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Explication linéaire du texte 11 : Balzac, portrait de l’antiquaire

Idées pour l’intro : raconter comment Raphaël en vient à entrer chez cet antiquaire, alors qu’il est au
bord du suicide. Moment hors du temps, hors du monde, parmi les antiquités qui semblent s’animer.
Puis apparition du vieillard.

1. Plus qu’une description : une impression globale de puissance par la


connaissance : lignes 1-9
Tout part de la description physique : on n’a pas accès aux pensées du vieillard, mais uniquement à
son apparence, à ce qu’il « semblait avoir » (l.3). Il y a la « face froide » (l.4) mais plus précisément
« sinuosités de ses rides », des « plis circulaires dessinés sur ses tempes » (l.1-2). Ce sont des détails,
presque des gros plans sur la peau. Et même : on a davantage l’impression d’avoir affaire à un portrait
de vieillard qu’à un vieillard réel, avec les plis « dessinés » (l.1) et ensuite l’allusion à l’art du
« peintre », qui lui aussi part des apparences pour révéler la nature profonde (l.7).

Mais le physique révèle l’intériorité : chaque élément est tout de suite traduit comme l’indice
extérieur du caractère du vieillard : son caractère est « trahi » (l.1) par son apparence, comme s’il y
avait là un secret, un mystère, qui aurait dû être caché. Balzac, par son héros, se pose en bon
observateur, voire en enquêteur qui révèle ce qu’il y a derrière les apparences. Ainsi il déduit d’après
les rides la « finesse d’inquisiteur » (= on ne peut rien lui cacher) et cette finesse révèle elle-même
« une science profonde des choses de la vie ». On sent que la complexité labyrinthique des rides
reproduit sur la « face froide » toute la complexité du monde, comme une carte représente le
territoire. Ainsi le monde pluriel (« les mœurs de toutes les nations du globe et leurs sagesses ») se
trouve-t-il réduit sur le visage singulier (« se résumaient sur sa face froide »)

Et l’ensemble prend une tournure allégorique : on sent que Balzac souligne à gros traits la puissance
et la connaissance qu’il décèle chez le vieillard, afin d’en faire un personnage littéraire unique. On le
voit par des insistances : il développe « finesse d’inquisiteur » en une phrase hyperbolique (« il était
impossible de tromper cet homme », avec le superlatif « au fond des cœurs les plus discrets ») ; il
utilise des mots totalisants (« toutes les nations du globe », « un Dieu qui voit tout », « qui a tout
vu »). L’omniscience est répétée dans l’ensemble des phrases, par les termes de « science profonde »,
« sagesse », « tranquillité lucide », « qui voit tout », « toutes les peines du monde » (l.10). Et elle
devient même omnipotence lorsqu’elle se transforme en « suprême puissance » (l.9). Le vieillard est
l’image même du savoir, ce qui est renforcé par le lieu dans lequel il se trouve : le magasin
d’Antiquités collectionne des objets du monde entier et en résume l’Histoire. On sent cette fusion de
l’homme et de son habitat, typique de Balzac, dans la comparaison : « comme les productions du
monde entier se trouvaient accumulées dans ses magasins poudreux »

L’ensemble des traits compose une figure ambiguë, car cette omniscience peut à la fois vue comme
sublime ou dangereuse. D’où plusieurs balancements en deux temps (= rythmes binaires) dans cette
partie : « la tranquillité lucide d’un Dieu qui voit tout, ou la force orgueilleuse d’un homme qui a tout
vu », « une belle image du Père Eternel ou le masque ricaneur du Méphistophélès » (= Dieu ou le
Diable, car Méphistophélès est un démon tentateur dans Faust). De manière assez intéressante,
Balzac justifie ces hésitations (ces « ou ») par la présence simultanée de deux indices
contradictoires (un « et ») : « une suprême puissance dans le front et de sinistres railleries sur la
bouche ». La connaissance extrême semble en tout cas l’avoir rendu inhumain, hors des « peines »
comme des « joies terrestres ».
2. Un homme inhumain pour un lieu hors du monde : lignes 9-15

On retrouve ici la présence de Raphaël, spectateur de l’apparition du vieillard : « le moribond », c’est


Raphaël, qui est au bord du suicide. Contrairement au vieillard, on a accès à ses émotions : il
« frémit », et même aux idées vagues, à la lisière de sa conscience (« en pressentant »). On retrouve
ainsi un certain degré de réalité, avant de repartir dans l’abstraction, puis de revenir à la réalité avec
la prosaïque « lampe » qui « illuminait ce cabinet mystérieux ».

Entre ces deux moments de réalité, l’allégorie se poursuit, mais plutôt que d’insister sur l’idée de
puissance, c’est l’écart au monde, à l’humanité, qui est soulignée. D’abord par la négation des
émotions qui font l’homme : « sans jouissances », « plus d’illusion », « sans douleur », « plus de
plaisirs ». Ce côté « inébranlable » l’éloigne de l’humanité fragile, incarnée ici par Raphaël qui
« frémit ». Raphaël fait ici figure de héros romantique contemplant le sublime, ce qu’il y a au-delà des
limites du monde, comme le fameux voyageur contemplant la mer de nuages dans le tableau de
Friedrich.

Le lieu même dans lequel il se trouve devient abstrait : il « habitait une sphère étrangère au monde »
(les « sphères » sont un terme d’astronomie pour parler des planètes et des étoiles). L’analogie
astronomique se poursuit avec la comparaison « comme une étoile au milieu d’un nuage de
lumière ». Ce qui est signifiant ici, c’est l’idée de lumières, symbole de connaissances, que l’on
retrouve dans l’idée de ses « yeux verts » qui « semblaient éclairer le monde moral ». Nous sommes
ici en pleine abstraction puisque « le monde moral » est celui des idées, par opposition au monde
physique. Dans les yeux de l’Antiquaire on pénètre un autre monde.

L’ensemble conserve l’ambiguïté de la première partie : le vert est l’ancienne couleur du diable et elle
« les yeux verts » sont souvent inquiétants dans la littérature de l’époque. Le romancier semble
atteindre le bout de ses capacités de description avec le « je ne sais quelle malice calme » (le « je »
est une intervention du narrateur).

3. Magie ou réalité ? Une vision fantastique : lignes 16-22

On revient là encore à la réalité de Raphaël, « le jeune » homme ». On suit la succession de ses


émotions, balisées par des connecteurs temporels : « après avoir été », « il demeura »,
« momentanément »… Ces émotions sont de l’ordre de la stupéfaction : il est figé (« comme
étourdi ») et en même temps sidéré par le « spectacle étrange ». Est étrange effectivement ce qui
semble « étranger » à l’homme, comme cet Antiquaire semblant habiter « une sphère étrangère au
monde ».

Ce retour à la réalité a pour effet d’annuler tout ce qui vient d’être dit avant : on comprend que toutes
ces exagérations, cette allégorie de l’Antiquaire en Dieu ou Diable, cette abstraction, étaient dans la
tête de Raphaël, et est balayée maintenant par les qualifications de « croyance » (aggravée par
« digne d’enfants qui écoutent les contes de leurs nourrices ») « erreur », « vision ». Le narrateur en
énumère les causes réelles, circonstances atténuantes pour Raphaël : les « pensées de mort »,
« l’agacement de ses nerfs irrités », et donc son état suicidaire de moribond l’ont rendu extrasensible.
C’est une explication rationnelle, de médecin.
La dernière phrase vient cependant perturber cette certitude de l’erreur. Le narrateur commence
certes par redonner le cadre spatio-temporel : la précision réaliste (« quai Voltaire ») tout comme le
cadre bien connu, contemporain, sont donnés comme gages de civilisation : « Paris », « le dix-
neuvième siècle », c’est le cœur de la modernité (on n’est pas dans un vieux manoir perdu dans les
collines). On pourrait penser que Balzac va donc quitter la métaphysique, le sublime romantique,
pour revenir au réalisme. Mais il ne dit pas que la magie y « était » impossible : il dit qu’elle « devait
être impossible ». Avec ce modalisateur d’hésitation, nous sommes dans le fantastique pur : le
narrateur lui-même ne peut pas décider si la magie existe ou pas, si l’Antiquaire est un démon ou un
homme… et c’est cette indécidabilité qui fait le fantastique.

Idées pour la conclusion : raconter la suite du livre (la Peau de chagrin, dont on ne sait si elle a des
pouvoirs ou non). Faire référence à d’autres œuvres romantiques ou fantastiques, en appuyant sur la
notion de sublime (pour le romantisme) ou d’indécidabilité (pour le fantastique)

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