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Sido, Colette!

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Colette est une grande figure de la littérature du XXème siècle. Elle a mené de multiples
carrières (comédienne, journaliste...) et une vie aussi riche que libre. Elle a écrit une trentaine
d’œuvres, dès 1900, mais ne les a signées de son seul nom qu’à partir de 1923, avec Le blé en
herbe. Sous le titre de Sido, Colette publie en 1930 un émouvant hommage à sa mère,
disparue en 1912, mais aussi à son père et à ses frères. Le troisième volet de l’œuvre
intégrale porte le titre «Les Sauvages» : il rassemble Achille, son demi-frère, issu d’une première
union de sa mère, et Léopold dit Léo, son ainé. Dans cet extrait, la narratrice évoque, avec
humour et émotion, une anecdote de la petite enfance de Léopold, un caprice d’enfant :
scène difficile à situer dans le temps, mais à laquelle elle n’a sans doute pas assisté en
personne (écart d’âge de sept ans avec lui). Comment Colette célèbre-t-elle la figure de sa
mère, au travers d’une scène du quotidien? D’abord, (citer les lignes) la narratrice détaille non
sans humour la scène du caprice de l’enfant. Puis (citer les lignes), elle raconte le dénouement
de cette scène qui illustre la singularité de la personnalité de sa mère. !
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Premier mouvement : La scène du caprice!
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La narratrice vient de dresser un premier portrait de son frère, aux alentours de six ans, qu’elle a
présenté comme un enfant prodige doué pour la musique, plein de fantaisie et d’imagination. Elle
passe ici à une séquence dialoguée (forme très présente dans l’œuvre de Colette). La mise en
place est très rapide, grâce à une phrase nominale aux lignes 99 et 100, mais repose comme sur
un contraste : d’une part, la reprise d’une périphrase élogieuse pour désigner son frère
(périphrase sans doute utilisée par sa mère elle-même: «un petit garçon si inoffensif».!
Mais cette périphrase est comme contredite par la négation lexicale qui suit: «sauf un soir».
Etonnant effet de suspense, grâce à la phrase inachevée. La narratrice, qui se penche
avec tendresse sur le passé familial, joue avec humour sur les attentes du lecteur. La narratrice
s’efface ensuite pour simplement rapporter au discours direct l’échange entre Sido et son fils.
Echange répété, avec la même demande formulée par l’enfant deux soirs de suite,
exactement dans les mêmes termes: «je voudrais deux sous de pruneaux et deux sous de
noisette». L’emploi du conditionnel nuance un peu l’énoncé et une demande qui pourrait passer
pour un caprice. Désir d’objectivité : la narratrice ne nomme pas son frère ici, ni le lien qui
l’unit à elle. Mais distance humoristique derrière la périphrase : «le doux petit garçon». Humour
présent aussi au travers du contraste entre ce jugement élogieux sur son frère (sans
doute emprunté à sa mère) et l’effet que les demandes du petit garçon produisent sur cette
dernière : «ma mère impatientée» .C’est donc bien une scène de caprice que rapporte ici la
narratrice, en contraste avec le premier portrait fait de son frère.-dans un souci de variété, la
narratrice passe ensuite au récit : «cinq soirs, dix soirs ramenèrent la même taquinerie». Une
forme de sommaire : un résumé des scènes de caprices répétées. Mais elle passe aussi du
récit à l’analyse : analyse du comportement de l’enfant (le mot «taquinerie»étant déjà porteur de
sens et déchiffrant l’intention réelle de l’enfant) et surtout de la personnalité de Sido :«ma mère
montra bien qu’elle n’était pas une mère singulière». La scène du caprice répété intéresse
donc autant la narratrice par ce qu’elle montre de son frère que ce qu’elle révèle du lien entre mère
et fils. La narratrice tente ainsi d’expliciter les motivations obscures de l’enfant et en propose
d’ailleurs plusieurs :«qui espérait peut-être qu’on le fesserait ou qui escomptait seulement une
explosion maternelle». L’emploi de l’adverbe «peut-être» modalise l’énoncé. La narratrice
reconstitue le passé et s’efforce de donner sens à un caprice quelque peu étonnant en multipliant
les hypothèses : énumération de GN avec une gradation ascendante qui découvre sans doute
l’objectif ultime (gagner du temps).!
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Deuxième mouvement : le dénouement!
Le dénouement est lui aussi rapporté dans une séquence dialoguée : «un soir, après
d’autres soirs». Mais la narratrice emploie le lexique du théâtre, déchiffrant ainsi clairement la
comédie jouée par son petit frère: « il prépara sa figure quotidienne d’enfant buté». Un
dénouement rapide : la parole de la mère («Les voici») se joint ici à l’action : le don des
friandises demandées. Un enchaînement de verbes d’action dans une même phrase montre
la rapidité du geste («elle se leva, aveignit deux sacs...les posa à terre de chaque côté de son petit
garçon). Le don fait à l’enfant précède même sa demande, ici interrompue : «maman, je
voudrais…». La générosité de la mère s’exprime tant par le geste que par la parole avec la
promesse formulée : «quand il n’y en aura plus, tu en achèteras d’autres». La comparaison
utilisée souligne la disproportion des sacs de friandises : «deux sacs grands comme des nouveau-
nés». Elle reconstitue les sentiments paradoxaux éprouvés par son frère devant la générosité de la
mère : «offensé et pâle sous ses cheveux noirs». Mais la narratrice joue aussi sur l’humour en
retardant la chute de la scène : elle ménage savamment ses effets détaillant d’abord la
réaction de son frère, sa déconvenue spectaculaire («et éclata en sanglots») puis rapportant
en deux temps son aveu : «Mais je ne les aime pas»/»je voulais les demander». La chute
fait évidemment sourire le lecteur qui découvre ainsi l’impudence d’un caprice qui s’avoue
comme tel, loin du portrait du petit garçon idéal et quelque peu irréel jusqu’ici dressé. Mais, au-
delà de l’enfant et du caprice, c’est encore et surtout sa mère que la narratrice analyse ici. Elle
rend hommage ici, autant qu’à sa générosité, à son infinie curiosité des êtres et des choses. La
narratrice emploie ici le surnom tendre et familier de «Sido» pour désigner sa mère, pour la
première fois dans le texte. Elle s’attache à montrer la curiosité de Sido grâce à tout un réseau de
comparaisons : trois comparaisons mettent en parallèle le regard de Sido sur son filsetcelui
qu’elle prête à la nature tout entière («un œuf fêlé par l’éclosion», «une rose inconnue», «un
messager de l’autre hémisphère»). La narratrice dresse ainsi en effet le portrait d’une mère à nulle
autre pareille, toujours curieuse du monde et de sa diversité, accueillant le caprice de son enfant
même comme une manifestation inattendue et fascinante. En rapportant ainsi une scène
d’enfance de son frère (sans doute connue au travers de récits rapportés), l’écrivaine crée
un enchaînement de saynettes pleins d’humour et d’émotion, contribuant à forger et
embellir la légende familiale. Mais elle rend aussi et surtout encore hommage à sa mère,
une femme d’exception, curieuse du monde et des êtres. En ce sens, «Les Sauvages»
constituent bien un volet de Sido, puisque l’écrivaine capte encore l’image de sa mère au travers
de ce qui s’en reflète dans les êtres qu’elle a aimés.!
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Ouverture : !
Le Livre de ma mère, Albert Cohen (XXe)!
Le Château de ma mère, Marcel Pagnol !
La lettre adressée à sa mère de Yasmina Khadra (émission «  La grande librairie  », lue par Lina
Khoudri). !
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Les Vrilles de la vigne, Colette!
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Colette (1873-1954) est une grande figure de la littérature du XXème siècle. Elle a mené
de multiples carrières (comédienne, journaliste...) et une vie aussi riche que libre. Mariée très
jeune, elle découvre la vie parisienne grâce à son époux qui la guide dans ses premiers
pas d’écrivaine, mais s’attribue la paternité des œuvres ainsi créées. Les Vrilles de la Vigne sont
un recueil publié par Colette en son nom propre (sous le pseudonyme Colette Willy), alors
qu’elle prend ses distances par rapport à son époux et entame une vie nouvelle et libre
d’artiste de music-hall. «Dernier feu» appartient à un cycle de trois textes poétiques dédiées
à sa compagne d’alors, Missy, qui l’aide à se consoler des déceptions engendrées par son
époux. Dans ce texte en prose poétique, la narratrice évoque avec émotion l’arrivée du
printemps dans le jardin. Comment la narratrice célèbre -t-elle avec lyrisme la puissance du
printemps? D’abord, (citer les lignes) la narratrice célèbre la puissance féconde du soleil qu’elle
oppose à la lumière du feu. Puis, (citer les lignes), elle célèbre la beauté mystérieuse de la nature
et son pouvoir magique. !
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Premier mouvement!
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La première phrase justifie le titre de la nouvelle, en même temps qu’elle introduit le lecteur dans
un climat de tendre intimité : la nouvelle prend la forme d’un discours au présent adressé à l’être
aimé, discrètement présent dès la dédicace, mais aussi grâce aux marques de la
1ère et 2ème personne. L’injonction initiale («Allume...le dernier feu de l’année») est
prolongée par les marques de la deuxième personne et les références au corps de l’être
aimé : «ton visage» « ton geste». Un climat d’intimité s’installe avec l’emploi du «tu»et du «je»,
unis dans un «nous»: «notre feu de l’hiver», «notre chambre». L’espace de la chambre définit
l’intimité des deux amantes. Tout un éloge du feu dans les premières lignes du texte grâce
au champ lexical nourri de la lumière («allume» «feu» «flamme» «illumineront» «ardent»), à la
belle métaphore de l’« ardent bouquet» et même à la personnification «notre feu arrogant et
bavard». Mais cet éloge fait mieux ressortir, par contraste, la suprématie accordée au soleil,
annonciateur du printemps : c’est ce que marque d’abord la négation partielle («je ne
reconnais plus notre feu») et la comparaison implicite avec le soleil ici nommé par périphrase:
«un astre plus puissant». Dans le deuxième paragraphe, la narratrice prend ensuite à témoin
son interlocutrice, sa compagne, mais aussi le lecteur : «Regarde!». Elle souligne la puissance
régénératrice du soleil qui métamorphose le jardin grâce à un ensemble de négations : «il n’est
pas possible que le soleil favorise autant que le nôtre les autres jardins». Les négations
syntaxiques soulignent le caractère d’exception du jardin, véritable Eden : «rien n’est pareil
ici». Le cadre est à la fois familier et subtilement différent et la nature prend vie et s’anime
comme le montre le jeu des personnification s: «cette année...s’occupe déjà de changer le décor
de notre vie retirée». La narratrice est sensible aux plus infimes changements, comme le montre le
jeu des notations visuelles dans la dernière phrase du paragraphe qui s’allonge, dans un jeu
de parallélismes, pour mieux mimer le réveil de la nature.!
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Deuxième mouvement!
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Elle célèbre la beauté mystérieuse de la nature et son pouvoir magique. Toute la puissance
lyrique de la narratrice se déploie surtout dans la deuxième partie du texte avec la célébration
des fleurs (lilas d’abord, tamaris ensuite, violettes enfin). Exaltation sensible d’emblée à
l’exclamation (marquée par l’interjection «oh»). Une invitation pressante à l’impératif présent
adressée à l’amante, et par-delà au lecteur, à s’émerveiller de l’éveil et du développement de la
nature: «vois comme ils grandissent (...). Regarde bien l’ombre…». La narratrice souligne
l’exubérance de la végétation grâce à un jeu d’oppositions entre passé, présent et futur:
«l’an dernier» s’oppose à «Mai revenu», et plus loin à «l’an prochain». Comme une forme
d’allégorie du printemps marqué par l’emploi de la majuscule au mois de mai. Le jeu des
négations syntaxiques amplifie tous les changements annoncés et les promesses de la nature :
«tu ne les respireras qu’en te haussant sur la pointe des pieds», «tu ne la reconnaîtras plus».Et le
recours au futur marque le caractère inéluctable de cette exubérance florale. Cette beauté
comble tous les sens : la vue, d’abord et surtout,avec l’importance des sensations visuelles,
mais aussi les sensations olfactives et même gustatives, comme le montre le choix des verbes
(«respireras», «abaisser leurs grappes vers ta bouche»). Mais l’exaltation lyrique de la narratrice
est surtout sensible dans le troisième paragraphe du texte avec l’éloge des violettes
présentées comme un miracle de la nature : «écloses par magie». Le passage de l’exclamation
à une question rhétorique marque la volonté d’ouvrir les yeux du destinataire sur ce miracle
d’une nature qui échappe à l’homme et se développe en autonomie. Tout un dialogue fictif
s’ensuit entre les deux interlocuteurs, fait de questions («ne sont-elles pas ce printemps-ci plus
bleues?») et de négations : «Non, non, tu te trompes». Ce débat sur les nuances de la nature
se poursuit plus loin avec l’opposition entre «plus mauves» et «plus bleues».-Mais la
narratrice invite surtout à un changement de posture comme le montre l’injonction pressante :
«Cesse cette taquinerie!». Il s’agit de changer notre appréhension du monde. La dernière
phrase de l’extrait invite ainsi à communier avec la nature grâce à tous les sens, l’odorat comme
la vue : «Porte plutôt à tes narines le parfum invariant de ces violettes et regarde, en respirant».
La métaphore du «philtre» montre le pouvoir magique des sensations. L’accumulation des sens,
en une forme de synesthésie, ouvre en effet les portes du passé : «regarde comme moi
ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance». C’est donc à un retour vers
l’enfance que nous convie la narratrice. !
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Ainsi, dans cette méditation poétique, la narratrice célèbre la puissance du printemps et le
renouveau de la nature, l’exubérance et la prolifération des fleurs. Elle reprend ainsi une tradition
ancienne, celle de la reverdie (poésie médiévale célébrant le retour du printemps). Mais elle
montre surtout combien l’attention au monde et à ses métamorphoses est la clé d’un
bonheur primordial qui fait renaître le passé oublié. En ce sens, la méditation poétique de
Colette évoque ici l’entreprise qui guide Proust, son contemporain, dans A la recherche du temps
perdu.

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