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Ce poème, extrait du recueil Mes Forêts d’Hélène Dorion, autrice québécoise née en 1958, a été

composé pendant le confinement. Il clôt la dernière section « le bruissement du temps », composée


de trois poèmes narratifs qui évoquent la genèse, l’histoire de l’humanité puis celle de l’autrice de
son enfance à l’âge adulte.
Il est la cinquième réécriture du poème liminaire « Mes forêts sont de longues traînées de temps »,
dont les réécritures à la fin de chaque section scandent le recueil.

Mouvement :
• Les forêts évoquent une étendue spatio-temporelle (v. 1 à 5)
• et pourtant elles sont devenues synonyme d’enfermement pour l’autrice confinée (v. 6 à 17)
• mais elles sont aussi un espace de projection pour les sentiments de l’autrice (v. 18 à 23)
• in fine, elles permettent d’accoucher du poème (v. 24-25) et de trouver un espace de liberté à
l’intérieur de soi. (fin)

Problématique :
Comment ce poème traduit-il la solution trouvée par la poétesse pour dépasser la sensation
d’enfermement ressentie lors du confinement qu’elle passe dans une maison au milieu de la
forêt ?

Mes forêts sont de longues tiges d’histoire Longue série de métaphores construites sur le même modèle : S/ vbe être / GN
attribut + idée de temps qu’on retrouve dans les versions 1 et 3 (« Mes forêts
elles sont des aiguilles qui tournent sont le bois usé d’une histoire » p93)
à travers les saisons elles vont GN qui entremêlent des champs lexicaux appartenant à la nature (Nom noyau)
d'est en ouest jusqu’au sud et d’autres au monde humain (expansion : CDN ou relative): tiges d’histoire ;
aiguilles qui tournent. Les noms se référant à des éléments naturels (tiges,
et tout au nord aiguilles) évoquent des lignes, terme qui apparaît au vers 20. Le terme aiguille
polysémique se réfère aussi bien aux aiguilles des conifères qu’aux aiguilles de
la montre ce qui permet de relier les deux champs lexicaux.
Deux types de temporalité apparaissent : celle linéaire de l’histoire et celle
cyclique de la nature et des saisons
La mention des quatre points cardinaux permet de montrer l’étendue des forêts
dans l’espace en faisant écho à leur étendue dans le temps. = les forêts
symbolisent cette histoire du monde et de l’homme qui a été retracée à grands
traits dans les trois poèmes de cette dernière section. Elles sont un espace
d’ouverture spatio-temporelle.

mes forêts sont des cages de solitude Pourtant l’autrice s’y sent enfermée :
des lames de bois clairsemées L’image des lignes verticales se prolonge avec la métaphore de la cage (+
hypallage « de solitude »): ce passage semble une projection des sentiments de
dans la nuit rare la poétesse, sentiments caractérisés par une certaine lourdeur et souffrance.
elles sont des maisons sans famille (polysémie du mot lame qui évoque à la fois la verticalité des arbres et le
couteau, l’arme blanche). Cela évoque sans doute le confinement (la forêt où
des corps sans amour elle habite est devenue son espace de confinement et non plus un lieu
qui attendent qu’on les retrouve d’évasion), d’où le champ lexical de la solitude : solitude/ clairsemées/ rare/
sans famille/ sans amour
La négation souligne l’absence, le vide ; la nuit, absence de lumière, s’accorde
à la lourdeur du vécu. Ambiance lugubre. Temps suspendu (« qui attendent »)
Même écrire semble difficile (par perte de sens et de perspective ?)
au matin elles sont Cette nuit est peut-être aussi le moment de l’écriture pour la poétesse comme le
des ratures et des repentirs suggère la passage suivant avec la mention du mot rature. La lourdeur et
l’angoisse sont à nouveau mises en relief avec le GN rejeté dans la strophe
suivante : « une boule dans la gorge », comme si les mots avaient du mal à
une boule dans la gorge venir, comme s’ils restaient bloqués. Ce blocage, lié à l’enfermement
quand les oiseaux recommencent à voler transparaît dans le GN « des ailleurs sans retour ». On retrouve la verticalité
mes forêts sont des doigts qui pointent « des doigts qui pointent » et l’idée d’une évasion possible avec les « oiseaux
qui recommencent à voler » (au petit matin?) qui est refusée aux humains du
des ailleurs sans retour fait du confinement.

elles sont des épines dans tous les sens Distique qui fait écho au début du poème mais de façon négative : aiguilles
ignorant ce que l’âge résout devient épines (notion de douleur, de piqûre), absence de sens contrairement au
déroulement des saisons et à l’organisation spatio-temporelle des humains
La souffrance et l’absence de temps se projette dans le paysage grâce à ce GN.
Le Participe présent, qui comporte également une idée de négation, montre un
fossé entre la nature, inconsciente du passage du temps et l’humain qui se
caractérise par cette conscience. En même temps, lueur d’espoir qui annonce
l’éclaircie finale : « ce que l’âge résout » = le temps permet de trouver des
solutions ?

Si la forêt ignore l’homme et le temps humain, la poétesse elle se projette dans


elles sont des lignes au crayon la forêt. La verticalité des arbres qui étaient perçue comme les barreaux d’une
cage, devient un dessin (lignes tracées par les prisonniers pour compter les
sur papier de temps jours, le temps?). La forêt devient le support de l’écriture, la nature reflète
portent le poids de la mer l’intériorité, comme un livre (« poids », « silence »/ allitération en p qui
le silence des nuages souligne la lourdeur + homophonie la mer/ l’amer).

La forêt est ce qui permet d’accoucher (« long passage ») du poème en


mes forêts sont un long passage gestation, dans un temps de souffrance (« exil et survie » : sonorités dures + i)
pour nos mots d’exil et de survie La vision négative de la forêt perçue comme une prison s’adoucit ; les éléments
naturels antithétiques (pluie/ soleil) viennent mettre du baume au cœur (« sur la
un peu de pluie sur la blessure blessure »). Les associations de sonorités (rime blessure/dure ; allitérations en p
un rayon qui dure et en d associées aux nasales « on »/ « eur ») soulignent l’apaisement trouvé
dans sa douceur dans la difficulté, grâce à la nature.

et quand je m’y promène Après avoir évoqué la sensation d’enfermement, la poétesse trouve une
ouverture qui n’est plus vers l’extérieur mais vers l’intérieur : « prendre le
c'est pour prendre le large
large/ vers moi-même »). Ouverture soulignée par l’allitération en r. La forêt
vers moi-même permet donc de dépasser l’expérience de l’enfermement et de l’exil loin du
monde pour trouver un espace de liberté intérieure, qui peut s’exprimer dans
l’écriture. (voir poème final de la première section qui se clôt également par un
tercet à la première personne : « si peu me fait vivre/ quand c’est plein
d’étoiles/ et que s’avance le poème »)

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