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Pragmatique (linguistique)
La pragmatique est une branche de la linguistique qui s'intéresse aux éléments du langage dont
la signification ne peut être comprise qu'en connaissant le contexte de leur emploi.

Introduction
La pragmatique est née au xixe siècle aux États-Unis mais elle a commencé à se développer surtout
après la Seconde Guerre mondiale. Dès le xixe siècle, plusieurs penseurs [Lesquels ?], s’appuyant sur
le "scepticisme spéculatif (https://www.cnrtl.fr/definition/logicienne)" de la réalité, ont soutenu
l’idée que la pensée ne saurait jamais aller au-delà d’une connaissance pratique.

Sur cette base, William James (1842-1910) a développé une doctrine qu’il a appelée pragmatique
(du grec pragma « action »). Son ami Charles S. Peirce (1834-1914) a, lui, employé le terme voisin
de pragmaticisme, et il a mis l’accent sur l’activité sémiotique de l’homme, donc sur l’emploi des
signes. Tout naturellement, sa réflexion a rencontré les signes linguistiques et leur emploi.

Objet de la pragmatique linguistique

La pragmatique s'intéresse ainsi d'un côté aux phénomènes de dépendances contextuelles propres
aux termes indexicaux, c'est-à-dire ceux qui, comme je, ici ou maintenant, ont leur référence
déterminée par des paramètres liés au contexte d'énonciation (voir notamment les travaux du
philosophe et logicien californien David Kaplan), ainsi qu'aux phénomènes de présupposition.

D'un autre côté, elle vise aussi parfois à faire une théorie des inférences que l'on tire des énoncés
linguistiques sur la base de nos connaissances générales sur le monde et d'hypothèses sur les
intentions des locuteurs. Elle s'appuie en particulier sur la distinction introduite par le philosophe
américain Paul Grice entre le sens pour le locuteur et le sens proprement linguistique des
énoncés. En France, à peu près à la même époque, Oswald Ducrot (Dire et ne pas dire, 1972)
développait des idées comparables. Dan Sperber, philosophe et anthropologue français, et Deirdre
Wilson, linguiste britannique, ont développé à partir de ces idées une théorie pragmatique générale,
connue sous le nom de théorie de la pertinence.

Les principaux travaux d'Oswald Ducrot portent d'une part sur la présupposition, c'est-à-dire sur
le fait que certaines expressions linguistiques, pour être utilisées de manière appropriée, requièrent
que les locuteurs partagent certaines croyances (par exemple, pour pouvoir comprendre de
manière appropriée « Paul aussi est venu », il faut que l'ensemble des participants à la conversation
partagent la croyance que quelqu'un d'autre que Paul est venu). D'autre part, Ducrot s'est intéressé
à la façon dont certains énoncés véhiculent, au-delà de leur signification littérale, certaines
informations implicites. La pragmatique est envisagée par d'autres théoriciens comme une science
de la communication (comme par le linguiste suisse Jacques Moeschler et Anne Reboul, La
pragmatique aujourd'hui, 1998).

Dans cette perspective élargie, elle étudie l'usage du langage dans la communication et dans la
connaissance.

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Largement tributaire du cognitivisme, la pragmatique élargie considère les mécanismes inférentiels


dans la connaissance, la construction des concepts, l'usage non littéral du langage, l'intentionnalité
dans l'argumentation, etc.

C'est, par exemple, le cas de l'approche pragmatique en psychologie qui s'intéresse à l'étude des
processus cognitifs et psychologiques en jeu dans les interactions langagières en partant du principe
que la conversation, en tant que lieu naturel d'expression des comportements, constitue un cadre
d'observation privilégié de l'intrication du cognitif et du social où l'on peut espérer observer
certaines heuristiques cognitives spécifiques de la gestion des mécanismes de coopération. De
même, de plus en plus de chercheurs considèrent dorénavant que l'analyse conversationnelle, telle
qu'elle est réalisée par l'approche pragmatique en psychologie, est déterminante en matière de
psychopathologie scientifique dans la mesure où elle contribue à l'explication de certains processus
mentaux, en partie infra-intentionnels, qui sont activés par les sujets communicants.

La pragmatique peut être envisagée de deux points de vue :

1. Une pragmatique qui s'occupe de l'influence et des conséquences du langage sur le contexte
1
(extralinguistique) – optique proche de celle d'Austin (comment modifier le monde en disant
quelque chose / comment agir sur le monde en disant quelque chose).
2. Une pragmatique qui s'occupe plutôt de l'influence et des conséquences du contexte sur le
langage (dans quelle mesure ce qui est dit dépend des circonstances dans lesquelles cela est
dit). Cette deuxième perspective permet également de rendre compte de ce que l'on appelle la
« communication non verbale » (distincte des comportements non verbaux (cf. Jean Corrase)
[réf. nécessaire].

Contexte et cotexte

Deux notions sont à distinguer en pragmatique : Le contexte et le cotexte (ou co-texte).

Le contexte englobe tout ce qui est extérieur du langage et qui, pourtant, fait partie d'une situation
d'énonciation. Dans le cadre du contexte, on englobe tous les éléments comme le cadre spatio-
temporel, l'âge, le sexe des/du locuteur(s), le moment d'énonciation, le statut social des
énonciateurs etc. Nombre de ces marques contextuelles sont inscrites dans le discours, et font
intégralement partie de la déixis. Ce sont, comme on les appelle, des déictiques. En tout, nous
pouvons énumérer cinq types de déictiques

1. Déictiques personnels: ce sont des outils de grammaticalisation des marques de personne dans
une situation d'énonciation correspondant aux participants. Nous pouvons placer dans cette
catégorie les déictiques « je », « tu », « nous », « vous » et « on ». Pour ce dernier, peu importe le
fait qu'il n'est pas covalent avec un emploi de la troisième personne car il peut englober aussi
bien des référents qui, en discours « défini », prendraient les marques de la première et de la
deuxième personne du pluriel et/ou du singulier.
2. Déictiques temporels: ce sont des marqueurs de temps qui situent l'énoncé par rapport au
moment de l'énonciation. (Exemples : « aujourd'hui », « il y a trois jours », « cet automne »).
3. Déictiques spatiaux : ce sont des marqueurs de lieu qui situent l'énoncé par rapport au moment
de l'énonciation. (Exemples : « ici », « là ».)
4. Déictiques discursifs : Quelques exemples : « ça, ci-dessus, ledit citoyen, cette histoire, par la
présente, dans le développement subséquent, ce dont au sujet duquel j't'avons causé hier
2
soir » .
5. Déictiques sociaux (en relation étroite avec les déictiques de la personne): Quelques exemples :
« votre altesse, mon cher collègue, la grande bonté dont votre excellence a su faire preuve en
3
de semblables circonstances » .

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Outre ces déictiques, on peut aussi citer les implicatures conversationnelles, lorsque la signification
d'un énoncé dépend de quelque chose qui est impliqué par le contexte (et non simplement
présupposé par l'énoncé lui-même).

Littéralement, cotexte signifie le texte autour d'un énoncé. D'un point de vue cognitif et
conversationnel, le cotexte peut être défini comme l'interprétation des énoncés immédiatement
précédents, servant ainsi de prémisse à la production d'un énoncé donné. Les phénomènes
cotextuels renvoient pour leur part aux liens des différents énoncés entre eux (cohésion,
anaphore…).

Méthode de la pragmatique

Le statut du sens

La linguistique, étant une « science empirique » qui s’occupe des faits fournis par l’expérience, se
définit par :

la partie de la réalité qu’elle étudie, à savoir le langage articulé des êtres humains ;
les connaissances scientifiques qu’on a sur ce domaine ;
les méthodes permettant de construire ces connaissances scientifiques, puis de les apprécier,
c’est-à-dire de déceler leurs qualités et leurs insuffisances.

On peut suivre Saussure, et bien d’autres linguistes, quand ils disent que le langage comporte deux
faces  : l’une - le signifiant - constituée de sons ou de lettres, ou alors de signes (cas des langues
signées, employées surtout par les personnes sourdes), et qualifiée de "physique" parce qu’elle est
perçue par les organes sensoriels que sont l’ouïe et la vue (le toucher pour l’alphabet Braille des
non-voyants) ; l’autre, le signifié - la face sémantique, qui siège dans l’esprit des usagers et qui n’est
pas "physiquement" communicable. La sémantique est constituée socialement par l'usage.

Concrètement, les énoncés, qu’ils soient oraux, écrits ou gestuels, sont d'abord des objets
physiques. Quand on dit qu’ils ‘ont’ un sens, on utilise le verbe ‘avoir’ avec une valeur figurée. En
fait, ‘les usagers leur attribuent un sens qu’ils construisent chacun pour sa part dans son esprit’ à
partir des usages qu'ils ont précédemment rencontrés. En conséquence, d’un individu à l’autre, les
sens affectés au même énoncé ne peuvent pas coïncider à tous les coups. Il arrive que le locuteur et
l’auditeur lui donnent des sens différents, c'est le quiproquo. Toutefois, l'intercompréhension est la
règle, le quiproquo l'exception. Il demeure donc tout à fait exact que les énoncés sont porteurs de
sens et que l'usage social du langage vise à l’unité du sens, bien que les énoncés ne le contiennent
pas. Le sens fait partie des phénomènes "psychologiques", ce qui implique que son étude est
commune à la psychologie.

Difficultés de méthode en sémantique

Malheureusement, les phénomènes psychologiques ne sont pas, ou pas encore, directement


accessibles aux disciplines scientifiques dans leur état actuel. Les techniques dont elles disposent
restent mal adaptées à cet objet. C’est pourquoi le grand problème auquel se heurtent les linguistes
est bien celui du sens, partie du langage dont traite la sémantique. Les insuffisances que le linguiste
américain Leonard Bloomfield (1887-1949) et ses disciples ont relevées dans cette discipline il y a
plus de cinquante ans, n’ont toujours pas été éliminées.

En sémantique, on en est en effet réduit à tenir un discours sur le sens, avec cette difficulté
supplémentaire, propre à toutes les spécialités de la linguistique, que, ce faisant, on se sert du
langage pour décrire le langage. De fait, à peu près tous les exemples de l’acte de langage
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constituent des « expériences mentales », dites encore « expériences imaginaires ». Cela veut dire
que nous fabriquons des énoncés, que nous leur prêtons des interprétations, que nous leur
inventons des réponses pour confirmer ces interprétations. Cette façon de procéder peut apparaître
peu scientifique. En physique, où on ne peut se contenter d’imaginer des expériences, mais où on
doit les réaliser à l’aide d’appareils, elle serait condamnée sans appel, comme totalement dépourvue
d’objectivité. Mais en linguistique, comme dans d’autres sciences humaines, on ne peut jamais
l’éviter complètement  : l’aspect sémantique des faits étant, pour l’instant, inaccessible aux
"procédés d'objectivation et d’enregistrement", on est bien obligé de décrire l'expérience
verbalement  ; ou alors il faudrait ne pas en tenir compte, ce qui amputerait, d’une de ses parties
majeures, le domaine étudié.

La seule amélioration qu’on puisse exiger consisterait à rechercher les énoncés et leurs réponses
dans la réalité, au lieu de les imaginer. C’est du reste une pratique courante dans certains secteurs
de la linguistique, par exemple en sociolinguistique, où on se livre à des enquêtes et à des
enregistrements «  sur le terrain  ». Mais elle ne dispense pas ensuite des interprétations
"subjectives". Dans le cadre présent, son bénéfice serait mince. L’expérience montre qu’il faut un
énorme travail pour collecter suffisamment de données, avec des résultats qui ne sont pas toujours
à la mesure des efforts consentis. Aussi les pragmaticiens inventent-ils leurs exemples, ou bien les
empruntent-ils à leurs prédécesseurs. Les enquêtes de terrain sont reléguées à plus tard, lorsque
les expériences purement mentales sembleront avoir épuisé leur fécondité.

Au total, le spécialiste prend comme appui sa propre compétence d’usager du langage, son aptitude
à comprendre les énoncés qu’il étudie. La seule autre garantie qu’il ait, c’est l’assentiment de ses
lecteurs, surtout des autres spécialistes, sur les analyses qu’il propose. Mais eux aussi accordent ou
refusent cet assentiment en fonction de leur « sentiment linguistique » d’usagers. Au fond, on ne va
pas au-delà d’une coïncidence de subjectivité. Telle est à ce jour la condition du linguiste.

L’illusion descriptive

Le terme de sémantique n’a pas plus d’un siècle, mais presque de tout temps, on a fait de la
sémantique sans le savoir, chaque fois qu’on a privilégié (à vrai dire presque toujours, mais pour
des raisons diverses), un des aspects du sens : le sens appelé descriptif (ou encore constatif), c’est-
à-dire le sens donné à un énoncé quand le locuteur a pour but de décrire « un état de choses », une
partie de la réalité. On savait bien qu’à une telle fonction du langage, appelée souvent assertive, il
fallait opposer le langage dit « actif », mais celui-ci paraissait tout à fait secondaire.

Or, il arrive couramment que le sens ne soit pas, ou pas complètement, du type descriptif.
Supposons l’énoncé : Son exposé a la note 12. Si c’est un étudiant qui parle d’un camarade, il s’agit
bien d’une description de la note attribuée par un professeur à l’exposé. Mais si la phrase est
incluse dans un roman, il n’y a en réalité aucun exposé et aucune note  ; le monde qu’elle «  fait
mine » de décrire est purement imaginaire, et ni l’auteur ni les lecteurs ne sont dupes. Enfin si celui
qui parle ainsi est un examinateur en train d’apprécier l’exposé dans un jury, il fixe la note du fait
même qu’il prononce la phrase. Rien pourtant dans la lettre de l’énoncé ne nous indique de quel
sens il s’agit ; c’est à l’usager de le deviner.

On voit quelle est la variété des sens possibles pour une même phrase. Le sens descriptif est très
fréquent, absolument essentiel, mais il ne bénéficie d’aucune exclusivité. Croire qu’il est le seul, ou
le seul important, c’est tomber dans ce qui s’appelle l’illusion descriptive. Le langage n’est pas
seulement, comme on dit, vériconditionnel, c’est-à-dire visant à être « vrai » en décrivant la réalité
telle qu’elle est ou telle qu’on croit qu’elle est. Il comporte d’autres sortes de sens, auxquels la

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notion de vérité ne s'applique pas, il sert à autre chose. Au lieu de se borner à reproduire la réalité,
il permet notamment d’agir sur elle, et en premier lieu sur l’interlocuteur (qui fait partie lui-même
de la réalité !).

Le meneur de jeu dans le langage

Énoncé et énonciation

Parmi les linguistes français, Émile Benveniste (1902-1976) paraît avoir été le premier à relever
systématiquement dans ses articles des faits analogues à ceux que d’autres ont, à la même époque
ou plus tard, rangés sous la rubrique « pragmatique ». On lui attribue tout du moins et avec raison,
le mérite d’avoir clairement séparé l’énoncé et l’énonciation et d'avoir souligné l’intérêt d’étudier
cette dernière.

Utilisons une métaphore éclairante  : dans la fabrication des objets, on ne doit pas confondre la
production, le produit, son utilisation, sans compter le(s) producteur(s) et le(s) utilisateur(s). De
même, à propos du langage, il convient de distinguer l’acte par lequel on produit un énoncé, l’énoncé
lui-même (« matériel » puisqu’on peut l’enregistrer), l’acte par lequel on le comprend, mais aussi
l’énonciateur qui le produit, le ou les destinataires qui le comprennent. La comparaison avec la
fabrication des objets matériels s’arrête là, car l’activité langagière comporte l’affectation de sens
dont nous avons parlé et à quoi rien ne correspond dans les domaines non sémiotiques.

La deixis

Saussure avait déjà proposé un « circuit de la parole » et Roman Jakobson, bien plus récemment,
un schéma de la communication linguistique. Ce dernier avait en outre souligné l’importance
d’éléments qu’on retrouve pratiquement dans tous les systèmes linguistiques, qu’on peut donc
tenir pour des « universaux » du langage et dont le fonctionnement sémantique est inséparable de
la situation d’énonciation. Il les a dénommés « embrayeurs » (en anglais shifters), terme auquel on
préfère souvent aujourd’hui une appellation empruntée à Peirce, celle de «  déictiques  ». Ainsi les
pronoms personnels, objet d’une étude souvent citée de Benveniste, sont à ranger parmi les
déictiques.

Déictique est l’adjectif correspondant à deixis, qui signifie en grec l'«  action de montrer  ». Elle
s’applique à une famille d’opérations sémantiques inséparables de la situation où l’énoncé est
produit, donc de l’énonciation. Supposons qu’en réponse à une invitation, j’accepte en prononçant le
très court énoncé : « J’irai ». On y trouve deux éléments déictiques. Le plus apparent est le pronom
personnel je (repris d’ailleurs par la désinence verbale -ai, du fait que le verbe, en français,
s’accorde avec son sujet). Pour savoir qui est désigné par je, pour identifier cette «  première
personne », il faut savoir qui prononce l’énoncé. Or ce renseignement est normalement fourni par la
situation d’énonciation  : l’auditeur entend et généralement (mais pas dans l’obscurité ni au
téléphone !) voit la personne qui parle ; elle lui est ainsi « montrée » par la situation, d’où le terme
de deixis. Le déictique je invite donc l’auditeur à compléter le sens en se reportant à la situation.
Pour comprendre, on a en effet besoin d’une indication que les mots de l’énoncé ne fournissent pas.
Quant au second déictique de l’énoncé, c’est tout simplement le morphème de futur -r-. Par lui-
même, il veut dire que le procès signifié par le verbe aura lieu dans l’avenir. Mais l’avenir est une
notion relative. Il suppose un moment donné après lequel il est situé. Quel est ce moment donné ?
Là encore, il est précisé par la situation d’énonciation  : il s’agit du moment «  présent  », qui est
l’instant où l’énonciateur est en train de parler. Mais nous y sommes tellement habitués que nous
n’en prenons plus conscience et que l’avenir comme le présent ou le passé nous paraissent des
notions allant de soi.

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Quand la situation d’énonciation n’est pas connue, il faut, sinon renoncer tout à fait aux déictiques,
du moins les préciser par des renseignements objectifs, par exemple, dans un écrit, en fournissant
la date et en signant, de manière à permettre au lecteur de localiser le présent et d’identifier la
personne désignée par je. Le contexte sert alors de situation, ce qui explique que certains
déictiques, comme les démonstratifs (ce, etc.), peuvent indifféremment servir à montrer ce qu’on a
sous les yeux dans la réalité (« Où conduit cette route ? ») ou à renvoyer à des mots du contexte
(« J’ai eu un coup de téléphone de Pierre ; ce vieil ami m’a donné de bonnes nouvelles »). Dans le
second cas, on parle communément d’emploi anaphorique.

Très schématiquement, on peut dire que tout locuteur, en prenant la parole, établit un ensemble de
trois coordonnées (ego - nunc - hic, dit-on avec des mots latins) liées à la situation d’énonciation et
manifestées par les déictiques. Il fixe ainsi :

un repère subjectif, la « première personne », le je (ego en latin), par rapport auquel se


déterminent d’une part la « deuxième personne », c’est-à-dire le destinataire de l’énoncé, donc
tu (ou vous), d’autre part le reste, ce ou ceux qui ne participent pas au dialogue, mais dont on
parle, la « troisième personne » (la personne absente, disent les grammaires arabes) ;
un repère temporel, le maintenant (nunc en latin), moment de l’énonciation, soit un présent
avant et après lequel se situent respectivement le passé et l’avenir ;
un repère spatial, le ici (hic en latin), c’est-à-dire l’endroit où se trouve l’énonciateur, ce qui
permet de définir la proximité et l’éloignement.

L’énonciateur

Ainsi s’établit une sorte de hiérarchie fonctionnelle, où l’énonciateur bénéficie sur le destinataire
d’un privilège très net. L’énonciateur a en effet, au moins momentanément (tant qu’il a la parole),
l’initiative  ; le destinataire ne peut qu’essayer de le suivre. Une analyse attentive fait d’ailleurs
apparaître l’importance qu’a dans le langage la «  subjectivité  », c’est-à-dire le rôle qui revient au
sujet parlant (où écrivant) : non seulement, comme on vient de le voir, il occupe grammaticalement
un rôle central, mais encore c’est lui qui infléchit le cours du dialogue, choisit ce qui est dit et la
façon de le dire, peut donner ses jugement, pourtant personnels, comme des évidences, tend ou
détend l’atmosphère, etc. Cet avantage l’autorise même, quand il est à court d’arguments valables,
à en invoquer un qui est au fond absurde, mais qui révèle bien une dominance provisoire  :
«  Puisque je te le dis…  » On comprend que l’interlocuteur ait intérêt à ne pas demeurer trop
longtemps dans la condition d’auditeur et à prendre lui-même à son tour la parole. Celui qui reste
trop souvent muet a vite conscience de son état d’infériorité.

Cependant, qui est je ? Cette question paraît comporter une réponse évidente, mais ce n’est pas le
cas. Voyons en effet qui je peut désigner en dehors du sujet parlant. On passera rapidement sur
certains cas souvent évoqués comme le discours rapporté au style direct. Rapportant ou faisant
comme s’il rapportait les paroles d’autrui, le locuteur peut répéter le je de cette tierce personne ; on
a alors une citation ou mention, que l’usage à l’écrit est de mettre entre guillemets (Il m’a dit : « Je
viendrai  », exemple où les deux pronoms de première personne me et je ne visent pas le même
individu, mais où il et je ont même référence). Moins connu et pourtant usuel est ce qu'on peut
appeler le « discours anticipé », où le locuteur formule par avance les paroles que son auditeur doit
prononcer. Ainsi un président de tribunal invitera en ces termes chaque témoin à prêter serment :
Dites : « Je le jure ». Il peut encore arriver qu’on s’adresse à un indiscret en lui disant De quoi je
me mêle ?, ce qui constitue une sorte d’agression verbale, où l'on s’empare illégitimement, sinon du
moi d’autrui, au moins du déictique le désignant.

En fait, je renvoie aussi à l’énonciateur et, malgré les apparences, ce terme d’énonciateur, avec
lequel le terme de locuteur (ou de scripteur) a l’air de faire double emploi, ne désigne pas toujours
la même personne que lui. L’énonciateur est le responsable du discours tenu, bien plutôt que le

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sujet parlant ou écrivant. C’est seulement dans la mesure où le plus souvent le responsable et le
locuteur effectif s’identifient que cette double référence de je ne pose pas de problème. D’autre
part, on devra éviter la confusion entre la notion linguistique de « sujet parlant », ou de subjectivité,
et la notion philosophique ou psychologique de « sujet », même si, au moment de l’apprentissage
du langage, l’assimilation du système déictique contribue sans aucun doute à la constitution du sujet
psychologique.

Il faut donc être conscient des difficultés que soulève la notion d’énonciation. Il arrive, plus souvent
qu’on ne pourrait le croire, que l’énonciateur soit incertain ou même multiple. Il est incertain, par
exemple, quand le locuteur ou le scripteur n’est manifestement qu’un porte-parole, mais qu’il n’est
pas précisé un porte parole de qui. C’est de plus en plus fréquent dans le monde contemporain, où
nous sommes assaillis de messages impératifs véhiculés par des machines, des haut-parleurs, des
affiches sans que l’autorité responsable soit nommée.

Il est multiple, auquel cas on parle de polyphonie chaque fois que, dans un énoncé, la responsabilité
de ce qui est dit incombe à plusieurs instances. Ainsi le locuteur qui cite un proverbe à l’appui d’une
appréciation le prend à son compte, mais en même temps il rappelle que ce n’est pas lui qui l’a
inventé, si bien que l’opinion commune, la doxa, se trouve également en cause  : elle est ainsi
associée au locuteur dans la responsabilité de l’énonciation.

Il faut donc prendre garde aux simplifications abusives, qui enfermeraient le fonctionnement
langagier dans le cadre déictique étroitement conçu. Le langage est plus subtil, il permet d’autres
effets. Toutefois, ce sont des effets indirects, qui ne remettent pas en cause ce qui a été dit sur les
bases de la deixis. De l’examen des déictiques et de la constatation de leur fréquence, on pourra
donc tirer la conclusion que les langues sont faites avant tout pour fonctionner «  en situation  ».
Comme le langage est un jeu qui se joue normalement à deux (ou davantage), la conversation face à
face, le dialogue, semble bien le plus typique de ses modes d’utilisation. Il en autorise d’autres,
comme l’écriture, le monologue, le discours unilatéral, mais ils ne sont pas aussi fondamentaux et ils
comportent, ne serait-ce que par le recours aux temps verbaux, eux-mêmes déictiques comme on
l'a vu, des éléments dont l’origine est certainement à chercher dans les emplois conversationnels.
C’est pourquoi les pragmaticiens mettent volontiers l’accent sur le langage «  ordinaire  », celui de
l’usage quotidien.

Les actes de langage

Classification

Austin, après avoir étudié les actes accomplis grâce aux énoncés «  performatifs  », qui, dans le
langage, lui paraissaient les plus dignes d’intérêt, s’est aperçu que le terme même d’acte était
extrêmement extensible et il a proposé une classification englobante. Il propose d’appeler
« locutoires » une première série d’actes, ceux sans lesquels il n’y aurait aucune mise en œuvre du
langage  : par exemple concevoir des phrases, choisir des mots, les ordonner en phrases, leur
attribuer du sens, les prononcer ou les écrire, les entendre ou les lire, les comprendre, etc. Il s’agit
ici des formes multiples que prend l’activité langagière dans l’organisme humain (rappelons que
nous avons accepté de considérer comme organique ce qui est d’ordre psychologique aussi bien que
ce qui est d’ordre musculaire ou sensoriel).

La seconde catégorie est celle des actes «  illocutoires  », c’est-à-dire des actes contenus dans le
langage. Avec le langage, on peut en effet accomplir une multitude d’actions, si nombreuses que nul
n’en a établi une liste complète : décrire, interroger, répondre, ordonner, juger, promettre, prêter
serment, certifier, parier, s’excuser, pardonner, condamner, féliciter, blâmer, remercier, saluer,

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inviter, insulter, menacer, argumenter, conclure, avouer, présenter une enquête, nommer à un
poste, etc. Les actes illocutoires vont donc bien au-delà de la simple description du réel à laquelle on
s’intéressait classiquement. Décrire n’est qu’une des activités que permet le langage.

La notion d’acte illocutoire est assez proche de celle de sens, mais seulement à condition que cette
dernière ne soit pas étroitement conçue. Le sens doit englober non seulement ce qu’on appelle
couramment, d’un mot imagé, le «  contenu  », disons le sens des mots, mais aussi la «  force
illocutoire  » de l’énoncé, autrement dit l’acte ou les actes illocutoires que dans «  une énonciation
donnée  », il sert à accomplir. Car «  un même énoncé peut avoir des forces illocutoires différentes
selon les énonciations ».

Certains des actes évoqués ici impliquent forcément le recours au langage, ils sont donc toujours
illocutoires. Ainsi, il est difficile de promettre autrement qu’en se servant de mots. Au contraire,
pour d’autres, on a le choix  : on peut saluer en disant «  Bonjour  » ou «  Salut  », donc en
accomplissant un acte illocutoire, mais, tout aussi bien, en faisant un geste (embrasser, serrer la
main, retirer son chapeau…) ou encore, en recourant à la fois à une formule et à un geste (serrer la
main et dire « Bonjour »). Cette remarque corrobore la légitimité du rapprochement qu’ont effectué
les pragmaticiens entre langage et action.

La troisième et dernière catégorie vise les actes «  perlocutoires  », tous ceux, en nombre
indéterminé, qu’on cherche ou qu’on peut chercher à accomplir au moyen du langage  : faire
comprendre, persuader, consoler, instruire, tromper, intéresser, impressionner, mettre en colère,
calmer, faire peur, rassurer, se concilier, influencer, troubler, etc. Ici encore, certains des actes ne
peuvent guère être réalisés que par la voie langagière, ainsi ceux de persuader ou d’instruire, alors
que d’autres peuvent s’obtenir aussi bien ou mieux par d’autres moyens, par exemple faire peur.

Entre les actes illocutoires et les perlocutoires, la distinction est parfois assez délicate. On serait
tenté de définir les premiers comme les actes de langage qui ne peuvent échouer, justement parce
qu’ils sont inséparables du langage  : si, selon une formule familière aux pragmaticiens, dire c’est
faire, il suffit d’avoir dit pour avoir fait. Ainsi la promesse est constituée dès qu’on a émis les paroles
convenables (par exemple ‘je promets’) et il faut alors la distinguer de son exécution  : sera-t-elle
tenue ou non, c’est, en effet, une tout autre question. De même un ordre est donné dès qu’on a dit
‘j’ordonne’, même si, ensuite, il n’est pas exécuté : ordonner, c’est-à-dire exiger l’obéissance, est un
acte illocutoire, tandis qu’obtenir cette obéissance ne l’est pas  ; c’est ou ce peut être (car il existe
pour l’obtenir d’autres moyens que le langage) un acte perlocutoire. Les actes perlocutoires, de leur
côté, connaissent donc couramment l’échec, comme la plupart des autres activités humaines.

Malheureusement, ce critère un peu simpliste ne fonctionne pas toujours. De nombreux actes


illocutoires ne peuvent être valablement accomplis que par des personnes qualifiées et placées dans
une situation bien déterminée et pas par n’importe qui, ni dans n’importe quelle circonstance. Ils
sont alors – on dit en pragmatique – soumis à des conditions de réussite. (en anglais « felicity »).
Voici des exemples. Décréter fait partie des actes illocutoires : un décret se présente sous la forme
d’un document écrit. Mais seuls sont en état de décréter des gens investis d’une autorité
particulière, président de la République ou ministres. Et encore faut-il qu’ils se mettent dans les
conditions de validité requises  : ainsi certains décrets présidentiels ne sont-ils valables que
contresignés par le Premier ministre. De même une nomination (‘M. Untel est nommé directeur de
tel service’) ne peut être faite que par une personne qui en a le pouvoir. De nombreux actes
illocutoires – mais pas tous – dépendent donc d’un cadre juridico-social approprié.

L’argumentation

On peut sans doute ranger parmi les actes illocutoires «  l’argumentation  », que les travaux
d’Oswald Ducrot et Jean-Claude Anscombre ont mise en relief. Selon eux, c’est, au moins autant
que la description, une des fonctions essentielles du langage. Elle consiste à appuyer un certain
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nombre d’autres qui vont dans le même sens. Les destinataires, en effet, ne sont pas disposés à
admettre le contenu de n’importe quel énoncé, ils attendent souvent des justifications avant
d’accorder leur adhésion. En dépit de l’adage « Qui ne dit mot consent », les locuteurs savent fort
bien que le silence des auditeurs peut être lourd de scepticisme. Autrement dit, il faut les
persuader, acte perlocutoire comme nous l’avons dit. Sa réussite est suspendue à l’efficacité de
l’argumentation présentée. Par exemple, on n’acceptera un jugement tel que Pierre est un honnête
garçon, sauf si c’est une opinion très généralement reçue et donc incluse dans la compétence
encyclopédique des gens (à l’exception de l’intéressé !), que si l’auteur du jugement peut citer des
faits où Pierre a montré la qualité qu’on lui prête ainsi.

Ducrot et Anscombre ont établi qu’on pouvait difficilement définir certains éléments linguistiques
sans faire entrer en compte leurs «  orientations argumentatives  ». Soit l’énoncé Pierre est riche,
mais honnête. Pourquoi mais, étant donné que cette conjonction semble indiquer une opposition
(aussi l’appelle-t-on communément adversaire « qui s’oppose ») alors que la richesse, situation de
fait, et l’honnêteté, vertu morale, ne sont pas sur le même plan  ? L’explication serait que mais
indique une inversion d’orientation argumentative. Être riche est, dans l’opinion générale, une
présomption en faveur de la malhonnêteté  : l’origine d’une fortune est a priori suspectée. Ici, la
conclusion soutenue, Il est honnête, ne découle pas, bien au contraire, de l’argument
précédemment donné, qui apparaîtra alors comme une sorte de concession faite à la réalité. On
aura donc sans doute besoin d’autres arguments, ceux-là positifs, pour la rendre acceptable.

La performativité

John Langshaw Austin avait prêté une attention particulière à un certain type d’énoncé qu’il avait
qualifié de « performatif » (de l’anglais « to perform » = faire, accomplir). La différence entre les
énoncés performatifs, comme «  Viens ici  !  » ou «  Je promets de venir  » et les autres, dits
« constatifs », comme « On m’a téléphoné sur cette question », tient à ce qu’on a appelé depuis la
« direction d’ajustement ». Les énoncés constatifs ont pour but de décrire le réel, donc de s’ajuster
à lui ; le réel reste, après l’émission de l’énoncé, ce qu’il était auparavant. Au contraire, les énoncés
performatifs, agissant sur lui, le modifient : après un énoncé performatif, le réel n’est plus tout à fait
ce qu’il était auparavant ; cette fois-ci, c’est donc le réel qui s’ajuste à l’énoncé : dans les exemples
qui viennent d’être proposés, il comporte désormais la promesse ou l’ordre créé par voie verbale.

Paradoxalement, Austin a ensuite renoncé à isoler la catégorie des énoncés performatifs. En effet, à
la réflexion, ses limites peuvent paraître incertaines. Par exemple, l’énoncé constatif «  On vous
appelle au téléphone  » ne fait, en apparence, que décrire une situation. Mais en fait, il modifie la
réalité. Grâce à lui, on est passé d’un monde où le destinataire n’était pas prévenu de l’appel
téléphonique à un monde où il l’est. Sur un point, l’énoncé, visant à représenter le réel, s’ajuste à
lui ; sur un autre, c’est l’inverse, puisqu’il a pour effet d’enrichir les connaissances du destinataire.
L’énoncé, tout en restant constatif, a donc un aspect performatif. L’énonciation d’une seule et
même phrase fait alors d’une pierre deux coups  : elle «  décrit  » et elle «  informe  », actes qui
appartiennent à des catégories différentes. Il faut retenir que très couramment « une énonciation
unique a ainsi des effets multiples », sa force illocutoire est complexe.

Malgré les scrupules d’Austin, les pragmaticiens ont pourtant conservé l’étiquette de performatif.
Ils appliquent à des énoncés, des énonciations, des verbes, etc., quoique d’une façon qui n’est pas
toujours d’une parfaite cohérence. Tantôt performatif signifie «  qui réalise effectivement tel acte
par voie verbale (il vaudrait mieux dire « performant »), tantôt il signifie « qui est susceptible de
réaliser l’acte par voie verbale  ». Car, comme on le voit sur des exemples, un même énoncé peut
réaliser ou ne pas réaliser l’acte. Dès lors il est ou il n’est pas performant, cela dépend de
l’énonciation. Quand « Ça va » répond à une interrogation sur l’état de santé de l’interlocuteur, c’est
une simple information, et on ne parlera pas dans ce cas d’énoncé performatif ; quand il répond à
« Je m’excuse », il constitue le pardon sollicité, on le classera donc parmi les énoncés performatifs.

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On peut, par exemple, inviter quelqu’un à aller au cinéma en lui disant  : «  Viens au cinéma avec
moi  ». C’est un énoncé performatif (et même performant), grâce auquel on «  fait  » (acte  !)
l’invitation. L’emploi de l’impératif, mode qui exprime l’ordre (latin « impero » : « j’ordonne ») ou,
plus exactement, l’incitation, amicale (comme ici) ou contraignante, est alors responsable du
caractère performatif revêtu par l’énonciation. Mais le même effet peut être obtenu à l’aide d’un
énoncé tout différent  : «  Je t’invite à aller au cinéma  ». L’énoncé est performatif, comme le
précédent, et en outre il inclut un « verbe performatif » (qui réalise une action par le fait même de
son énonciation), le verbe « inviter ».

Sont classés dans la catégorie des verbes performatifs tous les verbes désignant un acte
performatif, mais qui, en même temps, peuvent servir à l’accomplir, à la condition expresse d’être à
la première personne s’ils ont la forme active (« Il t’invite à aller au cinéma » n’est pas un énoncé
performatif  ; tout au plus peut-il servir à transmettre l’invitation d’autrui) ou d’avoir la forme
passive (dire «  C’est promis  » est une façon courante de promettre). Curieusement, les verbes
désignant un acte performatif ne sont pas tous des verbes performatifs : on n’insulte pas quelqu’un
en lui disant « Je t’insulte », mais en employant des injures.

Quand il utilise un verbe performatif dans un énoncé tel que «  Je t’invite à aller au cinéma  »,
l’énonciateur décrit sa propre action, puisque le mode utilisé est l’indicatif, ainsi dénommé parce
qu’il sert à fournir des «  indications  » sur ce qui se passe. Mais cette action consiste justement à
dire « Je t’invite à aller au cinéma ». On dit ce qu’on fait, mais on le fait en le disant, ce qui semble
paradoxal. Les logiciens se méfient de ce type de formules qui décrivent leur propre emploi, qui
sont – disent-ils – « réflexives », car ils démontrent qu’elles peuvent aboutir à des « paradoxes »,
c’est-à-dire à des contradictions internes. Malgré le risque, les langues naturelles n’hésitent pas à
en faire usage et s’en portent fort bien. Elles fonctionnent efficacement, mais selon des mécanismes
qui, comme l’a souligné Ludwig Wittgenstein, ne sont pas toujours ceux de la logique. Il n’appartient
donc pas aux logiciens de les régenter.

Pour accepter l’invitation d’aller au cinéma, l’usager récepteur a, à sa disposition, bien des manières
de dire (les langues sont très riches  !). Il peut dire «  J’accepte  », en faisant usage d’un verbe
performatif, mais il peut aussi bien utiliser l’énoncé : « J’irai ». Au premier abord, ce second énoncé
a simplement l’air de décrire une action future, et cette interprétation serait suffisante s’il s’agissait
de répondre à la question : « As-tu l’intention d’aller demain au cinéma ? » On relève au passage
que «  décrire  » n’est, pas plus qu'«  insulter  », un verbe performatif, et, qu'habituellement, un
énoncé descriptif ne signale pas qu’il décrit. C’est au destinataire d’en prendre conscience ; comme
on l'a vu, une partie du sens attribué aux énoncés ne correspond à aucun mot ou à aucune
expression explicite. Et dans le cas présent, où il s’agit de répondre à une invitation, l’auditeur
comprendra que le second énonciateur accepte sans que rien le dise explicitement.

Classement des énoncés performatifs

Parmi les énoncés performatifs (c’est-à-dire, sinon performants, à tout le moins susceptibles de
l’être), on peut distinguer :

les énoncés à « performativité lexicalement dénommée » : donc ceux qui comprennent un verbe
performatif (type « J’accepte ») ou, mais bien plus rarement, du moins en français, un mot d’une
autre classe désignant l’acte accompli (par exemple « Rectification ! » pour indiquer qu’on
modifie ce qu’on vient de dire) ;
les énoncés à « performativité indiquée autrement » : cette indication peut consister en un
procédé grammatical, ainsi l’usage du mode impératif pour inciter l’auditeur à faire telle ou telle
chose, de la tournure interrogative utilisée pour poser une question ; mais il existe aussi des
interjections spécialisées : « chut ! » demande le silence, « halte ! » constitue une injonction
pour s’arrêter, « bis » peut inviter à donner une nouvelle exécution d’un morceau de musique ou
d’un spectacle, etc ;
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les énoncés à « performativité non exprimée » : ils sont de types très variés, allant des énoncés
déclaratifs comme « J’irai » examiné plus haut jusqu’à des formules toutes faites (« Pardon »,
pour demander pardon ; « Faute ! » au tennis pour signaler qu’on juge qu’une faute a été
commise, etc.), en passant par les fausses interrogations comme « Pouvez-vous me passer le
sel ? » où il s’agit en réalité d’une requête : l’interlocuteur est sollicité de passer le sel. « Ici ! »
peut indifféremment être une réponse à une question, donc descriptif, une exclamation ou un
ordre d’une énergique brièveté – l’intonation pouvant marquer la différence.

Dans la première de ces trois catégories, on ne trouve que des énoncés qui ne sont pas toujours
performants, même s’ils le sont en général. Tout dépend alors de l’énonciation, du contexte verbal
(«  cotexte  ») où elle intervient, de la situation concrète où se trouvent les interlocuteurs. De tels
énoncés sont en effet de forme déclarative, donc apparemment descriptifs, et ils peuvent, dans un
contexte approprié, ne revêtir que cette fonction.

Dans la troisième, le caractère performatif devrait être foncièrement épisodique, si bien que
d’autres interprétations restent possibles. En fait, dans certaines tournures, il est si fréquent qu’il
en devient conventionnel. Il en est d’ailleurs qui, prises à la lettre, recevraient difficilement un sens
raisonnable. Ainsi une simple réponse verbale, par « oui » ou « non », à la question « Pouvez-vous
me passer le sel ? », aurait toute chance de paraître absurde, en dehors de circonstances tout à fait
exceptionnelles. Cela montre bien qu’il ne s’agit pas d’une vraie question. La force illocutoire est
autre.

Seule la seconde catégorie ne comporte en principe que des énoncés constamment performants.
C’est pourtant à elle que la pragmatique s’est le moins intéressée, sans doute parce que ce domaine
lui semblait présenter moins de difficulté  : les méthodes plus traditionnelles pouvaient s’y
appliquer.

Le sens implicite

Les composants du sens

Comme on l'a vu, l'énonciateur a le privilège de choisir les énoncés qu’il va utiliser et d’en
déterminer le sens. Mais il a aussi à se faire comprendre. Sous peine de violer les règles du jeu
langagier, qui stipulent que la tâche du destinataire ne consiste pas à résoudre au hasard des
devinettes, il lui revient de s’assurer que son partenaire a les moyens de reconstituer le sens. Avant
d'examiner quels sont ces moyens, il faut revenir sur les différents composants de ce qu’est le sens
(conçu dans une acception très large) :

le sens conventionnel des mots, décrit dans les dictionnaires, relève de la sémantique
classique, de même que la combinatoire permettant d’attribuer à la phase un sens global à
partir de celui des mots.
les problèmes posés par la référence, autrement dit la question des rapports entre les énoncés
et leurs éléments d’une part, les constituants de la réalité d’autre part, sont loin d’être
complètement éclaircis ; ils paraissent à peu près du même ordre pour tous les énoncés,
performatifs ou non. Il faut cependant souligner que les énoncés performatifs, dans la mesure où
ils évoquent non seulement la réalité ou les représentations que nous en avons, mais encore
soit du purement imaginaire, soit ce qu’on voudrait voir se produire, contribuent aux difficultés
de la sémantique.
il faut distinguer le sens posé, qui est à peu près le sens conventionnel, le contenu des mots, du
sens présupposé ; le critère étant qu’en général, et contrairement au sens posé, les
présupposés ne sont pas modifiés quand l’énoncé prend une forme négative ou interrogative. À
cette paire, on avait ajouté l’implicite, ou en un terme plus imagé, le « non-dit » (la terminologie

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n’étant guère fixée, on parle aussi, par exemple, de « sous-entendus » ou d'« inférences », les
définitions et les usages pouvant varier sensiblement).
il y a lieu également de prendre en compte la force illocutoire, alors qu’elle n’est pas toujours,
loin de là, signifiée expressément par un mot ou une expression.

Le sens

D’une façon générale, on s’aperçoit que les destinataires tirent des énoncés plus d'information qu’il
n’en figure explicitement dans les mots. Si je lis sur la porte d’une épicerie un écriteau « Ouvert le
dimanche  », je considérerai qu’il signifie «  Ouvert même le dimanche  », donc le dimanche, mais
aussi les autres jours. À l’inverse, sur un bureau administratif l’inscription «  Ouvert du lundi au
vendredi  », apparemment parallèle à la précédente, donnera lieu à une interprétation différente,
comme s’il y avait « Ouvert seulement du lundi au vendredi », donc pas le samedi ni le dimanche.
De tels exemples regardent le contenu de l’énoncé. Mais d’autres, déjà donnés, concernent dans
l’énonciation l’acte de langage effectué en utilisant l’énoncé, sa force illocutoire. Il est apparu que le
même énoncé «  Son exposé a la note 12  » pouvait être compris différemment, comme une
constatation, comme une invention ou encore comme une notation. De même, selon les
circonstances, « Ça va » sert à donner des nouvelles ou à pardonner. Autre exemple : « Il pleut »
peut constituer un renseignement désintéressé sur le temps qu’il fait, mais aussi un argument pour
ne pas sortir, ou encore un avertissement d’avoir à se munir d’un parapluie.

De même, en remarquant que «  La poubelle est pleine  », ce qui, dans la forme, semble être une
simple constatation, on peut accomplir bien des actes annexes  : solliciter l’auditeur de vider la
poubelle, lui reprocher de ne pas l’avoir fait à temps, se plaindre d’une grève des éboueurs et de ses
conséquences fâcheuses, etc. Rien d’explicite ne signale ces actes, et pourtant le destinataire en a
bien conscience, comme le montrera la diversité de ses réactions. S’il prend l’énoncé pour une
requête d’avoir à vider la poubelle, il pourra rétorquer : « Ce n’est pas mon tour de la vider ». S’il le
considère comme une accusation de retard, on aura une réponse telle que  : «  J’ai oublié de la
vider  », à interpréter comme une excuse. Enfin, s’il y voit une allusion à la grève des éboueurs,
cette façon de comprendre se manifestera éventuellement par : « J’ai entendu dire que la grève va
se terminer ». Or, la plupart du temps, de telles réactions ne surprendront pas l’auteur de l’énoncé
initial. Cela montre bien qu’il prévoyait la façon dont son énonciation serait reçue.

De tels exemples se présentent de prime abord comme des constatations, mais le sens qu’ils
peuvent revêtir déborde largement la description pure. Cependant qu’en est-il de la description
elle-même  ? Elle recourt, a-t-il été dit, au mode indicatif. Or, bien des linguistes, tel André
Martinet, ont remarqué que, dans la plupart des langues, il n’y a pas de marque d’indicatif, alors
que les modes non-indicatifs, par exemple le subjonctif, en comportent en général une : en français,
le subjonctif peut se caractériser par un suffixe -i- (chant-i-ons), un radical caractéristique (fasse
opposé à fais ou fait), parfois les deux (fass-i-ons). On peut, soit considérer que l’indicatif a une
marque zéro, soit y voir un non-mode, la forme fondamentale du verbe, sans spécification modale.
Selon cette dernière interprétation, l’acte de description lui-même relèverait du non-dit dans la
plupart des cas. [réf. nécessaire]

Le calcul interprétatif du sens

Comment les destinataires parviennent-ils à établir le sens d’une énonciation quand ce sens est
ainsi l’aboutissement d’une «  dérivation  », c’est-à-dire quand il n’est pas lié au signifiant par un
rapport immédiat stocké dans la mémoire, mais résulte d’une sorte de raisonnement, généralement
automatique et inconscient ? On considère que pour faire ce raisonnement, parfois appelé « calcul
interprétatif  », ils utilisent, outre l’énoncé lui-même, diverses sources d’information et se
conforment à diverses règles.

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Une conception assez répandue aujourd'hui envisage l’esprit comme un ensemble de systèmes
souvent appelés, d’un terme traditionnel, facultés (conception «  modulaire  » de l’esprit-cerveau).
Tout usager du langage possèderait ainsi diverses compétences, étant un ensemble organisé de
connaissances et de mécanismes psychologiques. Ainsi distingue-t-on :

la compétence linguistique ;
la compétence encyclopédique ;
la compétence logique ;
la compétence rhétorico-pragmatique.

Par compétence linguistique, on entend la maitrise d’une langue, de sa prononciation, de son


lexique, de sa syntaxe, etc. ; par compétence logique, l’aptitude à raisonner de manière logique, à
déduire, à apercevoir les tenants et les aboutissants d’une idée, à relier les idées entre elles, etc. ;
par compétence encyclopédique, les connaissances d’ordre varié portant sur l’infinie diversité des
sujets dont une langue permet de parler (étant donné qu’il est à peu près impossible de
comprendre un énoncé, aussi clair soit-il, sur un sujet dont on ignore à peu près tout)  ; par
compétence rhetorico-pragmatique, les mécanismes dont il va maintenant être question. On peut
ranger sous la rubrique « compétence de communication » l’ensemble de ces diverses compétences,
mais il faut être conscient qu’une appellation aussi générale englobe aussi les moyens non
linguistiques de communication. Les compétences varient bien entendu d’un individu à l’autre  :
ainsi la compétence logique d’un mathématicien sera-t-elle vraisemblablement plus étendue que
celle du commun des mortels.

Reprenons l’exemple de « La poubelle est pleine » et supposons que le locuteur, en prononçant la
phrase, lui attribue la force illocutoire d’une requête de vider la poubelle. Comment le destinataire
peut-il comprendre qu’il s’agit bien d’une requête, puisque ce n’est dit nulle part et que d’autres
interprétations seraient a priori possibles  ? Il attribue une première interprétation à l’énoncé en
vertu de sa compétence linguistique : il peut hésiter sur le caractère descriptif de l’énonciation, mais
supposons qu’il l’admette en l’absence d’indice poussant à la comprendre autrement. Il sait, par sa
compétence encyclopédique, que les ordures ménagères se mettent habituellement dans la poubelle
familiale, que la présence d’ordures en dehors de la poubelle est dommageable ou considérée
comme telle, qu’il existe aussi pour les ordures un récipient extérieur, dont les éboueurs
municipaux évacuent régulièrement le contenu, qu’on a coutume de vider la poubelle dans ce
récipient, que lui-même peut le faire et l’a déjà fait. Sa compétence logique lui permet d’établir un
lien entre ces connaissances : on vide la poubelle dans le récipient extérieur de façon à laisser de la
place pour de nouvelles ordures, et on peut toujours le faire puisque ce récipient est à son tour
régulièrement vidé. Reste à déterminer comment, de cet ensemble de connaissances et de rapports
logiques (ou pseudo-logiques), on passe à l’interprétation que c’est au destinataire de l’énonciation
qu’il revient de vider la poubelle. Les pragmaticiens suggèrent que la compétence rhétorico-
pragmatique comporte la règle suivante : décrire une situation dommageable à quelqu’un qui est en
mesure de la faire cesser, c’est inciter cette personne à la faire cesser. Dès lors, le sens souhaité
s’obtient facilement.

Tout cela peut paraître simpliste ou incertain. Il est cependant probable que le sens adéquat ne
peut être reconstitué que par des mécanismes de ce genre, fonctionnant à partir des connaissances
et des règles que nous avons rappelées. Peu de chose suffit du reste à favoriser une force illocutoire
différente : par exemple la connaissance d’un tour de rôle entre les personnes de la famille chargées
de vider la poubelle et du jour où on est. Si ce n’est pas le jour du destinataire, le sens injonctif
« Vide est la poubelle » devient bien moins vraisemblable, et il peut s’agir d’une réflexion du type
« On ne peut jamais compter sur lui » sur l’incurie d’un tiers. Mais à son tour, la connaissance de
l’estime, haute ou piètre, en laquelle le locuteur tient le défaillant favorisera ou défavorisera ce
dernier sens. On laisse le soin au lecteur de poursuivre l’expérience mentale, en imaginant des
variantes à cette situation et en en déduisant le sens émergeant alors.

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La règle qui a été suggérée demeure cependant d’application assez restreinte et on se demandera si
la compétence rhétorico-pragmatique peut être décrite comme un simple conglomérat de telles
règles. Il est souhaitable, pour expliquer son efficacité, de découvrir des principes plus généraux,
entretenant de préférence entre eux une liaison organique. C’est ce qui va être examiné
maintenant.

Les lois du discours

Énumérons-en plusieurs, en nous inspirant des analyses d’Oswald Ducrot, qui leur donne ce nom.
Elles expliquent le choix d’une expression ou d’un sujet plutôt que d’un autre, mais guident aussi
l’auditeur dans sa reconstitution du sens, car le locuteur, censé les respecter, n’est pas libre
d’affecter à un énoncé un sens qui les enfreindrait. Ces lois sont en effet des sortes de conventions,
analogues aux règles d’un jeu : qui prend part au jeu en accepte les règles, sinon il se rend coupable
de tricherie. De même, qui se sert du langage se soumet à ses lois, sous peine de se marginaliser.

La première est la loi de la « sincérité ». On est tenu de ne dire que ce qu’on croit vrai et même
que ce qu’on a des raisons suffisantes de tenir pour tel. Autrement, on s’expose à l’accusation de
parler à la légère. Sans cette convention, aucune espèce de communication, même le mensonge, ne
serait possible, puisque l’auditeur n’accorderait a priori aucune confiance au locuteur.
Apparemment, cette loi va de soi. Mais elle ne vaut que dans la mesure où le langage a une fonction
descriptive. Lorsque la fonction est autre, par exemple dans un roman, où les descriptions sont, par
convention, illusoires, elle est sans objet. Il est donc normal que certains indices révèlent au
destinataire si oui ou non elle s’applique. C’est bien pourquoi on fait souvent figurer les indications
«  Roman  » ou «  Nouvelle  » sur la couverture des livres qui appartiennent à ces genres. Mais
comme la littérature d’imagination est aujourd’hui dominante, on se dispense souvent de les
donner. Il y a donc des possibilités de méprise, en particulier à l’oral où les indices, à supposer qu’ils
existent, sont de toute façon plus fugitifs. La plaisanterie, dont le sel consiste à « faire comme si » ce
qu’on disait était vrai alors que ce ne l’est pas, constitue de ce point de vue un domaine à haut
risque : l’auditeur peut prendre l’énoncé « au sérieux », ce qui entraîne de fâcheux quiproquos.

En second lieu, le fonctionnement du langage est soumis à une loi d’« intérêt », selon laquelle on
n’est en droit de parler à quelqu’un que de ce qui est susceptible de l’intéresser. Ainsi s’expliquerait
la difficulté d’engager la conversation avec un inconnu  : on ne sait pas quel sujet aborder avec lui
sans violer la convention d’intérêt. Aussi existe-t-il des sujets passe-partout, censés intéresser tout
le monde et bien commodes pour nouer connaissance, le temps qu’il fait par exemple. Tout le
monde est concerné par le chaud, le froid, la pluie, le soleil… Mais, il est des privilégiés qui
échappent à cette existence. Ce sont les dépositaires de l’autorité, dont la parole s’impose à tous
comme si elle était de soi intéressante. C’est ainsi que les enseignants, en tant que représentants
qualifiés de la société, ont droit à la parole devant leur auditoire scolaire. Si, à ce qu’ils disent, celui-
ci ne prend pas effectivement intérêt, il n’a d’autres ressources que de penser à autre chose ou de
donner un exutoire à son mécontentement sous forme de chahut.

À peu près tous les « principes » qu’on peut invoquer connaissent, en effet, des exceptions, qu’on ne
peut expliquer qu’en recourant à d’autres principes, parfois, on le verra, franchement
contradictoires.

Ainsi en est-il justement de la loi d'« informativité ». D’après elle, un énoncé doit apporter à son
destinataire des informations qu’il ignore. Sinon, le locuteur s’expose à des ripostes du type « Je le
sais déjà  » ou «  Tu ne m’apprends rien  ». Pourtant, en parlant de la pluie et du beau temps, on
n’enseigne généralement rien à son interlocuteur. Tout se passe comme si devant une urgente
obligation de parler et devant la nécessité de satisfaire les principes régissant la parole, on donnait
la priorité à la convention d’intérêt sur la convention d’informativité.

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Par ailleurs, un énoncé bien formé, s’il doit contenir de l’information neuve, doit aussi rappeler
des choses déjà sues (redondance). Dans le cas contraire, il semble que la trop grande
information, dépassant les capacités d’assimilation de l’auditeur, gêne la compréhension. Les
linguistes ont distingué à ce point de vue dans tout énoncé le «  thème  » et le «  rhème  » (on dit
aussi, au lieu de rhème, «  focus  » ou «  propos  »), le thème reprenant le déjà connu et le rhème
constituant l’apport original exigé par le principe d’information. Si on met en parallèle le point de
vue énonciatif et le point de vue grammatical, on constate que, dans les langues à sujet comme le
français, il y a affinité entre la partie sujet et le thème, la partie prédicative et le rhème.

D’autre part, l’expression de l’information semble obéir à une loi dite d'« exhaustivité », stipulant
que le locuteur est tenu de donner, dans un domaine donné, l’information maximale compatible
avec la vérité. Entendant dire quelqu’un qu’il a trois enfants, on comprendra qu’il n’en a pas quatre,
ce qui pourtant n’est pas explicite. Or, il existe un procédé exactement inverse, celui de la « litote ».
La litote consiste à dire moins qu’on ne veut laisser entendre. Ainsi, dans Le Cid, Chimène adresse à
Rodrigue un « Va, je ne te hais point » qui en réalité signifie qu’elle l’aime, et qu’il comprend ainsi ;
un tel énoncé signifierait qu’il lui est indifférent, si c’était la loi d’exhaustivité qui s’appliquait. Mais
on est loin encore d’avoir répertorié tous les mécanismes expliquant pourquoi parmi ces lois c’est
tantôt l’une tantôt l’autre qui s’applique. De même, à ce jour, nul n’a fourni une liste complète des
lois de discours.

Les maximes conversationnelles

Le philosophe américain Paul Grice (1913-1988) a, le premier, dégagé des «  maximes


conversationnelles  », ressortant d'une «  logique de la conversation  » et auxquelles les
interlocuteurs seraient tenus de se conformer. Au nombre de quatre – quantité, qualité,
pertinence et manière – elles dépendraient toutes d’un principe très général de coopération,
applicable à l’ensemble du comportement humain et donc à la conversation. Elles recoupent en
partie les lois du discours décrites ci-dessus. Sous la forme que Grice leur donne, elles ont du reste
un champ d’application restreint, car elles ne valent que pour les aspects descriptifs
(vériconditionnels) de la conversation.

Mais Grice s’est efforcé de montrer comment l’auditeur pouvait prendre appui sur elles pour
déceler ce qui ne figurait pas dans un énoncé. Quand l’énoncé les enfreint, il doit supposer que
l’infraction est seulement apparente, puisque autrement le locuteur n’aurait pas appliqué le
principe de coopération, dont dépendent les maximes elles-mêmes. Il faudra donc chercher une
hypothèse sémantique selon laquelle elles sont respectées, bien que seulement dans la mesure du
possible. Si à une question sur l’adresse de quelqu’un, on répond «  Il habite quelque part dans le
Midi  », la réponse ne comporte pas toute la précision qu’exigent les maximes de quantité et de
pertinence ; mais le locuteur n’en a pas dit davantage à cause de la maxime de qualité, qui oblige à
n’avancer que ce qu’on sait de source assurée. Autrement dit, il a violé certaines maximes pour en
respecter une autre. Et l’auditeur est fondé à considérer que le sens à reconstituer inclut d’une
4
certaine façon « Je n’en sais pas plus » .

L’explication, bien sûr, n’est que partielle. Car l’énoncé aurait pu être tout aussi bien «  Je ne sais
pas au juste », et son interprétation n’aurait pas soulevé de problème. Pourquoi choisit-on de faire
compliqué alors qu’on aurait pu faire simple ? Dans le cas examiné, on peut donner une réponse : le
locuteur profite de la situation pour indiquer brièvement ce qu’il sait, même si c’est insuffisant pour
satisfaire le destinataire. Dans d’autres cas, l’avantage est pour le locuteur de pouvoir
éventuellement refuser la responsabilité du sens non-dit. Plus l’écart est grand entre le sens
conventionnel, donc explicite et le sens indirect, donc implicite, qu’on peut prêter à l’énoncé, plus le
locuteur a la possibilité d’affirmer de bonne ou de mauvaise foi, qu’il n’a pas envisagé le sous-
entendu en question. Le langage offre des ressources multiples pour suggérer sans dire. Mais on ne
voit pas toujours aussi clairement les raisons qui poussent à inclure dans l’énoncé du sens non-dit,
au lien de s’exprimer explicitement. De toute manière, l’interprétation se fait aux risques et périls
https://fr.wikipedia.org/wiki/Pragmatique_(linguistique) 15/17
‫ م‬2:07 2023/‫‏‬2/‫‏‬24 Pragmatique (linguistique) — Wikipédia

du destinataire. La nécessité où il est mis de reconstituer du sens non-dit l’oblige à une démarche
plus ou moins contournée et plus ou moins incertaine. Ainsi se trouve renforcée la dominance
signalée plus haut de l’énonciateur sur le destinataire. Bien que cette vision puisse encore être
étudiée puisque l'on peut considérer que la réussite ou l’échec de la communication (au sens large)
de l'énonciateur est soumise à la bonne interprétation par le destinataire. Ce qui, comme on l'a vu,
peut fréquemment ne pas être le cas. Dans cette optique, c'est bien le destinataire qui est garant de
l'achèvement des intentions de l'énonciateur et qui peut donc être placé dans une position
dominante au sein de l'acte de communication.

Notes et références
1. Austin J., How to do things with words, Oxford university press, Oxford, 1962 (traduction française
« Quand dire, c’est faire » Seuil 1970)
2. GUILLOT (Céline). Démonstratif et déixis discursive : analyse comparée d'un corpus écrit en
français médiéval et d'un corpus oral de français contemporain. In: Langue française. N°152,
2006. pp. 56-69. Avec des références bibliographiques.
3. WALDEGARAY (Marta Inés), Discours et relations de sociabilité dans la Brevísima relación de la
destrucción de las Indias de Bartolomé de Las Casas, in INDIANA 17/18 (2000/2001), 379-399.
Avec des références bibliographiques.
4. D'autres interprétations sont possibles, comme « Je le sais, mais je n'ai pas envie de le dire », ou
« Ça n'a pas grande importance de savoir où précisément ». Le décryptage du sens réel s'appuie
aussi sur des signaux extra-linguistiques (ton, geste, mimique, etc.)

Voir aussi

Bibliographie

Armengaud, F. (2007), La pragmatique, Paris, PUF (5e éd.)


Blanchet, Ph. (1995), La Pragmatique, Paris, Bertrand Lacoste, Coll. "Référence".
Bernicot, J., Veneziano, E., Musiol, M. & Bert-Erboul, A. (Eds.) (2010). Interactions verbales et
acquisition du langage. Paris: l’Harmattan.
Bernicot, J.& Bert-Erboul, A. (2009). L’acquisition du langage par l’enfant. Paris: Editions In
Press.
Bernicot J., Trognon A., Musiol M. & Guidetti M. (Eds.) (2002), Pragmatique et Psychologie,
Nancy, Presses Universitaires de Nancy.
Bracops, M. (2005), Introduction à la pragmatique, Bruxelles, De Boeck, coll. "Champs
linguistiques"
Jacques, F. (1985), L'espace logique de l'interlocution, Paris, PUF
Jacques, F. (1979), Dialogiques. Recherches logiques sur le dialogue, Paris, PUF
Ghiglione, R. et Trognon, A. (1999), Où va la pragmatique ? De la pragmatique à la
psychologie sociale, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
Grice, H.P. (1979), « Logique et conversation », dans Communication, 30, 57-72.
Levinson, S. (1983), Pragmatics, Cambridge : Cambridge University Press.
Moeschler, J. et Reboul, A. (1994), Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Paris,
Éditions du Seuil. (ISBN 2-02-013042-4)
Fred Poché, Sujet, parole et exclusion, Une philosophie du sujet parlant, préface de Michèle
Bertrand (http://www.michelebertrand.fr/), Paris, Éditions L'Harmattan, 1996.

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Fred Poché, « De l’ego communicans » au sujet de contextualité. Fécondité et limites du


paradigme communicationnel », Revue d’Éthique et de Théologie Morale, 220 (2002),
p. 25-50.
Jacques Moeschler et Anne Reboul, La pragmatique aujourd'hui, Paris, Seuil, coll. « Points
Essais », 2 septembre 1998, 209 p. (ISBN 978-2020304429)

Articles connexes
Fonctions du langage Aucun résumé des modifications
Herméneutique
Pragmatisme
Sociologie pragmatique
Sémiologie
Philosophie du langage
Bibliographie de logique et de philosophie du langage
Ethnopragmatique

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