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Arthur Rimbaud

Peu d'écrivains ont provoqué un tel foisonnement de commentaires et


d'interprétations.
On a pu voir en Rimbaud un maître du symbolisme aussi bien qu'un initiateur
du surréalisme. Claudel, pour qui la lecture des Illuminations en 1886 a été un choc
décisif, l'a défini comme « un mystique à l'état sauvage », fuyant en vain l'appel de
Dieu. A sa suite, certains critiques ont voulu expliquer d'un point de vue chrétien
« le drame spirituel » de l'auteur d'Une Saison en Enfer, tandis que d'autres n'ont
retenu que les traits du sacrilège qui a foulé aux pieds les valeurs traditionnelles de
la religion et de la société, de celui qui, selon le mot de Camus, a été « le poète de
la révolte, et le plus grand ». On a cru trouver la clé de sa poésie dans l'alchimie, ou
dans la kabbale, ou dans la sagesse hindoue, ou simplement dans un jeu de rébus.
On l'a dit « voyant », et « voyou ». On a donné une valeur exemplaire à la destinée
de ce « Shakespeare enfant », qu'on imaginait renonçant à la littérature après une
terrible crise pour se lancer, « homme aux semelles de vent », sur les routes du
monde.
Si ces images témoignent, dans leur extraordinaire diversité, de la fascination
exercée par Rimbaud sur les générations qui l'ont suivi - sur un Claudel comme sur
un Breton -, nous devons aussi constater qu'elles obscurcissent, plus qu'elles ne la
facilitent, l'intelligence de son œuvre. Nous avons appris, notamment depuis
qu'Etiemble en a dressé un impitoyable inventaire, à nous défier d'exégèses et de
théories qui, s'appuyant sur des analyses partielles ou partiales, sont trop souvent «
fausses ou floues », et à nous efforcer, pour comprendre Rimbaud, de lui demander
ce que lui seul peut nous donner : la connaissance de son œuvre et de sa vie. Non
pour nous y enfermer : ce serait encore une fois tomber dans le piège d'un système
d'explication arbitraire que le considérer comme un fulgurant météore, étranger à
ce monde, venu on ne sait d'où et aussitôt disparu. Son entourage, sa famille, ses
amis, la littérature de l'époque constituent le milieu dans lequel - contre lequel s’est
affirmé son génie.

Biographie
Arthur Rimbaud, né à Charleville en 1851, reçoit auprès de sa mère, femme
austère et dévote une éducation sévère. En classe, il se montre un excellent élève ;
il écrit des vers latins et lit avec passion. Mais à 16 ans, vient pour Rimbaud le
temps de la révolte. Celle-ci s'exerce à l'encontre de sa mère, de sa ville natale, de
la bourgeoisie et des bienséances, de l'école et de l’Église. La révolte de Rimbaud
n'est pas seulement de nature sociale : elle est aussi et surtout d'ordre
métaphysique. Il s’élève contre la condition humaine et l'absurdité de l'existence.
En 1870, Rimbaud clame bien haut ce qu'il aime : « la muse et la liberté » et ce
qu'il déteste: à cette époque, précisément, la guerre et le nationalisme qu'il dénonce
par ce néologisme péjoratif, le « patrouillotisme ». Izambard, le professeur qui a
favorisé les aspirations poétiques de Rimbaud et l’influence par ses idées
socialistes, est mobilisé. Le jeune poète vit comme un drame le départ de celui qui
représente à la fois son père et son ami. Son professeur parti, Rimbaud n'a plus
qu'une idée : fuir Charleville. Il fait une première fugue à Paris en août 1870, une
seconde en Belgique. Celle-ci lui inspirera le poème Ma bohème. A cette époque, il
attaque le catholicisme ( Le mal ), le conformisme bourgeois ( Les assis ) et il
exprime sa pitié pour les pauvres ( Las effarés ) et les morts de la guerre ( Le
dormeur du val ). En février 1871, il fait sa troisième fugue. Revenu à Charleville
le 10 mars suivant, il proclame son admiration pour la Commune Paris et il écrit
sur les murs de la ville : « Mort à Dieu ». Il ne va plus en classe, traîne dans le rues
et les cafés et ne parle plus que de politique et de littérature.
En mai 1871, la révolte de Rimbaud prend des formes nouvelles. Il espère
changer le monde grâce à la poésie. Il établit son ambitieux programme poétique
dans les lettres du Voyant. Un an auparavant, il adressait à Banville des poèmes de
facture très traditionnelle. On mesure le chemin parcouru par le poète en si peu de
temps. Rimbaud a envoyé ses poèmes à Verlaine. Celui-ci l'invite venir à Paris en
ces termes chaleureux et enthousiastes : « Venez, chère grande âme, on vous
appelle, on vous attend ». Exalté, Rimbaud écrit son Bateau ivre afin de s'ouvrir les
portes des cénacles parisiens. Verlaine, alors âgé de 27 ans, est immédiatement
séduit par l'adolescent. Jeune marié, il abandonne sa femme, pour mener avec son
ami une existence de bohème et de débauche. Ce dernier est vite rejeté par le
milieu littéraire parisien : on ne supporte ni son arrogance, ni son agressivité. Il est
vrai que Rimbaud est convaincu d'être quelqu'un d'exceptionnel et qu'il méprise les
autres. Comme il avait haï Charleville et ses bourgeois, il déteste maintenant Paris
et ses littérateurs.
En juillet 1872, les deux poètes se rendent en Belgique. Verlaine écrit ses
Romances sans paroles, Rimbaud ses Derniers vers. Ils gagnent Londres en
septembre. Ils y mènent une existence errante. A cette époque, Rimbaud poursuit
son expérience du Voyant et ses hallucinations, Il écrit probablement ses premières
Illuminations. Les deus compagnons entretiennent une relation passionnelle, faite
de disputes, de séparations et de retrouvailles. En avril 1873, Rimbaud retourne
dans la ferme familiale à Roche et commence Une saison en Enfer. Le 10 juillet
1873, à Bruxelles, c'est l'avant-dernière rencontre des deux hommes. Rimbaud,
lassé de l'instabilité et de la sentimentalité de Verlaine, lui annone qu'il veut le
quitter. Verlaine blesse alors son ami de deus coups de pistolet et sera incarcéré
peu après. Rimbaud rentre à pied à Roche et achève Une saison en Enfer. Le drame
de Bruxelles, l'échec de l'entreprise du Voyant, l'accueil glacial fait à Une saison
en Enfer vont éloigner définitivement Rimbaud de la littérature.
A partir de 1875, Rimbaud voyage à travers toute l'Europe et apprend de
nombreuses langues. En mars 1873, il reçoit, à Stuttgart, la visite de Verlaine, venu
pour le convertir. Les deux hommes renouent une dernière fois et très vite se
quittent définitivement. En 1879, Rimbaud fait un dernier séjour à Charleville
avant son grand départ. Ases amis qui lui parlent de poésie, Rimbaud répond : « Je
ne pense plus à tout cela. »
Le dernier épisode de la vie de Rimbaud, le séjour de onze années en Abyssinie,
reste pour tout lecteur de Rimbaud un mystère captivant : « L'aventure du Harar,
[…] a valu, et continue à valoir, à Rimbaud une grande part de l'intérêt passionné
que nous lui portons », affirme André Breon. On peut en effet se demander
pourquoi Rimbaud s'obstina à mener en Abyssinie une existence manquée par la
douleur et l'ennui.
En août 1880, Rimbaud arrive en Arabie, à Aden, où il travaille pour un
exportateur de café. En novembre, il part pour le Harar, contrée du sud-est de
l'Abyssinie, à la tête d'une caravane : il lui faut pour cela traverser la mer Rouge et
le désert somali. Pendant toutes ces années, Rimbaud conduit des caravanes dans
des conditions épuisantes. En 1885, il conçoit un projet qui devrait l'enrichir
définitivement : l'expédition d'une caravane d'armes pour le roi Ménélik. L'affaire
est désastreuse : Rimbaud se heurte à la grève des chameliers, à l'abandon de son
premier associé, à la mort du second. Il finit par partir seul sur des routes réputées
mortelles et se fait escroquer par le roi Ménélik. Les années suivantes, il envisage
de nouvelles tentatives commerciales auxquelles la maladie vient mettre un terme
définitif.
Comment interpréter alors l'aventure abyssine de Rimbaud ? Celle-ci entérine
d'abord une volonté d'oublier l'expérience poétique et de retourner au réel. Puisque
les mots n'ont pu changer les choses, il faut maintenant affronter le monde concret.
Cependant Rimbaud connaît ici un désenchantement semblable à sa désillusion
poétique. La vraie vie est absente et l'ennui partout présent : « […] et heureusement
que cette vie est la seule, et que cela est évident, puisqu'on ne peut s'imaginer une
autre vie avec un ennui plus grand que celle-ci » (Harar, le 21 mai 1881); « Je
trime comme un âne dans un pays pour lequel j’ai une horreur indicible » (Aden. le
10 mai 1882). La réalité se révèle donc décevante et l'existence désolante.
Rimbaud a cependant préféré l'aventure orientale à un retour en France, restant
ainsi fidèle son errance adolescente et à cette exigence de liberté qu'il ne cessait de
proclamer : « Je m’entête affreusement á adorer la liberté libre ». écrivait-il à
Izambard en 1870.
Que reste-il encore du Rimbaud adolescent en Abyssinie ? Le caractère du
poète ne semble pas trop s'être modifié : il se montre toujours aussi asocial,
railleur, insatisfait. Cependant une transformation profonde s'est opérée. Le voyou,
le rebelle, la figure satanique à l'attitude volontairement provocatrice et sadique
témoigne désormais de qualités humaines et morales attestées par tous ceux qui le
connurent : honnêteté, bonté et charité. Le leitmotiv de la quête et de l'inconnu
apparaît maintenant sous une autre forme, plus concrète, matérielle : « Pour moi, je
compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer dans l'inconnu. Il y
a un grand lac à quelques journées, et c'est en pays d'ivoire : je vais tâcher d'y
arriver. Mais le pays doit être hostile », écrit Rimbaud. L'objet de cette nouvelle
quête c'est l'argent, condition préalable du repos et d'une existence sans travail : la
recherche poétique de l'or s'est maintenant transmuée en une volonté
d'enrichissement matériel. Or Rimbaud connaît d'énormes labeurs inutiles sans
jouir des avantages escomptés. Les propos tenus dans une lettre envoyée aux siens
en 1886 résonnent comme une cruelle prophétie : « Enfin, l'homme compte passer
les trois quarts de sa vie à souffrir pour se reposer le quatrième quart, et, le plus
souvent, il crève de misère sans plus savoir où il en est de son plan. » Rimbaud
effectivement ne connaîtra jamais ce dernier quart. Après l'abandon poétique et
l'échec financier, survient l'ultime dépossession, physique cette fois. Rimbaud le
voyageur, l'aventurier, est atteint d'une tumeur cancéreuse à la jambe. Obligé de
s'embarquer pour Marseille après d'horribles souffrances, il se voit amputé de sa
jambe droite et condamné à l’inactivité définitive.
La gangrène l'emporte le 10 novembre 1891, à l'âge de 37 ans.

La poésie de Rimbaud

Rimbaud est un poète incontournable du XIXe siècle car il a entré la poésie


dans la modernité. Il avait un projet poétique, celui d’être Voyant : « Il faut être
voyant, se faire voyant », ainsi écrit-il le 15 mai 1871 dans une lettre adressé à son
ami Paul Demeny, et il donne en quelque sorte le mode d’emploi dans la suite de la
lettre : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de
tous les sens». Ce qui est un vertige auquel le poète s’abandonne; il s’abandonne à
ses visions, à ses hallucinations. Quand on lit ses poèmes, notamment ceux issus
d’Une saison en enfer ou du recueil Illuminations, on se rencontre que la frontière
entre le réel et les hallucinations est très flou. Le réel et les hallucinations
fusionnent. On a l’impression de plonger dans ses visions.
Rimbaud a marqué de même la littérature d’un point de vue formel car il a
contribué à renouveler la langue poétique en multipliant les images, en inventant
des mots nouveaux - c’est ce qu’on appelle des néologismes -, en déstructurant le
vers traditionnel et en utilisant beaucoup la forme du poème en prose.
Rimbaud de sa très grande précocité intellectuelle et avec son parcours
fascinant et complètement hors norme, il est devenu une véritable légende.
« Comme dit Verlaine à propos de Rimbaud « à l’âge auquel on n’est pas sérieux »
mais c’est un âge où l’on a envie d’écrire soi-même, où Rimbaud joue vraiment
son rôle de déclencheur. Alors il a déclenché, c’est-à-dire révéler à lui-même de
grands poètes comme Paul Claudel. […] Chez Rimbaud, il y a un désir de fuite qui
est tout à incompréhensible. Pourquoi Rimbaud s’en va-t-il ? Pourquoi est-il
toujours en colère ? C’était une question de son copain, Germain Nouveau, qui est
un autre très grand poète ; et c’est une question parce qu’il ne laisse pas de
réponse. Il laisse des interrogations devenues mondiales, elles ont transformé les
traditions de la poésie dans toutes les cultures. Mais surtout elles ne concernent pas
seulement les 17 ans, elles portent sur la vie même. Quoi faire, quand, où,
comment et toutes ces réponses, nous les avons ; lui, il ne les a jamais eues. […] Il
est vrai que Rimbaud est la figure de la littérature française, de la poésie mondiale
et encore de cette exigence de jeunesse qui n’a pas d’âge ; mais qui est absolument
une présence et une sorte de flamme… » Ainsi dit Alain Borer, spécialiste de
Rimbaud.
Sources

 Itinéraires littéraires, Histoire de la littérature française XIXe siècle


 Œuvres poétiques, Arthur Rimbaud, édition. Garnier – Flammarion,
Chronologie et préface par Michel Décaudin (professeur à la Faculté des
Lettres et Sciences humaines de Toulouse)
 MonacoInfo, Conférence sur les œuvres et la vie de Rimbaud, interview
avec Alain Borer, spécialiste de Rimbaud
https://youtu.be/cK2XNEUFaiI

 Amélie – bacdefrançais, Rimbaud : 4mn pour le découvrir


https://youtu.be/MHJIWQcH7l4

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