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Olympe de Gouges

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne


14 septembre 1791

« Postambule »
« Femme, réveille-toi »

POSTAMBULE.

1 Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout


2 l'univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n'est plus
3 environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le
4 flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de
5 l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir
6 aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa
7 compagne. Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ?
8 Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un
9 mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption
10 vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est
11 détruit ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l'homme.
12 La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la
13 nature ; qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot
14 du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs
15 français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de
16 la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous répètent : femmes, qu'y a-
17 t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. S'ils
18 s'obstinent, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en
19 contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la
20 raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les
21 étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de votre caractère, et
22 vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos
23 pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être Suprême. Quelles
24 que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les
25 affranchir ; vous n'avez qu'à le vouloir.

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


1
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PLAN ET PROBLÉMATIQUE

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PROBLÉMATIQUE : comment OdG appelle-t-elle les femmes à se mobiliser et à


mener leur propre révolution, à la fois intérieure et sociale ?

I-UNE HARANGUE AUX FEMMES ASSERVIES

Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers ;


reconnais tes droits. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de
l'usurpation. L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour
briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. »

II-UN APPEL À L’INDIGNATION

« Ô femmes  ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles  ? Quels sont les
avantages que vous recueillis dans la révolution  ? Un mépris plus marqué, un dédain plus
signalé. Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes.
Votre empire est détruit  ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de
l'homme.  »

III-UN ENCOURAGEMENT À LA LUTTE POUR L’AFFRANCHISSEMENT

« La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ;
qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur des noces
de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale,
longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous
répètent  : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre.
S'ils s'obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec
leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de
supériorité  ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de
votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos
pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être Suprême. Quelles que soient les
barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n'avez qu'à le
vouloir.  »
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ANALYSE LINÉAIRE

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INTRODUCTION

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


2
Trouvez votre idée générale :
- Si la Déclaration de 1789 ne contenait pas de postambule, c’est
probablement parce qu’il n’était pas utile. Inutile en effet d’inciter le
peuple révolutionnaire à prendre une liberté qu’il avait, de fait, déjà
acquise ; mais en 1791, il n’en était pas de même du peuple des femmes.
Par habitude ou conditionnement social, ces dernières admettaient encore
trop souvent la domination masculine ; il convient donc de réveiller ces
soumises, tâche difficile que ce texte se propose.
Rapide présentation : ce passage constitue la dernière des quatre adresses
orchestrées par la Déclaration :
- « À la reine »
- aux hommes
- à « l’Assemblée nationale »
- aux femmes
mais aussi la seconde des deux apostrophes qui encadrent ses dix-sept
articles :
- « Homme, es-tu capable d’être juste »
- « Femme, réveille-toi ».
Il s’agit, après avoir fait appel au Trône (la reine), à « l’Assemblée nationale » et
aux « hommes » en général, de s’adresser directement aux intéressés afin de les
exciter à la revendication de leurs droits
Contextualisation : cette adresse aux femmes se situe donc juste après les
articles de la Déclaration, au début du « Postambule » composite qui termine la
Déclaration d’OdG
Lecture expressive (notée sur 2) : entraînez-vous ! mettez-y du cœur, de la
conviction ! Faites-vous tribuns !
Problématique : comment OdG appelle-t-elle les femmes à se mobiliser et à
mener leur révolution ? (interrogation directe : adverbe interrogatif + inversion du
sujet + ?)
Nous tenterons de montrer comment OdG appelle les femmes à se mobiliser et
à mener leur propre révolution, à la fois intérieure et sociale (interrogation indirecte,
prop. sub. complétive, interrogative indirecte [nature] complément d’objet direct
[fonction] : verbe introducteur + pas d’inversion du sujet + pas de ?)
Annonce du plan : N’OUBLIEZ PAS D’INDIQUER LES LIMITES DE VOS
PARTIES !
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I- UNE HARANGUE AUX FEMMES ASSERVIES

Le premier mouvement du texte se donne pour tâche d’ouvrir les yeux des
femmes sur leur condition

« « Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers  ;


reconnais tes droits. »

«Femme, réveille-toi»

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


3
- Ce « Postambule » s’ouvre – comme l’adresse aux hommes - sur une
apostrophe énergique et autoritaire :
o Pour l’apostrophe voir « Homme, es-tu capable d’être juste »
- L’apostrophe (= l’adresse) explicite le lectorat visé : c’est aux femmes
qu’OdG s’adresse directement afin de les mobiliser
o Le singulier possède ici une valeur générale : toutes les femmes qui
sont sollicitées et, dans le même temps, chacune d’entre elles,
puisque « femme » est au singulier
- Usage de la deuxième personne du singulier
o captatio benevolentiae évocation, au-delà des différences sociales,
d’une sorte de fraternité entre femmes, une « sororité » ; car, pour
OdG, toutes les femmes sont aliénées par un système patriarcal qui
fait d’elles, légalement, des mineures
o apostrophe à opposer au tutoiement de « Homme, es-tu capable d’être
juste »)
- Métaphore du sommeil/du réveil : il s’agit bien sûr du « sommeil de la
raison » : les femmes «dorment» encore ; elles ne se sont pas mobilisées
pour faire valoir leurs droits, elles doivent se « réveiller ». Quoi de mieux
qu’un tocsin ?

le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l'univers


- Le tocsin  = sonnerie d’alarme (cloches) ; sonnerie très forte et pressante =
urgence, réveil : les femmes ne doivent pas laisser perdre leur chance de
liberté
o Par sa brièveté injonctive, l’impératif contribue à donner cette
impression d’urgence
o De même le rythme de la phrase
▪ parataxe1
▪ deux propositions courtes au début et à la fin : allures de mot
d’ordre, de slogan2 : « femme réveille-toi » « reconnais tes droits »
● la rime (« réveille-toi »/ « droits ») accentue encore cette
impression
- Notez le caractère « universel » du projet révolutionnaire (« dans tout
l'univers ») ; la Révolution française assume un projet de libération adressé
à l’humanité entière (songez à la Déclaration des droits de l’homme de 1789)
- Le système temporel du présent insiste sur l’urgence du réveil féminin, sur
la contemporanéité des événements révolutionnaires propices à la
libération des femmes mais «  Cette révolution (l’accès des femmes à une
véritable égalité avec les hommes) ne s’opérera que quand toutes les femmes
seront pénétrées de leur déplorable sort, et des droits qu’elles ont perdus dans la
société »3

« Le puissant empire de la nature n'est plus environné de préjugés, de fanatisme, de


superstition et de mensonges.  Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise

1
Parataxe : juxtaposition de propositions sans connecteurs logiques.
2
Slogan est un terme gaélique (langue originelle de l’écosse) signifiant « cri de guerre ».
3
Olympe de Gouges, Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, « À la reine ».

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


4
et de l'usurpation.»

En tout état de cause, la Révolution et les Lumières qui l’ont précédée –dont
OdG fait l’éloge- ont profondément modifié l’état politique, social et surtout
intellectuel de la nation : « Le puissant empire de la nature n’est plus environné de
préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges.»
- On le voit, pour OdG, et une grande partie de ses contemporains
imprégnés de la philosophie des Lumières, le règne de la Raison est perçu
comme une sorte de retour aux « lois naturelles » (Fiche sur cette notion
chez Montaigne, puis dans la philosophie des Lumières)

«  préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges  »


- Énumération de termes dépréciatifs : rappelle les accusations portées par
les Lumières contre l’Ancien Régime et la religion catholique qui en
constituent le soubassement idéologique
- Antithèse formé avec « raison » et « vérité »

«  Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l'usurpation »


- Métaphore hyperbolique : la Révolution, œuvre de la Raison inaugure une
ère de lumière pour l’humanité
- Une métaphore filée court dans tout le passage et met en œuvre une
succession d’images et d’oppositions : sommeil/bruit –« tocsin »-/lumière
–« flambeau »-/réveil

Vous noterez que ces images (« tocsin de la raison », « puissant empire de la


nature », « flambeau de la vérité » sont des « clichés », les termes « préjugés »,
«  fanatisme », « superstition  », « mensonges » des lieux communs révolutionnaires
- ⇨ OdG s’adresse à toutes les femmes quels que soient leur milieu et leur
niveau d’éducation ; elle se sert des « ficelles » stylistiques, des notions, des
concepts, des images et des représentations les mieux partagées durant
l’époque révolutionnaire : il s’agit ici d’un texte de combat, non d’une
œuvre littéraire exceptionnelle

« L'homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses
fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. »

« L'homme esclave […] briser ses fers.»


- OdG rappelle les effets libérateurs d’une révolution émancipatrice
o antithèse « esclave » « briser ses fers »
o la métaphore est celle de la Révolution elle-même : ainsi le nouveau
citoyen – et la République symbolisée par la Marianne républicaine -
arbore le bonnet phrygien4, symbole d’affranchissement porté à
Rome par les anciens esclaves devenus libres
- Pour se libérer, l’homme eut recours aux forces de la femme : « L’homme
esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses
fers.  »

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


5
o Cette convergence des intérêts de l’homme et de la femme opprimés
paraît aller de soi ; aussi est-elle présentée sous forme d’asyndète
(propositions juxtaposées). Elle aboutit à une révoltante antithèse :
« Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne! » que
l’asyndète, encore, rend plus brutale
o Le parallélisme syntaxique, avec la répétition de « devenu » met en
valeur l’ingratitude de l’homme, opposant violemment « libre » et
« injuste » en ce qui constitue, pour une conception politique fondée
sur la « nature », comme l’est celle d’OdG, une sorte d’oxymore
idéologique
o ⇨ l’homme libéré perpétue envers sa compagne, son alliée, le
despotisme qu’il a voulu abattre
▪ Suprême injustice et contresens idéologique !
▪ On peut penser à l’Île des esclaves, de Marivaux (scène VIII) :
Euphrosine à Arlequin : « Tu es devenu libre et heureux, cela
doit-il te rendre méchant ? »

La phrase suivante : « Ô femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d'être


aveugles  ?  » peut constituer la dernière de ce mouvement comme la première du
suivant

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II-UN APPEL À L’INDIGNATION

« Ô femmes  ! Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? »

- Ô vocatif = apostrophe solennelle


- Phrase ample, quasi vers blanc (quasi alexandrin)
- La répétition de « femmes » suspend le rythme pour mieux le relancer.
o forte oralité typique de cette période d’éloquence révolutionnaire ⇨
invitation à l’action immédiate
- Tonalité tragique ⇨ situation déplorable, digne de pitié
- Passage du singulier au pluriel (du « tu » au « vous » collectif) : accent mis
sur la communauté d’intérêt, la solidarité d’aveuglement et de souffrance
o Annonce l’appel à l’union des femmes et à l’action collective contre
le despotisme

- La question est rhétorique :


o incompréhension devant l’aveuglement des femmes qui tolèrent le
despotisme masculin

«quand cesserez-vous d’être aveugles ?»


- Le thème de l’aveuglement développe ceux du sommeil, du réveil et de la
lumière développés dans le premier mouvement
- Les femmes sont donc en partie responsables de leur abaissement

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


6
o Cette assertion n’est pas sans brutalité ; il s’agit toujours de réveiller
▪ On peut penser ici, bien sûr, au Discours de la servitude
volontaire de La Boétie (XVI) : «  Pauvres et misérables peuples
insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre
bien  » ⇨

«  Quels sont les avantages que vous avez recueillis dans la révolution ? Un mépris plus
marqué, un dédain plus signalé. »

- OdG adopte maintenant un ton plus pédagogique : aux femmes qui


acceptent sans s’interroger la domination masculine, elle pose les bonnes
questions, celles qui lui ouvriront les yeux : « Quels sont les avantages que
vous avez recueillis dans la Révolution? »
o Parataxe ; succession de questions rhétoriques
o réponses courtes, souvent nominales
▪ vivacité
o affectation d’un dialogue
▪ comme le dialogue socratique, elle cherche à accoucher les
esprits
▪ on peut encore songer à l’Émile (1762), de Jean-Jacques
Rousseau, qui préconisait que le maître devait, par ses
suggestions, susciter l’éveil de son élève

« Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. »


- redondance5
o redondance redoublée par l’assonnance finale : « é »
- La répétition de l’adverbe de comparaison « plus » accentue la  gradation
ascendante : « plus marqué » , « plus signalé » encore soutenue par le
rythme : « Un mépris plus marqué » (6), « un dédain plus signalé. » (7)

« Dans les siècles de corruption vous n'avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre
empire est détruit  ; que vous reste-t-il donc ? La conviction des injustices de l'homme. »

- Le thème du règne de la femme se faisant un trône de la corruption


masculine durant l’Ancien Régime est récurrent dans la Déclaration d’OdG
o Conception très partagée à l’époque révolutionnaire
o « siècles de corruption » et « faiblesse des hommes » <=/=> « Votre
empire »
- La Révolution libérée de l’Ancien Régime et de ses élégantes corruptions
est donc une défaite pour l’ « empire » des femmes
o Attention, OdG ne le regrette pas, elle note simplement que les
femmes opprimées n’avaient autrefois, en quelque sorte, pas
d’autres moyens de lutter contre la domination masculine
▪ On retrouve une idée voisine dans les Lettres persanes de
Montesquieu (lettre 160) : pour avoir été mariée contre son

5
Redondance : figure de style consistant en répétitions, en ajouts inutiles quant au sens, mais
littérairement signifiants (insistance).

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


7
gré, et traitée en objet par son mari, Roxane est devenue
hypocrite, haineuse, adultère, et se suicidera (personnage
assez proche de Thérèse Raquin, notez-le, bien que la jeune
femme créée par Zola ne possède pas la dimension
« féministe » de celle de Montesquieu
▪ Rapprochez encore ces puissantes corruptrices du
personnage de Mme de Merteuil des Liaisons dangereuses
(1782) qui pourrait peut-être elle aussi justifier une part de sa
conduite par l’hypocrisie d’une société inégalitaire en ce
qu’elle valorise et autorise le désir masculin mais condamne
la sexualité féminine à l’obéissance
- Avec la Révolution, la « faiblesse des hommes » a laissé place à «  l’injustice
des hommes »  : amer constat qui annonce l’appel à l’action développé dans
le troisième mouvement
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III-UN ENCOURAGEMENT À LA LUTTE DES FEMMES POUR


L’AFFFRANCHISSEMENT

« La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu'auriez-
vous à redouter pour une si belle entreprise ? »

- Notez la construction de cette phrase et appréciez la différence avec la


suivante, dont l’ordre est plus conventionnel : « qu'auriez-vous à redouter en
réclamant votre patrimoine fondé sur les sages décrets de la nature ». le procédé
rhétorique utilisé par OdG est celui de l’anastrophe 6. Il présente ici deux
intérêts :
o mise en évidence du premier élément de la phrase : « La réclamation
de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature  »
o l’usage d’une périphrase finale destinée à magnifier le projet
émancipateur « une si belle entreprise ? »
▪ intensif « si »

« La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature  »
- L’égalité entre les hommes et les femmes est fondée par les lois de la nature
(« Homme es-tu capable d’être juste ? »). Elle est donc un héritage naturel de
toutes les femmes
o Il ne s’agit que de retrouver un état de nature corrompu par les lois
iniques des siècles de « préjugés, de fanatisme, de superstition et de
mensonges  »

6
Anastrophe : replacement en début de phrase de mots éloignés de leur place habituelle :
« Le nez de Cléopâtre, s’il eût été plus court, toute la face de la terre aurait changée   » Blaise Pascal
(XVII).

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


8
o Notez le « sages » ; il fait écho aux « raison » et « vérité » du premier
mouvement, et à « philosophie » qui viendra plus avant
o La Nature et la Raison vont de pair

« qu'auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise ? Le bon mot du Législateur


des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette
morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne
vous répètent  : femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à
répondre. »

- Pour rassurer, OdG anticipe les réactions et les arguments de l’adversaire


(prolepse) pour les surmonter par avance
- Pour rassurer encore, elle minimise les risques de la « belle entreprise »

Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée
aux branches de la politique, mais qui n'est plus de saison, ne vous répètent 
- L’évocation de la peur s’inscrit dans un système de questions rhétoriques
qui la nient : « qu'auriez-vous à redouter », « Craignez-vous que »
- La périphrase « législateur des noces de Cana » désigne Jésus s’adressant alors
à sa mère
o Double insolence d’OdG
▪ Vis à vis de l’église catholique dont la morale lui semble
oppressive
▪ À l’égard de « nos Législateurs français, correcteurs de cette
morale, longtemps accrochée aux branches de la politique » qui
reproduiraient le comportement qu’OdG (et la traduction
maladroite utilisée par elle) attribue à Jésus et sacrifieraient à
cette morale « longtemps accrochée aux branches de la politique,
mais qui n'est plus de saison  » et qu’ils se proposaient de
corriger
● Le christianisme était régulièrement vu dans certains
milieux issus des Lumières comme le soutien de la
monarchie de droit divin, le promoteur de « la
superstition  ». En créant un parallèle entre le
christianisme (« législateur des noces de Cana« )
et l’Assemblée Nationale (« nos législateurs français« ),
Olympe de Gouges suggère que les nouvelles
institutions reproduisent la même oppression.
▪ « mais qui n'est plus de saison » renvoie, de façon manichéenne
(nous sommes dans un texte polémique qui, par nature,
exclut la nuance), aux « siècles de corruption », « de préjugés, de
fanatisme, de superstition et de mensonges »

«  femmes, qu'y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout, auriez-vous à répondre. »
- Ambiguïté de ce « tout » qui peut désigner
o l’égalité de nature entre les hommes et les femmes
o l’idée que les femmes doivent partager droits et pouvoirs, sans
exception d’un seul

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


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«  auriez-vous à répondre »
- conditionnel dont la valeur hypothétique le cède devant une sorte
d’obligation, mais, dans le même temps, évocation d’une ressource
argumentative des femmes (« avoir »)

« S'ils s'obstinaient, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec
leurs principes  »

«S’ils s’obstinaient, dans leur faiblesse»


- OdG prolonge son dialogue fictif en anticipant l’argumentation des
hommes (prolepse) à travers une proposition subordonnée circonstancielle
de condition.
- Nouvelle accusation de faiblesse portée contre les hommes ; il ne s’agit
plus des faiblesses du vice, mais de celle du jugement ou de la volonté qui
renoncerait à corriger « cette morale, longtemps accrochée aux branches de la
politique, mais qui n'est plus de saison »
o Insolence de cette « faiblesse » par deux fois associée au sexe qui se
veut « fort » et se réserve l’exercice du pouvoir
o Implicite : les hommes, si faibles, auraient-ils peur de l’ancienne
morale ? des femmes ?

« à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes  »


- Un des arguments les plus forts et les plus souvent réitérés d’OdG :
L’égalité des sexes est contenue dans les « principes » de 1789 ; les fils de la
Révolution trahiraient leurs idéaux en ne le reconnaissant pas et se
montreraient les continuateurs de ceux qu’ils ont renversés au nom de la
Justice : ils entreraient en contradiction avec eux-mêmes

« opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité  ;


réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l'énergie de votre
caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos
pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l'Être Suprême. »

- Emploi de termes relevant de la sphère militaire ou guerrière :


« courageusement », « force » « étendards » « déployez », « énergie » ⇨ invitation
à l’action énergique
▪ S’opposent à « serviles adorateurs rampants à vos pieds » (état de
l’homme s’il ne reconnait pas la femme comme une égale et
s’expose à être corrompu par elle)
▪ Fait écho à « fier »
● Notez que le « mépris plus marqué », le « dédain plus
signalé. » ont fait place à la fierté
o Mélange de termes relevant de la sphère intellectuelle ou morale et
de termes guerriers ou concrets : « force de la raison », « étendards de la
philosophie » « énergie de votre caractère » : le combat se déploie dans
l’ordre des idées
- Le conditionnel le cède désormais à l’impératif « opposez », « réunissez »,
« déployez » et annonce un futur « vous verrez »

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


10
o La victoire paraît certaine
o Elle suppose l’action (verbes d’actions)
▪ Gradation ou tout au moins développement d’un processus,
et effet d’apothéose, annonce d’une victoire dont les femmes
pourront jouir
o Le futur de l’indicatif assume, par son mode, la valeur d’une action
réalisée dans l’avenir
▪ Notez que le verbe « voir » associé à l’avenir s’oppose à
« Femmes, quand cesserez-vous d'être aveugles ? » placé entre le
premier et le deuxième mouvement
- Cette longue phrase évoque – et tente de susciter - une énergie débordante,
un processus victorieux que rien ne pourra arrêter et dont les résultats sont
sûrs
o « bientôt » renforce cette impression
- L’antithèse « force de la raison » / « vaines prétentions » hausse, de manière
encore une fois manichéenne, ce combat exaltant à la hauteur d’une
gigantomachie mettant aux prises la Raison et le Despotisme : les forces de
la Lumière et celle de l’obscurantisme
- Les femmes y seraient non seulement :
o les véritables championnes de l’égalitarisme révolutionnaire
o de la Raison
o mais encore de la dignité des hommes sauvés de l’orgueil (« ces
orgueilleux ») et de l’avilissement dans lequel les plongeraient
l’inévitable corruption des mœurs résultant de l’inégalité des sexes
(« serviles adorateurs rampants à vos pieds »)

«  et vous verrez bientôt ces orgueilleux […] fiers de partager avec vous les trésors de l'Être
Suprême  »
- Le nouveau modèle de femme proposé par OdG, n’est plus la séductrice
mais la guerrière qui se fera adopter en véritable camarade par les hommes
eux-mêmes anoblis par cette reconnaissance (car, encore une fois, la
corruption nécessaire des femmes les avilissait)7
o ⇨ le combat des femmes, parce qu’il complète et parfait l’entreprise
d’affranchissement commencée par les hommes, peut seul réussir la
Révolution et terminer cet effort de régénération humaine par une
conversion de l’humanité réunie aux principes de la Raison8
- Cette victoire sur l’homme ancien inaugurera donc un nouvel âge d’or
(opposé dans tout le texte, par une sorte d’antithèse continue, au passé
corrompu) où les hommes et les femmes, enfin en harmonie avec les lois
naturelles, partageront « les trésors de l’Être-Suprême.» c’est-à-dire de la
Raison personnifiée

« Quelles que soient les barrières que l'on vous oppose, il est en votre pouvoir de les

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Ce modèle a parfois été envisagé au-delà du simple combat d’idées, pensez à
Théroigne de Méricourt (recherche).
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L’égalitarisme d’OdG est intégral ; elle ne limite pas son combat aux droits des femmes
mais l’étend à tous les opprimés ⇨ Zamore et Mirza (1784) pièce militante contre l’esclavage.

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


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affranchir  ; vous n'avez qu'à le vouloir.  »

- OdG cherche à donner confiance aux femmes asservies en évoquant leur


« pouvoir », leur « volonté »
- Selon le Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey, le terme
« affranchir » qui signifie « se rendre libre », pouvait, au XVIe siècle, assumer
le même sens que « franchir » (« franchir un obstacle »). Pourquoi cet
archaïsme ?
o Est-ce la marque du parler dialectal de Montauban dont la langue
d’OdG conserve des traces ?
o Est-ce un lapsus occasionné par la rapidité de son travail de
correction ?
o Ou faut-il y trouver la volonté d’associer dans ce trait l’image de
l’obstacle surmonté (« franchi ») et l’idée de la liberté acquise
(« affranchissement ») ?

«  vous n'avez qu'à le vouloir.  »


- Comme pour Étienne de La Boétie9, il s’agit ici, non seulement de
galvaniser, de rassurer, mais encore d’opérer une véritable conversion
intérieure chez la lectrice : « un réveil »
o Concision ⇨ efficacité
o Fin de phrase : effet de mise en évidence
o Adresse directe : « vous »
▪ Appel à l’union, à l’action collective
o Le passage se termine sur le verbe « vouloir » qui pourrait résumer
l’esprit de toute cette adresse aux femmes
▪ On pense à la célèbre phrase : « Soyez résolus de ne servir plus, et
vous voilà libres. » (par cœur)

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CONCLUSION

- Nous l’avons vu, OdG met en œuvre toutes les ressources d’une vibrante
rhétorique pour enflammer ses interlocutrices

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Étienne de la Boétie, Discours de la servitude volontaire (1574) : «  Pour ce coup, je ne voudrais
sinon entendre comme il se peut faire que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de
nations endurent quelquefois un tyran seul, qui n’a puissance que celle qu’ils lui donnent ; qui n’a
pouvoir de leur nuire, sinon qu’ils ont pouvoir de l’endurer  ; qui ne saurait leur faire mal aucun,
sinon lorsqu’ils aiment mieux le souffrir que lui contredire.  » […] «  c’est le peuple qui s’asservit, qui
se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug,
qui consent à son mal, ou plutôt le pourchasse.  » […] «  Quoi ? si pour avoir liberté il ne faut que la
désirer, s’il n’est besoin que d’un simple vouloir, se trouvera-t-il nation au monde qui l’estime encore
trop chère » […] « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres.  ».

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


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- Une apostrophe directe, un premier constat de la situation des femmes
dans la France révolutionnaire propre à susciter l’indignation des
intéressées, ouvre sur un appel à la lutte : les femmes doivent se réveiller,
s’unir pour agir et parfaire une Révolution encore incomplète
- On le voit OdG place son combat pour les femmes à l’intérieur d’un autre,
universel, pour l’émancipation de tous et l’égalité de tous les êtres humains
- ⇨ Ouverture : Zamore et Mirza ?

Olympe de Gouges ; « Postambule » : « Femme, réveille-toi »


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