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Circulation et production des savoirs.

30/10/2023 16:45

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Circulation et production des Libraries and institutions

savoirs. OpenEdition Freemium


Une discussion épistémologique
Our
MONA GÉRARDIN-LAVERGE AND ANNE-CLAIRE C services
OLLIER
https://doi.org/10.4000/teth.2588

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Français English
Cet article explore la question du savoir et de l’épistémologie. En échangeant sur leurs
perspectives disciplinaires, leurs méthodes et leurs démarches respectives, les autrices
interrogent la production et la circulation du savoir. Elles font dialoguer une approche
sociologique sur la circulation des idées, et notamment des études postcoloniales, avec les
épistémologies féministes du point de vue et l’idée, défendue par Donna Haraway, selon
laquelle tout savoir est « situé ». Elles discutent l’intérêt et les difficultés de cette perspective
pour tenter de construire une réflexion épistémologique à la croisée de la philosophie et des
sciences sociales.

This article explores the issue of knowledge and epistemology. By exchanging on their
respective disciplinary perspectives, methods and approaches, the authors question the
production and circulation of knowledge. They bring a sociological approach to the circulation
of ideas, including postcolonial studies, into dialogue with feminist standpoint epistemologies
and Donna Haraway’s idea that knowledge is always "situated". They discuss the interest and
difficulties of this perspective in attempting to develop an epistemological reflection at the
crossroads of philosophy and social sciences.

Index terms
Mots-clés : épistémologie, circulation des idées, études postcoloniales, savoir situé, théorie
du point de vue
Keywords: epistemology, circulation of ideas, postcolonial studies, situated knowledge,
standpoint theory

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1 Cet article est le fruit d’un dialogue entre une sociologue et une philosophe. Il
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explore la question du savoir et de l’épistémologie. Il interroge la manière dont les
modalités de production et de circulation du savoir influent sur son contenu en
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confrontant deux appréhensions théoriques de cette question et deux pratiques de la
recherche et de la production de savoir.
2 La question du savoir et de la circulation des idées sera envisagée ici à partir du
travail de thèse de sociologie conduit par Anne-Claire Collier. On envisagera donc la
circulation des idées comme le passage d’une ou de plusieurs théories entre différents
espaces, qui peuvent être nationaux (entre les États-Unis et la France par exemple)
ou sociaux (entre l’espace politique et l’espace savant). La notion de circulation des
idées pose ainsi la question des supports de circulation car une théorie ne voyage
jamais seule, abstraitement : elle est traduite par des actrices et des acteurs sociaux
qui s’inscrivent d’une manière particulière dans l’espace de la production des savoirs.
3 Parallèlement, la question du rôle du langage dans la construction et la
déconstruction du genre sera décrite à partir du travail de thèse de philosophie
féministe de Mona Gérardin-Laverge. Pour penser les enjeux sociaux et politiques du
langage, on s’appuiera donc sur les épistémologies féministes du point de vue et sur
la notion de « savoir situé », reprise à Donna Haraway. Dans ce cadre, le savoir, ainsi
que ses modalités de production, sont envisagés à partir d’une réflexion
épistémologique et autour des questions suivantes : quels contenus de savoir sont
produits, à partir de quels points de vue et de quels projets politiques et sociaux ?
Dans quelle mesure la production de savoir est-elle toujours en même temps une
production de subjectivités ? Quels processus d’invisibilisation et de délégitimation
d’autres savoirs accompagnent cette production ?
4 Cet article pose ainsi la question du savoir à partir de deux concepts
complémentaires (circulation et production des idées) et réfléchit à la manière dont
ceux-ci s’articulent. On y discutera le rôle que jouent les conditions de circulation et
de production du savoir sur le savoir lui-même en partant de positions
méthodologiques spécifiques, Anne-Claire Collier proposant un retour réflexif et
épistémologique sur la construction de son objet de recherche, et Mona Gérardin-
Laverge pensant une proximité avec son objet, ainsi que le rôle de son engagement
politique dans sa propre recherche. Cet article fait ainsi dialoguer leurs deux points
de vue : il commence par une présentation des concepts que chacune mobilise dans
sa recherche en sociologie et en philosophie pour penser la production et la
circulation des savoirs, et se poursuit par une réflexion méthodologique sur la
manière dont ces concepts informent la démarche et la méthode de chacune des
autrices, ainsi que, au-delà d’une séparation philosophie/sociologie, leur conception
des liens entre science et politique.

1. La circulation des savoirs

La circulation comme objet en sociologie


5 Depuis les années 1990, le prisme circulatoire et notamment celui de la circulation
des idées occupe une place de plus en plus importante dans les programmes de

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recherches et ce dans toutes les disciplines. Cette question se développe d’abord dans
le monde anglo-saxon à la suite d’un article de James Clifford « Notes on Travel and
Theory » dans lequel il cherche à comprendre comment les savoirs circulent1. Cette
thématique est reprise et prolongée notamment par Edward Said2. Avec le
développement des études postcoloniales et l’usage de concepts tels que métissage ou
hybridité, « le paradigme de la mobilité3 » devient de plus en plus important.
6 Du côté de la sociologie française la circulation des idées prend véritablement son
essor à la suite du discours programmatique prononcé par Pierre Bourdieu et publié
ensuite sous le titre Les conditions sociales de la circulation internationale des
idées4. Aujourd’hui, de nombreuses études se revendiquent de cette approche que ce
soit en histoire – et plus particulièrement dans le courant de la global history5 –, en
sciences politiques avec la circulation des savoirs experts6 et des théories politiques7,
ainsi qu’en sciences de la communication. En sociologie, la notion de circulation des
savoirs est principalement reprise dans la continuité des travaux de Pierre Bourdieu
et notamment en interrogeant l’espace académique et la production culturelle. Cette
première approche de la notion de circulation peut être approfondie grâce à la
réception des travaux de la Begriffsgeschichte et de l’école de Cambridge, ainsi que le
développement de l’histoire sociale des idées politiques telle qu’elle est pratiquée en
France8. Ce courant insiste sur l’importance de concilier une lecture interne et une
lecture externe dans l’étude des idées9.
7 En prenant appui sur ces nouveaux champs de recherche, il devient alors possible
de comprendre quelles sont les conditions de possibilité d’un nouveau débat
intellectuel mais aussi de réfléchir à la question des passeur·e·s ou traducteurs/trices
qui s’emparent de théories pour les faire connaître dans un nouvel espace national10.
Si l’on s’intéresse, par exemple, à l’évolution sémantique et graphique du terme
postcolonial – sans en donner de définition préalable – il devient possible de mettre
en évidence le déploiement d’une controverse intellectuelle. Il s’agit alors de proposer
une sociologie de la circulation des idées à partir d’une sociologie historique de
l’espace intellectuel allant des années 1960 à 2010, et qui s’appuierait sur histoire du
temps présent ainsi qu’une sociologie des intellectuel·le·s et de la circulation des
idées.

La mise en circulation des concepts comme


méthode de recherche
8 Mais la question de la circulation des idées peut aussi émerger sous un autre angle,
si on l’aborde à partir d’une réflexion sur les rapports entre le langage ordinaire11 et la
production du patriarcat, des genres, des sexes, des sexualités, des identités et des
rapports sociaux. En effet, le langage n’est pas un simple reflet ou une simple
représentation du réel : il participe à le construire12, du fait de l’existence de mots et
de catégories comme « homme » ou « femme », qui paraissent décrire une réalité
pré-sociale ou naturelle alors qu’ils contribuent en fait à sa production. Le genre et
les sexualités sont le fruit de rapports de pouvoir et de processus historiques13, que ce
soit du fait des discours et des interactions ordinaires dans lesquels des normes
peuvent être véhiculées et imposées aux personnes sans que cela soit perceptible14,
des adresses, des interpellations et des injures dont on peut faire l’objet, ou des récits
qu’on a pour se dire et se penser. Une des questions qui peut émerger d’un tel constat
est la suivante : quels peuvent être et quels sont les usages féministes du langage, les
stratégies de contestation ou de subversion des catégories et des discours

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hétérosexistes15 ?
9 Pour répondre à ces questions, on peut avoir recours à des concepts qui sont issus
des espaces militants – comme le concept d’« empowerment » – qu’on ne traduira
pas ici, pour garder la trace de leur origine et de leur trajectoire, et quelque chose de
leur sens, de leur portée initiale. Dès lors, il devient nécessaire de s’intéresser aux
questions de traduction, de circulation, d’appropriation ou de reformulation des
concepts dans différents espaces, et de s’interroger sur la traduction de certains
termes (par exemple celui d’« agency16 ») ainsi que sur l’existence d’« intraduisibles »
du genre (« care », « queer », etc.). Dans ce cadre, on peut avoir recours aux critiques
décoloniales adressées à l’hégémonie de certaines approches, révélée ou renforcée par
la circulation de certains termes dans différents contextes ou encore s’intéresser à la
réappropriation politique et émancipatrice de certains mots dans de nouveaux
contextes, pour en comprendre les motifs et les enjeux. Par exemple, comment la
reprise du terme « queer » dans les mouvements féministes français contemporains
permet-elle de construire de nouveaux discours et de nouveaux espaces, tout en
rencontrant et renouvelant des problématiques déjà présentes ? De même, que
signifie et que permet la réappropriation sans traduction du terme « safe » dans des
collectifs militants, pour caractériser leur volonté de créer des espaces qui ne
reproduisent pas à l’identique les rapports de domination et les normes
hégémoniques ?

Comprendre que les savoirs sont situés, et


comment ils circulent
10 De tels questionnements s’enracinent dans un cadre épistémologique précis : les
critiques féministes de la production de savoir et de l’idée que tout savoir est
« situé », c’est-à-dire produit par certaines personnes déterminées dans un certain
contexte socio-politique, historique et géographique.
11 L’expression « savoir situé », mobilisée par Donna Haraway, s’inscrit dans ce qu’on
a appelé les « épistémologies féministes du point de vue », qu’elle travaille dans une
direction non-essentialiste17. Ces épistémologies opèrent une critique, une mise en
doute politique de la science et des productions théoriques dominantes, qui porte à la
fois sur les méthodes adoptées, les objets étudiés, les lieux où se développent la
science, et les critères de validité scientifique. Elles s’enracinent, dans le cas
notamment de Sandra Harding, dans un certain matérialisme marxiste, dont elles
reprennent à la fois la critique de l’idéologie (comme production théorique qui
prétend être neutre et objective alors qu’elle légitime l’ordre socio-politique existant)
et le fondement théorique (les idées, la pensée, la connaissance s’enracinent dans des
conditions matérielles de vie, qui constituent à la fois des sujets différents et des
points de vue différents sur le monde social18). Donna Haraway s’inscrit dans ces
épistémologies féministes tout en refusant ce qu’elles peuvent parfois avoir
d’essentialisant (en supposant une essence derrière la catégorie « femme », par
exemple, ou en refusant de questionner l’unité ou la pertinence de cette catégorie).
Haraway défend l’idée d’un savoir « situé » : le savoir est produit par des sujets qui
sont construits par leurs conditions de vie, par leur rapport aux normes sociales, par
l’époque historique dans laquelle illes19 vivent, etc. Cela remet en cause l’idée qu’un
savoir neutre, objectif et universel est possible. Cette représentation du savoir, pour
Haraway, est mensongère : elle sert à la fois à dissimuler le fait que le champ du
savoir est traversé de rapports de pouvoir, et à légitimer les productions théoriques

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dominantes. Ces critères de scientificité dissimulent que les théoricien·ne·s ne sont


pas en dehors du monde, mais qu’illes pensent et produisent des théories à partir de
leur point de vue particulier qu’illes prétendent universel.
12 Ainsi, s’interroger sur la façon dont les idées circulent exige qu’on se demande qui
produit les idées, qui les fait circuler, dans quels contextes, pourquoi et avec quels
effets. En retour, dire que le savoir est situé implique de s’interroger sur la manière
dont les idées peuvent circuler : si tout savoir est situé, alors il n’y a plus une seule
source de savoir universelle, mais une multitude de pôles et de personnes produisant
du savoir, et il faut comprendre comment ces savoirs peuvent circuler, être traduits,
être compris, et comment on peut échanger, discuter, s’écouter et se comprendre. En
travaillant par exemple sur les supports matériels (personnes, revues, etc.) de la
circulation des idées. Mais aussi en prenant acte de la nécessité épistémologique et
politique de faire circuler les idées et les savoirs, et notamment de donner davantage
de visibilité aux savoirs minorisés sans qu’ils fassent l’objet d’une réappropriation
dépolitisante par les milieux académiques.

2. Production des savoirs et champ


académique

S’engager dans une production de savoirs situés


13 Les critiques féministes présentées plus haut n’ont pas pour but de nous faire
renoncer à la production de savoirs : pour Haraway, il faut s’engager dans une
production de savoir émancipatrice, qui nous donne une prise critique sur la réalité,
en explicitant la situation, le projet et l’intérêt à partir desquels le savoir est produit,
au lieu de les dissimuler. L’objectivité est redéfinie comme une perspective partielle
et encorporée, parce que reconnaitre qu’on pense et connait depuis quelque part peut
nous aider à comprendre ce sur quoi l’on peut se faire confiance et ce sur quoi l’on
doit reconnaitre les limites de ce que l’on pense et connait. Cela ne signifie pas que
notre point de vue est tout simplement « donné » par notre position dans les rapports
sociaux par exemple : il faut apprendre à voir depuis sa situation, il faut développer
son point de vue, apprendre à parler depuis sa position. « Nous ne sommes pas
immédiatement présents à nous-mêmes », écrit Haraway : et ceci est d’autant plus
vrai pour les points de vue assujettis qui sont invisibilisés ou délégitimés par les
productions de savoir dominantes.
14 C’est sur ce point, notamment, qu’on peut considérer le « savoir situé » comme un
outil à la fois nécessaire et difficile : nécessaire parce qu’il permet de questionner les
productions de savoir d’un point de vue politique, et qu’il peut être source
d’empowerment pour les personnes dont on nie habituellement la capacité à
produire du savoir. Et difficile parce que, si l’on considère que nous nous
construisons dans des rapports de pouvoir et que rien n’existe comme un sujet clos,
défini et définitif, mais que nous sommes traversé·e·s par une multitude de
processus, alors il est difficile de figer quelque chose comme un point de vue, une
situation depuis laquelle on produirait du savoir. On peut formuler cette difficulté de
deux manières : d’abord, comment articuler ce que Maria Puig de la Bellacasa a
appelé notre « condition » et notre « position20 » ? C’est-à-dire, comment résoudre
concrètement la tension entre l’idée qu’un certain type de savoir est donné par une

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condition sociale (en tant que, par exemple, personne assignée femme à la naissance,
on peut avoir une connaissance « par corps21 » de l’hétérosexisme) et l’idée que ce
même savoir est à élaborer et à construire en adoptant une certaine position (par la
« prise de conscience » de la domination, par la création de solidarités et d’identités
de lutte) ? Il parait important à la fois de reconnaitre ces deux aspects, et de ne pas
les opposer comme, deux étapes distinctes de vie. L’autre difficulté est qu’il existe à la
fois un enjeu à ramener le savoir aux sujets qui le produisent, et en même temps un
enjeu à critiquer l’existence d’un « sujet » qui serait un individu isolé, auteur
conscient et volontaire de ses actes, de ses discours et de son savoir. Tout cela pose la
question de la manière dont on peut écrire pour visibiliser et mettre en œuvre, dans
l’écriture elle-même, cette multiplicité et ces devenirs dans lesquels nous sommes
pris. Comme l’écrit bell hooks : « J’ai travaillé à changer la façon dont je parle et
écris, pour incorporer à ma manière de dire un sens de la place/du lieu, de ce que je
suis non pas seulement au présent mais de l’endroit d’où je viens, les multiples voix
qui sont à l’intérieur de moi22. »
15 Ainsi, la notion de savoir situé implique de mettre en avant la circulation des
idées : sur le plan de la critique des savoirs dominants, cette notion conteste le
monopole du savoir, revendique la pluralité, l’hétérogénéité de savoirs locaux ou
minoritaires ; et sur le plan de la production de savoirs « émancipateurs », elle
implique de penser la production de savoir sans recourir à des sujets autonomes et
isolés, mais à plusieurs processus dans lesquels nous sommes pris·e·s
simultanément : la construction de notre perspective sur le monde, la création de
solidarités et d’échanges qui nous renforce, et l’ouverture radicale à d’autres
perspectives, qu’elles soient en « nous » ou hors de « nous ».

Analyser comment les savoirs circulent


16 De manière parallèle, il semble important de mobiliser le concept de savoir situé
lorsqu’on étudie la circulation des idées en sociologie : d’abord parce que cette notion
peut recouvrir des processus très différents, qui n’ont pas tous le même sens ni le
même rôle, mais qui dépendent du contexte et de la situation géographique, sociale et
politique des acteurs et actrices. Par exemple, la notion de « circulation
internationale des idées » peut renvoyer à la traduction de textes et de concepts
critiques, à la reprise d’outils et d’idées politiques dans de nouveaux contextes. Elle
peut cependant renvoyer aussi à une forme d’imposition dans un nouveau contexte,
par la violence ou l’idéologie, d’idées et de théories dominantes, par exemple de
théories scientifiques cherchant à justifier le colonialisme. La notion de « circulation
des idées » implique donc de faire une critique sociale et politique du champ
académique, pour comprendre qui fait circuler quoi et à quelles fins, et pour prendre
la mesure des conditions matérielles et politiques qui déterminent la circulation du
savoir.
17 Il existe ainsi des liens entre savoir situé et circulation des savoirs, au-delà d’une
recherche en sociologie ou en philosophie. À la suite des études féministes, on
pourrait très bien questionner la production de la théorie postcoloniale avec les
questions posées par les savoirs situés, pour appréhender les spécificités de cette
production de savoir. Ces processus de production, que ce soit par l’identité et la
position des acteurs et des actrices dans l’espace académique, le contexte social,
historique ou politique de développement de ces théories permet d’avoir une vue plus
précise ensuite de leurs circulations. En effet, connaître les théories initiales permet
de mieux comprendre ce qui circule, ce qui ne circule pas et comment a lieu la

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circulation. Il est aussi possible de se demander si la circulation est le fait des acteurs
et actrices ayant une « homologie de position » avec les producteurs de la théorie.
18 Il est aussi intéressant de questionner l’idée d’une « imposition » des idées et des
savoirs : cette idée sous-entend une passivité des récepteurs des textes. Le renouveau
des études sur les catégories dominées, que ce soit avec les cultural studies ou les
subaltern studies par exemple, montre bien que les acteurs et actrices dominé·e·s23
conservent aussi une certaine marge de manœuvre et une distance face aux rôles qui
leur sont imposés par les catégories et les théories dominantes. Il semble donc qu’il
faut tenter de sortir de cette vision qui sous-entend une réception pouvant être
qualifiée de « passive », alors qu’au contraire toute réception est aussi active dans le
sens où elle entraîne une réadaptation. Après, il est évident du point de vue
sociologique que toutes les catégories de population n’ont pas le même pouvoir (ni les
mêmes ressources) d’imposition d’une idée et que les dominant·e·s souhaitent
imposer une « vision et division » du monde social. Les études sur les circulations des
idées permettent justement de mesurer cela. On peut utiliser le terme de traduction
pour parler de ce phénomène. Comme le souligne Pierre Bourdieu, « Le fait que les
textes circulent sans leur contexte, qu’ils n’emportent pas avec eux le champ de
production […] dont ils sont le produit et que les récepteurs, étant eux-mêmes insérés
dans un champ de production différent, les réinterprètent en fonction de la structure
du champ de réception, est générateur de formidables malentendus24 ». La question
qui se pose alors est celle de la traversée des frontières et de l’état de l’espace de
traduction. Celle-ci fait écho au sens étymologique du terme de traduction. En effet,
ce dernier prend deux sens, le premier qui correspond à la traduction d’une langue à
l’autre ; le second qui correspond au déplacement d’un espace à un autre25. Poser la
question de la traduction va alors de pair avec la volonté de faire une histoire des
usages d’un mot ou d’une formule26. Les mots et les concepts ont une histoire, et
peuvent connaitre des évolutions sémantiques27. Ainsi, étudier les transformations
sémantiques du terme « postcolonial » depuis les années 1960 permet de dégager les
grandes tendances d’usage à la fois de manière synchronique et diachronique et
confirme l’expansion du terme postcolonial après le milieu des années 2000, l’année
2005 étant une année charnière dans cette évolution. L’étude de l’usage d’un terme
permet de mettre en évidence non seulement la proximité du terme avec d’autres
mais aussi de déterminer les espaces d’usage de ce terme (dans quel type de
publication, par quels auteurs et autrices). Comprendre les usages des termes et leurs
évolutions sémantiques permet alors de mieux appréhender les conditions de
circulation de ces théories et également les usages sociaux différenciés qui en sont
faits. Ainsi comme Wiebke Keim le souligne, la traduction dans les sciences sociales
doit « affronter trois registres de distance » : « l’étrangeté », l’« odeur du temps » et
la distance « interculturelle »28.
19 Toutefois, s’intéresser aux lieux de l’usage nécessite de s’intéresser à l’état du
champ académique, qui est l’espace de réception privilégié de ces théories critiques.
Dans un rapport critique au champ académique, les prises de position, l’organisation
de cet espace ne sont pas le fruit d’une forme de méritocratie qui verrait les
« meilleur·e·s » agent·e·s dominer le champ, que ce soit de manière symbolique,
économique ou culturelle29. Ces positionnements sont le résultat de trajectoires
antérieures (et notamment de dotations en capitaux auxquelles sont associées des
luttes stratégiques pour la reconnaissance). La production scientifique n’est jamais
exempte d’une inscription sociale, et en cela l’idée d’un savoir situé telle que la
développe Maria Puig de La Bellacasa30 en poursuivant l’analyse de Donna Haraway
est intéressante si l’on donne à l’analyse une dimension sociologique forte. L’étude de
la circulation des idées souligne l’importance des passeurs ou des traducteurs d’un

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espace social à un autre.


20 L’introduction d’une nouvelle théorie peut donc se révéler être un moment
privilégié pour déstabiliser le champ académique et tenter de renverser les postures
dominantes en redéfinissant les paradigmes légitimes. Ainsi, l’étude des
intellectuel·le·s nécessite une étude de trajectoires particulières inscrite dans l’espace
global de la production des savoirs. Dans ce sens, le terme « les intellectuel·le·s » ne
se limite pas aux membres de l’espace académique mais recouvre l’ensemble des
personnes travaillant dans l’espace de production culturelle et qui sont porteuses de
ces théories, que ce soit des éditeurs et éditrices, des militant·e·s, des artistes. Ainsi,
une analyse de la traduction pose aussi la question de la frontière des savoirs et oblige
à relier différentes approches ici, sociologie des intellectuel·le·s et sociologie de
l’édition, sociologie du militantisme, de la production artistique. Ces éléments sont
les révélateurs d’une prise de position dans l’espace de la production intellectuelle.

Faire une sociologie de la circulation des idées


21 La question qui se pose est donc celle des objets, des espaces au sein desquels les
circulations peuvent être observées. Dans le cadre par exemple d’une étude sur la
circulation et la traduction des idées postcoloniales en France, comme dans celui
d’une sociologie historique des intellectuel·le·s et de l’étude de la circulation des
idées, il semble effectivement important de comprendre les conditions de possibilité
d’un débat dans le nouvel espace de traduction de ces théories. La notion de
conditions de possibilité d’un débat est toutefois relativement complexe à
appréhender, car elle ne doit pas évoquer un simple contexte rigide mais interagit
avec la circulation de la nouvelle théorie. Cela oblige donc à s’intéresser aussi bien au
contexte social, politique, économique qu’intellectuel, voire médiatique dans certains
cas. Avoir dressé ces conditions de possibilité permet de comprendre le « moment31 »
de la circulation internationale des idées et donc de s’intéresser aux espaces
spécifiques de cette traduction. La démarche revient à constituer un corpus de textes
(recensions, articles), à étudier les couvertures de livre, les traducteurs/trices, les
identités des personnes (éditeurs/trices, directeurs/trices de collections,
préfacier·e·s) et également à étudier les espaces de réception (programmes de
colloques, journées d’étude, publications). Elle conduit à travailler également sur
archives et à mener divers entretiens semi-directifs (avec des éditeurs/trices, des
chercheur·e·s, des militant·e·s, des traducteurs/trices). Un exemple d’enquête
pourrait concerner les numéros thématiques publiés par sept revues dites
« intellectuelles » sur le postcolonial au tournant de l’année 2005. Les revues dites
« intellectuelles32 » sont un espace de circulation fort intéressant puisqu’elles
permettent une circulation rapide et à moindre coût par rapport à une traduction
d’ouvrage. Elles représentent les premiers symptômes ou indices d’une circulation
des idées. En comparant ces numéros, la grande polysémie du terme postcolonial
ainsi que la complexité de son ancrage théorique (avec une grande malléabilité des
références théoriques) est mise en exergue, ainsi que la multiplicité des trajectoires
des coordinateurs et des auteurs33. L’autre aspect intéressant dans l’étude des
circulations est la notion de rejet et d’échec de traduction, à comprendre à la fois
comme les obstacles à la traduction (frontières linguistiques, coût élevé) et les
obstacles à la réception (rejet par les acteurs du champ de réception). Il est alors
possible d’étudier la (ou les) critique(s) que reçoivent ces théories : sur quoi elles se
cristallisent, qui sont les acteurs/trices de la critique34. Là encore la question des
positions dans l’espace académique est importante pour comprendre les prises de

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position. La production d’un savoir peut se faire soit de manière positive, en


l’intégrant à son propre questionnement et en devenant un·e passeur·e, soit de
manière négative, en rejetant les divers positionnements. Il faut donc garder en
mémoire dans le cadre de ces recherches qu’une lecture critique participe également
à la circulation d’une théorie et influence son espace de réception.

3. Réflexivité et engagement dans la


recherche
22 Nous avons vu qu’un discours ou un savoir doit être analysé en le « situant », c’est-
à-dire en le reliant à la position (par exemple sociale) des personnes qui le
produisent, que ce soit en sociologie ou en philosophie. Cette démarche peut
conduire à intégrer une réflexion quant au propre positionnement du/de la
sociologue ou du/de la philosophe, en cherchant parfois à le/la situer à la fois dans le
champ académique et dans ses rapports au politique.
23 Pour ce qui concerne la sociologie, cette question porte à la fois sur les finalités de
la discipline et sur l’engagement des chercheur·e·s. En produisant un savoir, le/la
sociologue propose de dégager les imbrications qui peuvent exister entre productions
des savoirs et positionnements politiques, et ainsi parfois révéler des logiques sous-
jacentes à l’espace académique. Le recours à la « socioanalyse » peut être un outil à
disposition du/de la chercheur·e pour rendre visible sa propre trajectoire et l’effet de
sa position dans la production de ce savoir. Cela permet alors de chercher à
comprendre les biais méthodologiques qui ont pu intervenir dans l’enquête
notamment au travers des relations d’enquête (quelles formes de violences
symboliques se déploient, comment y faire face, comment contourner les biais ?) ou
de l’interrogation sur la production des sources employées (par qui sont produites les
archives ? Dans quels buts ? Quelles informations laissent-elles de côté ?). Bien que
toute forme de prise de parole puisse avoir en soi une portée politique, l’effet en est
minimisé, ce qui questionne donc le rapport au politique qui reste parfois irrésolu. Si
on s’intéresse en particulier à la circulation des théories postcoloniales, il s’agit
essentiellement de considérer que toutes les formes de circulation (positive, négative,
analytique) participent à la diffusion d’un concept et d’une théorie : cela peut
permettre d’avoir une compréhension de la constitution d’un espace postcolonial en
France, au-delà des simples désaccords théoriques, et ainsi que de sociologiser la
réception.
24 Parallèlement, comme le montre l’étude des rapports entre langage et production
des genres, la notion de savoir situé peut aussi questionner l’opposition classique
entre science et militantisme. Patricia Hill Collins a synthétisé cette opposition de la
manière suivante : on attend généralement du chercheur ou de la chercheuse qu’ille
ait de la distance vis-à-vis de son objet d’étude, qu’ille élimine les affects du processus
de recherche et qu’ille considère que l’éthique et les valeurs n’ont pas de place dans le
processus de recherche, pour justifier l’enquête ou pour ordonner son déroulement35.
Ce point de vue tend à délégitimer les recherches engagées en leur reprochant de
n’être ni neutres ni objectives, donc, en fait, de ne pas être de « bonnes recherches ».
La notion de savoir situé revendique le contraire en montrant qu’un point de vue
politique, critique et engagé peut aider à faire de la recherche. L’idée n’est plus
d’opposer science et militantisme, mais de considérer qu’on peut construire une
science consciente de ses implications sociales et politiques, et qui ne renonce pas à

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sa scientificité en choisissant d’adopter une perspective critique sur le monde social.


Une démarche comme celle présentée dans ces lignes36 peut être décrite comme un
travail de « philosophie féministe », consistant à élaborer des outils d’analyse
critiques sur le monde social pour comprendre, notamment, comment notre pratique
ordinaire du langage contribue à construire les normes de genre. Dans cette
perspective, le travail philosophique « critique » consiste à analyser la construction
de l’ordre social pour en souligner la contingence (contre l’idée que la domination de
genre existerait de tout temps, par nature ou par nécessité), donc pour mettre en
évidence notre pouvoir de le transformer. La critique met au jour les mécanismes de
construction et de maintien du système patriarcal, elle étudie à la fois sa force (ses
outils de coercition, sa violence) et ses faiblesses, pour montrer tout ce que nous
pouvons réellement changer. Ainsi, on peut s’intéresser aux usages féministes du
langage pour subvertir, déstabiliser, contester le binarisme de genre, notamment en
travaillant sur les groupes de parole, la queerisation du langage et la création de
slogans pour analyser le pouvoir transformateur de la prise de parole, et le rôle du
langage dans la construction d’un féminisme polyphonique. L’enjeu est d’élaborer un
savoir situé qui parte de l’expérience, qui s’engage contre l’hétéro-patriarcat, qui ne
reproduise pas le mythe d’un savoir neutre et universel et qui soit d’emblée, dans sa
production, ouvert à la critique et au dialogue avec d’autres points de vue, d’autres
situations et d’autres savoirs. Cette perspective soulève la question du cadre dans
lequel s’inscrivent les recherches, et interroge notamment l’individualisation des
productions par les concepts d’auteur·e, de propriété intellectuelle, d’originalité : s’il
est indispensable que des universitaires mènent des recherches féministes et
produisent des outils d’analyse critiques, il faut aussi prendre garde à la
réappropriation personnelle, dans le cadre académique, d’un savoir collectif,
politique et communautaire. Le premier risque est de dépolitiser un savoir militant et
critique37. Le second risque est de décontextualiser et de dé-situer certaines idées,
donc de renouer avec une position universitaire surplombante et universalisante, qui
a le pouvoir de légitimer certains savoirs et d’en nier d’autres38.

Conclusion
25 Cet article, fruit d’un dialogue entre une sociologue et une philosophe sur leurs
objets et leurs pratiques de recherche, propose une approche pluridisciplinaire de la
production et de la circulation des savoirs. Nous avons tenté de montrer qu’il était
possible d’analyser ces phénomènes au-delà de la simple différenciation entre
sociologie et philosophie. En prenant l’exemples de nos propres recherches sur le
postcolonial et le féminisme, en discutant les théories, méthodes et concepts que
nous mobilisons, nous avons mis en évidence la manière dont ces outils critiques
politisent la question du savoir, et viennent interroger le champ académique, le
partage disciplinaire et le partage entre science et militantisme.

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résistances de la langue française, Paris, iXe, 2014.

Notes
1 http://culturalstudies.ucsc.edu/PUBS/Inscriptions/vol_5/clifford.html
2 SAID Edward, Des intellectuels et du pouvoir, Paris, Seuil, 1996.
3 VAN DAMME Stéphane, « De la vie de laboratoire à la théorie du cyborg », L’homme, n° 187-
188, 2008, p. 393-412.
4 Discours ayant lieu lors de l’inauguration du Frankreichzentrum de l’université de Fribourg
le 30 octobre 1989 publié sous forme d’article : BOURDIEU Pierre, « Les conditions sociales de la
circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 145,
2002, p. 3-8.
5 L’actualité et la légitimité de ce thème de la circulation sont incarnées notamment par sa
mise au concours de l’agrégation d’histoire en 2012 et 2013 sous la forme « Les circulations
internationales en Europe (1690-1780) ».
6 ETTINGER Delphine et STAMPNITZKY Lisa, « Experts, Etats et théorie des champs. Sociologie de
l’expertise en matière de terrorisme », Critique internationale, vol. 59, n° 2, 2003, p. 89-104.
7 RIOUFREYT Thibaut, « Les passeurs de la “Troisième Voie”. Intermédiaire et médiateurs dans
la circulation transnationale des idées », Critique internationale, vol. 59, n° 2, 2013, p. 33-46.
8 Sur ce point, voir la récente publication de l’ouvrage de synthèse : SKORNICKI Arnault et
TOURNADRE Jérôme, La nouvelle histoire des idées politiques, Paris, La découverte, 2015 ;
MATONTI Frédérique, « Plaidoyer pour une histoire sociale des idées politiques », Revue
d’histoire moderne et contemporaine, vol. 59-4bis, n° 5, 2012, p. 85-104 ; HAUCHECORNE
Mathieu et MATONTI Frédérique, « Actualité de l’histoire sociale des idées politiques », Raisons
politiques, vol. 67, n° 3, 2017, p. 5-10.
9 PUDAL Romain, « De l’histoire des idées politiques à l’histoire sociale des idées politiques », in
Les formes de l’activité politique. Eléments d’une analyse sociologique XVIII-XXe siècle, Paris,
PUF, 2011, p. 185-192.

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10 La notion de passeurs est utilisée notamment par Serge Gruzinski et Louise Bénat Tachat
dans leur ouvrage Passeurs culturels mécanismes de métissage. D’autres termes sont
également utilisés comme celui d’homme-double dans la continuité des travaux de Christophe
Charle, d’intermédiaire, de médiateur. GRUZINSKI Serge et BÉNAT TACHAT Louise, Passeurs
culturels mécanismes de métissage, Paris, Marne-la-Vallée, Éditions de la Maison des Sciences
de l’Homme, 2002.
11 Le langage ordinaire, c’est le langage de tous les jours par opposition avec le langage
philosophique, logique, scientifique, etc.
12 C’est la « performativité » du langage (AUSTIN John Langshaw, How to do things with
words, Oxford, Oxford University Press, 1962).
13 Voir par exemple VIENNOT Eliane, Non, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin ! Petite
histoire des résistances de la langue française, Paris, iXe, 2014. Et DELPHY Christine, Classer,
dominer – Qui sont les « autres » ?, Paris, La Fabrique, 2008.
14 On peut penser aux énoncés apparemment descriptifs qui sont en réalité des injonctions
normatives, comme « Les petites filles sont plus sages que les garçons ». On se réfère ainsi à la
dimension à la fois discursive et corporelle de la « performativité du genre » telle qu’elle a été
analysée par Judith Butler (BUTLER Judith, Trouble dans le genre, traduit de l’américain par
Cynthia Kraus, Paris, La Découverte, 2005).
15 Voir par exemple : GÉRARDIN-LAVERGE Mona, « “C’est en slogant qu’on devient féministe” -
Hétérogénéité du genre et performativité insurrectionnelle » in Semen, Revue de sémio-
linguistique des textes et des discours, n° 44, Besançon, Presses Universitaires de Franche-
Comté, 2018, p. 81-109.
16 Le concept d’agency a été mobilisé, en sciences sociales et notamment dans le champ des
cultural studies, pour échapper au dualisme déterminisme/liberté, et travailler plutôt sur les
pratiques de transformation ou de reproduction de l’ordre social par des agent·e·s — qui ne
sont pas des « sujets » au sens philosophique traditionnel du terme. La traduction du terme
n’est pas évidente, comme le soulignent par exemple Charlotte Nordmann et Jérôme Vidal
dans l’avertissement de traduction au début du Pouvoir des mots de Judith Butler : illes font
ainsi le choix de la traduction par « puissance d’agir » » agentivité », « agencéité » sont trop
« scientifiques » pour permettre réappropriation politique des termes. (BUTLER Judith, Le
pouvoir des mots : politique du performatif, traduit de l’américain par Charlotte Nordmann,
Paris, Amsterdam, 2004, p. 14-15)
17 HARAWAY Donna, « Situated Knowledges : The Science Question in Feminism and the
Privilege of Partial Perspective », Feminist Studies, 14(3), 1988, p. 575-599. Trad. in Manifeste
cyborg et autres essais –Sciences, Fictions, Féminisme, anthologie établie par Laurence
Allard, Delphine Gardey et Nathalie Magnan, Paris, Exils Editeurs, 2007.
18 HARDING Sandra (éd.), The Feminist Standpoint Theory Reader –Intellectual and Political
Controverses, New-York, Routledge, 2004.
19 Ayant montré le rôle du langage dans la construction et le maintien du patriarcat et des
normes de genre, on choisit d’utiliser le langage inclusif et des graphies féministes qui
« queerisent » le langage (ille, auteur·e, etc.), mettent en question la prétendue nécessité du
binarisme de genre dans la langue et qui abolissent la règle selon laquelle c’est « le masculin
qui l’emporte » enseignée à l’école et fermement défendue par l’Académie française.
20 PUIG DE LA BELLACASA Maria, « Divergences solidaires » Multitudes, n° 12, 2003, p. 39-47.
21 Expression empruntée à BOURDIEU Pierre, Méditations pascaliennes, Paris, Seuil, 2003,
p. 203-204.
22 hooks bell, « Choosing the margin as a space of radical openness », in HARDING Sandra (éd.),
The Feminist Standpoint Theory Reader –Intellectual and Political Controverses, New-York,
Routledge, 2004, p. 153-159.
23 On comprend ici les termes de dominés et de dominants dans une logique bourdieusienne.
Les dominants du champ étant ceux qui cumulent l’ensemble des capitaux : symbolique,
économique, culturel qui leur permettent d’imposer une » vision et division du monde social ».
Au contraire, les dominés ne possèdent pas les ressources valorisées par le champ et se voient
imposer « une vision ou division du monde » légitime. Cette domination peut être la
domination d’acteurs mais elle peut également être la domination d’objet. Ainsi, par exemple
l’objet « immigration » a longtemps été dominé dans l’espace sociologique français face à un
objet « économique » toujours central.
24 BOURDIEU Pierre, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées »,

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op. cit., p. 4.
25 Pascale Casanova met en évidence les précautions à prendre avec le terme « traduction »
comme « notion-écran qui empêche de repérer et de comprendre les enjeux réels de la
circulation internationale des textes littéraires ». L’idée de traduction va de pair avec celle
« d’échange inégalé ». CASANOVA Pascale, « Consécration et accumulation de capital littéraire.
La traduction comme échange inégal », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 144,
n° 4, 2002, p. 7-20.
26 KRIEG-PLANQUE Alice, La notion de « formule » en analyse du discours. Cadre théorique et
méthodologique, Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté, 2009.
27 DUFOIX Stéphane, La dispersion. Une histoire des usages du mot Diaspora, Paris, Éditions
Amsterdam, 2011.
28 KEIM Wiebke, « La circulation internationale des savoirs en sciences sociales », Revue
d’anthropologie des connaissances, vol. 10, n° 1, 2016, p. 1-41.
29 Pour une analyse sur la construction sociale de la neutralité voir : LEBARON Frédéric, « Les
fondements sociaux de la neutralité économique. Le conseil de la politique monétaire en
France », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 116-117, 1997, p. 69-90.
30 PUIG DE LA BELLACASA Marie, Politiques féministes et construction des savoirs. « Penser nous
devons » !, Paris, L’Harmattan, 2013.
31 POCOCK John, Le moment machiavélien. La pensée politique florentine et la tradition
républicaine atlantique, traduction de Luc Borot, Paris, PUF, (1975) 1997.
32 En reprenant le vocable utilisé par Kil Ho Lee dans sa thèse de doctorat, KIL HO Lee, Les
« revues intellectuelles ». La construction sociale d’un espace intermédiaire. Thèse de
doctorat, Université Paris X Nanterre, 2009.
33 COLLIER Anne-Claire, « Le passage en revue du postcolonial », Revue d'anthropologie des
connaissances, vol. 11, n° 3, 2017, p. 245-262.
34 On peut étudier le « rejet » des études postcoloniales en utilisant comme source les
recensions des ouvrages. Il s’agit alors de comprendre dans quels espaces certains ouvrages
sont bien accueillis, alors que dans d’autres ils vont être critiqués avec virulence. De ce point de
vue, on peut faire l’hypothèse qu’une absence de recension sur un ouvrage est également
porteuse d’enseignement sur l’accueil fait à ces théories. Dans une histoire des sciences, il
semble intéressant de laisser autant de place aux théories qui ont réussi à s’imposer qu'aux
théories qui ont échoué ; comprendre cet échec permet d’illustrer un rapport de pouvoir au
sein de l’espace de production intellectuel.
35 HILL COLLINS Patricia, « The social construction of Black feminist thought », Signs,
vol. 14, n° 4, 1989, p. 745-773. Traduit dans DORLIN Elsa, Black Feminism, Anthologie du
féminisme africain-américain, Paris, L’Harmattan, « Bibliothèque du féminisme », 2007.
36 Plus sp, L’Hauement : cette démarche renvoie à celle élus sp, L’Hauement : cetteLaverge
dans son travail de thl de
37 RICH Adrienne sur la « femme-alibi » dans sa conférence d'ouverture de 1979 intitulée
« Qu’est-ce qu’une femme a besoin de savoir ? » et prononcée au Smith Collège, Northampton,
Massachussets.
38 MOHANTY Chandra Talpade, « Sous le regard de l’occident », in DORLIN Elsa (dir.), Sexe,
Race, Classe, Pour une épistémologie de la domination, Paris, PUF, 2009, p. 171-202.

References
Electronic reference
Mona Gérardin-Laverge and Anne-Claire Collier, “Circulation et production des
savoirs.”, Terrains/Théories [Online], 11 | 2020, Online since 19 June 2020, connection on 30
October 2023. URL: http://journals.openedition.org/teth/2588; DOI:
https://doi.org/10.4000/teth.2588

About the authors

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Circulation et production des savoirs. 30/10/2023 16:45

Mona Gérardin-Laverge
Docteure en philosophie

Post-doctorante à l’Université Paris Lumières

Laboratoire Sophiapol (Université Paris Nanterre)

Anne-Claire Collier
Docteure en sociologie

Laboratoire Sophiapol

Université Paris Nanterre

By this author
Où se trouve le global… [Full text]
Published in Terrains/Théories, 5 | 2016

Abdellali Hajjat, Les frontières de « l’identité nationale ». L’injonction à l’assimilation


en France métropolitaine et coloniale, Editions La Découverte, 2012, 344 p. [Full text]
Published in Terrains/Théories, 3 | 2015

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