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Séquence 2 - Séance 7

LL n°5 – le postambule : le tableau des femmes.


Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, 1791

Olympe de Gouges, après avoir incité les femmes à se battre, peint « l’effroyable
tableau » de ce que les femmes furent avant la Révolution française.

Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été
leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes
les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le
fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement
5 français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l'administration nocturne 1 des femmes ;
le cabinet2 n'avait point de secret pour leur indiscrétion : ambassade, commandement,
ministère, présidence, pontificat3, cardinalat, enfin tout ce qui caractérise la sottise des
hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l'ambition de ce sexe autrefois
méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé.
10 Dans cette sorte d'antithèse4, que de remarques n'ai-je point à offrir ! Je n'ai qu'un
moment pour les faire, mais ce moment fixera l'attention de la postérité la plus reculée. Sous
l'ancien régime, tout était vicieux, tout était coupable ; mais ne pourrait-on pas apercevoir
l'amélioration des choses dans la substance même des vices ? Une femme n'avait besoin que
d'être belle ou aimable ; quand elle possédait ces deux avantages, elle voyait cent fortunes à
15 ses pieds. Si elle n'en profitait pas, elle avait un caractère bizarre, ou une philosophie peu
commune qui la portait aux mépris des richesses ; alors elle n'était plus considérée que
comme une mauvaise tête. La plus indécente se faisait respecter avec de l'or, le commerce
des femmes5 était une espèce d'industrie reçue dans la première classe 6, qui, désormais,
n'aura plus de crédit. S'il en avait encore, la révolution serait perdue, et sous de nouveaux
20 rapports, nous serions toujours corrompus. Cependant la raison peut-elle se dissimuler que
tout autre chemin à la fortune est fermé à la femme que l'homme achète comme l'esclave sur
les côtes d'Afrique ? La différence est grande, on le sait. L'esclave commande au maître ;
mais si le maître lui donne la liberté sans récompense, et à un âge où l'esclave a perdu tous
ses charmes, que devient cette infortunée ? Le jouet du mépris ; les portes mêmes de la
25 bienfaisance lui sont fermées ; « Elle est pauvre et vieille, dit-on, pourquoi n'a-t-elle pas su
faire fortune ? »

1
L’administration nocturne des femmes désigne les maîtresses royales, méprisées par les révolutionnaires.
2
Cabinet : bureau. Par métonymie : secrets d’État.
3
Pontificat : la fonction papale.
4
Dans cette sorte d'antithèse : au sujet de ce paradoxe.
5 5
Le commerce des femmes : le marchandage du corps des femmes.
6
Une industrie reçue dans la première classe : une ruse de la classe supérieure (aristocratie et haute bourgeoisie).
Corrigé de la lecture linéaire

Si la question des droits de la femme n’est pas au cœur des débats de la Révolution française,
Olympe de Gouges rédige en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne pour
défendre la cause de cette partie oubliée de la société. Dans le postambule, elle commence par
s’adresser aux femmes, les encourageant à se battre pour gagner leur liberté. Par la suite, dans l’extrait
que nous allons étudier, elle évoque la situation des femmes sous l’Ancien Régime. Ainsi, nous nous
poserons la question suivante : comment Olympe de Gouges représente-t-elle les femmes de
l’Ancien Régime ? Nous avons pu dégager trois mouvements dans ce passage : une valorisation sous
forme de critique (l.1 à l.9) ; les possibilités de la Femme avant la Révolution française ( l.10 à l.20 « nous
serions toujours corrompus. ») et le lien avec l’esclavage (l.20 « Cependant » à l.26).

Enjeux : polémique/engagement ; peinture de la femme passée et présente

I) Une valorisation sous forme de critique (l.1 à l.9)

Dans tout le mouvement. ODG fait référence au passé, à l’avant Révolution qui est un tournant
historique, et donc à l’Ancien Régime puisque la plupart des verbes sont au passé composé et au plus-
que-parfait.

L.1. Si jusqu’ici, ODG défendait la figure de la femme, la première phrase est paradoxale car négative.
Le comparatif insiste sur le « mal » qu’elles ont commis.

L.1-2. Mais à la phrase suivante, on a l’explication de cette négativité : les femmes agissaient par
nécessité. Les mots « contrainte » et « dissimulation » désignant un rapport complexe à autrui. Cette
idée transparaît aussi ligne suivante avec le parallélisme « Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a
rendu ». Idée que les femmes n’ont que les subterfuges et la malice pour réussir.

L.2-4. Ainsi, ODG évoque juste après la puissance des femmes avec l’hyperbole « toutes les
ressources de leurs charmes » et la gradation « Le poison, le fer, tout leur était soumis ».
Les femmes sont présentées comme les Sirènes de l’Antiquité : des créatures enchanteresses
(« charmes » vient de carmen, l’envoûtement) qui séduisent les hommes pour leur nuire. En touchant à
la fois au « crime » et à la « vertu », elles en deviennent amorales.

L.4-7. On retrouve cela avec « l’administration nocturne des femmes », une métaphore pour évoquer
les maîtresses royales (ce qui fait écho avec la sirène qui est associée à la sexualité dans la philosophie
antique).

La femme est aussi montrée comme puissante avec l’accumulation de ses sphères d’influence
« ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ». Les maîtresses avaient de
l’influence parce qu’elles connaissaient des secrets d’État.

L.7-9. Face à la puissance féminine, ODG évoque la « sottise » des hommes (ces derniers sont
dévalorisés pour leur faiblesse morale).

ODG associe la femme à des noms négatifs « cupidité » et « ambition ». Pour s’en sortir, la
femme devait être détestable et manipulatrice. C’est ce qu’on retrouve avec le chiasme final. Avant
elles étaient sans valeur donc méprisables mais convoitées donc respectées. Maintenant, elles sont
valeureuses donc respectable mais non considérées donc méprisées. Ce chiasme souligne combien
l’image de la femme est restée négative au fil des siècles.
II) Les possibilités de la Femme avant la Révolution française (l.10 à l.20 « nous serions
toujours corrompus. »)

L.10-11. ODG ne développe pas plus le paradoxe évoqué juste avant. Elle souligne le contraste entre
le fait de vouloir dire beaucoup de choses (avec la tournure figée exclamative « que de remarques n'ai-
je point à offrir ! ») et le fait qu’elle n’a « qu’un moment » pour en parler. Elle doit être concise et
efficace pour convaincre.
L.11-13. Rythme ternaire (+ parallélisme) « Sous l'ancien régime, tout était vicieux, tout était
coupable » qui donne de la force à la déclaration. Cela sonne comme un slogan politique. ODG
rappelle les caractères négatifs, l’immoralité de la femme pré-révolutionnaire.
Elle pose ensuite une question rhétorique. Elle suggère une possible amélioration pour la
femme du présent avec le conditionnel « pourrait ». Pour ODG, la loi doit offrir une sécurité financière
aux femmes, comme elles l’obtenaient autrefois par leurs « vices ».
L.13-15. ODG rappelle ainsi qu’avant la révolution, le pouvoir des femmes s’exerçait grâce à leurs
qualités physiques : on voit cela avec la négation restrictive associée aux adjectifs « belle » et
« aimable ». Elle explique l’usage de ces attraits par deux compléments circonstanciels :
- Le CCT (« quand...pieds ») montre l’intérêt d’user de sa séduction puisque cela protégeait la
femme financièrement (on voit elle obtenait une grosse somme d’argent avec l’hyperbole
« cent fortunes »).
- Le CC de condition (« Si...richesses ») montre ce qu’il se produisait à l’inverse. Les femmes
vertueuses qui n’abusaient pas de leurs charmes étaient « bizarre ». Ces femmes sont alors
méprisées et humiliées, comme le souligne le comparatif « comme une mauvaise tête ». Pour
ODG, les femmes étaient obligées d’être manipulatrices pour s’élever socialement.
L.17-19. L’autrice souligne ensuite que l’argent dont elles peuvent disposer permet aux femmes de se
comporter de manière immorale sans que cela ne porte à conséquence. Dans l’expression « la plus
indécente » (contraire à la morale, aux bonnes mœurs = qui mène une vie scandaleuse), le superlatif
marquant le haut degré d’indécence s’oppose au verbe « respecter » qui lui est pourtant associé.
La réussite et la glorification sociale de la femme se construisent grâce à l’argent (c’est pour cela que
cette thématique est omniprésente dans ce mouvement : « or », « richesses », « commerce » ...). La
femme semble tellement liée à l’argent que même son corps devient monnaie avec l’idée du
« commerce des femmes ».
L.19-20. ODG suppose que le marchandage du corps des femmes ne se fera plus après la Révolution,
avec le verbe au futur « n’aura plus de crédit ». On peut considérer que cela représente un espoir pour
l’autrice car elle évoque des conditions désastreuses en cas de maintien de cette pratique : « révolution
perdue », « nous serions toujours corrompus ».

Dans ce mouvement, nous avons pu voir qu’ODG fournit une description traditionnelle de la
femme séductrice et vénale sous l’Ancien régime mais avec l’espoir que cette image disparaisse après
la Révolution.
III) Le lien avec l’esclavage (l.20 « Cependant » à l.26)

Tout le mouvement. On observe un changement dans les temps verbaux. Le présent devient le temps
majoritaire de ce mouvement (« peut », « achète », « est »). ODG semble utiliser un présent de vérité
générale : ses réflexions se veulent philosophiques et universelles. Elle sort de la description pour
énoncer des vérités.
L.20-22. Le mouvement s’ouvre sur un adverbe d’opposition « Cependant » qui introduit une question
rhétorique l.20-22. Par cette rupture formelle / syntaxique, on voit que l’espoir d’amélioration de la
société évoqué avant est mis à mal.
En évoquant la « raison », ODG pose un état de fait : la femme est dans une impasse si elle souhaite
acquérir des biens sans user de ses charmes (« tout autre chemin à la fortune est fermé »). La
dépendance des femmes aux femmes est accentuée par la comparaison aux esclaves. Avec le verbe
« acheter », la femme devient une marchandise, une figure réifiée.
L.22-24. ODG fait une concession (« La différence est grande »), elle reconnaît que la femme et
l’esclave sont traités différemment. En effet, la femme « commande au maître » grâce à ses charmes et
à sa séduction, comme l’a évoqué plus tôt ODG.
Mais malgré cet avantage supposé, le sort de la femme est peu enviable. On voit cela aux expressions
négatives présentes dans sa phrase rhétorique : avec une liberté « sans récompense », et la perte de
« tous ses charmes », la femme devient une « infortunée ». ODG répond à sa question en disant que la
femme devient « le jouet du mépris » : on retrouve ici la réification, la dévalorisation de la femme.
L.24.26. La dernière phrase évoque le rejet que subit la femme qui a refusé au cours de sa vie de
s’élever par le biais de ses charmes.

Conclusion
Dans cet extrait, ODG présente la figure de la femme sous l’Ancien Régime. Le portrait
devient rapidement péjoratif, la femme est décrite comme ambitieuse, séductrice et manipulatrice.
Mais l’autrice explique la raison de ses défauts : la nécessité d’abuser d’autrui pour survivre en société.
Elle explique d’ailleurs que la femme immorale est socialement valorisée alors que la femme vertueuse
est rejetée. Pourtant, si ODG espère que cette vision disparaisse après la Révolution, elle a conscience
que la représentation de la femme restera longtemps critiquée. C’est un point que met en avant la
littérature moderne, comme Virginie Despentes dans King Kong Théorie qui dénonce l’objectification
de la femme au XXIe siècle.

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