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Le roman et le récit du Moyen-Âge au XXIe s.

Parcours : Personnages en marge, plaisirs du romanesque


Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut, 1ère partie, l’abbé Prévost, 1731.

Explication linéaire

Extrait 1 : La scène de la rencontre

L'abbé Prévost fut un aventurier. Tour à tour militaire, moine bénédictin, puis précepteur, il a connu l'amour passionnel, les dettes et même l'exil.
Plusieurs de ces éléments ont sûrement eu un rôle dans la genèse de son roman-mémoires Manon Lescaut, même si ce dernier n'est pas le simple
reflet de sa vie (Prévost l'a écrit avant sa rencontre avec Lenki Eckart pour qui il se ruina). Publié d'abord en 1731 puis en 1753 avec des
modifications, ce roman fait partie d'un ensemble intitulé Mémoires et aventures d’un homme de qualité qui s’est retiré du monde.

Situation de l’extrait : Le narrateur, Renoncour, raconte comment il est venu en aide à Manon et son amant, le chevalier Des Grieux.
Rencontrant ce dernier environ deux ans plus tard, il lui paye un repas et l'autre, se sentant redevable, commence le récit de son aventure. Des
Grieux restera désormais le narrateur pendant presque la totalité du roman.

Sujet général : Passage extrait de la 1ère partie du roman. Il constitue un topos de la rencontre amoureuse.

Projet de lecture : En quoi cette rencontre annonce-t-elle une passion funeste ?

Mouvement du texte :

- L1 à L6 : Le récit rétrospectif de Des Grieux de la rencontre avec Manon Lescaut


- L6 à L13 : Peinture de la naissance du sentiment amoureux
- L14 à L22 : Annonce du destin des personnages
Explication linéaire

1. Une scène attractive

« j’avais marqué le temps » Plus-que-parfait Évènement situé au passé d’un autre récit passé : un récit
rétrospectif, la remémoration d’un événement passé.

« hélas » Interjection
« que ne le marquais-je » Tournure exclamative qui Expressions du regret qui forment une prolepse annonçant la suite
reprend la 1ère phrase tragique.
« j’aurais porté » Conditionnel passé exprimant
l’irréel du passé

« toute mon innocence » Expression hyperbolisée Elle renvoie au jeune âge du narrateur au moment de la rencontre et
donc à l’absence de péché.

« Amiens », « Arras » Noms de villes Mise en place d’un cadre spatio-temporel précis qui annonce le souci
« la veille », « un jour plus tôt » CC de temps de peindre la réalité, une scène de la rue.
« hôtellerie » « coche » « voitures » Champ lexical urbain

« vîmes » Il vient rompre cette promenade sereine où seule la curiosité des


Verbe de perception au passé
simple jeunes dans la négation restrictive « nous n’avions pas d’autre motif
que la curiosité » met en place l’élément perturbateur et invite le
lecteur à suivre cette focalisation.

« il en sortit »  Tournure impersonnelle au Récit impersonnel d’une scène en apparence anodine mais qui guide
passé simple le regard du lecteur et pique sa curiosité tout autant que les deux
« quelques femmes »  Déterminant indéfini jeunes hommes.

2. Une rencontre fatale


« Mais » Conjonction de coordination Elle annonce l’élément qui retient l’attention et fait émerger la
exprimant l’opposition femme dans ce groupe indéfini de « quelques femmes ». Dès lors,
cette femme devient l’objet de toutes les attentions de Des Grieux et,
par conséquent, du lecteur.

« se retirèrent » # « s’arrêta »  Verbes d’action antithétiques L’opposition entre le groupe des femmes et celle qualifiée par
l’adjectif « seule » attire encore plus l’attention sur cette femme
singulière qui n’agit pas de la même façon que les autres.
« paraissait »  Verbe d’état Le recours à ce verbe suggère que le chevalier n’est plus un
observateur passif mais un spectateur intéressé par la scène, et qui
spécule sur chaque détail observé. Ainsi, l’adverbe intensif dans
« fort jeune » pour décrire la femme et le groupe prépositionnel
« d’un âge avancé » décrivant l’homme montrent déjà que le
chevalier observateur se pose des questions sur la relation qui unit
ces deux êtres : son mari ? non, puisqu’il y a une grande différence
d’âge entre les deux ; son père ou son tuteur ? non, puisqu’il
s’occupe des bagages, ce n’est pas donc un obstacle.
« si charmante »  Adjectif enrichit par un intensif L’adjectif ne décrit pas physiquement la femme mais peint la
réaction émotive du chevalier. L’emploi de cet adjectif « charmante »
peut être compris dans le sens de celle qui jette un charme, une
sorcière ; ce qui en quelque sorte dégage la responsabilité du
narrateur de ce qui va suivre et le positionne en victime.
« moi, qui n’avais jamais pensé à la Phrase complexe contenant Un style rhétorique, comme dans un discours, avec une double
différence des sexes, ni regardé une plusieurs subordonnées et une négation, qui tient en haleine l’auditeur et le lecteur par son style
fille avec un peu d’attention, moi, incise. enchevêtré jusqu’à la chute « enflammé » et « transport ».
dis-je, … » 

« enflammé »
Adjectif attribut du sujet
Adjectif métaphorique en position d’attribut du sujet a une
connotation religieuse et fait référence aux flammes de l’enfer,
châtiment de celui qui a perdu son « innocence », évoquée au début
« tout d’un coup » du récit.
Adverbe
Il annonce un changement radical entre deux états : l’homme « dont
tout le monde admirait la sagesse et la retenue » devient désormais
un être passionné.
Ce changement brutal de personnalité oppose donc deux périodes de
la vie de Des Grieux, l’une marquée par un caractère « timide et
facile à déconcerter » et l’autre par l’audace, illustrée par
l’initiative du verbe d’action « je m’avançai vers la maîtresse de
mon cœur ». Cette dernière périphrase pour désigner l’inconnue
souligne que le narrateur est désormais sous son charme et sa
domination avant même de lui avoir adressé la parole.

3. Un destin funeste

« elle reçut mes politesse »  Discours narrativisé Une conversation retranscrite de façon elliptique et indirect qui va
« je lui demandai ce qui… », « elle Discours indirect  permettre au narrateur de faire le portrait de la femme :
me répondit que… » « encore moins âgée que moi » = très jeune
« ingénument » = naïve
« sans paraître embarrassée », « elle était bien plus expérimentée que
moi » = a une assurance marquée.
 Cet échange indirect fait à travers le ressenti du narrateur
permet d’attiser la curiosité du lecteur pour cette jeune fille
dont le caractère paraît ambigu.

« qu’elle y était envoyée »  Tournure passive La voix passive rappelle les codes dans l’éducation d’une femme à
l’époque et sa soumission à l’ordre familial.

« un coup mortel pour mes désirs »  Métaphore hyperbolique Elle souligne la force de l’obstacle qui se dresse contre la naissance
de ce sentiment qui a envahi le narrateur et qui est nommé pour la
première fois « l’amour ». Cet obstacle représente une morale
religieuse mortifère, incompatible avec le cœur et le plaisir.

« malgré elle » Préposition exprimant Le discours indirect libre à la fin de l’échange « c’était malgré elle
l’opposition qu’on l’envoyait au couvent » met en avant l’opposition entre le
projet familial et le caractère de la jeune fille dont le péché de chair
est évoqué à demi-mot dans deux propositions subordonnées
successives : « pour arrêter sans doute son penchant pour le plaisir,
qui s’était déjà déclaré et qui a causé, dans la suite, tous ses malheurs
et les miens ».
 Cette rencontre scelle le destin des personnages qui
s’annonce tragique par la prolepse de la dernière phrase et
crée un effet d’attente chez le lecteur.

Conclusion

La narration de la rencontre entre le Chevalier Des Grieux et Manon Lescaut est faite par un double regard : celui du jeune Des Grieux,
innocent et passionné, qui tombe sous le charme de la femme idéalisée ; et celui d’un Des Grieux plus âgé qui, avec le recul de l’expérience,
rejette la faute sur Manon Lescaut et l’accuse de tout son malheur. Soucieux de rendre son récit pour Renoncour intéressant, le chevalier
insiste sur la métamorphose soudaine que Manon Lescaut a provoquée chez lui, se constituant ainsi en victime de la fatalité qui l’a dévié du
droit chemin.

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