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Texte 1, Arrias, La Bruyère, Les Caractères, « De la société et de la conversation », 1688

Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et il se donne pour
tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose. On parle à la table
d’un grand d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent ;
il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était originaire ; il discourt des mœurs de cette
cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes ; il récite des historiettes qui y sont arrivées
; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusqu’à éclater. Quelqu’un se hasarde de le contredire,
et lui prouve nettement qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies, Arrias ne se trouble point, prend
feu au contraire contre l’interrupteur : « Je n’avance, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache
d’original : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris depuis
quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a caché aucune
circonstance. » Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée,
lorsque l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous parlez, lui-même, et qui arrive fraîchement
de son ambassade. »

La Bruyère, Les Caractères, 1688.

Introduction

La Bruyère est un célèbre moraliste du XVIIème siècle dont l’œuvre s’inscrit dans le classicisme. Il
est contemporain de Jean de La Fontaine, François de la Rochefoucauld. Dans Les Caractères, publiés
en 1688, Jean de La Bruyère s’attache à scruter, à observer avec finesse, avec justesse ses
contemporains afin de dresser une série de portraits satiriques qui présentent des contre-modèles
pour la société classique portée vers les valeurs de mesure, de modération et de civilité.

Contextualisation

Le portrait d’Arrias se situe dans le chapitre « De la société et de la conversation » des Caractères.

Projet de lecture :

Comment La Bruyère fait-il d’Arrias un contre-modèle de l’honnête homme et à travers lui, le contre-
modèle d’une société qui préfère l’artifice à la vérité ?

Deux mouvements :

1- « Arrias a tout lu… éclater » (L.1 à L. 7 )Arrias, l’anti-portrait de l’honnête homme

2- « Quelqu’un se hasarde… de son ambassade »(L.7 à 13) :critique de la société basée sur le
faux-semblant et l’artifice.

1er mouvement :

-Dès la première ligne, on comprend qu’Arrias est un personnage-type qui représente un caractère.
En effet, La Bruyère place d’emblée son personnage dans le registre satirique avec l’hyperbole «
Arrias a tout lu, a tout vu », ce qui l’inscrit dans la démesure et l’excès, des vices opposés à l’idéal
classique.

- La première phrase est saturée par le champ lexical de la tromperie et de la dissimulation qui met
en évidence le masque que porte le personnage : « persuader », « se donne pour tel », « mentir », «
paraître » ; Ce champ lexical permet à La Bruyère de dénoncer le caractère théâtral d’une société qui
fonde tout sur le paraître, sur l’apparence.

- A travers la phrase « c’est un homme universel », La Bruyère dénonce la démesure d’Arrias qui se
confond avec Dieu, ce qui est disproportionné. Cette démesure ne pouvait que déplaire au lecteur du
XVIIème siècle influencé par l’esthétique classique et le modèle de l’honnête homme.

- La démesure d’Arrias se retrouve dans le comparatif de supériorité « il aime mieux mentir que de se
taire ou de paraître ignorer quelque chose » qui valorise le vice « mentir » au détriment de la « vertu
».

- A partir de la deuxième phrase, Jean de La Bruyère met le portrait d’Arrias en action ; il invite le
lecteur à « la table d’un grand » ; Pour le lecteur du XVIIème siècle, une telle scène s’inscrit dans la
tradition satirique du repas ridicule.

- Le sujet de discussion est « une cour du Nord », ce qui est très éloigné des préoccupations des
français au XVIIème siècle.

-L’allitération en (p) et en (l) suggèrent le ton péremptoire d’Arrias et le flot de parole qui vient
prendre tout l’espace de la conversation.

- L’irréel du passé « ceux qui allaient dire ce qu’ils en savent » montre qu’Arrias n’est pas dans une
conversation mais dans un monologue, ce qui est une faute de goût et de bienséance au XVIIème
siècle.

-La conversation est un art véritable, qui relève du savoir vivre et de l’urbanité. Méconnaître ses
règles de mesure, de discrétion, de civilité éloigne Arrias du portrait idéal de l’honnête homme.

- La Bruyère continue d’utiliser le registre satirique pour tourner Arrias en dérision : Tout d’abord
l’anaphore du pronom personnel « il » sature la longue phrase, mettant en valeur le narcissisme
d’Arrias qui veut être l’acteur principal de ce dîner : « il prend la parole(…)il s’oriente(…) il discourt(…)
il récite(…)il les trouve et il en rit ». Ces répétitions transforment Arrias en pantin dont les actions
sont presque mécaniques.

- Le champ lexical de la parole « parole », « dire », « discourt », « récite », «contredire» souligne la


monopolisation de la parole.

- Alors qu’Arrias n’est jamais allé à « la cour du Nord » évoquée au dîner, qui est une « région
lointaine », il en parle « comme s’il en était originaire ». La locution conjonctive « comme si » révèle
la tromperie d’Arrias qui dissimule la vérité.

-L’énumération « mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses coutumes » est
ironique car elle reproduit les récits de voyages qui partaient de l’observation pour analyser les
coutumes des pays. Il utilise des subterfuges pour faire croire que ses sources sont fiables comme s’il
avait voyagé et mené de vraies enquêtes.

-Le lecteur a ainsi l’impression qu’Arrias compose un récit de voyage précis, documenté comme
l’attestent les déictiques démonstratifs et possessifs « cette cour », « ses lois », « ses coutumes » et
le diminutif « historiettes » qui suggère qu’il connaît la moindre anecdote de ces peuples.

-Pire encore, Arrias veut être l’acteur principal de ce théâtre de la société, mais il est lui-même son
propre public comme le montre le champ lexical du divertissement : « il les trouve plaisantes », « il
en rit le premier », « éclater ».
La société est donc présentée par La Bruyère comme un théâtre dont Arias est à la fois acteur,
metteur en scène et public ;

A travers Arrias, La Bruyère dresse donc un anti-portrait de l’honnête homme, modèle du XVIIème
siècle qui devait avoir le sens de la mesure, du naturel et du vrai.

2ème mouvement

(De « quelqu’un se hasarde à le contredire… de son ambassade »)

-La Bruyère adopte ironiquement le point de vue d’Arrias à travers la périphrase « l’interrupteur »
comme si le convive soucieux de vrai n’était qu’un imposteur venant interrompre scandaleusement
Arrias.

-La métaphore « prend feu » suggère l’intempérance d’Arrias qui l’oppose à l’honnête homme.

-L’utilisation du discours direct renforce la mauvaise foi de ce narcissique dont le lecteur a


l’impression d’entendre la voix. Arrias utilise alors le champ lexical de l’enquête pour donner plus de
rigueur à ses propos : « que je ne sache d’original », « je l’ai appris », « Sethon », « interrogé », «
circonstances ». Il veut créer l’impression d’un discours sourcé, avec un argument d’autorité car il ne
ferait que rapporter les propos « de Sethon, ambassadeur de France ». La longueur de la phrase
atteste de cette volonté de persuader : « Sethon », la source, est expansé par une apposition «
ambassadeur de France » censée faire autorité, puis par une proposition participiale «revenu à Paris
», et par trois propositions subordonnées relatives « que je connais familièrement, que j’ai fort
interrogé, et qui ne m’a caché aucune circonstance ». Cet effet cumulatif donne l’impression que la
parole d’Arrias submerge celle de l’«interrupteur». Phrase interminable, épouvantablement longue
comme si avec sa parole, avec ses mots, la phrase cherchait à imiter ses tons, on a l’’impression donc
que c’est un personnage qui submerge les autres.

-Arrias est donc en passe de gagner son duel verbal comme le montre le comparatif « il reprenait sa
narration avec plus de confiance qu’il ne l’avait commencée » ainsi que le terme « narration » qui
place ironiquement le discours d’Arrias dans le domaine de la fiction et non de la vérité.

-Mais La Bruyère propose un coup de théâtre plaisant pour le lecteur avec la rupture au passé simple
et la conjonction de subordination « lorsque » : « Lorsque l’un des convives lui dit ». Ce coup de
théâtre est d’autant plus humoristique que le convive dévoile l’identité de celui qui se cachait sous
les périphrases : le « quelqu’un » et « l’interrupteur » n’est en réalité autre que Séthon lui-même. Ce
retournement plaisant campe définitivement le portrait du fait dont on découvre la supercherie qui
est dévoilée. Arrias parlait depuis le début de la conversation avec cet homme qu’il disait connaitre
et qu’il n’avait visiblement jamais vu : le prétentieux est ainsi démasqué, il est ridiculisé, et la
supercherie est mise à jour. Ce retournement de situation intervient à la fin du texte : il s’agit donc
d’une pointe finale, d’une chute.

Conclusion :

La Bruyère dresse un portrait du fat et du narcissique dans la plus pure tradition de l’écriture
satirique. Mais à travers Arrias, il dresse surtout un anti-portrait de l’honnête homme et dénonce le
théâtre de la société. Pour les moralistes du XVIIème siècle, la société n’est qu’un théatrum
mundi(un théâtre du monde). Nous pouvons également citer Shakespeare qui s’est également
emparé de ce théatrum mundi et qui dit : « Le monde entier est un théâtre, et nous, hommes et
femmes, n’en sommes que les acteurs. »
Grammaire

1- « On parle à la table d’un grand d’une cour du Nord : il prend la parole.»(L .2-3)

Etudiez la circonstance puis remplacez-la par une proposition subordonnée conjonctive


circonstancielle dont vous indiquerez la fonction. Expliquez les changements opérés.

Réponse :

Il s’agit de deux propositions indépendantes juxtaposées par les deux points ;

La circonstance implicite est la condition ;

Manipulation : Si on parle à la table d’un grand de la cour du Nord, il prend la parole ;

Il prend la parole : proposition principale, pas de fonction

Si on parle à la table d’un grand de la cour du Nord : proposition subordonnée conjonctive


circonstancielle, introduite par la conjonction de subordination « si », cc de condition du verbe
prendre de la principale.

2- « Il les trouve plaisantes et il en rit le premier.»(L. 6)

Etudiez la circonstance puis remplacez-la par une proposition subordonnée conjonctive


circonstancielle dont vous indiquerez la fonction. Expliquez les changements opérés.

Réponse :

Il s’agit de deux propositions indépendantes coordonnées par la conjonction de coordination « et »

La circonstance implicite est la conséquence.

Manipulation

Il les trouve plaisantes si bien qu’ il en rit le premier.

Il les trouve plaisantes: proposition principale, pas de fonction

Si bien qu’il en rit le premier : proposition subordonnée conjonctive circonstancielle, introduite par la
conjonction de subordination « si bien que», cc de conséquence du verbe trouver de la principale.

3- « Arrias ne se trouble point »

Etudiez la négation.

« Je ne raconte rien que je ne sache d’original »

Etudiez la négation.

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