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Sciences sociales et santé

L'émergence des disability studies : état des lieux et perspectives


Gary L. Albrecht, J.-F. Ravaud, Henri-Jacques Stiker

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Albrecht Gary L., Ravaud J.-F., Stiker Henri-Jacques. L'émergence des disability studies : état des lieux et perspectives. In:
Sciences sociales et santé. Volume 19, n°4, 2001. pp. 43-73;

doi : https://doi.org/10.3406/sosan.2001.1535

https://www.persee.fr/doc/sosan_0294-0337_2001_num_19_4_1535

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Résumé
Résumé. Les disability studies constituent un champ original en pleine émergence, qui a des racines
interdisciplinaires et théoriques fortes, mais qui est également modelé par l'activité sociale et politique.
Ce domaine foisonnant suscite actuellement des débats internationaux d'un grand intérêt et des
controverses qui se sont encore peu diffusées en France. Cet article montre l'attention croissante que
la recherche porte au handicap et la vitalité des disability studies dont le but est d'analyser le handicap
par rapport aux facteurs sociaux, culturels et politiques. L'article donne une courte description des
origines et de l'histoire des disability studies, et il examine la théorie, les modèles et les méthodes sur
lesquels ce champ se fonde dans les pays anglo-saxons. Il fait le bilan de certains efforts conceptuels
actuels, des activités de recherche, des programmes universitaires et développements
interdisciplinaires qui façonnent les disability studies en établissant des comparaisons avec la situation
française. Il explore ensuite une question qui est l'objet de nombreux débats, à savoir : qui est habilité
à la recherche et à l'enseignement dans ce domaine ? Enfin, l'article identifie quelles sont les tensions
majeures dans le champ des disability studies, en fait la discussion, et explore quelle(s) direction(s)
peut prendre ce champ.

Abstract
The emergence of disability studies: current situation and future directions
Disability studies are an emerging field that has strong, interdisciplinary and academic roots but is
equally shaped by social and political activity. The field is exciting because of the very interesting
international debates and the controversies, which are not widely disseminated in France. This paper
points to the growing attention given by research to disability in general and to the vitality of disability
studies which aim to understand disability in a social, cultural and political context. The paper briefly
describes the origins and history of disability studies and examines the theory, models and methods
upon which the field is based in English- speaking countries. The paper reviews some of the current
conceptual efforts, research activities, académie programs and interdisciplinary developments shaping
disability studies and compares them to the French situation. The paper then explores the issue of who
is qualified to conduct research in, and to teach, disability studies. Finally, the paper identifies and
discusses the major tensions in disability studies and explores where the field is going.

Resumen
La emergencia de los disability studies : situación y perspectivas
Los disability studies constituyen un campo original de investigación en plena emergencia que tienen
raíces teóricas e interdisciplinarias importantes, pero que también estan moldeado por la actividad
social y politíca. Este amplio terreno suscita en la actualidad debates internacionales y controversias
de gran interés que aún estan poco difundidos en Francia. Este artículo muestra la creciente atención
que la investigación le esta atribuyendo a la discapacitación y la vitalidad de los disability studies, cuyo
objetivo es el de analizar la discapacitación en relacion a los factores sociales, culturales y politícos.
El artículo hace una corta description de los orígenes y de la historia de los disability studies y examina
la teoría, los modelos y los métodos en los que se basa este campo en los países anglo-sajones.
Haciendo comparaciones con la situación francesa, hace el balance de ciertos esfuerzos conceptuales
actuales de las actividades de investigaciôn, de los programas universitarios y de los desarrollos
interdisciplinarios que le dan forma a los disability studies. Explora a continuación una cuestión que es
objeto de numerosos debates : quién esta habilitado para investigar y ensenar en este terreno ?
Finalmente, el artículo identifica cuales son las mayores tensiones en el campo de los disability
studies, debate sobre eso y explora la(s) direccion(es) que éste puede tomar.
Sciences Sociales et Santé, Vol. 19, n° 4, décembre 2001

L'émergence des disability studies :

état des lieux et perspectives

Gary L. Albrecht*, Jean-François Ravaud**, Henri- Jacques Stiker*

Résumé. Les disability studies constituent un champ original en pleine


émergence, qui a des racines interdisciplinaires et théoriques fortes, mais
qui est également modelé par l'activité sociale et politique. Ce domaine
foisonnant suscite actuellement des débats internationaux d'un grand
intérêt et des controverses qui se sont encore peu diffusées en France. Cet
article montre l'attention croissante que la recherche porte au handicap et
la vitalité des disability studies dont le but est d'analyser le handicap par
rapport aux facteurs sociaux, culturels et politiques. L'article donne une
courte description des origines et de l'histoire des disability studies, et il

* Gary L. Albrecht, sociologie, Université de l'Illinois, Chicago, USA.


** Jean-François Ravaud, santé publique, Réseau fédératif de recherche sur le
handicap, Centre de recherche médecine, sciences, santé et société, 182, boulevard de la
Villette, 75019 Paris, France ; e-mail : ravaud@ext.jussieu.fr
*** Henri-Jacques Stiker, anthropologie historique, Laboratoire Histoire et
civilisations des sociétés occidentales, Université Paris VII, France.

Remerciements : Gary L. Albrecht remercie tout spécialement J.L. Lory et la Maison


des Sciences de l'homme pour avoir pu travailler à cet article, dans le cadre d'une
bourse de recherche Mary E. Switzer, Institut national de recherche sur le handicap et
la réadaptation. Il remercie aussi le Département handicap et développement humain
de l'Université de l'Illinois à Chicago pour les discussions extrêmement stimulantes
sur les disability studies.
Les auteurs remercient F. Marchand du Réseau fédératif de recherche sur le handicap
pour son aide à la traduction.
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examine la théorie, les modèles et les méthodes sur lesquels ce champ se


fonde dans les pays anglo-saxons. Il fait le bilan de certains efforts
conceptuels actuels, des activités de recherche, des programmes
universitaires et développements interdisciplinaires qui façonnent les disability
studies en établissant des comparaisons avec la situation française. Il
explore ensuite une question qui est l'objet de nombreux débats, à savoir :
qui est habilité à la recherche et à l'enseignement dans ce domaine ?
Enfin, l'article identifie quelles sont les tensions majeures dans le champ
des disability studies, en fait la discussion, et explore quelle(s)
direction^) peut prendre ce champ.

Mots-clés : handicap, organisation de la recherche, mouvement social,


sciences de la réadaptation.

L'expression anglo-saxonne « disability studies » n'a pas


d'équivalent simple en français. L'obstacle n'est bien sûr pas uniquement d'ordre
sémantique et ne tient pas à une simple difficulté de traduction. En effet,
ces termes sont sensés se référer aux études et recherches menées dans le
domaine du handicap, ce qui ne suffirait pas à leur conférer une réelle
originalité par rapport à la situation française. Mais, derrière cette expression
que nous conserverons ici sous sa forme originelle, c'est à la constitution
d'un véritable champ scientifique que nous assistons Outre- Atlantique.
Les disability studies acquièrent ainsi dans plusieurs pays un statut de
courant académique autonome à l'instar de ce qui s'est fait dans les domaines
des « women studies » ou « ethnie studies ». Leur émergence, dont
l'ancrage dans un mouvement social plus large sera abordé dans cet article,
interpelle le milieu scientifique et justifie de s'interroger sur l'incapacité
qu'ont eue les disciplines traditionnelles à prendre en compte la question
du handicap au point que les disability studies ont dû s' autonomiser pour
prendre leur véritable essor.
Ce préambule nous porte vers une problématique essentiellement
nord-américaine. Comme dans les autres mouvements sociaux cités, les
personnes concernées, qui sont actrices de leur devenir et de leur
libération, sont considérées comme détentrices de savoirs propres que le
chercheur extérieur n'a pas, même s'il peut en avoir d'autres. L'expérience des
barrières sociales (physiques, mentales, psychiques) élevées sur la route
des personnes handicapées donne à ces dernières une parole qui peut
apporter des connaissance de même valeur que n'importe quelle donnée
dite objective. Mais ce postulat épistémologique n'est possible que dans
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la mesure où, historiquement, l'activité militante a été féconde et où elle


a montré que l'impartialité des chercheurs extérieurs n'était souvent
qu'une partialité déguisée. Il y a des connexions étroites entre les
disability studies et le disability movement (incarné notamment par Disabled
People's International). Cela tend à affirmer jusqu'à un certain point une
culture handicapée, voire des cultures handicapées selon les déficiences
en cause (surdité, cécité, paralysie, retard mental, etc.). Nous pouvons
constater ici une certaine proximité avec la pensée de ce qu'on a nommé
le multiculturalisme, car l'identité handicapée est revendiquée comme
égale aux autres, digne du même intérêt et interdisant toute discrimination.
Par rapport à ce qui s'est passé en France dans l'ordre des études
relatives au handicap, les disability studies apparaissent originales. Mais
l'originalité du champ ne s'arrête pas là. Il faut remarquer en premier lieu
que, désormais, les disability studies influencent les réflexions dans
d'autres pays, y compris la France, lesquelles, nous le verrons davantage
encore dans le cas britannique que dans le cas français, font retour sur la
pensée nord-américaine. En outre, et peut-être surtout, le champ du
handicap se construit comme autonome, autonome par rapport aux divisions
disciplinaires habituelles parce qu'il les mobilise toutes selon les besoins
et aussi parce que, dans de nombreuses universités américaines, il existe
des enseignements spécifiques concernant le handicap, où se croisent
savoirs savants, savoir des acteurs et disciplines variées.
L'originalité des disability studies n'est pas seulement dans la place,
y compris scientifique, donnée aux « usagers », n'est pas simplement dans
l'interdisciplinarité, n'est pas uniquement dans l'existence d'un
mouvement de personnes handicapées, bref n'est pas dans la liste des
caractéristiques que l'on peut énumérer, mais dans la rencontre, dans l'intrication
de ces éléments. Il faut avoir assisté aux réunions annuelles de la Society
for disability studies pour le saisir. Et c'est pourquoi également
l'expression disability studies ne peut trouver un équivalent français adéquat.
Quand un mouvement et une nouvelle posture théorique surgissent,
il est fructueux de se demander à quoi ils s'opposent, au-delà même de
leurs intentions avouées. A posteriori, nous voyons que les disability
studies s'opposent à ce qu'il est convenu d'appeler les sciences de la
réadaptation (rehabilitation sciences). Elles opèrent par rapport à celles-ci un
véritable renversement de problématique. Le modèle de la réadaptation,
qui a prévalu davantage encore en Europe qu'en Amérique du Nord,
repose sur les notions de déficiences et d'incapacités, lesquelles relèvent
des professions médicales et paramédicales et constituent des facteurs
individuels relevant de la santé. L'évolution par rapport au modèle
médical curatif antérieur avait déjà déplacé le projecteur vers le niveau
fonctionnel, celui des capacités et des restrictions d'activité en ne se focalisant
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plus sur le niveau lésionnel avec l'objectif traditionnel de guérison. La


déficience qui peut être intellectuelle, visuelle, auditive, motrice,
psychologique, du langage ou autre doit être compensée, réparée et permettre,
« malgré tout », une adaptation au monde social (école, travail, loisirs
etc.). De là la multitude des services, établissements, mesures diverses que
les sociétés contemporaines ont mis sur pied. Mais le chemin va
essentiellement de l'individu vers la société, et même lorsqu'on insiste, comme
c'est le cas en France depuis le célèbre rapport de Bloch-Lainé (1968), sur
l'aménagement de la société, on reste souvent sur l'idée de compensation.
La limite d'une telle perspective ouvre le terrain de prédilection des
disability studies, dont le point de départ est toujours la société et ses barrières,
la déficience n'étant qu'une composante, mais non centrale du handicap.
Ce n'est plus à l'individu à s'adapter à l'environnement social, mais à
celui-ci à s'adapter aux individus. C'est pourquoi la notion de nouveau
paradigme a été utilisée (De Jong, 1979).
L'intérêt des disability studies réside aussi en grande partie dans leur
confrontation avec d'autres domaines ou des approches qui ont eu une
influence prédominante dans un passé récent. Dans les dialogues qui se
nouent aujourd'hui d'un bord à l'autre de l'Atlantique, nous devons
constater que le handicap émerge progressivement et fortement dans le
champ scientifique, ce dont le monde universitaire ou le monde de la
recherche établie, en France, n'a pas encore une conscience aiguë. L'âge
des pionniers se termine et une revendication pour que les disability
studies et les recherches sur le handicap prennent toute leur place dans
l'univers intellectuel se fait pressante au niveau international.
Cet article traite de l'émergence de ce nouveau domaine, de ses
enjeux et de ses perspectives, à partir d'un état des lieux de son
développement dans trois pays : les États-Unis, l'Angleterre et la France. Après
une brève histoire des disability studies qui permet de s'interroger sur leur
nature : spécificité anglo-saxonne ou référentiel international en germe,
nous aborderons l'articulation avec le mouvement handicapé et les autres
mouvements sociaux. La présentation de la théorie, des modèles et des
méthodes de ce courant anglo-saxon nous permettra d'essayer ensuite de
mieux définir ce champ et de voir la façon dont il s'est institutionnalisé
différemment dans ces pays. Enfin, nous aborderons une des questions
cruciales, celle de savoir qui est habilité à conduire la recherche et
l'enseignement concernant les disability studies pour terminer en s
'interrogeant sur leur avenir.
L'ÉMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 47

Une brève histoire des disability studies :


entre spécificité anglo-saxonne et référentiel international

Aux États-Unis

Les disability studies constituent une discipline universitaire en plein


essor aux États-Unis, auxquels il faut joindre le Canada. Des articles
comme ceux qui sont parus dans le New York Times, le JAMA (Journal of
the American Médical Association), et le Chronicle ofHigher Education
(Bérubé, 1997 ; Cassuto, 1999 ; Mitka, 1999), en sont de bons témoins.
Le travail critique opéré sur la Classification internationale des
déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH) élaborée suite aux travaux de
l'OMS, par des spécialistes des disability studies, a élargi et approfondi le
débat sur la manière de classifier et de conceptualiser valablement la
maladie et les handicaps, dans tous les pays du monde (Bickenbach et al.,
1999 ; Pfeiffer, 1998 ; Ustun et al, 1998). La réponse des disability
studies à une étude relative à la charge globale que représente la maladie
(global burden of disease), financée par l'OMS, la Banque mondiale et
l'Université de Harvard, a poussé ses concepteurs à repenser le sens de
l'expression « qualité de la vie », ainsi que l'expérience et la signification
du handicap (Murray et Lopez, 1997). Le domaine manifeste son essor par
des articles et des livres analysant l'économie politique du handicap
(Albrecht, 1992), le mouvement et la politique en faveur du handicap
(Priestley, 1999), les représentations du handicap dans la littérature et le
cinéma (Mitchell et Snyder, 2001). Cette activité représente un nouveau
travail intellectuel, capital pour la compréhension de la santé et de la
maladie dans la société.
Le champ des disability studies s'est unifié au cours des vingt
dernières années. Aux États-Unis, dans les années soixante, les mouvements
pour les droits civiques qui aboutirent aux Civil Rights Acts de 1964 et
1968 ainsi qu'au Woting Rights Act de 1975, et au Fédéral Rehabilitation
Act de 1973 ainsi qu'à ses révisions successives, ont jeté les bases de la
compréhension des personnes handicapées en tant que groupe minoritaire,
et des mouvements en faveur des droits des handicapés et pour une vie
autonome ont vu le jour. « L'activisme social » des années soixante et
soixante-dix a donné une expression politique aux personnes handicapées
et une base intellectuelle à leur identité de groupe. Dépassant les
différences relatives aux divers groupes (sourds, aveugles, vétérans, etc.) ayant
des intérêts catégoriels, la recherche d'une communauté d'expérience
constitutive même du handicap servit de point de rassemblement et
d'unification du mouvement handicapé. À ce stade, les personnes handicapées
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commencèrent à affirmer avec force leurs droits à une citoyenneté égale


et à exprimer publiquement leurs expériences et la valeur d'un point de
vue handicapé sur la vie. UAmericans with Disabilities Act (ADA) de
1990 et ses révisions, continuant à se fonder sur l'approche du handicap
en tant que groupe minoritaire, apporta aux personnes handicapées les
mêmes protections contre la discrimination au travail que celles des
femmes et des minorités ethniques. L' ADA exige que les employeurs
fassent des « aménagements raisonnables » en faveur des personnes
handicapées. Cette législation s'est traduite par une diminution des barrières
architecturales, de sorte que l'on a pu rencontrer davantage de personnes
handicapées au travail et dans les lieux publics (Imrie, 1996).
Pendant cette période, aux États-Unis, les personnes handicapées
s'organisèrent pour faire pression et manifester, afin de faire entendre leur
voix. Le résultat de ces actions fut que, en 1982, un groupe de chercheurs
en sciences sociales conduit par I. Zola fonda la Society for the Study of
Chronic Illness, Impairment and Disability (SSCIID) (Société pour l'étude
des maladies chroniques, des déficiences et du handicap). Depuis le début,
cette Société se caractérise par un mélange de pluridisciplinarité et
d'activisme politique. Rejoint par un nombre croissant de spécialistes de la santé
publique et des disciplines psychologiques ou des Arts et Lettres, le groupe
changea de nom en 1986 pour devenir la Society for Disability Studies
(SDS). Sous la conduite d'I. Zola et d'autres membres fondateurs, la SDS
commença à tenir des congrès annuels où ces chercheurs se familiarisaient
avec les travaux et problèmes de leurs collègues. Il en résulta une
élaboration plus cohérente du champ. La SDS entreprit la publication d'une revue
scientifique, Disability Studies Quarterly. La décision de ne pas avoir de
comité de lecture pour cette revue fut prise afin de permettre à de jeunes
spécialistes de publier dans un environnement bienveillant et de donner à
des personnes handicapées qui n'avaient pas de formation universitaire
solide, l'occasion d'exprimer leurs opinions. La revue assure aussi le
fonctionnement d'un très large réseau en informant sur des revues, des
ouvrages, des articles, des films, des bibliographies et des informations
accessibles grâce à l'informatique (CD-Roms, Sites Web), présentant un
intérêt pour les personnes handicapées. La SDS comporte aujourd'hui plus
de 300 membres essentiellement nord-américains (Ravaud, 1998).

En Grande-Bretagne

Les disability studies se développèrent en Angleterre en suivant une


voie similaire, sous l'influence de V. Finkelstein et M. Oliver, lequel
occupa la première chaire de disability studies à l'Université de
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Greenwich, et de C. Barnes, qui fonda la Disability Research Unit à


l'Université de Leeds. En Angleterre, dans les années soixante-dix, le
Disability Income Group s'est constitué ; il milita auprès du
gouvernement pour le droit à un « revenu du handicap » pour toutes les personnes
handicapées (Oliver, 1996). Un peu plus tard, V Union of the Physically
Impaired Against Ségrégation (UPIAS) (Union des personnes
handicapées physiques contre la ségrégation) fut créée pour représenter l'opinion
des personnes handicapées s 'opposant à la vie dans une institution
spécialisée. Ces organisations étaient les précurseurs de l'actuelle influente
Disability Alliance.
S'il existe de nombreuses similitudes dans la façon dont sont
conçues les disability studies, là où les Britanniques diffèrent des
Américains, c'est dans l'importance particulière qu'ils accordent à
l'oppression sociale dont sont victimes les personnes handicapées du fait d'un
environnement discriminatoire. À l'extrême, certains soutiennent que les
handicaps y compris les limitations fonctionnelles sont entièrement
construits socialement par l'environnement physique, social et culturel.
Cette position volontairement radicale a eu des vertus pédagogiques
indéniables, mais prise à l'extrême, minimise l'importance du corps et des
déficiences. Le point faible de l'approche britannique, et qui concentre
l'essentiel des critiques qui lui sont faites, tient au fait que leur travail se
soit centré principalement sur les handicaps physiques et ne rende pas
assez justice aux handicaps mentaux et intellectuels.

En France

Le champ du handicap s'est façonné en France, depuis 1945, sur le


mode de l' État-Providence, dans la réciprocité et la négociation entre un
mouvement associatif de plus en plus puissant et le législateur (Barrai et
ai, 2000). Cette cogestion a donné lieu à une réglementation progressive
mais finalement cadrée dans une loi majeure (la loi d'orientation du
30 juin 1975) fondée sur la « discrimination positive » et, en conséquence,
sur la multiplication d'établissements et de services spécialisés. Les
études, théoriques et surtout appliquées, s'inscrivent dans ce cadre : études
historiques, sociologiques et psychologiques relatives à l'enseignement
spécial — menées surtout au sein du Centre de recherche de l'éducation
spécialisée et de l'adaptation scolaire (CRESAS) à l'Institut national de la
recherche pédagogique (INRP) — , études sur les populations, les
institutions, les méthodes de traitement — surtout au sein du Centre technique
national d'études et de recherches sur les handicaps et inadaptations
(CTNERHI) —, études psychosociales — Groupe de recherche sur l'idéo-
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logique et les fonctionnements sociocognitifs (GRIFS) (Paris VIII) — ,


études épidémiologiques et économiques (réalisées à l'INSERM). Par
ailleurs, des initiatives libres ont été prises pour mener des recherches
historiques (ALTER, société internationale pour l'histoire des déficiences,
infirmités, handicaps), ou pour grouper des chercheurs et des usagers
comme la création plus récente, en liaison avec le département des
Sciences de l'éducation de l'Université Lyon II, du CRHES (Collectif de
recherche sur le handicap et l'éducation spécialisée), sans oublier le réseau
de laboratoires et d'équipes de recherche que constitue le Réseau fédératif
de recherche sur le handicap (RFRH). Mais, à l'exception de quelques
travaux pionniers dans le cadre de l'étude des mouvements sociaux (CEMS
au CNRS), toutes ces études et recherches ne ciblent pas, en majorité, une
spécificité qui s'enracine chez les handicapés eux-mêmes. Les débats
français ont été marqués par l'utilisation de la Classification internationale des
handicaps (OMS, 1980), par le rapport entre la question du handicap et
celle de l'exclusion posant la question de la citoyenneté (Bessis, 1995 ;
Castel, 1995 ; Gros-Jean et Padieu, 1995), par la confrontation entre le
principe de non-discrimination et la discrimination positive, par
l'évaluation du poids des associations gestionnaires dans l'institution du handicap,
par l'étude du sens des politiques sociales. Cette liste non exhaustive de
questions montre qu'il n'y a pas eu un mouvement « d'usagers » en France,
semblable à celui qui existe aux États-Unis, même si une certaine
continuité peut être relevée entre les mouvements handicapés contestataires de
lutte contre l'assistance des années soixante-dix (« Handicapés méchants »,
« Comité de lutte des handicapés », et autres mouvements très politisés
d'extrême gauche) et ceux se rattachant aujourd'hui à l'Organisation
mondiale des personnes handicapées (OMPH-DPI).
Il peut paraître paradoxal d'évoquer la faiblesse française du
mouvement handicapé alors même que le tissu associatif français est
extrêmement puissant et diversifié. Cette diversité (en termes de type de
déficience ou d'origine de celles-ci) est sur ce plan plutôt une faiblesse car
la logique catégorielle freine l'unification d'un mouvement identique à
celui décrit aux États-Unis. La faiblesse du mouvement des personnes
handicapées en France est sans doute due à la structuration et à l'emprise
des grandes associations nationales, très importantes. Il ne faut d'ailleurs
pas seulement remarquer le fait pour critiquer l'accaparement de la
politique et de la « parole » handicapée par les gestionnaires du secteur, mais
aussi pour souligner que maints établissements ont été des facteurs
d'éducation et d'insertion très positifs dont les usagers se félicitent après coup.
Il n'y a pas, en France, une exacerbation contre le milieu spécialisé et ceux
que l'on appelle dans les pays anglo-saxons les activistes font
relativement bon ménage avec les established, même s'ils servent d'aiguillon.
L'ÉMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 51

Cependant, malgré ces spécificités nationales, le courant de pensée


des chercheurs français puise de plus en plus aux mêmes sources
bibliographiques internationales d'origine majoritairement anglo-saxonnes
(Encadré 1).

Encadré 1

L'essor des disability studies


L'accroissement de la bibliographie anglo-saxonne concernant les
disability studies se retrouve dans de nombreuses revues académiques
comme Disability and Society, Disability Studies Quarterly, Journal of
Disability Policy Studies, ainsi que dans des revues activistes comme The
Mouth et Ragged Edge aux États-Unis.
Il existe aussi plusieurs collections de livres sur le handicap : The
Disability Press à Leeds et une collection sur la recherche avec
Macmillan Press à New York.
Le forum de discussion sur le handicap par e-mail (disability-
research@mailbase.ac.uk) constitue une force mondiale de promotion de
la discussion, de la mise en réseau, et forme une coalition globale de
spécialistes et d'activistes.
Avec la parution récente chez Sage Publication du Handbook of
disability studies (Albrecht et al., 2001), c'est une entreprise internationale de
grande envergure qui vient de s'achever avec des contributions de
spécialistes du monde entier, qui représente un effort interdisciplinaire de
cinq ans pour rassembler et intégrer le travail qui a été réalisé, analyser
l'état du domaine et pointer les orientations futures. Ce manuel de près de
900 pages constitue un excellent panorama de ce champ. Il comporte
35 chapitres répartis en trois sections :
1. La construction des disability studies comme champ ;
2. L'expérience du handicap ;
3. Le handicap en contexte.
L'unification du champ est également servie par de multiples
conférences et congrès annuels. Un grand nombre de spécialistes
internationaux assistent maintenant aux congrès annuels de la Society for Disability
Studies. La plupart des grandes organisations professionnelles des États-
Unis, comme Y American Sociological Association, Y American
Psychological Association, Y American Public Health Association et la
Modem Language Association comportent des sections actives sur le
handicap et des groupes d'intérêt qui diffusent les perspectives des
disability studies auprès de nombreuses disciplines établies.
52 GARY L. ALBRECHT ETAL.

Disability studies, mouvement handicapé


et autres mouvements sociaux

Ce survol historique conduit ainsi à s'interroger sur l'influence et les


connexions entre l'émergence des disability studies telle qu'elle a été
évoquée précédemment, le mouvement handicapé et les autres mouvements
sociaux comme les mouvements féministes ou relatifs aux minorités
culturelles ou ethniques.
Les disability studies sont en pleine expansion. Elles trouvent, dans
le contexte théorique des mouvements sociaux (Benford et Snow, 2000),
le meilleur outil de compréhension. Parfois considéré comme une des
dernières générations de mouvements sociaux, le mouvement handicapé,
dont l'histoire reste à faire, a été particulièrement marqué par
Y Independent Living Movement (Mouvement pour une vie autonome). Ce
mouvement s'enracine dans une histoire plus large marquée en particulier
par divers mouvements très actifs à cette époque : le mouvement self-help,
le mouvement consumériste et le mouvement pour les droits de l'Homme.
Aux États-Unis particulièrement, le mouvement handicapé trouva un
modèle pour l'affirmation de ses droits dans les mouvements pour les
droits civiques dont un des objectifs initiaux était l'intégration des Noirs
américains dans la société, grâce à des initiatives et des mesures
législatives économiques, éducatives et anti-discriminatoires (Annas, 1998 ;
Pelka, 1997). Il a également été fortement influencé par les législations de
discrimination positive (Affirmative Action), ciblant les droits au respect,
à une égalité dans l'éducation et le travail des Noirs américains et des
femmes.
De nombreuses composantes rivales du Mouvement handicapé qui
s'étaient auparavant organisées autour de situations spécifiques comme
les lésions médullaires ou la maladie mentale, joignirent leurs forces, dans
les années quatre-vingt, pour revendiquer et faire pression en faveur de
leurs droits élémentaires, s 'appuyant sur les exemples de réussite des
Afro- Américains, des femmes et autres minorités (Barnartt et Scotch, sous
presse). Elles tirèrent de ces autres mouvements sociaux l'enseignement
que des manifestations publiques, des démonstrations pacifiques, l'action
coordonnée de personnalités politiques, le fait d'attirer l'attention des
médias et d'unir leurs forces dans un effort concerté, constituaient des
stratégies efficaces pour forcer le changement social.
La mobilisation associative américaine fut récompensée par le
changement radical introduit par YAmericans with Disabilities Act de 1990,
qui constitue un véritable tournant, comme nous l'avons souligné. Une
législation semblable fut promulguée en Grande-Bretagne et en Australie,
L'ÉMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 53

l'ADA servant de modèle. Les revendications et les groupes de pression,


ainsi que la couverture médiatique qui en découla, permirent aux
personnes handicapées de devenir publiquement visibles. Tandis que le
Président Roosevelt cachait son handicap lié à la poliomyélite, les
personnes handicapées devenaient fières de leur nouvelle identité (disability
pride). Par exemple, Christopher Reeves, l'ex-Superman devenu
tétraplégique, interpella les deux dernières Conventions démocrates pour
souligner la place des personnes handicapées dans la vie et la politique
américaines.
Aux États-Unis comme ailleurs le mouvement portant les droits des
personnes handicapées était relativement éclaté. UAmericans with
Disabilities Act a vraiment constitué la première opportunité pour que ces
groupes disparates s'unissent derrière une action sociale, une loi
unificatrice. Le mouvement handicapé comprenait de nombreuses composantes
dont les principales étaient un mouvement en faveur des droits des
handicapés, un mouvement pour les droits des sourds, un mouvement des
personnes VIH/sida, un mouvement des « survivants » de la psychiatrie et un
mouvement des parents. Ces différents groupes sont souvent entrés en
compétition dans l'arène politique, ou dans celle de la recherche et de
l'éducation pour trouver des fonds, mais, plus récemment, ils se sont unis
derrière l'ADA et les attaques portées à cette loi. Toutefois, les tensions
sous-jacentes et la compétition persistent toujours. Les groupes de
handicaps moteurs sont accusés d'élitisme, les groupes de sourds de commu-
nautarisme. Mais en dépit de leurs histoires différentes et de leurs
divergences, les personnes handicapées ont réalisé qu'en joignant leurs
efforts et leurs voix en un ensemble coordonné d'actions politiques, elles
auraient davantage de pouvoir et d'influence pour changer les lois, les
programmes sociaux et finalement la manière dont elles étaient traitées.
La création de Disabled People 's International (Organisation
mondiale des personnes handicapées) en 1981 est à ce titre significative de la
volonté du mouvement international de se faire entendre auprès des
organisations internationales comme l'ONU qui deviendront l'arène
privilégiée pour défendre ces positions. Cette association internationale se donne
comme objectif de porter les revendications de l'ensemble des personnes
handicapées : suppression des barrières environnementales
(architecturales, culturelles, économiques et politiques) qui font obstacle à l'exercice
de la citoyenneté et à la participation sociale des personnes concernées.
Prenant leur source dans le Mouvement handicapé, les disability stu-
dies marchèrent sur les traces des programmes des Ethnie Studies, des
Women Studies, des Religions Studies, en acquérant la légitimité d'une
discipline académique. Il existe à l'heure actuelle aux États-Unis des
formations diplômantes et/ou de qualification professionnelle en disability
54 GARY L. ALBRECHT ETAL.

studies dans douze universités et des cursus offerts (sans programme


diplômant) dans trente autres universités (Kasnitz et al, 2000)). Ce chiffre
augmente d'années en années. L'attrait pour ce domaine se justifie par le
fait qu'avec son irruption récente dans l'espace public, le handicap est en
train de devenir une expérience de plus en plus partagée, aussi bien qu'un
test décisif pour les valeurs sociales et l' Etat-Providence. Plusieurs
facteurs concourent à cette évolution. Le nombre de personnes handicapées
ne cesse d'augmenter au niveau mondial, du fait du vieillissement de la
population, de l'accroissement de la durée de vie avec des maladies
chroniques, des différents accidents ou victimes de violences ou de conflits.
L'expérience personnelle du handicap, soit directement soit via un proche,
devient de plus en plus commune (Manton, 1988 ; National Organization
on Disability, 1998). Plusieurs expressions viennent d'ailleurs insister sur
le caractère universel de cette expérience dans le cours de la vie, les
personnes valides étant décrites comme NYD (Not Yet Disabled) ou TAB
(Temporary Able Bodied).
Les disability studies ont un attrait tant académique que pour les
politiques sociales car elles constituent un terreau fertile pour que les
sciences humaines et sociales, les historiens, les philosophes, les juristes,
les médecins et les spécialistes des politiques testent les théories et
étudient les questions cruciales relatives aux politiques d'action sociale
(Altman et Barnartt, 2000). La version américaine des disability studies
est par conséquent enracinée dans les mouvements antérieurs concernant
les droits civiques, la discrimination positive et les mouvements
féministes, mouvements dans lesquels l'accent est mis sur les droits des
citoyens à leur inclusion pleine et entière dans la société.
La singularité des disability studies est d'avoir introduit avec le
« modèle social du handicap » un changement de paradigme qui
renouvelle radicalement les approches conceptuelles antérieures.

Théorie, modèles et méthodes du courant anglo-saxon

Le développement des disability studies a considérablement


bénéficié de l'écoute des personnes handicapées et de l'intégration de leur
expérience personnelle du handicap dans les concepts, théories et modèles.
Plusieurs changements se sont opérés : davantage de personnes
handicapées ont commencé à étudier et théoriser sur le handicap, les spécialistes
ont commencé à se centrer sur l'expérience personnelle du handicap, et les
« activistes » du handicap ont été pris en compte. Les spécialistes du
handicap introduisirent un changement de paradigme majeur dans la pensée
L'ÉMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 55

conceptuelle, en détournant l'attention du modèle médical traditionnel,


qui met l'accent sur la physiopathologie à base organique de l'individu,
vers la notion du handicap comme étant dû en grande partie au traitement
par la société des personnes qui fonctionnent différemment de la norme.
Au lieu de considérer le handicap comme une imperfection apparente dans
la constitution physique ou mentale d'un individu, signifiant un défaut de
fonctionnement physique, mental ou psychique, ils remirent en cause
l'importance accordée aux déficiences individuelles, pour rendre compte
des problèmes rencontrés par les personnes handicapées. Ils se centrèrent
au contraire sur l'environnement physique et les barrières socialement
construites comme l'exclusion, l' inaccessibilité, les préjugés et la
discrimination (Priestley, 1998).
Les spécialistes du handicap mentionnent cette approche sous
l'appellation de « modèle social » du handicap (Shakespeare, 1998). Par
exemple, Oliver considère que le problème réside dans l'échec de la société
à prendre en compte les besoins des personnes handicapées dans son
organisation sociale. Il déclare ainsi : « De ce fait, le handicap est, selon le
modèle social, tout ce qui impose des restrictions aux personnes
handicapées, du préjugé individuel à la discrimination institutionnelle, des
bâtiments publics inaccessibles aux moyens de transport inutilisables, de
l'éducation ségrégative aux dispositions de travail qui excluent... En outre,
les conséquences de cet échec ne tombent pas simplement et par hasard sur
des individus, mais de façon systématique sur les personnes handicapées
comme groupe, qui fait l'expérience de cet échec comme une
discrimination institutionnalisée dans toute la société » (Oliver, 1996 : 33).
Bien qu'il existe différentes versions et interprétations du modèle
social du handicap, elles ont en commun un ensemble de caractéristiques
identiques. Oliver (1996) résume ces caractéristiques lorsqu'il oppose les
modèles individuel et social du handicap {Tableau /).
Bien qu'il soit évident que ce tableau simplifie à l'extrême le degré
et la complexité des modèles individuel et social du handicap, il souligne
leurs caractéristiques fondamentales ainsi que les différences entre ces
deux types d'approche conceptuelle.
Le modèle social du handicap ne prétend pas être une théorie
exhaustive du handicap, car il ne se centre pas sur le corps, pas plus qu'il
n'explique les déficiences (Hughes et Paterson, 1997). Abberley (1987) et
Oliver (1996) reconnaissent qu'une compréhension complète du handicap
nécessiterait aussi l'élaboration d'une théorie solide des déficiences et
incapacités. Cette différence de perspective et d'intérêt fait naître la
distinction entre les disability studies et les sciences de la réadaptation. Les
disability studies sont fondées sur le modèle social du handicap, et
évoquent un universal design pour penser un environnement accessible à tous
56 GARY L. ALBRECHT ETAL.

Tableau I. Modèles du handicap (d'après Oliver, 1996 : 34).

Le modèle individuel Le modèle social

Théorie de la tragédie personnelle Théorie de l'oppression sociale


Problème personnel Problème social
Traitement individuel Action sociale
Médicalisation Auto-assistance
Prédominance professionnelle Responsabilité individuelle et collective
Expertise Expérience
Adaptation Affirmation
Identité individuelle Identité collective
Préjudice Discrimination
Attitudes Comportement
Soins Droits
Contrôle Choix
Action Politique
Adaptation individuelle Changement social

tandis que les sciences de la réadaptation sont centrées sur les déficiences
et le corps, mettant l'accent sur la kinésithérapie, l'ergothérapie, et les
aides techniques.
Tandis que les méthodes employées dans les sciences de la
réadaptation tendent à être positivistes, utilisant de grandes enquêtes
représentatives, des expérimentations randomisées, des groupes contrôles et des
méthodes statistiques rigoureuses, celles qui ont la faveur des disability
studies sont de nature plus exploratoire et qualitative. Ces méthodes sont
conçues de telle sorte qu'elles incluent les expériences personnelles et les
points de vue des personnes handicapées dans la formulation des
questions et de la conception de la recherche, dans l'interprétation ainsi que le
compte rendu des résultats. Les méthodes employées peuvent comprendre
des observations ethnographiques, des « histoires orales », l'analyse de
récits ou de discours, des focus groups, des entretiens non directifs, une
analyse des productions artistiques et littéraires. Certes, avec la
maturation du champ, la plupart des spécialistes acceptent une gamme étendue
de conceptions de recherche et d'analyse de données, du moment qu'elles
incluent les personnes handicapées et sont compatibles avec le modèle
social.
Travaillant dans cette tradition, Priestley (1999) et d'autres (Barnes
et Mercer, 1996 ; Rioux et Bach, 1994 ; Stone et Priestley, 1996 ; Zarb,
1992) font la distinction entre les méthodes de recherche participatives et
L'EMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 57

émancipatoires. Les méthodes de recherche participatives incluent les


personnes handicapées dans la recherche, mais les méthodes de recherche
émancipatoires leur donnent le pouvoir en « contrôlant la recherche et en
décidant qui devrait être impliqué et comment » (Zarb, 1992 : 128). Ce
groupe de chercheurs britanniques plaide pour une approche émancipa-
toire de la recherche sur le handicap qui opère conformément aux six
principes suivants :
« 1) l'adoption d'un modèle social du handicap comme base de la
production de recherches ;
2) l'abandon d'une neutralité prétendument garante d'objectivité au
profit d'un engagement politique dans les combats du mouvement des
personnes handicapées ;
3) la volonté de n'entreprendre des recherches que là où elles auront
des avantages pratiques pour l'émancipation des personnes handicapées
et/ou l'élimination des barrières handicapantes ;
4) la délégation du contrôle de la production de recherche pour
garantir une responsabilité entière aux personnes handicapées et à leurs
organisations ;
5) la capacité de donner la parole à l'individuel tout en s 'efforçant
de collectiviser ce qui est commun aux expériences et à l'épreuve des
barrières handicapantes ;
6) la volonté d'adopter une pluralité de méthodes pour le recueil et
l'analyse des données en réponse aux besoins changeants des personnes
handicapées » (Priestley, 1999 : 16).
Les spécialistes du handicap tomberaient généralement d'accord
avec l'esprit de ce paradigme émancipatoire, mais pourraient ne pas l'être
sur le fait que la recherche doit toujours être pilotée politiquement ou
avoir un bénéfice pratique immédiat.
La conceptualisation et le développement des disability studies se
sont effectués initialement dans les pays occidentaux, les États-Unis, la
Grande-Bretagne et le Canada. Les spécialistes britanniques ont
davantage été guidés par l'analyse économique marxiste que par la politique
identitaire des activistes américains du handicap, fondée sur les droits
civiques. Le dialogue et les controverses suscités par ces deux groupes ont
été critiqués comme relevant de querelles intestines. Une des critiques
tient par exemple à la prise en compte des problèmes du marché émergent
et des nations du monde plus pauvres, où les personnes handicapées
luttent quotidiennement pour leur survie, où il peut ne pas y avoir de système
d'assistance, d'aides techniques, où les médicaments sont souvent
inaccessibles et où l'éducation, passés les stades élémentaires, peut être hors
de portée. Alors que dans de tels contextes, il est très difficile que les
personnes handicapées s'engagent de façon prioritaire dans des discussions
58 GARY L. ALBRECHT ETAL.

sur la manière de conduire la recherche sur le handicap, elles ne s'en


trouvent pas moins profondément intéressées par les questions soulevées par
l'économie politique dans l'arène des disability studies, et par les
théoriciens du modèle social (Albrecht et Verbrugge, 1999). La limitation
occidentale des disability studies alerte la recherche sur le fait que le handicap
prend des significations différentes selon les cultures et les périodes
historiques (Westbrook et al, 1993).
Cette dernière position est majoritaire en France, où la discipline
historique tient une place sans équivalence ailleurs. Le recours à l'histoire a
joué un grand rôle dans le domaine du handicap (Gateaux-Mennecier,
1989 ; Stiker, 1982 ; Vial, 1990, 1996) avec par exemple l'initiative
ALTER déjà mentionnée. Par ailleurs, il n'y a pas eu en France une
opposition aussi forte que dans d'autres pays, entre le « modèle médical » et le
« modèle social » tel qu'il est profilé par Oliver, Barnes et l'école
anglaise. De plus, les sciences sociales, du fait de leur intérêt pour la mise
en évidence des déterminants sociaux, n'ont jamais été absentes des
études et recherches sur le handicap. La revue spécialisée éditée par le
CTNERHI s'appelle « Handicap, Revue de Sciences Humaines et
Sociales ». En France, plus qu'ailleurs, il a été souligné que derrière les
clivages entre modèle individuel, modèle médical, modèle social, c'est la
question du sujet qui reste posée (Gardou, 2000 ; Ravaud, 1999).
Enfin, même si le point de vue médical et l'approche individuelle ont
pesé beaucoup trop lourd, l'impact des travaux de Wood, et l'insistance
sur le désavantage et les facteurs environnementaux ont rapproché les
médecins et les professionnels de la rééducation des chercheurs en
sciences sociales.
Peut-on dès lors, formuler en commun en Europe et en Amérique du
Nord une définition des disability studies ?

Vers une définition des disability studies

Une conception globale

Alors que les disability studies n'ont pas une définition unique,
universellement admise, il existe un vaste consensus sur l'approche et le
contenu du champ. Au congrès de 1993 de la « Society for Disability
Studies » un panel présidé par S. Linton a donné la définition suivante,
utilisée depuis par de nombreux spécialistes : « Les disability studies
restructurent l'approche du handicap en se centrant sur lui en tant que
phénomène social, construction sociale, métaphore et culture, utilisant un
L'ÉMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 59

modèle de groupe minoritaire. Elles examinent les idées relatives au


handicap sous toutes les formes de représentations culturelles tout au long de
l 'Histoire, et analysent les politiques et pratiques de toutes les sociétés
afin de comprendre les déterminants sociaux plutôt que physiques ou
psychologiques de l'expérience du handicap. Les disability studies tout à la
fois émanent du, et soutiennent le, mouvement pour les droits des
personnes handicapées, qui plaide pour les droits civiques et
l'autodétermination. Ce point de vue détourne l'attention portée au paradigme
prévention/traitement/remède en faveur du paradigme social/politique/
culturel. Ce changement ne signifie pas le déni de l'existence de
déficiences ni le rejet de l'utilité d'interventions et de traitements. Au lieu de
cela, les disability studies se sont développées pour dégager les
déficiences du mythe, de l'idéologie et du stigmate qui influencent
interactions et pratiques sociales. Cette discipline conteste ainsi l'idée que les
statuts économiques et sociaux ainsi que les rôles assignés aux personnes
handicapées sont des conséquences inévitables de leur condition »
(Linton, 1998).
En passant en revue les différentes définitions, Gill (1998) conclut
que la plupart des discussions des disability studies s'accordent sur
certains éléments communs. La recherche et l'enseignement concernant les
disability studies sont guidés par un modèle social ou modèle minoritaire
du handicap, de sorte que le handicap est conçu comme une situation
socialement construite et non comme un attribut fixe d'un individu.
Dans le contexte français, l'expression même de « modèle social »
est difficile à utiliser. Par rapport aux chercheurs en sciences sociales en
général, cette expression ne paraît guère innovante. Mais on peut affirmer
que le point de vue des facteurs sociaux (tant économiques que culturels)
tient, et doit tenir, de plus en plus de place dans la réflexion sur le
handicap. Parler de « modèle de minorité » n'est pas non plus très adéquat, car
si le rapprochement entre le problème des ethnies et celui des multiples
« différences » (de genre, de capacité, de traditions) est désormais souvent
réalisé (par exemple, Wieviorka et al., 1997), le concept de « minorité »,
en sociologie française, est bien précis. Mais ici, on peut se trouver
d'accord avec le fait que le handicap doit se penser en rapport avec d'autres
phénomènes sociaux car il est prioritairement un « construit social ».
L'approche socio-anthropologique et historique est à ce titre
particulièrement importante pour remettre en perspective des questions telles que
celle de l' inclusion/exclusion dans le traitement social du handicap
(Ravaud et Stiker, 2000a, 2000b), sujet majeur qui constitue un véritable
défi actuel pour les sociétés démocratiques. À n'en pas douter, on peut
trouver dans les tensions qui existent entre l'approche culturaliste anglo-
saxonne et l'approche égalitariste française des clés pour lire les diffé-
60 GARY L. ALBRECHT ET AL.

rences culturelles de définition et de reconnaissance du handicap autant


que dans les diverses mesures de protection sociale. Plusieurs auteurs ont
abordé de façon approfondie ces questions de normalisation/différentia-
tion liées aux notions d'universalisme/particularisme (Bickenbach et al,
1999 ; Ravaud et Stiker, 2000a)
Les disability studies sont pluridisciplinaires par nature parce que le
handicap est déterminé par une interaction complexe de facteurs culturels,
économiques et politiques, dont la prise en compte est indispensable pour
définir et interpréter la différence (la déficience). Une large variété de
handicaps et d'expériences est analysée dans les disability studies. Leur
objectif n'est pas d'intervenir pour corriger la déficience d'un individu,
mais de fournir une analyse critique de la dynamique sociale à l'origine
des pratiques et des systèmes sociaux opprimants. Les disability studies
répondent à la question de l'oppression en suggérant des changements
culturels et sociaux destinés à renforcer la qualité d'acteurs pour les
personnes handicapées. L'émancipation est une valeur cruciale ainsi qu'un
objectif clé.

L'organisation de la recherche

Le modèle social du handicap participe d'un savoir partagé qui a


contribué à l'institutionnalisation des disability studies. Ce mouvement
(exprimé en termes de définition, de langage, de symboles, de formes
d'actions et de politique) s'est lui-même exprimé différemment en
fonction des diverses histoires, de la culture, des valeurs et des traditions de
chaque pays.
En ce qui concerne l'organisation de la recherche et de
l'enseignement, elle s'est moulée dans les systèmes de recherche et d'enseignement
nationaux, les disability studies sont très loin de s'être substituées à la
recherche traditionnelle reposant sur le modèle médical du handicap. On
assiste en fait à un tuilage, avec un développement progressif du tissu de
recherche sur le handicap. Des programmes universitaires sont offerts et
des départements créés dans divers pays à travers le monde, se centrant
sur les disability studies {Encadré 2).
Aux États-Unis, il s'agit essentiellement de réseaux de
communication et d'échange. La recherche n'a pas pris la forme d'une institution
particulière, elle s'inscrit dans les cadres universitaires existants, en
réclamant sa spécificité. Ainsi, si l'essentiel de la recherche sur les
déficiences (sur les lésions médullaires, les maladies mentales, les accidents
vasculaires cérébraux, etc.) a trouvé ses financements auprès des NIH
{National Institutes of Health), c'est l'administration de la Sécurité sociale
L'ÉMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 61

Encadré 2

Le tissu de la recherche en disability studies


Aux États-Unis, il existe des cursus académiques avec Masters et des
PhD dans les universités dans des « collèges » littéraires, scientifiques ou
dans les professions de santé. Ainsi, un doctorat de disability studies, est
proposé conjointement par le Department of Disability and Human
Development et par les Departments of Physical and Occupational
Therapy à l'Université de l' Illinois à Chicago, par exemple. Celle-ci est
aussi le lieu d'accueil de Disability Studies Quarterly et des bureaux
administratifs de la Society for Disability Studies, ainsi que le site de
nombreuses recherches financées dans le domaine des disability studies,
incluant les Centers on Emerging Disabilities, Aging, Minorities and
Exercise and Disability Prévention. L'Université de Syracuse offre une
filière de disability studies à l'École Normale. L'Université du Suffolk à
Boston a une formation semblable dans son programme d'administration
publique à la Frank Sawyer School of Management. La San Francisco
State University, le Hunter Collège de la City University ofNew York et
l'Université de Hawaii à Manoa sont en train d'élaborer des programmes
de licence en disability studies avec différentes approches. Par exemple,
le programme de l'Université de Hawaii à Manoa se spécialise dans les
applications aux pays et cultures de la bordure du Pacifique. Le
développement de nouveaux programmes d'études dans divers départements de
Lettres et Sciences est discuté dans un article récent portant sur le défi
que représente ce champ pionnier des disability studies face aux
approches établies (Monaghan, 1998).
En Angleterre, la Disability Research Unit de l'Université de Leeds
est particulièrement active et forme des étudiants aux disability studies.
Cette unité offre une maîtrise en disability studies et un programme
d'enseignement à distance. Ce programme forme aussi un certain nombre
d'étudiants des pays émergents et des pays les plus pauvres. L'unique
chaire de disability studies se trouve à l'Université de Greenwich à
Londres.
Une spécialisation et un programme de diplômes universitaires en
disability studies sont de même en cours de développement au Canada et
en Australie.
En France, aucune université n'a de formation doctorale ayant une
approche ciblée sur le handicap. Dans un des établissements
d'enseignement supérieur, le CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), il
62 GARY L. ALBRECHT ETAL.

existait en revanche, depuis une douzaine d'années, une chaire créée par
le Pr M. Fardeau, intitulée « Insertion sociale des personnes
handicapées » et renommée en 2000 à son départ, « Handicap, Travail et
Société », dont la finalité est la formation sur le handicap. Cet
enseignement, de même que quelques diplômes créés par des universités (comme
le DUPITH, Diplôme universitaire pour l'insertion des travailleurs
handicapés, à Rennes, par exemple), n'est pas rattaché à un cadre
disciplinaire. Le seul DEA existant dans le cadre des sciences de la réadaptation
« Motricité humaine et handicap » est intégré à une formation doctorale
impliquant les Facultés de Médecine de Dijon et de Saint-Étienne.
D'autres enseignements, à l'inverse, sont lovés dans diverses disciplines
ou laboratoires (comme l'Anthropologie historique de l'infirmité à
Université Paris VII, ou par la voie des Sciences de l'éducation à Paris V
ou Lyon II, de la Psychologie sociale à Paris VIII). Mais la majorité de la
recherche sociale sur le handicap semble venir de chercheurs plus que
d'universitaires (CTNERHI, CERMES, ALTER, CNAHES).

ou des Anciens combattants qui a financé les recherches sur la réinsertion


professionnelle, et le US Department of Education qui soutient les
recherches sur l'intégration scolaire.
En Grande-Bretagne aussi, la recherche commence à se structurer
hors des financements du Médical Research Council, avec une orientation
particulièrement marquée sur la discrimination et l'environnement
handicapant. Les Anglais se sont aussi signalés par leur défense d'une
recherche-action participative et des positions souvent radicales contre le
modèle médical. L'unique chaire de disability studies est occupée par M.
Oliver, figure emblématique du mouvement handicapé anglais.
En France, le problème des « chaires » et des cursus universitaires se
pose de manière différente et doit être distingué du problème de la
recherche. Il n'y a pas d'université qui possède un enseignement
professoral dont le titre soit orienté sur le handicap, encore moins tenu par une
personne handicapée. Un seul centre est dédié aux études et recherche sur
le handicap, le CTNERHI, précédemment nommé. Mais il n'a pas de
rattachement universitaire ou de recherche publique, et du fait de son statut
associatif, sous tutelle du ministère des Affaires sociales, il souffre d'une
fragilité quasi congénitale. L'objet « handicap » peine à trouver sa place
dans l'organisation disciplinaire de l'enseignement supérieur et de la
recherche en France.
L'EMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 63

Mais, cette description de l'état actuel de l'institutionnalisation de la


recherche sur le handicap n'épuise pas la question qui se pose et qui
concerne les acteurs habilités à faire de la recherche dans ce domaine.

Qui est habilité à conduire la recherche


et l'enseignement concernant les disability studies ?

Un débat particulièrement passionné dans le champ des disability


studies concerne la crédibilité des chercheurs, théoriciens, spécialistes
d'interventions et décideurs. Certains activistes du handicap déclarent
qu'une expérience personnelle, de l'intérieur, de vie avec un handicap, est
un facteur crucial de compréhension de la complexité du handicap. Après
des années d'isolement et de dépendance forcée ou de négligence, ils ont
le sentiment que les personnes handicapées devraient être émancipées,
être en charge de leur propre destinée. Ils soulignent également le fait que
les hommes ne peuvent pas être leaders dans les études féministes et pas
davantage les Caucasiens dans les études sur les Afro-Américains. Par
conséquent, ils affirment que les personnes handicapées devraient diriger
et contrôler la recherche sur le handicap et façonner le contenu des
disability studies (Priestley, 1999). Selon cet argument, exiger le leadership
des personnes handicapées pour les disability studies n'est rien d'autre
que l'extension, sur le plan de la production de connaissance, du principe
d'autodétermination. « Nothing about us without us », telle est leur devise.
Cette position n'a jamais été tenue radicalement en France. Même si des
« chercheurs de l'intérieur » existent et sont souhaités, le discours de et sur
les personnes handicapées n'a pas été gagné par le radicalisme de
certaines positions féministes, plus américaines que proprement européennes
d'ailleurs.
D'autres spécialistes du handicap sont préoccupés par le fait qu'une
position aussi rigide est intellectuellement dangereuse et peut être
autodestructrice (Cassuto, 1999). Ils reconnaissent que les disability studies
sont un champ interdisciplinaire qui se centre non seulement sur le
handicap, mais aussi sur la manière dont les incapacités fournissent un éclairage
sur la société et la culture. Ils concèdent pourtant que le fait qu'une
personne soit handicapée ou non est important pour mener des disability
studies.
Les spécialistes des disability studies sont presque unanimement
d'accord pour admettre que le champ devrait être considéré comme la plus
récente variation du modèle qui vaut pour les études raciales, les études
ethniques et les études féministes et voient dans le mouvement des per-
64 GARY L. ALBRECHT ETAL.

sonnes handicapées le prototype d'un nouveau mouvement social


(Shakespeare, 1993). Un tel modèle s'organise en Amérique du Nord au
regard de l'histoire et de la culture d'un groupe minoritaire. Les disability
studies ressemblent aux études féministes et à celles sur les Afro-
Américains, en ce qu'elles unissent les intérêts des chercheurs, des
activistes et des décideurs dans une union certes malaisée, mais en y
cherchant une crédibilité intellectuelle et une respectabilité par la création
de nouveaux programmes universitaires. C'est d'ailleurs un autre point
commun entre ces différents champs que d'avoir voulu s'autonomiser des
disciplines académiques traditionnelles pour se développer et d'avoir
interpellé les courants de pensée dominants (par exemple, en sociologie de
la santé) sur le faible intérêt qu'ils portaient à leur démarche.
Le danger réside dans le fait d'insister sur la question du contrôle par
les personnes handicapées du développement du champ ; ne serait-ce pas
une façon de renforcer le type même d'exclusion auquel leurs défenseurs
sont confrontés eux-mêmes ? De plus, une telle approche est contraire aux
valeurs et traditions universitaires de recherche d'objectivité et de
maintien d'un débat ouvert. Les spécialistes sont susceptibles de regarder d'un
œil désapprobateur un champ qui dit : « même si vous avez des références
académiques adéquates pour travailler dans ce domaine, vous n 'êtes pas
les bienvenus parce que vous n'êtes pas des nôtres ». Cette approche
incite à un débat sur les pressions du politically correct dans la poursuite
de la quête scientifique. Cette position peut être aussi autodestructrice, du
fait qu'il est vraisemblable que deux groupes de spécialistes se
constitueraient, ceux avec ou sans handicap, sans nécessairement beaucoup de
communication. Une scission dans le champ inhiberait l'unification
souhaitée par ceux qui sont intéressés par le handicap et découragerait une
croissance et un développement intellectuel ouverts.
La plupart des spécialistes du handicap se gardent de prendre une
position extrême sur cette question. Gill (1998 : 9), par exemple, adopte
un simple point de vue interrogatif quand elle écrit : « Comment pouvons-
nous répondre à la question de la sous-représentation des personnes
handicapées dans les professions et à l'université ? Que devons-nous changer
pour garantir que davantage de personnes handicapées accéderont au
rôle de leaders dans les disability studies ? »
Un autre débat apparenté concerne les références requises et les
qualifications pour devenir un spécialiste en disability studies. Certains
chercheurs non handicapés ont argué du fait qu'avoir un handicap ou être un
activiste du handicap n'habilite pas en soi quelqu'un à diriger une
recherche et enseigner les disability studies. D'autres suggèrent que les
activistes sont trop tendancieux, à cause de leur activité militante pour être
des spécialistes objectifs (Agnew, 1999). Ce sont des préoccupations qui
L'EMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 65

s'appliquent à tous les champs de la recherche. Au final, la bonne science


est jugée par les épreuves de vérité et d'utilité : quelle est la question ?
Est-ce une question importante ? Quelle est la preuve ? La preuve est-elle
convaincante ? Et les résultats sont-ils utiles ? Les mêmes normes
s'appliqueront aux disability studies comme elles s'appliquent aux domaines
apparentés d'investigation. Certainement, la formation et l'expérience
renforcent la probabilité qu'une bonne science soit faite mais, en fin de
compte, l'analyse de la recherche sera jugée sur son mérite scientifique.
En même temps, il est utile d'évaluer les limites de l'objectivité de tout
chercheur et d'examiner comment sa formation et ses croyances
interfèrent avec le processus de recherche.
Il serait sans doute possible d'aller au-delà de cette position de bon
sens et de bon sens scientifique, qui veut à la fois « écouter le terrain » de
son investigation et se méfier des présupposés qu'on y introduit toujours
plus ou moins. À notre sens, il est nécessaire mais tout à fait insuffisant de
se mettre à l'écoute de ceux qui ont l'expérience d'une situation (ici le
handicap) pour contribuer à faire une « bonne science ». En revanche,
quand les chercheurs britanniques évoquent un changement des relations
sociales de production de la recherche (Oliver, 1992) et proposent de
dépasser la notion de recherche participative par celle de recherche éman-
cipatoire, ils ouvrent un vrai débat, mais leur réponse n'est pas sans poser
question. À nos yeux, la position à la fois juste et heuristique se trouve
dans le croisement des savoirs, pour reprendre une initiative, remarquable
même si elle ne fut pas remarquée, du mouvement ATD-Quart Monde
(1999).
Dans la recherche, il ne s'agit pas d'abord d'émancipation (même si
celle-ci est souvent un fruit de celle-là), mais il ne s'agit pas non plus
seulement de recherche participative au sens habituel de ce terme. Il y a le
pari qu'existent des savoirs chez les personnes concernées, différents des
savoirs des chercheurs, mais non inférieurs bien qu'acquis par des voies
et des « méthodes » toutes autres. Il faut donc croiser ces savoirs. Pour ce
faire, il faut du temps et de l'ouverture d'esprit scientifique. Ce n'est pas
seulement une expérience et des revendications qu'apportent les usagers
(du handicap, de la misère, du genre), c'est une connaissance de même
force que la connaissance plus discursive et utilisant des protocoles
expérimentaux du chercheur. Il faut qu'elle s'exprime en tant que telle. Nous
n'avons pas ici la possibilité de décrire avec précision les conditions pour
que ce savoir vienne au jour et se révèle différent mais aussi important que
celui des universitaires et chercheurs patentés.
On pourrait avancer qu'il s'agit là de la même méthode que celle de
l'anthropologue, mais consciemment menée par les sujets concernés. En
effet l'anthropologue, en se plaçant dans la perspective de « l'ethnie »
66 GARY L. ALBRECHT ETAL.

qu'il étudie, recueille une véritable connaissance implicite. Il élabore


ensuite cette connaissance et, souvent, la traduit dans les cadres de sa
propre culture, et la relativise également.
Pour nous, il s'agit d'un chemin plus simple puisque les acteurs sont
consciemment et directement actifs pour produire de la connaissance
croisée. Au fond, sur le plan méthodologique, une telle démarche évoque à un
niveau collectif ce que l'anthropologue américain Murphy, devenu
tétraplégique, a fait seul dans « son voyage à travers la paralysie » (Murphy,
1987). Il s'agissait bien pour lui de croiser son savoir de chercheur et son
savoir expérientiel. Ce que l'on pourrait appeler l' auto-anthropologie de
Murphy, à la manière dont Freud a tenté son auto-analyse, nous indique
une voie : il est possible de théoriser, de conceptualiser, de généraliser, à
partir de et avec l'expérience de la déficience (expérience personnelle et
expériences collectives, tant sur le plan du rapport individuel à celle-ci
que sur le plan des obstacles sociaux de tous ordres). Ainsi les disabilities
studies, d'une part, sortiraient de ce qu'elles peuvent avoir d'ésotérique et,
d'autre part, montreraient aux autres démarches scientifiques ce qu'elles
ont à gagner en s 'engageant dans le laboratoire vivant que constituent les
usagers, ou plus simplement les personnes concernées, sur quelque plan
que ce soit. Nous avons la possibilité d'élaborer des savoirs dont les
sources ne seront plus seulement les méthodes réfléchies par une forme de
scientifîcité positive (toujours nécessaire pourtant) mais également les
chemins de la connaissance empruntés par l'existence des acteurs.

L'avenir des disability studies

Les études sur le handicap semblent promises à un avenir florissant.


La vitalité de ce champ est évidente. Les organisations de disability
studies nationales et internationales établies sont en augmentation et de
nouvelles se constituent. La participation aux congrès est importante et
ceux-ci ont un écho médiatique croissant. La qualité des publications dans
le domaine s'améliore constamment et de nouvelles revues sont lancées.
Le nombre de nouveaux livres concernant les disability studies faisant
autorité augmente chaque année et ceux-ci sont publiés par les meilleurs
éditeurs, cependant davantage encore dans les pays anglo-saxons qu'en
France. Les départements universitaires et les programmes commencent à
offrir des formations et des diplômes en disability studies. Par-dessus tout,
l'effervescence des disability studies se reflète par leur activité dans le
monde de l'Internet. Les forums de discussion et les sites Web sont
extrêmement actifs, riches en informations, en discussions et en débats. À n'en
L'EMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 67

pas douter, ce dynamisme se propagera en France et l'asymétrie observée


entre le développement anglo-saxon et la situation française actuelle est
amenée à se réduire.
Ce rapprochement sera fécond dans la mesure où l'on parviendra à
concilier dans une conceptualisation bien articulée les différentes
approches biologiques, corporelles, environnementales, sociales et
subjectives de ce que nous nommons encore handicap (1) en français,
disability (2) en anglais (Albrecht et Devlieger, 1999 ; Rabeharisoa et Callon,
1999 ; Verbrugge et Jette, 1994). Si définir le handicap et concevoir une
théorie d'ensemble du processus a toujours suscité une grande
mobilisation (Bury, 1996), les difficultés et controverses suscitées par le processus
de révision de l'ICIDH, dont le nouvel intitulé n'est pas encore fixé,
démontrent à l'envi que des efforts théoriques sont encore à produire.
Le champ progressera également quand il sera capable de dépasser
les clivages traditionnels entre handicaps physiques et intellectuels ou
encore lorsque des groupes ethniques et des groupes de citoyens des
nations les plus pauvres pourront accéder au domaine. L'étude sur la
Global Burden of Disease, rapporte, par exemple, que 80 % environ des
handicaps surviennent dans les nations non occidentales et non
industrialisées. Cependant, la plupart des recherches sur le handicap sont faites par
des spécialistes occidentaux, qui ne travaillent pas dans des pays
émergents au marché concurrentiel mondial ou dans les pays les plus pauvres.
La relation entre les chercheurs sur le handicap dans les programmes
universitaires de disability studies et les « activistes » du handicap
continuera à engendrer des tensions et des débats, mais avec le temps, les rôles
s'éclairciront. En fin de compte, le succès du champ dépendra des
capacités d'ouverture des universitaires et chercheurs dans le domaine, de la
rigueur et de la qualité du travail accompli, de la crédibilité des résultats
produits et d'une juste implication tant au niveau de la théorie que de la
pratique.

(1) Le terme handicap existe en anglais, mais il est rejeté par les personnes concernées
et n'est plus employé pour cause de connotation péjorative qu'il n'a pas en français.
(2) Le terme disability qui a aussi comme sens « incapacité » est utilisé en anglais
comme terme générique c'est-à-dire à la manière du terme handicap français. On parle
aussi de disablement process pour désigner le processus et de disabled persons en
Angleterre et persons with disabilities aux Etats-Unis pour désigner les personnes
handicapées ou avec un handicap. Dans les deux langues, il est mal accepté d'utiliser
ce qui est un qualificatif comme substantif : the disabled ou les handicapés.
68 GARY L. ALBRECHT ET AL.

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72 GARY L. ALBRECHT ET AL.

ABSTRACT

The émergence of disability studies:


current situation and future directions

Disability studies are an emerging field that has strong, interdisciplinary


and académie roots but is equally shaped by social and political activity.
The field is exciting because of the very interesting international debates
and the controversies, which are not widely disseminated in France. This
paper points to the growing attention given by research to disability in
gênerai and to the vitality of disability studies which aim to understand
disability in a social, cultural and political context. The paper briefly des-
cribes the origins and history of disability studies and examines the
theory, models and methods upon which the field is based in English-
speaking countries. The paper reviews some of the current conceptual
efforts, research activities, académie programs and interdisciplinary
developments shaping disability studies and compares them to the French
situation. The paper then explores the issue of who is qualified to conduct
research in, and to teach, disability studies. Finally, the paper identifies
and discusses the major tensions in disability studies and explores where
the field is going.
L'ÉMERGENCE DES DISABILITY STUDIES 73

RESUMEN

La emergencia de los disability studies : situation y perspectivas

Los disability studies constituyen un campo original de investigaciôn en


plena emergencia que tienen raices teôricas e interdisciplinarias
importantes, pero que también estan moldeado por la actividad social y politica.
Este amplio terreno suscita en la actualidad debates internacionales y
controversias de gran interés que aûn estan poco difundidos en Francia.
Este articulo muestra la creciente atencion que la investigaciôn le esta
atribuyendo a la discapacitaciôn y la vitalidad de los disability studies,
cuyo objetivo es el de analizar la discapacitaciôn en relacion a los factores
sociales, culturales y politicos.
El articulo hace una corta description de los orîgenes y de la historia de
los disability studies y examina la teoria, los modelos y los métodos en
los que se basa este campo en los paises anglo-sajones. Haciendo compa-
raciones con la situation francesa, hace el balance de ciertos esfuerzos
conceptuales actuales de las actividades de investigaciôn, de los progra-
mas universitarios y de los desarrollos interdisciplinarios que le dan
forma a los disability studies. Explora a continuaciôn una cuestiôn que es
objeto de numerosos debates : quién esta habilitado para investigar y
ensenar en este terreno ? Finalmente, el articulo identifica cuales son las
mayores tensiones en el campo de los disability studies, debate sobre eso
y explora la(s) direccion(es) que este puede tomar.

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