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Les Réparties de Nina

Éléments d’intro

• Ici, « Les réparties de Nina » entrent en écho avec « Première soirée ». Mais cette fois-ci le jeu amoureux est
déséquilibré…
• Le poète invite Nina à se promener, mais il est maladroit, un peu trop audacieux, et il ne reçoit en réponse qu’un
rire.
• Le poème entier prépare en fait une chute ironique, où le jeune poète se découvre rival d’un employé de bureau.

Les réparties de Nina est un poème narratif d’Arthur Rimbaud. Le poète cherche à y séduire une jeune femme en se
montrant insistant, mais elle ne cesse de se dérober à lui par ses réparties. Finalement, la chute qui la montre si
attachée à son bureau suggère qu’elle y a déjà un amant.

Intérêt du poème

Comment cette invitation poétique d’un jeune amoureux permet à Rimbaud de se moquer des excès d’une poésie
sentimentale ?

Un des rares poèmes un peu long du recueil.


Un savant mélange de très grande beauté, la manière avec laquelle il suggère qu’ils vont faire l’amour, tout le
langage implicite, il reprend des “codes poétiques”
Un exemple de provocation, il désacralise la figure du poète et la poésie en général.

Mouvements de l’extrait

1er mouvement : La tentative de séduction pour la poésie / Apogée sensuel de la promenade imaginaire du poète
et de Nina

de “comme une petite morte” à “Sablerait d’or fin leur grand rêve
Vert et vermeil”
Un jeune poète invite son amoureuse à se promener, mais il est un peu maladroit et ne la laisse pas répondre. Il va
jusqu’à l’inviter à imaginer la rencontre de leurs deux corps de manière totalement idéalisée par la poésie.

2ème mouvement : L’échec et le retour brutale à une réalité beaucoup plus trivial.
de “Le soir ?… Nous reprendrons la route
Blanche qui court” à “Qui, tout fumant,”

Premier mouvement : Apogée sensuel de la promenade imaginaire du poète et de Nina

- le conditionnel des verbes dans la première partie, nous gagnerions, “tu me dirais”, “je te porterais”, “je te
parlerais” montre qu’il s’agit d’une promenade imaginaire, le poète se projette pour convaincre Nina de le
suivre, de l’aimer.

- “Je te porterais, palpitante” = allitération en [p] qui peut marquer les frémissement, les palpirations du
corps, nous sommes dans les strophes les plus intenses du poème.
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- “L’oiseau filerait son andante” = toute la nature invite les amoureux à s’aimer intensément, les oiseaux, les
branches, les arbres, ils sont là pour les protéger, pour les encourager à l’amour. C’est une vision très
romantique de la nature, c’est la forêt perçue de manière à la fois romantique (La nature est vue comme
une force pure, sauvage et originelle, souvent en contraste avec l'artificialité et les contraintes de la société
urbaine et industrielle. La forêt, avec sa sauvagerie et son mystère, devient un lieu d'évasion, de liberté et de
contact direct avec le sublime.”) et symbolique “ (La forêt devient un espace propice aux expériences
mystiques et érotiques, où les sensations, les émotions et les désirs peuvent s'exprimer librement. Le
langage symbolique permet d'explorer des thèmes tabous comme la sexualité de manière subtile et
métaphorique.)

- “Je te parlerais dans ta bouche.. / J’irais, pressant / Ton corps, comme une enfant qu’on couche / Ivre du
sang” = invitation du poète à la sensualité = Je te parlerais dans ta bouche" pourrait indiquer un désir de
fusionner non seulement physiquement mais aussi émotionnellement, où les mots ne sont plus nécessaires
et le contact physique devient un moyen de communication.
- Comparer l'autre à "une enfant qu’on couche" peut indiquer un désir de prendre soin et de protéger, tout
en évoquant une innocence et une pureté dans la relation.

- "Ivre du sang" peut faire référence à l'état d'exaltation et d'intensité émotionnelle qui accompagne souvent
l'amour passionné. Cela peut aussi suggérer une connexion presque instinctive, une attirance qui dépasse la
raison ou la logique.

- “Qui coule, bleu, sous ta peau blanche / Aux tons rosés : / Et te parlant la langue franche….. / Tiens !… – que

tu sais…”

➔ Les vers "Qui coule, bleu, sous ta peau blanche / Aux tons rosés : / Et te parlant la langue franche….. / Tiens

!… – que tu sais…" évoquent une image intime et sensuelle, jouant sur les contrastes visuels et émotionnels.

➔ "Qui coule, bleu, sous ta peau blanche" pourrait faire référence à la circulation du sang sous la peau,

symbolisant la vie et l'énergie vitale. Le sang, bien que généralement associé à la couleur rouge, est ici décrit

comme bleu, ce qui pourrait évoquer simplement refléter la manière dont les veines, sous la peau, peuvent

apparaître bleues.

➔ "Aux tons rosés" ajoute une nuance de douceur et de délicatesse à l'image, renforçant l'idéalisation du sujet

décrit.

➔ "Et te parlant la langue franche" = Il veut lui dire clairement qu’il a envie de faire l’amour avec elle.

- “Et te parlant la langue franche….. / Tiens !… – que tu sais…”


Dialogue dissymétrique entre lui, la quasi totalité du poème, et elle. Il y a plusieurs tirets pour marquer des temps de
repos et des changements d'idées. Il parle beaucoup plus qu’elle. Elle ne dit presque rien d’où la rrésence de
nombreux points de suspension, “Au noisetier…”, “la langue franche…”, “l'oeil mi-fermé…” qui attendent une
réponse de la part de Nina que le poète n’obtient pas.

- “Nos grands bois sentiraient la sève, / Et le soleil / Sablerait d’or fin leur grand rêve / Vert et vermeil “

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➔ Dans le frémissement d'un contact "poitrine sur ma poitrine", le poète-bohémien, au coeur de la
nature, entend en lui la montée de l'amour comme la sève monte dans l'arbre et attend de l'autre le
même frisson du désir, "Je te porterai, palpitante". Mais cette impression est finalement déçue par
la stupidité de Nina qui ne contemple pas le spectacle plein de vie, de sensualité de la nature en éveil
et ne pense qu'à son travail au bureau.
➔ Nos grands bois sentiraient la sève" évoque un renouveau ou une force de vie qui imprègne
l'environnement et, par extension, la relation entre les deux.
- Le "sablage d’or fin" par le soleil sur le rêve "vert et vermeil" des bois illustre une image de beauté naturelle
sublimée par la lumière du soleil.. Le "grand rêve" peut suggérer une aspiration à un état idéal reflétant
peut-être l'aspiration des personnages à un amour idéalisé ou à une expérience transcendante.
On n’est dans une vision totalement idéalisée de l’amour entre les deux personnages.

2ème mouvement : L’échec et le retour brutale à une réalité beaucoup plus trivial.

- le présent des verbes à la seconde partie, “nous reprendrons”, “nous regagnerons”, “tu viendras.” marquent
qu’on n’est plus dans l’idéalisation mais dans la description d’une réalité plus catégorique et concrète.

- “Le soir ?… “ = Marque la rupture le poème s’étonne après ce qu’il vient de dire à Nina, qu’elle lui pose cette
question. Ici, il reprend une partie de la question qu’elle vient sans doute de lui poser: “Puis le soir, qu’est-ce
qu’on fera ?” - On voit qu’elle ne s’intéresse pas du tout à lui.

- “Nous reprendrons la route / Blanche qui court / Flânant, comme un troupeau qui broute / Tout à l’entour”
= Le fait d’être comparé à un troupeau, donne un aspect sauvage, animal du couple, surprenant et
dérangeant. Brutale. Primaire. Grossier.
Ici le cadre devient banal fait d'une campagne ordinaire de vergers des Ardennes, avec le village, les fermes avec
leurs étables emplies de fumier, les vaches qui fientent fièrement.
La journée terminée, que le soir arrive et que l'on doit rentrer, le voyage imaginaire se poursuit dans les fermes où
sent bon le fumier chaud, où fientent fièrement les vaches, et dans les maisons, les fermes, les taudis, où vivent de
nombreux enfants en harmonie.
Il y a beaucoup d'ironie de la part du poète.

“Les bons vergers à l’herbe bleue, / Aux pommiers tors ! / Comme on les sent tout une lieue / Leurs parfums forts !”
➔ Tout devient moche, tordu, et tout sent mauvais.

- “Nous regagnerons le village / Au ciel mi-noir” = C’est peut être le poid d’un orage qui s’annonce,
métaphore de la déception du poète à n’avoir pas réussi à convaincre Nina avec sa poésie
Par exemple, la rime "noir" avec "soir" peut évoquer l'approche de la nuit et la fin d'un jour, suggérant une
certaine fatalité ou une conclusion inévitablement décevante de la journée.

- "Et ça sentira le laitage / Dans l’air du soir ;" introduit les odeurs de la campagne qui s'infiltrent dans l'air du
soir. Le laitage, associé à la simplicité de la vie rurale, pourrait ici avoir une connotation de monotonie ou de
simplicité trop rustique pour le goût du poète.

- "Ca sentira l’étable, pleine / De fumiers chauds," renforce l'immersion sensorielle dans l'ambiance rurale, où
l'odeur pénétrante du fumier évoque la proximité incontournable avec les réalités concrètes et moins
idéalisées de la vie agricole.
Sonorité désagréable : La dureté des "f" dans "fumiers chauds" et le son nasal dans "étable, pleine"
contribuent à créer une impression de désagrément et de répulsion.
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- "Blanchissant sous quelque lumière;" fait probablement référence aux animaux de la ferme, éclairés dans
l'obscurité, rappelant la réalité agricole

- "Une vache fientera**, fière,"** avec l'acte de la vache qui défèque à chaque pas, introduit une note
grotesque ou dégradante. Ce détail terre-à-terre pourrait symboliser la désillusion du poète face à une
réalité moins charmante qu'imaginée. On peut relever l’allitération en [f] qui accentue la description d’une
manière presque comique.

- Les références à "les lunettes de la grand-mère / Et son nez long / Dans son missel*** ; le pot de bière /
Cerclé de plomb,"** ainsi que les "larges pipes" fumantes, dessinent un portrait de la vie villageoise
caractérisée ses figures typiques, mais peut-être aussi par son immobilisme et son manque d'ouverture.

- "les effroyables lippes / Qui, tout fumant," termine le poème sur une image forte des villageois fumant, leurs
lèvres exagérées prenant une connotation presque monstrueuse ou repoussante dans l'esprit du poète.

Conclusion

• Le poème présente toute les marques d’une poésie amoureuse. Un véritable chant, mélodieux, qui invite l’amante
à se retrouver dans une nature idyllique.
• Mais le lecteur attentif perçoit des maladresses et des excès, qui cachent l’ironie mordante de Rimbaud.
• La réplique finale “Et mon bureau ?” = et mon amant, révèle l’écart entre les deux personnages, a prend une
dimension symbolique : l’idéal s’oppose à la réalité.
Ce dialogue amoureux teintée d’une certaine ironie malheureuse se retrouve chez un auteur comme Tristan
Corbière, qui publie Les Amours jaunes en 1873, et compare son chant de poète à celui d’un crapaud :
… Il chante. — Horreur !! — Horreur pourquoi ?
Vois-tu pas son œil de lumière…
Non : il s’en va, froid, sous sa pierre.
Bonsoir — ce crapaud-là c’est moi.

On peut également faire un rapprochement à VIEILLE CHANSON DU JEUNE TEMPS - VICTOR HUGO (1831) On y
retrouve la place importante de la nature comme élement qui caqchent les amoureux, qui les révèelent et
également la même forme de déception, on voit une sorte de réalité croisée, si Rimbaud ne parvient pas à arriver à
ses fins, Victor Hugo lui n’a pas vu les tentatives de séduction de la fin. Il est fort possible que Rimbaud connaissaient
le poème d’Hugo.

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