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Séquence n°1 : Les Cahiers de Douai, Arthur Rimbaud | Parcours : Émancipations créatrices | EL 2

Introduction : Le sonnet « Vénus Anadyomène », écrit par Rimbaud en 1870 et publié dans les Cahiers de Douai,
peut être considéré comme un exercice de parodie. La parodie consiste dans l’imitation satirique d’un texte ou d’une
image, qui les détourne de leurs intentions initiales afin de produire un effet comique. Comme l’indique le titre, ce sonnet
prend pour thème le mythe antique de la naissance d’Aphrodite (Vénus Anadyomène signifie « Vénus née des flots »),
thème récurrent dans l'histoire artistique qui dépeint une jeune femme d'une grande beauté, qui sort d'un coquillage.
Mais, en rupture avec ce modèle traditionnel, il se donne pour objectif de produire une image dégradante du corps
féminin: il dresse le portrait d'une vieille prostituée repoussante.
- Problématique : En quoi Rimbaud remet-il en question les canons de la poésie traditionnelle ?
- Mouvements : progression du contre-blason, description du corps de la femme du haut vers le bas, suivant son
mouvement d'émergence des flots
- strophe 1 : émergence de la tête
- strophe 2 : laisse voir le cou, puis le dos, puis les reins
- strophe 3-jusqu'au tiret : interrompt l'ascension du corps, mouvement se prolonge vers l'avant :
lecteur invité à regarder de plus près
- deux derniers vers : chute du poème sur une dégradation totale du corps de la femme

1er mouvement : émergence de la tête


- Le titre de ce sonnet, composé du nom propre « Vénus » et de l’adjectif savant, directement issu du grec,
« anadyomène », qui signifie « qui sort de l’eau », témoigne de la culture du poète et renvoie à un personnage éponyme
bien connu du lecteur. Rimbaud semble ici instaurer une complicité culturelle avec son lecteur et lui proposer une reprise
du motif de la naissance de Vénus, illustrée dès l’Antiquité par nombre de récits, mais aussi par le peintre Apelle, puis par
Botticelli, Alexandre Cabanel, Raphael ou Titien.
- Le nom de vénus, déesse de l’amour, évoque immédiatement à l’esprit féminité, grâce et beauté absolue. Le
lecteur s’attend alors à un tableau poétique, un blason plus ou moins stéréotypé. Ce poème s’annonce comme la
célébration d’un éternel féminin, d’une Beauté divinisée.
- Or ces attentes sont bousculées dès le premier vers puisque la comparaison avec le cercueil associe une
certaine morbidité à la survenue de Vénus. La conque cède la place à une « vieille baignoire » indigne de la divinité et
laisse attendre l’avènement d’une femme nettement plus humble.
- détournement du motif de la Venus anadyomène dès le début par le décor
- le décor : originellement une conque (coquillage)
- v. 1 comparaison "cercueil" référence à une baignoire v. 3
- le blanc de la conque > détourné en un matériau grossier
- "vert" : parodie la couleur de l'eau : écume > eau sale + description baignoire bon marché en
zinc peinte en vert
- "cercueil" : connote la mort
- Venus dans le mythe associé à la mer : symbole de vie et d'éternité
- normalement une naissance
- annonce la vieillesse de la femme, proche de la mort
- la naissance de la Vénus n'est plus qu'une sortie progressive d'un bain
- "émerge" v. 3 : rappelle de manière ironique le mythe : suggère une difficile sortie du bain,
peu élégante
- détournement de l'émergence du corps de la Vénus
- "une tête" v. 1 : contre-rejet = mime de manière humoristique l'émergence du corps de la Vénus avec
le déterminant indéfini qui la rend quelconque (dégradation) + effet d'attente chez le lecteur +
détachement symbolique de la tête du corps : décapitée ?
- rime avec "bête" : désacralisation de l'image de la femme > l'animalise
- description dépréciative de la Venus
- élément attendu du blason "cheveux" v. 2
- associés à des éléments dépréciatifs : contre-pied de la représentation traditionnelle de la
Vénus
- "bruns" VS blonds ; plus commune
- "fortement pommadés" : évoque l'artifice (insiste par l'adverbe intensif à 3 syllabes)
> s'oppose à une beauté idéale, surtout naturelle
- autre référence à l'artifice : v. 4 "assez mal ravaudés" : déf. raccomodés (//
vêtements usés rapiécés), artifice voyant, disgracieux, et qui ne parviennent
pas à cacher les dégradations physiques de l'âge comme le montre la litote
exprimée par les adverbes juxtaposés
- signifie à l'époque qu'il s'agit d'une prostituée : référence détournée à la
déesse de l'amour
- Venus symbole de jeunesse éternelle décrite comme vieille
- v. 3 "vieille baignoire" : un hypallage : sert à décrire la Vénus comme le soulignent les
expansions du nom "lente", "déficits" (imperfections physiques)
- On notera aussi l'absence de visage qui finit de déshumaniser la Vénus
Séquence n°1 : Les Cahiers de Douai, Arthur Rimbaud | Parcours : Émancipations créatrices | EL 2

- introduit un lexique peu poétique : "déficits" + "ravaudés" : contre-pied de la langue sublime du blason
traditionnel
- se libérer du carcan lyrique traditionnel

2e mouvement : laisse voir le cou, puis le dos, puis les reins


- progression de la découverte du corps
- "Puis" : connecteur a-poétique , anaphore v. 5 et 7 épuisement du lyrisme
- verbes de mouvement : le corps qui émerge de la baignoire évoque un animal mythologique
monstrueux
- "qui saillent" : laideur accentuée par l'enjambement ; difformité du corps ; présence du
squelette, connotation de la mort
- "qui rentre et qui ressort" : mouvement de la baigneuse qui se lave + mouvement de va-et-
vient comique si on l'attribue à la Vénus sortant des eaux
- "semblent prendre l'essor" : déf. s'envoler en parlant d'un oiseau : réf. à la Vénus sortant des
flots, dégrader par le verbe modérateur "sembler" et par le sujet du verbe : autonomie
monstrueuse des parties du corps
- mais donne aussi image poétique à la laideur : sublimation de la laideur par le
regard poétique du poète ; invitation à voir la beauté hideuse de la femme
- description dépréciative du corps de la femme
- parties du corps décrites hautement peu érotiques
- "omoplates"
- animalisation : "col", "reins"
- insistance traditionnelle sur les courbes gracieuses de la femme : détournement
- "gras et gris" v. 5 : allitération en [gr] disgracieuse ; couleur de la peau qui fait penser à la
crasse mais aussi à un cadavre et qui détourne la blancheur splendide de la Vénus
- "larges" v. 5 : a les épaules d'un homme
- "dos court" v. 6 : dépréciation de la grandeur de la divinité, corps difforme (donne
l'impression qu'elle a un dos trop court par rapport au reste)
- "rondeurs des reins" v. 7 devient "graisse" v. 8 + la comparaison à des "feuilles plates"
évoque l'enveloppe charnelle vieillie, flasque et abîmée.
- "La graisse sous la peau" v. 8 : fait signe vers la matérialité du corps, image
dérangeante, la graisse comme matériau biologique du corps
- invite le lecteur à imaginer la laideur de la Venus
- vocabulaire de la vue : "semblent" v. 7 et "paraît" v. 8 : provoquer le dégoût du lecteur

3e mouvement : interrompt l'ascension du corps, mouvement se prolonge vers l'avant : lecteur invité à regarder de
plus près
- laideur domine le 1er tercet
- "échine" v. 9, répétitions de "reins" v. 12 : animalisation
- "échine rouge" : la couleur ne symbolise pas la passion ici, mais est une évocation obscène du
corps nu
- le tatouage v. 12 : signe de prostitution, vient salir le corps blanc et immaculé de la Vénus
- "Clara Venus" : inscription ironique, signifie en latin à la fois célèbre mais aussi claire,
brillante, rappelle le modèle de la Vénus anadyomène défigurée ici par l'inscription même qui
la nomme
- "Horrible étrangement" v. 10 oxymore : fait entendre la dissonance du corps par l'inversion
adverbe/adjectif et par l'utilisation d'un adjectif long (rend le syntagme difficile à prononcer) ; mis en
relief par l'enjambement et la coupure à l'hémistiche ; formule hyperbolique qui magnifie la laideur
- "singularités" v. 11 : suggère une nouvelle sensiblité à la laideur, ou plutôt à l'originalité, à l'étrange, à
ce qui vient rompre avec les codes de la beauté idéale, qui est codifiée, faite de canons et de
conventions
- fait donc aussi référence aux singularités du poème lui-même
- propose une beauté poétique hors du carcan traditionnel qui peut prendre pour objet la
laideur pour la sublimer
- tous les sens sont convoqués pour dire la monstruosité et pour susciter un mouvement de répulsion chez le
lecteur
- "le tout sent un goût" v. 9 : synesthésie grâce au complément du verbe sentir qui allie dans un même
mouvement goût et odorat ; le "tout" peut faire penser au poème lui-même qui aurait le pouvoir
d'activer tous les sens du lecteur
- "on remarque surtout" v. 10 : le "on" vient remplacer le "je" lyrique de la poésie lyrique amoureuse ;
invite le lecteur à voir avec lui ; déf. "avoir le regard attiré par quelque chose" mis en valeur par
l'adverbe intensif "surtout" : la laideur attire le regard, elle fascine
- "voir" v. 11
- le jeu sur les couleurs pendant tout le poème invoque la vue du lecteur qui est appelé à voir
littéralement comme une apparition la femme décrite
Séquence n°1 : Les Cahiers de Douai, Arthur Rimbaud | Parcours : Émancipations créatrices | EL 2

- "à la loupe" v. 11 : attention aux détails et de la précision, qui assimile l'art poétique à la
sculpture (+ "gravés" v. 12)
- l’injonction « il faut » invite le lecteur à scruter cette étrange poésie au delà des
apparences premières du langage, au-delà du prosaïsme. Elle l’invite à dépasser les
modèles connus pour découvrir une poésie affranchie, un lyrisme de la laideur.
- Invite le lecteur à regarder la laideur, l'étrange, en suscitant une contemplation entre terreur et admiration qui
correspond au sublime

4e mouvement : chute du poème sur une dégradation totale du corps de la femme


- deux derniers vers : conclusion du poème marqué par le tiret
- "tout ce corps" : vision globale du corps, sorte de zoom arrière, qui le prend dans sa globalité ; totalité,
abondance créée par les multiples détails ("singularités"), femme-monde
- "remue" + "tend" : corps en mouvement, mouvement dégradant (ondulation probablement lascive vue de
manière ironique), monstrueuse danse érotique ; transforme le lecteur en voyeur
- "large croupe" : animalisation + vue comme grasse
- "belle hideusement" v. 14 : formule hyperbolique sur le même modèle qu'au vers 10 ; mondèle superlatif de
laideur, la laideur, portée à un tel degré d'absolu, confine à la beauté (au sublime)
- "d'un ulcère à l'anus" :
- rime avec "Vénus" : indication de l'ironie du poète ; signe explicite de l'intention parodique (4
- infirmité + prostitution : insiste une dernière fois, de manière encore plus saisissante sur la
laideur de la Vénus ; s'oppose à l'innoncente candeur de la Vénus anadyomène pour suggérer
la matérialité de l'amour (après tout Vénus est la déesse de l'amour)
- choquer le lecteur pour briser les carcans de la poésie lyrique traditionnelle de manière
violente (révolution)
- invitation à chercher dans les détails immondes une nouvelle forme de beauté poétique > le
quotidien le plus vulgaire peut lui aussi devenir un sujet artistique, repoussant les limites
traditionnelles de la pudeur et du privé (tout montrait)

- Document complémentaire : « La Venus » de Boticelli

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