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Baudelaire, Les Fleurs du Mal

Parcours associé : alchimie poétique, la boue et l'or

L'alchimie poétique = la transmutation du laid en beau, du sordide en sublime, par la poésie.


Projet de Baudelaire = extraire "les fleurs" (l'or) dans le "mal" (la boue) via l'outil poétique.
"J'ai de chaque chose extrait la quintessence / Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or" disait-il en parlant
de Paris.
A ce titre, le Poète se fait alchimiste : il transmute la réalité triviale (= la boue) en la sublimant (= l'or). Il
nous laisse ainsi non seulement une vision nouvelle sur les éléments qu'il a extrait, mais aussi des poèmes
sublimes dont l'existence seule relève de l'or.

I) L'ALCHIMIE, un rapport particulier au monde


→ Une recherche antique et moyenâgeuse de la transmutation du plomb en or : manipulation occulte de la
matière et recherche spirituelle cachée (appelées "Le Grand Œuvre") afin de découvrir la "pierre
philosophale" d'une part et "l'élixir de longue vie" d'autre part.
(référence implicite à Midas, à Hermès Trimégiste, ou au comte de Saint Germain)
Historiquement la chimie et l'alchimie se confondent. L'alchimie devient vite une "science" orale, transmise
entre initiés et de manière plus ou moins codée.
→ Chez Baudelaire, la chimie est négative (elle a Satan pour origine et les armes pour conséquence), mais
l'alchimie est positive et devient la source magique d'un enchantement. Il voit la poésie comme une
"sorcellerie évocatoire", autrement dit il l'investit de vertus quasi-magiques.

Le poète est ainsi celui qui déchiffre la "forêt de symboles" ("Correspondances") du monde, à sa manière il
saisit les secrets de la matière de ce monde. Il est celui qui "comprend sans efforts le langage des fleurs et
des choses muettes !" ("Elévation"). Baudelaire conçoit son recueil comme un livre pour "initiés", dans le
sens apprécié des lecteurs qui le comprennent, qui reconnaissent un "frère" en lui.

L'alchimie est présente dans les thèmes suivants :


→ les thèmes du surnaturel et du fantastique qui sollicitent l'imaginaire
ex : Le vampire, Le possédé, Un fantôme, Le revenant, Une gravure fantastique, Les litanies de Satan...
→ le thème du macabre exhibant la mort
ex : Le squelette laboureur, Danse macabre, l'Amour et le Crâne, Les sept vieillards...
→ la figure de la sorcière (pendant féminin de l'alchimiste) : dangereuse, séductrice, puissante
Chanson d'après-midi, L'irréparable, Sed non satiata...

II) LA BOUE, trivialité et monstruosité


La boue = l'immonde, le sombre, l'infâme, le trivial, le sordide, le négatif, le mal(heur) => source du spleen

→ Elle est un élément matériel associé à l'humidité (= eau + terre), à la décomposition => répugnant,
matérialité du monde => l'âme peine à s'élever
ex : Spleen, L'Ennemi, Une charogne, Le mort joyeux...
→Elle est un élément propre à la ville et en représente les déchets (réalité crasse)
ex : Crépuscule du soir, Les sept vieillards, Le vin des chiffonniers
→ Elle est l'impureté ou la souillure morale, le vice, le malheur, la malédiction, la déchéance de la vie
humaine. => le gouffre => lien avec la "chute" biblique (Adam et Eve chassés du paradis terrestre)
ex : L'irrémédiable, Abel et Cain, Moesta et errabunda.

Pour Baudelaire le rôle du poète est d'explorer cette "boue", de l'analyser pour trouver de quelles horreurs
elle est faite : de quoi se compose la laideur morale de l'homme ? => la connaître = se connaître
(sottise, péché, orgueil, erreurs, avarice, ennui, cruauté, vénalité, luxure, mensonge...)
III) L'OR, transfiguration poétique de la réalité
L'or = la sublimation de l'immonde réalité, la beauté, l'élévation de l'âme, l'espoir, l'azur, l'Idéal
rq : tout poème de Baudelaire relève de l'or dans la mesure où sa simple existence nous offre de la beauté.
L'or est dispersé dans les poèmes et plus délicat à trouver que la boue qui suinte partout.
La transmutation ne se fait qu'à de rares moments privilégiés (ex: Parfum exotique), il entrevoit alors l'Idéal
qu'il quête sans relâche.

→ L'or se trouve dans l'ambiguïté de l'image de la femme : à la fois sorcière/démone et ange, sa beauté
procure à la fois souffrance et plaisir => référence à la figure de l'Eve biblique, tentée et tentatrice.
Elle sait préparer un philtre guérisseur et illuminer un ciel bourbeux, même si elle n'est jamais fée et même
si l'action en est éphémère. L'Idéal n'est jamais loin d'elle.
ex : le Serpent qui danse, Les Petites Vieilles, L'irréparable
Rq : chez Baudelaire, le chat est une émanation de la figure féminine. (ch Le Chat, Les Chats)

→ L'or se trouve aussi (parfois) dans le vin : élixir qui élève la vision intérieure et permet de voir la réalité
autrement, même de façon éphémère et même si le réveil est douloureux.
ex : Le Poison, Rêve parisien, Le Vin du solitaire, le Vin des chiffonniers

→ L'or se trouve aussi dans le soleil et sa lumière qui inonde tout.


Le Poison, L'invitation au voyage, Le Soleil
Mais il est aussi à trouver à l'intérieur, dans le cœur : Paysage

→L'or véritable, le seul à compter vraiment est le travail poétique. La poésie est une alchimie transmutatrice
qui réclame un travail de tous les instants et n'a jamais de fin.
Ses mots élèvent (les vers sont "d'un pur métal", les "rimes de cristal", "la voix argentine"), donnent de la
vigueur à tout, et permettent de capturer la beauté et de la sauvegarder éternellement.
Ex : Une charogne, L'Ennemi, A une madone, Moesta et errabunda

Rongé par le spleen, le poète quête la beauté du monde mais constate que c'est dans le Mal qu'elle se laisse
le mieux approcher puisqu'elle y est présente aussi. Il comprend alors que la beauté est inséparable de la
douleur, et que c'est ce qui, paradoxalement, lui confère sa grandeur.
L'ambivalence de la femme, qui est dotée d'une "fangeuse grandeur" et d'une "sublime ignominie"en même
temps (cf. Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle...), rejoint cette double postulation.
C'est dans les boues que peuvent s'épanouir les "fleurs nouvelles" (L'ennemi)... Trouver le beau dans la
laideur... Cet exercice d'extraction et de transmutation par le travail des mots est périlleux et sans fin.
Quand le spleen est assourdi chez le poète, les fleurs se déploient et la voie de l'Idéal s'ouvre grande et
facile. Il élève alors son âme dans les sphères les plus hautes où il fabrique son or à profusion (cf. Parfum
exotique, La chevelure, À une passante), l'alchimie poétique est fluide. Mais quand le spleen l'emporte et
que le poète est abattu par la souffrance, l'alchimie poétique peut être mise en défaut, (cf. Spleen ou
Alchimie de la douleur) puisque le spleen fait obstacle au travail des mots et à la puissance poétique.
Celui-ci ne peut alors se mener qu'avec la plus grande difficulté et de nombreuses tensions.
Mais, malgré toutes ces tensions, l'or reste toujours extractible de toute boue (cf. A une mendiante rousse,
Une Charogne) et la quête de Baudelaire fera des émules dans les générations suivantes puisque l'alchimie
poétique fera partie intégrante de la poésie moderne. (Lautréamont, Rimbaud, Corbière, Verhaeren, Breton,
Ponge, Bonnefoy, Roubaud...)

Synthèse bien faite à cette adresse : https://www.youtube.com/watch?v=3TDWGHu1UNQ


Entraînement à l'écrit du bac

Vous traiterez au choix l'un de ces deux sujets

I) Commentaire
Vous ferez le commentaire de ce poème.

Le Lombric

Conseils à un jeune poète de douze ans

1 Dans la nuit parfumée aux herbes de Provence,


2 Le lombric se réveille et bâille sous le sol,
3 Étirant ses anneaux au sein des mottes molles
4 Il les mâche, digère et fore1 avec conscience.

5 Il travaille, il laboure en vrai lombric de France


6 Comme avant lui, ses père et grand-père; son rôle,
7 Il le connaît. Il meurt. La terre prend l'obole2
8 De son corps. Aérée, elle reprend confiance.

9 Le poète, vois-tu, est comme un ver de terre


10 Il laboure les mots, qui sont comme un grand champ
11 Où les hommes récoltent les denrées langagières;

12 Mais la terre s'épuise à l'effort incessant !


13 Sans le poète lombric et l'air qu'il lui apporte
14 Le monde étoufferait sous les paroles mortes.

Jacques Roubaud, Les Animaux de tout le monde, 1983

1. fore = perce, creuse


2. obole = don de très peu de valeur

II) Dissertation :
La poésie doit-elle selon vous décrire la réalité du monde ou la transfigurer ?
Vous répondrez en vous appuyant sur votre lecture des Fleurs du Mal de Baudelaire, et sur le
parcours associé. Vous pourrez également vous appuyer sur les autres œuvres que vous
avez étudiées en classe ou sur vos lectures personnelles.

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