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Social Science Information

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De la science normale à la science marginale. Analyse d'une


bifurcation de trajectoire scientifique: le cas de la Théorie de la
Relativité d'Echelle
Vincent Bontems and Yves Gingras
Social Science Information 2007; 46; 607
DOI: 10.1177/0539018407082595

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Studies of science
Etudes sur la science

Vincent Bontems et Yves Gingras

De la science normale à la science marginale.


Analyse d’une bifurcation de trajectoire
scientifique: le cas de la Théorie de la
Relativité d’Echelle

Résumé. Dans le champ scientifique, les agents peuvent choisir de collaborer à la


science ‘normale’, se placer à l’avant-garde la plus légitime (les ‘supercordes’, la
‘matière noire’, etc.), ou encore développer leurs recherches dans un nouveau cadre
théorique, avec tous les risques que cela comporte. La marginalité d’une théorie
soulève la question de la stratégie de ceux qui y collaborent même au détriment de
leur ‘intérêt’ à court terme, qui oriente plutôt vers la compétition immédiate pour
occuper les positions centrales dans les domaines déjà constitués. La théorie de la
relativité d’échelle (TRE) présente l’intérêt d’une telle situation car elle ouvre une
possibilité qu’il faut créer de toutes pièces. S’y investir engage davantage que le choix
d’un projet ‘risqué ’ (par sa difficulté même) dans le cadre d’un paradigme existant
car, d’une part, la TRE innove par rapport aux bases conceptuelles déjà acceptées par
tous et, d’autre part, se trouve aussi marginalisée par rapport à l’avant-garde la plus
légitime (comme celle des ‘supercordes’). Ainsi, le cas de la TRE permet d’étudier une
région du champ scientifique peu explorée par une sociologie des sciences qui fixe
surtout son regard sur les cas extrêmes: histoire de théories devenues reconnues ou
controverses spectaculaires.La TRE occupe encore, en 2006, une position marginale
dans le champ de la physique. Son statut diffère toutefois radicalement des ‘théories’
produites à l’extérieur du champ, sans correspondre pour autant à celui de la science
stabilisée et sanctionnée: comme nous allons le montrer par une analyse bibliométrique
détaillée, sa diffusion au sein du champ scientifique est relativement modeste mais
réelle, et ses résultats, quand ils reçoivent la sanction d’une publication scientifique,
sont rarement pris en compte par les chercheurs qui n’y collaborent pas déjà. Cette

Information sur les Sciences Sociales © SAGE Publications 2007 (Los Angeles, Londres,
New Delhi et Singapore), 0539–0184
DOI: 10.1177/0539018407082595 Vol 46(4), pp. 607–653; 082595

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situation d’isolement au sein du champ révèle une tension conflictuelle entre la


transformation que vise à opérer l’innovation théorique et les normes de l’évaluation
normale entre pairs. En conclusion, nous comparerons la stratégie du fondateur de la
TRE avec celle d’autres chercheurs ayant opéré, à un certain moment de leur carrière,
une réorientation de leur trajectoire scientifique, afin de mettre en évidence les
conditions sociales de bifurcations qui mettent en péril le capital scientifique cumulé
jusque-là.

Mots-clés. Controverse scientifique – Laurent Nottale – Relativité d’échelle – Science


marginale

Abstract. In the scientific field, agents can choose to contribute to ‘normal’


science, operate within the most highly legitimated avant-garde science
(‘superstrings’, dark matter, etc.) or instead, develop theories within an entirely
new theoretical framework, despite the risks which this entails. But the
marginality of such theories raises a problem of strategy: those who choose to
work on them do so at the expense of their own short-term interests, which would
normally be oriented towards occupying a central position in already well-
established fields. The theory of scale-relativity (TSR) demonstrates the interest
of such a situation: the door is open to new possibilities, but ones that must be
built ‘from scratch’. To pursue work in this direction is more demanding than to
choose a project considered risky (due to its inherent difficulty) within the
confines of an existing paradigm. On the one hand, TSR proposes to ‘innovate’
and branch out from already widely-accepted conceptual bases, while, on the
other hand, it finds itself in a marginal position with respect to the most
legitimate avant-garde theories, such as ‘superstrings’. The case of the TSR thus
allows us to study a region of the scientific field which has hardly been explored
by a sociology of science that focuses primarily on ‘extreme’ cases: histories of
theories which have since been vindicated or spectacular controversies. In 2006,
TSR occupies a marginal position within the field of physics. Its status differs
widely from ‘theories’ produced outside the field, yet does not correspond to any form
of stable, accepted science. As we will show, using a detailed bibliometric analysis,
the theory’s diffusion throughout the scientific field has been limited – albeit real –
and its results, when sanctioned by an official publication, are rarely taken into
account by researchers who are not already TSR collaborators. This isolation within
the field reveals conflict and tension between the transformation intended by a
theoretical innovation and the norms of standard peer review. As a conclusion, we
will compare the strategies of TSR’s founder with those of other researchers who – at
some point in their career – have attempted to reorient their scientific trajectory,
which in turn reveals the social conditions of these bifurcations that put previously
accumulated scientific capital at risk.

Key words. Laurent Nottale – Marginal science – Scale relativity – Scientific controversy

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 609

Plusieurs articles ont étudié, en sociologie des sciences, la construction


sociale des critères de démarcation entre science et non-science, que ce
soit à travers le cas des para-sciences (Collins et Pinch, 1979; Wallis,
1979) ou de théories scientifiques controversées (Collins, 1975, 1981;
Dolby, 1996), mais il existe encore peu de recherches sur les théories
marginales produites à l’intérieur du champ scientifique mais ne susci-
tant guère de controverse et demeurant isolées du mainstream de la
recherche. La plupart des travaux sur la ‘science en action’ se concen-
trent sur la recherche la plus légitime (qui mène souvent au prix Nobel)
ou la plus visible (suscitant de vives controverses), mais rarement sur la
‘science marginale’.1 Il est pourtant aussi pertinent d’analyser la
stratégie de scientifiques que leur trajectoire amène à occuper les marges
du champ scientifique que celle des chercheurs qui parviennent à des
positions centrales. La marginalité ne sanctionne en effet pas seulement
l’échec dans la compétition au sein du champ, elle est aussi l’indice
d’une lutte pour redéfinir sa hiérarchie existante.
S’il est certain que l’orientation des évolutions d’un champ dépend de
l’état du système des possibilités qu’il offre à un moment de son histoire,
il n’est pas moins certain qu’elle dépend aussi des intérêts (le plus sou-
vent tout à fait ‘désintéressés’ au sens économique du terme) qui orien-
tent les agents – en fonction de leur position au pôle dominant ou au pôle
dominé du champ – vers les possibilités les plus sûres, les plus établies,
ou vers les possibles les plus nouveaux parmi ceux qui sont déjà consti-
tués socialement ou même vers des possibilités qu’il faut créer de toutes
pièces (Bourdieu, 1994: 70).
Dans le champ de la physique, les agents peuvent ainsi collaborer à la
science normale, même ‘hypernormale’ pour reprendre le terme de
Gérard Lemaine (1980), ou à l’avant-garde la plus légitime (les ‘super-
cordes’, la ‘matière noire’, etc.), ou encore développer leurs recherches
dans un nouveau cadre théorique, avec tous les risques que cela com-
porte. C’est pourquoi la marginalité d’une théorie soulève la question de
la stratégie de ceux qui y collaborent même au détriment de leur ‘intérêt’
à court terme qui oriente plutôt vers la compétition immédiate pour
occuper les positions centrales dans les domaines déjà constitués.
La théorie de la relativité d’échelle (TRE) présente l’intérêt d’une telle
situation car elle ouvre une possibilité ‘qu’il faut créer de toutes pièces’
pour reprendre les termes de Bourdieu. En cela, le cas de la TRE diffère
de celui de la théorie des variables cachées de David Bohm, par exemple,
dont l’interprétation déterministe de la mécanique quantique est certes
marginale mais s’inscrit dans une lignée théorique préexistante (les
travaux de Louis de Broglie). Bohm ne propose pas tant un nouveau

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paradigme qu’une interprétation différente de l’équation de Schrödinger


(Freire, 2005). Contrairement aux cas habituels de controverses, les
résultats de la TRE ont par ailleurs peu d’échos même quand ils préten-
dent expliquer des phénomènes importants comme la quantification des
orbites des planètes. Le choix de s’y investir engage davantage que le
choix d’un projet ‘risqué’ (par sa difficulté même) dans le cadre d’un para-
digme existant (Lemaine, 1980) car, d’une part, la TRE innove par rap-
port aux bases conceptuelles déjà acceptées par tous et, d’autre part, se
trouve aussi marginalisée par rapport à l’avant-garde la plus légitime
(comme les ‘supercordes’). Ainsi, le cas de la TRE permet d’étudier une
région du champ scientifique peu explorée par une sociologie des sci-
ences qui fixe surtout son regard sur les cas extrêmes: histoire de théories
devenues reconnues (paradigmes) ou controverses spectaculaires.
La TRE s’est développée à partir de 1984, sous l’impulsion de l’astro-
physicien et physicien Laurent Nottale,2 directeur de recherche en astro-
physique extragalactique au laboratoire Univers et Théorie (LUTH) de
l’Observatoire Paris-Meudon, avec pour ambition de réconcilier la
physique relativiste et la mécanique quantique par-delà le ‘schisme’ de la
physique (Popper, 1982). Sa relative popularité (surtout en France) auprès
des amateurs de vulgarisation scientifique s’explique par la présentation
enthousiaste qui en a été faite dans certaines revues de vulgarisation, et
contraste avec les réticences ou l’indifférence rencontrées chez la plupart
des physiciens.3 La TRE occupe encore, en 2006, une position marginale
dans le champ de la physique. Son statut diffère toutefois radicalement des
‘théories’ produites à l’extérieur du champ, sans correspondre pour autant
à celui de la science stabilisée et sanctionnée: comme nous allons le mon-
trer par une analyse bibliométrique détaillée, sa diffusion au sein du
champ scientifique est relativement modeste mais réelle, et ses résultats,
quand ils reçoivent la sanction d’une publication scientifique, sont
rarement pris en compte par les chercheurs qui n’y collaborent pas déjà.
Comparée à une théorie non stabilisée mais dominante comme les super-
cordes, la TRE fait figure de petite entreprise et même d’artisanat qui con-
traste avec les nombreux chercheurs qui se consacrent à faire avancer la
théorie controversée des supercordes.4
Cette situation d’isolement au sein du champ révèle une tension con-
flictuelle entre la transformation que vise à opérer l’innovation théorique
et les normes de l’évaluation normale entre pairs. Le scientifique qui
entend travailler au sein d’un cadre théorique identifié, à tort ou à raison,
comme ‘hétérodoxe’, s’expose à un processus de marginalisation: les
dynamiques dominantes des anticipations du champ orientent la plupart
des agents vers d’autres positions, déjà occupées mais légitimes, les

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 611

conduisant à produire et à constater l’isolement du dominé, qui fait ainsi


figure de ‘loup solitaire’, pour reprendre l’image de Fritz Zwicky
(1898–1974), dont les idées sur les lentilles gravitationnelles et sur la
matière noire offrent justement en astrophysique un exemple de travaux
jugés déviants dans les années 1930, puis longtemps négligés, avant de
devenir, 40 ans plus tard, la référence théorique dominante. Notre étude
de la TRE traite donc un cas de ‘science en action’ encore ouvert.
Le développement de la TRE accompagne la trajectoire de son inven-
teur et principal promoteur, Nottale, depuis son champ d’origine, l’astro-
physique extragalactique, jusque dans des champs éloignés de la physique
théorique. Nous analysons cette trajectoire à partir d’éléments recueillis
lors d’un long entretien et d’échanges de courriels avec Nottale, com-
plétés par une analyse bibliométrique de ses travaux et de leur réception.
L’entrevue nous permet d’avoir accès à la perception subjective du risque
encouru par le choix de ‘bifurquer’ vers une trajectoire marginale après
avoir été reconnu pour des travaux ‘classiques’ alors que l’étude du
réseau des publications et des citations nous permet de positionner
Nottale dans le champ scientifique par une analyse des usages de la TRE
par d’autres chercheurs dans différentes spécialités. La TRE n’est pas
encore devenue une théorie anonyme:5 citer la TRE ne signifie pas néces-
sairement en adopter le cadre théorique, mais établit tout de même un lien
avec l’activité et la personnalité de son inventeur. Une analyse des con-
textes de citation précisera les modes d’appropriation de la TRE. Il va de
soi que l’analyse des citations ne permet pas de couvrir tous les modes
d’appropriation: des références implicites, des contacts directs avec l’au-
teur et des influences sur des travaux connexes mais non explicitement
reliés à ceux de l’auteur sont possibles. Il demeure cependant très peu
probable qu’un programme de recherche très visible et influent reste
invisible dans les réseaux de citation. Nous examinerons donc le réseau
des chercheurs citant les travaux de Nottale, et plus particulièrement ceux
qui se réfèrent à la TRE. Le spectre de leur distribution par discipline, qui
s’étend de l’astrophysique extragalactique jusqu’à la paléontologie, en
passant par la mécanique quantique, est susceptible, au premier abord,
d’éveiller un certain scepticisme, voire le soupçon d’une fuite en avant.
Toutefois, sans approfondir ici les enjeux épistémologiques, la structure
transdisciplinaire de la TRE sera analysée en fonction de la stratégie de
Nottale et de ses déplacements dans l’espace scientifique durant les dif-
férentes phases de développement de ses relations avec les chercheurs
venus d’horizons différents. En conclusion, nous comparerons la
stratégie de Nottale avec celle d’autres chercheurs ayant opéré, à un
certain moment de leur carrière, une réorientation de leur trajectoire

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scientifique, afin de mettre en évidence les conditions sociales de telles


bifurcations,6 qui mettent en péril le capital cumulé jusque-là.

Une trajectoire scientifique segmentée

Nous découperons cette trajectoire en deux segments: l’un ‘classique’,


comparable à celui de ses collègues astrophysiciens, consacré à l’étude
des lentilles gravitationnelles, qui lui a permis une première accumula-
tion de capital scientifique légitime; l’autre ‘non-classique’, dédié à
l’élaboration d’une théorie entièrement nouvelle, la TRE, très originale
par la diversité des sous-champs de la physique, et même extérieurs au
domaine de la physique, auxquels elle entend s’appliquer. Entre ces
deux segments aux orientations différentes se pose la question des moti-
vations de Nottale et de sa perception des risques qu’une telle bifurca-
tion impliquait pour la suite de sa carrière.
Dans ses réflexions sur les rapports entre l’habitus des savants et les
positions occupées dans le champ scientifique, Pierre Bourdieu propo-
sait de ‘distinguer des familles de trajectoires avec notamment l’opposi-
tion entre d’un côté les centraux, les orthodoxes, les continuateurs et, de
l’autre, les marginaux, les hérétiques, les novateurs qui se situent sou-
vent aux frontières de leur discipline (qu’ils traversent parfois) ou qui
créent de nouvelles disciplines à la frontière de plusieurs champs’
(Bourdieu, 2001: 87). Dans le cadre de cette problématique, le cas de
Nottale est intéressant, car c’est le même individu qui porte les deux
types de trajectoire opposés.
Sur la Figure 1, qui retrace l’évolution des publications scientifiques
de Nottale au cours des trente dernières années (1975–2005), on
observe, malgré une certaine superposition, deux phases distinctes. La
première correspond à une trajectoire ‘classique’ qui débute en 1975 et
s’achève en 1991, même si dans les années suivantes l’auteur publie
encore quelques textes de vulgarisation sur son premier thème de
recherche. La seconde définit une trajectoire qu’on qualifiera de ‘non-
classique’, qui commence avec le premier article consacré à l’espace-
temps fractal (Nottale et Schneider, 1984) et se poursuit à l’heure
actuelle. De 1975 à 1983, Nottale connaît une période de productivité
intense dans des revues prestigieuses (comme Nature en 1976 et 1977:
Karoji et Nottale, 1976; Nottale et Vigier, 1977). Les articles de cette
période portent principalement sur les effets de ‘lentilles gravitation-
nelles’ dans le domaine de l’astrophysique extragalactique. A partir de
1984, vient se superposer à cette première trajectoire l’esquisse d’une

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 613

trajectoire non classique avec les premières publications consacrées à sa


nouvelle théorie, qu’il baptise TRE en 1992 (Nottale, 1992). D’autres
publications témoignent de la bifurcation qui s’opère: en 1993, Nottale
publie un livre sur la TRE à destination du public scientifique, Fractal
Space-Time and Microphysics: Towards a Theory of Scale Relativity
(dorénavant cité par l’acronyme FSTM); et en 1998 paraît son livre de
vulgarisation sur le même sujet La relativité dans tous ses états. Enfin,
à partir de 1999, on observe l’exportation du formalisme de la TRE hors
de la physique vers les sciences de la vie et les sciences sociales par le
biais de collaborations transdisciplinaires prolongées, en particulier avec
le paléontologue Jean Chaline et l’économiste Pierre Grou (Chaline,
Nottale et Grou, 1999).
La production de la TRE est avant tout liée au second segment de la
trajectoire de Nottale et il est nécessaire d’en analyser la réception et les
modes de diffusion au sein du champ scientifique en reproduisant cette
démarcation. La Figure 2 confirme l’existence de deux périodes dis-
tinctes: les références à la TRE ne décollent qu’en 1994, soit un an après
la publication de FSTM. Elles dépassent en nombre les références faites
à ses articles classiques à partir de 1996, ce qui est un indice du nouveau
capital scientifique et de ce que la perception de la trajectoire de Nottale
par les autres agents du champ scientifique se modifie. Si les deux
courbes (classique et non-classique) fluctuent similairement entre 1994
et 2001, elles évoluent de manière dissociée ensuite: les références aux
travaux sur les lentilles gravitationnelles s’amenuisent progressivement
(le dernier article savant datant de 1991), tandis que les références à la
TRE remontent jusqu’à atteindre 35 par an la dernière année étudiée
(2005). Le pic de la production classique de Nottale, en 1986 (5 articles),
est suivi de l’accroissement de ses citations qui se maintiennent en
moyenne au-dessus de 15 par an jusqu’en 1998 et ne s’effondrent qu’en
2001, soit dix ans après son dernier article classique. Les articles clas-
siques de Nottale, même s’ils ont une durée de vie assez longue, sont
soumis au phénomène de ‘l’oblitération par incorporation’: tous les
astrophysiciens connaissent le weak lensing, mais personne ne cite plus
Nottale comme en étant l’un des initiateurs.7 En revanche, la TRE n’est
pas encore incorporable, au sens où les autres chercheurs pourraient s’en
approprier des résultats sans avoir à en signaler la provenance.
Un autre indice de la différence entre les trajectoires classique et non-
classique de Nottale, et de son déplacement hors du champ de l’astro-
physique, est que l’éventail des revues qui accueillent ses articles
classiques diffère presque totalement de celui des revues qui publient ses
travaux sur la TRE. Sur la Figure 3, Astronomy and Astrophysics (A&A)

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Année

Classique Non-Classique

FIGURE 1
Evolution des publications de Nottale, selon le type d’article, 1975–2005
Source: Web of Science (décembre 2005)
Bontems et Gingras Etudes sur la science 615

Classique Non-Classique

FIGURE 2
Evolution des citations à Nottale, selon le type d’article cité, 1975–2005

Source: Web of Science (décembre 2005)

représente un peu plus de la moitié de ses publications sur les lentilles


gravitationnelles et l’on retrouve aussi Nature, la revue scientifique la
plus prestigieuse.
Par contraste, la Figure 4 montre que c’est une revue plus interdisci-
plinaire, Chaos, Solitons and Fractals (CSF), qui publie la moitié des
articles non-classiques, A&A arrivant en second avec 17 pour cent. Cette
distinction des trajectoires se confirme du côté de la réception: 53 pour
cent des articles citant (sans auto-citation) des travaux classiques de
Nottale ont été publiés dans A&A tandis que 55 pour cent des articles
faisant référence à la TRE (sans auto-citation) l’ont été dans CSF. On
observe donc un découplage quasi-complet des deux trajectoires en ter-
mes d’accès à la publication et à la visibilité.
Le cadre général de l’analyse étant établi, revenons maintenant en
détail sur le parcours de Nottale, car il permet de comprendre les raisons
de la ‘bifurcation’ qui intervient dans le passage de sa trajectoire clas-
sique à sa trajectoire non-classique et de nuancer le caractère ‘classique’
de ses débuts en rappelant son association à des travaux alors jugés mar-
ginaux en astrophysique.

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Iau Symposia; 1; 3%
A&SS; 1; 3%
MNRAS; 2; 7%

AJ; 2; 7%

CRAS - B; 2; 7%

A&A; 16; 53%

AdP; 3; 10%

Nature; 3; 10%

FIGURE 3
Répartition par revue des 30 articles classiques de Nottale (1976–91)

Note: Voir la Table des acronymes en annexe.


Source: Web of Science (décembre 2005)

La phase classique: une ‘étoile montante’ de l’astrophysique

En 1969, Nottale intègre une classe préparatoire du Lycée Hoche de


Versailles, établissement aussi élitiste dans son recrutement que les
lycées parisiens Louis le Grand ou Henry IV, avant de réussir le con-
cours d’entrée à l’Ecole Centrale de Paris en 1972: ‘Pour moi, Centrale
n’était pas un but en soi. Mon idée était de rentrer dans une classe pré-
paratoire, puis une grande école, avec pour objectif de faire de la
recherche’.8 En 1975, jeune diplômé d’une ‘grande école’, il poursuit en
effet sa carrière dans la recherche et entame une thèse sur la
‘Perturbation de la relation de Hubble par les amas de galaxies’ à l’uni-
versité de Paris VI sous la direction de Jean-Claude Pecker, alors
directeur de l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP), titulaire de la
chaire d’astrophysique théorique au Collège de France et président de
la Société Astronomique de France. Pecker est alors aussi connu pour
ses travaux hétérodoxes sur le ‘vieillissement des photons’, auxquels
Nottale dit ne pas adhérer: ‘Comme je travaillais avec lui, et qu’il avait
ces vues hétérodoxes, on me les attribuait, et aujourd’hui encore, je ne

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 617

CRAS - II; 1; 4%
JoMaP; 1; 4%
JoP-A; 1; 4%

CRB; 1; 4%

IJoMP; 2; 9%
CSF; 11; 49%

CRAS - A; 2; 9%

A&A; 4; 17%

FIGURE 4
Répartition par revue des 30 articles non-classiques de Nottale (1984–2005)
Note: Voir la Table des acronymes en annexe.
Source: Web of Science (décembre 2005)

suis pas sûr qu’on sache que je n’y ai jamais adhéré’.9 Il demeure
cependant que plusieurs de ses premiers articles signés avec J.C. Pecker
et J.P. Vigier portent sur des questions liées à la ‘lumière fatiguée’
comme celle des red-shifts dits ‘anormaux’ qui sont interprétés dans ce
cadre théorique marginal.10 Il est donc plausible que les lecteurs de ces
travaux l’aient associé à un programme de recherche hétérodoxe:
Pecker travaillait en collaboration avec [Jean-Pierre] Vigier, et ils essayaient
d’expliquer par un vieillissement de la lumière certaines anomalies du modèle stan-
dard. Il y avait, en effet, un grand nombre d’observations astronomiques qui avaient
l’air incompréhensibles et contradictoires avec les idées dominantes. Ils supposaient
que le photon avait une masse et pouvait éventuellement interagir faiblement avec des
particules (ce qui changeait la physique des particules de manière assez profonde).
Alors, Pecker et Vigier acceptaient l’existence de ces effets-là et proposaient à leurs
étudiants un double travail: un travail d’analyse des données, pour montrer que de tels
effets existent, puis un travail d’interprétation, et ce qu’ils proposaient, c’était la
‘lumière fatiguée’, etc. Je suis entré là-dedans, j’ai commencé à faire de l’analyse des
données, prouvant que les effets étaient vraiment une réalité, en tout cas, qu’ils étaient
extrêmement probables, et puis j’en ai même trouvé d’autres, en particulier, des effets
de distorsion de la relation de Hubble par les amas de galaxies.11

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618 Social Science Information Vol 46 – no 4

A la fin des années 1960, les prédictions de Zwicky (1937a, 1937b)12


quant à la possibilité de détecter des effets de lentille gravitationnelle sont
encore jugées fantaisistes par la plupart des astronomes et astrophysi-
ciens. Inspiré par la lecture d’un ouvrage de ce physicien (Morphological
Astronomy), Nottale décide de travailler à vérifier l’hypothèse de Zwicky:
Je me suis mis à bosser sur les lentilles gravitationnelles sans être en accord avec la com-
munauté extérieure, pour laquelle de tels effets n’existaient pas. On ne les avait jamais
détectés, et la plupart des chercheurs en étaient restés à ce que disait Einstein en 1936
[Einstein, 1936]: ‘on ne les trouvera pas, c’est trop petit, c’est un effet négligeable’.13

A l’aide de modèles théoriques de distribution (solutions localement


inhomogènes de la relativité générale), Nottale arrive à la conclusion que
les lentilles gravitationnelles doivent exister en grand nombre et à toutes
les échelles. Ainsi, ce qui n’était qu’une conséquence virtuelle de la
théorie d’Einstein, et, somme toute, considérée comme un aspect sec-
ondaire, devient, dans la perspective de sa recherche, une généralité et une
source potentielle d’observations inédites. Les effets de lentilles, loin
d’être un phénomène exceptionnel, peuvent jouer un rôle important en
cosmologie observationnelle, en particulier dans les amas de galaxies (au-
delà des effets de galaxies individuelles), qui deviennent ainsi le plus puis-
sant des ‘télescopes gravitationnels’. Nottale étudie leur impact sur la
relation de Hubble effective dont les fluctuations, loin d’être une ano-
malie, sont, au contraire, par la prise en compte des effets de lentilles, une
confirmation de la relativité générale. Dès avant sa première année de
thèse, il publie donc, avec Hiroshi Karoji (professeur à l’Observatoire
astronomique national du Japon) et Jean-Pierre Vigier, chercheur à
l’Institut Henri Poincaré (et disciple de Louis de Broglie), un article sur les
déviations à la relation de Hubble, dans les Comptes-Rendus
Hebdomadaires de l’Académie des Sciences série B (Karoji, Nottale et
Vigier, 1975). A peine un an plus tard, encore avec Karoji, paraît son
premier article dans la revue Nature (Karoji et Nottale, 1976). Celui-ci
établit statistiquement qu’un échantillon de ‘chandelles’ standards situées
derrière les amas les plus riches en galaxie est plus brillant que les autres.
Les auteurs interprètent ce résultat comme étant un effet de lentille gravi-
tationnelle dû aux amas de galaxies. Bien que certains astronomes expri-
ment leur scepticisme (Dyer et Roeder, 1976), d’autres articles sont
ensuite acceptés dans des revues majeures du champ de l’astrophysique
(Astrophysical Journal, Astronomy and Astrophysics), confirmant la
fécondité des perspectives ouvertes. L’interruption des publications d’arti-
cles, entre 1979 et 1980, s’explique par son départ pour le service national
comme scientifique du contingent (août 1979 à juillet 1980). Nottale con-

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 619

sacre aussi cette année à son doctorat d’Etat ès sciences physiques, qu’il
soutient avec succès le 9 juin 1980 à l’université Paris VI, avant d’être
recruté l’année même, à 28 ans, comme chargé de recherche (c’est-à-dire,
aujourd’hui, en tant que ‘chargé de première classe’ par différence avec un
‘chargé de seconde classe’ alors appelé ‘attaché de recherche’) au Centre
National de la Recherche Scientifique (CNRS).
Comme on peut en juger par ce qui précède, la trajectoire de Nottale est
alors relativement ‘classique’ dans le champ des institutions françaises.
Elle se conforme aux canons de l’excellence: issu d’une classe prépara-
toire, il intègre une grande école, puis accumule rapidement un capital sci-
entifique prometteur (par des publications dans des revues internationales
prestigieuses) et obtient une position institutionnelle, modeste mais néan-
moins appréciable, avec l’obtention de son poste au CNRS. Sa nouvelle
position lui offre une certaine autonomie dans la poursuite de ses
recherches. Il cumule des compétences théoriques et observationnelles
rarement réunies, car plus souvent scindées entre les deux pôles
(théorie/observation) qui structurent la division du travail scientifique.
Toutefois, aussi polyvalent qu’il ait été à son entrée au CNRS, la mise
en œuvre de son programme de recherche sur les lentilles gravitationnelles
supposait la collaboration avec d’autres agents du champ et, surtout, la
disponibilité des appareils d’observation permettant la confirmation de ses
prédictions théoriques. De 1980 à 1983, Nottale publie 6 articles dans
A&A, dont 2 en collaboration. Il constitue avec Guy Mathez un centre de
données sur les amas de galaxies. Il collabore ensuite avec Bernard Fort
(qui deviendra directeur de l’IAP en 1998) pour détecter des objets situés
derrière les amas de galaxies. Il formule aussi en collaboration avec
Mathez et Fort de nombreuses demandes de temps d’observation. Mais
ces demandes de missions régulières au Télescope Canada – France –
Hawaï, si elles reçoivent le soutien des théoriciens, se heurtent au scepti-
cisme des astronomes observateurs et seront toutes rejetées.14 Fort conti-
nuera seul ses demandes pour l’observation des secteurs concernés, sans
plus mentionner la détection d’effet de lentilles gravitationnelles comme
étant son objectif, et finira ainsi par obtenir du temps d’observation, ce qui
conduira, en 1987, à la publication d’un article qui sera, après coup, con-
sidéré comme la première mise en évidence de l’existence ‘d’arcs gravi-
tationnels’ (Soucail, Fort et Mellier, 1987). Entre temps, la frustration
éprouvée suite à la difficulté de pouvoir mener des observations expéri-
mentales contribue sans doute à l’orientation beaucoup plus théorique que
vont prendre les recherches de Nottale.
La Figure 5 recense les chercheurs ayant fait référence aux travaux de
Nottale au moins une fois de 1980 à 1986. On y observe la formation de

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620
Social Science Information Vol 46 – no 4

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FIGURE 5
Réseau des auteurs citant Nottale, selon la discipline (1980–86)

Source: Web of Science (décembre 2005)


Bontems et Gingras Etudes sur la science 621

deux réseaux distincts de citations. Le plus important s’organise autour


de travaux sur les lentilles gravitationnelles. On remarque que ce ne sont
pas seulement des astrophysiciens, mais aussi des physiciens qui citent
ces travaux. Le point jumeau de Nottale, François Hammer, n’est autre
que le premier doctorant qu’il a dirigé. Dans le second réseau, T. Moulin
est le spécialiste des automates cellulaires avec qui Nottale a travaillé
parmi les scientifiques du contingent durant son service militaire.15
A la fin des années 1980, la prise en compte des lentilles gravitation-
nelles se généralise en astrophysique extragalactique et en cosmologie.
Nottale y contribue en publiant 16 articles de 1984 à 1991: 5 en son nom
seul, le reste en collaboration.16 L’observation des deux premiers arcs
gravitationnels derrière les amas A370 et A2218 par B. Fort, en 1987,
confirme le bien fondé des demandes d’observations antérieures et con-
tribue à asseoir sa réputation d’astrophysicien: il reçoit, en 1987, le prix
‘Digital’ de la Société française des spécialistes en Astronomie, et un
prix de l’Académie des sciences de Paris. En 1989, sa situation institu-
tionnelle s’améliore: il devient, à 37 ans, directeur de recherche au
CNRS, ce qui lui confère une grande autonomie. Il semble d’ailleurs que
cet objectif atteint, il se soit progressivement désinvesti de la compéti-
tion autour des lentilles gravitationnelles (son dernier article scientifique
sur le sujet paraît en 1991) pour se consacrer à l’élaboration de la TRE.
Lorsque nous l’avons interrogé sur ce ‘coming out’, Nottale a
souligné qu’il avait conscience des risques encourus à s’engager dans
cette voie depuis le tout début de ses réflexions. Il dit ainsi avoir
développé précocement la stratégie du ‘profil bas’ afin de conserver
toutes ses chances de devenir chercheur:
Dès que j’ai eu cette idée-là, je ne me suis pas dit (je n’étais pas encore au CNRS):
‘Tiens, je vais annoncer cela comme orientation de recherche lors de ma candidature
au CNRS! Je vais travailler là-dessus’. Je n’aurais jamais fait une chose pareille. Je n’ai
pas mis dans mes rapports d’activité au CNRS, avant la fin des années 80, que je
travaillais là-dessus. Je faisais cela en parallèle, en plus, comme si c’était dans mes
heures de loisir ... Je savais que ce n’était pas publiable. Je savais que je ne pouvais pas
faire carrière ou même simplement avoir un poste, si je faisais état de pareilles
recherches. Si j’avais annoncé que je travaillais dans cette voie, j’aurais supprimé toute
possibilité d’avoir un poste dans la recherche, malgré mes treize articles dans les
revues à referees, mon doctorat d’état, etc. Ensuite, pendant dix ans, je gardais ça en
tâche de fond, et c’est, effectivement, quand j’ai été reconnu pour mon travail sur les
lentilles (le prix Digital et d’autres récompenses), que j’ai été nommé directeur de
recherche au CNRS, et que je me suis dis: ‘Maintenant, je prends le risque’.17

La bifurcation intervient donc selon une chronologie relevant stricte-


ment des conditions sociales d’exercice de la profession. Nottale a pra-
tiqué une stratégie d’autocensure pour faire carrière et ce n’est qu’une

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622 Social Science Information Vol 46 – no 4

fois assurée sa position, et l’autonomie qu’elle confère, qu’il a pu envisa-


ger de développer ses idées sur l’espace-temps fractal. Sa trajectoire sci-
entifique classique s’achève donc en 1991, même si ses travaux
antérieurs continuent d’attirer l’attention.

La bifurcation vers l’espace-temps fractal

Nottale découvre Les objets fractals: forme, hasard et dimension de


Benoît Mandelbrot en 1980, par l’entremise de T. Moulin:
Quand j’ai commencé à penser que la mécanique quantique manquait d’un espace-
temps, et que cet espace-temps dépendait explicitement de l’échelle, j’en ai parlé à
Moulin et il m’a dit ‘ce que tu décris ce sont les fractales de Mandelbrot’. Je connais-
sais ce nom de ‘fractal’ de loin, à partir des articles de vulgarisation, mais sans plus,
alors qu’ensuite j’ai plongé dans le bouquin de Mandelbrot.18

Nottale soupçonne la géométrie fractale, qui rend compte de la structure


des amas de galaxie, de recéler aussi la solution d’une énigme bien plus
grande encore: celle du ‘schisme’ de la physique entre physique rela-
tiviste et mécanique quantique.
Selon Mandelbrot, les fonctions fractales, c’est-à-dire continues non
différentiables, loin de former une collection de monstres théoriques,
fournissent des modèles d’une grande universalité pour comprendre les
phénomènes naturels, parmi lesquels les distributions et les structures
observées en cosmologie. L’idée de Nottale est d’aller plus loin en
faisant de la fractalité le cas général de la géométrie: il abandonne le
principe (implicite) de la différentiabilité et postule un espace-temps
‘fractal’, dont la rugosité demeure imperceptible à notre échelle, mais se
manifeste en revanche aux petites échelles de la microphysique et
explique certaines propriétés quantiques. Il rédige alors, avec Jean
Schneider, un article intitulé ‘Fractals and Nonstandard Analysis: a
model for the microstructure of space’, où les coordonnées intrinsèques
d’une courbe fractale (continue non différentiable) sont définies au
moyen de l’analyse non-standard. L’article mentionne la possibilité
d’une description spatio-temporelle de la mécanique quantique,
développe la description de l’outil mathématique et présente certaines
applications en cosmologie.
Soumis au Journal of Physics série A (JoP-A), en 1981, cet article
fournit l’occasion de voir à l’œuvre le processus d’évaluation par les
pairs auquel sera constamment confronté Nottale dans ses tentatives de
publier ses travaux non-classiques dans les revues centrales de la
physique. Alors que l’article est accepté par l’un des évaluateurs, sans

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 623

commentaire particulier, il est refusé par l’autre, qui met en doute le sens
physique du concept d’espace fractal, ainsi que son éventuelle applica-
tion en mécanique quantique. Un troisième scientifique est alors sollici-
té pour départager les évaluateurs. Moins sceptique, il refuse néanmoins
finalement l’article, le 7 avril 1982: ‘The idea of using non standard
analysis to analyse (or to provide new models for) fractals is a reason-
able one ... The article should not be published, but the authors should
be encouraged to pursue their investigations more profoundly’.19 Nottale
se trouve alors dans une situation qui se répétera souvent: obtenir des
évaluations contradictoires de ses travaux non classiques. Il doit aussi
trouver un autre débouché s’il ne veut pas abandonner son idée.
Remanié, amputé de la partie d’application à la mécanique quantique
(suivant en cela les recommandations des évaluateurs, mais aussi du fait
des réticences de Schneider à s’engager sur ce terrain), les deux auteurs
soumettent l’article, désormais intitulé ‘Fractals and Nonstandard
Analysis’, au Journal of Mathematical Physics (JoMaP) lieu de publi-
cation habituel des travaux en physique mathématique. Soumis le 2
novembre 1982, il y est accepté le 22 juillet 1983, et paraît, en 1984,
sous un titre qui ne fait plus référence à la structure de l’espace, l’idée
centrale de la future TRE.
Entre temps, un article signé par Garnet Ord (Ord, 1982), et intitulé
‘Fractal space-time: a geometric analogue of relativistic quantum
mechanics’, est paru dans le Journal of Physics série A. Cet article avait
été soumis à la revue le 13 septembre 1982, soit quelques mois après le
refus de l’article de Nottale et Schneider. Ord y introduit un concept
d’espace-temps fractal similaire, surtout en ce qui regarde les
applications en mécanique quantique. Le titre suggère une analogie
formelle, et tout porte à croire qu’il s’agit d’un cas d’invention
simultanée, car Nottale et Ord ne découvriront leur existence respective
qu’en 1992 et n’engageront aucune querelle de priorité. Dans FSTM, son
ouvrage paru en 1993, Nottale indique:
It is only after the completion of this book that I became aware of the interesting work
of G. N. Ord [who] introduces the concept of fractal space-time as a geometric analog
of quantum mechanics. He obtains results quite similar to those described in Chapter
4 of the present book, including the interpretation of a fractal time of dimension 2….
(Nottale, 1993: 193)

L’article de Ord passa d’ailleurs complètement inaperçu (aucune citation)


avant 1993. Par la suite, 70 des 81 articles se référant à cet article citent aussi
les travaux de Nottale, bon indice de leur proximité théorique. Au-delà de
l’accord sur le concept d’espace-temps fractal, c’est dans le cadre théorique
proposé par la TRE que va se développer leur collaboration.

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624 Social Science Information Vol 46 – no 4

Après cette première publication, Nottale éprouve sans doute une


insatisfaction à ne pas avoir pu communiquer de manière intégrale et
cohérente le cadre théorique et le programme de recherche qu’il entend
promouvoir, surtout en ce qui regarde les applications à la mécanique
quantique. Dans sa situation, il se trouve conduit à arbitrer en fonction
des ressources et des contraintes pour choisir les revues susceptibles
d’accueillir ses travaux. Il doit, certes, publier au plus vite ses résultats,
car d’autres pourraient le faire à sa place, et surtout parce que plus vite
ses travaux seront connus, plus vite ils pourront servir de références à
d’autres qui les approfondiront et leur conféreront une légitimité.
Toutefois, il doit aussi éviter de mal les publier, c’est-à-dire dans des
revues trop peu sélectives, ce qui risquerait de les dévaluer.
En 1988, l’Académie des sciences de Paris, institution prestigieuse,
dont il a été le lauréat l’année précédente, lui offre une occasion de
présenter ses réflexions sur la mécanique quantique (Nottale, 1988). Le
règlement des Comptes-Rendus de l’Académie des Sciences est plus sou-
ple que les procédures d’évaluation des revues scientifiques: il suffisait
naguère pour publier d’y avoir été invité par un membre de l’Académie.
Une telle institution offrait alors une certaine visibilité ainsi que la pos-
sibilité de faire enregistrer ses résultats, sans apporter toutefois beau-
coup de crédit. Au début des années 1980, l’institution modifie sa
procédure et s’aligne davantage sur la méthode d’évaluation par les
pairs, l’académicien présentant la note jouant alors plutôt le rôle d’un
éditeur. L’article de Nottale a donc été évalué, même si, en dernier
ressort, la décision de publier relève toujours de l’académicien qui joue
le rôle d’éditeur.
L’année suivante, en 1989, Nottale parvient à placer un premier arti-
cle synthétique (il fait plus de 70 pages): ‘Fractals and the Quantum
Theory of Space-Time’ (Nottale, 1989) dans l’International Journal of
Modern Physics série A (IJoMP). Cette revue d’assez bonne réputation
ne fait toutefois pas partie des plus influentes du champ (son facteur
d’impact évolue autour de 1,5). Si l’article de 1984 vaut comme point de
départ (avec l’article de Ord), celui de 1989 présente pour la première
fois les principes et les concepts fondateurs de la théorie: espace-temps
fractal et non différentiable, dépendance explicite des mesures en fonc-
tion des résolutions, extension du principe de relativité, covariance
d’échelle, définitions intrinsèques de courbes et d’espaces fractals. Il
applique en outre cette approche à la mécanique quantique en proposant
de rendre compte de certaines propriétés quantiques en termes de trajec-
toires fractales. Il s’agit, à ce stade, d’une modélisation fractale, comme
l’article de Ord, et non de la TRE elle-même (qui entend justifier l’émer-

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 625

gence d’une telle modélisation). Cet article joue un rôle fondamental


dans le système des citations consacrées à la TRE: il est l’un des plus
cités, avec 53 citations dont 13 auto-citations (Web of Science, décembre
2005). Un article non classique, consacré à la future TRE, a donc enfin
franchi l’obstacle des évaluateurs.
Il faut dire que cet article avait été présenté et recommandé à l’IJoMP
par l’astrophysicien indien Jayant Vishnu Narlikar, connu pour son oppo-
sition à la théorie du Big Bang et sa défense de la théorie cosmologique
de l’état quasi-stationnaire (Kragh, 1996; Lepeltier, 2005).20 Cela montre
encore, comme avec Pecker et Vigier, que, parmi les astrophysiciens
jouissant d’un grand capital scientifique, ce sont les hétérodoxes qui sont
les plus susceptibles de prêter une attention bienveillante à la TRE. Dans
son avis, Narlikar écrit: ‘I had an occasion to discuss with Dr Nottale the
work which he proposes to describe in this article. I feel that it is novel
and yet very pertinent to the basic issue of the space-time structure. I
strongly recommend the publication of the review article.’21
La Figure 6 recense les chercheurs ayant cité au moins deux fois
Nottale de 1987 à 1992: le réseau demeure centré sur l’astrophysique et
constitué par les références aux travaux de Nottale sur les lentilles gravi-
tationnelles. Après 1987, et la confirmation expérimentale des hypothèses
sur le weak lensing, ce réseau s’étoffe considérablement, ce qui explique
la nécessité de ne retenir (pour la lisibilité) que les chercheurs faisant
référence au moins deux fois à Nottale. Dans des positions jumelées avec
Nottale, on retrouve ses deux doctorants, Hammer et Lefevre, avec qui il
cosigne trois articles sur les lentilles gravitationnelles durant la période,
dont un dans Nature en 1987. Si la croissance des citations des travaux de
Nottale porte uniquement sur ses recherches classiques, c’est aussi la
période où, après son premier article de 1984, il commence à se citer
lui-même dans la perspective de l’élaboration de la TRE (qui est baptisée
ainsi en 1992). On remarque qu’il alimente seul les références à ces
travaux dans le champ de la physique générale. Cette période apparaît
donc comme une transition, le moment de la conversion solitaire: Nottale
investit dans un cadre théorique auquel il est le seul, pour l’instant, à
reconnaître de la valeur.
L’IJoMP publiera aussi l’article introduisant le label ‘scale relativity’
en 1992, si bien qu’une relation de confiance se développe entre l’édi-
teur de la revue et Nottale, à qui l’on propose un autre type de collabo-
ration: ‘We have received your review article on the above topic for our
Scientific Publishing, we would like to invite you to expand the article
into a lecture note for us’.22 Devant l’importance des enjeux théoriques,
et le besoin de Nottale d’avoir toute latitude pour exposer sa théorie,

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626

Lefevre-D Stickel-M

Arnaud-J Schneider-P

Mathez-G
Bonnor-WB
Narayan-R

Goicoechea-LJ Uny-CM Blanchard-A Rigaut-F

Blandford-RD Hammer-F
Sanz-JL

Padovani-P
Astronomie et astrophysique
Kuhr-H
Vandeniest-C
Redmount-IH
Wu-XP

Martinmirones-JM

Marchandon-S Soucad-G
Argueso-F

Nemiroff-RJ
Fried-JW
Jones-J
Social Science Information Vol 46 – no 4

Chodorowski-M
Marinezgonzalez-E

Nottale-L
Kayser-R

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Classiques

Relativité d’échelle

Disciplines 1987-1992

FIGURE 6
Réseau des auteurs citant Nottale, selon la discipline (1987–92)
Bontems et Gingras Etudes sur la science 627

World Scientific Publishing l’engage donc à écrire un livre sur la TRE.


C’est pour Nottale le moment de franchir un cap: il a pu mesurer le degré
de résistance du champ à ses articles sur l’espace-temps fractal, avant de
trouver de premiers appuis auprès d’une revue et de son éditeur, rela-
tivement dominés dans le champ, qui acceptent de ‘miser’ sur lui. Il a
conscience du danger auquel il s’expose de perdre le capital scientifique
accumulé en cherchant à imposer ses nouveaux travaux mais, dit-il: ‘je
n’imaginais pas que le risque était si fort que cela et je n’imaginais tout
de même pas que j’allais perdre si vite les acquis, le respect et la recon-
naissance de certains de mes pairs’.23
Ecrire un livre pour exposer des travaux originaux est un procédé
assez peu commun dans le champ de la physique contemporaine: même
si le comité éditorial qui supervise FSTM comporte plusieurs prix Nobel
et autres sommités, les livres scientifiques sont principalement des
manuels ou des essais écrits par des chercheurs en fin de carrière, et ce
moyen de communication ne sert guère à divulguer des résultats inédits.
Si Nottale se résout à présenter sa théorie sous cette forme, c’est qu’il
n’est pas parvenu à publier la plupart de ses projets d’articles et que le
format du livre est le seul à lui permettre de présenter sa démarche de
manière cohérente.
L’ouvrage débute par une justification de l’intégration des conditions
d’échelles à la théorie physique: ‘What determines the universal scales in
Nature? What is the origin of the elementary particles scales, of the unifi-
cation and symmetry breaking scales, of the large scale structures in the
Universe?’ (Nottale, 1993: 1). Suit une présentation détaillée des outils
mathématiques, de leur application à la mécanique quantique, et un
ensemble de résultats provisoires et de prédictions qui portent sur les
marges de la science classique: ‘scale laws and scaling behaviours are
encountered in many situations, at small scales (microphysics), large
scales (extragalactic astrophysics and cosmology) and intermediate scales
(complex self-organized systems)’ (Nottale, 1993: 1). FSTM est ainsi des-
tiné à répondre aux questions et aux objections des chercheurs désorientés
par la complexité et l’originalité du cadre théorique dont se réclament les
articles de Nottale. Il constitue un point de ralliement pour les chercheurs
associés à la TRE: c’est d’ailleurs, de loin, la production de Nottale la plus
citée, avec 173 citations (dont seulement 15 auto-citations).
Parmi les chercheurs qui se réfèrent massivement à l’ouvrage, on
trouve d’abord El Nashie (22 citations pour 12,7% du total), Nottale lui-
même (9,8%), puis Sidharth (8%), Agop (7%) et Ord (7%). L’évolution
des citations prouve que la réception est plus étalée dans le temps et
persistante que s’il s’agissait d’un simple article: FSTM est cité plus de

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628 Social Science Information Vol 46 – no 4

10 fois à partir de 1996 et environ 20 fois par an à partir de 2001. Il con-


stitue un point d’accumulation du nouveau capital scientifique de
Nottale: plus de 70 pour cent des citations de FSTM sont effectuées dans
le contexte de la physique multidisciplinaire, seulement 5 pour cent dans
son champ d’origine, l’astronomie et l’astrophysique, c’est-à-dire moins
qu’en physique des particules et des champs (6,5%). Toutefois, du point
de vue de Nottale, c’est un échec relatif dans la mesure où de nombreux
scientifiques, et la plupart des évaluateurs, ne l’accepteront pas comme
mode de communication scientifique et référence légitime: ‘ça n’a pas
marché du tout: aucun des referees n’a voulu aller voir dans ce livre...’.24
Le recours à une technique aussi surannée de diffusion des idées sci-
entifiques n’est cependant pas seulement un expédient pour contourner
la difficulté de publier des articles. Le format du livre séduit donc peut-
être aussi Nottale parce qu’il lui permet de présenter la TRE selon une
certaine perspective historique sur l’évolution des théories physiques.
L’ensemble de sa démarche vise en effet à refonder la physique par
analogie avec la ‘révolution’ accomplie par Einstein en 1905. Le
principe de relativité est mobilisé pour maîtriser la relativité d’échelle
par analogie avec la relativité de mouvement, et l’adoption de la
géométrie non différentiable est présentée comme une transformation
analogue au remplacement de la géométrie euclidienne par la géométrie
non-euclidienne dans la relativité générale d’Einstein. Dans cette per-
spective, le cadre théorique proposé par la TRE pourrait aussi être quali-
fié de ‘non-classique’, au sens où l’entendait l’épistémologue Gaston
Bachelard (1975), c’est-à-dire comme une rupture épistémologique qui
vise à une refondation récurrente, par analogie avec la généralisation de
la géométrie euclidienne par la géométrie non-euclidienne. Nottale s’ins-
crit ainsi dans une filiation au moment même où il propose de changer
de cadre théorique. Il ne s’agit pas selon lui de créer une variété déviante
de travaux scientifiques: il affirme agir au nom d’un principe récurrent
de la physique mathématique, le ‘principe de relativité’. Ainsi, les deux
premiers chapitres de FSTM, consacrés à l’histoire des sciences et aux
réflexions épistémologiques, visent à présenter la TRE comme la digne
héritière d’une lignée relativiste, initiée par Galilée et régénérée par
Einstein:
Our proposal is that such a fundamental principle upon which a theory of scale laws
may be founded is the principle of relativity itself. But, by ‘principle of relativity’ we
mean something more general than its application to particular laws: we actually mean
a universal method of thought. Following Einstein, we shall express it by postulating
that the laws of Nature must be such that they apply to reference systems whatever
their state. The present theory of relativity, after the work of Galileo, Poincaré and

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 629

Einstein, results from the application of this principle to space and time coordinate sys-
tems and to their state of position (origin and axis orientation) and of motion (which
may be eventually included into axis orientation in space-time). We have suggested
that the principle of relativity also applies to laws of scale. The present book is an
account of this proposal and of its possible first implications. (Nottale, 1993: 2)

La parution du livre a profondément modifié la perception de Nottale


par les autres agents du champ (même si ce n’est pas dans le sens espéré)
et, par la suite, l’activité de Nottale se réoriente et tend à se diversifier:
elle ne vise plus tant à faire fructifier son capital spécifique d’astro-
physicien qu’à asseoir son statut de théoricien indépendant en pro-
duisant des résultats en physique des particules, ou sur les systèmes
chaotiques, aussi bien qu’en cosmologie. Toutefois, le problème essen-
tiel de Nottale demeure: s’il veut communiquer le cadre théorique de la
TRE à d’autres chercheurs, il doit le faire par un canal légitime de com-
munication scientifique, c’est-à-dire trouver un débouché dans des
revues du champ scientifique pour ses articles sur la TRE.

Chaos, Solitons and Fractals: un asile pour hétérodoxes

La première revue disposée à accueillir de manière régulière les travaux


de Nottale sur la TRE sera la revue interdisciplinaire Chaos, Solitons
and Fractals (CSF). Fondée en 1991, et toujours dirigée depuis par le
physicien Mohamed Salah El Nashie, la revue CSF accepte en mars
1994 ‘Scale Relativity, Fractal Space-Time and Quantum Mechanics’
(Nottale, 1994), dont le titre explicite les points principaux de la TRE,
ce qu’il n’avait pu faire auparavant dans les revues centrales du champ.
Par la suite, Nottale présentera aussi dans cette revue des résultats sur la
cosmologie et publiera 6 autres articles sur la TRE de 1994 à 1998. CSF
possède, en 2005, un fort coefficient d’impact (1,9), mais si le ratio entre
le nombre d’articles publiés et le nombre de citations recueillies est
avantageux pour la revue, le pourcentage important d’auto-citation sug-
gère d’en relativiser la portée en termes de visibilité dans le champ scien-
tifique. Qui plus est, le fait que CSF soit la revue la plus citée dans CSF
ainsi que la revue citant le plus CSF renforce l’impression d’avoir affaire
à une communauté dense mais faiblement connectée aux autres revues
du champ scientifique.
Les contributeurs de cette revue transdisciplinaire ont en commun une
familiarité avec des modèles mathématiques sophistiqués, et la structure
et le formalisme de la TRE leur apparaît donc sans doute moins
déroutants qu’à d’autres évaluateurs. Cet ‘air de famille’ entre les

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630 Social Science Information Vol 46 – no 4

différents contributeurs de CSF qui font référence aux travaux de Nottale


est toutefois quelque peu trompeur: il ne signifie pas que tous ces
chercheurs aient intégré le cadre théorique de la TRE. Quoi qu’il en soit,
en diffusant ses articles non-classiques dans cette revue, Nottale trouve
enfin un lieu de publication régulier et change d’audience: il publie désor-
mais en tant que théoricien des fondements de la physique. Les autres con-
tributeurs de CSF ne le connaissent d’ailleurs qu’en tant qu’inventeur de
la TRE: ils ne citent jamais ses travaux sur les lentilles gravitationnelles.
En dépouillant les 174 articles de CSF citant Nottale, entre 1991 et
2005, afin d’analyser le contexte où interviennent les références à la TRE,
nous avons constaté que Nottale y est cité en moyenne deux fois par arti-
cle. Les chercheurs le citant le plus sont El Naschie (35), Sidharth (17),
Agop (15), Castro (11), et Ord (10). En plus de FSTM et de ses princi-
paux articles,25 on trouve aussi, ce qui est plus surprenant, l’ouvrage de
vulgarisation La Relativité dans tous ses états (15 citations). La plupart
des citations renvoient à l’ouvrage ou à l’article dans leur ensemble (131)
plutôt qu’à un résultat précis ou une équation particulière (43), car les
auteurs se réfèrent avant tout à Nottale pour justifier le recours au concept
‘d’espace-temps fractal’ sans adopter nécessairement la TRE.
En règle générale, plus les citations sont précises, plus l’article
respecte le cadre théorique de la TRE, sans que cet indicateur soit absolu-
ment fiable: la citation d’un résultat ou d’une équation est parfois le signe
d’un accord ponctuel n’impliquant pas que l’auteur adopte intégralement
la TRE et, à l’inverse, une référence vague ne signifie pas davantage qu’il
s’abstienne d’utiliser des démonstrations. Si bien que sur 174 articles,
seuls 31 s’inscrivent explicitement et exclusivement dans le programme
de recherche de la TRE. Les auteurs en sont Nottale et ses étudiants et
collaborateurs directs (Da Rocha, Pissondes, Cresson, Le Méhauté) mais
aussi d’autres chercheurs autonomes (comme Adda, Khalil, Liu, Neto,
Okninski et Jumarie). On trouve aussi des contributions ponctuelles par
Argyris, Castro et Sidharth, qui revendiquent aussi d’autres ‘labels’:
Argyris invoque le ‘Superchaos’, Castro une ‘New Relativity’, et
Sidharth le ‘Quantized fractal spacetime’. A cette trentaine d’articles, il
convient d’adjoindre les 10 articles de Ord, qui présente ses travaux sous
le nom de ‘Random walk’ ou ‘Spiral model’ mais manque rarement de
rappeler leur convergence et leur compatibilité avec la TRE. D’autres
articles citent Nottale sans revendiquer l’appartenance à la TRE et se
présentent comme des contributions à la ‘Loop quantum theory’, au
modèle d’Everett, ou à la ‘Quantum superstring theory’.
Toutefois, le label qui domine au sein de CSF est celui du ‘Cantorian
space-time’ développé par le rédacteur en chef de la revue, El Naschie

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 631

(94 articles se situent explicitement dans ce cadre théorique). Pourquoi


autant d’articles font-ils référence à la TRE, alors même qu’ils
revendiquent leur appartenance à un autre programme de recherche?
C’est ici l’occasion de souligner l’importance de l’éditeur, car El
Naschie dispose d’un puissant capital social et publie abondamment
dans la revue qu’il dirige (plus de 90 pour cent de sa propre production
est publiée dans CSF). Cette double fonction explique la facilité avec
laquelle El Naschie, prenant appui sur certains acquis de la TRE, a pu
développer son propre programme de recherche et y attirer de nombreux
chercheurs. Au départ, selon Nottale, El Naschie prétend promouvoir la
TRE dans CSF:
Il m’a proposé de faire un numéro spécial sur l’espace-temps fractal, qui devait être
organisé autour de l’article que j’allais lui donner (c’est le numéro paru en 94), mais
entre temps, il s’est connecté avec Prigogine et donc le projet a évolué: au début, je
recevais des lettres se référant au ‘numéro sur la relativité d’échelle’, et puis (je le com-
prends: il voulait lancer sa revue, un prix Nobel, ça ne se refuse pas) il y a eu un
changement d’orientation et du coup mon article n’était plus qu’un article au milieu
des autres et non le centre (logiquement attribué à Prigogine). Quant à El Nashie, il
n’utilise pas mes méthodes. Il faut être clair là-dessus: la chose qu’il a récupéré, c’est
le concept d’espace-temps fractal. Mais il est parti d’emblée sur un espace-temps dis-
continu, c’est pourquoi il appelle cela un espace-temps ‘Cantorien’ (ou E (∞), ce que je
comprends moins bien) et donc, ayant opté pour la discontinuité, il a suivi la piste de
la théorie des nombres. Alors que je fais une physique de la continuité, cela fait une
différence essentielle. On a eu plein de discussions, parfois animées, parce que je tiens
sur mes positions et lui sur les siennes. Je respecte ce qu’il fait, mais en même temps
je pense qu’il ne faut pas confondre les deux démarches.26

L’évolution des références aux travaux de Nottale dans les articles d’El
Naschie est instructive sur la confusion parfois entretenue délibérément
entre la TRE et d’autres cadres théoriques. En 1994, ‘l’espace-temps
cantorien’ est, selon El Naschie, une ‘légère radicalisation’ de la TRE:
More precisely, we mean the implications to the comprehensive effort of Nottale (4) to
give up differentiability and assume micro space-time to be a fractal and our own
slightly more radical proposal to give up even continuity and regard micro space-time
as a multidimensional Cantor set. (El Naschie, 1994a: 177)

Dans un autre article (El Naschie, 1994b), paru la même année dans
CSF, il souligne combien certains des résultats de sa propre théorie
s’éloignent des hypothèses de la TRE (ainsi que des travaux de Ord),
mais, cinq ans plus tard, il a opté pour une stratégie d’amalgame au sein
du label ‘Cantorian-fractal spacetime’ censé englober ses propres
travaux en même temps que ceux de Nottale et de Ord: ‘the theory of
Cantorian-fractal spacetime, developed by Nottale, Ord and the author’
(El Naschie, 1999a: 17). En 2004, le double mouvement d’appropriation

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632 Social Science Information Vol 46 – no 4

et de démarcation opéré par El Naschie a évolué. Il donne désormais ses


recherches comme un prolongement de la TRE en même temps qu’il
insiste sur l’originalité de son programme et sur sa compatibilité avec la
théorie physique non stabilisée dominante, les Supercordes. S’il lui
arrive de diluer l’importance de la contribution théorique de Nottale, il
n’en persiste pas moins à revendiquer son autorité pour justifier sa pro-
pre théorie: ‘Nottale has acknowledged the importance of the E(∞) and
that it goes much further than his own theory’ (El Naschie, 2006: 320).
En somme, l’évolution des références à la TRE dans les articles d’El
Naschie semble obéir à deux tendances opposées: une stratégie de légiti-
mation, qui exige de faire référence aux travaux de Nottale comme à des
travaux fondateurs et décisifs, et une stratégie de distinction, consistant à
présenter le ‘Cantorian spacetime’ comme la théorie la plus aboutie par
rapport à laquelle les autres programmes de recherche, tant la TRE que les
travaux de Ord, sont tenus pour des étapes préparatoires, moins radicales.
Cette ambivalence symbolique a un effet sur les autres chercheurs publiant
dans CSF.27 Sur 174 articles citant Nottale dans CSF, 154 citent aussi El
Naschie, créant une forte association entre ces deux auteurs au sein de
CSF. L’association systématique de Nottale au développement d’une
théorie qui s’écarte profondément du cadre théorique de la TRE, produit
un effet de ‘halo’ qui masque sa singularité théorique. Par mimétisme
(peut-être aussi par complaisance vis-à-vis de l’éditeur), nombreux sont
les chercheurs qui citent Nottale alors qu’ils développent leur recherche
dans le cadre théorique de l’espace-temps cantorien. En guise de com-
paraison: les travaux de Ord n’y sont cités que 92 fois. Le label ‘Cantorian
-fractal spacetime’ est, certes, parfois détaché de Nottale dans certains arti-
cles,28 mais la référence à la TRE y demeure. La solidarité conceptuelle de
la TRE avec ces travaux paraît, au demeurant, faible et ambiguë: ils ont en
commun de postuler l’existence d’un ‘espace-temps fractal’, mais celui de
la TRE est continu et résulte de l’abandon de la différentiabilité, tandis que
l’espace-temps cantorien est discontinu. L’alliance objective entre ces
théories hétérodoxes est travaillée par leurs rivalités internes, et le label qui
vise à additionner leurs forces symboliques dissimule à peine les tenta-
tions hégémoniques d’El Naschie.
Un autre indice de l’influence d’El Naschie sur les autres chercheurs,
nous est livré par les références à La Relativité dans tous ses états, qui
se multiplient dans CSF après qu’il ait lui même élogieusement men-
tionné l’ouvrage: ‘An excellent popular account of the theory of fractal
space by Nottale has just appeared in French and an English translation
may not be too far away in the future’ (El Naschie, 1999b: 579). De
manière assez surprenante, cet ouvrage conçu pour le grand public est

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 633

souvent considéré comme une source primaire d’information sur la


TRE, et l’on peut supposer que la majorité des jugements positifs ou
négatifs exprimés à l’égard de la théorie s’appuient sur la seule lecture
de cet ouvrage. On trouve, dans l’ensemble des articles scientifiques
citant Nottale, 24 références à La relativité dans tous ses états (dont 16
dans CSF). Carlos Castro s’y réfère 15 fois, El Nashie 5 fois. En
revanche, les chercheurs s’inscrivant explicitement au sein du cadre
théorique de la TRE ne se réfèrent presque jamais à la vulgarisation (une
seule citation). Les étudiants et collaborateurs de Nottale n’entretiennent
pas non plus la confusion entre la TRE et l’espace-temps cantorien, s’ils
citent El Naschie dans deux tiers des cas lorsqu’ils publient dans CSF,
ils ne le font jamais lorsqu’ils publient ailleurs (Nottale cite une fois El
Naschie dans A&A). Tout en donnant ainsi des gages et des marques
d’estime à leur ‘hôte’, leur positionnement s’effectue en fonction de la
TRE et non au sein de la communauté ‘fractalo-cantorienne’.
Entre ces deux pôles, l’inscription stricte dans la TRE et la dissolution
au sein du ‘Cantorisme’, certains oscillent, comme Castro, qui se
revendique tantôt de la TRE, tantôt d’El Naschie, parfois de sa propre
‘New Relativity’, et présente ses recherches en relation avec la théorie
des Supercordes: ‘Nottale’s special scale-relativity principle was pro-
posed earlier by the author as a plausible geometrical origin to string
theory and extended objects. Scale relativity is to scales what motion re-
lativity is to velocities’ (Castro, 1999: 295). Castro utilise la TRE en
physique des particules. Sa principale référence, après FSTM, est La re-
lativité dans tous ses états (citée 9 fois en 11 articles), et il cite aussi Les
arbres de l’évolution (Nottale, Chaline et Grou, 2000) au sujet des lois
log-périodiques: ‘we will show that complex dimension is not just a
mathematical artefact but that it is deeply related to the log-periodic laws
in Nature discussed amply by Nottale et al. in their theories of the frac-
tal tree of life and fractal evolution’ (Castro, 2002: 1343). Plutôt que des
références, ces citations constituent un prolongement de la popularisa-
tion au sein du champ scientifique.
Il y a aussi dans les articles de Castro des références à des points
épistémologiques précis: ‘Nottale has argued in numerous occasions that
there is a deep link between the renormalization group process, that is
based in scaling arguments, and scale relativity’ (Castro, 2000: 1668); et,
c’est assez rare pour être souligné, la mention de résultats, tels que les
prédictions des orbites préférentielles par l’équation de Schrödinger
généralisée: ‘As the years pass by, more and more planets have been
found confirming Nottale’s predictions within his framework of Scale-
Relativity’ (Castro et Granik, 2000: 2169).

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634 Social Science Information Vol 46 – no 4

Au final, les chercheurs qui citent Nottale dans CSF le font toujours
de manière laudative même si c’est pour abandonner l’instant d’après la
TRE, l’amalgamer au Cantorisme, ou développer leur travail dans un
autre cadre théorique. Les références à FSTM jouent pour les Cantoriens
le rôle d’une justification de l’abandon de la différentiabilité et de la
continuité. Les citations plus précises d’équations ou de résultats souli-
gnent souvent davantage une convergence d’intérêts théoriques pour
rompre avec l’orthodoxie, ou un accord ponctuel, qu’une adoption de la
théorie dans son ensemble. Les noms de Ord et Nottale sont fréquem-
ment associés à celui d’El Naschie dans les généalogies du concept ‘d’es-
pace-temps fractal’, et l’on y constate des variations importantes dans
l’ordre des priorités théoriques. L’ensemble des articles se référant à
Nottale au sein de CSF produit enfin un effet de halo, à travers le con-
cept d’‘espace-temps cantorien-fractal’, qui ne facilite guère la percep-
tion de la spécificité du cadre théorique de la TRE.

La barrière des évaluateurs

En 1996, une autre porte s’ouvre devant Nottale, ou plutôt devant la TRE,
car cette porte était déjà ouverte à Nottale du temps qu’il travaillait sur les
lentilles gravitationnelles: la revue Astronomy and Astrophysics (A&A).
Cette revue européenne, dirigée alors par James Lequeux,29 accepte, 5 ans
après son dernier article sur les lentilles gravitationnelles, un article sur la
TRE: ‘Scale-relativity and quantization of extra-solar planetary systems’
(Nottale, 1996b). Nottale publiera 3 autres articles (dont 2 en collaboration,
l’un avec Gérard Schumacher et Jean Gay, l’autre avec Schumacher et
Éric Lefèvre) dans la même revue. Or, l’on constate qu’après le départ de
la direction de Lequeux, en 1999, Nottale ne parvient plus à publier dans
cette revue. Cela met en évidence le rôle crucial que cet éditeur a joué
dans la sélection des évaluateurs et l’interprétation de leurs avis. Selon
Nottale, Lequeux était, au départ, tout aussi sceptique que ses autres col-
lègues à l’égard d’une théorie faisant intervenir en astrophysique une
équation de Schrödinger. Mais il connaissait aussi Nottale pour ses
travaux sur les lentilles gravitationnelles: ‘il savait que je n’étais pas
quelqu’un qui raconte n’importe quoi’.30 Cet éditeur, sans sacrifier ses
exigences sur les critères de scientificité, ne tolérait pas qu’on jugeât la
TRE avec des arguments d’autorité (sollicitant parfois successivement
plusieurs évaluateurs avant d’obtenir un avis argumenté) et refusait l’a-
malgame entre la TRE et les théories fantaisistes qui fleurissent dans les
revues de vulgarisation: ‘Vous savez, ceux qui vous racontent comment

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 635

Einstein s’est trompé, moque James Lequeux, Nottale n’a rien à voir avec
ça’.31 Cette estime préalable aura eu son importance quand Lequeux,
lisant les premiers avis d’évaluateur sur la TRE, s’en montra insatisfait:
Surtout, il s’est rendu compte que les avis des referees n’étaient pas rationnels: il voy-
ait arriver des avis ahurissants, sans argumentation logique, c’était ‘sociologique’, pas
scientifique. Donc il s’est dit: tout de même, il doit exister des physiciens capables d’é-
valuer correctement, de mettre leur nez dedans et de dire si c’est sérieux ou pas. Il a
cherché, il a trouvé, et je me suis retrouvé avec des avis de referees qui disaient: c’est
une découverte importante, c’est très important, il faut absolument publier, c’est une
nouvelle vue de la formation des structures ….32

Il n’est pas rare que l’éditeur d’une revue scientifique, qui est nor-
malement le seul à connaître l’identité de l’évalué et des évaluateurs,
puisse deviner le résultat d’une évaluation en fonction des divergences
théoriques ou d’affinités qui structurent le champ. Ayant lui-même des
compétences en astrophysique et ayant examiné personnellement les
travaux de Nottale, Lequeux pouvait faire le tri entre des avis motivés et
des refus reposant sur des arguments d’autorité. Pour Nottale, l’éditeur
n’a fait ainsi que rétablir les conditions satisfaisantes du bon fonction-
nement de la procédure d’évaluation:
Pour en revenir aux enjeux de l’évaluation: qu’un referee affirme ‘je comprends par-
faitement et donc je sais que c’est faux’, c’est chose parfaitement normale; il est main-
tenant totalement illégitime qu’un referee dise ‘je n’y comprends rien, donc je refuse’;
s’il s’estime incompétent, il doit se désister. C’est là où Lequeux a fait son boulot
comme éditeur: il a récusé un certain nombre d’avis de ce genre, cherchant un referee
compétent jusqu’à ce que cette personne dise ‘je comprends’, et quand il l’a trouvée,
cette personne, qui a dit finalement ‘je comprends’, a dit ‘ça marche’: ‘Je comprends
donc ça marche’. Tous les ‘je ne comprends pas’ aboutissent à des ‘ça ne marche pas’.33

Constatant ainsi que la TRE rencontre un grand scepticisme chez les


astrophysiciens (qui ne sont pas familiers avec certains des outils mathé-
matiques), Lequeux va solliciter des physiciens pour évaluer les articles
de Nottale. Il obtient ainsi des avis d’une toute autre tonalité et accepte
deux autres articles sur la TRE dans A&A, le premier sur la quantification
des orbites du système solaire, le second sur les applications de la TRE
en cosmologie en général. Certains avis d’évaluateurs sont même très
positifs: ‘The ideas involved in this work are extremely interesting and
important, and the potential scope of scale relativity is quite extraordi-
nary. The manuscript is definitely worth publishing, as it could mark the
beginning of a very different approach to physics over many scales.’34
C’est donc en sortant du sous-champ spécifique de l’astrophysique
qu’il obtient une procédure d’évaluation qui lui semble fiable. Cette
adaptation peut être mise en relation avec la structure de la TRE, qui
déborde l’ensemble des sous-champs qu’elle entend réunifier, mais elle

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636 Social Science Information Vol 46 – no 4

montre surtout que l’évaluation des travaux non-classiques s’accorde


mal aux procédures d’évaluation de la science normale, problème sur
lequel nous reviendrons dans la section suivante. Bien que la stratégie de
Lequeux ait permis à Nottale de publier dans A&A, elle ne contribua pas
à renforcer la légitimité de la TRE, tant auprès des physiciens que des
astrophysiciens. Selon Nottale, en effet, les physiciens, ignorant que c’é-
taient certains des leurs qui avaient accepté ces travaux non-classiques,
continueront de penser que la TRE est une affaire d’astrophysiciens, tan-
dis que ces derniers en déduiront que la TRE n’est pas sérieuse, puisque
les physiciens ne s’y intéressent pas. Malgré l’action déterminée de
Lequeux, A&A ne sera pas un tremplin pour la légitimation de la TRE,
ces articles restant peu cités.35
La période 1993–8 voit donc tout de même l’émergence du réseau
non-classique. La Figure 7 recense les chercheurs ayant cité les articles
de Nottale au moins deux fois de 1993 à 1998. Un basculement du cen-
tre de gravité du réseau s’opère de l’astrophysique vers la physique
générale en même temps que le remplacement presque complet des
références aux travaux classiques par des citations à des articles sur la
TRE ou à l’ouvrage FSTM. La substitution a lieu sans qu’il y ait de con-
version des autres agents: aucun chercheur citant Nottale pour ses
travaux classiques ne cite par la suite la TRE. D’autre part, les références
résiduelles aux travaux classiques se cantonnent à l’astrophysique (à
l’exception d’Hermann). Parmi les quatre chercheurs faisant référence à
la TRE dans le domaine de l’astrophysique, deux sont des collaborateurs
directs (Gay et Schumacher) et cosignent un article avec Nottale dans
A&A en 1997, et un troisième (Guyard) est un stagiaire de Schumacher.
Du côté de la physique générale, on remarque les références assez nom-
breuses de Ord qui vient s’associer aux travaux de Nottale, la présence
d’un autre doctorant de Nottale, Jean-Claude Pissondes, et la contribu-
tion de Frédéric Héliodore et Alain Le Méhauté, qui introduisent les
références à la TRE dans le domaine des sciences de l’ingénieur et de
l’électronique. Un autre groupe, sans relation avec Nottale, mobilise la
TRE pour traiter des problèmes liés à la physique de l’état solide.
Cette nouvelle configuration tend à prouver que Nottale, s’il n’est pas
parvenu, malgré l’attention bienveillante de l’éditeur d’A&A, à imposer sa
position dans son champ d’origine, l’astrophysique, a réussi, en revanche,
son passage vers la physique théorique via la revue interdisciplinaire CSF.
Les champs qui s’ouvrent à la TRE correspondent à des domaines où les
outils mathématiques liés aux fractales sont déjà employés: la physique des
solides utilise les fractales pour comprendre la résistance des matériaux et
l’électronique pour toute une série de phénomènes (Le Méhauté, 1990).

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 637

Réseau des auteurs citant Nottale, selon la discipline (1993–98)


FIGURE 7

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638 Social Science Information Vol 46 – no 4

Le développement du réseau de la TRE essentiellement hors du champ


de l’astrophysique est quelque peu surprenant. Le premier article accepté
par A&A traitait pourtant d’un type de prédiction très spectaculaire et
aisément falsifiable: les orbites préférentielles des planètes dans les sys-
tèmes extra-solaires. La TRE justifie statistiquement la distance des
planètes au soleil (d’une manière tout à fait différente de celle de la ‘loi’
empirique proposée par Titius-Bode), et elle prédit, à partir d’une ‘équa-
tion de Schrödinger généralisée’, des pics de probabilité pour tous les
systèmes planétaires. Ces prédictions, exposées dès ses premiers travaux,
notamment dans FSTM, sont, aux yeux de Nottale, autant d’occasions de
falsification ou de confirmation. Force est de constater qu’elles seront
ignorées par les autres astronomes, cosmologistes et astrophysiciens.
Comme l’indique son résumé, l’article paru en 1996 dans A&A procède
lui-même à l’enregistrement de précédentes confirmations expérimen-
tales: ‘We show in the present letter that the planetary companions
recently discovered around nearby stars agree with the predictions made
four years ago in the framework of the theory of scale relativity (Nottale,
1993)’ (Nottale, 1996b: 9). La difficulté à faire prendre en compte des
confirmations observationnelles par les agents qui ne partagent pas le
même cadre théorique ne concerne pas que la TRE, mais, à la différence
des théories controversées, celle-ci ne suscite aucune critique de ses
résultats et de ses hypothèses. Elle est juste ignorée:
Prends l’article avec Da Rocha de 2003 [paru dans CSF], il est truffé de confirmations
expérimentales qui sont toutes vérifiées … Ce sont des résultats qui sont volontaire-
ment ignorés par le mainstream. Dans cet article, j’en ai profité pour citer tous les
résultats contenus dans des articles systématiquement refusés. Actuellement, je ne suis
plus du tout publié en astronomie.36

En 2006, les prédictions des orbites préférentielles des planètes par la


TRE font donc toujours figure de prédictions de ‘science-fiction’ (elles
sont jugées fantaisistes en même temps que leur examen est renvoyé à
un futur indéterminé), alors que l’un des évaluateurs de l’article paru
dans A&A en 1996 écrivait déjà:
Cette lettre présente un test de certains résultats obtenus dans le cadre d’une théorie de
relativité d’échelle développée par ailleurs par l’auteur. Selon cette théorie, les positions
(et d’autres paramètres caractéristiques de l’orbite) dans des systèmes en interaction
gravitationnelle doivent être quantifiés selon une loi simple, SANS PARAMETRES
AJUSTABLES, puisque la principale constante apparaissant dans la loi (de dimension
d’une vitesse) est, selon l’auteur, une constante universelle qui apparaît aussi bien à
l’échelle des galaxies que des systèmes planétaires et qui vaut environ 144 km/s …
L’auteur montre dans cette lettre comment les différentes planètes découvertes récem-
ment suivent cette loi. Un des principaux intérêts de cette lettre est donc qu’elle présente
un test possible et très contraignant de la théorie de la relativité d’échelle. Je connais peu

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 639

de théoriciens qui ont le courage ou la possibilité de donner des tests aussi sévères (pas
de paramètre ajustable) de leur théorie. Je pense donc qu’une telle démarche devrait être
publiée, afin de susciter de nouvelles investigations et permettre de confirmer ou d’in-
firmer les résultats préliminaires exposés dans cette lettre.37

La Figure 8 présente la dernière période d’évolution des citations à


Nottale et recense les chercheurs l’ayant cité au moins trois fois entre
1998 et 2004. Le nombre de chercheurs faisant référence aux travaux
classiques diminue encore. En revanche, celui des chercheurs mobi-
lisant la TRE augmente assez considérablement, surtout en physique
générale, mais aussi dans un domaine comme la physique nucléaire et
des particules, qui était resté hermétique jusque-là à la TRE (alors que
la mécanique quantique y est concernée au premier chef), ainsi que la
chimie physique, et, de manière plus surprenante, la biologie et la sci-
ence de la terre (en fait, la paléontologie), d’abord à travers la colla-
boration avec Chaline et Grou (Chaline, Nottale et Grou, 1999), puis,
avec les mêmes et Roland Cash du Centre national d’expertise hospi-
talière: cette fois, les lois log-périodiques ne sont plus appliquées à
l’évolution des lignées du vivant, mais produisent des prédictions à
l’échelle individuelle de l’ontogenèse humaine (Cash et al., 2002).
Nottale s’est ainsi engagé durablement dans un transfert des lois log-
périodiques développées grâce au formalisme de la TRE – et à partir
des travaux de Didier Sornette (1998) – vers les sciences du vivant.38
Toutefois, cet engagement de Nottale hors de la physique contribue à
brouiller l’image de la TRE, pouvant même semer le doute, chez
certains, sur le sérieux de la théorie.
En astrophysique, seuls des collaborateurs directs de Nottale font
encore référence à la TRE: Schumacher, Lefèvre et Gay. Autre indice de
la marginalisation: de nombreux articles traitant de cosmologie dans le
cadre de la TRE, comme ceux de Daniel Da Rocha, autre doctorant de
Nottale, ne trouvent plus de débouché en astrophysique et sont publiés
dans des revues indexées en physique générale. Alors que sa thèse,
Structuration gravitationnelle en Relativité d’échelle, est en astro-
physique, Da Rocha en publie les résultats dans CSF (Da Rocha et
Nottale 2003). En outre, on observe la constitution d’un ‘noyau dur’
autour de Nottale: Ord est maintenant un allié, Cresson et Pissondes des
collaborateurs. Marie-Noëlle Célérier cosigne avec Nottale un article en
2004 dans le Journal of Physics (Célérier et Nottale, 2004).
La dernière partie de la trajectoire, après une accélération de la
cadence de publication (trois articles en 1998 et 1999) voit un net
fléchissement des publications de Nottale sur la TRE: de 2000 à 2005, il
publie seulement un article par an en moyenne. Plusieurs facteurs sont

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640 Social Science Information Vol 46 – no 4

Réseau des auteurs citant Nottale, selon la discipline (1998–04)


FIGURE 8

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 641

susceptibles de l’expliquer. Parmi eux, la fragilité du réseau social sem-


ble primer. La cessation des publications dans A&A, à partir de 2000,
correspond au départ, en 1999, de Lequeux. Nottale est désormais leader
du programme de recherche de la TRE, mais le coût du transfert a été
élevé: sa théorie ne s’est pas imposée en cosmologie, où, à en croire cer-
tains, elle possède pourtant le plus de prédictions falsifiables, et, à
mesure que Nottale s’éloigne de ses premiers travaux, son champ d’ ori-
gine semble se refermer derrière lui.

L’enjeu d’une évaluation du système d’évaluation

La distinction des trajectoires et des réseaux classiques et non-clas-


siques, établie à travers la publication dans deux éventails distincts de
revues scientifiques, résulte de l’action du filtre constitué par le système
d’évaluation par les pairs, c’est-à-dire les évaluateurs qui recommandent
ou déconseillent la publication des articles soumis aux revues. La tra-
jectoire non-classique de Nottale est caractérisée par la difficulté de
franchir l’obstacle que représente le barrage des évaluateurs dans les
revues les plus importantes du champ. Lors de nos entretiens, Nottale a
insisté sur le fait que les avis sur la TRE étaient souvent contradictoires,
et que les refus de publication étaient parfois motivés par des arguments
d’autorité.
En voici un exemple: Nottale soumet, le 10 novembre 1987, un arti-
cle intitulé ‘Towards a Space-Time Theory of Microphysics’ à une revue
scientifique à comité d’évaluation (que nous désignerons comme la
revue X). Il sera refusé le 6 janvier 1988 à la suite d’un avis particu-
lièrement sévère: ‘l’auteur utilise un attirail mathématique mal défini et
peu approprié pour attaquer des problèmes physiques mal posés et
encore plus mal résolus. Je le renvoie à ses prochaines publications,
comme il le fait lui-même abondamment.’39 L’ironie finale sur les auto-
citations montre la difficulté à faire admettre un cadre théorique
autonome. L’article a été refusé sans que Nottale y trouve une objection
scientifique argumentée à l’encontre de son raisonnement. Une version
augmentée a été soumise ensuite, le 12 août 1988, sous le titre ‘Fractals
and the Quantum Theory of Space-Time’ à l’International Journal of
Modern Physics, et fut acceptée le 20 mai 1989.
Sans doute, l’évaluation des travaux non-classiques de Nottale par
ses pairs se heurte à des obstacles particuliers. D’abord, l’intelligence
de chaque article exige la compréhension de la TRE, si bien que pour
mettre en valeur des résultats théoriques ou expérimentaux, Nottale

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642 Social Science Information Vol 46 – no 4

doit à chaque fois faire admettre la légitimité d’un cadre théorique


dont il ne peut éclairer la cohérence qu’en renvoyant à FSTM ou aux
autres articles (d’où l’agacement de certains évaluateurs devant
l’abondance des auto-citations). Par ailleurs, les résultats de la TRE
sont fondamentalement transdisciplinaires au regard de la division du
travail scientifique habituelle, si bien qu’ils déroutent souvent les spé-
cialistes d’un seul domaine. Il faut aussi noter que le formalisme de la
théorie est sophistiqué du point de vue mathématique et mobilise des
concepts issus de domaines parfois méconnus (la fortune esthétique
des fractales n’a engendré bien souvent qu’une connaissance superfi-
cielle [Bontems, 2001] et l’analyse non standard est ‘passée de mode’
chez les mathématiciens avant qu’on ne lui découvre des applications
originales en physique). Enfin, l’ambition même de refonder la
physique apparaît mégalomaniaque à certains chercheurs et rebute plus
particulièrement ceux des physiciens pour qui le schisme entre
mécanique quantique et physique relativiste est devenu une structure
‘évidente’ et permanente de la culture scientifique plutôt qu’une
énigme ou une anomalie à étudier.
Le rejet systématique des articles sur la TRE s’explique, selon
Nottale, par un dysfonctionnement du système d’évaluation par les
pairs. Alors que l’habitude de voir ses publications acceptées par les
revues peut amener un scientifique à considérer la fiabilité du système
d’évaluation par les pairs comme allant de soi, l’accumulation de refus
ne peut que susciter une prise de conscience et un recul de la part du scien-
tifique, qui le portent à s’interroger de manière quasi-sociologique sur le
fonctionnement du champ. Ainsi, dans ‘La crise du système d’évaluation
scientifique’, paru dans la revue Commentaire en 2005, Nottale soulève
l’enjeu d’une évaluation du système d’évaluation scientifique et met en
cause l’intervention de l’arbitraire au sein des mécanismes de la légiti-
mation scientifique. Reprenant les critiques habituelles du système d’é-
valuation anonyme des articles, lequel peut donner lieu à des abus de
pouvoir et des conflits d’intérêts, il le fait de manière à ne pas être assimi-
lé aux accusations paranoïaques des pseudosciences dénonçant la ‘scien-
ce officielle’. Il assure ainsi ne pas contester le principe du contrôle par
les pairs mais critique, en revanche, la transformation des évaluateurs,
initialement conçus comme des rapporteurs devant éclairer le choix de
l’éditeur par leurs conseils, en une fonction inquisitoriale ‘qui s’accom-
pagne du pouvoir de vie et de mort sur le travail des chercheurs, et donc
sur la vie des idées elles-mêmes, qui n’ont d’existence sociale que sous
forme de publication et de diffusion pour le plus grand nombre’ (Nottale,
2005: 113). Car la censure des évaluateurs s’exerce sans recours possi-

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 643

ble devant une instance d’arbitrage indépendante. Si la marginalisation


d’une théorie à prétention révolutionnaire, telle que la TRE, résulte sim-
plement du fonctionnement de la science normale, elle apparaît évidem-
ment comme un dysfonctionnement à celui qui la subit. Sans doute le
système d’évaluation scientifique par les pairs est-il la seule garantie du
fonctionnement de la science normale, mais il semble inadapté aux
travaux proposant des voies radicalement nouvelles et non plus simple-
ment des prolongements de la science normale. L’exacerbation de la
concurrence des agents due à la massification de la recherche contribue,
en outre, à expliquer la difficile réception des travaux sur la TRE:
les scientifiques, dans leur très grande majorité, sont amenés à ne travailler que sur des
sujets publiables et directement reconnaissables par leur communauté, sans réel enjeu
fondamental, car c’est à une menace mortelle sur la possibilité même de poursuivre
leur recherche (moyens et/ou salaires) qu’ils sont soumis par la dérive de ce système.
Les réflexions profondes et à long terme, les recherches sur des thèmes vraiment fon-
damentaux, les remises en question sans garantie de résultat à court ou moyen terme,
les innovations imprédictibles sont exclues dès l’origine dans ce type d’organisation.
(Nottale, 2005: 115)

Pour Nottale, l’optimisation de la stratégie individuelle des agents en


concurrence au sein du champ est devenue contre-productive. Un sys-
tème d’évaluation, parfaitement adapté au renouvellement permanent de
la science en régime normal, atteint ses limites quand il s’agit d’intégrer
les idées ‘révolutionnaires’, qui transforment les normes de la scien-
tificité. Nottale milite par conséquent pour une politique de publication
scientifique donnant leur chance aux idées nouvelles qui n’ont pas été
réfutées sur la base d’une argumentation scientifique.

Conclusion: les conditions sociales d’une bifurcation


scientifique

Nottale a fait la preuve, au cours de sa première trajectoire, qu’il pouvait


produire des travaux scientifiques de haute qualité. Ses articles sur les
lentilles gravitationnelles étaient publiés dans des revues à très haut fac-
teur d’impact (en moyenne: 2,57). La barrière exercée par le système d’é-
valuation l’a amené à publier ses articles sur la TRE dans des revues d’un
niveau bien inférieur (leur facteur d’impact moyen est moitié moindre:
1,36). Cela dit, chacun des articles classiques recueille en moyenne 14
citations sur la période, tandis que les articles non-classiques, plus récents,
en recueillent 13, soit un nombre à peu près identique mais provenant d’un
secteur différent du champ scientifique. Si le nouveau capital scientifique

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644 Social Science Information Vol 46 – no 4

de Nottale ne semble reconnu que parmi les hétérodoxes et que ses travaux
ne circulent dans le champ qu’au travers de circuits marginaux, il paraît
aussi relativement stable: la démarcation entre science normale et science
marginale serait-elle persistante? Une nouvelle théorie physique peut-elle
ainsi durablement se développer aux marges du champ? L’exemple de
Zwicky montre, en tout cas, que certains éléments théoriques peuvent
demeurer longtemps dans l’ombre avant d’être sérieusement considérés,
voire adoptés. En l’absence d’examen collectif, la TRE semble, elle aussi,
condamnée à ce statut marginal prolongé: ni intégrée à la science normale
(même comme objet de controverse), ni expulsée du champ.
L’analyse de la trajectoire de Nottale a permis de mettre en évidence
les effets sur la carrière d’un chercheur du choix stratégique de se con-
sacrer à l’élaboration d’une nouvelle théorie en rupture avec la science
normale. En travaillant dans un cadre théorique à part, au lieu de s’in-
scrire dans une tradition de recherche établie, Nottale trouve difficile-
ment des appuis parmi ses collègues. Comme l’a observé Andrew
Pickering, la fortune d’une nouvelle théorie ou d’un modèle inédit est
liée aux ressources théoriques préexistantes dans le champ, car c’est leur
mobilisation efficace qui permet à une théorie de prendre le dessus sur
ses rivales. Analysant la rivalité entre deux modèles (la ‘couleur’ et le
‘charme’ des quarks), Pickering conclut: ‘one of two competing theoret-
ical models was preferentially incorporated into the practice of the
physics community because of their relationship to existing interests’
(Pickering, 1982: 127). Il existe ainsi une forme de ‘dépendance de
chemin’ au sein des évolutions du champ scientifique qui explique
pourquoi certaines avancées théoriques trouvent immédiatement leur
place dans la science normale, en attirant de nombreux adeptes, parce
qu’elles prolongent les recherches en cours, tandis que d’autres, même
si elles représentent aussi un progrès potentiel pour la discipline, sont
ignorées, car la rupture qu’elles opèrent avec le cadre théorique domi-
nant a un ‘coût’ très élevé pour les autres agents (qui doivent changer
d’objets et intégrer de nouveaux outils conceptuels pour se reconvertir).
Nottale se place, il est vrai, dans la tradition relativiste, mais ce retour à
une problématique datée, montre justement la difficulté de faire valoir,
auprès d’agents investis dans d’autres programmes de recherche, la TRE
dans le champ scientifique actuel: il faut remonter loin (par rapport à
l’horizon habituel de rétention du champ) pour comprendre les motiva-
tions théoriques de la bifurcation proposée. Tout cela s’oppose donc à la
science ‘hypernormale’ et routinisée analysée par Lemaine (1980).
Comme l’a observé Larry Laudan (Laudan, 1977), il faut aussi tenir
compte du fait qu’une nouvelle théorie offre de nouveaux problèmes

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 645

à étudier aux scientifiques qui l’adoptent, mais qu’elle en fait aussi


disparaître, au grand dam des traditions de recherche qui tentent de
répondre à ces problèmes. Ainsi la théorie MOND (Modified
Newtonian Dynamics), développée par Milgrom, est analogue, dans
sa marginalité, à la TRE. Elle propose une explication de la courbe de
rotation plate des galaxies spirales sans faire appel à l’hypothèse de la
‘matière noire’ (Milgrom et Sanders, 2005). Or, ce qui pourrait sem-
bler un atout en sa faveur, ne suffit pas à soulever l’intérêt des
chercheurs car l’hypothèse de la matière noire est plus utile aux astro-
physiciens et aux physiciens des particules que celle promue par
MOND ou même par la TRE qui elle aussi entend expliquer les anoma-
lies de la cosmologie contemporaine sans recourir à l’hypothèse de la
matière noire. Adopter le cadre théorique de la TRE (ou de MOND)
signifierait, donc, pour les agents, accepter un bouleversement de la
hiérarchie des positions théoriques et produire inévitablement une
crise des positions institutionnelles qui correspondent à l’état actuel
du champ. Si l’importance de l’enjeu – la réunification de la théorie
physique – peut enthousiasmer les agents extérieurs (philosophes et
épistémologues), qui n’en subiraient pas les conséquences ou pour-
raient même les exploiter dans leur propre champ, il incline au con-
traire les physiciens, c’est-à-dire les agents dont la carrière dépend de
leur capacité à s’orienter au sein de la hiérarchie actuelle du champ, à
la plus grande prudence, voire à la procrastination dans l’examen des
‘résultats’ mis de l’avant par la TRE.
L’analyse des trajectoires des chercheurs qui s’engagent dans des
directions risquées qui mènent à leur marginalisation dans le champ,
suggère que de telles bifurcations se font le plus souvent sur la base
d’un capital scientifique légitime accumulé lors d’une phase
antérieure. Outre le cas de Nottale, analysé ici, les histoires de la
fusion froide ou de la mémoire de l’eau, quoique les enjeux épisté-
mologiques diffèrent à chaque fois, montrent que les chercheurs
impliqués avaient accumulé un capital scientifique légitime avant de
s’engager dans une recherche originale au point de paraître déviante
sinon absurde. De même, plusieurs de ceux qui ont pris le risque d’ap-
puyer ces recherches misaient aussi leur réputation de sérieux. Ainsi,
le prix Nobel de physique Julian Schwinger jugea légitime la réflexion
sur la fusion froide et tenta même d’en élaborer la théorie, s’attirant les
foudres de nombreux collègues (Simon, 2002). Un autre prix Nobel de
physique, Brian Josephson, a non seulement cautionné la recherche sur
la fusion froide mais également préfacé le récit autobiographique de
Jacques Benveniste sur la mémoire de l’eau (Benveniste, 2005). A

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646 Social Science Information Vol 46 – no 4

ceux qui voudraient distinguer a priori ces cas (mémoire de l’eau et


fusion froide) en disant qu’ils sont farfelus alors que la TRE est au
moins plausible, il faut rappeler qu’il est facile après coup de porter un
jugement sur la valeur de ces théories mais que la question soulevée ici
est celle du choix du moment de la bifurcation et non de sa réussite ou
non. Or, de ce point de vue, les cas sont ici de même nature: la bifur-
cation radicale se produit après avoir accumulé assez de crédibilité
pour prendre un risque calculé. Ainsi, là où les agents du champ ont
tendance à ne voir qu’un accès de ‘folie’ de la part de savants com-
plaisants ou dépassés, le sociologue verra plutôt l’indice des condi-
tions sociales de la ‘déviance’ au sens d’écart à la trajectoire typique
(normale): une position scientifique déjà fermement établie fournit les
conditions sociales (et psychologiques) d’un engagement dans un pro-
gramme de recherche très risqué. Car une fois établie, la position peut
certes redevenir marginale, mais conserve des chances de demeurer à
l’intérieur des frontières du champ scientifique et de conserver les
bases institutionnelles suffisantes pour faire avancer le nouveau pro-
gramme de recherche. A l’inverse, il paraît évident, aux futurs agents
eux-mêmes, que miser en tout début de carrière, avant même l’obten-
tion d’un poste, sur des sujets marginaux (selon les normes domi-
nantes), a toutes les chances d’interdire l’accès au champ et de le
ramener à des positions à l’extérieur du champ, celle de l’ ‘illuminé’
ou du ‘charlatan’. Ce n’est qu’après avoir d’abord travaillé sur des
objets légitimes du champ à un moment donné, et accumulé un capital
scientifique ‘classique’ qu’un agent peut donc accéder à des positions
institutionnelles qui rendent possible la bifurcation ultérieure vers une
recherche ‘non-classique’.
Dans le cas de la fusion froide, rappelons que, dans le couple Martin
Fleischman et Stanley Pons, le chercheur sénior, Fleischman, était en fin de
carrière et avait accumulé un capital scientifique important dans le champ de
l’électrochimie avant de se lancer dans l’aventure de la fusion de l’hy-
drogène dans un réseau de palladium. Il était d’ailleurs parfaitement con-
scient qu’en annonçant, en 1989, la ‘découverte’ de la fusion froide, il serait
ridiculisé par la plupart de ses collègues. De même, Benveniste était aussi
un chercheur très reconnu dans son domaine (l’allergie) avant de se lancer à
son tour dans une aventure qui lui a coûté son laboratoire et ruiné sa carrière.
On comprend ainsi que le choix d’un objet de recherche de la part
d’un nouvel entrant au niveau doctoral ait peu de chance de se porter
sur des objets stigmatisés au sein du champ. Car cela reviendrait à se
faire interdire l’accès aux postes institutionnels qui permettent la

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 647

participation active au champ scientifique. Un tel choix signerait une


sorte de suicide précoce, en contradiction avec le projet même de pro-
mouvoir une théorie scientifique nouvelle. Une telle tendance n’est
bien sûr pas absolue et le cas de J.V. Narlikar, qui a appuyé Nottale,
montre que dans les années 1960 il était encore possible de faire une
carrière entière et respectable (encore que dans un pays périphérique)
en misant sur une théorie marginale comme la cosmologie de l’état sta-
tionnaire qu’il a développé avec Fred Hoyle lors de ses études à l’uni-
versité de Cambridge (Kragh, 1996). Tout porte à croire cependant que
ce type de trajectoire est aujourd’hui peu probable, dans l’état actuel
d’un champ scientifique hautement massifié et aux conditions d’accès
très normées, et que l’orientation vers ‘des possibilités qu’il faut créer
de toute pièce’, comme l’écrit Bourdieu, ne soit possible qu’en adop-
tant d’abord une trajectoire ‘classique’ donnant accès à une position
institutionnelle, qui rendra ensuite pensable une bifurcation vers un
engagement théorique beaucoup plus risqué. Cette condition devenue
presque nécessaire n’est, bien sûr, nullement suffisante pour garantir le
succès dans la nouvelle voie proposée, les cas de la fusion froide, de la
mémoire de l’eau et même de la théorie de l’état stationnaire l’ayant
amplement montré.

Vincent Bontems est ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure de Lettres et


Sciences Humaines, agrégé de philosophie et docteur en philosophie et histoire des
sciences. Ses recherches portent sur la philosophie de Gilbert Simondon, l’épisté-
mologie des théories physiques contemporaines, et la circulation et le contrôle des
analogies. Sa thèse a porté sur la théorie de la relativité d’échelle d’un point de vue
épistémologique. Il a ensuite effectué un stage postdoctoral au Centre
Interuniversitaire de Recherche sur la Science et la Technologie (CIRST) à l’uni-
versité du Québec à Montréal. Il travaille actuellement au Commissariat à l’Energie
Atomique sur les nanosciences et les nano-technologies. Dernier article paru: ‘Aura
artistique et halo technique. Le cas de l’objet surréaliste’, Alliage, no. 49, 2007.
Adresse de l’auteur: CEA/Saclay – DSM/DREC AM/SPEC/LARSIM – Bât. 772
Orme des Merisiers, F-91190 Gif sur Yvette Cedex, France. [email: v.bontems
@laposte.net ]

Yves Gingras est professeur au département d’histoire et titulaire de la chaire de


recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences à l’université du Québec
à Montréal. Il est également chercheur au CIRST. Ses travaux actuels portent sur la
transformation du champ scientifique entre 1900 et 1945 et sur la dynamique des
théories scientifiques marginales. Il a récemment publié Éloge de l’homo techno-logicus
(Montréal: Fides, 2005) et dirigé (avec Lyse Roy) un ouvrage sur Les transforma-
tions des universités du XIIIe au XXIe siècle (Sainte-Foy: Presses de l’université du
Québec, 2006). Adresse de l’auteur: CIRST, UQAM, CP 8888, Suc. Centre-Ville,
Montréal, Québec, Canada, H3C 3P8. [email: gingras.yves@uqam.ca]

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648 Social Science Information Vol 46 – no 4

Notes

1. L’attrait des objets dominants est tel que même ceux qui se fixent comme règle
‘d’éviter d’étudier un scientifique trop connu, afin de ne pas avoir le “sentiment d’arriver
après la bataille”’ (‘avoid observing a scientist who is too well known, so as not to have
the impression of “arriving on the scene too late”’), n’en consacrent pas moins la moitié
de l’analyse à Stephen Hawking, une figure centrale de la cosmologie contemporaine
(Mialet, 1999: 554; Wallis, 1979).
2. Les auteurs tiennent à remercier Laurent Nottale pour sa collaboration à cet article,
et plus particulièrement pour leur avoir donné accès à des avis d’évaluateurs. Les auteurs
demeurent cependant les seuls responsables des interprétations et analyses présentées dans
cet article.
3. Alors que peu de physiciens se sont intéressés de façon sérieuse à la TRE, certains
épistémologues ont prêté une attention bienveillante à cette théorie. Voir, par exemple,
Barthélémy et Bontems (2001) et Parrochia (1997: 380–4).
4. La situation de la TRE est comparable à celle d’autres théories innovantes margina-
lisées, à des degrés divers, par le quasi-monopole des supercordes, telles que la ‘loop quan-
tum theory’, par exemple, dont l’un des promoteurs dénonce justement les effets (qu’il
juge négatifs): ‘string theory, in spite of a dearth of experimental predictions, has monop-
olized the resources available to advance fundamental physics, with choking off the inves-
tigations of equally promising alternative approaches’ (Smolin, 2006: 268).
5. Un facteur important de cette personnalisation est que Nottale s’est adonné à la vul-
garisation de ses recherches sur les lentilles gravitationnelles jusqu’en 1994, puis de la
TRE, notamment avec le livre de vulgarisation La Relativité dans tous ses états. L’analyse
de cette trajectoire médiatique et des effets de la popularisation, qui éclaire la question des
interactions entre le champ scientifique et le champ journalistique, est réservée pour un
autre article.
6. Pour une réflexion approfondie sur la notion de bifurcation, voir Grossetti (2004).
7. En 1991, dans son article sur la découverte des lentilles gravitationnelles, Hewitt cite
un article de 1987, dont Nottale est l’un des auteurs, sans l’identifier pour autant comme
un acteur digne d’intérêt (Hewitt, 1991).
8. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
9. Ibid.
10. Voir par exemple, Karoji, Nottale et Vigier (1975); Nottale et al. (1976); Nottale et
Moles (1978).
11. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
12. Pour plus de détails, voir Koenig (2004).
13. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
14. Il est intéressant de noter que Zwicky s’était lui aussi vu refuser ses demandes d’ac-
cès aux télescopes (cf. Koenig, 2004).
15. Le rapport de Nottale cité s’intitule Modélisation d’atomes et de molécules au
moyen de relateurs arithmétiques.
16. Trois avec son doctorant Hammer, quatre avec Hammer et Olivier Lefèvre, docto-
rant d’un collègue (Guy Mathez) et devenu depuis directeur du laboratoire d’astrophysique
de Marseille, et trois autres en collaboration avec d’autres chercheurs.
17. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
18. Ibid.
19. Avis d’évaluateur.

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 649

20. Il est intéressant de noter que Narlikar fait partie du réseau de Jean-Claude Pecker,
directeur de thèse de Nottale, qui l’a invité au Collège de France en 2003. Voir sa leçon
inaugurale sur ‘Faits et spéculations en cosmologie’ (Narlikar, 2004). C’est probablement
aussi à l’initiative de Pecker que la Société astronomique de France lui a octroyé en 2004
le Prix Janssen, décerné en ‘récompense de travaux astronomiques importants’.
21. Avis d’évaluateur.
22. Lettre du 22 mai 1989 d’Elsevier à Nottale.
23. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
24. Ibid.
25. Ses travaux les plus cités sont FSTM (99); ‘Fractals and the Quantum-theory of
Spacetime’ (Nottale, 1989) avec 15 citations; ‘Scale relativity and fractal space-time:
Applications to quantum physics, cosmology and chaotic systems’ (Nottale, 1996a) avec
13 citations, ce dernier article figurant en seconde position dans le classement, établi en
2003 par l’éditeur Elsevier (auquel appartient CSF), pour les articles les plus cités parus
depuis 1995 dans CSF (47).
26. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
27. Voici un florilège de citations (parmi beaucoup d’autres) montrant comment s’opère
l’amalgame entre la référence à Nottale et la théorie de l’espace-temps cantorien:

‘El Naschie has proposed that the Cantorian-fractal conception of spacetime may effect
reconciliation between quantum mechanics and gravity. Similar ideas were presented by
Nottale (63) and Ord (64), all independently.’ (Selvam et Fadnavis, 1999: 1324)

‘This idea is in generally good agreement with the philosophy of Cantorian-Fractal


space time advanced by Ord, Nottale and El Naschie (12).’ (Agop et Nica, 1999: 1302)

‘a remarkably fruitful Cantorian fractal spacetime approach pursued by El Nashie,


Nottale and Ord.’ (Saniga, 2001: 2127)

‘Noteworthy contributions include results due to Nottale and El Naschie, based upon
fractal space-time in quantum physics and geometrical attributes to the Cantorian E(∞)
manifold.’ (Goldfain, 2003: 813)

28. Pitkänen (2002: 1206): ‘Fractality of the space-time at the fundamental level has
also been suggested by other authors: namely Cantorian fractal space-time model of Ord
and of Mohammed El Naschie.’
29. Nous remercions James Lequeux pour ses commentaires sur une version antérieure
de ce texte.
30. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
31. Propos de James Lequeux rapportés par Leglu (1998).
32. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
33. Ibid.
34. Avis d’évaluateur.
35. Sur les 17 citations que recueille l’article ‘Scale-relativity and quantization of extra-
solar planetary systems’ (Nottale, 1996b), 9 sont des auto-citations; du côté des revues, 8
citations proviennent d’articles parus dans CSF, 5 dans A&A, si bien que seules 4 citations
contribuent à élargir le spectre des revues où la TRE obtient droit de cité: Monthly Notices
of The Royal Astronomical Society, Publications of the Astronomical Society of the Pacific,
Australian Journal of Physics, Physical Review A.
36. Entrevue avec Nottale le 11 avril 2006.
37. Avis d’évaluateur.

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650 Social Science Information Vol 46 – no 4

38. Les enjeux théoriques d’une telle exportation de la TRE hors du champ de la
physique, ainsi que la controverse dite des ‘lois de l’évolution’ qu’elle a entraînée, méri-
tent une analyse approfondie que nous réservons pour un autre article.
39. Avis d’évaluateur.

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Bontems et Gingras Etudes sur la science 653

Annexe: table des acronymes

A&A Astronomy and Astrophysics


A&SS Astrophysics and Space Science
AdP Annales de physique
AJ Astrophysical Journal
CNRS Centre National de la Recherche Scientifique
CRAS–A Comptes Rendus Hebdomadaires de l'Académie des
Sciences série A
CRAS-B Comptes Rendus Hebdomadaires de l'Académie des
Sciences série B
CRB Comptes Rendus Biologie
CSF Chaos, Solitons and Fractals
FSTM Fractal Space-Time and Microphysics: Towards a Theory
of Scale Relativity
IAP Institut d’astrophysique de Paris
IjoMP International Journal of Modern Physics série A
JoMaP Journal of Mathematical Physics
JoP-A Journal of Physics série A
LUTH Laboratoire Univers et Théorie
MNRAS Monthly Notices of The Royal Astronomical Society
MOND Modified Newtonian Dynamics
TRE Théorie de la relativité d’échelle
TSR Theory of scale-relativity

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