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Cahiers de Douai, Rimbaud (1870) : lecture linéaire du poème « Roman » p 47

Eléments d’introduction :
- Présenter Rimbaud et le recueil (utiliser les cours d’introduction).
- Présenter le poème « Roman » : poème composé de 8 quatrains d’alexandrins et découpé en 4 parties,
qui évoque une expérience de l’adolescence : l’éveil aux sensations et les premiers émois amoureux. Le
titre du poème intrigue : pourquoi nommer « Roman » un poème ? S’agit-il de rapprocher la poésie du
genre romanesque (I, II, III, IV = chapitres) ? OU doit-on comprendre le mot dans son sens d’histoire
inventée ? OU doit-on y voir une allusion au Romantisme ?
- Donner la problématique : Comment Rimbaud dépasse-t-il le topos de la rencontre amoureuse par son
regard ironique ?
- Annoncer le plan : étude linéaire du poème en quatre mouvements, suivant les quatre parties du texte.

LIRE LE TEXTE (attention pb des « e » en fin de mots → souligner les « e » à prononcer).

ANALYSE LINEAIRE :

1- Premier chapitre : fuir pour retrouver la nature


- Dès le premier vers, la mention de l’âge, « dix-sept ans », nous renvoie à la jeunesse de Rimbaud
lorsqu’il écrit ces poèmes et rappelle donc le caractère autobiographique de l’oeuvre. Il n’avait en fait
que 16 ans en 1870 mais on sait qu’il n’hésitait pas à mentir sur son âge pour se vieillir, lors de ses
fugues ou dans les lettres envoyées à des auteurs, à T. de Banville par exemple. L’évocation des cafés
dès le v.2 renvoie de même à des éléments de la vie de Rimbaud dont on sait qu’il fréquenta beaucoup
d’auberges ou de cabarets au cours de ses errances.
Pourtant, aucune trace d’un « je » dans ce premier vers mais l’emploi du pronom impersonnel « On ».
On note aussi le présent de vérité générale et la portée morale du propos (avec la diérèse mettant
l’accent sur l’adjectif « séri/eux »), éléments qui donnent au vers des allures de maxime.
→ On peut penser que Rimbaud cherche à inclure le lecteur dans une expérience universelle, celle de
l’adolescence = démarche qui rappelle la démarche romantique.
Mais en même temps, on entend dans cette phrase, qui mime la sagesse adulte, une certaine distance
ironique, comme si le poète se moquait de ses émotions d’adolescent.

- Ces 2 premières strophes posent aussi une situation initiale (comme dans les récits) et donc un cadre
spatio-temporel:
 Pour le temps : « Un beau soir » (v.2), « les bons soirs de juin » (v.5).
 Pour le lieu, le passage de l’ambiance animée des cafés (« bocks », « limonade » v.2, « cafés » v.3),
caractérisés par le bruit (« tapageurs » v.3) et la lumière violente (« lustres éclatants » v.3), au
calme d’une promenade solitaire sous les « tilleuls verts » v.4.

- Ce départ pour une balade nocturne s’accompagne d’un éveil des sens qui rappelle la
synesthésie baudelairienne (poème « Correspondances »): la couleur des tilleuls (« verts » v.4, mis en
relief par la césure qui sépare l’adjectif du nom) et leur odeur (« sentent bon » v.5 et « parfums » repris
anaphoriquement au v.8) se mêlent à la sensation tactile de la douceur de l’air (v.6) et aux sensations
auditives (« le vent chargé de bruits » v.7).

- L’écriture de ces strophes semble tendre vers une forme de lyrisme dans l’expression des sentiments :
 ponctuation expressive qui traduit une émotion: exclamations des v.3 et 5, présence des tirets aux
v.2, 4 et 7 (fonction de parenthèses), vers laissé en suspens v.8 ;
 description méliorative de l’environnement traduisant un sentiment d’aisance, de plénitude (« si
doux qu’on ferme la paupière » v.6, répétition de l’adjectif mélioratif « bon » dans « sentent bons
dans les bons soirs » au v.5 qui insiste sur l’aspect agréable).
Mais Rimbaud joue avec les codes : refus de l’épanchement lyrique romantique, choix d’une certaine
distanciation.

2- Deuxième chapitre : présage et ivresse


- Le deuxième chapitre s’ouvre au v.9 par une formule qui semble annoncer l’élément perturbateur qui,
dans les récits, fait démarrer l’histoire : présentatif « Voilà qu’on aperçoit », précédé d’un tiret.
Les enjambements aux vers 9-10 et 11-12 invitent à lire le quatrain presque d’une traite, ce que
renforce la métaphore filée autour de la couture et du tissu : « chiffon » (v.9), « Piqué » (v.11), voire
« doux frissons » (v.12), qui peut rappeler les « doux frou-frous » de « Ma bohème » (v.8).

- Les touches de couleur, l’«azur sombre » du ciel et le blanc de l’étoile (« petite et toute blanche »)
permettent de se représenter ce début de nuit, avec cette étoile qui se lève, probablement l’étoile du
berger, autrement dit la planète Vénus, la planète la plus brillante après le soleil et la lune, ce qui laisse
présager une rencontre amoureuse car Vénus est la déesse de l’amour.

- Le quatrain suivant exprime l’enthousiasme du narrateur : phrases courtes, très ponctuées = rythme
dynamique du v.13 + champ lexical de l’ivresse (« griser » v.13, « champagne » v.14, « monte à la tête »
v.14 ou encore « divague » v.14) + points de suspension, nombreux (v.12, 14 et 16 = figure de
l’aposiopèse) qui suggèrent que, submergé par ses émotions, le poète ne trouve plus ses mots.
Il s’agit d’une ivresse des sens, et non d’une ivresse d’alcool comme le montrent la métaphore « La sève
est du champagne » (v.15) et l’évocation des « lèvres » et du « baiser » v.15.
Rimbaud joue avec les codes lyriques traditionnels : certes, l’exaltation des sens, l’euphorie des émois sont là,
mais la répétition du pronom impersonnel « on », préféré au « je » (« On se laisse » v.13, « On divague » et
« on se sent » v.15) dessine une distanciation.

3- Troisième chapitre : une rencontre


- Le vers 17 rend hommage au genre romanesque : le néologisme, « Robinsonne », mis en valeur par
l’emploi de la majuscule ainsi que sa place à la césure, fait référence au personnage de Robinson
Crusoé dans le roman éponyme de Daniel Defoe (XVIII°). Si Rimbaud invente ce verbe, c’est pour
insister sur l’influence qu’eut sur lui la lecture de « romans ». On sait que les livres, avant les fugues et
les voyages, furent son premier moyen de s’émanciper. Et l’univers romanesque, qu’évoque le titre du
poème, pousse à la rêverie, dépayse, permet l’évasion, embarque dans des histoires d’amour ou des
aventures.

- Survient alors au vers suivant (v.18) la réalisation du présage; l’événement est préparé par le rythme
particulier du vers (2/10) qui met en relief la conjonction de subordination « Lorsque », créant un effet
d’attente.
Le champ lexical de la lumière, avec « clarté », « réverbère » et l’antithétique « ombre » (v.20) prépare
l’apparition des personnages en même temps qu’elle la retarde puisqu’il faut attendre le vers suivant
pour qu’ils rentrent en scène: une jeune fille et son père, que l’on perçoit d’abord par une antithèse
(« charmants » pour elle et « effrayant » pour lui, la figure de l’autorité).
La figure du père est uniquement évoquée par la métonymie du « faux-col », image suffisante pour
faire comprendre du personnage sa raideur, son air de respectabilité = critique de la bourgeoisie
également perceptible dans le choix de 2 termes négatifs : « ombre » et « effrayant ».

- La rencontre est placée sous le signe du mouvement de la jeune fille, avec le verbe « Passe »,
positionné au début du vers 19, pour mettre l’accent sur la fugacité de l’instant, ainsi que les verbes
« trotter » (v.22), « tourne » (v.23) ou encore les adjectifs « alerte » et « vif » (v.23) et même le nom
« mouvement ». Cette vivacité s’entend aussi dans l’allitération en [t] du v.22, qui mime le bruit des
bottines qui trottent.

- On note que l’énonciation a changé : on est passé du pronom impersonnel « on » au pronom personnel
de 2ème pl « vous » (« elle vous trouve » v.21, « vos lèvres » v.24), pour que l’identification du lecteur
soit facilitée et s’imagine être ce jeune homme, bouche bée face au charme de cette jeune fille.

- L’aposiopèse du vers 23 est particulière : les points de suspension sont au nombre de 4, et non de 3,
comme pour augmenter leur dimension suggestive. Le poète laisse le soin au lecteur de compléter ces
non-dits, allusions implicites aux premiers émois amoureux. Ce jeu avec la ponctuation témoigne de la
volonté de Rimbaud de renouveler l’écriture poétique.

4- Quatrième chapitre : épilogue et autodérision


- Le dernier chapitre met lui aussi l’accent sur la 2ème pl, du v. 25 au v.30 et implique ainsi le lecteur,
notamment dans l’anaphore « Vous êtes amoureux. » aux v. 25 et 26 qui invite le lecteur à se projeter
dans cette situation.

- L’expression du v.25 (« Loué jusqu’au mois d’août ») est surprenante : le participe passé « Loué » réifie
le poète, fait de lui un objet, ce qui est une façon de montrer à quel point il est pris par l’amour,
entièrement occupé par l’amour. De même, le v.27 suggère un jeune homme entièrement consacré à
son histoire d’amour et donc mauvais camarade : le poète a changé au point que « Tous [ses] amis s’en
vont ».

- Une nouvelle notation temporelle, le « mois d’août », indique la fin de l’idylle.

- La figure de la « demoiselle » est idéalisée, voire divinisée, par l’emploi de la majuscule pour le pronom
personnel « La » (v.26) qui la place sur un piédestal, comme une déesse. On retrouve la même
démarche avec le terme « l’adorée » (v.28) et cette métaphore nous renvoie à la déesse Vénus, déesse
de l’amour, qui avait été, avec son étoile, le présage annonciateur de la rencontre.
Pourtant cet amour semble bien peu réciproque : la jeune fille est montrée comme étant moqueuse
(« Vos sonnets La font rire » v.26) et condescendante (« l’adorée, un soir, a daigné vous écrire » v.28).
On note que ce v.28 se termine par des points de suspension étonnamment suivis par un point
d’exclamation, ce qui renforce le suspense (quel est le contenu de cette lettre ?) et peut se lire aussi
comme une marque d’ironie amère.

- L’épilogue de cette histoire vient dans le dernier quatrain qui a une fonction de chute (procédé narratif
caractéristique du récit). Le démonstratif « Ce soir-là » nous ramène à l’expression « un beau soir » du
v.2, ce qui donne au texte une forme circulaire bien close sur elle-même. Cet effet de circularité, de
boucle entre le premier et le dernier quatrain rappelle le goût de Rimbaud pour les formes poétiques
médiévales, comme le rondeau ou la ballade.
Le lecteur constate alors que le dernier quatrain est une reprise quasiment identique du premier, à la
différence près que les vers sont donnés dans un ordre inversé (3 – 2 – 1 – 4), comme si le poète
remontait le temps et revenait au début.
Et en effet, tout est inversé : le poète renoue avec sa vie d’avant, il n’est plus question d’abandonner les
cafés mais d’y retourner, après la parenthèse de l’idylle : « vous rentrez » (v.29) et « Vous demandez »
(v.30). On comprend donc que l’amourette est terminée et que la lettre du v.28 était une lettre de
rupture : l’étoile qui a présidé à la rencontre au v.11 était donc bien « mauvaise », l’histoire d’amour
n’aura été qu’éphémère.

- La situation finale nous fait alors relire les vers 1 et 4 avec le regard rétrospectif et lucide du poète, qui
écrit en septembre, donc après la fin de cette relation, avec un certain recul, et qui se rend compte du
caractère éphémère et léger des amours adolescentes.

Eléments de conclusion :
- Synthèse : Le poème, comme son titre l’annonce, est un petit récit, il raconte une histoire et use de
procédés narratifs. Par ailleurs, Rimbaud témoigne d’une grande maturité pour son âge, il est capable
d’une certaine distance critique, portant un regard légèrement ironique sur l’exaltation des premiers
émois amoureux. Il permet aussi au lecteur de s’identifier et de sourire avec lui devant ce récit
d’amours adolescentes éphémères. Enfin, Rimbaud montre à quel point il maîtrise les codes
traditionnels de la littérature pour mieux les distordre.

- Ouverture : On peut rapprocher ce poème de « À la musique » pour la satire de la bourgeoisie OU de


« Sensation » pour le thème de l’éveil des sens OU « Au Cabaret-Vert », « La Maline » pour l’éveil à la
sensualité et à l’amour.

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