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"Le Dormeur du Val", Les Cahiers de Douai, Arthur Rimbaud

Corrigé de l'explication linéaire – axe pour le commentaire


Éléments de contexte
Rimbaud n’a même pas 16 ans quand il fait sa première fugue en août 1870. Au même moment, c’est la
guerre entre la France et la Prusse, et le 2 septembre 1870 : défaite de Sedan, Napoléon III est destitué, c’est
la fin de l’Empire et bientôt le début de la IIIe République. Rimbaud a certainement vu les dégâts de la
guerre en traversant les campagnes du côté de Charleville : est-ce que “Le Dormeur du Val” raconte une
expérience vécue ? On ne le saura jamais, mais en tout cas Rimbaud était contre la guerre et l’Empire.
Le thème du poème
Dans ce sonnet, la Nature magnifique et sereine contraste avec l’état du soldat “endormi”... La
scène est calme, et pourtant tout au long du poème, il y a quelque chose d’étrange, on a une
sensation de malaise. Et tout le sonnet est construit vers une pointe, un effet de surprise final.
Piste de lecture : Comment ce tableau poétique d’un soldat endormi au cœur d’une Nature magnifique
prépare-t-il une chute brutale au service d’une dénonciation de la guerre ?

Mouvements du poème
Premier quatrain : un décor paradisiaque assorti d’une légère inquiétude
Deuxième quatrain : le portrait d’un jeune soldat...endormi ?
Premier tercet : l’ombre de la mort
Dernier tercet : la réalité tragique

Premier mouvement : un décor paradisiaque


Le premier quatrain est rythmé par une anaphore : « c’est un trou de verdure … c’est un petit val »
au 1er et au 4e vers qui embrasse le quatrain et forme une sorte de cadre autour du paysage : les deux
expressions désignent les lieux de façon générale et encadrent les éléments de description plus
précis. Elles font ainsi du paysage un endroit protégé.
A l’intérieur de ce « trou de verdure », de ce »petit val » on trouve des éléments naturels charmants
et paisibles. Tout est naturel : la « verdure » au premier vers, fait écho aux « herbes » . Au vert de la
végétation s’ajoute la lumière naturelle du « soleil » au vers 3, évoquée au vers suivant par le verbe
« luit » mis en valeur par le rejet et repris en fin de quatrain par le nom « rayons ». Cette lumière est
également visible dans les gouttes d’eau nommées « haillons d’argent », l’enjambement et le rejet
mettant en valeur leur éclat lumineux. La description essentiellement visuelle se complète d’une
perception quasi tactile de la lumière par le verbe « mousse » employé pour caractériser la texture
des « rayons » au vers 4. Une perception sonore participe dès le premier vers à cette atmosphère
paradisiaque : « une rivière », personnifiée ,« chante» . la personnification de l’élément naturel se
poursuit au deuxième vers avec le verbe « accrochant » et l’adverbe « follement » ; autre présence
naturelle, la montagne est elle aussi personnifiée par l’adjectif « fière ». Le verbe « mousse » met
également « le val » en mouvement. C’est ainsi tout le paysage qui s’anime d’une vie naturelle et
joyeuse.
Dans ce tableau charmant, deux termes créent un sentiment d’inquiétude en produisant un léger
décalage. Le mot « trou » dès les premiers mots mis en valeur par le rythme des trois mots
monosyllabiques « c’est un trou » paraît brutal et peu harmonieux. Cette impression sera confirmée
à la lecture de la fin du sonnet. Le mot « haillons » à la rime et séparé de sa signification
métaphorique par l’enjambement suscite un autre malaise. Ce terme qui désigne des vêtements de
misère, déchirés, renvoie à une réalité bien éloignée de ce coin de paradis
Deuxième quatrain : le portrait d’un jeune soldat...endormi ?
Ce second quatrain nous fait nous approcher et entrer dans ce joli petit val jusqu’à y découvrir un
être humain : le paysage devient portrait.
« un soldat jeune » : ’adjectif postposé est étrange : on dirait plutôt “un jeune soldat”. Rimbaud met
en valeur cet adjectif comme une dissonance qui fait naître une inquiétude : la guerre est contre-
nature car elle met en jeu la vie de la jeunesse.
Le portrait se poursuit : « bouche ouverte, tête nue » : peut-être ce jeune soldat se sent suffisamment
en sécurité pour enlever son casque, peut-être est-il mort. En tous les cas, il est dans une posture
vulnérable. La « bouche ouverte » de la même façon est signe d’abandon ou de mort. La nuque est
un endroit vulnérable du corps humain. Un écho sonore « tête nue » "sous la nue » « nuque » insiste
sur ce terme.
Le portrait se concentre sur la tête du soldat, avec la bouche, la nuque : il est comme caché par le
cresson et par la lumière. Tout se passe comme si le personnage était auréolé par le lieu lui-même.
Cela lui donne une dimension de sainteté, comme les martyrs représentés dans les enluminures
médiévales.

Le paysage naturel, fait de lumière et de couleurs bleue et verte, est charmant et encadre
paisiblement le jeune soldat : : sous lui « le frais cresson bleu », « le lit vert » , au-dessus de lui « la
nue ». Le verbe « pleuvoir » est normalement impersonnel, mais Rimbaud l’utilise de manière très
poétique en lui donnant un sujet : la lumière pleut. Comme si la Nature avait une volonté propre :
elle ne peut pas être impersonnelle. La lumière est comparée à la pluie : on peut l’entendre et la
toucher, exactement comme les rayons qui moussent... le fait de mélanger ainsi les perceptions
s'appelle la synesthésie.Tout au long du quatrain, l’allitération en L semble imiter cette pluie de
lumière qui tombe. L’herbe, couverte d’eau argentée au premier quatrain, est devenu un lit, or on
parle bien du lit de la rivière : le dormeur est comme noyé dans cette nature liquide.

Le verbe « dort » placé en rejet comme « d’argent » au premier quatrain, crée une sorte d’écho avec
la première strophe. Ce verbe ainsi isolé exprime la quiétude de ce portrait. Mais Rimbaud prend
son temps pour rassurer son lecteur : le verbe « dort » est retardé le plus possible par les
compléments circonstanciels de manière en cascade. L’enjambement (la phrase est poursuivie sur le
vers suivant) crée un effet d’attente.
Des indices viennent troubler la douceur. Le cresson est une plante semi-aquatique qui se
développe sur l’eau. La tête du soldat semble donc au contact de l’eau et le verbe « baignant »
associé d’abord à la végétation par le biais d’une métaphore doit peut-être être pris dans son sens
littéral. Le dernier vers met en valeur l’adjectif « pâle » qui suscite une inquiétude sur la santé du
jeune soldat. Cette teinte, associée au « lit vert » crée un ensemble morbide.

Troisième mouvement : l’ombre de la mort


« Les pieds dans les glaïeuls » : . ce sont des fleurs plus terrestres que le cresson => les pieds en
hauteur et la tête près de l'eau : position inconfortable du dormeur. "Il dort" l'épiphore (répétition en
fin de proposition) résonne étrangement. Le sommeil est aussi un euphémisme pour désigner la
mort. Les indices oscillent entre le positif et le négatif : le dormeur sourit, mais c’est le sourire
d’un "enfant malade". La comparaison est inquiétante, mais elle est atténuée par le conditionnel : il
n’est pas vraiment malade. Rimbaud insiste sur ce sourire par la répétition du verbe de même qu'il
insiste sur le sommeil avec le plénoasme "il fait un somme" qui répète seulement "il dort"
Dans l’antiquité, le sommeil et la mort sont deux frères jumeaux : Hypnos et Thanatos.
L’adjectif « frais » au 2nd quatrain est devenu « froid » : c’est une gradation (une augmentation en
intensité).

Le dernier vers commence avec une apostrophe (une adresse directe), où la Nature devient
réellement une allégorie avec la majuscule : « berce-le chaudement ». Le poète s'adresse
directement à la nature par le biais de l'impératif. On reconnaît le motif traditionnel de la vierge à
l’enfant. La Nature est comme une mère, voire même, comme la Vierge Marie, une Sainte. Le
dormeur est alors dans la posture du christ, dont le destin sera de mourir.
Dans un autre poème, « Le Mal », Rimbaud développe cette même image, où les soldats, victimes
de la guerre, sont tous les enfants de la même mère Nature, qui est sanctifiée. "Tandis qu’une folie
épouvantable broie /Et fait de cent milliers d’hommes un tas fumant ; /— Pauvres morts ! dans l’été,
dans l’herbe, dans ta joie, Nature ! ô toi qui fis ces hommes saintement !…

Quatrième mouvement : la réalité tragique


La nature est toujours présente dans des perceptions olfactives et visuelles. Le soleil est toujours là.
La pose est toujours la même, celle du sommeil, mais deux détails font progresser vers la révélation
finale :
- la négation totale "ne font pas" qui crée une rupture entre la nature et le corps censé percevoir cette
nature. La "narine" est une métonymie qui désigne le dormeur/le mort par un élément du corps : le
lecteur prend conscience peu à peu de la mort.
- le nouveau détail du portrait "la main sur sa poitrine" qui guide progressivement le regard.

Rimbaud exploite la forme du sonnet qui se termine traditionnellement par une pointe, un effet de
chute finale. Le titre même du poème était trompeur : le dormeur était en fait un cadavre, le
sommeil était un euphémisme, une expression atténuée.
Rimbaud repousse au maximum le moment de la révélation, avec l’adjectif « tranquille » en rejet,
qui empiète de deux syllabes sur l’alexandrin : le moment de vérité devra se concentrer sur le reste
du vers, 10 syllabes seulement !
Les premières lettres de ces trois derniers vers forment le mot LIT, c’est un acrostiche (un mot
transcrit verticalement dans un poème). Le lit du dormeur, le lit de mort

La mort n’est pas annoncée de manière explicite : « Deux trous rouges » C’est la couleur, la
dimension picturale du poème qui fait émerger un sens plus profond et symbolique.
La blessure « au côté droit », c’est une notation très précise, Rimbaud renvoie explicitement à l’une
des plaies du Christ : pour constater sa mort, un soldat romain aurait percé son flanc droit avec sa
lance. Ainsi, le dormeur devient un véritable martyre.
Le mot « trou » était presque le premier mot du poème : la boucle est bouclée. Cette blessure du
soldat est à l’image du val où il se trouve : la Nature entière a-t-elle pouvoir de bercer et de consoler
ou est-elle finalement un mensonge, un cadre joyeux qui contient une horreur ?

Conclusion
Dans ce poème, la Nature est à la fois belle et sauvage, allégorique et mystique, elle dépasse l’être
humain. Comme chez Baudelaire, les couleurs, les matières et les perceptions se confondent, les
effets de contraste véhiculent un sens caché. La mort plane sur ce paysage idyllique, cette mort
injuste qui écrase l'humanité et révolte le poète comme dans le poème "Le Mal".

Axes pour un commentaire littéraire


I . (Comment ?) Ce poème-tableau est composé de façon à retarder la découverte.
A Un endroit protégé
B Un jeune homme endormi, vulnérable
C Un dernier tercet, un dernier vers, comme une révélation brutale

II. (Quoi ? Dans ce tableau, la Nature est belle et mystérieuse, elle dépasse l’humain.
A Un décor paradisiaque, plein de vie
B Une nature accueillante pour le jeune homme vulnérable
C L' allégorie de la Nature
III. (Pourquoi?) Le sentiment de mort qui plane sur tout le texte vise une efficace dénonciation de la
guerre.
A. Une légère inquiétude dans le premier quatrain
B. Un soldat surpris dans une pose inquiétante
C La réalité tragique et brutale

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