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Manon Lescaut, ET scène de première rencontre, première partie de « J’avais marqué… » à

« ses malheurs et les miens », pages 26 à 28, lignes 204 à 231 en classico lycée
[avant ce texte, peut-être lire et commenter la même scène dans La Princesse de Clèves ; après, dans L’éducation
sentimentale, Aurélien et L’écume des jours]

Intro : biographie / situation du passage : Renoncour, narrateur du récit cadre, qui a rencontré Des Grieux et s’est ému
de son sort ainsi que de celui de Manon, lui donne à présent la parole. Après s’être rapidement présenté (études,
milieu social, caractère…), ce dernier raconte sa rencontre avec le personnage éponyme dont il est immédiatement
tombé fou amoureux / problématique : comment ce texte met-il en œuvre le topos romanesque de la scène de
première rencontre ? / plan : premier mouvement, le contexte de la rencontre, jusqu’à « se retirèrent aussitôt » ;
deuxième, la fascination du narrateur, jusqu’à « maîtresse de mon cœur » ; troisième, le début du dialogue.

I. Le contexte de la rencontre
- Le cadre de la rencontre ancre celle-ci dans le réalisme. Il comporte des notations renvoyant à l’espace avec
les noms de villes, « Amiens » et « Arras » et la référence à « l’hôtellerie ». DG évoque aussi un moment
déterminé par le recours au passé-simple pour rapporter les événements. Il précise aussi qu’il était
accompagné de son ami Tiberge. Ces éléments contribuent à donner un caractère crédible à l’épisode qu’il
rapporte.
- Dans ce contexte, DG fait le récit rétrospectif de la rencontre, ce qui lui permet aussi de commenter ses actions
passées. Il la présente comme étant le résultat d’une manœuvre du destin, ce qui donne une couleur tragique
au passage. En effet, on relève l’interjection « Hélas ! » ainsi que la phrase exclamative négative « que ne le
marquais-je un jour plus tôt ! » qui traduisent le regret que les choses ne se soient pas passées autrement. On
note aussi le recours au conditionnel passé dans « j’aurais porté chez mon père toute mon innocence », qui
confirme le caractère irréversible de sa situation et introduit un jugement moral de DG a posteriori. D’emblée,
le lecteur est poussé à plaindre le narrateur-personnage, qui semble avoir été victime de la fatalité.
La notion de concours de circonstances accompagne ce récit : le choix de suivre le coche d’Arras n’est
déterminé par aucune raison valable ; il est seulement dicté par « la curiosité », comme le laisse entendre la
négation restrictive « pas d’autre motif que ». C’est également un hasard que le coche transporte des femmes,
plus particulièrement des prostituées, ce qui va donner lieu à une rencontre extraordinaire.

II. La fascination de DG
- Le narrateur montre dans ce passage que la vision de celle dont on ne connait pas encore le prénom est
intervenue comme un coup de tonnerre dans la vie du jeune homme. On perçoit ainsi une rupture dans la
narration avec le connecteur d’opposition « Mais », qui distingue le pluriel du groupe de « femmes » et la
singularité de la dernière.
Mais le portrait de celle-ci est différé : on apprend d’abord qu’elle est accompagnée d’un « homme d’âge
avancé », qui ne semble avoir d’autre rôle que d’être à son service, comme en témoignent le substantif
« conducteur » qui le désigne et le groupe verbal « s’empressait pour faire tirer son équipage des paniers ».
Cette précision est intéressante pour la suite.
- Le portait proprement dit est fait en peu de mots et il est rendu plus aisé par le fait que Manon se fige dans
une sorte d’arrêt sur image ; cette immobilité, qui s’oppose au mouvement des autres passagères, mise en
valeur par le verbe « s’arrêta », laisse le temps à DG de l’observer et confirme le caractère exceptionnel du
moment, tout en suggérant en creux une attitude plutôt inappropriée de la jeune femme… qui, au XVIIIème
siècle, ne devrait pas s’arrêter (et converser avec un inconnu).
Les caractéristiques physiques sont très succinctes : on relève seulement les adjectifs « jeune » et
« charmante » (sens fort) mais ils sont accentués par les adverbes d’intensité « fort » et « si » et deviennent
de ce fait des superlatifs ; il suffit donc de très peu de précisions au lecteur, qui se fait immédiatement l’idée
d’une jeune femme extraordinaire par son apparence.
Elle se distingue encore davantage par l’effet qu’elle produit sur DG puisqu’elle le mène à dépasser ses propres
limites. Celui-ci livre un autoportrait dans lequel on remarque l’antithèse entre son attitude habituelle envers
les femmes - décrite ici à l’aide des imparfaits à valeur durative et itérative « moi, qui n’avais jamais pensé à
la différence des sexes », « moi, dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue », soulignée par
l’anaphore de « moi » et la tournure emphatique « dis-je » - et sa réaction dans l’épisode qu’il relate. On se
fait alors l’idée d’un personnage jeune et naïf, peu concerné par les choses du cœur… que la vue de M va
bouleverser. En effet, le lexique de l’amour fait son apparition dans le texte par l’entremise de termes forts,
qui renvoient pour l’essentiel à la tragédie tels que la métaphore « enflammé », le substantif « transports »
ou encore la périphrase « maîtresse de mon cœur ». On remarque donc bien que M séduit DG en un instant
et qu’elle le transforme profondément. C’est la disparition de la timidité du jeune homme qui rend la
rencontre possible.

III. Le début d’un dialogue


- Le contact se fait lui aussi très rapidement, ce que met en évidence le groupe verbal « reçut mes politesses ».
On note la présence de plusieurs verbes de parole, qui sont « demandai », « répondit » et « parlai », pour
rapporter le début d’une conversation, ainsi que le recours à différentes formes de discours indirect dans ce
mouvement du texte. Par ailleurs, ce dialogue apporte beaucoup d’informations en peu de mots, ce qui donne
l’impression d’un flot de paroles continu et souligne l’intensité du moment.
- Concrètement, l’image d’une libertine (à expliquer) se fait jour dans l’esprit du lecteur - ce dont le narrateur a
été totalement incapable de se rendre compte au moment des faits. La première référence au libertinage
apparait discrètement dans le complément de manière « sans paraître embarrassée », où le verbe d’état laisse
entendre qu’il s’agit d’une sorte d’intuition dans le passé. En revanche, le comparatif « elle était bien plus
expérimentée que moi » traduit une certitude au moment du récit rétrospectif : le portrait moral de M se
nourrit de la connaissance malheureuse qu’en a le narrateur ; elle n’est pas novice en matière amoureuse !
Cette image se confirme dans les réponses qu’elle fait à ses questions : révélant l’objectif de ses parents qui
l’envoient au couvent, elle désigne dans une subordonnée de but son « penchant au plaisir, qui s’était déjà
déclaré », ce qui suggère qu’elle fait la honte de sa famille par ses moeurs.
Ses parents apparaissent immédiatement à DG comme des obstacles… le lecteur imagine alors des péripéties
à venir et sa curiosité est stimulée. Ainsi, la comparaison qui est aussi une hyperbole « je regardai ce dessein
comme un coup mortel pour mes désirs » donne au couple qui va se former une dimension transgressive,
refusant les règles de la société.
La fin du passage est marquée par le retour des marques du tragique s’exprimant dans la prolepse « son
penchant au plaisir […] qui a causé dans la suite tous ses malheurs et les miens ».

CCL : il s’agit d’une scène très importante car elle donne à voir la rencontre des amants sous le signe de la
fatalité et de l’empathie, tout en mettant en évidence leurs traits de caractère principaux. Elle introduit en
même temps le libertinage de Manon et donc la marginalité à venir des deux personnages.
Ouverture : première phrase d’Aurélien et le renouvellement du topos de la scène de première vue : « La
première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide »

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