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Théories linguistiques :

l’apport du structuralisme

Dans le Cours de Linguistique générale de Ferdinand de Saussure, que l’on tient


comme le texte fondateur de la linguistique moderne, ce dernier estime que la linguistique se
distingue de la grammaire normative par son caractère scientifique. Dès lors que les langues
sont considérées comme des objets à décrire, se posent des problèmes de théorie et de
méthode. La linguistique se préoccupe en effet de déterminer son objet d’étude, tout comme
d’autres démarches scientifiques, et par là d’élaborer une théorie. Elle se préoccupe d’autre
part de définir une méthode permettant de décrire la langue envisagée avec rigueur :
l’application des principes posés, des critères retenus et des opérations utilisées doit être
systématique et justifiable dans le cadre théorique adopté.

En linguistique se sont donc développées de nombreuses théories, et chaque théorie a


élaboré des méthodes pour la description de la langue. Autrement dit, l’objet d’étude en
linguistique, à savoir la langue, peut être décrit différemment selon la théorie adoptée.

Le but du présent cours étant d’initier les étudiants aux méthodes d’analyse en
syntaxe, nous aborderons d’abord brièvement les méthodes développées dans le cadre
théorique de ce qu’on appelle Distributionalisme dans les pays anglo-saxons (et plutôt
Structuralisme en France), puis celles développées au sein de ce qu’on appelle la Grammaire
Générative.

I- Quelques notions fondamentales


La linguistique est une science du langage, qui s’est développée à partir de la fin du
XIXe siècle. C’est Ferdinand de Saussure (1875-1913), qui a jeté les bases de ce qu’on
appelle le Structuralisme européen. Ses idées principales se trouvent dans son Cours de
Linguistique Générale, dont la première édition date de 1916. Aux Etats-Unis se développa à
peu près à la même époque, de manière indépendante, ce qu’on appelle le Structuralisme
américain ou le Distributionalisme. Cette théorie linguistique partage pas mal de points
communs avec le structuralisme européen. C’est surtout à L. Bloomfield (1887-1949) qu’on
doit le fondement du Distibutionalisme. Son livre Language, paru en 1933 (traduit en français
en 1970 sous le titre Le Langage), est une importante oeuvre de synthèse. Zellig Harris (1909-
), un des représentants de l’école bloomfieldienne au début de ses travaux, a mis au point une
méthode distributionnelle extrêmement rigoureuse (Methods in Structural Linguistics,
Chicago, 1951).

Plusieurs idées fondamentales sont issues de cette théorie. La première est celle de
l’autonomie de la langue : la langue constitue un système de formes, donc chaque élément se
définit en relation avec les autres, par un jeu de différences. En d’autres termes, la langue est
un tout structuré par une série d’oppositions entre ses éléments. Elle est donc descriptible en
elle-même, par elle-même, en repérant le jeu des oppositions internes, sans faire appel à des
éléments externes (société, esthétique, morale, voire sens...). Par exemple, en français, le mot
"rang" est un même mot quelle que soit la manière exacte dont on le prononce ; ce qui est
essentiel pour le fonctionnement de la langue, c’est que pour tous les locuteurs d’une même
communauté linguistique, il se distingue du mot "sang" : ceci montre qu’en français il existe
une opposition fondamentale entre les sons /r/ et /s/ : ces deux sons ont une valeur oppositive
dans le système linguistique français, et on les appelle phonèmes. Un phonème ne peut pas
être décrit indépendamment des autres phonèmes qui font partie du même système.

En quittant le niveau phonétique, on peut considérer que la langue est un système de


signes. Le signe associe un signifiant (une forme, avant tout phonétique, comme la suite des
sons /p/ et /o/ pour le mot "peau" : Saussure parle d’ "image acoustique") à un signifié (un
concept, "surface externe du corps humain" pour peau). Les oppositions de sens sont
représentées abstraitement par les oppositions de formes. Le signe linguistique n’a pas pour
rôle de relier une forme sonore à un objet concret du monde (on parle dans ce cas de
"référent"), mais à un concept, une image mentale, le signifié.

Le signe est arbitraire : aucune nécessité particulière ne pousse à associer le concept


de peau aux sons "p" et "o" (c’est pourquoi, dans d’autres langues, il pourra être associé à
d’autres sons, par exemple /s/, /k/, /i/ et /n/ en anglais). De même, la manière d’organiser entre
eux les signes dépend du système lui-même et non du monde réel : chaque langue catégorise
le réel à sa manière. Ainsi, le français se contente d’un signe pour désigner le mouton vivant
et la viande de mouton mort : la différence entre ces deux concepts n’est pas pertinente en
français, elle n’est pas codée par la langue. En revanche, en anglais, cette différence est
pertinente et donne lieu à deux signes distincts, mutton et sheep. Il y a donc deux types
d’arbitraires : celui concernant la relation entre signifiant et signifié et celui concernant
l’organisation des signes dans le système de la langue. Les signes, comme les phonèmes, ne
sont délimités par rien d’autre que par leurs relations mutuelles au sein d’une langue.

Cette conception de la langue a des conséquences importantes sur les méthodes


utilisées en linguistique structurale. En schématisant, on pourrait dire que l’exploration de la
langue essaye de se débarrasser de tout ce qui n’est pas interne à la langue. Aussi, dans un
premier temps, essaie-t-elle de faire "table rase" des notions pré-établies par la grammaire,
qu’elle sait influencée par la tradition grammaticale gréco-latine, sa tradition philosophique et
des considérations liées au sens voire au réel. Elle cherche donc à isoler des classes de mots
indépendamment de notions comme "action", "quantité", "substance", "lieu", etc. Lorsqu’on
définit par exemple les verbes comme la classe des mots exprimant une action, on tient
compte du sens de nombreux verbes mais pas des oppositions existant entre les différents
signes du français ; en effet, cette définition n’est pas rigoureuse, puisque des noms peuvent
eux aussi exprimer des actions : cf. le pillage de la ville, la course, etc.
Pour établir des familles de mots, il faut donc se pencher sur les ressemblances et les
oppositions de comportement dont ces mots font preuve dans les phrases : même s’ils
dénotent tous deux l’action de piller, pillage ne se comporte pas comme piller, ni du point de
vue morphologique -. l’un porte des marques de personne et de temps, l’autre non -, ni du
point de vue syntaxique -.l’un accepte un déterminant, l’autre non, et l’un peut avoir un
complément direct, l’autre, pour exprimer le même type de relation entre l’action de piller et
ce qui est affecté par cette action doit faire appel à une préposition : piller la ville / le pillage
de la ville. L’étude syntaxique sera donc, pour les structuralistes, basée non sur l’intuition plus
ou moins sémantique, mais sur des tests et des manipulations de phrases, dont voici les
principaux.
II- Les tests et méthodes issus du structuralisme
Pour étudier le comportement des divers éléments, les linguistes qui travaillent dans une
optique structuraliste s’appuient sur divers tests syntaxiques (mis au point dans le cadre de la
théorie, ou empruntés). Nous allons passer en revue les principaux, qui sont utilisables dans ce
cours.

A/ Le test de commutation

Il consiste à voir si deux éléments peuvent se substituer l’un à l’autre. Dans la chaîne
d’une phrase (appelé axe syntagmatique), on isole un segment (par exemple un mot, ou une
suite de mots) et on regarde si l’on peut le remplacer par un autre. Si oui, on dit que ces deux
éléments peuvent commuter. Ils partagent donc des propriétés qui leur permettent de se
trouver à la même place dans cette chaîne. (Le plus délicat reste de définir quelles propriétés
exactes permettent cette commutation, mais c’est une autre histoire : même fonction ? même
nature ? sens proches ? se distinguent-ils par d’autres propriétés, qui apparaîtraient dans des
contextes où ces éléments ne peuvent plus commuter ?...). Par exemple, dans la phrase
suivante, on peut substituer à « le chien » les groupes de mots « tomber la pluie », « Marie »
voire « dehors » sans modifier le sens de « Paul regarde » :
Paul regarde le chien
tomber la pluie
dehors
Ces trois groupes expriment ce qui est regardé par Paul.

L’ensemble des éléments susceptibles de commuter entre eux est appelé axe
paradigmatique : on dit aussi que ces éléments forment un paradigme, c’est à dire une classe.
Cette méthode permet donc de savoir quels éléments commutent dans un certain contexte
(c’est-à-dire, à tel endroit de la chaîne, avec tel élément à droite et tel élément à gauche) ; elle
permet donc aussi d’établir que ces éléments se combinent avec ceux de droite et ceux de
gauche. L’établissement de ces possibilités de commutation et de combinaison s’appelle une
étude de distribution. Nous allons appliquer cette méthode à la classe des déterminants.

Applications grammaticales : étude des déterminants.


La grammaire traditionnelle ne connaissait pas la notion de déterminant. Pour nommer les
termes pouvant apparaître à gauche du nom dans un groupe sujet, elle utilisait deux termes :
d’une part, les adjectifs, notion issue de la grammaire latine (étymologiquement, « placés à
côté du nom »), qui normalement s’accordent en genre et en nombre (et, pour le latin, en cas)
avec le nom complété ; d’autre part, les articles (étymologiquement, « petit mot »), qui
s’accordent aussi, mais ont la particularité de n’avoir pas d’équivalent en latin (ils sont
apparus au cours de la formation du français). En fonction de leur sens, on a ainsi les
catégories traditionnelles suivantes :

articles définis : le, la, les ;


articles indéfinis : un, une, des ;
articles partitifs : du / de l’, de la, des ;
adjectifs possessifs: mon, ton, son, etc...
adjectifs démonstratifs : ce, cet, cette, ces, etc...
adjectifs indéfinis : quelques, plusieurs, aucun, même, autre, etc...
adjectifs numéraux : un, deux, trois, quatre, etc...
adjectifs qualificatifs nouveaux, petits,vrais...
Nous allons procéder selon la méthode de l’analyse distributionnelle, pour voie d’une part si
la distinction article/adjectif est justifiée, d’autre part si chacune de ces deux classes est
homogène : pour cela, il faut que les membres d’une même classe aient le même
comportement (le même type de distribution).

Soit un corpus d’éléments qui peuvent se trouver devant un nom pluriel: ces, mes, plusieurs,
des, autres, divers, deux. quelques, nouveaux, mêmes, comment les classer sans tenir compte
de leur histoire ?. Nous allons essayer de les faire entrer dans deux contextes un peu différents
l’un de l’autre :
(1) ... étudiants ont manifesté leur étonnement
(2) Les... étudiants ont manifesté leur étonnement.

Nous obtiendrons une première classe d’éléments qui entrent dans le contexte (1), c’est à dire
commutant avec "les" et pouvant se combiner seuls avec un nom commun. De ce contexte
sont éliminés : autres, nouveaux, mêmes.
les
ces étudiants ont manifesté leur étonnement
mes
plusieurs
des
divers
deux
quelques
* autres
* mêmes
* nouveaux

Une autre série paradigmatique entre dans le contexte (2), c’est à dire commute avec
"nouveaux" : l’élément peut se combiner avec un déterminant et un nom en se plaçant entre
les deux :

autres
deux
les quelques étudiants ont manifesté leur étonnement
nouveaux
mêmes

De cette série sont éliminés: ces, mes, plusieurs, des. Mais un certain nombre d’éléments sont
communs aux deux contextes : divers, deux, quelques. On peut représenter cette distribution
par le schéma suivant :
I II

ces divers autres


mes deux nouveaux
plusieurs quelques mêmes
des

L’ensemble (I) est celui des éléments qui ont la propriété de remplacer l’article, c’est-à-dire
de commuter avec lui. Ce sont eux que l’on appellera déterminants.
L’ensemble (II) est celui des éléments qui ont la propriété de se combiner avec l’article : ils se
comportent, en l’occurrence, comme un adjectif placé devant le nom.
L’intersection des deux ensembles correspond à une sous-classe d’éléments qui reçoivent
tantôt le statut de déterminant, tantôt celui d’adjectif. Les linguistes qui pensent que les mots
ont une « nature », définissable antérieurement à leur insertion dans une phrase, diront qu’il y
a deux mots divers homonymes : l’un est un déterminant, l’autre un adjectif.

On peut aussi représenter le résultat de cette analyse distributionnelle dans un tableau :


ces mes plusieur autres divers deux quelque des nouveaux mêmes
s s
Contexte (1) + + - + + + + - -
Contexte (2) - - - + +

Les déterminants "purs" sont les éléments qui entrent uniquement dans le contexte ( I ) ces, mes, plusieurs, des.
Ont le comportement d’un adjectif ceux qui entrent seulement dans le contexte (2) : autres, nouveaux, mêmes.
Ont un comportement ambigu les éléments qui sont communs aux deux contextes: divers, deux, quelques.

On pourrait ensuite créer des sous-classes ; ainsi, parmi les « adjectifs purs », certains entrent
dans le contexte (3), d’autres pas :
(3) Ces étudiants sont……

Nouvelle classification (je note en gras les formes appartenant aux deux classes)
déterminants définis : le, la, les ;
déterminants indéfinis : un, une, des ;
déterminants partitifs : du / de l’, de la, des
déterminants possessifs: mon, ton, son, etc...;
déterminants démonstratifs ce, cet, cette, ces, etc...
déterminants indéfinis plusieurs, aucun, quelques, divers
déterminants numéraux deux, trois, quatre...
adjectifs indéfinis : quelques, divers, même, autre, etc...
adjectifs numéraux : deux, trois, quatre, etc...
adjectifs qualificatifs nouveaux, petits,vrais...

Je n’insiste pas : ce type d’analyse est susceptible de toutes sortes d’applications.


Autre exemple : les constructions verbales. A titre d’exercice personnel, classez les verbes :
parle, dit, expédie, écoute, imagine, dort, comprend, répond, déplace, craint, écrit, selon
qu’ils entrent dans les contextes suivants
(1) Charles ...........
(2) Charles ............quelque chose.
(3) Charles ............quelque chose à quelqu’un.
On rassemblera dans la même classe les verbes qui ont la même distribution : dans le contexte
(1) on aura des verbes intransitifs, dans (2) des transitifs directs, dans (3) des di-transitifs. Là
encore, certains ont un comportement mixte, et il faudra se pencher de près sur la distribution,
pour voir quelles conséquences a leur changement de construction.

! " #
B/ Le test de déplacement (parfois appelé permutation)

Soit les deux phrases (1) Bernard a dessiné cette semaine.


(2) Bernard a dessiné cette fleur.
Apparemment leur structure est semblable et la procédure d’effacement aboutirait au
même résultat : Bernard a dessiné. Mais le test de déplacement fait apparaître une différence
de comportement qui sans cela serait passée inaperçue. Dans (1) le complément est déplaçable
de façon naturelle en tête de phrase : Cette semaine, Bernard a dessiné alors que dans (2) il ne
l’est pas : * Cette fleur, Bernard a dessiné.

On considère que la propriété de déplacer un complément en tête de phrase (et, mieux


encore, de nier en outre le reste de la phrase : Cette semaine, Bernard n’a pas dessiné) montre
que, d’un point de vue syntaxique et sémantique, ce complément porte sur toute la phrase : il
donne un cadre dans lequel il est possible d’affirmer ce que dit le reste de la phrase. En
"baragouinant", cela correspond à « dans le cadre restreint de cette semaine, je peux affirmer
que "Bernard a dessiné" est vrai ». On appelle ces compléments des compléments scéniques,
qui sont un type de compléments de phrases.

Les compléments de phrases (scéniques ou modalisateurs, cf. infra) sont les seuls à
pouvoir se placer naturellement dans cette position, et à pouvoir se placer dans divers endroits
de la phrase : ils sont très mobiles. Comme ils complètent toute la phrase et non pas un
élément particulier de la phrase (par ex. le verbe ou un nom), ils n’ont pas besoin d’en rester
proche. En revanche, les compléments qui complètent un nom, un adjectif, un adverbe ou un
verbe doivent rester à proximité de celui-ci. Ils ne sont pas aussi mobiles, et en général ne
peuvent pas se placer naturellement (et sans modifier le sens de la phrase) en tête de phrase
(niée). C’est le cas ici avec "cette fleur", qui est un complément du verbe : * Cette fleur,
Bernard a dessiné, *Cette fleur, Bernard n’a pas dessiné. Un autre test (v. ci-dessous) permet
d’ailleurs de confirmer que « cette fleur » est un complément du verbe : il peut se remplacer
par le pronom personnel COD "la", ce qui montre qu’il s’agit d’un COD : Cette fleur,
Bernard l’a dessinée.

Ce type d’approche est à l’origine de la disparition du « complément circonstanciel ».


En effet, cette notion fait appel au sens, très général, du complément (il exprime une
circonstance de l’action : temps, lieu, but, …), et non aux relations internes que les mots
entretiennent dans la phrase. Il ne s’agit donc pas d’une fonction syntaxique. En d’autres
termes, elle ne dit pas ce qui est complété, sur quoi porte cette « circonstance ». Le test de
déplacement (et de négation) est utilisé pour évaluer la fonction syntaxique de ces
compléments.

–. Certains complètent la phrase : ils peuvent se déplacer en tête de phrase niée. Dans
Bernard a dessiné cette semaine, « cette semaine » indique le temps, mais peut se déplacer en
tête de phrase niée. C’est un complément (circonstanciel) de phrase.

– Certains complètent un nom : ils ne peuvent pas se déplacer. Dans Sa déclaration d’hier
m’a choqué, « d’hier » indique aussi le temps, mais ne peut s’éloigner de « déclaration », car
il le complète.Ce qui est présenté comme ayant lieu hier est la déclaration, pas le fait d’être
choqué (d’ailleurs, dans un contexte où la déclaration n’aurait été connue de l’intéressé que le
matin, par exemple aux informations de 7 h, le choc peut ne pas dater d’hier...). C’est un
complément (circonstanciel) de nom.

– Certains complètent le verbe : dans Paul se comporte bien , « bien » indique la manière
mais ne peut se déplacer en tête de phrase niée (*Bien, Paul ne se comporte pas). C’est un
complément (circonstanciel) de verbe.

On aboutit ainsi à une nouvelle classification des fonctions syntaxiques, dont je donne un
résumé simplifié ci-dessous :

$
Cplts circonstanciels
Cplts de nom Cplts de nom (de divers types, dont C.C.)
Epithètes Epithètes
Appositions Appositions
COD Cplts de verbe de divers types, dont C.C.)
COI - obligatoires (« essentiels ») : non effaçables
Attributs (du sujet, de l’objet) - facultatifs (« non essentiels ») : effaçables
Cplts de phrase
- scéniques (CC effaçables et déplaçables en tête de
phrase niée)
- modalisateurs

C/ Les transformations
On peut utiliser d’autres manipulations pour faire apparaître la fonction d’un élément.

1) La transformation passive
Elle permet d’opposer le complément direct du verbe au complément de phrase :
(1) * Cette semaine a été dessinée par Bernard (phrase asémantique)
(2) Cette fleur a été dessinée par Bernard.
La transformation passive n’est possible que si le verbe a un complément direct (complément
d’objet direct), lequel devient sujet du verbe dans la phrase transformée, alors que le sujet
primitif y apparaît comme complément d’agent. Nous voyons, donc, que seul cette fleur peut
jouer ce rôle mais non cette semaine.

2) La pronominalisation et la dislocation.
Elle consiste à remplacer un groupe nominal ou prépositionnel par un pronom. Pour
éviter toute ambiguïté, on la combine généralement avec la reprise du groupe remplacé en tête
de phrase : la combinaison de ces deux opérations s’appelle la dislocation à gauche. Elle
donne des résultats différents dans ces deux phrases :
(1) * Cette semaine, Bernard l’a dessinée (phrase asémantique)
(2) Cette fleur, Bernard l’a dessinée ... OK > COD

3) On peut encore transformer ces deux phrases par relativisation (le pronom relatif change de
forme selon sa fonction, du moins dans une certaine mesure, donc peut nous renseigner sur
celle du groupe qu’il remplace).
pendant
(1) Cette semaine durant laquelle Bernard a dessiné.

(2) Cette fleur que Bernard a dessinée.


Dans (I) la fonction "circonstant" est marquée par l’apparition de la préposition pendant (ou
durant ) devant le pronom relatif, alors que dans (2) le pronom relatif prend la forme que,
forme du complément d’objet direct. Cette seconde information est capitale. La première est
moins fiable et précise (un "circonstant" peut avoir plusieurs fonctions, ce n’est pas une
notion syntaxique), mais on est sûr que "cette semaine" n’est pas COD.

4) On peut utiliser aussi le test de la transformation interrogative.


Pour la phrase ( I ) la phrase interrogative correspondante est : Quand Bernard a-t-il
dessiné ? alors que pour la phrase (2) elle sera: Qu’a dessiné Bernard ?
Malheureusement, ce test a été utilisé sans précaution dans l’enseignement, alors qu’il est
délicat à manier : souvent, il teste des relations sémantiques et non syntaxiques. Je vous le
déconseille donc, vous risqueriez d’en tirer des conclusions fausses sans vous en apercevoir.
Le seul cas où il me paraît sûr et utile, c’est pour distinguer le sujet et le COD ou l’attribut
dans des phrases à inversion du sujet. Le sujet est en effet le seul groupe qui puisse répondre à
la question "Qu’est-ce qui ...?" (si c’est un inanimé) ou "Qui est-ce qui ?" (si c’est un animé),
alors que COD et attribut répondent à la question "Qu’est-ce que ...?" ou "Qui est-ce que...?"

Moralité : les tests ont servi aux linguistes à établir des classes de mots de la façon la plus
objective possible, en tentant de ne se baser que sur des critères internes. Ils sont aussi
extrêmement utiles pour vérifier voire établir votre analyse des fonctions des groupes de mots,
et pour vérifier qui complète quoi. Mais ils ne sont pas toujours faciles à manipuler, et il ne
faut pas accorder une confiance exclusive à certains d’entre eux (en particulier, l’effacement
est très trompeur, l’interrogation aussi). Utilisez-les avec précaution, en vérifiant ce que vous
testez, et en recoupant les résultats avec ceux d’autres tests ou d’autres connaissances.

III- Les classes de mots

Nous avons vu (session1, document2 : Notions à connaître ...ou à réviser) que l’établissement
de classes de mots repose sur un faisceau de critères, qui peuvent varier selon les
grammairiens. Voici comment nous définirons ces classes dans ce cours, et à partir de quels
critères. Ceux-ci vous permettront de décider de l’appartenance d’un mot à une classe dans le
contexte où vous le trouverez (puisque des mots apparemment identiques peuvent, selon le
contexte où ils apparaissent, avoir un comportement qui les rattache à une classe ou à une
autre). Je n’aborderai pas ici tous les problèmes liés à l’établissement des classes de mots, ni
même toutes les classes de mots, mais seulement les critères qui peuvent vous servir pour
trancher en cas d’hésitation dans le cadre du cours.

Le critère morphologique nous permet d’isoler des classes normalement variables et des
classes invariables.

A/ Classes de mots variables


1)Verbes
Ils sont variables (et les seuls à l’être) en temps, aspect, mode et personne
Dans le cadre de ce cours, le verbe ne posera pas de problèmes de reconnaissance, puisque
nous n’étudierons pas les cas problématiques (infinitif, participes).
A noter: les verbes conjugués à un temps composé (ex : passé composé) portent
éventuellement des marques de genre et de nombre (sur le participe passé), mais en plus des
autres marques (portées par l’auxiliaire), qui suffisent à bien y voir des verbes. Leur analyse
précise sera nuancée au fil du cours.
Les infinitifs varient en aspect (chanter/avoir chanté), donc ce critère permet d’y voir des
verbes (c’est la seule classe qui présente une variation systématique d’aspect).
Pour les participes sans auxiliaires, le critère morphologique devient délicat à utiliser. Il ne
s’agira plus de verbes s’ils ont le comportement d’une autre classe (Nom ou adjectif
« classiques »), ce que vous pouvez vérifier par commutation avec un nom ou un adjectif nom
problématique, comme ici :
la fenêtre, fermée par Paul, ... > Fermée est ici une forme verbale
*la fenêtre rouge/petite/... par Paul

la fenêtre, très décorée, .... > Décorée est ici un adjectif


la fenêtre, très petite/jolie..., ...

2) Déterminants
Critère distributionnel : seront considérés, dans une phrase donnée, comme des déterminants
les mots ou locutions placés à gauche d’un nom et
- qui commutent avec un article défini (le/la/les),
- et qui ne se combinent pas avec lui.
(voir illustration du test de commutation supra).

3) Adjectifs
Critère morphologique : varient en genre et nombre par accord avec le SN (ou équivalent)
auquel ils s’appliquent sémantiquement. RQ : ce critère est imparfait : il existe des adjectifs
invariables, historiquement (cf. certains adjectifs de couleurs issus de noms) ou pour des
raisons sémantiques (cf. les adjectifs dont le sens même indique la pluralité : les divers
étudiants). Dans le doute, commutez avec un adjectif variable. Ce critère permet de les
différencier notamment des adverbes (qui eux sont tous invariables par définition, et non
éventuellement invariables « par accident »).

Critère distributionnel : le critère morphologique, s’il les distingue des adverbes, ne suffit pas
à les départager d’avec les déterminants. Le problème ne se pose pas lorsqu’ils sont attributs.
C’est donc la distribution qui tranchera en contexte lorsqu’ils sont associés au nom :
Dans le SN :
- les adjectifs se combinent avec nom et déterminant ;
- ils ne commutent pas avec le déterminant.
(cf. chapitre de ce cours sur les études de distribution)

4) Noms
Critère morphologico-référentiel : les noms ont un genre inhérent, et un nombre référentiel.
Critère distributionnel : ils se combinent avec un déterminant à leur gauche et forment le
noyau d’un groupe nominal.

Cas particulier : des SN sans N ?


(1) Le bleu est ma couleur préférée.
(2) Il a un bleu sur le mollet.
(3) Quel pantalon préfères-tu ? J’aime bien le bleu.
Dans ces trois phrases, le déterminant se combine avec le seul mot « bleu » pour former un
SN. Le mot « bleu » est connu par ailleurs comme adjectif : Elle a une jupe bleue.
Comment traiter bleu dans les exemples (1) à (3) ? On considérera qu’il s’agit d’un nom dans
(1) et (2) : il a un genre inhérent (il ne peut être que masculin), voire un sens différent de
« d’une couleur proche de l’indigo (cf. (2), où il désigne non une propriété lumineuse mais un
type de choses), et le contexte ne fournit pas de nom avec lequel il pourrait se combiner dans
le SN. On parlait autrefois d’ « adjectif substantivé » : l’adjectif bleu a servi à créer un nom
homonyme.
Pour (3), les analyses sont variables. Certains linguistes estiment que la distribution du mot
(seul dans le SN avec le déterminant) en fait, dans cette phrase, un nom. D’autres, qu’il s’agit
de l’adjectif bleu, et que le nom noyau du SN est omis car clairement déductible du contexte
(le bleu = le pantalon bleu). Ils avancent l’argument que le genre et le nombre du SN ne
dépend pas de bleu (comme c’est le cas dans (1) et (2)), mais du nom omis, cf. :
(4) Quelle jupe préfères-tu ? J’aime bien la bleue.
(5) Quels pulls préfères-tu ? J’aime bien les bleus.
Pour eux, il y a donc un Nom noyau dans ce SN, même s’il est nul : Le Ø bleu. C’est cette
deuxième analyse que j’adopte.

5) Pronoms
C’est une catégorie hétérogène. Nous ne parlerons pas beaucoup des pronoms. Je la définirai,
minimalement, comme une classe de mots variables (en genre et/ou nombre et/ou cas et/ou
personne) remplissant synthétiquement la fonction d’un syntagme nominal ou prépositionnel.
(RQ : les formes synthétiques invariables remplissant la fonction d’un SP seront des adverbes,
ici).
Vous n’aurez besoin pour suivre le cours que de savoir reconnaître les pronoms personnels et
les pronoms relatifs et interrogatifs : en cas de doute, voyez dans une grammaire...

B/ Les classes invariables


C’est probablement pour les différencier entre elles qu’on rencontre le plus de problèmes
théoriques, puisque la morphologie n’est plus d’aucun secours. C’est donc le type de rôle
qu’elles remplissent dans la phrase qui permet de les différencier.
Nous ne parlerons pas dans ce cours des interjections, ni des conjonctions de coordination.
Pour ces dernières, on se contentera d’une définition dite « en extension », c’est à dire une
liste de mots considérés comme des conjonctions de coordination : le célèbre « mais - ou - et-
donc - or - ni - car ». Il y aurait beaucoup à dire et à discuter sur ce sujet, mais cela dépasse le
cadre du cours. On s’en contentera donc pour l’instant. Les conjonctions de coordination ne
codent pas une relation de dépendance syntaxique (cf. session 3), mais servent à dupliquer un
élément (elles servent à faire remplir une même fonction syntaxique par plusieurs éléments
qui se retrouvent syntaxiquement « à égalité »).
Restent les autres...

1) Prépositions
Les prépositions (ou locutions prépositives : suites de mots indécomposables se comportant
comme une seule préposition) sont des mots invariables transitifs directs. Leur complément,
placé à droite juste après la préposition, est donc toujours direct (= non précédé d’une autre
préposition) : SN, SAdv, complétive en QUE (voir dans la session 4 le chapitre sur les
prépositions). Elles permettent à leur argument de remplir une fonction quelconque de
complément dans la phrase. Elles peuvent participer au sens de ce complément (Il est devant
le placard : cplt de lieu) ou non ( Il compte sur Paul, Ils ont convenu d’un arrangement)
NB : cet argument est en principe obligatoire. Il peut néanmoins être omis quand il est
déductible du contexte :
La Floride a voté pour Bush et la Californie a voté contre. (= a voté contre Bush)
Si l’on ne peut pas restituer ce complément... c’est qu’on n’a pas affaire à une préposition !

2) Adverbes
On définit parfois (à tort..) les adverbes comme des mots intransitifs (ne pouvant avoir de
complément à droite). Mais certains d’entre eux (généralement en -ment et issus d’adjectifs
transitifs) peuvent avoir des compléments obligatoires :
Il a agi contrairement à ses principes.
Il faut donc
- soit exclure ces mots de la liste des adverbes (mais c’est un peu gênant, car il faudrait revoir
la définition du suffixe -ment, et que cela concerne toute une famille de mots), et y voir des
locutions prépositives (« contrairement à » : locution prépositive, « parallèlement à » :
locution prépositive, etc.) ;
- soit modifier la définition de l’adverbe. C’est ce que nous ferons ici. Les adverbes forment
donc une classe de mots invariables intransitifs ou transitifs indirects : soit ils n’admettent
pas de complément à droite, soit ils admettent un complément introduit lui-même par une
préposition : contrairement à ses principes. Ceci nous permet de les distinguer des
prépositions.

3) Conjonctions de subordination
Il s’agit de mots invariables transformant une phrase en subordonnée et ne remplissant pas
eux-mêmes une fonction syntaxique dans la subordonnée (ce qui les distingue par exemple
des pronoms relatifs). On en distingue plusieurs types :
- QUE (à ne pas confondre avec QUE pronom relatif, qui lui est le COD de sa subordonnée, v.
session sur les subordonnées)
- SI : Je me demande s’il viendra ;
- les « subordonnants circonstanciels » indécomposables : parce que, bien que, puisque...
Attention : une structure traditionnellement appelée « subordonnée circonstancielle » peut en
fait être un SP formé d’une préposition et d’une subordonnée en QUE. C’est la commutation
qui vous permettra de trancher. Comparer :

Paul est venu parce que Marie était là


* Paul est venu parce la présence de Marie
« Que Marie était là » ne commute pas avec un SN
> « parce que » est une conjonction de subordination indécomposable
La subordonnée est [ parce que Marie était là]

Paul est venu pour que les choses avancent


* Paul est venu pour cette raison
« Que les choses avancent » commute avec un SN
> « pour » est une préposition et « que...avancent » son complément ;
> « pour que les choses avancent » est un SP
> la subordonnée est « que les choses avancent », elle est complément
de « pour »
L'
approche générative

Le terme de « grammaire générative » ou « grammaire générative et


transformationnelle » (en abrégé GGT ci-dessous) désigne en fait aujourd’hui un courant
assez diversifié de la recherche linguistique issu des travaux de Noam Chomsky. En 1957,
celui-ci publie Syntactic Structures (version française 1969 Structures syntaxiques), qui
oriente la discipline vers une nouvelle voie.
Ce qui caractérise peut-être le mieux ce courant linguistique, c’est sa constante
mutation : des principes théoriques de base sont formulés sous forme d’hypothèses. Puis, ils
sont confrontés à des données linguistiques (nouveaux types de phrases, nouvelles langues)
pour être vérifiés. En général, ils sont alors « ajustés », ou même abandonnés, pour tenter de
toujours mieux expliquer les faits, tout en veillant à une bonne cohérence (voire une certaine
« élégance ») de la théorie. Les hypothèses revues et corrigées sont à leur tour confrontées aux
données et ainsi de suite.

D’où deux difficultés pour le linguiste débutant (et même pour le linguiste
confirmé…) :
• cette théorie demande une démarche un peu particulière : il faut accepter, au moins à titre
provisoire, de prendre connaissance des hypothèses de départ et de se familiariser avec les
bases du modèle théorique. Celui-ci forme une sorte de « tout », un peu fermé, dont chaque
partie justifie l’autre. Il faut donc, en quelque sorte, « apprendre les règles du jeu », ce qui
peut se révéler un peu fastidieux. Mais le stade suivant est beaucoup plus gratifiant et
stimulant intellectuellement : en appliquant les règles et les principes, il s’agit de vérifier si
elles expliquent bien les faits, s’il n’existe pas des faits passés sous silence qui contredisent
ces règles, s’il est possible d’ajuster ces règles, de chercher des arguments confirmant ou
infirmant les affirmations des prédécesseurs. Bref, pour certains, il y a un côté ludique dans la
démarche intellectuelle de la GGT.

• en lisant deux articles ou deux livres de grammaire générative écrits à dix ans d’intervalle,
on peut avoir l’impression de ne pas s’y retrouver tant les descriptions et les modèles
d’analyse ont évolué ! On peut schématiquement isoler quatre étapes, auxquelles on donne
des noms pour s’y repérer, dans l’évolution de la théorie générative (La 1ère date correspond à la
publication originale, la 2ème à la traduction française. Les titres peuvent différer un peu entre version d’origine et
traduction, mais nous n’en donnons qu’un à chaque fois pour ne pas surcharger.) :

1/ La théorie standard (TS), développée autour de Structures Syntaxiques (1957/ 1969)


et de Aspects de la théorie syntaxique (1965/ 1971) de Chomsky. Elle définit les grands
principes théoriques qui caractérisent le courant génératif : la grammaire comme système de
règles génératives, la notion de transformation, de structure profonde et de structure de
surface, celle de compétence linguistique, celle d’universaux linguistique, et l’idée que la
théorie doit permettre de départager des grammaires concurrentes en évaluant leur capacité de
description, d’explication, de cohérence interne, etc. Nous expliquerons certaines de ces
notions plus loin.

2/ La théorie standard étendue (TSE), correspondant à Questions de sémantique


(1972/1975), Réflexions sur le langage (1975/1977), Essais sur la forme et le sens
(1977/1980) de Chomsky. Elle prend position sur les liens existant entre syntaxe et
sémantique (objets de débats acharnés, à l’origine d’écoles « dissidentes »…), et affine
l’approche des transformations. Elle propose également une hypothèse générale sur la
structure des syntagmes, la Théorie (ou module) X-barre, qui sera l’objet de ce cours.

3/ La théorie des principes et paramètres, ou théorie du gouvernement et du liage


(abrégée en GB à partir de son nom anglais), autour des Lectures on government and binding
(1981/1991). Elle développe l’idée que les grammaires des diverses langues sont organisées
autour de principes communs, relevant de la part innée du langage Ces principes
appartiennent à ce que la GGT appelle grammaire universelle (GU), le fonds commun de
toutes les langues du monde. Ces principes permettent des latitudes de paramètrage, qui
expliquent les différences d’une langue à l’autre. Par exemple, la définition de la phrase
comme une relation entre un sujet, un verbe et un éventuellement objet appartient à la GU.
Mais l’ordre dans lequel apparaissent le sujet, le verbe et l’objet est un paramètre qui varie
selon les langues (V. B 2) ci-dessous.
Par ailleurs, elle définit la grammaire comme un ensemble de modules contenant des
types de règles concernant divers aspects du fonctionnement linguistique : le module X-barre
régit l’organisation des constituants, le module du gouvernement et du liage, qui a concentré
l’intérêt des chercheurs à cette époque, est un ensemble de règles ou conditions régissant les
relations de coréférence possibles et impossibles, la théorie des rôles thématiques régit le lien
entre les compléments et leur interprétation sémantique, etc. Pour comprendre cette idée que
des zones de la grammaire sont régies par des « modules » différents, on pourrait de façon
imagée la comparer à la manière dont le droit régit le fonctionnement de la société : le code
du travail régit les relations employeurs/employés/état, le code de la route régit la circulation,
le code pénal les crimes et délits touchant certains aspects de la vie, le droit commercial régit
les contrats privés, etc. De même que pour ne pas être « hors-la-loi » l’individu doit respecter
ces différents codes, pour être bien formée, une phrase doit satisfaire les règles de ces
différents modules.

4/ le minimalisme, enfin, issu du Programme minimaliste (1995) est à ce jour moins


une théorie qu’un programme de recherche visant à simplifier et à améliorer le modèle
précédent. Il intègre de façon systématique des informations morphologique (accords divers),
qui jouent un rôle important dans cette étape de la théorie.

Dans ce cours, je ne chercherai pas à faire le tour des problèmes posés par la
grammaire générative, ni à présenter tous les courants qui en sont issus. Je tenterai juste :
– de présenter quelques-uns de ses principes généraux, et les méthodes qui en
découlent ;
– de présenter un aspect de la syntaxe générative (il existe aussi des approches
génératives en phonologie, en morphologie, en sémantique,…). Cet aspect, désigné
sous le nom de « théorie X-barre » ou de « module X-barre », essaie de définir
comment les mots s’organisent entre eux dans la phrase.

Enfin, une remarque : dans ce cours, plusieurs exercices et exemples concerneront des
langues autres que le français. Cela peut surprendre dans un cours de linguistique française. Il
y a à cela deux raisons :
– une raison théorique : la grammaire générative, même si elle est avant tout issue des pays
anglo-saxons, se fixe pour objectif d’élaborer une théorie qui soit valable pour toutes les
langues, moyennant quelques ajustements. Les hypothèses qu’elle fait sur l’organisation des
mots sont supposées être valables quelle que soit la langue, moyennant des variantes
secondaires. Confronter ces hypothèses à diverses langues est conçu comme un moyen de
vérifier et de faire évoluer les hypothèses. Cette méthode et cet objectif (controversés par les
opposants de cette théorie) sont caractéristiques de la GGT : pour vous initier à ce type de
démarche, il est donc nécessaire de les prendre en compte dès le début.
– une raison pédagogique : d’expérience, on s’aperçoit que notre langue maternelle nous est
tellement naturelle que l’on a parfois du mal à l’observer et à l’étudier avec la distance
critique nécessaire. Souvent, en regardant sa langue, on ne « voit » rien ; alors qu’en
observant une langue inconnue, on note des tas de phénomènes étranges… qui parfois existent
aussi dans la nôtre mais passaient inaperçus !
Ne soyez donc pas intimidés par les exercices portant sur des langues « exotiques »
pour vous : ils concernent en général des faits simples (voire simplistes) et sont parfois plus
faciles à faire parce que vous n’êtes pas aveuglés par des préjugés sur ces langues.

A/ Continuités
Même si elle peut être perçue comme une révolution théorique, la GGT reprend sans
les mettre en question de façon explicite ou radicale certains éléments des grammaires
antérieures, qui sont donc des préalables au cours :

La notion traditionnelle de « partie du discours » :


Pour la GGT, avant même de les combiner pour faire des phrases, les locuteurs
« rangent » mentalement les mots dans des classes dotées de propriétés sémantiques et/ou
morphologiques et/ou syntaxiques distinctes : Nom (N), verbes (V), Adjectifs (Adj) etc. (voir
Sessions précédentes). C' est ce que les générativistes appellent le Lexique d'
une langue, qu'
on
pourrait assimiler à un grand dictionnaire mental.
On peut discuter, comme on l’a vu dans les chapitres précédents, sur la définition
exacte de chaque classe, sur les critères essentiels qui permettent de rattacher un mot à une
classe (ex : qu’est-ce qui définit exactement un déterminant ?). Certains mots peuvent, dans la
pratique, poser des problèmes de classement (ex : deux est-il un déterminant ou un adjectif ?).
Ces problèmes de classement peuvent avoir des implications théoriques. Ex : faut-il dire qu’il
y a deux deux homonymes, un déterminant et un adjectif, ou que deux est un même mot
susceptible de changer de classe ? De même, grave est clairement un adjectif dans la plupart
des phrases, comme dans il a eu plusieurs accidents graves, ces décisions sont très graves,…
Mais comment le classer dans Il délire grave ? Dans cette phrase, il commute en effet avec
des adverbes et non des adjectifs, et ne présente pas de variation morphologique : est-ce un
adjectif « utilisé adverbialement », ou a-t-on créé un nouveau mot grave-adverbe à côté de
grave-adjectif ?
Tout cela continue donc à poser des problèmes, mais la notion de classes de mots est
maintenue – elle est, en quelque sorte, jugée suffisamment utile pour être conservée, et les
problèmes sont cantonnés à la marge. On se servira donc de ces notions traditionnelles,
éventuellement ajustées par des approches structuralistes.

Des acquis du structuralisme


L’idée que la langue est un système autonome n’est en fait pas fondamentalement remise en
question. Les manipulations de phrases et les « tests » (dislocation, commutation, etc.) sont
toujours utilisés, pour montrer les différences de comportement entre mots et entre groupes de
mots. Mais l’esprit général dans lequel on les utilise se modifie : ils servent moins à découvrir
des classes ou à trier des données qu’à confirmer ou infirmer des hypothèses. Bref, ces
manipulations ne sont plus le cœur de l’analyse, mais servent d’arguments pour évaluer une
analyse obtenue autrement, de façon plus intuitive et intériorisée. Les hypothèses orientent la
manipulation des données, et non l'
inverse.

La notion de groupe ou syntagme


La grammaire générative conserve l’idée que les mots isolés ne remplissent pas directement
des fonctions dans la phrase, mais se combinent d’abord en groupes intermédiaires, dans
lesquels des éléments complètent un noyau. La différence entre la GGT et d’autres approches,
ou même entre diverses versions successives de la GGT, c’est la manière dont elle considère
que ces groupes sont formés : définir la structure interne des syntagmes est au cœur de la
réflexion syntaxique. Le cours présentera une série d’hypothèses sur cette structure, la
« théorie X-barre ».

B/ Quelques apports fondamentaux de la GGT

Pour présenter ces « innovations » théoriques, je voudrais partir de faits concrets. Un


1er exercice permettra d’illustrer, de manière très simplifiée, la notion de « règle générative »
et celle de « compétence », centrales dans cette théorie. Ensuite, nous passerons à celle de
« principes » et de « paramètres ». Enfin, j’illustrerai celle de « transformation », de
« structure de surface » et de « structure profonde ».

1) Règle, générer, compétence

η oy (songhaï), langue parlée notamment au Mali


EX n°1 : soη

Voici des phrases en soηoy et leur traduction approximative en français :

(1) Ye dey bari (j’achète un cheval)


(2) No neera bari (tu vends un cheval)
(3) Ye dey haw (j’achète une vache)
(4) Aa neera bari (il vend un cheval)
(5) No dey haw (tu achètes une vache)

1) Comment dit-on en songhaï : (a) « je vends un cheval », (b) «il achète une vache », (c) « tu
achètes un cheval » ?
2) Comment avez-vous procédé pour créer ces nouvelles phrases ?
3) Peut-on dire « bari no neera » en soηoy ?

Réponses :
1) (a) ye neera bari, (b) aa dey haw (c) no dey bari

2) Vous avez procédé de plusieurs manières à la fois…


• Par commutation, en comparant (2) et (4), vous avez vu qu’une partie des formes (neera
bari) et une partie du sens (vendre un cheval) restaient constants ; donc en principe « neera
bari » signifie « vendre un cheval » ; en revanche, le changement de forme de « ye » à « aa »
correspond à un changement de sens (de la 1ère à la 2ème personne du sg) ; vous en avez
déduit que « ye » et « aa » correspondent à la personne. Etc. Par commutation, à partir de
« l’input » constitué par les 5 phrases (c’est à dire aux données linguistiques avec lesquelles
vous avez été en contact), vous vous êtes constitué un lexique. C’est à dire que vous avez listé
des paradigmes de formes associant une forme, un sens, et (par analogie avec le français…)
une classe (nom, verbe, marque de personne/ pronom personnel) :
bari : nom signifiant « cheval »
haw : nom signifiant « vache »
dey : verbe signifiant « acheter » etc.

• Ceci, vous l’avez fait uniquement par commutation, en vous basant sur les données à votre
disposition. Mais vous avez également fait autre chose : vous avez fait une hypothèse sur la
structure de la phrase en songhaï. A partir des phrases attestées, vous avez inféré que la phrase
songhaï se formait avec dans l’ordre la personne, puis le verbe, puis le complément. En fait,
vous avez utilisé une règle que l'
on pourrait résumer ainsi :

P (phrase) → S(ujet) + V(erbe) + O(bjet)


(La flèche qui suit P signifie « se réécrit » ou « est formé dans l’ordre de.. »)

C’est en vous appuyant sur cette règle que vous avez pu produire des phrases songhaï que
vous n’aviez jamais rencontrées. Sans cela, vous n’auriez qu’un lexique, une suite de mots,
et vous ne pourriez pas produire de phrase. Pour pouvoir comprendre le fonctionnement d’une
langue, la commutation a ses limites. Elle ne permet que de décrire les énoncés que l’on a
sous les yeux, aussi nombreux soient-ils. Or, pour parler, on ne se contente pas de reproduire
des énoncés, de répéter : on innove, on crée (à l’onfini) de nouveaux énoncés. La règle ci-
dessus est une règle générative : elle permet de générer des phrases nouvelles dans cette
langue, à l’infini.
La règle qui prédit l’ordre du sujet, du verbe et du complément d’objet est une règle
très importante. Pour la GGT, la structure de la phrase est un principe de la grammaire
universelle (v. ci-dessus). Mais l'
ordre des éléments est susceptible de varier selon les langues
: c'
est un paramètre de variation. On s’en sert souvent pour classer les langues du monde : on
parle de langues SVO (Sujet Verbe Objet), comme le français, l’anglais ou l’espagnol, des
langues SOV (ex: le japonais, le turc), VSO (ex: Irlandais, Gallois, Arabe,...), VOS
(Malgache), OVS (Hixkaryana), etc.
Pour la GGT, construire la grammaire d’une langue, c’est trouver un ensemble de
règles de ce type, qui permettent de générer toutes les phrases possibles de cette langue. D’où
le nom de grammaire générative. Un locuteur a pour sa langue maternelle une compétence,
c'est à dire (entre autres) qu'
il dispose d'un système de règles intériorisées ("inconscientes")
lui permettant de produire une infinité de phrases. Le but de la linguistique d' une langue est
d'expliciter cette compétence, donc d' expliciter le système de règles génératives : rendre
conscientes ces règles intériorisées.
3) Vous ne pouvez pas répondre à cette question… Il y a là un savoir que vous ne pouvez pas
déduire de "l’input" : cet ordre des mots n’est pas illustré en (1)-(5), mais cela veut-il dire
qu’il est imposssible dans cette langue ? En analysant juste les données qu’on a sous les yeux,
on ne peut pas répondre : c’est une des critiques que la GGT fait au structuralisme. A vrai
dire, vous avez acquis une certaine compétence en songhaï, mais très incomplète : vous êtes
incapable de dire quelles phrases sont impossibles. Un locuteur natif a, lui, une vraie
compétence dans sa langue : il peut produire toutes les phrases possibles, et sait dire
lesquelles sont impossibles. Il dispose plus ou moins consciemment d’un ensemble de règles
génératives permettant d’engendrer toutes les phrases grammaticales et rien que les phrases
grammaticales de sa langue. Si par inadvertance ou fatigue il produit une phrase
agrammaticale (v. envoi n° 1 pour le sens de ce mot), il sait que c’est une erreur. Une
grammaire générative doit expliciter ces règles ; il faut donc vérifier qu’elles générent bien
toutes les phrases grammaticales, et qu’elles ne permettent pas de générer les phrases
agrammaticales. Comment faire ? Regarder uniquement les phrases effectivement produites
peut montrer qu' une règle est mauvaise parce qu' elle prédit comme impossibles des phrases
réellement produites. Mais par définition un corpus, aussi large soit-il, ne comprend jamais de
phrases impossibles (et il peut ne pas contenir certaines constructions, rares mais possibles) :
comment savoir si ses règles prédisent des choses en fait impossibles ? Pour le savoir, la GGT
opte pour une méthode qui complète l’observation des données qu’il a sous les yeux : le
linguiste doit se fier à son intuition de locuteur (ou à celle d'informateurs s' il ne travaille pas
sur sa langue maternelle) et imaginer si, parmi les phrases que ses règles (ou celles de ses
collègues...) produisent, il y en a de mauvaises. Pour cela, il travaille sur ce qu' on appelle des
"exemples forgés", c' est à dire non des phrases tirées de conversations ou de textes, mais de
son imagination. En fait, les données peuvent prouver qu' une règle est fausse, ou insuffisante,
mais on n' est jamais sûr qu'une règle est vraie...

2) Grammaire Universelle et acquisition


Chomsky part d’un fait surprenant : quelle que soit la complexité plutôt
morphologique ou plutôt syntaxique d’une langue, malgré l’immense diversité des langues, et
malgré un input limité, tous les bébés du monde apprennent à générer des phrases dans leur
langue maternelle quasiment au même rythme. Il en déduit que tous les bébés humains sont
« préprogrammés » pour établir ce type de règles génératives : ils disposent d’une faculté
innée de langage, antérieure à leur contact avec leur(s) langue(s), et distincte d’autres facultés.
En cherchant ce que toutes les langues ont en commun, on établira à quoi correspond
exactement cette « préprogrammation », qu’il appelle grammaire universelle (GU). Les
langues, malgré leur diversité, ne seraient que des variantes possibles de ce fonds commun de
l’humanité. La recherche en grammaire générative inclut donc de façon essentielle la
comparaison des langues. Cette comparaison n' a pas pour but de trouver à plusieurs langues
un ancêtre commun, comme c' est le cas dans d' autres courants linguistiques (comparatisme
diachronique). Elle a pour but de définir les principes de la grammaire universelle "au
présent", indépendamment de l' histoire des langues, et de déterminer les paramètres de
variation. Bref, de trier ce qui appartient au langage, qui est commun à l’humanité (la GU,
innée selon Chomsky) et ce qui n’est que variation « accidentelle ». Elle tente aussi de voir si
certains paramètres de variation semblent corrélés ou pas, afin d' en tirer des hypothèses
théoriques. Ainsi, des langues qui n’ont aucune parenté, comme l’arabe (langue sémitique), le
nahualt (langue amérindienne), le massaï (langue nilotique), l’irlandais (langue celtique) et
d'autres, ont toutes les propriétés suivantes :
- elles autorisent le Verbe en première position dans la phrase ;
- dans certains cas précis, le V peut être en seconde position ;
- les particules interrogatives sont en début de phrase ;
- l’adjectif suit le nom ;
- le « complément de nom » (génitif) est construit sans préposition.
Pour bien faire, il faut chercher à comprendre s’il y a une raison, interne à la langue, qui
explique la convergence de ces différents paramètres.

3) Transformations, DS, SS
Une phrase « simple », comme (1) Paul embrasse Léa, contient, d'un point de vue
syntaxique, un sujet, un verbe et un complément d’objet direct. Elle contient aussi, en
schématisant, un certain nombre d’informations sémantiques (de « sens ») : un individu
nommé Paul effectue une action caractérisée par l’application affectueuse des lèvres , cette
action affectant un autre individu nommé Léa, le tout à un moment du temps correspondant à
celui où je prononce la phrase. Ces informations sémantiques sont associées aux mots
occupant la 1ère, 2ème ou 3ème position dans (1).
Dans les phrases suivantes, le même type de fonctions, et le même type d’informations
sémantiques se retrouvent :
(2) Qui embrasse Léa ?
(3) Léa est embrassée par Paul
(4) Qui Paul embrasse-t-il ?
Elles présentent néanmoins des différences par rapport à (1) :
– en (2), d’un point de vue syntaxique la fonction sujet est occupée par un pronom dit
interrogatif, et d’un point de vue sémantique, l’identité de la « personne embrassante » est
présentée comme non connue du locuteur, qui cherche justement à la connaître.

– en (3), syntaxiquement, l’embrasseur et l’embrassée ont permuté leur positions syntaxiques


par rapport au verbe, l’identité de l’embrasseur est syntaxiquement indiquée par un nom
précédé de la préposition « par », et le verbe a changé de forme ; sémantiquement,
l’information est la même, sauf peut-être que l’attention est attirée sur ce qui arrive à Léa
plutôt que sur ce qui arrive à Paul.

– en (4), c’est la fonction objet qui est occupée par un pronom, et celui-ci est positionné en
tête de phrase (contrairement à l’ordre habituel SVO du français) ; et c’est l’identité de
l’embrassé que le locuteur cherche à connaître. Je passe sous silence l’expression complexe
du sujet.

Pour la grammaire générative, les phrases (1) à (4) impliquent essentiellement les
mêmes fonctions et les mêmes informations, et leur interprétation s’appuie en grande partie
sur des mécanismes apparentés : il faut que la grammaire fasse apparaître ce point commun,
les considère comme une « famille » de phrases. Bien sûr, il faut également qu’elle fasse
apparaître leurs différences.

Pour atteindre ce double objectif, la GGT fait l’hypothèse que la représentation


mentale d’une phrase comporte deux niveaux :
• la structure profonde (abrégée en DS pour deep structure), qui correspond à une
organisation générale typique des phrases régissant le lien entre position des mots et relations
sémantiques entre eux ;
• la structure de surface (abrégé en SS), correspondant, pour simplifier, à l’ordre effectif
dans lequel se présentent les mots. Le passage de la structure profonde (plus abstraite) à la
structure de surface peut se faire, selon les cas, sans changement apparent, comme en (1) ;
dans d’autres cas, il peut se faire , comme en (2), (3) et (4), à l’aide de transformations :
déplacements de mots, effacements, permutations, etc.
Ainsi, ces 4 phrases ont la même structure profonde (un groupe en position sujet indiquant
celui qui agit, un verbe, un groupe objet indiquant qui affecte l’action), ce qui rend compte de
leur parenté. Mais elles n’ont pas la même structure de surface : en (4) par ex., l’objet a été
remplacé par un pronom interrogatif (1ère transformation), qui a été déplacé en tête de phrase
(2ème transformation). En (3), le verbe a été modifié, l' embrassée a été déplacé en position
sujet, l'
embrasseur déplacé en position post-verbale prépositionnelle.
Au moins dans ses 3 premières étapes (TS, TSE, GB), la théorie conserve cette idée.
En revanche, le nombre et le rôle des transformations évolue. Plus la théorie avance, plus le
nombre de transformations qu’elle identifie se réduit, pour se résumer à une seule : « déplacer
un élément » (« déplacer α »), que nous retrouverons dans la suite du cours. Parallèlement, le
rôle attribué aux transformations évolue aussi. Au départ, elles servaient essentiellement à
expliquer la variation des modes et types de phrases (v. plus loin) pour les faire découler des
phrases de base (affirmatives assertives actives neutres). (RQ : Pour les redoublants, c’est
cette version de la théorie qui était utilisée l’an dernier). Aujourd’hui, elles servent de façon
beaucoup plus large, et même les « phrases de base » contiennent des transformations, comme
on le verra : on pourrait dire que les transformations servent aujourd' hui à formaliser les
rapports entre l’organisation sémantique et l’ordre effectif des mots.

4) Phrases agrammaticales
Un des apports fondamentaux de la GGT est donc de prendre en compte non
seulement les phrases possibles, mais également de s' intéresser à ce qui est impossible,
souvent très instructif. Cette démarche est d' ailleurs désormais adoptée même par des
linguistes qui ne travaillent pas dans ce cadre théorique. Les phrases agrammaticales (que l'
on
note précédées d' une étoile) sont donc les phrases que la grammaire intériorisée des locuteurs
natifs exclut.
Comment le sait-on ? Comme on l' a vu plus haut, en se basant sur sa compétence de
locuteur natif, qui inclut des jugements de grammaticalité (= cette phrase est possible/
impossible dans ma langue). Cette méthode pose néanmoins quelques problèmes :
1) on ne teste que son propre idiolecte, c'est à dire sa propre grammaire interne, et c' est
donc elle qu'on décrit. Or, toute langue présente des variantes sociales et régionales, et même
individuelles. De plus, dans certains cas, les jugements sont loin d' être faciles : les exemples
sur lesquels les jugements sont douteux sont notés précédés d' un point d' interrogation. On
constate donc souvent des désaccords entre linguistes sur ce point. Par exemple, certains
locuteurs considèrent comme possible en français la phrase suivante, alors que d' autres non :
Cette chanson, je la lui ai souvent entendu chanter
2) il existe des phrases tout à fait possibles (et effectivement produites par des
locuteurs natifs), mais considérées comme peu élégantes par les puristes. Elles ne sont pas
"agrammaticales" au sens de la GGT, c' est à dire impossibles à produire, mais les puristes
estiment que certaines variétés de langue sont à bannir (il s' agit souvent de tournures
régionales, ou populaires, ou nouvelles) : c'est le cas de malgré que, après que + subjonctif,
j'
ai pas mangé, etc.. A force de "dressage" scolaire, les locuteurs natifs finissent par les
percevoir comme mauvaises, alors même qu’ils les produisent naturellement. A l' extrême, ce
conditionnement peut faire vaciller la compétence : souvent, j’ai entendu des étudiants (ou
même des collègues) affirmer que Il est normal que la lutte se continue ou le sujet dont elle
vient de vous en parler ou le logiciel que j'
ai tapé ça avec n’étaient pas possibles… avant de
produire le même type de phrase dans une conversation trois jours plus tard.

Certains jugements sont très simples ; la notion de compétence semble alors peu utile,
et l'
explication des agrammaticalités évidente. Par exemple, aucune hésitation sur les
jugements de grammaticalité suivants, qu'
il est facile d'
expliquer :
(1) Léa voit Luc (3) *Voit Luc Léa
(2) Elle voit Luc (4) *Léa Luc voit
Pour cela, une règle doit juste fixer les paramètres de variation du français quant à l'
ordre des
mots : P → S + V + O. La règle doit néanmoins être ajustée pour tenir compte des cas où
l'
objet est un pronom personnel, sinon elle génèrerait la phrase agrammaticale (1b) et ne
pourrait pas générer la phrase grammaticale (4b) :
(1b) *Léa voit le
(4b) Léa le voit
La règle devrait donc ressembler à quelque chose comme :
P→ SN/Pronom(sujet) + V + SN(objet)
P→ SN/Pronom(sujet) + Pronom (objet) + V
Ou bien rester identique, une autre règle précisant plus généralement le comportement des
pronoms personnels objets (et si possible, l'
expliquant...).

Mais dans certains cas, la subtilité de notre compétence semble étonnante, et sans la
démarche de la grammaire générative, qui manipule en tous sens les données pour vérifier ses
diverses hypothèses, il n'
est pas évident que l'
on se serait aperçu des différences suivantes :

Pourquoi peut-on dire :


(1) De qui Paul dit-il [que Marie a refusé l’offre] ? (sens : Marie a refusé l’offre de X)
(2) Quel disque Léa croit-elle [que Marie lui offrira] (Marie lui offrira ce disque)
Mais pas :
(3) ?Quel livre Léa a-t-elle la certitude que Marie lui offrira ? (Marie lui offrira ce disque)
(4) *Quel livre que Marie lui offre ferait-il plaisir à Léa (Marie lui offrirait ce livre)

Dans certains cas, la question peut porter sur un élément d’une subordonnée, dans d’autres cas
non. (Et subsidiairement : vous en étiez-vous déjà rendu compte ?)
Pourquoi a-t-on :
(5) *Ili admire Jeani
(6) *Ili admire la mère de Jeani
(7) La mère de Jeani li’admire

! " ! #
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Dans nos exemples, le sens pris en compte est donc celui où "il" désigne Jean.

On pourrait croire que c’est une question d’ordre entre le pronom et son « double » (son
antécédent). Mais alors, pourquoi peut-on dire :
(8) La femme qu’ili aime admire Jeani
(9) Parce qu’ili est en vacances, Jeani est heureux
où le pronom précède son antécédent, comme en (5) et (6) ?

Dans un autre ordre d'


idées, pourquoi peut-on dire :
(10) C’est Marie que Paul a vue (= Paul a vu Marie)
(11) C’est de Marie que Paul a parlé (= Paul a parlé de Marie)
(12) C’est de Marie que Paul a vu la sœur (= Paul a vu la sœur de Marie)
Mais pas :
(13) *C’est de Marie que Paul a parlé à la sœur. (Paul a parlé à la sœur de Marie)

Pourquoi mais
(14) Une voiture arrive Il arrive une voiture
(15) La voiture arrive * Il arrive la voiture
(16) Un oiseau chante * Il chante un oiseau ?

Le cours ne répondra pas à toutes ces questions, mais les réponses qui y ont été
apportées s'
appuient toutes (sauf (14)-(16)) sur la structure de la phrase telle que nous la
verrons dans ce cours.

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