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LLn°11 : Prologue, Juste à la fin du monde, Jean Luc Lagarce

Intro :
-Auteur : JLL est un dramaturge, comédien, metteur en scène et
directeur de troupe du XXe siècle. Atteint du SIDA, il se sait condamné et
laisse derrière lui des dizaines de pièces, qui rencontrèrent un succès
posthume. Il se réclamait héritier de Beckett et Ionesco, dramaturges
associés au théâtre de l’absurde : l’absurde de la communication, la
difficulté des persos à communiquer et à se comprendre -absurdité que
l’on retrouve dans le théâtre de Lagarce.

-Extrait : Écrit en 90 par JLL, Juste à la fin du monde est un huit clos
familial reposant sur l’annonce par Louis à sa famille de la maladie qui le
condamne. L’œuvre ne sera cependant jouée qu’après le décès du
dramaturge. La pièce s’ouvre sur un prologue où, à travers un
monologue, L. explique sa décision de rentrer chez lui pour annoncer sa
fin inexorable à ses proches.

️Lecture de l’extrait

Pb : En quoi le prologue, qui remplit sa fonction traditionnelle, laisse-t-il


le spectateur dans l’attente et l’incertitude ?

Mouvements :

1ermvt (l.1-15) : La mort inéluctable et le destin implacable de L.


2emvt (l.16-28) : La décision de retourner dans sa famille pour annoncer
sa mort
3emvt (l.28-fin) : Le combat pour rester maître de son destin

Développement :
1ermvt (l.1-15) : La mort inéluctable et le destin implacable de L.

L1: « Plus tard, l’année d’après », indicateur temporel → prolepse de L.,


tel une prophétie, en annonçant des faits futurs
=>Ici, L. annonce sa propre mort.

L2-3 : présence dramatique de la mort, répétition du vb « mourir »

L3 : adv temporel « mtn » + futur, distorsion temporelle, d’une


énigmatique préscience
« J’ai », présent d’énonciation ou de narration, crée une ambiguïté => On
ne sait pas vraiment si L. n’est pas déjà mort, comme s’il s’agissait de sa
voie d’outre-tombe. Le spectateur est dans l’incertitude.

« Près de 34 ans », âge de L. : 2 pts à analyser ;


→souligne la jeunesse emportée par la mort
→ironie tragique : Le Christ est mort à 33 ans or, sa mort est
suivie par sa résurrection. Cpdt, ce n’est pas possible pour L.,
seul un destin inexorable l’attend.

« C’est à cet âge que je mourrai », tournure emphatique, caractère


inéluctable du destin de L.

L4 : « l’année d’après », anaphore (l1-7-12-17), rappel l’action du destin,


la fatalité à le visage de la maladie dans cette pièce.
L5-6 : Face à cette mort, L. confie avoir été gagné par l’immobilité
comme l’indique :
*la répétition du vb « attendre »
*les négations « ne rien faire », « ne plus savoir »
*le lexique de l’immobilisme physique « à peine » et l’adv
« imperceptiblement » (l9-10)

L7 : « l’année d’après », anaphore, perturbe la syntaxe de la tirade et


transforme toutes les phrases de L. en anacoluthe. La maladie et la mort
sont comme un parasite qui vient s’incruster dans la phrase et empêcher
tout sens et parole.

L10-11 : La mort = ennemi dangereux, champ lexical de la violence/du


danger « danger, extrême, violent, réveillerait l’ennemi, détruirait ».
L8 et 11 : « on » et « vous », pronoms marquants l’anéantissement
progressif du personnage ou bien un effacement volontaire pour mettre
à distance le danger.

L14 : « la peur », vers court + GN prépositionnel « sans espoir jamais de


survivre » =>L. avoue son angoisse existentielle tout en soulignant sa
lucidité face à son destin.

2emvt (l.16-28) : La décision de retourner dans sa famille pour annoncer


sa mort

L16 : « malgré tout », répétition, retournement de situation : Louis


décide finalement de mener un combat contre la maladie et la mort en
revenant dans sa famille.

L18 : vb « décider » + retour à la première personne, volonté de L. de


prendre son destin en main.
-Répétition du préfixe « re », retour aux sources qui est un
combat contre le temps qui passe.
- polysémie de l'expression « faire le voyage », évoque le passage
symbolique de la vie à la mort.
=>Ici, Louis conjure momentanément la mort par un voyage
inversé, qui est une remontée dans le temps, un retour dans le
giron familial.

L21 : Puis Louis évoque la manière dont il annoncera sa mort à sa famille


: « pour annoncer, lentement, avec soin... »

Effet de théâtre dans le théâtre, Louis devient le metteur en scène de


son annonce qu'il répète plusieurs fois. Par les adverbes de manière «
lentement (l20) », « lentement, calmement (l22) » il prépare la manière
dont il va jouer la scène de l'aveu.

L21 : répétition de la locution adverbiale « avec soin », réflexion de L.


sur la meilleure manière de jouer cette scène mais ramène aussi à la
polysémie du terme puisque « soin » fait également songer à la thérapie
face à la maladie.

L22-24 : De la même manière, l'insistance sur l'adjectif « posé » désigne


la sérénité mais aussi la position du corps dans le cercueil.
=>Subtilement, la mort est donc toujours présente dans ce prologue.

L21 : L. auto analyse son discours comme le souligne la proposition


incise « ce que je crois ». L. se met à nu en exposant sa réflexion au
spectateur/lecteur, dans un effort de sincérité et dans la recherche de la
justesse, du mot juste. Cette recherche est apparente dans tout l’extrait
à travers l’épanorthose.

L22-24 : « posé », adj, donne l’impression que L. est détenteur un


caractère serein et réfléchi
- opposition avec l’interro-négative « n’ai-je pas toujours été pour les
autres et pour eux… »
=>L. se présente en « homme posé » afin de braver cette mort qui le
menace. Il manipule l’image de lui-même qui laisse transparaître à sa
famille et aux spectateurs
-souligne le décalage entre son identité familiale, sociale et sa vraie
identité, plus complexe et tourmentée.

L25 : reprise du vb « annoncer » + champ lexical de la parole


« annoncer », « dire », « messager », L’action annoncée est un acte de
parole qui de veut acte de résistance face à la mort, mais également un
acte d’adieu, comme le souligne le surgissement de la mort à travers le
GN COD « ma mort prochaine et irrémédiable » (l28) : l’aveu programmé
est donc porteur d’une charge émotionnelle et d’une dimension
tragique. La volonté de maîtrise de L. est vaine, même si celui-ci pense
dominer la fatalité par l’annonce qu’il s’apprête à faire.

L29 : pronom réfléchi « moi-même » + adj « unique », L. veux être une


voix agissante et être en pleine possession de son destin, mais sa
position est particulière. Notre protagoniste est, à la fois la victime du
destin (la maladie) et la voie du destin. Tout cela donne l'impression
d'une étrange distance du personnage avec son destin et lui confère un
statut particulier dans la pièce, par rapport aux autres personnages.

3emvt (l.28-fin) : Le combat pour rester maître de son destin

Le combat de L. consiste à rester maître du destin d'où le champ lexical


de la volonté : « voulu », « voulu et décidé » (emploi de l’épizeuxe),
« décider », « responsable », « mon propre maître ».
Adv « toujours » et « encore » + CCL « depuis le + loin…me souvenir »
=> Lutte de L. inscrite dans la durée
Ironie tragique de L. : le lexique de l’illusion « paraître », « peut-être » +
« illusion » s’oppose à cette lutte. Sentiment illusoire de pouvoir influer
sur le cours de sa vie, puisque ce combat contre le destin est perdu
d’avance.
L36 : Bien que ce soit le GN « mon propre maître » qui clôt la tirade
monologuée, le personnage à pleinement conscience de la fatalité de la
condition humaine et prend de la distance, remet en cause le libre
arbitre de l’Homme face au destin inévitable.

Double énonciation de L. avec le jeu de pronom « toi, vous, elle, ceux-là


encore que je ne connais pas (trop tard et tant pis) ». Interpelle le
spectateur. L. souligne ainsi que nous partageons tous la même
condition mortelle fraternelle soumise au même sort.

On remarque aussi que cette tirade n'est constituée que d'une seule
phrase. Tout est prononcé dans un flot de parole continu comme si la
voix de l'inconscient remontait à la surface.
Conclusion :
Le lecteur-spectateur est déstabilisé par ce prologue plein d’ambiguïtés :
il est placé dans l’incertitude d’un brouillage temporel et face à un
personnage complexe et étrange. Le lecteur-spectateur découvre
également une écriture très moderne qui brise les codes habituels de
l’écriture de dramatique. On comprend, grâce à ce prologue, que la
parole a la force la plus essentielle des actions et qu’elle est au cœur des
enjeux de la pièce : « juste » mais dire « juste » et vrai, dans un souci
d’exactitude, de fidélité à la pensée, de recherche de justesse.
Ouverture :
La pièce reprend la thématique biblique « Le retour du fils prodigue »,
mais celle-ci est détournée car on note l’impasse tragique du retour : le
fils prodigue « ne revient pas à la vie », mais il est voué à une mort
prochaine, soumis à la fatalité de sa condition humaine.

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