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Contexte de l’œuvre :
Séquence 5, Objet d’étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle
-> œuvre ressemble à poème en vers libre
Jean Luc Lagarce est un dramaturge mais est aussi un comédien. Il écrira Juste la fin
du monde en 1990, une pièce de théâtre pouvant être assimilée à un poème en vers libres. Il
l’écrit alors qu’il se sait condamné puis qu'il est atteint du sida. Ici, nous allons étudier un
extrait de la scène 3 qui se situe au début de la pièce après la deuxième scène, le dialogue
entre Louis et Catherine, la femme d'Antoine. Ici, la parole est entièrement prise par
Suzanne dans une tirade, mais elle n’est cependant pas seule sur scène, son frère Louis est
également présent.
L.1-2 : “Parfois, tu nous envoyais des lettres, parfois tu nous envoies des lettres”
➢ L'adverbe « parfois » répété deux fois montre que la pratique de Louis n'est pas
fréquente.
➢ L'hésitation de Suzanne entre l'emploi de l'imparfait et du présent interroge : quand
elle parle au passé, « envoyais », sous-entend-elle que cette action de Louis remonte
dans le temps, où s’agit-il ici de clairvoyance quant au secret de Louis ? En effet,
l’usage de l’imparfait laisse présager la mort : qlqch de révolu.
➢ L’épanorthose (accentuée par parallélisme de construction) figurant dans la phrase
au présent d’énonciation, « tu envoies » suppose que Suzanne hésite et se rattrape,
par égard pour Louis.
L.3-6 : “ce ne sont pas des lettres, qu'est-ce que c'est ? de petits mots, juste des petits
mots, une ou deux phrases, rien, comment est-ce qu'on dit ? elliptiques.”
➢ Dans la suite de la phrase, Suzanne précise et reformule son propos sur la forme de
la communication de Louis : au début il s’agit de « lettres », terme connoté
noblement, appartenant au domaine épistolaire. Finalement, elle déprécie son activité
avec gradation descendante, en faisant l’usage de « petits mots » puis « une ou deux
phrases ». Cette forme de communication s’appauvrit encore pour arriver au néant
avec le nom « rien ». L'adjectif final associé à « lettres » choisi par Suzanne est «
elliptiques », selon elle, elles ne sont pas complètes.
➢ propositions incises interrogatives (=2 questions rhétoriques) : soit montre son
hésitation (cherche les bons mots) soit cherche à être piquante = est en quête de
réponses
L.8-11 : “Je pensais, lorsque tu es parti (ce que j'ai pensé lorsque tu es parti), lorsque
j'étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie (là que ça commence)”
➢ Dans le début du deuxième mouvement, Suzanne évoque son enfance marquée par
la place centrale du départ de Louis : la proposition circonstancielle de temps qui
évoque ce départ, débutant par marqueur de temporalité « lorsque ». Elle semble
bloquée sur ce moment marquant, car elle est répétée quatre fois du vers 8 au vers
10.
➢ Le sens du départ de Louis évolue au fil des lignes :
- il est signifié par le verbe de sens neutre « partir » au passé composé, répété à deux
reprises, sur le vers 8 et 9.
- À la fin de la phrase, Suzanne emploie l'expression péjorative « tu nous as faussée
compagnie » en soulignant ainsi le sentiment d'abandon de la sœur à l’égard de son
frère. Le pronom démonstratif « là » dans l'expression entre parenthèses “(là que ça
commence)” montre, qu'elle identifie désormais avec précision cette étape décisive
dans sa jeunesse où elle ressent l'abandon.
L.12-15 : “Je pensais que ton métier, ce que tu faisais ou allais faire dans la vie, ce que
tu souhaitais faire dans la vie, je pensais que ton métier était d'écrire (serait d'écrire)”
➢ Dans la suite du mouvement, Suzanne définit le « métier » de Louis. Toute la
description est faite à l’imparfait : « souhaitais »,« faisais», « allais faire », « était » ou
au conditionnel employé comme futur dans le passé, « serait d'écrire ». L'emploi de
ce temps pose la question de l'actualisation de ces actions.
➢ Des précautions sont prises par Suzanne pour évoquer l'activité de vie de Louis :
l'écriture. Le terme « écrire » n'est évoqué que deux fois et n'arrive dans les propos
de Suzanne qu'après des périphrases, « ce que tu faisais ou allais faire dans la vie »,
des noms, « métier », des verbes, « faire » ou encore un pronom démonstratif «ça »
pour désigner cet art qui d'après les propos de Suzanne a une place importante dans
la vie de Louis.
➢ “je pensais” (imparfait) marque qu’elle ne pense plus comme lorsqu’elle était enfant
L.17-20 : “- et nous éprouvons les uns et les autres, ici, tu le sais, tu ne peux pas ne
pas le savoir, une certaine forme d'admiration, c'est le terme exact, une certaine forme
d'admiration pour toi à cause de ça -”
➢ L'incise de Suzanne commente d'ailleurs le rapport d'admiration que la famille a avec
la pratique de Louis.
➢ Suzanne semble gênée d’exprimer l'admiration comme on le voit par l'emploi des
modalisateurs, « certaine », « forme », l'emploi du pronom péjoratif « ça ». La
recherche du « terme exact » traduit peut-être elle aussi cette gêne à ne pas trouver
les bons mots face à quelqu'un dont c'est le « métier ».
➢ En même temps qu'elle exprime cette admiration, elle enlève la possibilité à Louis de
l’ignorer avant qu'elle en parle, comme on le voit au travers de la phrase affirmative et
négative qui renforce cette affirmation, «tu le sais, tu ne peux pas ne pas le savoir »
L.33-37 : “jamais tu ne te sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous.
Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes. C'est pour les
autres.”
➢ L'absence de l'exploitation du don par Louis est soulignée par quatre phrases
négatives, « jamais [...] tu ne te sers de cette qualité », « jamais tu ne te sers de cette
qualité », « Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes. » à
chaque fois, les compléments des verbes ou de phrases sont la famille.
➢ épanorthose “avec nous, pour nous” : souligne qu’en plus de ne rien partager avec sa
famille, Louis ne fait rien pour elle
➢ Seule la dernière phrase de Suzanne est affirmative, mais elle ne concerne plus la
famille puisque le dernier pronom, « Les autres » l'exclut (Louis favorise ses relations
avec les autres plutôt que celle avec sa famille)
-> On peut noter que dans cette fin de mouvement, Suzanne n'a aucune hésitation dans le
choix des mots et ne commente pas son propos, elle va droit au but
Conclusion
Dans ces propos de Suzanne la tension s'exprime de plus en plus clairement. La parole est
hésitante et gênée au début du texte puis plus définitive à la fin. La tension est personnelle,
interne au personnage de Suzanne qui exprime ses sentiments d'abandon lorsque Louis est
parti.
La frustration et la douleur qu'elle ressent de voir que le don qu'il possède n'est pas partagé
avec eux, avec la famille fait que cette tension prend aussi une dimension familiale. D’autant
plus parce qu’il utilise “cette qualité” avec les autres.
Le seul indice de réception de la parole de Suzanne par Louis est un sourire : un mouvement
de lèvre bien elliptique lui aussi, le lecteur est invité à combler les manques de paroles de
Louis.