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I. Syntaxe ou Syntaxes?

La syntaxe est la branche de la linguistique qui étudie la façon dont les mots se
combinent entre eux pour former des phrases ou des énoncés dans une langue. Elle
traite de toutes les règles reliées à la construction d’une phrase et ses constituants.
C’est la partie de la grammaire qui décrit les règles par lesquelles se combinent en
phrases les unités significatives, et traite essentiellement les fonctions, se distinguant
ainsi de la morphologie qui étudie les formes et les parties du discours, leurs flexions
et la formation des mots. Les deux disciplines représentent la grammaire.

La syntaxe est l’étude des principes et des processus selon lesquels les phrases
sont construites dans des langues particulières. L’étude syntaxique d’une langue
donnée a pour objet la construction d’une grammaire qui peut être considérée comme
une sorte de mécanisme qui produit les phrases de la langue soumise à analyse.

Les théories linguistiques de la syntaxe sont fondées sur la phrase ; nous citons :
- Martinet qui envisage la langue dans sa fonction de communication, où son objet est
délimité en référence au rôle qu’il joue à l’intérieur de cette fonction. Pour lui, la
syntaxe correspond à « l’étude des « fonctions » des monèmes du discours, c’est-à-dire
des relations qui les unissent et qui permettent à l’auditeur de reconstruire, à partir de
l’énoncé linéaire, l’expérience qui a fait l’objet de la communication. » (A. Martinet,
1973, Eléments de linguistique générale, Paris, Colin : 209) ;

-Guillaume qui situe fondamentalement la syntaxe sous la dépendance de la


morphologie, avec un point de vue radicalement opposé à celui de linguistes tels que
Tesnière ou Chomsky, en cherchant à étudier les relations syntaxiques d’une manière
autonome : ce sont les propriétés internes aux mots qui expliquent les faits
syntaxiques, la théorie syntaxique est subordonnée à la théorie du mot et des parties du
discours;

-Tesnière qui fonde la syntaxe sur la connexion : l’importance de la connexion,


indispensable à l’expression de la pensée est résumée par Lucien Tesnière comme
suit : « Tout mot qui fait partie d’une phrase cesse par lui-même d’être isolé comme
dans le dictionnaire. Entre lui et ses voisins, l’esprit aperçoit des connexions, dont
l’ensemble forme la charpente de la phrase. » (L. Tesnière, 1982, Eléments de syntaxe
structurale, Paris Klincksieck : 11 (1re éd.1959)) ;

-l’analyse en constituants immédiats des distributionnalistes développée par


Chomsky. Dans sa théorie, la composante syntaxique est une structure composée
d’éléments classés, pourvue de sens, accessible à partir de la segmentation et la
substitution d’un échantillon de la langue selon une démarche définie, afin de faire
apparaitre les constituants immédiats avant d’intégrer la composante sémantique en
structure profonde.

Cependant, nous nous intéresserons essentiellement à l’analyse en constituants


immédiats de la phrase.

D’autres approches abordent la phrase comme une unité d’énonciation


s’éloignant ainsi de la syntaxe pour aborder les aspects énonciatifs par l’intermédiaire
de la macrosyntaxe, distinguant ainsi la phrase objet de la syntaxe, de l’énoncé objet
de la macrosyntaxe : la phrase a une existence abstraite puisqu’elle est considérée
comme une unité linguistique de la langue, tandis que l’énoncé est un fait de discours,
il est le résultat d’un acte énonciatif produit par un énonciateur à l’intention d’un co-
énonciateur, en un lieu et à un moment donné avec une intention communicative
déterminée selon un besoin langagier.

II. Les unités d’analyse syntaxique

II.1. L’énoncé

Le terme énoncé désigne toute suite finie de mots d’une langue émise par un ou
plusieurs locuteurs. La clôture de l’énoncé est assurée par une période de silence avant
et après la suite de mots, silence réalisé par les locuteurs. Il peut être formé d’une ou
de plusieurs phrases.

L’énoncé est un événement de parole concret et individuel, il s’agit d’un


discours (ou une partie de discours), tenu par une personne, précédé et suivi d’un
silence et qui n’est pas nécessairement descriptible ou organisé. Il peut donc coïncider
avec le discours lui-même, ou avec une partie de mots, un son isolé, une onomatopée,
une bribe de phrase interrompue, etc. Si deux personnes prononcent la même phrase, il
s’agira de deux énoncés différents (deux événements différents) car un énoncé est « un
fragment de vécu, enraciné dans une situation particulière. Ce n’est pas une unité de
langue abstraite mais de parole, concrète. » (J. Gardes-Tamine, 2010 :10). Ainsi, les
énoncés n’intéressent pas le grammairien sauf dans les cas où ils peuvent être
assimilés à des unités linguistiques, et donc analysables en phrases. L’énoncé est par
conséquent rattaché à l’énonciation : elle est l’événement historique que constitue, par
elle-même, l’apparition d’un énoncé. En d’autres termes, c’est le fait qu’une phrase ait
été réalisée ; il s’agit d’un acte de parole pris en charge par un sujet parlant, le locuteur
(ou l’énonciateur) dans une situation précise, acte de parole qui aboutit à la production
d’un énoncé. La différence entre énoncé et énonciation se remarque dès qu’on réfléchit
à l’ambiguïté d’une expression comme : « son appel téléphonique m’a étonné » :

- est ce le discours même de l’appel téléphonique que j’ai trouvé étonnant, les énoncés
dont il est composé, et qui contenait des indications surprenantes ? Ou

- ai-je été étonné par le fait que cet appel me soit adressé à moi, soit que mon
interlocuteur n’a pas l’habitude de m’appeler ou n’a pas mon numéro de téléphone, ou
que je reçoive des appels de sa part d’une autre nature ? Dans ce cas, c’est
l’énonciation qui m’a surpris et non l’énoncé.

Nous pouvons donc définir l’énonciation en disant que tout énoncé suppose un ancrage
pragmatique, c’est-à dire une insertion dans la réalité extralinguistique : tout énoncé
est produit par un sujet parlant (celui qui dit « je ») à un moment particulier, qui
constitue son présent, « maintenant », et dans un lieu donné, « ici ». Ces coordonnées
spatio-temporelles sont appelées deixis ou embrayeurs.

Les embrayeurs (« moi », « ici », « maintenant ») réfléchissent l’acte d’énonciation.il


s’agit des pronoms personnels de 1re et 2ème personne : je et tu et leurs variantes (nous
et vous) dont la signification est pour je, celui qui parle ; et pour tu, celui à qui je
s’adresse (je = l’énonciateur ; tu = co-énonciateur). Nous et vous constituent des
pluriel : nous pouvant représenter je + tu ou je + il, et vous pouvant représenter tu + tu
ou tu + il. Les possessifs déterminants et pronoms, de 1re et 2éme personnes, ne
s’interprètent également qu’en fonction de la situation d’énonciation, ainsi mon livre =
le livre de moi. A part l’expression de la personne (je / moi), d’autres éléments ancrent
le discours dans la situation, en référence à l’espace (ici) et au temps (maintenant) où
la marque temporelle de présent ne peut s’interpréter que comme référence au moment
de l’énonciation. Par rapport à ces trois données « moi- ici- maintenant » s’organise
l’ensemble des phénomènes de repérage. Toute langue comporte ainsi des éléments
qu’E. Benveniste appelle « « l’appareil formel de l’énonciation », qui permettent à
chacun de « prendre la parole » en se situant comme locuteur. Ce « je » renvoie à toute
personne qui parle, celle qui dira « je », quelqu’un d’autre parle et il dira aussi « je » le
1er locuteur étant devenu « tu », puis « je » et « tu » s’inverse dans des interactions
quand le 1er parle à nouveau. Ainsi « je » et « tu » ne renvoient ni à un concept, ni a un
individu » (E. Benveniste, Eléments de linguistique générale, 1966 :261) mais
permettent à chacun de se poser comme sujet dans le discours en relation avec un
destinataire. Les temps verbal « présent » est bien l’axe du repérage dans la
temporalité ; par exemple, l’emploi des temps ne se comprend pas sans référence au
présent du locuteur par rapport auquel il définit des époques passées et futures. Et c’est
ainsi que s’effectue la mise en relation avec l’extra-linguistique grâce à ces
embrayeurs.

En linguistique distributionnelle, l’énoncé est un segment de la chaîne parlée de


longueur indéterminée, mais délimité nettement par des marques formelles : prise de
parole d’un locuteur suivant un silence durable ou la cessation de parole d’un autre
locuteur, cessation de parole suivie de la prise de parole d’un autre locuteur ou d’un
silence durable. Ainsi dans l’échange de mots : (1) as-tu pris ta voiture ? (2) –Oui, (3)
Dépose-moi s’il te plait, la mienne est chez le mécanicien, (4) D’accord sans
problème. Cependant un discours indéterminé de quelques heures est un énoncé.
II.2. La phrase

A la différence de l’énoncé, la phrase représente l’unité de description


grammaticale, elle constitue l’unité maximale en linguistique structurale. C’est la plus
grande unité, celle qui inclut toutes les autres, sans être elle-même incluse dans une
unité supérieure. Les phrases sont des unités textuelles autonomes qui s’enchainent
pour produire le discours. Cependant il n’existe aucune procédure linguistique de
segmentation d’un discours en phrases ; pas plus que de combinaison de phrases en
discours ; en particulier entre les différentes phrases d’un texte ou d’un discours oral.

On peut caractériser une phrase par un certain nombre de traits :

- des caractéristiques prosodiques telles que l’intonation et la pause : ainsi, une phrase
de base se caractérise par un contour mélodique montant suivi d’un contour
descendant conclusif, puis d’une pause. Ces facteurs correspondent sur le plan
graphique à la présence d’une ponctuation forte comme le point (Gardes-Tamine).
Cependant, les schémas intonatifs et les signes de ponctuation ne permettent pas de
définir la phrase mais servent plutôt à en signaler les limites (C. Blanche-Benveniste,
2010), c’est le cas de la phrase graphique qui n’est pas forcément la phrase syntaxique.
Nous pourrons penser qu’une correspondance existe entre les marques de la
ponctuation et celles de l’intonation, mais lorsque l’intervention s’effectue sur l’oral
(C. Blanche-Benveniste, 2010), ce qui est constaté est qu’une intonation montante
n’est pas réalisée pour segmenter le thème du rhème mais afin de signaler plutôt que le
sujet-locuteur n’a pas fini de parler (Morel). Ainsi, l’intonation intervient sur l’apport
informatif de la phrase plus que sur sa structure syntaxique. (Le Goffic). Ce qui définit
la phrase ce sont les opérations utilisées dans l’analyse syntaxique, nous citons : les
commutations ou les substitutions, les déplacements et l’adjonction d’éléments que
nous développerons lorsque nous aborderons les constituants de la phrase.

- des caractéristiques syntaxiques : de ce point de vue, une phrase est une unité
autonome ce qui signifie qu’elle n’entretient pas de relation de dépendance avec son
entourage. Ainsi dans : Le petit garçon qui pleure est tombé de vélo ; qui pleure ne
saurait constituer une phrase, car il dépend de le petit garçon, tandis que l’ensemble
forme un tout qui ne dépend de rien. Une phrase est ainsi la concaténation ou une
succession d’unités linguistiques d’un rang, ou d’un niveau inférieur, liées entre elles
par des contraintes, telles que l’accord ou l’ordre. Dans la phrase : l’enfant mange une
pomme, nous notons des contraintes d’accord qui s’exercent entre enfant et l’article l’,
entre l’enfant et joue, et des contraintes d’ordre qui font que l’article précède
obligatoirement le substantif et le groupe sujet, le verbe. Les éléments qui composent
la phrase se combinent en phrase simple ou phrase complexe formée de plusieurs
propositions et classées selon la nature de ces propositions ; il s’agit essentiellement de
suites de places, des schémas, qui sont remplies par des éléments du lexique qui
permettent d’en faire des énoncés. Et c’est parce que les schémas sont descriptibles et
en nombre fini que la phrase peut être considérée comme une unité de la description
linguistique. Ces schémas sont :

Sujet Verbe

Sujet Verbe Attribut

Sujet Verbe Complément

Sujet Verbe Que Sujet Verbe

- des caractéristiques sémantiques : on dit généralement qu’une phrase constitue une


unité de sens. Ainsi l’énoncé : Le désert, le désert... ne formant pas une unité de sens
immédiatement compréhensible sans recours à la situation extralinguistique (situation
d’énonciation), ne pourra pas être ramené à une phrase verbale mais à une phrase non
verbale actualisée par l’énonciation.

- des caractéristiques énonciatifs : d’un point de vue énonciatif, la phrase peut avoir
deux envisageassions, la première est liée à la langue, et la seconde au discours.
Lorsque la phrase est liée à la langue, elle est définit par le syntagme sujet, thème et le
syntagme prédicat, rhème, mais lorsqu’elle est liée au discours, elle est considérée
comme prédicat du discours.

Sen effet, selon Benveniste, la phrase n’est pas définie que par des éléments qui la
constituent, à savoir la structure formelle, mais aussi par des relations entre les
éléments. La démarche adoptée pour la définir va des formes au sens : les opérations
qui permettent l’identification de ces éléments sont la segmentation et la substitution
et celle qui permettent d’aboutir aux relations entre ces éléments sont la distribution et
l’intégration : « Le grand changement survenu en linguistique tient précisément en
ceci : on a reconnu que la langage devait être décrit comme une structure formelle,
mais que cette description exigeait au préalable l’établissement de procédures et de
critères adéquats, et qu’en somme, la réalité de l’objet n’était pas séparable de la
méthode propre à le définir. » (E. Benveniste, 1964 repris dans Benveniste, Eléments
de linguistique générale, 1966 :119)

L’identification des éléments et des relations entre ces éléments font intervenir la
notion de niveau qui va permettre d’assigner un rôle à la notion de groupe ou de
constituant : « Entre les éléments de même niveau, les relations sont distributionnelle ;
entre éléments de niveau différents, elles sont intégratives. » (Idem. :124), permettant
ainsi d’articuler forme et sens : « La forme d’une unité linguistique se définit comme
sa capacité à se dissocier en constituants de niveau inférieur. Le sens d’une unité
linguistique se définit comme sa capacité d’intégrer une unité de niveau supérieur. »
(Idem. :126-127). Cela est sémantiquement restrictif dans la mesure où la notion de
sens ne reçoit que la propriété conjointe de la forme à l’intérieur du signe et capacité
signifiante. Autrement dit, il ne faut pas restreindre le sens d’une unité formelle au
sens des éléments constituant cette unité à l’intérieur d’une suite décomposable,
puisque ce qui importe c’est de savoir si une unité ou un élément a un sens et non de
savoir quel est ce sens (Idem : 127) : le sens est lié à l’énonciation et au contexte.

La réflexion de Benveniste sur la définition de la phrase se résume en deux points


essentiels :

- la phrase constitue la limite supérieure du système des signes, ne se définissant que


par ses constituants. Elle ne se réduit cependant pas à cet aspect constructionnel :
« Une phrase constitue un tout, qui ne se réduit pas à la somme de ses parties ; le sens
inhérent à ce tout est réparti sur l’ensemble des constituants. » (Idem : 123) ;
- du point de vue de la structure interne, la phrase est construite par intégration
successive, niveau par niveau, des unités-signes, en particulier des mots et des groupes
de mots formant des constituants. Mais d’un autre point de vue, la phrase n’est pas une
classe formelle, car elle ne peut fonctionner comme unité s’intégrant dans une unité
plus large. Elle est l’unité du discours, propriété liée à son caractère distinctif, d’être
un prédicat, et donc de pouvoir référer et de pouvoir signaler par la modalité quel
comportement l’énonciateur adopte face à son co-énonciateur.

Charles Bally donne à la modalisation et à la visée interactive une place centrale pour
l’analyse d’une phrase, et pour ce faire propose deux principes :

- le principe d’organisation communicatif ou psychologique, fondé sur le


conditionnement réciproque du thème et du propos (rhème) en une relation binaire
entre le thème déterminé et le propos déterminant, quelque soit la place que les deux
termes occupent dans la structure phrastique ;

- le principe d’actualisation : tout terme de la phrase doit être actualisé pour que la
langue passe dans la parole (ou le discours) (CH. Bally, Linguistique générale et
linguistique française, 1965)

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