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Texte 6 :Le prologue de Gargantua.

INTRODUCTION.
Pendant la Renaissance, l’Antiquité devient un modèle : les Humanistes se tournent vers les
littératures grecque et latine qu’ils redécouvrent. En 1534, sous le pseudonyme d’Alcofribas Nasier,
François Rabelais, moine, médecin et juriste, publie le roman Gargantua. Nous allons ici étudier le
prologue. Avant de raconter les aventures extraordinaires d’un géant, il s’adresse à ses lecteurs. En
commençant son prologue par l’évocation de Socrate, célèbre penseur de l’Antiquité, l’écrivain
s’insère clairement dans ce mouvement humaniste. Dans ce passage, comme dans toute préface, il
s’agit pour l’écrivain de faire valoir la qualité de son livre, d’inciter à la lecture et aussi de donner
les clés de son œuvre. Comment Rabelais présente-t-il délibérément son texte de manière
paradoxale ? (une œuvre à la fois superficielle et risible mais aussi profonde et emplie de savoir)
Comment l’auteur donne-t-il le ton de l’ouvrage ? Pour répondre à cette problématique, nous
analyserons les quatre mouvements du texte : de la l.1 à 4 Rabelais fait une entré en matière puis de
la l.5 à 11 il décrit la double nature de Socrate, pour finir de la l.12 à 28 il dit qu’il faut aller au-delà
du grotesque des apparences.

LIGNES 1 A 4. UNE ENTRÉE EN MATIÈRE ÉTONNANTE.


Ce prologue est placé sous les auspices de la fête avec l’évocation du banquet du rire

A. Rabelais commence par s’adresser aux lecteurs de son livre. Il veut créer une
connivence avec eux.
-emploie pronom personnel « vous » pour les interpeller + pronom « je » pour se désigner
-pour interpeller les lecteurs, il utilise deux apostrophes qui peuvent sembler étonnantes : « buveurs
très illustres l.1 » + « vérolés très précieux l.1 » (atteints de la syphilis, maladie contagieuse et
incurable très courante au XVIe siècle). L’auteur forme ainsi deux oxymore hyperboliques (un
terme plutôt péjoratif + un superlatif mélioratif) produisant un effet comique.
-choix étrange de s’adresser à de tels destinataires ; (Rabelais s’adresse à un destinataire idéal) ; ce
n’est pas à de purs esprits qu’il s’adresse, mais à des humains, qui aiment profité de la vie, rire et se
divertir. L’auteur se présente comme un joyeux convive avec ses interpellations familières.
L’écriture de Rabelais a une dimension dionysiaque (associée à l’ivresse, la démesure,
l’enthousiasme). Rabelais invite à lire Gargantua pour en tirer une ivresse joyeuse.
B. Référence à un texte antique.
-évoque le dialogue philosophique de Platon, le Banquet.
-Alcibiade était un célèbre général athénien. Dans le texte de Platon, il arrive à la fin du banquet
philosophique qui a pour thème la définition de l’amour. Très épris de Socrate et déjà alcoolisé, il se
lance dans un éloge paradoxal de ce grand penseur (en le comparant à des Silènes, petites boîtes
d’apparence ridicule destinées à contenir ce qu’il y a de plus précieux).
-La longueur de la première phrase (avec énumération, complément circonstanciel et proposition
subordoné) donne l’apparence d’un discours spontané comme à un banquet où l’on porterait un
toast. On peut aussi avoir une fausse impression de lourdeur.

LIGNES 5 A 11. LA DOUBLE NATURE DES SILÈNES.


Rabelais part dans une digression portant sur de simples boîtes avec un couvercle. Il s’agit en réalité
d’une savante métaphore filé, menant à une véritable démonstration philosophique.
A. Le narrateur tient à nous expliquer très clairement ce que sont les Silènes.
-Il nous propose donc une description détaillée avec de nombreuses expansions du nom.
-Il commence par une comparaison avec des objets de son époque par souci de clarté.
-Il décrit d’abord l’extérieur, plus particulièrement le couvercle.
-Il reste dans le domaine de l’imaginaire et du rire («amusantes et frivoles», «imaginaire», « rire »).
-Il donne un rythme vif à son discours avec une longue énumération d’animaux mythologiques ou
réels ou même inventés par ses soins (fantaisie verbale). Cette énumération semble délirante,
comme si elle ne devait jamais s’arrêter ; Rabelais se laisse emporter par son ivresse littéraire.
B. L’apparence de ces boîtes et leur contenu sont totalement opposés.
-adverbe d’opposition « toute fois a la l.9 » avant la description de l’intérieur
-on relève une nouvelle énumération au l. 10 à 11
-un champ lexical très différent, beaucoup plus sérieux, celui de la médecine (que pratiquait
l’auteur) ; l’œuvre peut donc soigner l’Homme, c’est-à-dire l’éduquer. Les Silènes vont permettre
d’évoquer Socrate...

LIGNES 12 A 21. LA DOUBLE NATURE DE SOCRATE.


Le narrateur commence par une comparaison, qu’il emprunte à Platon (formule d’Alcibiade) :
Socrate est comparé aux Silènes.
A. Socrate a une apparence risible (laideur proverbiale depuis l’Antiquité).
-Il décrit d’abord son physique de manière burlesque (termes grossiers pour un philosophe)
-On relève des formules familière (« vous n’en auriez pas donné une pelure d’oignon »), de
multiples négations et des termes péjoratif (« laid et ridicule » soulignés par l’adverbe d’intensité «
tant »). Ces procédés donnent un aspect grotesque au penseur, qui est animalisé.
-On retrouve une longue énumération. Rabelais insiste d’abord sur son physique disgracieux (en 3
temps) puis sa pauvreté (en 3 temps) puis ses échec (en deux temps) ; enfin, il rappelle son caractère
de bon vivant, son goût pour le rire (en trois temps avec anaphore et homéotéleutes) et conclut par
un effet de gradation sur son « divin savoir ».
B. L’auteur met en valeur les qualités intérieures de Socrate ; Socrate est bien
supérieur moralement au reste des hommes.
-opposition forte marquée par « or » ; on assiste ainsi à une rupture du propos quittant le superficiel
pour conduire à un sujet plus profond avec le verbe « ouvrant ».
-il dresse un parallèle avec les Silènes (« en ouvrant cette boîte ») ; l’opposition entre l’extérieur et
l’intérieur de la boite/l’apparence et les qualités du philosophe prend tout son sens
-portrait moral étonnant avec termes mélioratif (céleste/surhumaine/ sobriété) et hyperboles
( surhumaine/invincible) ; énumération des qualités qui sont celles d’un sage (dans l’Antiquité) ;
Socrate devient alors le modèle du sage
-Socrate se distingue des autres hommes par sa sagesse ; autres hommes perdus dans leurs activités
mercantiles et désordonnées (« perdent le sommeil, courent, travaillent, naviguent et bataillent tant.
»). Rabelais appelle l’Homme à accéder à la réflexion. La grandeur de l’Homme, c’est sa capacité à
raisonner, à utiliser son esprit pour comprendre le monde.
-Ce passage sur Socrate entre en résonance avec le reste de l’extrait étudié. Son physique prête à
sourire MAIS son âme et son savoir sont divins. Tout comme les Silènes, Socrate ne doit pas être
réduit à son aspect extérieur. (Socrate fit scandale par ses méthodes novatrices et par son ironie ; il
fut condamné à mort.)

LIGNES 22 A 28. Il faut aller au-delà du grotesque des apparences.


Rabelais cherche à tirer un enseignement de ce qu’il vient d’énoncer. On entre dans un autre
registre, le registre didactique, mais qui est toujours savamment lié au registre comique.
A. Une connivence avec le lecteur
-Rabelais interpelle à nouveau ses lecteurs. Il pose une question rhétorique, il les aide à chercher le
but du discours développé dans le premier paragraphe.
D’ailleurs ce qui précède est vu comme un « prélude » du prologue, à savoir étymologiquement un
avant-jeu, un moment avant le jeu. On reste toujours dans le champ lexical du divertissement. A ce
mot, il oppose le « coup d’essai » : on entre, avec le mot « essai » dans le cadre d’une
démonstration à visée proprement argumentative.
-On retrouve l’opposition entre « vous » et « moi ». Mais une connivence s’instaure entre l’auteur et
ses lecteurs puisque les « buveurs » et « vérolés » deviennent « disciple ». On note la gradation qui
fait entrer le lecteur dans une intimité plus étroite avec l'auteur. Avec l’apostrophe « mes bons
disciples », il s’agit pour Rabelais de valoriser des personnes qui partagent les mêmes idées
philosophiques que lui.
-Rabelais distingue le lecteur d’une autre catégorie : les « fous oisifs ». Ce terme fait référence à
Érasme, un célèbre humaniste, auteur de l'ouvrage Éloge de la folie (il montre que la folie aux yeux
des hommes constitue en réalité la vraie sagesse sur le plan philosophique). Là encore, Rabelais use
d'un oxymore pour surprendre ses lecteurs : la folie est plutôt associée au mouvement alors que la
sagesse relève plutôt de l’immobilité (« oisiveté »).
B. Éloge de la lecture. Importance de l’interprétation.
-texte en apparence décousue ; en fait, structuré par des connecteurs logiques
-Rabelais crée une opposition entre le titre (« enseigne extérieure ») et le contenu de l’ouvrage («
œuvres des hommes »).
-C’est encore par le comique que Rabelais attire notre attention. Il choisit des énumérations qui
mélangent des ouvrages réels de l’auteur avec des livres imaginaires (ivresse stylistique) : le champ
lexical de la paillardise est convoqué (« fesses » « braguettes») (dimension scatologique) et à cela
s’ajoute le goût du terroir avec « pois aux lards ». On est dans un domaine prosaïque des choses du
corps.
-Il ne faut pas se borner au rire provoqué par un titre grotesque. Il faut faire l’effort d’aller chercher
le sens profond du livre, qui, lui, est très sérieux. La liste de titres fantaisistes que Rabelais n’a
jamais publiés permet de souligner le caractère risible de cette nouvelle œuvre. En ouvrant le texte,
c’est-à-dire en le lisant et en l’interprétant, on ne fera pas autre chose que d’ouvrir un silène. Les
lecteurs y trouveront de « fines drogues », c’est-à-dire la possibilité d’être guéris et améliorés.
CONCLUSION.
Alcofribas interpelle son public. Il s’agit de piquer sa curiosité en montrant que ce qu’il
vient de dire est totalement inattendu ; il s’agit aussi de stimuler l’intelligence des lecteurs (pour
qu’ils se livrent à un travail d’interprétation). Le prologue est énoncé par un narrateur facétieux
(écriture fantaisiste et dionysiaque). Il met en valeur le goût du plaisir et du rire Il montre aux
lecteurs que les apparences peuvent être trompeuses : son œuvre a une visée philosophique.
Il donne le ton du reste du récit par ce contraste entre rire et sérieux, entre être et paraître,
que l’on retrouvera dans beaucoup de chapitres. Il propose donc une première piste de lecture. Le
récit, apparemment léger, recèle en fait un sens plus profond

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