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Le soliloque de Suzanne – Jean-Luc Lagarce

Mvt 1 : l.1-7 -> S


définit la manière
dont L a gardé
contact avec la
famille

Mvt 2 : l.8-27 :


l’image que S se
fait du métier de L

Mvt 3 : l.27-37 :


incompréhension
du côté de S
quant au choix de
L d’ignorer sa
famille

Contexte de l’œuvre :
Séquence 5, Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle                        
-> œuvre ressemble à poème en vers libre

Jean Luc Lagarce est un dramaturge mais est aussi un comédien. Il écrira Juste la fin
du monde en 1990, une pièce de théâtre pouvant être assimilée à un poème en vers libres. Il
l’écrit alors qu’il se sait condamné puis qu'il est atteint du sida. Ici, nous allons étudier un
extrait de la scène 3 qui se situe au début de la pièce après la deuxième scène, le dialogue
entre Louis et Catherine, la femme d'Antoine. Ici, la parole est entièrement prise par
Suzanne dans une tirade, mais elle n’est cependant pas seule sur scène, son frère Louis est
également présent.

Problématique  : Comment La communication familiale est questionnée par


Suzanne dans cet extrait ?
On peut dégager trois mouvements de cet ensemble. Des lignes 1 à 7 Suzanne
évoque dans une entrée en matière la façon dont Louis donne des nouvelles à sa famille.
Dans les lignes 8 à 27. elle évoque la représentation qu'elle a du métier de son grand frère.
Dans les lignes 28 à 37, elle exprime son incompréhension par rapport à la façon qu'a Louis
de s'exprimer par l'écriture.

1er mouvement : Ligne 1 à 7 -> Suzanne explique la manière dont


Louis a maintenu un semblant de communication avec sa famille

Le premier mouvement est constitué d'une seule phrase, partant de la ligne 1 à la


ligne 7, dans laquelle Suzanne dépeint la façon dont Louis donne des nouvelles écrites à sa
famille.

L.1-2 : “Parfois, tu nous envoyais des lettres, parfois tu nous envoies des lettres”
➢ L'adverbe « parfois » répété deux fois montre que la pratique de Louis n'est pas
fréquente.
➢ L'hésitation de Suzanne entre l'emploi de l'imparfait et du présent interroge : quand
elle parle au passé, « envoyais », sous-entend-elle que cette action de Louis remonte
dans le temps, où s’agit-il ici de clairvoyance quant au secret de Louis ? En effet,
l’usage de l’imparfait laisse présager la mort : qlqch de révolu.
➢ L’épanorthose (accentuée par parallélisme de construction) figurant dans la phrase
au présent d’énonciation, « tu envoies » suppose que Suzanne hésite et se rattrape,
par égard pour Louis.

L.3-6 : “ce ne sont pas des lettres, qu'est-ce que c'est ? de petits mots, juste des petits
mots, une ou deux phrases, rien, comment est-ce qu'on dit ? elliptiques.”
➢ Dans la suite de la phrase, Suzanne précise et reformule son propos sur la forme de
la communication de Louis : au début il s’agit de « lettres », terme connoté
noblement, appartenant au domaine épistolaire. Finalement, elle déprécie son activité
avec gradation descendante, en faisant l’usage de « petits mots » puis « une ou deux
phrases ». Cette forme de communication s’appauvrit encore pour arriver au néant
avec le nom « rien ». L'adjectif final associé à « lettres » choisi par Suzanne est «
elliptiques », selon elle, elles ne sont pas complètes.
➢ propositions incises interrogatives (=2 questions rhétoriques) : soit montre son
hésitation (cherche les bons mots) soit cherche à être piquante = est en quête de
réponses

L.7 : « Parfois, tu nous envoyais des lettres elliptiques. »


➢ Ce mouvement s'achève sur une phrase aboutie et synthétique contrairement à ce
qui précède. Elle est prononcée entre guillemets, habituellement employés pour une
citation. On peut donc penser que ces guillemets signalent que Suzanne a cessé de
rechercher à être précise ou à prendre des pincettes, et ce souhait qu'a Suzanne de
montrer cet achèvement, elle le démontre en se citant elle-même. Elle semble
prendre de l’assurance et avoir les idées plus claires.
� la forme des messages de Louis perdent peu à peu de la valeur dans son propos
(ses lettres sont elliptiques), ici ils sont rares (parfois) et font partie d’une époque
passée (imparfait)

2nd Mouvement : Ligne 8 à Ligne 27 : la vision que Suzanne enfant a du


métier de Louis

L.8-11 : “Je pensais, lorsque tu es parti (ce que j'ai pensé lorsque tu es parti), lorsque
j'étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie (là que ça commence)”
➢ Dans le début du deuxième mouvement, Suzanne évoque son enfance marquée par
la place centrale du départ de Louis : la proposition circonstancielle de temps qui
évoque ce départ, débutant par marqueur de temporalité « lorsque ». Elle semble
bloquée sur ce moment marquant, car elle est répétée quatre fois du vers 8 au vers
10.
➢ Le sens du départ de Louis évolue au fil des lignes :
- il est signifié par le verbe de sens neutre « partir » au passé composé, répété à deux
reprises, sur le vers 8 et 9.
- À la fin de la phrase, Suzanne emploie l'expression péjorative « tu nous as faussée
compagnie » en soulignant ainsi le sentiment d'abandon de la sœur à l’égard de son
frère. Le pronom démonstratif « là » dans l'expression entre parenthèses “(là que ça
commence)” montre, qu'elle identifie désormais avec précision cette étape décisive
dans sa jeunesse où elle ressent l'abandon.

L.12-15 : “Je pensais que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie, ce que
tu souhaitais faire dans la vie, je pensais que ton métier était d'écrire (serait d'écrire)”
➢ Dans la suite du mouvement, Suzanne définit le « métier » de Louis. Toute la
description est faite à l’imparfait : « souhaitais »,« faisais», « allais faire », « était » ou
au conditionnel employé comme futur dans le passé, « serait d'écrire ». L'emploi de
ce temps pose la question de l'actualisation de ces actions.
➢ Des précautions sont prises par Suzanne pour évoquer l'activité de vie de Louis :
l'écriture. Le terme « écrire » n'est évoqué que deux fois et n'arrive dans les propos
de Suzanne qu'après des périphrases, « ce que tu faisais ou allais faire dans la vie »,
des noms, « métier », des verbes, « faire » ou encore un pronom démonstratif «ça »
pour désigner cet art qui d'après les propos de Suzanne a une place importante dans
la vie de Louis.
➢ “je pensais” (imparfait) marque qu’elle ne pense plus comme lorsqu’elle était enfant
L.17-20 : “- et nous éprouvons les uns et les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne
pas le savoir, une certaine forme d'admiration, c'est le terme exact, une certaine forme
d'admiration pour toi à cause de ça -”
➢ L'incise de Suzanne commente d'ailleurs le rapport d'admiration que la famille a avec
la pratique de Louis.
➢ Suzanne semble gênée d’exprimer l'admiration comme on le voit par l'emploi des
modalisateurs, « certaine », « forme », l'emploi du pronom péjoratif « ça ». La
recherche du « terme exact » traduit peut-être elle aussi cette gêne à ne pas trouver
les bons mots face à quelqu'un dont c'est le « métier ».
➢ En même temps qu'elle exprime cette admiration, elle enlève la possibilité à Louis de
l’ignorer avant qu'elle en parle, comme on le voit au travers de la phrase affirmative et
négative qui renforce cette affirmation, «tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir »

L.21-27 : “ou que, de toute façon, si tu en avais la nécessité, si tu en éprouvais la


nécessité, si tu en avais, soudain, l'obligation ou le désir, tu saurais écrire, te servir de
ça pour te sortir d'un mauvais pas ou avancer plus encore.”
➢ Dans la dernière partie de ce mouvement, Suzanne explique la représentation
valorisée qu'elle a de l’écriture : elle permet de dépasser sa condition, « Le sortir d'un
mauvais pas », «avancer plus encore» selon ses motivations, qui sont exprimées
grâce à la répétition à trois reprises d'une proposition subordonnée hypothétique
introduite par « si » et par les mots « nécessité » «obligation », « désir».
-> Suzanne enfant ressent de l’admiration depuis qu’elle est petite pour le fait qu'il écrive.

3e Mouvement : Ligne 27 à Ligne 37 -> L’incompréhension de Suzanne


face aux actes de Louis qui préfère utiliser talent d’écriture dans métier
que de le faire profiter à sa famille

L.28-31 : “Mais jamais, nous concernant, jamais tu ne te sers de cette possibilité, de


ce don (on dit comme ça, c'est une sorte de don, je crois, tu ris) jamais, nous
concernant, tu ne te sers de cette qualité”
Dans le troisième mouvement, la tension est perceptible de façon plus évidente. L'objet de la
tension provient de la valorisation de l'acte d'écriture de la part de la famille opposée à
l'absence d'utilisation de cet art de la part de Louis.
➢ D'abord, cette contradiction s'exprime au travers de la rupture marquée par un
connecteur logique d'opposition, « mais » à La ligne 28, renforcé par l'adverbe «
jamais », répété quatre fois.
➢ Suzanne oppose les pronoms “tu”, représentant Louis au p.p “nous” représentant la
famille.
➢ Ensuite, dans Le prolongement du deuxième mouvement, l'acte d'écriture est encore
valorisé : « possibilité », « don » répété deux fois, « qualité », répété deux fois.
➢ La réaction de Louis aux propos de sa sœur exprime peut-être sa gêne, « tu ris ». Il
ne prend pas la parole et écoute (à l’image de ses lettres, sa réaction est elliptique)
L.32 : “- c'est le mot et un drôle de mot puisqu'il s'agit de toi –”
➢ aparté cynique : ce n’est pas une qualité mais plutôt un défaut puisqu’il ne l’utilise pas

L.33-37 : “jamais tu ne te sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous.
Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes. C'est pour les
autres.”
➢ L'absence de l'exploitation du don par Louis est soulignée par quatre phrases
négatives, « jamais [...] tu ne te sers de cette qualité », « jamais tu ne te sers de cette
qualité », « Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes. » à
chaque fois, les compléments des verbes ou de phrases sont la famille.
➢ épanorthose “avec nous, pour nous” : souligne qu’en plus de ne rien partager avec sa
famille, Louis ne fait rien pour elle
➢ Seule la dernière phrase de Suzanne est affirmative, mais elle ne concerne plus la
famille puisque le dernier pronom, « Les autres » l'exclut (Louis favorise ses relations
avec les autres plutôt que celle avec sa famille)
-> On peut noter que dans cette fin de mouvement, Suzanne n'a aucune hésitation dans le
choix des mots et ne commente pas son propos, elle va droit au but

Conclusion

Dans ces propos de Suzanne la tension s'exprime de plus en plus clairement. La parole est
hésitante et gênée au début du texte puis plus définitive à la fin. La tension est personnelle,
interne au personnage de Suzanne qui exprime ses sentiments d'abandon lorsque Louis est
parti.
La frustration et la douleur qu'elle ressent de voir que le don qu'il possède n'est pas partagé
avec eux, avec la famille fait que cette tension prend aussi une dimension familiale. D’autant
plus parce qu’il utilise “cette qualité” avec les autres.
Le seul indice de réception de la parole de Suzanne par Louis est un sourire : un mouvement
de lèvre bien elliptique lui aussi, le lecteur est invité à combler les manques de paroles de
Louis.

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