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J’ai choisi « Le Parti pris des choses » car je vois en ce recueil, une sorte de dictionnaire peu commun
et intriguant, permettant au lecteur d’éprouver et percevoir de manière alternative ou simultanée, la
profondeur et l’épaisseur des mots comme des choses. De plus, cette dimension est complétée par
l’intéressante possibilité pour le lecteur de lire selon deux niveaux distincts (littéral et allégoriques) la
plupart des descriptions. De surcroît, il dépeint méticuleusement ces « microcosmes » (les choses
décrites sont très précises et forment rarement une idée générale) en les abordant comme des
« macrocosmes » offrant ainsi une véritable fresque détaillée pour chaque chose. Ces attraits du
recueil m’ont rendu la lecture plus amusante et agréable.
Selon moi, l’’œuvre de Ponge édifie un « nouvel » art poétique en prose (que je n’ai pas rencontré
auparavant) qui, s’appuyant sur de nombreux jeux linguistiques (polysémie, étymologie, métaphore…),
permet à l’auteur d’inscrire une poétique du langage transformant les réalités naturelles et physiques
en « phénomènes » linguistiques.
Par ailleurs, c’est l’intéressant aller-retour entre la réalité « sensible » des choses, leur représentation
et les signes graphiques comme linguistiques (permettant à Ponge de construire son œuvre) qui m’a
conforté dans mon choix. D’autant plus que cela offre à l’auteur un panel d’angles et moyens pour
décrire et dépeindre ces choses aussi différentes et précises. Cet attrait se retrouve notamment, dans
les éléments déclenchant l’écriture qui sont tantôt la définition du mot, ses consonnances, son
étymologie, sa graphie ; tantôt les sensations suscitées par la chose chez l’auteur.
Enfin, si j’ai choisi cette œuvre c’est que j’ai vu dans plusieurs descriptions et définitions, un lien
flagrant avec le parcours associé : « l’alchimie poétique, la boue et l’or ». On peut citer entre autres, la
création de mot-valise pour décrire au mieux (ex : amphibiguité = amphibie + ambiguïté) qui rentre
ainsi en concordance avec l’idée d’« alchimie poétique » porteuse du concept de créations et
expériences. Mais encore les termes « la boue et l’or » qui se retrouvent dans une description poétique
parsemée d’allusions tantôt mélioratives tantôt péjoratives souvent complémentaires et associées.
Je ne suis pas un lecteur friand de recueils poétiques puisque je trouve cela, sur un temps long, quelque
peu assommant et moins entraînant que d’autres genres littéraires. Cependant je me suis essayé à ce
recueil car le titre peu commun dont il est doté a suscité mon intérêt et piqué ma curiosité. Ma lecture
fut d’autant plus agréable par la découverte de cette vision poétique peu commune exposée par
Ponge. En effet, en tant que poète, il entend se faire le porte-parole de ce « monde muet » sur lequel
l’homme n’a cessé d’étendre sa domination. Et c’est tout particulièrement la banalité des choses
décrites tout en exposant la beauté de cette singularité qui m’a intéressé. En effet, les mollusques, le
cageot ou encore la cigarette sont des éléments du quotidiens auxquels personnes ne prête attention.
Il suggère ainsi subtilement au lecteur de renouveler son regard sur les objets et choses l’entourant.
Un autre point ayant facilité mon entrée dans la poésie pongienne, c’est que l’auteur s’en remet en
quelque sorte à la spécificité et aux attraits des choses pour définir la forme que chacune d’elle exige.
Ainsi cette conception permet au poète de ne pas élaborer un système de règles qui limitent et
encadrent l’expression poétique, mais plutôt d’acquérir la liberté de changer pour chaque poème.
Cette diversité offerte permet au lecteur de goûter à une écriture renouvelée et originale laissant
parfois place au mutisme ou au rire. Dernièrement, j’ai relevé avec amusements les maintes
interrogations et allusions que fait Ponge sur son statut d’écrivain, la pérennité de son œuvre ou
encore la définition de l’écriture (comme dans l’Escargot par exemple).
III/Lettre adressée à l’écrivain (21 lignes):
Je vous écris cette lettre, moi, simple lecteur de votre recueil, Le Parti pris des choses, dont vous êtes
l’auteur afin que vous éclairiez quelques interrogations m‘ayant traversées l’esprit. Premièrement, ces
« choses » qui constituent le cœur du recueil sont silencieuses et inanimées. Alors je vous pose la
question suivante, pourquoi et comment expliquez-vous cette fascination pour le silence ou le muet,
qui se retranscrit dans vos poèmes ? De plus, dans la même optique cet ensemble de choses décrites
dans vos 32 poèmes possèdent un point en commun, leur banalité. Cependant, aux vues du nombre
de choses au caractère banal nous entourant au quotidien, pourquoi avoir choisi précisément celles-
ci ? Détiennent-elles une place importante dans votre vie ?
Outre le fait que vous soyez décédé, si vous viviez à mon époque auriez-vous complété ou modifié ce
recueil pour parachever cette « objectif » de faire jaillir la beauté au cœur du quotidien ? Ou
considérez-vous votre œuvre comme aboutie ?
Etant féru d’histoire et de géopolitique, j’aime replacer une œuvre dans un contexte pour mieux en
saisir certains enjeux ou en tirer des explications. Je me demandais donc s’il était judicieux
d’interpréter, expliquer et lier ce besoin de donner la parole au monde muet (des choses) par le
contexte dans lequel vous avez écrit ces poèmes : celui d’après-guerre mondiale (la première) et d‘un
monde détruit ?
Enfin, cela est surement très anecdotique, mais chaque poème m’a semblé se rapprocher selon ses
thèmes des quatre éléments fondateurs (le feu, l’air, la terre et l’eau), est-ce voulu ?
En tous cas, je tenais à vous préciser par le biais de cette même lettre, que la lecture de votre œuvre
me fut très agréable.
Cordialement,
V/ Première de couverture
J’ai la chance d’aller fréquemment à la comédie française depuis petit, et j’ai vu dans Le Parti pris des
choses, un écho avec une pièce de Christine Montalbetti à laquelle j’ai assisté il y a 3 ans : « La
Conférence des objets ». Cette œuvre me semble compléter et prolonger la lecture de ce recueil
puisque, dans le cadre de cette pièce, en plus de donner la parole à ce monde muet à la manière de
Ponge, les objets se voient conférer par Montalbetti, une liberté dans l’espace scénique et sont ainsi
théâtralisés. Seulement cinq choses sont mises en scène dans cette pièce : une lampe, une boîte à
couture, un pèle-pommes, un parapluie et un œil-de-tigre. Elles sont ainsi toutes originales mais
banales à la fois, rappelant ainsi l’attrait majeur des choses décrites poétiquement par Ponge. Dans
cette pièce, elle en exprime à travers des êtres inanimés des émotions fortes et des sentiments graves.
Elle croise son imaginaire avec celui des interprètes dans l’optique d’atteindre une évidence de
l’incarnation.
Cela prolonge selon moi l’œuvre de Ponge aussi car si les objets sont décrits et définis de manière
poétique comme dans Le parti pris des choses, ce travail se poursuit par un effort de mise en scène
conservant la « profondeur des mots » et la représentation libre, originale de ceux-ci dans l’espace et
par des acteurs ! Selon moi, c’est en quelque sorte la matérialisation de ce recueil à une autre époque,
plus moderne, le XXIème siècle et dans un autre genre : le théâtre. Francis Ponge fait donc jaillir du
quotidien la beauté et la quintessence des choses les plus banales par la poésie, là ou Montalbetti le
fait de manière théâtrale. Ces deux méthodes, au grand plaisir des spectateurs et lecteurs, peuvent
conduire tantôt au rire tantôt à l’étonnement.