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Environnement et interdisciplinarité

Chapter · October 2008

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4 authors, including:

Marc Galochet Valerie Morel


Université de Valenciennes (UPHF) Institut Parnasse and Deux Alice
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Olivier Petit
Université d'Artois
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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

Introduction
Environnement et interdisciplinarité

Marc Galochet 1, Jérôme Longuépée 2, Valérie Morel 1, Olivier Petit 3

Depuis la révolution industrielle, les sociétés occidentales se sont essentiellement


préoccupées d’un développement économique dont les effets moins bénéfiques
n’ont été décriés que durant le dernier quart du XXe siècle. La prise de conscience
depuis les années 1970 de nombreuses modifications environnementales
(changement climatique, réduction de la biodiversité, augmentation des
pollutions...) amorce le débat sur le statut de l’environnement au sein de nos
sociétés. Si les considérations environnementales font désormais partie intégrante
des préoccupations des citoyens, des scientifiques et des gouvernements, en
revanche la question du contenu auquel renvoie le terme d’environnement est
rarement discutée et partagée. Comment aborder l’environnement ? Que recouvre
cette notion et quel(s) sens lui donner ? Pour répondre à ces questions il semble
nécessaire de faire dialoguer les disciplines entre elles pour mieux aborder cette
notion d’environnement située au carrefour des relations nature/société.

1. L’interdisciplinarité, une démarche globale


L’interdisciplinarité correspond non seulement à la mise en relation dialectique
des sciences naturelles et des sciences sociales mais aussi à un mouvement
scientifique stimulant encore en pleine constitution. Cette posture intellectuelle a
été pour de nombreuses personnes – et le reste encore pour beaucoup – une
utopie, pour d’autres une nécessité pour transcender les cadres disciplinaires
classiques, conceptuels et méthodologiques, des démarches antérieures. Mais que
recouvre réellement l’interdisciplinarité et comment se positionne-t-elle par

1. Université d’Artois, géographe, EA 2468 Dynamiques des réseaux et des territoires.


2.Université d’Artois, économiste, EA 4026 Etudes et Recherches Economiques Interdisciplinaires
de l’Artois (EREIA).
3.Université d’Artois, économiste, EA 4026 Etudes et Recherches Economiques Interdisciplinaires
de l’Artois (EREIA), chercheur associé au CLERSE (UMR 8019-CNRS Lille-I).

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

rapport à la pluridisciplinarité et à la transdisciplinarité ? Un bref cadrage


sémantique de ces trois principaux termes s’avère nécessaire.
 La pluridisciplinarité correspond, d’un point de vue pédagogique, à
l’apport de plusieurs disciplines pour un thème ou un objet d’étude
commun. Du point de vue de la recherche, la pluridisciplinarité « […]
apporte un plus à la discipline en question […], mais ce "plus" est au
service exclusif de cette même discipline. Autrement dit, la démarche
pluridisciplinaire déborde les disciplines mais sa finalité reste inscrite
dans le cadre de la recherche disciplinaire » (Nicolescu, 1996, p. 65). Il
s’agit donc, pour un même objet, d’un moyen de juxtaposer des
connaissances issues de plusieurs champs disciplinaires, sans pour autant
établir un dialogue entre ces disciplines, mais en apportant un éclairage
sous plusieurs angles d’approche.
 L’interdisciplinarité désigne une interaction entre deux ou plusieurs
disciplines qui nécessite une approche pédagogique et scientifique
particulière. Il s’agit, selon Basarab Nicolescu (1996), d’un « transfert de
méthode d’une discipline à l’autre ».
 La transdisciplinarité est une approche qui se situe au-delà de plusieurs
disciplines ou de plusieurs spécialités, c’est-à-dire à l’intersection des
disciplines. Ancrée dans la pensée complexe et la systémique (Morin,
2005) après avoir émergé des débats scientifiques amenant à un
renouvellement du dialogue entre les disciplines dans les années 1970 4, la
transdisciplinarité envisage le radical « trans- » en lien avec sa racine
étymologique. Comme le souligne Nicolescu (1996, p. 82-83), « Les mots
trois et trans ont la même racine étymologique : le "trois" signifie "la
transgression du deux, ce qui va au-delà du deux". La transdisciplinarité
est la transgression de la dualité opposant les couples binaires : sujet –
objet, subjectivité – objectivité, matière – conscience, nature – divin,
simplicité – complexité, réductionnisme – holisme, diversité – unité ».

L’interdisciplinarité n’est ni de la pluridisciplinarité, ni de la transdisciplinarité,


mais un entre-deux, une marge non explorée, un territoire à construire et à
identifier. C’est un processus, une démarche professionnelle globale intégrant des
savoirs disciplinaires, des acteurs aux identités disciplinaires différentes modifiant
les positions et les ordres établis dans un système apportant de l’innovation aux
disciplines (Baillat, Renard, 2001). L’interdisciplinarité propose donc, d’une
certaine manière, une démarche systémique avec un fonctionnement en feed-back.
Si la transdisciplinarité peut être envisagée, dans l’idéal, comme une démarche
intellectuelle exigeante, censée répondre au plus près au caractère
multidimensionnel des problématiques environnementales, les difficultés de sa

4. On pense notamment aux travaux du Groupe des dix (Chamak, 1997).

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

mise en œuvre et l’acculturation qu’elle présuppose rendent son application


compliquée par les structures scientifiques en place et l’organisation des
enseignements, dans le secondaire comme dans le supérieur. En outre, l’ancrage
disciplinaire, que suppose l’interdisciplinarité, nécessite que le discours
scientifique s’articule à la fois sur des questionnements propres aux disciplines et
s’ouvre à un dialogue permettant le transfert de concepts et de méthodologies
d’une discipline à une autre. Or ce défi nous paraît suffisamment complexe à
mettre en œuvre pour justifier notre choix d’explorer les enjeux et les problèmes
posés d’un point de vue épistémologique et pragmatique par les pratiques
interdisciplinaires. Si la transdisciplinarité relève encore largement de l’utopie
scientifique, l’interdisciplinarité a acquis, comme nous allons le voir dans cet
ouvrage, une maturité et une reconnaissance institutionnelle, certes fragiles, mais
qui permette à la fois de mesurer l’acquis et d’ouvrir de nouvelles voies à son
application, à plus large échelle, dans les discours comme dans les pratiques, d’un
point de vue scientifique comme pédagogique.

Bien que ces trois notions soient ambiguës, un dénominateur commun apparaît : la
discipline qui donne un cadre structurant des études et des recherches
scientifiques. Ce cadre correspond à un territoire disciplinaire identifié et
approprié, défini par des concepts, des contenus, des démarches, des outils, des
méthodes, des documents… Cependant, les contours disciplinaires ne sont pas
toujours clairement stabilisés et précisément délimités dans la mesure où les
disciplines évoluent et se positionnent en permanence les unes par rapport aux
autres. Ces « marges floues » correspondent à des zones d’exploration possibles,
des terrains de conquête pour construire une démarche interdisciplinaire autour
d’un objet de recherche identifié comme l’environnement.

2. L’environnement, une conjonction de la nature et de la société


Les définitions de l’environnement issues d’un dictionnaire de la langue française
et d’un dictionnaire spécialisé, donnent un sens très nuancé pour cette notion qui
paraît pourtant simple en apparence. Par exemple le Nouveau Petit Robert de
1993 définit l’environnement comme un « ensemble de conditions naturelles
(physiques, chimiques, biologiques) et culturelles (sociologiques) dans lesquelles
les organismes vivants (en particulier l’homme) se développent ».
Le Dictionnaire encyclopédique de l’écologie et des sciences de l’environnement
de François Ramade publié en 1993 précise que l’environnement « désigne tout ce
qui entoure une entité spatiale abiotique ou vivante. Depuis la fin des années
1960, le terme a pris une acception plus spécifique et désigne la composante
écologique du cadre de vie de l’homme. De façon sous-jacente le terme
d’environnement est associé aux problèmes de dégradation de la biosphère toute

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

entière par suite de l’action de la civilisation technologique sur la totalité des


milieux naturels » (Ramade, 1993, p. 232).

Cette dernière définition se cale sur le sens écologique de cadre de vie, employé
notamment par les anglo-saxons dans un sens voisin de milieu géographique ;
milieu qui peut être à la fois naturel et construit par l’homme ou encore tout ce qui
affecte le comportement de l’homme. L’environnement peut être considéré
également comme « le milieu physique perçu par l’homme, les groupes sociaux et
les sociétés humaines » (Dauphiné, 1979, p. 26). Les relations nature-sociétés sont
donc nécessaires et indispensables pour mieux appréhender l’environnement.
Deux éléments apparaissent alors indissociables pour définir l’environnement.
D’une part, la nature qui est composée d’éléments abiotiques (l’air, l’eau, la terre),
mais aussi d’éléments biotiques (la faune, la flore). La nature est le plus souvent
étudiée dans une approche strictement naturaliste par le biais du système
écologique ou écosystème. En effet, les naturalistes et écologues analysent le
milieu naturel, la faune, la flore, le sol (c’est-à-dire le biotope et la biocénose), les
bilans d’eau, les flux, les transferts d’énergie et de matières, les dynamiques, les
bilans énergétiques, les cycles du carbone, de l’ozone, les pyramides écologiques,
les biomasses, les productivités…
D’autre part, la société qui contemple, qui exploite, qui dégrade, qui gère, qui
modifie, qui protège la nature. Le champ disciplinaire correspond aux sciences
humaines et sociales, dans lesquelles les sociologues et économistes étudient
l’environnement comme un « sociosystème » et un « économicosystème » géré
par des individus ou des groupes sociaux en termes de pratiques et d’usages, mais
aussi d’enjeux et de conflits. De plus, l’environnement peut être également
appréhendé comme un « politico-juridicosystème » encadré par des lois, des
décrets, des codes, des coutumes, des ordonnances…
Il est enfin un véritable « psychosystème » perçu, représenté, idéalisé, symbolisé,
imaginé, rêvé… objet de mythes, de légendes… (Arnould, 2001).

3. L’environnement, regards croisés et articulation entre les disciplines

3.1. L’« interdéfinition » de l’environnement à l’origine de l’interdisciplinarité ?


Très tôt, on s’aperçoit que l’environnement a représenté un concept où les
hybridations thématiques ont été manifestes, aussi bien d’un point de vue
scientifique que de celui de l’action publique et politique. On obtient dès lors une
définition publique et scientifique de l’environnement, des champs ou des
catégories de pensée de l’environnement.
Florian Charvolin (2003) nous propose à ce titre une généalogie de la notion
d’environnement en France. Cette dernière serait apparue avant les années 1960
mais cette période marque sa stabilisation, son « installation » pour reprendre
l’auteur. En effet, à la fin des années 1960, l’environnement, en plus d’être un

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

objet d’étude scientifique, tend à devenir institutionnalisé, c’est-à-dire faisant


l’objet de politiques publiques. En effet, « La fin des années soixante est
l’occasion de la mise au point conjointe d’un programme public et de la
standardisation d’un sens commun de la notion d’environnement » (Charvolin,
1996-1997).
La délimitation de l’environnement tient lieu d’abord, dès 1971, de description de
thématiques variées, telles que les pollutions de l’air, de l’eau, la gestion des
déchets, les sites naturels, le risque nucléaire ou la contamination des aliments. A
cette époque, nature et environnement partagent un cadre relativement commun,
même si assez vite l’environnement va acquérir une connotation urbaine, citadine
(Charvolin, 2003). Cependant s’étonne l’auteur, assez rapidement, on assistera à
une convergence des thématiques reprises par le biais de cette notion : « Comment
ne pas noter alors que la "table des matières" de l’environnement est fortement
stabilisée dès 1971, et qu’il existe une sorte de parcours obligé, passant par les
thématiques que nous venons de mentionner ? Cette composition relativement
stable et commune de l’environnement dès 1971 est d’autant plus étonnante que
les auteurs […] en viennent à traiter de la même chose en partant de combinaisons
très différentes » (Charvolin, 2001, p. 28).
Il souligne par ailleurs à juste titre en 2003, que certains auteurs à l’instar de
Pierre George (1971), ont d’emblée remarqué la difficulté à délimiter
disciplinairement la notion d’environnement qui très tôt est apparue comme
transversale. De la même manière, l’auteur remarque que la revue de la DATAR,
2000, s’abstiendra elle aussi de délimiter le champ de l’environnement, même si
l’on peut remarquer dans un même temps que la délimitation disciplinaire a
également trait à l’actualité même des disciplines. On observe en quelques sortes
une sélection sociale des disciplines ayant trait à l’environnement : certaines
définitions de l’environnement sont alors délaissées car absentes de l’actualité
publique (Charvolin, 2003).
Ainsi peut-on légitimement se poser la question de savoir si la multiplicité des
approches, aussi bien disciplinaires qu’institutionnelles, ne nuit-elle pas à la
cohérence interne de la construction de la notion ? Cette question semble encore
l’objet d’un débat.
La construction de l’objet environnement doit ainsi non seulement à la production
scientifique mais également administrative, c’est-à-dire à nombre de rapports
d’experts, y compris universitaires, pour le compte de l’administration. Bien
entendu, ces experts vont largement contribuer à la délimitation de l’emprise
disciplinaire des notions. Aussi, « la naissance d’un objet synthétique comme les
pollutions et nuisances se fait par la mise en relation de savoirs disciplinaires
hétérogènes, des résultats d’expériences disparates et dispersées spatialement et de
dispositifs juridiques hétérogènes » (Charvolin, 2003, p. 33). La façon dont l’objet
naît a également à voir avec l’existence de réseaux relationnels qu’entretiennent
les hauts fonctionnaires et les scientifiques chargés de la définition et de l’état des
lieux des problèmes d’environnement en France (Charvolin, 2003). Cet objet naît
également (et l’écologie humaine avec) par le biais de la véritable demande
sociale qui s’adresse en termes de problèmes environnementaux, ou plus

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

précisément en termes de problèmes reliant les sociétés humaines à leur


environnement.
Cependant, cette façon de concevoir une genèse pluridisciplinaire inhérente à
l’objet environnement, n’est pas partagée par tous ou du moins certains soulignent
les débats que cette irruption de l’homme a fait naître. Christian Levêque (2003,
p. 32) par exemple, souligne à ce propos que la science écologique s’est construite
en tentant d’effectuer une délimitation entre la nature et la société : une écologie
fondée sur l’exclusion de l’homme. Ceci explique, selon l’auteur, que certains
écologistes aient préférentiellement travaillé sur des milieux non anthropisés,
aussi au nom d’un certain principe de commodité. Ce n’est en définitive que
depuis quelques décennies que cette tendance s’est inversée même si l’on doit à
Arthur G. Tansley dès 1935 l’intégration de l’homme par le biais du concept
d’écosystème.

3.2. Quelle interdisciplinarité ?


En somme, il y aurait deux éléments à explorer dans ce questionnement : l’un
méthodologique, l’autre disciplinaire, sachant que les deux restent pour une large
part liés.
Du point de vue du problème méthodologique, les termes de la problématique
sont parfaitement posés par Christian Lévêque (2003, p. 38) : « faut-il, dans la
pratique, de l’écologie scientifique considérer les sociétés comme des
composantes à part entière des écosystèmes ou comme des facteurs de forçage au
même titre que le climat par exemple ? ». En d’autres termes, faut-il voir dans
l’appréhension de l’objet environnement un (fourre- ?) tout dans lequel se
trouvent entremêlés différents éléments dont l’appréhension relèverait tantôt des
sciences humaines, tantôt des sciences de la nature ? Ou doit-on considérer plutôt
l’objet environnement comme un système au sein duquel on pourrait distinguer et
appréhender la société à partir d’outils conceptuels propres à certaines
disciplines ?
On peut tenter d’illustrer cette idée en nous appuyant sur la réflexion menée par
Bernard Picon et Monique Provansal (2002, p. 78) : « la montée en puissance de
la question environnementale à partir des années 1970 a entraîné une petite partie
du monde scientifique à s’extraire de la pensée classificatoire qui avait prévalu
jusque-là et à tenter l’expérience de l’interdisciplinarité entre les sciences de
l’homme et de la société, les sciences de la vie et les sciences de l’univers. La
confusion trop longtemps entretenue entre "objet naturel" et "objet
environnemental" cède la place à l’idée qu’un objet environnemental est un objet
naturel socialement investi : d’objet naturel, le climat devient objet
environnemental parce qu’il est modifié par les actes techniques que pose
l’humanité, parce que cette même humanité en subit les conséquences et qu’elle
s’interroge ».
Ch. Levêque et al. (2003) vont pour leur part souligner le rôle que les « zones
ateliers » ont pu jouer dans la mise en convergence de démarches de recherche et
dans la convergence des recherches disciplinaires sur certains territoires. De la
même manière, la notion d’anthroposystème destinée à étudier les interrelations
sociétés nature par le biais d’un approche à la fois intégrée, systémique et de long

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

terme, relève sans nul doute d’une innovation transdisciplinaire : ils définissent
ainsi une science des anthroposystèmes comme « organisant la complémentarité
des connaissances disciplinaires dans le cadre d’une approche systémique »
(Levêque et al., 2003, p. 127), ce qui passe par l’élaboration d’outils d’intégration
des disciplines par le biais d’outils et langages communs.
Du point de vue disciplinaire, certains auteurs se sont risqués à l’exercice de
délimitation, à l’instar de Jacques Theys (1993), repris par ailleurs par
Ch. Lévêque et al. pour qui « le champ de l’environnement renvoie à des objectifs
et à des valeurs de nature écologique (préservation de la biodiversité, gestion des
écosystèmes sur le long terme), économique (assurance d’une exploitation
« durable » des ressources), sociale (amélioration de la qualité de la vie),
sécuritaire (préservation de la santé face aux risques environnementaux) et
culturelle et esthétique (patrimonialisation des systèmes naturels plus ou moins
anthropisés et/ou certaines de leurs composantes » (Lévêque et al., 2003, p. 112).
Peu à peu cependant, une certain consensus s’est dégagé non pas sur la définition
du champs de l’environnement mais sur l’idée d’une convergence entre des
disciplines des sciences sociales et naturelles : « Les efforts engagés au sein des
organismes scientifiques pour qualifier le secteur de recherche de l'environnement
à partir du concept d'environnement débouchent sur une question centrale : "les
interactions entre les évolutions de l'écosphère et les sociétés humaines" (Jollivet,
Pavé, 1993), "l'étude des interactions multiples entre les activités humaines et
l'évolution des milieux de la planète" (Legrand, Perrier, 1994) » (Godard, 1996,
p 2). Cette façon de procéder reste cependant plus prudente que la première : elle
vise à convoquer des champs de recherche interdisciplinaires (humain/milieu ;
écosphère/sociétés), par définition plus larges, plus floues qu’une énumération
disciplinaire exhaustive. Et pour cause : la pluridisciplinarité, rappelle Jean-Marie
Legay, « est une découverte au même titre que celle d’un phénomène naturel. Car
avant même de l’exploiter, c’est la découverte d’une relation, peut-être d’une
corrélation, en tous cas d’une interaction entre des phénomènes réputés
jusqu’alors indépendants » (Legay, 2006, p. 11).
Ici cependant, ce problème de délimitation des champs disciplinaires devient vite
inopérant dans la mesure où force est de constater que de plus en plus, le champ
de l’environnement invite les disciplines à l’exogenèse, ou plutôt la transgenèse.
Ainsi, nous expliquent Patrick Legrand et Alain Perrier « Les sciences de
l’univers et de la vie se sont souvent structurées autour de certains milieux
déterminés : atmosphère, géosphère (continentale ou marine), biosphère (faune,
flore, micro-organismes) et ont conduit à l’émergence de disciplines de recherche,
telles que la météorologie, la géophysique, l’océanographie, l’écologie, etc. Ces
disciplines ont, dans un premier temps, conforté leur autonomie et accru la
spécificité de leur champ, celles de leurs objets et de leurs méthodes ; ce
mouvement a conduit à une parcellisation notable des connaissances. Depuis
quelque temps, ces disciplines sont confrontées à l’étude de systèmes
interconnectés et complexes, qui est à la base des approches environnementales.
Aussi ont-elles introduit des procédures de couplages interdisciplinaires et créé
des objets composites […]. D’endogène, le développement de ces disciplines est
devenu à la fois endogène et exogène, c’est-à-dire qu’elles trouvent à ces

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

interfaces une partie notable de leurs problématiques » (Legrand, Perrier, 1994,


p. 55).

Cette dynamique de croisement des champs de recherche qui se mêle d’une


hybridation des outils est par ailleurs visible en sciences humaines et sociales.
Ainsi, il y a lieu de souligner, l’importance de programmes comme le PIREN,
lancé par le CNRS dès 1978, ou encore le PEVS dont le parti pris a été
précisément « de traiter des questions d’environnement comme étant des objets
hybrides » (Burnouf et al., 2003, p. 17).
Joëlle Burnouf et al. (2003) remarquent que dans les domaines de l’histoire et de
l’archéologie, différents colloques ont posé les jalons d’une interdisciplinarité
comme d’ailleurs d’autres rapprochements entre géographes physiciens
(biogéographes et géomorphologues notamment) se sont opérés par le biais du
concept de géosystème introduit en France par le géographe Georges Bertrand
quelques années plus tôt. C’est également à cette époque que l’on assiste à une
convergence, certes partielle, des problématiques environnementales. Notons que
cette convergence ne se focalise pas uniquement sur l’objet environnement, mais a
trait également à ses modes d’appréhension et donc aux aspects
méthodologiques : elle est aussi une convergence en termes de temporalité et
d’échelles spatiales de référence.

3.3. Quelles contributions des disciplines à la structuration d’un objet de


recherche interdisciplinaire ?
La question de l’ouverture des disciplines à un champ commun, notamment
l’environnement, est loin d’être aussi aisée et surtout aussi linéaire qu’il n’y
paraît.
La géographie semble pour sa part détenir une place à part dans ce tumulte
résultant de l’hybridation des champs de recherche disciplinaires. À en croire
Marie-Claire Robic et Nicole Mathieu (2001), « rompant avec le mouvement de
spécialisation des sciences, la géographie s’est édifiée dans une posture de
charnière entre sciences naturelles et sciences de l’homme » (Robic, Mathieu,
2001, p. 168). Il faut en effet lui reconnaître la proposition de nombreux concepts
souvent à l’interface homme-nature et qui apportent cette idée de dynamique de
long terme, de co-évolution, à l’instar de la notion d’anthroposystème. Cependant,
si J. Burnouf et al. (2003) concèdent qu’il existe une certaine convergence des
disciplines vers cette idée de co-évolution entre les systèmes naturels et sociaux,
« le débat reste plus vif, et pas encore tranché, en ce qui concerne les concepts et
notions à retenir pour désigner cette logique et les objets qui y répondent »
(Burnouf et al., 2003, p 18).
Quoi qu’il en soit, une direction est cependant visible : c’est celle de
l’hybridation, comme nous avons voulu le montrer à travers la lecture de
différentes figures emblématiques de la recherche en environnement. Cette
hybridation est synonyme de co-construction, de co-évolution des concepts et
disciplines, mais elle renvoie également à des emprunts, à des « concepts
nomades » pour reprendre l’expression d’Isabelle Stengers (1987) : empruntés à

8
L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

un champ disciplinaire et utilisés par un autre. La notion de résilience en est un


exemple emblématique.
Le développement durable constitue lui aussi un lieu d’échange et d’hybridation.
Ainsi, suivant Franck-Dominique Vivien (2001) le développement durable serait
devenu une référence sémantique incontournable dans tout discours traitant de
l’environnement et de développement. Ce concept, à l’instar de celui
d’environnement, est susceptible d’influencer les pratiques politiques et
scientifiques et en retour ces mêmes pratiques peuvent modifier le contenu
sémantique de la notion. Ainsi, il y a déjà quelques années, Marcel Jollivet
(2001a, p. 13) se posait la question de savoir si « la notion de développement
durable imprime t-elle sa marque sur la recherche et la recherche la construit-elle
en se l’appropriant ? ». Il remarquait également que les différentes disciplines sont
loin d’avoir investi la thématique de manière unanime et semblable. Du côté des
sciences sociales, l’auteur estime que l’économie a le plus investi la notion. La
notion même de développement durable ayant par ailleurs fortement structuré le
champ de recherche en sciences sociales entre développement durable et
environnement. Suivant cet auteur, les Sciences de la Terre ont pour leur part le
plus souvent ignoré ce concept même s’il relativise un peu plus loin ses propos en
estimant que le vecteur d’intégration du développement durable et de
l’environnement se matérialise par la thématique du changement global (Jollivet,
2001b). Les Sciences de la Vie ont également intégré cette notion champ. Pensons
notamment aux métaphores biologique et organiciste (Vivien, 2001) qui sont
souvent mobilisées, étant entendu que la biodiversité représente, pour l’écologie
au moins, le terrain d’hybridation des considérations liées à l’environnement et au
développement durable. Sans nul doute ces métaphores ont-elles inspiré
également les chercheurs orientés vers le développement économique5.
Si l’environnement est apparu tôt comme un concept carrefour, le développement
durable bénéficie aussi d’un tel effet invitant à l’interdisciplinarité, aussi bien en
matière de recherche que l’action. Ainsi, Robert Barbault (2001) estime t-il que
l’écologie prend en charge le problème du développement durable à travers quatre
angles d’attaque : la biologie de la conservation, l’écologie de la restauration,
l’écologie industrielle et la prise en compte des services assurés par les
écosystèmes jusqu’à l’écologie économique. Manifestement, une telle définition
du champ de recherche interfère avec celui d’autres disciplines, notamment
l’économie. La raison en est simple et somme toute légitime, à en lire l’auteur : le
développement durable oblige, par essence pourrions nous dire, à introduire au
sein de l’écologie, une dimension nouvelle, puisqu’il s’agit de garantir la
persistance du développement économique. À moins que ce ne soit l’inverse…
L’idée de développement durable induit par ailleurs une dimension non seulement
positive mais également normative. Comme le remarque F.-D. Vivien (2001,
p. 37), la science écologique, par exemple, n’entend plus uniquement rendre
compte de perturbations que connaît l’environnement, « mais […] elle se conçoit
aussi désormais comme une science de l’aide à la décision pour la mise en œuvre

5. On pense notamment aux étapes de la croissance de Walt Whitman Rostow, Theorists of


economic growth from David Hume to the present : with a perspective on the next century. Oxford
University Press, 1992.

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

d’une politique d’environnement ». Ainsi, à l’interdisciplinarité se superpose


l’idée de l’existence d’enjeux à la fois académiques et relevant du domaine de
l’action.

4. Présentation de l’ouvrage
Cet ouvrage regroupe les communications présentées lors de deux journées
d’études organisées en 2005 et 2006 à l’Université d’Artois, sur le thème de
l’environnement et de l’interdisciplinarité (Galochet, Longuépée, Morel, Petit,
2006a, 2006b). Un regard croisé au travers des disciplines des Sciences Humaines
et Sociales (Droit, Economie, Géographie, Gestion, Histoire, Sociologie, Sciences
Politiques) et Sciences de la Vie et de la Terre (Ecologie, Géologie, Sciences de
l’environnement) permet d’explorer la façon dont les discours scientifiques se
sont progressivement construits et de retracer les méthodologies qui ont été
successivement mobilisées.
Les deux journées d’études ont été organisées à l’initiative des coordinateurs de
cet ouvrage, quatre enseignants-chercheurs Maîtres de conférences des universités
en géographie et en économie, tous travaillant dans le champ de l’environnement
(géographie de l’environnement, économie des ressources naturelles et de
l’environnement) qui ont fait le pari de l’interdisciplinarité dans le cadre de leurs
recherches mais aussi dans leurs enseignements. D’une certaine manière, ils se
positionnent comme des « passeurs de frontières » en jetant un pont entre
plusieurs communautés scientifiques au sein du domaine des Sciences Humaines
et Sociales (géographie, économie, sociologie, droit, sciences politiques) d’une
part en développant une démarche géo-environnementale définie par des relations
socio-spatiales avec la nature et d’autre part entre les Sciences Humaines et
Sociales et les Sciences de la Vie et de la Terre dans le cadre de collaborations
scientifiques et partenariats opérationnels issus de programmes de recherche
interdisciplinaires. Cette pratique de la recherche vise à articuler étroitement la
recherche fondamentale et la recherche finalisée en prise avec une forte demande
sociale de la part des gestionnaires de l’environnement et de l’aménagement du
territoire.

Une première partie de l’ouvrage abordera les aspects cognitifs et évolutifs des
avancées disciplinaires en matière d’environnement, pour aborder ensuite dans
une deuxième partie les enjeux épistémologiques de l’environnement et la
nécessité de faire dialoguer les disciplines sur une thématique se situant au
carrefour des relations société-nature. Enfin, la troisième partie de cet ouvrage
orientera la discussion vers l’appréciation des enjeux liés à l’évolution des
discours intégrant désormais le concept de développement durable, en analysant
plusieurs expériences de programmes de recherches interdisciplinaires dans le
domaine de l’environnement.

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L’environnement, discours et pratiques interdisciplinaires

Bibliographie
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