
et des noms fantaisistes (sainte Nitouche par exemple). Il mêle également la références à des cultes
authentiques (culte de Saint-Jacques, culte de la Vierge) et des noms de cultes qui n’existent
pas puisque sont énumérés les différents lieux où s’est développé le culte de la Vierge. Cette longue
énumération montre toute l’ironie de Rabelais puisqu’elle devient une accumulation d’expressions
absurdes : les prières des guerriers deviennent des cris stupides attestant d’une foi superstitieuse et
absurde dans le pouvoir des saints.
• Rabelais s’attaque à l’un des plus importants cultes de l’époque, le culte de Saint-Jacques, ce qui
laisse transparaître le scepticisme de Rabelais à l’égard de ces croyances.
• Il s’attaque également à des objets sacrés comme le saint suaire, linge qui entourait le corps du christ
à sa mort.
Rabelais nous montre l’absurdité de ces cultes : selon lui, la religion est absurde quand elle est
réduite à la vénération superstitieuse d’objets ou d’images sacrés.
• Rabelais montre que tous ces hommes ne sont pas sérieux dans leur façon d’implorer puisque leurs
prières n’ont pas du tout les résultats escomptés : ils meurent tous ! Les chiasmes (l. 25-26) soulignent
la nullité du résultat quoiqu’on fasse face à frère Jean. La mort est de toute façon inéluctable.
• La chute produit un nouvel effet comique qui confirme la satire : certains guerriers demandent à se
confesser comme si c’était la solution mais elle est dénuée de sens, elle apparaît comme une croyance
dérisoire. D’ailleurs, les moines de l’abbaye sortent à ce moment-là (alors qu’ils n’ont pas participé au
combat) pour confesser les mourants au lieu de leur porter secours. Tout est absurde et dérisoire dans
l’attitude des guerriers comme des moines.
• Le décalage entre l’atrocité de la situation rappelée par l’hyperbole « tant s’enfla le cri des blessés »
et par les expressions « pauvres gens », « blessés à mort », et l’attitude des moines interpelle le lecteur.
Ainsi, dans ce moment marquant de la guerre picrocholine, la parodie du combat épique dans
lequel s’illustre frère Jean permet au narrateur de développer une satire joyeuse de la religion et des
moines : frère Jean apparaît comme un guerrier sanguinaire et sans merci, bien éloigné de la figure
traditionnelle du moine tout entier dédié à ses prières et il se bat non pour une cause noble mais pour
préserver ses vignes ; lorsqu’elle s’assimile à une superstition ridicule, la religion n’est d’aucun
secours. Les cris des adversaires vaincus exprimant leur foi superstitieuse dans le pouvoir des saints
sont moqués, ils peuvent d’ailleurs faire écho aux cris stupides du peuple de Paris noyé sous les flots
d’urine du géant dans un autre épisode.