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Regards critiques sur la notion d' " interculturalité ". Pour une didactique de la
pluralité linguistique et culturelle

Book · January 2010

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2 authors:

Philippe Blanchet Daniel Coste


Université de Rennes 2 Ecole normale supérieure de Lyon
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PHILIPPE BLANCHET ET DANIEL COSTE (DIR.)

REGARDS CRITIQUES
SUR LA NOTION
D’ « INTERCULTURALITE »

POUR UNE DIDACTIQUE DE LA PLURALITE


LINGUISTIQUE ET CULTURELLE
REGARDS CRITIQUES
SUR LA NOTION
D’ « INTERCULTURALITE »

POUR UNE DIDACTIQUE DE LA PLURALITE


LINGUISTIQUE ET CULTURELLE
Collection Espaces Discursifs
blablabla blablabla blablabla blablabla blablabla blablabla blablabla
blablabla blablabla blablabla blablabla blablabla blablabla blablabla
blablabla blablabla (voir bibliographie)
PHILIPPE BLANCHET ET DANIEL COSTE (DIR.)

REGARDS CRITIQUES
SUR LA NOTION
D’ « INTERCULTURALITE »

POUR UNE DIDACTIQUE DE LA


PLURALITE LINGUISTIQUE ET
CULTURELLE

avec la collaboration de Sanaa HOTEIT

Photo de couverture : cliché de Philippe Blanchet, Alger, 2008.

Les textes réunis dans ce volume sont issus de l’atelier « Regards


critiques sur la question interculturelle » du Colloque international
« Langue(s) et Insertion, (discriminations, normes, apprentissages,
identités…) » organisé à l’Université Rennes 2 par le PREFics
(EA3207), le GIS « Pluralités Linguistiques et Culturelles » et le
Réseau Francophone de Sociolinguistique les 16, 17 et 18 juin 2009.
SUR QUELQUES PARCOURS DE LA NOTION
D’ « INTERCULTURALITE »
ANALYSES ET PROPOSITIONS DANS LE
CADRE D’UNE DIDACTIQUE DE LA
PLURALITE LINGUISTIQUE ET
CULTURELLE

Philippe Blanchet, EA 3207 PREFics,


Université Européenne de Bretagne – Rennes 21
&
Daniel Coste, UMR 5191 ICAR, ENS de Lyon
et EA 2288 Diltec, Université Paris 3

1. De l’affadissement d’une notion…

L’apparition de la notion d’interculturalité et d’interculturel


est contextualisée par la plupart des auteurs, y compris
didacticiens des langues, dans la prise de conscience des enjeux
de la pluralité linguistique et culturelle issue des phénomènes
migratoires (Collès, 2002, 175 ; Cuq et coll., 2003, 136). Cette
notion a été notamment élaborée et diffusée avec un large
succès en français par les travaux de référence de C. Camilleri
(1990) et M. Cohen-Emerique (Camilleri et Cohen-Emerique,

1
Le PREFics est membre fondateur du Groupement d’Intérêt
Scientifique « Pluralités Linguistiques et Culturelles ».
8
1989). Elle couvrait, au départ, un empan très large issu d’un
point de vue anthropologique et sociopsychologique lié à la
contextualisation sociale de son émergence, empan large que
l’on trouve également chez le sociologue et philosophe J.
Demorgon (1996) et chez Ladmiral et Lipiansky (1989),
traductologue et psychologue. L’ancrage spécifique de cette
notion dans le champ éducatif, posé par Camilleri lui-même
(1985) a été confirmé par Clanet (1993), Abdallah-Pretceille
(1999), Abdallah-Pretceille et Porcher (1996). Son ancrage dans
le champ plus précis encore de la didactique des langues-
cultures a été rapide et conséquent, grâce notamment aux
travaux de références de G. Zarate (1986, 1994) et de Michael
Byram (1997, 2003). Le croisement avec la notion de
compétence de communication (Hymes, 1984 pour la traduction
française) issue des recherches en ethnographie de la
communication (autrement appelée « sociolinguistique
interactionnelle », cf. la traduction française de Gumperz, 1989)
et des recherches sur les interactions verbales (Kerbrat-
Orecchioni, 1994), a centré la question interculturelle sur une
approche dite pragmatique ou interactionniste (Collès, 2003,
177-178 ; De Salins, 1992) visant l’appropriation d’une
compétence (de communication) interculturelle.
La notion répondait à une préoccupation sociale : elle a
connu un grand succès et elle est devenue omniprésente en
didactique des langues et dans certaines autres disciplines qui se
préoccupent de relations dites « interculturelles », notamment
d’insertion sociale. Elle a ainsi été diffusée largement chez les
enseignants et divers acteurs sociaux. Cette expansion du terme
interculturel dans divers champs, parallèlement à sa centration
sur le champ éducatif et plus précisément celui de l’éducation
linguistique, a été accompagnée de reconfigurations de ses
significations et de ses usages, qui peuvent être perçus comme
autant d’affaiblissements et de réductions de sa portée.
Récupéré dans des représentations dominantes et dans les
idéologies nationales fortement à l’œuvre dans certains
9
1
systèmes éducatifs — notamment en France , récupéré dans les
routines des enseignants de langues, le terme a été réduit à la
notion de « connaissance de ‘la’ culture nationale cible » de
l’enseignement d’une langue. En témoignent l’usage qu’en font
nombre de manuels de langues (Auger, 2007) et même des
manuels de communication interculturelle (Hubert-Kriegler et
coll., 2007 ; Ildiko et coll., 2008). Il s’agit là d’une réduction au
fond contradictoire avec le cœur de la notion de relation /
communication interculturelle, notamment dans son acception
anthropologique générale et dans la visée concrète d’une
compétence interculturelle interactionnelle. Triple réduction
d’ailleurs, en faisant primer l’idée de cultures nationales
homogènes, posées comme des objets de connaissance
extérieurs à l’apprenant, alors que la problématique
interculturelle a été plutôt conceptualisée comme celle d’une
expérience concrète de toute forme d’altérité socioculturelle
vécue par les individus dans leurs interactions.
On observe également le développement d’une acception
« angélique » de la notion, même au sein d’une conception
interactionnelle de la question interculturelle, qui en réduit la
portée à une simple attente de « relations humaines
harmonieuses malgré les différences culturelles et
linguistiques ». En d’autres termes, il n’y aurait relation /
dialogue réellement interculturel(le), situation effective
d’interculturalité, que lorsque cet objectif plus ou moins idéal
ou idéaliste serait atteint. Ainsi, « L’interculturel serait une
solution aux contacts/conflits des langues-cultures imposés par
une société multiculturelle puisqu’il induirait négociation et
compromis ou une sorte d’inter-solidarité » (De Carlo, 1998 :
40). On trouve une synthèse significative de ce que nous
considérons comme une réduction de la notion sous cette
formulation :

1
D’après L. Collès (2003, 175) l’interculturel est resté au Québec,
dans une culture nord-américaine plus ouverte à la pluralité culturelle,
un champ à part entière envisagé notamment d’un large point de vue
sociologique.
10
« L'interculturel, c'
est faire face à l' Autre, non pas pour
l'
affronter mais pour le compléter, pour vivre en parallèle avec lui,
l'
écouter, s' ouvrir, construire le dialogue avec lui. Toutes les
cultures sont égales, s' observent, s'inspirent mutuellement.
L'interculturel, ce sont des langues-cultures qui se croisent et qui
veulent se comprendre » (Dumont, 2008 : 8).
Face à ces réductions, certains, notamment parmi les
fondateurs de la notion, ont alors tenu des positions critiques, à
l’instar de J. Demorgon (2005, 197) :
« L’affichage d' une critique de l' interculturel nous a paru
nécessaire pour marquer un point de non-retour. Il fallait
absolument quitter cette exclusivité accordée à l' interculturel de
‘bonne volonté’. Il fallait sortir de cette essentialisation des
cultures, bien visible dans l' expression tellement idéalisante de
dialogue des cultures (…) Le véritable objet n' est pas tant
l'
interculturel que l' interculturation. (…) Tout cela conduit à
rétablir clairement ‘les humains entre eux’ comme producteurs de
leurs stratégies et de leurs cultures. Seule l' interculturation permet
cette perspective de synthèse, en englobant ses acteurs, ses
objectifs, ses processus, ses résultats ».

2. Retour critique vers une conception élargie de la


problématique interculturelle

Revenir vers une conceptualisation élargie de


l’interculturalité des relations sociales, c’est en même temps
rendre son ampleur et sa profondeur anthropologiques au
concept ainsi qu’en préciser la portée notamment en termes
d’intervention sociale (et, pour nous, notamment didactique).
Ampleur et profondeur anthropologiques en considérant, avec
N. Auger (2007, 13) que
« dès qu’il y a relation, il y a altérité et, de fait, interculturalité
(…) la complexité culturelle de chacun, traversée d’éléments
collectifs et singuliers, fait de chaque rencontre une rencontre
interculturelle ».
11
L’interculturalité recouvre en fait les modalités et les effets
concrets des rencontres interindividuelles de et dans l’altérité,
altérité irréductible dans sa totalité à cause de la pluralité infinie
des phénomènes humains et sociaux. C’est la raison pour
laquelle des formulations comme relations interculturelles, ou,
comme le propose J. Demorgon (2005), interculturation,
semblent plus appropriées (car centrées sur des processus
interactionnels situés) que celle d’interculturalité (réifiante et
abstraite).
Dès lors, on peut repréciser la portée heuristique et
interventionniste de ce concept, notamment dans son principal
champ d’action, le champ éducatif. Il s’agit plus spécifiquement
encore, en ce qui concerne les auteurs de ce texte, d’une
didactique des langues-cultures (indissociables) reconfigurée en
didactique de la pluralité linguistique et culturelle. Dès lors, la
notion même de didactique des langues-cultures n’apparait plus
appropriée puisqu’elle continue à poser des langues et des
cultures comme autant d’ « objets » alors que la didactique que
nous visons est celle de processus d’appropriation et d’usages
plurilingues et interculturels, usages qui sont avant tout des
expériences d’altérité humaine et sociale (Blanchet, 2007). Ce
recadrage de la portée opératoire du concept nécessite deux
choses : d’une part, identifier les principales modalités d’un
processus de rencontre de l’altérité et, d’autre part, identifier les
composantes d’une compétence interculturelle de relation,
c’est-à-dire une compétence à anticiper, analyser, comprendre,
réguler, exploiter consciemment, autant que possible, les effets
de l’altérité dans les interactions sociales1. Cela implique bien
sûr des convictions éthiques, transposées en objectifs éducatifs,
si et seulement si on adhère à ces convictions :
-l’affirmation que la pluralité est inévitable, constitutive des
fonctionnements humains et sociaux, qu’elle instaure autant de
ressources que d’obstacles, et que conséquemment les

1
Ces interactions incluent les interactions indirectes, différées, via
des textes, enregistrements sonores, images, films, supports
multimédias, etc.
12
hybridations, métissages, mélanges, y sont des processus
« normaux » à l’œuvre partout ;
-la recherche de l’acceptabilité des interactions et de
l’intercompréhension qui implique une conscience de la
relativité de son propre système d’interprétation et une tentative
de comprendre le système d’interprétation d’autrui ;
-la recherche d’une bienveillance ou au moins d’une
compassion comme principe majeur des relations humaines
fondées sur le respect de la dignité des personnes ;
-le refus de l’ethnocentrisme y compris sous la forme
déguisée de l’universalisme, qui consiste à imposer comme
valeurs universelles non négociables des convictions
nécessairement issues de contextes, d’histoires, de cultures
précises (Todorov, 1989) ;
-l’indispensable progressivité de toute transformation
linguistique et culturelle, car il s’agit de transformer en
profondeur tout un système d’interprétation ; cette
transformation passe nécessairement par l’hybridation de
systèmes et de pratiques dans la longue fréquentation d’une
altérité ; toute coercition et toute précipitation rigidifient le
système de départ au lieu de l’assouplir.
Pour autant, cela ne conduit pas à s’enfermer dans un
« idéalisme » aveugle aux conflits, aux tensions, aux
contradictions, aux ethno-égocentrismes à l’œuvre dans les
relations humaines. Il s’agit, au contraire, de les englober dans
les modalités et les effets de l’aspect interculturel des relations
sociales, comme autant de facteurs-clés de la dynamique de ces
relations.
Cela conduit, à l’inverse, à une remise en question radicale
de certaines notions liées, identité, culture, langue…, autant de
repères confortables où se nichent les croyances, les idéologies,
même les « mieux pensantes ». Ce n’est pas le lieu ici de se
lancer dans de longs développements conceptuels sur ces
questions, mais il est clair qu’il n’y a pas d’approche plurilingue
et interculturelle possible, au sens où nous l’entendons, tant que
13
l’on en reste à des définitions « chosifiantes » de langues (=
ensemble clos de règles normatives d’organisation d’unités
minimales traditionnelles —mots, phrases— ou modernes —
phonèmes, morphèmes—) et de cultures (ensemble d’œuvres
patrimoniales et/ou de stéréotypes nationaux).

3. Proposition de typologie englobante du


processus d’interculturation

En repartant des propositions fondatrices de Camilleri, on


peut répartir les modalités et effets interculturels des relations
sociales autour de quatre pôles :
-Le contact interculturel : prise de conscience de l’existence
de personnes « altéritaires » (utilisant d’autres ressources
linguistiques et culturelles) sans relations (sans interactions,
sans dialogues, autres qu’extrêmement ponctuels). Cette étape
initiale produit en général des stéréotypes (négatifs ou positifs).
Elle peut produire des divergences ou des convergences :
divergence par le rejet de cette altérité, de ces personnes, par
une altérophobie dont différentes formes englobantes sont la
xénophobie, la glottophobie (Arditty et Blanchet, 2008), etc. A
l’inverse, elle peut se poursuivre par une convergence sous la
forme d’une rencontre.
-La rencontre interculturelle : relations sociales régulières
avec des personnes « altéritaires » qui conduisent soit à une
occultation de l’altérité (divergence : ignorance de la relativité
des systèmes culturels1, ethnocentrisme, assimilationnisme) soit
(convergence) à une décentration, à une prise de conscience de
la relativité des systèmes culturels, à une intégration progressive
des repères interprétatifs d’autrui dans son propre répertoire
linguistique et culturel.

1
Ceci incluant les systèmes et pratiques linguistiques.
14
-Le syncrétisme interculturel : la rencontre avec des
personnes « altéritaires » conduit à une appropriation de repères
et de ressources culturels (linguistiques inclus) sous la forme
d’une juxtaposition peu maitrisée, éventuellement insécurisée,
éventuellement contradictoire, d’où notamment des retours vers
le stéréotype ou vers des divergences (stratégie dite « de
coupure » qui consiste à occulter selon ses interlocuteurs et son
environnement certaines de ses ressources culturelles et
linguistiques plurielles).
-La synthèse interculturelle : articulation consciente
assumée en une identité culturelle et linguistique « hybride » ou
« métissée » de la pluralité de son propre système interprétatif
(répertoire pluriculturel et plurilinguistique1), et donc de la
légitimité des pluralités portées par toute altérité. D’où une
capacité accrue de vigilance et de remédiation aux malentendus
interculturels.

Un élément clé pour faire fonctionner cette typologie est de


ne pas la penser comme une trajectoire linéaire qui ferait passer
de la phase 1 à la phase 42. Un parcours interculturel est souvent
(toujours ?) fait de passages et de retours entre ces phases : des
moments de divergences, d’altérophobie, d’incompréhension,
de tensions voire de conflits se produisent même si la rencontre
effective a déjà commencé à produire une forme de syncrétisme
ou de synthèse, y compris par le désir ou la sensation
fantasmatiques de s’être assimilé à autrui ; et ceci d’autant que
le processus recommence à chaque contact avec de nouvelles
altérités qui peuvent reconfigurer l’ensemble du répertoire

1
Le terme est préféré à plurilingue pour y intégrer toute pluralité
linguistique y compris « à l’intérieur » de ce qui est considéré comme
une « même langue » : l’une des formes de l’occultation de l’altérité
est l’illusion de similarité, fréquente lorsque l’on pense parler la
même langue.
2
On ne mentionne pas la phase 0 d’ignorance de l’existence de
certaines personnes altéritaires, puisqu’elle présuppose l’absence
totale de contact et donc de phénomènes interculturels.
15
culturel (et linguistique) de l’individu. Ces moments de tensions
sont légitimes, parfois souhaités, parfois souhaitables (personne
n’est obligé de tout accepter !). Intégrer les aspects « négatifs »
du processus d’interculturation nous semble fondamental pour
ne pas en négliger l’un des pôles de la dynamique, le pôle de
divergence, dont la tension complexe avec le pôle « positif » de
convergence, résultant du fait même de l’altérité, constitue
l’énergie de l’interculturation. Sur le plan d’une éducation à
l’interculturalité (au sens du développement de compétences à
prendre en compte le facteur interculturel dans les relations
sociales), ces aspects « négatifs » doivent être intégrés selon le
principe de l’efficacité pédagogique des tâtonnements,
« erreurs » et autres obstacles à dépasser dans des situations-
problèmes.
Enfin, puisque nous sommes dans des processus
(l’interculturation, l’éducation), cela implique une analyse et
une compréhension du changement (qui inclut les résistances,
les déséquilibrations, les décentrations, les recadrages…).

4. De la compétence plurilingue à l’alterculturation


en passant par la compétence interculturelle…

A ce point de l’analyse, il peut être utile de revenir sur les


notions de compétence plurilingue et de compétence
interculturelle, telles qu’elles ont pu circuler dans des espaces
institutionnellement marqués comme celui du Conseil de
l’Europe et compte tenu notamment de l’importance prise
récemment par le Cadre européen commun de référence pour
les langues (CECR) dans les évolutions et les débats qui
marquent la didactique et l’enseignement des langues.
C’est dans une étude périphérique à la préparation du CECR
que la notion de compétence plurilingue et pluriculturelle est
introduite (Coste, Moore et Zarate, 1997), définie comme suit :
« On désignera par compétence plurilingue et pluriculturelle, la
compétence à communiquer langagièrement et à interagir
16
culturellement possédée par un acteur qui maîtrise, à des degrés
divers, plusieurs langues, et a, à des degrés divers, l’expérience de
plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce
capital langagier et culturel. L’option majeure est de considérer
qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences
toujours distinctes, mais bien existence d’une compétence
plurielle, complexe, voire composite et hétérogène, qui inclut des
compétences singulières, voire partielles, mais qui est une en tant
que répertoire disponible pour l’acteur social concerné ».
Les termes acteur social, interagir, expérience, plurielle,
hétérogène, voire capital ne sont pas indifférents, non plus que
la référence à plusieurs cultures. Cette définition est reprise à
peu près dans la mêmes termes dans le CECR (Conseil de
l’Europe, 2001 : 129), toujours avec l’adjectif pluriculturelle
mais par ailleurs, à l’intérieur de l’ouvrage, alors que
interculturel y est attesté dans des expressions telles que
approche interculturelle, prise de conscience interculturelle
(cultural awareness), aptitudes interculturelles (mais non pas
compétence interculturelle) ces usages renvoient généralement
aux seuls rapports entre la culture de l’apprenant et une culture
« étrangère ».
Dans un autre document de référence, le Guide pour
l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe
(Beacco et Byram, 2003 rév. 2007) la lexie compétence
interculturelle figure au glossaire (séparément de compétence
plurilingue et se trouve caractérisée ainsi :
« ensemble de savoirs, de savoirs faire, de savoirs être et
d’attitudes permettant, à des degrés divers, de reconnaître, de
comprendre, d’interpréter ou d’accepter d’autres modes de vie et
de pensée que ceux de sa culture d’origine. Elle est le fondement
d’une compréhension entre les humains qui ne se réduit pas au
langage ».
Définition à situer par rapport aux développements des
précédentes sections de cette introduction… On relèvera en
particulier l’élargissement « altéritaire » de la formule d’autres
modes de vie et de pensée.
17
Dans les évolutions postérieures liées au CECR et aux
Portfolios européens des langues (PEL), la notion de
compétence plurilingue tend à s’autonomiser et perd l’alliance
avec pluriculturelle (Castellotti et al., 2008), en raison sans
doute de la distinction et de la disjonction entre les deux types
de composantes : maîtrise diverses des langues et expériences
multiples des cultures ne sont pas considérées comme
homologues et superposables. Néanmoins, posée comme un
processus global de rencontre et d’appropriation de pratiques
« autres », l’interculturation englobe l’élargissement / la
reconfiguration d’un répertoire linguistique / verbal. C’est, à
nos yeux, l’un des intérêts dynamiques majeurs du passage du
pluriculturel à un interculturel profondément anthropologique.

La notion a connu depuis lors des évolutions qui en


complexifient la nature et la portée. La conception même et les
usages du PEL rendent visibles non seulement les langues
« étrangères » enseignées à l’école, mais aussi les langues et
variétés régionales, les langues minoritaires, les langues
d’origine de la migration. Cela à un moment où la scène
européenne connaît des transformations rapides et où
l’ouverture de l’Europe centrale et orientale, tout autant que les
mouvements d’affirmation des régions et communautés mettent
aussi l’accent sur les langues autres que nationales. La notion de
compétence plurilingue pénètre dès lors le champ des politiques
linguistiques. Il ne s’agit plus « seulement » de promouvoir une
diversification de l’offre et de la demande en langues dans les
contextes scolaires. L’enjeu consiste à gérer une pluralité qui est
bien là et donne lieu à tensions et conflits possibles comme à
des enrichissements potentiels. Un plurilinguisme que l’on
pourrait dire dès lors déneutralisé, déseuphémisé se trouve de
fait placé en rapport densifié avec d’autres types de pluralité :
pluralité des statuts des langues, pluralité des communautés,
pluralité des appartenances, pluralité des instances de
socialisation, pluralité des projets de société (Beacco, 2005 ;
Coste et al., 2007).
18
Du coup, la notion de compétence plurilingue s’enrichit de
résonances sociologiques et politiques. Et sur le plan individuel,
elle est dès lors à relire en termes de pluralité des valeurs
cognitives, affectives, communicationnelles du répertoire dont
elle dispose (Moore, 2006, Moore & Castellotti, 2008).
D’entre ces composantes, faut-il dire que certaines seraient
plus « identitaires » que les autres ? ou bien plutôt considérer
que c’est leur ensemble qui, de plus en plus dans nos sociétés,
est facteur d’identités plurielles, où l’altérité trouve sa place ?
Se produirait ainsi un déplacement des représentations de soi et
du rapport identité / altérité. D’où il se confirme que, sous cet
angle, la notion de compétence plurilingue rejoint aussi des
enjeux qui outrepassent décidément le domaine didactique
stricto sensu.
Si on admet que la constitution d’une compétence
plurilinguistique (pour reprendre ici la distinction proposée en
note 5) est largement due à des expériences d’interaction dans
des communautés de pratiques diverses, il y a aussi lieu de
repositionner complémentairement la dynamique de ce que
Demorgon propose de nommer interculturation en fonction
d’une certaine déconstruction de la notion même de culture.
C’est dans cette direction que s’engagent certains des
travaux menés dans le cadre du projet « Langues dans
l’éducation / langues pour l’éducation » de la Division des
politiques linguistiques du Conseil de l’Europe.

En effet, dans le domaine des politiques éducatives, c’est la


notion même de culture qui, de par sa complexification, ne peut
qu’affecter ce qui intéresse la didactique des langues et des
cultures. On relèvera trois axes de cette complexification.
Les sociétés contemporaines se présentent et sont
désormais représentées (à quelques pensées rétrogrades
près) comme multiculturelles.
Les acteurs sociaux sont définis comme partie prenante
à des degrés divers de plusieurs configurations
19
culturelles, comme constitutivement pluriculturels et
comme susceptibles de circuler tout à tour dans et entre
ces « cultures », conçues alors comme propres à des
communautés de pratiques (famille, groupe de pairs,
réseaux sociaux, milieu professionnel, audiences et
« cibles » des médias, etc.) et caractérisées, à des degrés
divers, par des normes de fonctionnement, de régulation
et d’évolution, mais aussi par des formats
communicationnels et des genres discursifs
relativement particularisés1.
L’apprentissage, notamment scolaire de diverses
matières et spécialités participe de cette pluriculturalité,
dès lors que l’acquisition, par exemple, de savoirs et de
savoir faire en physique ou en géographie constitue
aussi, tant soit peu, un accès à des communautés de
pratiques et à certains modes de représentation et de
conception du réel, à une culture et à des langages de la
discipline.

Une telle déconstruction (un tel éclatement ?) de la notion de


culture en vient donc à recouvrir les figures étendues de
l’altérité évoquées plus haut. L’enjeu est évidemment de penser
l’individu comme acteur social dans des ensembles sociaux
complexes. Ces appartenances à de multiples communautés de
pratiques sont elles-mêmes à concevoir en termes de circulation
plus que de cloisonnement. Passages et transversalités relèvent
de phénomènes transculturels, intersections et recouvrements
partiels entre les cultures des communautés de pratiques
renvoient à des convergences ou au contraire à des tensions
interculturelles, soulignent la nécessité de processus

1
Dans cette logique, une certaine adéquation entre culture et langue
se retrouve, non certes au sens whorfien, mais du fait que la variation
et les normes que toute communauté de pratiques se donne, transmet
et fait évoluer articulent dimensions langagières et fonctionnements
culturels.
20
d’interculturation et l’importance d’une éducation plurilingue et
interculturelle.
On se hasarderait presque à risquer alors un adjectif
(éventuellement substantivable) comme alterculturel, à côté du
multi, du pluri, du trans et de l’inter, voire à en dériver
alterculturalité et alterculturation. Mais on s’en tiendra ici à
l’existant.

5. Présentation du présent ouvrage

Ce volume est issu d’une réunion scientifique1 dont l’un des


ateliers avait pour titre Regards critiques sur la question
interculturelle. Les intervenants qui s’y sont retrouvés ont
proposé des travaux qui, à notre sens, contribuent à replacer le
concept d’interculturalité au centre des interrogations, pas
nécessairement pour l’évacuer, mais plutôt pour lui restituer une
fonction critique réaffirmée en sciences humaines et sociales,
notamment en sociolinguistique et en didactique des langues-
cultures. Les disciplines de recherche et de formation, les
parcours individuels et les contributions de plusieurs jeunes
chercheurs, les terrains, les expériences linguistiques et
culturelles qu’ils ont vécues permettent, par leur diversité, de
susciter ces interrogations critiques.
Nous avons organisé ce volume en allant des réflexions
théoriques, qui synthétisent et recadrent la notion et ses usages,
jusqu’à des terrains divers et très concrets, en passant par des
textes d’élaboration, de prescription et de mise en œuvre de
choix didactiques. Pour conclure sur une ouverture, un texte
propose une lecture épistémologique de la question transversale
pour l’interculturalité de l’interprétation.

1
Le colloque Langue(s) et Insertion (discriminations, normes,
apprentissages, identités…) du Réseau Francophone de
Sociolinguistique et du GIS Pluralités Linguistiques et Culturelles,
tenu à l’université Rennes 2 les 16, 17 et 18 juin 2009.
21
Albin Wagener, de formation philosophique, revisite les
relations entre le concept de culture, que celui d’interculturalité
met en question au moins autant qu’il en affirme la nécessité, et
le concept d’interculturalité lui-même, en introduisant et en
discutant celui d’intraculturalité. Il conclut à la nécessité d’une
approche dite contextique (d’autres diraient contextualisée ou
située), de toute recherche interculturelle.
Damien Le Gal, partant d’une recherche en cours sur la
contextualisation de l’enseignement-apprentissage du français
au Brésil, poursuit cette interrogation théorique en revisitant lui
aussi, mais d’un point de vue directement didactique, la
constellation conceptuelle de l’interculturalité. Il envisage en
outre des pistes de transposition didactique en s’appuyant sur la
notion de dialogicité de la culture.
Se plaçant sur un terrain différent, celui du renouvellement
de l’enseignement du français en formation initiale an Algérie,
Malika Kebbas analyse l’ensemble des textes officiels (rapports
de commissions, programmes, manuels officiels…) pour y
rechercher l’introduction d’une approche interculturelle. Elle
montre que si l’intention est bel et bien là, elle n’est pas
concrétisée in fine dans les manuels officiels qui constituent la
base essentielle de travail des enseignants et des élèves. Elle
plaide pour une mise œuvre effective de ces orientations qui,
dans un contexte plurilingue complexe et une situation
sociopolitique tendue, rencontre des obstacles mais pourrait
constituer une ressource primordiale pour l’éducation de la
jeunesse algérienne.
C’est sur un terrain très concret que Nathalie Auger et
Christina Romain mettent le doigt sur ce que l’on pourrait
appeler une « incongruence », mieux qu’une incohérence : des
discours enseignants > enseignés fortement empreints de
malentendus interculturels, alors même que l’enseignant
observé devrait pouvoir être soucieux des facteurs interculturels
puisqu’il s’agit de cours de langue-culture, en l’occurrence de
français. Elles comparent pour cela des classes de français dit
« langue première » (déjà approprié par les élèves) et de
français dit « langue étrangère » à des élèves migrants
22
récemment arrivés en France. Leur conclusion est que les
malentendus interculturels sont au moins aussi prégnants en
situation de langue « première » qu’en situation de langue
« étrangère », parce que la maîtrise d’une langue partagée (mais
en fait elle-même diverse) dissimule des différences culturelles
auxquelles les enseignants ont été moins préparés que leurs
collègues intervenant avec des élèves réputés étrangers ». Des
pistes d’intervention en formation des enseignants en découlent
aussitôt.
Michèle Levacic-Burkhardt investit elle aussi, dans une
recherche en cours, la question de l’ « agir professionnel », en
l’occurrence celui de médecins allophones intégrés dans des
hôpitaux français. Elle décrit et analyse, à l’aide du concept de
mimesis sociale issu d’une approche anthropologique de la
communication, la façon dont ces médecins mobilisent leurs
compétences culturelles et professionnelles préalables pour les
adapter à leur nouvel environnement professionnel en tâchant
de croiser ce qu’ils savent et ce qu’ils observent (souvent avec
un recours initial très limité à une langue partagée, ici le
français). Les stratégies étudiées confirment la pertinence d’une
approche actionnelle aujourd’hui développée en didactique des
langues-cultures et plus évidemment encore dans une
perspective plurilingue et interculturelle.
Anne-Sophie Calinon étudie la perception de la part
culturelle de l’enseignement du français que reçoivent des
migrants au Québec. Elle montre comment un enseignement, au
fond assez traditionnel, centré sur les structures linguistiques,
peu ouvert à des aspects culturels eux-mêmes réifiés, les
prépare mal à leur insertion sociale et renforce même chez eux
la demande d’un enseignement de ce type et, de fait, la
négligence de la question des compétences à interagir en
contexte socioculturel. Elle plaide pour le développement d’une
véritable didactique plurilingue et interculturelle au service de
ces personnes.
Marc Debono étudie le cas original d’une formation
juridique en français à des étudiants plurilingues venant
d’autres espaces culturels, cas tout à fait significatif des enjeux
23
interculturels assumés ou non. Il montre à quel point
l’enseignement y est centré sur une approche qu’il nomme
« techno-terminologique », qu’il s’agisse des manuels de
français juridique ou de l’exemple d’une formation franco-
chinoise. L’absence totale de problématisation interculturelle
non seulement de la langue, mais surtout du droit, est analysée
comme une incohérence majeure. La conclusion en est sans
appel, en insistant fort justement sur la nécessité de replacer en
priorité ce qui est au cœur et du droit et de la langue :
l’interprétation et la pluralité.
Enfin, Didier de Robillard et Marc Debono revisitent
l’histoire de l’approche interprétative et resituent ainsi la
démarche interculturelle dans une démarche herméneutique
commune aux activités humaines et sociales, non pour l’y
diluer, mais pour en affirmer la pertinence transversale dès lors
qu’elle est problématisée dans sa radicalité fondamentale.

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Alors même que le Conseil de l’Europe a publié fin 2008


son Livre blanc sur le dialogue interculturel1, afin de diffuser
un certain nombre de recommandations sur des questions clé
pour l’entente entre les peuples et les nations d’Europe, les
avancées concernant la communication interculturelle
commencent à présenter des résultats stimulants, tout en
définissant un certain nombre de limites. Une définition de la
culture telle que l’avait proposée l’anthropologie structuraliste
ne parait plus à l’ordre du jour ; une simple classification des
comportements culturels reste une réponse trop encyclopédique
lorsqu’il s’agit de pouvoir faciliter le dialogue entre les êtres
humains. De même, l’essor des recherches en communications
interculturelle et intraculturelle aboutit à quelques questions
essentielles, de sorte que les différents acteurs de ces questions
se retrouvent dans un tournant important. En institutionnalisant
ces questions, n’est-on pas en train de les simplifier, alors
même que leurs bases restent à approfondir ? Qu’en est-il des
différences fondamentales entre les signes interculturels et

1
Livre blanc sur le dialogue interculturel, suite à la 118ème session
ministérielle des ministres des affaires étrangères du Conseil de
l’Europe (Strasbourg, 7 mai 2008).
30
intraculturels ? Après plusieurs décennies de travaux dans ces
domaines, ne serait-il pas bon de revenir sur le concept de
culture, qui semble trop souvent se confondre avec les concepts
de nation ou de civilisation ? Pourquoi certains chercheurs
parlent-ils de langue-culture1, et pourquoi d’autres estiment que
les recherches entreprises de nos jours ne concernent plus la
culture à proprement parler2 ? A force d’entreprendre un certain
nombre de travaux dans ce champ d’investigation mêlant à la
fois anthropologie, psychologie, sociologie et sciences du
langage, n’est-on pas précisément en train de construire un
objet de recherche dont le cœur humaniste et universaliste reste
paradoxalement flou et intransigeant ?

1. Ontologie de l’interculturalité et de
l’intraculturalité

La différence entre interculturalité et intraculturalité parait


ne pas faire de doute. Un certain nombre d’ouvrages et
d’articles y sont régulièrement consacrés et en présentent les
délimitations élémentaires. A priori, si l’on pose la question de
cette différence, la réponse peut paraître apparemment simple,
voire foncièrement évidente : l’interculturalité se charge
d’étudier les relations entre individus de culture différente, alors
que l’intraculturalité se focalise sur l’analyse des rapports entre
individus de même culture. Pourtant, lorsque l’on souhaite
analyser la pertinence de ces définitions, l’on se rend compte
que celles-ci relèvent souvent plus d’une vue de l’esprit que
d’une réalité observable et objectivement délimitée. Le
problème est notamment soulevé par Lin Ma, qui analyse la
situation d’un point de vue plus philosophique, hérité
notamment de la pensée de Wittgenstein. Ce faisant, elle part du

1
M. Agar. Language Shock : Understanding the Culture of
Conversation. New York : HarperCollins. 2002.
2
L. Ma. “Is there an Essential Difference between Intercultural and
Intracultural Communication?”. In Journal of Intercultural
Communication, 6. 2004.
31
principe que le principal problème de cette différence vient
d’une définition de la communication qui reste empreinte d’une
terminologie réductionniste, assimilant l’échange culturel et/ou
linguistique à la formulation et la réception d’un code ou d’un
ensemble de signes codifiés. Ainsi, Ma parvient à isoler un
éclairant problème de définition, venue d’une tradition quasi-
positiviste, qui tente de mécaniser la communication humaine
en lui assignant un ensemble de causes, d’effets de fonctions.

« Les individus qui grandissent dans des environnements


politiques, géographiques et sociaux différents, utilisent des
langues différentes et adhèrent à des habitudes de vie différentes
sont souvent perçus comme étant issus de cultures différentes. Ces
cultures tendent à être conçues comme des totalités homogènes et
statiques fermées sur elles-mêmes et isolées les unes des autres. En
conséquence, un individu est vu comme étant plus ou moins
déterminé par la communauté culturelle à laquelle il semble
appartenir, en termes de cognition, de valeurs, de comportements
verbaux et non verbaux, entre autres. Cependant, ces
caractérisations sont extrêmement idéalistes. Il est vrai que les
langues, les coutumes et les habitudes peuvent être très différentes,
mais entre elles, il existera toujours un degré de similarité et
d’analogie. Les différences comme les similitudes ne sont pas
absolues, mais se produisent en termes de manifestations concrètes
d’aspects divers, ou devraient être vues comme telles. De surcroît,
ces différences et ces similitudes sont toujours ouvertes à des
déterminations encore plus concrètes ou à des révisions
substantielles. Il est ainsi erroné de les concevoir en termes de
différences et de similitudes entre des ‘cultures’ hypostasiées »1.
A dire vrai, tout comportement, qu’il soit ou non considéré
comme culturel, est d’abord une émergence correspondant à
une réponse à un environnement donné ; de plus, chaque société
tente d’apporter des réponses adaptées à des questions
fondamentales qui ont autant à voir avec les caractéristiques
ontologiques de l’espèce humaine qu’avec des singularités
écologiques. En d’autres termes, même si chaque « culture »

1
L. Ma, op. cit. ; notre traduction.
32
tend à décliner des comportements variés et distincts, ceux-ci
répondent néanmoins à des questions sociétales essentielles :
comment organiser un groupe ? Quelle place donner à chacun ?
Comment ritualiser les différentes étapes de la vie, comment les
définir ? Comment mettre en place des activités communes et
individuelles ? Comment faire survivre la société ?
D’un autre point de vue, Peter Winch estime que le
simple fait de parler de communication interculturelle distingue
par avance deux entités culturelles comme significativement
isolées et originales. Ce faisant, il met en exergue une absurdité
relative concernant le schisme entre interculturalité et
intraculturalité : « Il est en tout point erroné d’effectuer une
distinction grossière entre ‘notre culture’ et une ‘culture
étrangère’ ; certains éléments de ‘notre’ culture peuvent ‘nous’
paraître étrangers. En effet, certains de ses éléments peuvent
paraître plus étrangers que des manifestations culturelles qui
sont géographiquement ou historiquement éloignées »1. En
soulignant une telle expérience, Winch brouille littéralement les
limites entre interculturalité et intraculturalité, montrant ainsi
qu’un rapport intraculturel peut nous paraître tout autant
énigmatique et inexplicable qu’un rapport interculturel. Afin de
soutenir les points de vue de Ma et Winch et exposer une
analyse plus pragmatique de cette différence (ou plutôt de ce
manque de différence), nous souhaitons proposer quatre
exemples de situations de communication où interculturalité et
intraculturalité sont au mieux inopérantes, au pire tout
simplement hors de propos. Pour ce faire, nous nous attarderons
principalement sur quatre dimensions au sujet desquelles les
comportements individuels et groupaux peuvent diverger, à
savoir le temps (notamment la perception du retard), le contact
physique, le contact visuel et le passage du vouvoiement au
tutoiement.

1
P. Winch, "Can We Understand Ourselves?". In Philosophical
Investigations, 20: 3, 193-204. 1997 ; notre traduction.
33
1.1. Le Temps
Le facteur temporel est très souvent cité en exemple lorsqu’il
s’agit de réaliser des travaux interculturels. Depuis les travaux
d’E.T. Hall1 à propos de cette dimension, nombre d’éléments
ont évolué. Hall lui-même rappelle que le temps est avant tout
pris en compte comme outil de synchronisation sociale. D’un
point de vue anthropologique, une société s’organise ainsi à
travers ses activités, ses célébrations et ses rituels par un
ancrage plus ou moins défini dans le temps. Ce facteur permet
aux individus de se baser sur des repères relativement stables
quant à leur rapport au groupe. En revanche, pour diverses
raisons, le battement rythmique du temps est susceptible d’être
modifié suivant les individus et les groupes. En raison d’un
nombre important de constructions stéréotypiques, nous avons
différentes visions de certaines « cultures » quant à leur relation
au temps. Et même lorsque des études comportementales sont
effectuées à grande échelle - comme celles, bien connues, de
Geert Hofstede2 -, c’est avant tout pour dégager des tendances
statistiques qui ne font pas foi en termes de règle
comportementale.

Au-delà des différences classiques entre « culture


monochrone » et « culture polychrone », nous souhaitons ici
nous attacher plus particulièrement à l’étude du retard comme
symptôme du rapport au temps. Les occurrences de retard sont
suffisamment répandues et universelles pour que nous soyons
en mesure d’y consacrer une analyse comparative entre rapports
interculturels et intraculturels. Nous choisissons ainsi d’utiliser
un cas interculturel relaté par Emmanuelle de Pembroke et
Montgomery, tout à fait typique des représentations
scientifiques que nous nous faisons généralement des études

1
E.T. Hall, Le langage silencieux. Paris : Seuil. 1978.
2
G. Hofstede, Culture' s Consequences: comparing values,
behaviors, institutions, and organizations across nations. Thousand
Oaks : Sage Publications. 2001.
34
interculturelles. Dans ce cas précis, il s’agit d’exposer les
réactions d’une population japonaise expatriée à Paris :
« Les femmes se plaignent des services et les hommes s’en
plaignent par solidarité avec leur épouse. ‘Les techniciens et les
livreurs ne précisent pas l’heure, ni même parfois le jour. Nous y
sommes habitués et nous ne sommes plus impatients, mais c’était
très difficile pour ma femme au début’. (…) Une seule chose
continue de les choquer : le fait que l’interlocuteur ne s’excuse pas.
Alors ce comportement est qualifié d’incroyable et
d’incompréhensible. Ce n’est donc pas tant le retard qui est source
de frustrations, mais le manque de respect exprimé par cette
attitude. En effet, au Japon encore davantage qu’ailleurs, la
ponctualité est révélatrice de la considération accordée à la
personne. Or, s’il existe un pays où le client est roi, c’est en tout
premier lieu au Japon. (…) Pour les femmes japonaises, le lieu des
achats est un des domaines où elles dominent et où elles ont le
pouvoir. Se voir refuser cette prérogative, c’est tout simplement
avoir l’impression de ne plus compter. Ce manque de respect est
particulièrement blessant, car il touche à leur identité. Certaines
femmes expatriées japonaises (…) ont affirmé avoir tout
simplement perdu leurs moyens et fondu en larmes au cours d’un
de ces malentendus »1.
Nous avons nous-mêmes utilisé ce cas afin d’en faire une
étude des réactions émotionnelles liées aux incompréhensions
comportementales et aux conflits interactionnels, et les études
d’E. de Pembroke et Montgomery sont enrichissantes de ce
point de vue. Toutefois, il est utile de prendre en compte
l’intégralité du contexte présenté ici ; la recherche fait état
d’une situation impliquant la venue hypothétique de techniciens
et de livreurs. D’un point de vue purement interculturel,
évidemment, la vision de la ponctualité japonaise se trouve
renforcée face à une société française présentée comme
désorganisée et floue dans les repères qu’elle est censée
manipuler. Toutefois, si nous présentions la même situation
avec des clients français, il y a peu de chance pour que leur
réaction soit absolument compréhensive. Combien d’entre nous

1
E. de Pembroke et Montgomery, Vers une pédagogie de la
communication interculturelle. Paris : ANRT, p.250-251. 1996.
35
ont déjà fait l’expérience de ce genre d’attente ? Avons-nous
alors réellement pensé : « c’est normal, je suis français, je suis
en France, c’est un comportement auquel je suis habitué et qui
ne me perturbe absolument pas » ?

Si nous comparons les schémas interculturels et


intraculturels d’une telle interaction, nous serons logiquement
en mesure de penser qu’il n’y a aucune différence de réaction.
Certes, les raisons qui poussent un individu japonais et un
individu français de trouver ce retard exaspérant peuvent être
variables, mais il y a peu de chance pour que le résultat soit
résolument différent. Qui plus est, les situations sociales
concernant la tolérance au retard sont elles aussi variables. Quel
que soit le pays, il est de fait qu’un retard entre amis est
nettement plus acceptable qu’un retard sur le lieu de travail, par
exemple. De surcroît, si nous observons les faits et gestes de la
population étudiante, nous seront assez rapidement en mesure
de penser que le retard sera plus ou moins toléré de la même
manière, que l’on se trouve à Paris, Berlin ou Tokyo. Après
avoir interrogé quelques étudiants japonais1, je fus notamment
surpris de leur vision du retard : s’ils admettaient volontiers
qu’il fallait toujours arriver à l’heure en classe, ils estimaient
qu’entre amis, le retard n’était pas réellement un facteur de
dispute ou d’inconfort, bien au contraire ; pis encore, ils furent
même surpris de ma remarque, mettant ainsi en lumière ma
conception apparemment plutôt rigide de la tolérance nippone
au retard. En Allemagne également, le stéréotype de la
ponctualité laisse vite place à la réalité situationnelle : si
effectivement, il est tout à fait inconvenant d’arriver en retard
au travail, les relations amicales ne sont pas durement touchées
par cette intolérance. Finalement, il s’agit bien plus d’une
différence contextuelle que résolument « culturelle » : quel que

1
Nous disposons dans notre université d’une structure appelée
CIDEF (Centre d’apprentissage du français pour étudiants étrangers)
qui accueille des apprenants du monde entier, ce qui nous permet
d’être au plus près des préoccupations interculturelles.
36
soit le pays, arriver en retard au travail est une faute
professionnelle qui peut être légalement sanctionnée si elle se
trouve répétée. Dans d’autres structures (qu’il s’agisse de
laboratoires de recherche ou de certaines associations, voire
d’entreprises), quel que soit le pays d’implantation, encore une
fois, le retard peut être toléré, dans la mesure où il est compensé
par l’accomplissement d’un certain nombre d’heures
journalières1. Dans une telle complexité écologique, où se
trouve la différence entre ces prétendues différences
interculturelles et intraculturelles ? Bien qu’il existe
probablement des différences culturelles au sens large du terme,
l’analyse d’interactions quotidiennes ne peut que les représenter
que partiellement.

1.2. Le contact physique


Alors que l’exemple du temps pouvait renvoyer à des
comportements plus individuels que culturels, la complexité du
rapport au contact physique regorge de subtilités moins
évidentes à analyser. Un certain nombre d’études
anthropologiques2 ont montré que les « cultures » pouvaient
répondre à différents « ethos ». Il est ainsi supposément admis
qu’en Europe, plus nous nous rapprochons de la Méditerranée,
plus les « cultures » sont présentées comme chaleureuses et
promptes au rapprochement. En réalité, une nouvelle fois, une
telle vision relève bien plus du stéréotype véhiculé au hasard
que d’une observation objective. En réalité, le contact physique
est géré bien plus de manière interindividuelle que de façon
sociétale. Afin de développer ce point de vue, nous choisissons
d’étudier une interaction américano-japonaise relatée par
Loveday, à la fois relativement amusante et extrêmement
révélatrice des différentes variétés des contacts physiques :

1
Nous avons notamment en tête les exemples d’un laboratoire de
recherche bordelais et d’un cabinet de traduction parisien.
2
Nous renvoyons à nouveaux aux ouvrages exhaustifs d’E.T. Hall
et Geert Hofstede, précédemment cités au cours de cet article.
37
« Lorsque j’eus fini ma première heure d’enseignement et que
je me préparais pour quitter la classe, une étudiante américaine
m’interpella. Elle était plus grande que moi et me sembla plutôt
imposante lorsqu’elle se dirigea vers moi. Je la regardai
s’approcher de plus en plus près jusqu’à ce qu’il me sembla
pouvoir la toucher si je levais la main. C’était mon premier cours,
et je ne savais pas du tout s’il s’était bien déroulé, de sorte que,
même si elle n’avait pas l’air en colère, je me demandais si elle
n’allait pas se plaindre de quelque chose. Son expression faciale
n’était absolument pas si menaçante, mais elle s’approcha si près de
moi que je fis involontairement un pas en arrière. Mais lorsque je
fis cela, elle fit un pas de plus vers moi. J’eus l’impression d’être
poursuivi par cette grande étudiante qui me surplombait, et je
reculai une seconde fois. Cependant, le tableau noir était derrière
moi, de sorte que je me retrouvai incapable de reculer plus loin. Je
me sentis gêné et fis un effort pour sourire. Mais elle s’approcha
manifestement de moi une nouvelle fois et dit qu’elle avait une
question. Cette expérience fut perturbante pour moi, parce que la
distance entre nous deux était bien plus réduite qu’elle l’est
normalement entre un homme et une femme japonais »1.
Ici, nous ne souhaitons pas précisément relever les termes
utilisés pour décrire l’étudiante américaine2 ; aussi préférons-
nous nous attacher à l’exploration d’une telle situation
interactionnelle. Au cours de la narration de cet exemple,
l’enseignant japonais explique sa réaction par la différence
existant entre les distances sexuées au Japon et aux États-Unis.
Mais explique-t-il cette réaction parce qu’il est déjà conscient
de ces différences, et qu’il les interprète a posteriori ? Ou bien
estime-t-il vraiment qu’une distance inconfortable a été
franchie ? D’autre part, cette étudiante américaine est-elle
réellement représentative des comportements en cours aux
États-Unis ? De quelle culture américaine est-elle ou de quelle
ethnie ? Une autre étudiante américaine se serait-elle comportée

1
L. Loveday, Explorations in Japanese Sociolinguistics.
Amsterdam : John Benjamins. 1986, p. 111 ; notre traduction.
2
Était-elle réellement imposante d’un point de vue purement
physique (ce qui pourrait mettre en lumière une différence de taille qui
aurait pu influencer la réaction du professeur japonais), ou bien était-
ce une interprétation a posteriori de la part de l’enseignant ?
38
de la même façon, ou bien était-ce une particularité
individuelle1 ? Le cas relaté par Loveday manque de données
contextuelles pour nous aider à prendre en compte l’intégralité
de ces paramètres, et il est évident que la situation qu’il expose
est avant tout circonstancielle et qu’elle s’inscrit dans un hic et
nunc entre deux personnes. De surcroît, nous ne sommes
absolument pas en mesure de mesurer la distance réelle entre les
individus et nous devons simplement nous baser sur la distance
ressentie par l’un des protagonistes.
Si nous nous basons exclusivement sur des différences
d’ordre supposément culturel, nous pouvons par exemple
constater un certain nombre de différences concernant des
comportements observés en Allemagne et en France, concernant
le contact physique. Pour ce faire, nous relatons un certain
nombre d’expériences répertoriées auprès d’étudiants des deux
pays :
- en France, lorsque deux étudiants se rencontrent pour la
première fois, ils auront tendance à se faire la bise ou
une poignée de main : il s’agit ici d’une salutation
conventionnelle ;
- en Allemagne, lorsque deux étudiants se rencontrent
pour la première fois, la tendance sera plutôt à la simple
salutation verbale, sans contact physique, avec parfois
un petit signe de la main.
En revanche, lorsque ces étudiants sont des amis proches,
nous observons alors une différence substantielle qui n’a plus
grand-chose à voir avec les stéréotypes circulant à propos des
Allemands, supposément plus « distants » et « froids » que les
Français :

- en France, lorsque deux amis se rencontrent, ils peuvent


se faire la bise, se donner une poignée de main ou

1
Y avait-il un enjeu dissimulé dans l’interaction, comme par
exemple un réel désir de séduction ? Les buts pragmatiques d’une telle
interaction ne peuvent pas non plus être déduits à partir de cette
anecdote interculturelle.
39
élaborer ce que l’on nomme un « check », soit une suite
partagée et codifiée d’un certain nombre de signes
physiques, le plus souvent manuels ;
- en Allemagne, lorsque deux amis se rencontrent, ils
pratiquent une franche et nette accolade, se serrant dans
les bras l’un de l’autre, pour une durée plus ou moins
longue.
Nous assistons ici à une invalidation relativement nette des
stéréotypes concernant les Allemands, puisque dans une
situation de proximité relationnelle, ceux-ci peuvent se
comporter de manière bien plus « méditerranéenne » que leurs
homologues français. En revanche, il convient de souligner le
fait qu’il s’agit ici d’une population jeune, ce qui contextualise
une nouvelle fois le contact physique en cours. La proximité
physique ou l’utilisation de certains codes de contact sont
conditionnés par la personne que l’on a en face de soi (amis,
famille, collègue professionnel) et le contexte dans lequel on se
trouve (lieu de travail, soirée, etc.). Pour autant, ce genre de
comportement relève tout autant de données éducatives et
psychologiques que sociologiques ou culturelles. Ici encore, les
différences interculturelles et intraculturelles ne restent
tangibles que si l’on admet utiliser un filtre analytique qui crée
notre objet observé. Dans les faits occurrents, interculturalité et
intraculturalité peuvent tout à fait se confondre en ce qui
concerne les tolérances au contact physique.

1.3. Le contact visuel


D’un point de vue interculturel, le contact visuel est bien
souvent cité comme facteur de différenciation. Au cœur de
notre université, nous l’expérimentons tout au long de l’année
avec les étudiants étrangers japonais, qui sont censés cultiver
une nette tendance à l’évitement avec leurs professeurs.
Pourtant, il est clair que là encore, il s’agit bien plus d’une
affaire d’individus que d’une règle groupale immuable. Bien
qu’il soit indéniable qu’une partie de nos étudiants japonais
préfèrent se passer de contact visuel, certains ne rentrent pas
40
dans cette catégorie et n’ont aucun mal à soutenir le regard des
enseignants. Comment expliquer ce genre de comportement, si
nous en restons uniquement aux études anthropologiques et
culturelles ? Il devient difficile de donner une explication qui
cadre avec les typifications établies concernant la « culture
japonaise ». D’un point de vue plus général, il est établi que le
contact visuel est une composante essentielle de l’interaction
humaine, comme le rappelle avec justesse Bernard Conein1. De
surcroît, pour Catherine Kerbrat-Orecchioni, le contact visuel
est décliné de différentes manières suivant l’appartenance
culturelle des interactants2. Bien évidemment, notre but n’est
pas de nier la possible influence culturelle à propos de ces
comportements, mais nous tenons à rappeler que toute situation
est avant tout contextualisée et que des études statistiques ne
font que refléter une tendance due à une addition de situations
de communication particulières3. Nous serons toujours enclins à
expliquer ces résultats selon différents schémas (psychologique,
sociologique, éducatif, etc.), mais nous devrons garder en
mémoire que nos explications sont elles-mêmes des
interprétations héritées d’outils scientifiques théoriques. Il
conviendra donc de ne pas oublier que « l’observateur participe
à la création de ce qu’il observe »4, selon les avancées des
théories systémiques, et que le contact visuel n’échappe pas à
cette règle.

Afin de mettre l’accent sur la similarité entre interculturalité


et intraculturalité, nous souhaitons poser en exergue l’exemple
éclairant du monde des sourds. Nous sommes nous-mêmes en

1
B. Conein, « Les sens sociaux : coordination de l’attention et
interaction sociale ». In IntellecticaI, 1/2 : 26/27, 181-202. 1998.
2
C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales. 3/ Variations
culturelles et échanges rituels. Paris : Armand Colin. 1998, p. 24.
3
Qui plus est, les chiffres obtenus lors d’études statistiques ne
représentent jamais une vérité universelle mais plutôt une courbe de
résultats observés selon une matrice d’étude bien particulière.
4
B. Cyrulnik, De la parole comme d’une molécule. Paris : Eshel.
1995, p. 24.
41
1
contact avec des personnes sourdes, notamment via l’IRIS , et
nous avons pu remarquer une tendance nette à l’augmentation
du contact visuel chez les individus sourds. Bien évidemment,
ceux-ci ont besoin d’un contact visuel plus soutenu pour
pouvoir interagir en langue des signes ; cependant, une telle
activité visuelle va également se ressentir dans une conversation
entre un sourd et un entendant. Ainsi, l’acuité du regard aura
tendance à être plus élevée chez une personne sourde2. Pour
autant, peut-on dire qu’il s’agit là d’une « culture sourde »,
alors même que ces personnes sourdes sont elles aussi
françaises ? Ou bien ce comportement est-il avant tout
conditionné par la surdité ? Peut-on raisonnablement imaginer
que toutes les personnes sourdes à travers le monde partagent ce
même trait expressif ? Le cas des individus sourds, qui permet
d’effectuer un lien très fort entre langue et « culture » (ou
ensemble de traits comportementaux), rend une nouvelle fois
plus diffuse la différence réelle entre situations interculturelles
et intraculturelles, dans la mesure où les réalités pragmatiques
semblent ne pas obéir à un tel schisme, mais simplement
s’articuler selon l’environnement interactionnel du moment, les
besoins des interactants, leurs influences respectives et leurs
adaptations au contexte donné. En termes d’adaptation
notamment, si nous revenons aux interactions entre sourd et
entendant, il y a de fortes chances pour que les entendants
puissent s’appliquer à augmenter la persistance de leur contact
visuel lorsqu’ils conversent en langues des signes avec un
individu sourd. Une nouvelle fois, c’est bien la situation qui
prime sur la prétendue primauté des comportements dits
« culturels ».

1
Institut de Recherche sur l’Implication de la langue des Signes
française.
2
Au départ, certains entendants ont tendance à qualifier ce contact
visuel de « gênant », avant de s’y habituer.
42
2. Déconstruction et reconstruction du concept de
« culture »

Si nous utilisons des guillemets en manipulant le terme de


« culture », ce n’est pas tant par provocation stylistique que par
réel souci scientifique, comme le sous-entend l’objet même de
ce travail. Après avoir effectué une analyse comparative des
relations interculturelles et intraculturelles, nous sommes en
mesure de poser la question suivante : si la culture se résume à
un ensemble de comportements partagés par un groupe
d’individus pour harmoniser la vie en société, où se retrouvent
ces comportements lorsque l’on compare interculturalité et
intraculturalité ? Selon nous, puisque le pivot conceptuel de ces
deux notions est la « culture », il convient de se pencher sur les
définitions accordées à ce terme afin de comprendre les
implications latentes de la confusion entre interculturalité et
intraculturalité.

2.1. Approche critique des conceptions de la « culture »


Au fur et à mesure des évolutions en sciences humaines, la
« culture » a pris une place de plus en plus importante.
Originellement délimité par l’anthropologie, ce concept
nucléaire a commencé à satelliser autour des sciences du
langage, de la psychologie, de la sociologie et des sciences de
l’éducation, avant de les intégrer et d’en devenir une
composante essentielle. Cependant, en raison de la grande
variabilité de ses applications, ce concept dispose d’une palette
de définitions relativement variée. Dès les années soixante,
l’anthropologue Ward H. Goodenough propose la délimitation
suivante :
« la culture d’une société représente tout ce qu’un individu doit
savoir ou croire afin d’opérer de façon acceptable pour les membres
43
de cette société, et afin de le faire pour tout rôle que chacun accepte
pour soi-même »1.
Cette vision de la « culture », conforme aux visées
anthropologiques de son époque, pose les bases d’une version
de ce concept qui persiste encore de nos jours. Comme
l’anthropologie dispose d’une primauté ontologique quant au
maniement de ce concept, elle a durablement influencé notre
acceptation de ce terme et de ses applications. Chez
Goodenough, la notion de culture est ainsi liée aux
comportements partagés, aux rôles sociaux joués afin de
maintenir un certain équilibre, et à un code communicationnel
commun permettant une circulation de l’information en
adéquation avec les croyances et les actions de cette société.
Cette vision de la culture reste ainsi relativement élémentaire et
ne tend pas nécessairement à délimiter la culture dans un espace
géographique ou politique précis. Cependant, Goodenough
insiste sur une dimension consciente de la culture (selon lui, les
membres d’un groupe doivent savoir ou croire) qu’Edward T.
Hall corrigera par la suite, en y injectant les notions de
dimensions non conscientes. Qui plus est, cette conscientisation
des traits culturels atteint son apogée chez Goodenough avec le
« jeu de rôles » qu’impliquerait la vie en société. Or, il est de
fait que nous n’avons pas nécessairement conscience de tous
ces éléments en tant qu’interactants, et que ceux-ci s’expriment
bien souvent à travers nous, sans que nous ne les contrôlions.
De plus, la notion d’acceptabilité des comportements se trouve
fortement remise en question par les études intraculturelles, qui
font état de bon nombre de différences expressives à l’intérieur
même des « cultures ». Plus tard, Knapp et Knapp-Pothoff
ajoutent au concept « un noyau plus ou moins partagé constitué
d’images du monde, de représentations des valeurs, de manières

1
W. H. Goodenough, « Cultural Anthropology and Linguistics ». In
D. Hymes (Ed.), Language in Culture and Society. A Reader in
Linguistics and Anthropology. New York : Harper & Row. 1964, p.
36. (notre traduction).
44
de penser, de normes et de conventions »1, ce qui permet à la
« culture » de préciser ses traits sociétaux et de sortir du jeu de
rôle imaginé par Goodenough. Toutefois, un tel apport permet
d’installer la « culture » dans une conception déterministe tout à
fait analogue à la linguistique anthropologique de Benjamin
Whorf et qui prive l’interactant de tout libre arbitre. Celui-ci se
retrouve lié à des manières de penser qui conditionnent toutes
ses actions, sans qu’il en soit nécessairement conscient. La
culture devient ainsi une prison dorée qui permet d’organiser le
monde et la société tout en niant les capacités créatrices et
réflexives de l’individu.
Une autre approche consiste à approfondir le caractère
sémantisant du concept de « culture », en mettant l’accent sur
ses fonctions de mise en signes et en symboles du monde et de
la société. Carmel Camilleri est partisan d’une telle approche.
« La culture est l’ensemble plus ou moins fortement lié des
significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que
les membres d’un groupe, de par leur affiliation à ce groupe, sont
amenés à distribuer de façon prévalente sur les stimuli provenant de
leur environnement et d’eux-mêmes, induisant vis-à-vis de ces
stimuli des attitudes, des représentations et des comportements
communs valorisés, dont ils tendent à assurer la reproduction par
des voies non génétiques »2.
Ainsi, dans une telle perspective, la culture n’est plus
réellement un ensemble partagé de normes, de conventions ou
d’opérations sociétales, mais plutôt une façon de signifier le
monde. En d’autres termes, par analogie linguistique, nous
pourrions arguer du fait que Camilleri utilise une dichotomie
saussurienne afin de montrer que la culture permet de signifier
un certain nombre d’éléments sociétaux de notre rapport au

1
K. Knapp, A. Knapp-Pothoff, « Interkulturelle Kommunikation ».
In Zeitschrift für Fremdsprachenforschung, 1, 62-93. 1990, p. 65 ;
notre traduction.
2
C. Camilleri, « La culture et l’identité culturelle : champ notionnel
en devenir ». In C. Camilleri et M. Cohen-Emerique (Eds.), Chocs de
cultures : concepts et enjeux pratiques de l’interculturel, 21-76. Paris :
L’Harmattan. 1989, p. 27.
45
monde. Qui plus est, la persistance d’une perméabilité aux
stimuli induit une dimension résolument cognitive de la culture.
Cependant, ici encore, la « culture » semble présentée comme
un filtre fixe et délimité qui, malgré l’évolution de la
reproduction, tiendrait compte d’une certaine conscientisation
des interactants. En d’autres termes, les fonctions culturelles
selon Camilleri sont la signification d’une part et la
reproduction de l’autre, sans toutefois expliquer l’origine de ce
besoin de signification, ni la fonction réelle d’une telle
reproduction. Ce faisant, Camilleri analyse deux fonctions
élémentaires de toute activité humaine que l’on retrouve
également dans le langage, sans mettre l’accent sur les besoins
des individus, voire même des groupes et en évitant de les y
relier. En d’autres termes, l’on retrouve ici une définition qui
souffre des mêmes points faibles que le cognitivisme dans sa
forme la plus élémentaire, qui décrit un processus entrée /
sortie, reproduit ici dans la formulation stimuli / signification,
ce qui ne semble pas réellement souligner l’importance des
besoins individuels et groupaux.
L’approche psychologique, qui s’intéresse désormais de très
près aux questions interculturelles dans une perspective
apparemment interindividuelle, propose bien souvent une
définition de la « culture » qui va dans le sens des autres
sciences humaines précédemment évoquées. Malgré son désir
de mettre l’accent sur les relations entre individus, André Sirota
reste dans les sillons tracés par l’anthropologie structuraliste :
« La culture, au sens anthropologique, désigne ce qui équipe les
individus de capacités de vivre, de penser et d’agir de façon adaptée
au monde qui les environne et qui leur donne des capacités de
transformation créatrice d’eux-mêmes et du monde. Par la culture,
l'individu est doté d’un appareil à penser et se représenter la
société, sa place et son rapport à celle-ci, ainsi que les relations des
individus entre eux. La culture donne à l’individu la capacité de
communication avec son environnement, et, par un travail et des
techniques partagés avec d' autres, elle lui permet une intégration
sociale. L’être humain cherche l’autre, le groupe, la société pour
46
réaliser, par construction culturelle, ce qu’il ne peut produire seul
étant donné son incomplétude, fondatrice de l’humanité »1.
Malgré le fait que l’auteur insiste sur la dimension
individuelle de l’expression culturelle, la « culture » est
toujours représentée comme une entité stable, un « appareil à
penser et se représenter la société » qui détermine l’intégralité
de notre vie quotidienne, y compris les relations que l’on peut
cultiver ou développer avec autrui. La psychologie trouve dans
le concept de « culture » un outil idéal pour expliquer les
symbolisations des individus ainsi que leurs problématiques
personnelles, simplifiant ainsi au maximum à la fois la
complexité de l’être humain, qui ne cherche plus à être compris
dans son intégralité mais dans la vision simplifiée que l’on
essaye d’en avoir, et également la complexité de la « culture »,
qui est vidée de son rapport à l’individu, précisément.

D’après nous, les approches culturelles de ces dernières


décades souffrent des mêmes vices que la linguistique
structurale pré-énonciativiste :
- relégation au second plan des individus ;
- relégation au second plan de l’explication des besoins
sociaux ;
- relégation au second plan des contextes d’expressions
culturelles.
Qui plus est, qu’il s’agisse des définitions de Camilleri,
Goodenough ou même Demorgon, qui hérite d’une approche
parfois trop structuraliste en définissant la « culture » comme
« construit, diversement codé, pour être partagé entre les
membres d’une même société »2, le concept de « culture » est
trop souvent présenté comme un ensemble aux particularités
certes évolutives et variables, mais dont l’unicité semble
influencer tous les comportements des interactants, bien que

1
A. Sirota, « Des espaces culturels intermédiaires ». In Revue
internationale de Psychosociologie, 9, 91-107. 1998.
2
J. Demorgon, Complexité des cultures et de l’interculturel. Paris :
Anthropos. 2004, p. 37.
47
ceux-ci puissent être en mesure de créer ou non de nouveau
codes. En d’autres termes, il s’agirait d’une sorte de programme
sémantico-cognitif qui s’exprimerait à travers nous et sur
lequel, bon an mal an, nous pouvons avoir une certaine
influence en retour, en le modifiant par rétroaction systémique ;
ce programme permettrait en outre de garantir une unité sociale
et un partage de codes susceptible de construire du sens. Une
telle vision quasi-mécaniste de la culture s’inscrit à la fois dans
un cognitivisme « boîte noire »1 et un structuralisme dont
l’idéologie quasi-obsessionnelle serait de pouvoir classer les
activités et les fonctions humaines en maximisant leurs
typifications et leurs délimitations strictes. Pourtant, notre vécu
semble en tout point s’opposer à une telle vision de la
« culture ». Prenons par exemple notre toute première
expérience culturelle, celle de la famille : les codes sont-ils
toujours partagés ? Où résident les significations qui sont
censées harmoniser la vie en groupe ? Comment se produisent
les désaccords et les conflits ? Et surtout, comment créer de
nouveaux codes sociétaux ? Comme nous pouvons le voir, dans
une structure aussi simple et restreinte, une telle conception de
la « culture » est déjà remise en cause. Une telle critique est
largement formulée par Paul Kay, qui met à mal les héritages
anthropologiques des définitions culturelles actuelles, revenant
ainsi sur les bases scientifiques du concept de « culture » :
« Une culture ne fournit pas de théorie unifiée du monde – ou
vision du monde – à ses détenteurs, pas plus que ne le fait une
langue. La culture consiste bien plus en une vaste batterie de
schémas qui représentent des événements et des états du monde.
Certains de ces schémas entrent en conflit avec d’autres.
Cependant, le conflit ne pose aucun problème aux utilisateurs de
cette culture parce que les individus ne croient pas en leurs items
culturels, ils les utilisent en fonction de ce que les occasions
permettent et exigent. En conséquence, une culture est comme une
boîte à outils conceptuelle qui contient des outils pour faire du sens
avec le monde. Ce n’est pas le genre d’élément qui est lui-même

1
L’être humain ou le groupe humain serait la boîte noire, alors qu’y
entrent des stimulus qui en sortent sous forme de significations et de
comportements.
48
supposé faire sens, pas plus que tous les outils contenus dans la
boîte n’ont à être mobilisés pour chaque activité (…). Les cultures
n’ont pas besoin de comprendre une vision du monde généralement
consistante, parce que les individus n’ont jamais besoin d’employer
toute leur culture d’un seul tenant. (…) Si les anthropologues
n’avaient pas assumé que les individus qu’ils étudiaient avaient des
visions du monde, les auraient-ils trouvées ? »1.

Pour Kay et d’autres chercheurs, la « culture » est à


réinventer. L’émergence de ce concept semble avoir évolué
dans un sens qui ne lui permet que difficilement de tenir compte
des besoins individuels. En dernier ressort, ce sont pourtant bien
les individus qui orientent les choix des groupes qu’ils
constituent, puisque ce sont eux qui en représentent les
ambassadeurs et les actants. En tant que telle, la « culture » ne
fait pas sens, pas plus qu’elle n’existe en tant qu’entité propre.
Certes, il existe certaines similarités comportementales
partagées ; peut-on pour autant universaliser ces
comportements ? La « culture » n’est pas aussi aisément
délimitable, et même si les outils hérités des sciences du
langage peuvent offrir un éclairage scientifique captivant, il
n’en reste pas moins que ses déclinaisons sont infiniment
complexes et qu’elle ne dispose pas d’une clarté
comportementale explicite ou conscientisée ; pourtant, c’est bel
et bien par analogie avec les conceptualisations nucléaires
proposées en sciences du langage que le concept de « culture »
pourrait être redéfini de façon plus pragmatique. Et à l’heure où
l’interculturalité et la diversité culturelle font partie des
objectifs politiques mondiaux, il est réellement urgent de revoir
notre définition de la « culture », sous peine de miner un terrain
déjà fortement fragilisé.

1
P. Kay, « Intra-speaker Relativity ». In J. J. Gumperz et S. C.
Levinson (Eds.), Rethinking linguistic relativity, 97-114. Cambridge :
Cambridge University Press. 1999, p. 110 ; (notre traduction).
49
2.2. Du retour aux expressions inter-individuelles
Lorsqu’un échange dit interculturel ou intraculturel émerge,
il nous faut revenir aux bases de cette interaction. Bien
évidemment, les interactants possèdent un certain nombre
d’influences, de possibilités comportementales et d’expressions
variables. Tous ces éléments peuvent être conditionnés par des
racines biologiques, psychologiques, sociologiques,
linguistiques, culturelles, éducatives et autres. En d’autres
termes, la rencontre fait d’abord intervenir des individus. Dans
une recherche précédente sur le désaccord interculturel1, qui ne
faisait pas encore état de nos doutes concernant les définitions
mentionnées ici, nous avions déjà mis l’accent sur l’extrême
volatilité des caractéristiques individuelles, en insistant sur
l’individu comme fruit d’interactions variées, qui crée lui-même
ses outils en fonction de ses différents conditionnements. Pour
autant, le concept de « culture » nous paraissait évident en ce
que sa définition était sous-entendue comme multiple et
adaptable, comprenant un nombre important de paramètres. Ici,
une « culture » est donc à comprendre au sens « agricole » du
terme, en accord avec la notion de terrain que nous employons
également :
« Les locuteurs sont ainsi continuellement soumis au
changement et à l’évolution tant qu’ils vivent dans une culture
particulière. En fait, les locuteurs n’interagissent pas avec ou ne
sont pas en interaction : ils sont interaction. Un individu peut être
défini comme un terrain commun sur lequel plusieurs influences et
conditionnements se rencontrent et convergent, ou même comme
un faisceau en continuelle évolution constitué de divers
paramètres : éducation, origines professionnelles histoire
socioculturelle, psychologie, même les humeurs ou la biologie
définissent les personnes comme des individus. Ils les conduisent à
vouloir ce qu’ils veulent, nécessiter ce qu’ils nécessitent, désirer ce
qu’ils désirent. En étant eux-mêmes de l’interaction, les locuteurs
se meuvent perpétuellement dans un univers sans cesse changeant

1
A. Wagener, « On Intercultural Disagreement : Interaction and
Inertia ». In Pragmatics applied to Language Teaching and Learning,
256-279. Cambridge : Cambridge Scholars Publishing. 2009, p. 274 ;
notre traduction.
50
qu’ils construisent avec les nombreux outils qu’ils forgent à partir
de leurs conditionnements et que leurs conditionnements forgent à
partir d’eux-mêmes »1.
En d’autres termes, nous nous retrouvons ici dans le même
paradigme scientifique que Scollon et Wong Scollon, qui
apportent une redéfinition de la communication interculturelle
en rappelant à juste titre que toute étude part d’abord des
individus en interaction2. Ce faisant, bien qu’ils ne remettent
pas en question le concept de « culture » comme modèle
d’analyse, le point de focalisation est positionné à partir des
échanges interindividuels. Avant qu’il y ait rapport interculturel
ou intraculturel, il y a d’abord la rencontre d’individus qui
peuvent ou non rencontrer des difficultés de communication en
fonction de différences de comportements, de réflexion ou de
réaction. Que ces individus se réclament ou non d’une
« culture » donnée ne change strictement rien au déroulement
de l’interaction ; tout au plus cette notion permet-elle une
interprétation a posteriori de la communication qui constitue
déjà en soi un parti pris qui n’aura peut-être rien à voir avec
l’explication que les individus auraient apporté d’eux-mêmes si
la question leur avait été posée.
Nous ne souhaitons pas ici remettre en question les riches
apports anthropologiques permettant de catégoriser les
différentes fonctions culturelles, comme les versants
techniques, formels ou informels de la « culture ». Nous nous
permettons avant tout de remettre en question l’utilisation du
concept de « culture » comme totalité outrancièrement
déterminante et son manque de clarté notionnelle. Si nous
poussons à l’extrême les définitions de la « culture » que nous
avons précédemment évoquées, nous pourrons rapidement en
déduire que tout comportement quel qu’il soit peut être expliqué
par l’appartenance à une certaine « culture », sans même avoir
besoin d’analyser le contexte d’application de l’expression
individuelle. Nous arguons du fait que le modèle culturel a
1
A. Wagener, op. cit., p. 274; notre traduction.
2
R. Scollon, S. Wong Scollon, Intercultural Communication.
Oxford: Blackwell. 2001, p. 138.
51
tendance à s’auto-valider lorsqu’il est appliqué aux cas
pratiques, puisque toute action pourra de facto être interprétée
comme appartenant à une culture donnée. L’analyse
interculturelle ne doit pas primer sur l’analyse interindividuelle,
dont la complexité ne laisse à la « culture » qu’un rôle sans
doute bien plus restreint que certains le souhaiteraient. C’est
exactement le danger contre lequel met en garde le linguiste
Paul Castella :
« Nous pouvons tous fournir après coup des explications à
propos de nos conduites lorsqu’on nous demande de les justifier.
Mais lorsqu’il s’agit d’actes que nous n’avons pas appris de
manière formelle, comme la manière de nous distribuer dans
l’espace, et qu’on nous demande de justifier notre conduite, nous
ne l’expliquons pas, mais nous faisons intervenir l’émotion,
l’esthétique, la morale, la philosophie, dans des formulations qui
n’ont rien à voir avec le phénomène. »1
Tout en écrivant que certains comportements s’expliquent
par un certain nombre de facteurs, dont des facteurs culturels,
Castella présente une subtile analogie avec l’analyse
justificative que nous sommes amenés à faire au cours de nos
recherches. Ce faisant, il remet le concept de phénomène au
centre des préoccupations. C’est précisément le phénomène
interindividuel, en tant qu’interaction humaine, qu’il serait
bienvenu d’étudier, avant même de lui attribuer des explications
qui interviennent parfois de manière hasardeuse.
C’est dans ce sens que Castella propose clairement un
domaine d’étude à part entière qu’il nomme contextique, soit
une méthodologie qui aurait pour but principal de remettre en
contexte les interactions et d’en observer les différents
enchevêtrements, avant même que de fournir des explications
psychologiques, socioculturelles ou autres :
« [Le modèle de la contextique] regarde les complexités comme
des systèmes en équilibre relativement aux interactions des
éléments qui les composent. Il correspond à des structures sociales
de type coopératif, sans hiérarchie, puisque, de ce point de vue, il

1
P. Castella, La différence en plus. Paris : L’Harmattan. 2005, p. 63.
52
n’y a pas d’instance première. Ce modèle n’est pas causaliste. Il
explique ce qui se passe par les interactions entre les éléments du
système, sans leur attribuer de cause »1.
Fortement inspirée par la systémique2, la contextique tente
cependant une radicalisation méthodologique dénuée de toute
causalité, afin d’observer les phénomènes et la manière dont
ceux-ci émergent. Les interactions peuvent bien évidemment
faire l’objet d’une telle analyse, mais une telle méthodologie
doit encore être approfondie afin de créer les outils nécessaires
à sa réalisation. La « culture » anthropologique nous parait
inadaptée pour analyser les interactions humaines. Elle
représente pour nous un construit immuable et fixe qui, malgré
des aveux d’évolution perpétuelle, reste un appareil dont les
individus doivent se servir pour interagir avec le monde ; qui
plus est, elle reste confinée dans un espace géographique et
politique qui justifie bien souvent des décisions tout à fait
discutables. En effet, comme Paul Kay le souligne, la définition
d’un certain nombre de cultures conduit à un relativisme
culturel réellement dangereux. En stigmatisant ainsi des espaces
culturels, nous délimitons des façons de penser égales les unes
aux autres qui ne souffrent ni remise en question, ni injection
d’universalisme humain propre à notre espèce. Les « cultures »
seraient donc des entités qui cohabitent et au sujet desquelles il
convient d’adopter une attitude relativiste, quant bien même
certaines d’entre elles possèderaient des tendances qui
pourraient mettre en lumière des interprétations résolument
différentes du respect de la personne humaine. A un niveau plus
politique, même le Livre blanc sur le dialogue interculturel du
Conseil de l’Europe n’en fait pas mention. Afin de proposer une
redéfinition du concept de culture, nous souhaitons donc
repartir d’une base interactionnelle, puisque l’interaction est le
lieu même de l’émergence de traits comportementaux
communs, avant que de constituer des objets d’études
anthropologiques totaux et plus ou moins imperméables :

1
P. Castella, op. cit., p. 193.
2
J.-P. Meunier, Approches systémiques de la communication.
Bruxelles : De Boeck. 2003.
53

- une culture peut être groupale ou individuelle : rien


n’interdit à un individu d’avoir un ensemble de traits
comportementaux qui lui sont propres, dans la mesure
où il exerce de façon singulière l’expression de ses
influences personnelles, aussi variées qu’elles soient ;
- une culture groupale ne nécessite pas forcément de
découpage régional, ethnique, politique ou
linguistique : il convient plutôt de définir la culture
groupale comme un ensemble de comportements
partagés par des individus qui pourraient relever d’un
même groupe, quel qu’il soit (famille, lieu de travail,
groupe de parole, groupe d’amis, couple, etc.) ;
- une culture doit être rapprochée de sa métaphore plus
agricole et représenter précisément les expressions qui
émergent d’un terreau interindividuel, puisque c’est
dans l’interaction que se forment les objets communs :
une culture se rapporte à différentes racines qui peuvent
être aussi bien éducatives, psychologiques,
sociologiques ou sociétales (nous préférons substituer la
société au groupe culturel) ;
- ainsi, chaque être humain dispose à la fois d’une culture
propre, elle-même consolidée par un ensemble de
réservoirs stochastiques culturels variés (hérités de
l’expérience éducative, sociale, relationnelle, sociétale
ou politique), tout en se réclamant d’autres cultures plus
groupales, faisant ainsi de tout individu un être
résolument pluriculturel.

Afin d’affiner une telle définition, nous souhaitons analyser


la conception de la « culture » telle que proposée par Heringer,
qui permet précisément d’intégrer ces éléments en en délimitant
ensuite différentes fonctions :
« Une culture est une forme de vie. La culture est un objet bien
particulier. Elle est, comme la langue, une institution humaine,
basée sur un savoir partagé. La culture s’est créée, elle est devenue
dans l’activité humaine commune. Non pas qu’elle ait été voulue.
54
Elle est bien plus un produit d’une main invisible. Elle est un
potentiel pour une activité commune et pourvue de sens. Mais son
potentiel se montre uniquement dans la performance, dans
l’exécution. Et ce potentiel se créée par la performance »1.
Bien que nous soyons en mesure de remettre en question la
notion de savoir partagé utilisée par Heringer, pour les mêmes
raisons que nous avons critiqué d’autres définitions de la
« culture », il convient de pouvoir s’inspirer des travaux de ce
linguiste allemand pour revenir sur les différentes expressions
du concept de « culture » tel que nous le proposons. En effet, au
même titre que la linguistique saussurienne a permis un schisme
scientifique salutaire entre « langue » et « parole », la culture se
doit elle aussi d’opérer une différentiation entre le potentiel
culturel et la performance culturelle, comme le propose
Heringer. Nous pourrions même mettre en exergue un modèle
de définition de la culture qui pourrait à la fois utiliser la
définition de Heringer, la contextique de Castella et le schéma
triadique de Peirce2 :

- chaque individu et chaque groupe disposeraient d’un


réservoir stochastique concernant ses comportements
(et donc sa culture), ce qui correspondrait au potentiel
culturel noté par Heringer, et qui correspondrait à ce
que nous proposons d’appeler bathyculture, soit la
« culture en profondeur » ;
- chaque individu et chaque groupe pourraient exprimer
leur culture de différentes manières, concomitamment
liées à la performance culturelle de Heringer, ce qui
correspondrait à ce que nous proposons d’appeler
dramaculture, soit la « culture en action » ;
- à l’image de l’interprétant de Peirce ou de
l’interprétation contextique de Castella, chaque individu
et chaque groupe aurait une vision intime de cette

1
H. J. Heringer, op. cit., p. 107 ; notre traduction.
2
C. S. Peirce, The Essential Peirce, Selected Philosophical
Writings, Volume 2 (1893–1913). Bloomington & Indianapolis :
Indiana University Press. 1998.
55
culture, une version qu’il pourrait par ailleurs décliner
par des expressions artistiques, ce qui correspondrait à
ce que nous proposons d’appeler osmoculture, soit la
« culture en diffusion, en impulsion ».

Ces trois composantes ne fonctionnent bien évidemment pas


indépendamment l’une de l’autre et ne constituent pas trois
formes culturelles distinctes. De surcroît, si cette triade
culturelle mérite sans nul doute quelques approfondissements et
applications, elle semble correspondre selon nous à un
fonctionnement plus interindividuel qui se réalise précisément
dans l’action, avant que de proposer un « modèle culturel »
standardisé. Si la culture permet de diffuser du sens, elle est
d’abord une forme de communication permettant aux êtres
humains d’interagir, soit de vivre au sens ontologique du terme.
Par ailleurs, la nature même de la culture est écologique ; elle
demeure une forme vivante qui évolue à travers les êtres
humains eux-mêmes, tout comme la langue, et qui est d’abord
fonction d’un environnement. C’est à travers une interaction
constante entre environnement et êtres humains qu’émergent les
cultures, comme réponses à certaines nécessités humaines
capitales.

Selon nous, seule une approche contextique permet une


objectivité suffisante pour étudier les interactions et les
comportements. En effet, partir du principe même de
l’appartenance culturelle d’un individu relève du même type de
présupposé que l’appartenance à une classe sociale ou à un
profil psychologique ; elle détermine déjà l’observation à
effectuer en liant chaque action et chaque expression au modèle
que l’observateur souhaite justifier. Si partir d’un modèle
d’analyse permet de catégoriser certains éléments, les sciences
humaines ne doivent pas sacrifier la subtilité et la complexité
des rapports humains sur l’autel rigoriste d’une mécanisation
théorique qui, plutôt que de réduire le complexe
méthodologique que les sciences humaines peuvent nourrir à
56
l’égard des sciences dures, ne fait qu’engluer leurs objets
d’étude dans un réductionnisme dangereux. Étudier les
interactions et les comportements humains, c’est avant tout
observer le vivant en action et accepter qu’une catégorisation
simplificatrice de ses subtilités ne saurait apporter une
explication suffisante à la singularité et à la variété des
communications interindividuelles.

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LA DIALOGICITE DE LA CULTURE
ELARGISSEMENT DU PARADIGME
INTERCULTUREL ET TRANSPOSITION
PEDAGOGIQUES

Damien Le Gal, EA 3207 PREFics,


Université Européenne de Bretagne – Rennes 2

Cet article présentera une réflexion sur la dialogicité du


concept de culture prise comme base d' un paradigme
interculturel. Ce cadre théorique soutiendra une réflexion sur
l’interculturalité et les modalités de développement des
compétences interculturelles.

La dialogicité de la culture

Comme le souligne Martine Abdallah-Pretceille, « si aucune


description, même la plus affinée possible, ne saurait rendre
compte de la complexité et de la pluralité du concept de
« culture », c'est que « sa réalité » est plus subjective
qu'objective, donc variable et instable. » (1986 : 34).

Définition de culture
Différentes définitions (Ladmiral & Lipiansky, 1989 : 8,
Bakic-Miric, 2008, Camilleri1) abordent la culture dans la seule
perspective d’un produit collectif, « ensemble de systèmes de

1
Camilleri Carmel, Cohen-Emerique Margalit, Abdallah-Pretceille
Martine, 1989, Chocs de cultures: concepts et enjeux pratiques de
l'
interculturel, L'
Harmattan, Paris.
60
significations propres à un groupe » (Clanet, 1993 : 15),
« programmation mentale collective propre à un groupe
d'individus […]. Dans ce sens la culture est un système de
valeurs collectivement partagées »1, « a deeper level of basic
assumptions and beliefs that are shared by members of an
organization » (un niveau plus profond de conceptions
fondamentales et de croyances partagées par les membres d’une
organisation, Edgar Schein). Ces approches et nombre d' autres
occultent le versant individuel du concept qui doit être souligné.
Cet article se distinguera ainsi d'Aline Gohard-Radenkovic qui
affirme que toute culture est partagée (1999 : 122).
Les définitions opératoires pour le paradigme dialogique
dans lequel s' inscriront ces propos sont la définition
essentialiste, ontologique de Pierre Bourdieu de la culture
comme « capacité à faire des différences », de « système global
d'interprétation du monde et de structuration des
comportements » de Denys Cuche (2001 : 97) et celle
anthropologique d' Edward Thomas Hall et de Mildred Reed
Hall : « système développé par l' être humain pour créer,
émettre, conserver et traiter l' information, système qui le
différencie des autres êtres vivants » (dans Collès 2007). En
effet ces définitions embrassent autant l' aspect collectif
qu'individuel de la culture.
Visant à la construction de compétences interculturelles,
notre perspective adopte également une approche
interactionniste de la culture telle qu'
on la trouve chez Edward
Sapir qui fut un des premiers à avoir considéré la culture
comme un système de communication interindividuelle (Cuche,

1
Geert Hofstede, 1991, Cultures and Organizations: Software of the
Mind, McGraw-Hill, New York.
61
2001 : 49) quand il précisait : « le véritable lieu de la culture, ce
sont les interactions individuelles »1 .

Une conception dialogique de la culture

La culture étant l' ensemble des construits symboliques et


discursifs d' un groupe, national ou régional, social, elle est
« culture collective » (Gohard-Radenkovic, 1999 : 186-187),
« culture partagée »2. Pour Geert Hofstede, « Culture is always
a collective phenomenon, because it is at least partly shared
with people who live or lived within the same social
environment »3 (« la culture est toujours un phénomène collectif
parce qu' elle est au moins en partie partagée par des gens qui
vivent ou ont vécu dans le même environnement social »).
Dialogiquement, une autre part de la culture est propre à
chaque individu, personnelle, et n' est pas partagée. Il me semble
fondamental pour l' approche interculturelle de distinguer avec
Aline Gohard-Radenkovic culture des individus et culture de
l'
individu. Tout être humain, de par ses qualités propres,
expériences, itinéraires se construit un système de significations
qui lui est personnel, apparenté à son identité, sa personnalité,
c'est sa « culture individuelle » (Gohard-Radenkovic 1999 :
187). Les propos d' Edward Sapir qui critique vivement des

1
Sapir Edward, 1993, The Psychology of Culture: A Course of
Lectures, reconstruit et édité par J. T. Irvine. Mouton de Gruyter,
Berlin.
2
Galisson Robert, 1989, « La culture partagée : une monnaie
d'échange interculturelle », Recherches et Applications, août-
septembre, pages 113-117.
3
Idem note page précédente.
62
approches ne distinguant pas un niveau collectif et individuel
analyse1 pourraient être repris ici.
d'
Si l'
on considère une culture nationale, à y regarder de près
on y distinguera des sous-entités culturelles propres aux
différents groupes régionaux qui la composent. De même,
l'
observation attentive montre qu' au delà d' un tronc commun
toute culture se subdivise jusqu' à atteindre un seuil dans les
particularismes individuels. L' hétérogénéité culturelle est
présente dans les groupes nationaux comme dans tout groupe ;
les cultures individuelles sont elles aussi composées de
subcultures variées (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996 : 14).

Un paradigme interculturel plus complexe

Par l'emphase portée sur cette dialogicité de la culture, un


certain paradigme interculturel est en construction.
Claude Clanet définit « « l' interculturel » comme un mode
particulier d' interactions et d' interrelations qui se produisent
lorsque des cultures différentes entrent en contact » (Clanet,
1993 : 22). Cette approche -comme un certain nombre
d'approches interculturelles- peut dériver vers un certain
réductionnisme si elle considère, à l' instar d'une certaine
linguistique abordant la rencontre entre deux locuteurs de
langues-cultures différentes comme une interaction entre deux
systèmes linguistiques, l' échange entre deux individus comme
la rencontre de deux systèmes culturels, nationaux le plus
souvent. Ces approches occultent l' élément individu, personne,
sujet qui y tient pourtant une place fondamentale. En effet si les
cultures se rencontrent c' est au travers de leurs représentants ; or

1
Irvine T. Judith, 1993, « Editor' s Introduction » dans The
Psychology of Culture : A Course of Lectures, reconstruit et édité par
J. T. Irvine, Mouton de Gruyter, Berlin.
63
ceux-ci transcendent les différentes cultures auxquelles ils
appartiennent dans une « constellation » identitaire propre à
chaque être humain. Transférées sur le plan pédagogique, ces
approches de l' interaction interculturelle doivent amener
l'
apprenant à envisager la rencontre interculturelle sur le seul
plan culturel, délaissant l' individu et ses caractéristiques
personnelles, considérant celui-ci seulement comme un
représentant de son groupe. Au contraire, le paradigme
interculturel proposé ici intègre pleinement le sujet, la personne
et la dimension individuelle dans l'approche des interactions.

Considérer la personne
Il est très important, à considérer une rencontre
interculturelle, d'intégrer cette dimension individuelle. Une
dérive réductionniste serait de considérer la rencontre entre Jean
et Mohammed seulement comme la rencontre d' un Français et
d'un Marocain. La mise en œuvre de la compétence
interculturelle dans l’interaction implique pour le locuteur de
prendre en compte toute la spécificité, l’unicité de son
interlocuteur. Celui-ci, si il possède des traits issus de sa culture
nationale ou régionale, les fusionne dans une association qui lui
est propre. Aussi le locuteur ayant développé ses compétences
plurilingues et pluriculturelles ne doit pas s’arrêter à une
perception « de surface » mais demeurer en questionnement,
ouvert à la singularité qu’il rencontre.
D’autre part l' approche, l' entrée culturelle, si elle est
pertinente car les facteurs d' ordre culturels sont extrêmement
prégnants sur la situation, ne doit pas être la seule « entrée »
dans l'approche des phénomènes, à l' instar d'
un enfermement
disciplinaire. Cette interaction franco-marocaine par exemple,
implique, plus que le croisement de deux ensembles de schèmes
symboliques, au-delà de la rencontre de deux représentants des
groupes nationaux français et marocain, deux êtres humains,
64
acteurs sociaux dans toute leur complexité. Cette complexité
doit engager, en complément de l' approche interculturelle sur
ces phénomènes, un syncrétisme d' approches, ou plutôt une
approche qui joint les différents regards des Sciences Humaines
et Sociales (S.H.S.), inspirée de la transdisciplinarité
morinienne (Morin, 1986, 1991, 1997). L' observateur s'attache
alors à aborder les phénomènes en-dehors d' un ancrage
disciplinaire mais dans une ouverture scientifique où les outils
théoriques pertinents des S.H.S. sont mis à profit.
Considérer que la rencontre interculturelle implique des
personnes requiert un regard sur ces protagonistes en tant
qu' acteurs sociaux, « homo oeconomicus, politicus, historicus »
(Morin, 1986, 1991), un questionnement sur la psychologie, la
personnalité, les passions... de la personne rencontrée, tout ce
qui la construit en tant qu' individu, irréductiblement différent.
L’approche interculturelle doit faire adopter aux apprenants une
attitude d'ouverture à l'
autre, à la personne rencontrée :
« On ne peut donc connaître autrui sans communiquer avec lui,
sans échanger, sans lui permettre de se dire, de s' exprimer en tant
que sujet. L'objectif est donc d' apprendre la rencontre et non pas
d'apprendre la culture de l'Autre ; apprendre à reconnaître en autrui,
un sujet singulier et un sujet universel. » (Abdallah-Pretceille, 1999
: 59).

Une certaine éducation interculturelle

Le cadre paradigmatique ébauché, considérant l’irréductible


particularité de chaque individu, sert les objectifs d’une
éducation interculturelle et se présente comme plus opératoire
dans la perspective de développement de compétences
plurilingues et pluriculturelles. Cette compétence est définie (je
préférerais l’envisager au pluriel, dans sa multiplicité) comme
la :
65
« compétence à communiquer langagièrement et à interagir
culturellement possédée par un acteur qui maîtrise, à des degrés
divers, plusieurs langues, et a, à des degrés divers, l’expérience de
plusieurs cultures, tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce
capital langagier et culturel. L’option majeure est de considérer
qu’il n’y a pas là superposition ou juxtaposition de compétences
toujours distinctes, mais bien existence d’une compétence plurielle,
complexe, voire composite et hétérogène, qui inclut des
compétences singulières, voire partielles, mais qui est une en tant
que répertoire disponible pour l’acteur social concerné » (Coste,
Moore et Zarate, 1997).
En effet l' éducation interculturelle s' inscrivant dans le
paradigme interculturel développé oriente le locuteur loin des
représentations et des comportements schématiques et
englobants tels que la réduction de la culture d’autrui à une
culture nationale. L’approche interculturelle dialogique
construit mieux une ouverture à la différence, à l' inconnu, une
attitude de découverte, de curiosité à l'
égard de l'
Autre.
Dans notre cadre théorique, la personne, le sujet est intégré à
l'
équation interculturelle comme une composante tout aussi
importante que l' identité nationale, régionale, sociale.
L’idiosyncrasie, les différences, l' altérité particulière de
l'
interlocuteur sont ici mises en avant. Considérer le spécifique
avant l'identique, l’ipse avant l’idem1 c' est faire un pas vers
l'
inconnu, la découverte et s' engager dans une attitude
d'ouverture et d'écoute qui permet de prendre en compte les
différences pour mieux communiquer.
On trouve cette prise en compte de l'
individualité chez
Martine Abdallah-Pretceille :
« La place accordée par l'interculturel au sujet, singulier et
acteur, dans ses interprétations, ses perceptions redonne à la
subjectivité (et non au subjectivisme) une place de choix. […]
1
Ricœur Paul, 1990, Soi-même comme un autre, Editions du Seuil,
Paris.
66
L'interculturel est fondé sur une philosophie du sujet, […]
L'approche interculturelle s'
intéresse à la production de la culture
par le sujet lui-même » (1999 : 54).

La représentation de la culture
On sait que les représentations jouent un rôle fondamental
dans l'approche de l'étranger (Véronique, 2001 : 34, 35, Zarate,
1995 : 30). Le travail de réflexion mené sur la dialogicité de la
culture et le paradigme construit engagent certaines orientations
sur le plan représentationnel.
Il est ici proposé de développer chez les apprenants une
représentation dialogique de la culture et corrélativement de
l'
autre, de l'
étranger. L’éducation interculturelle doit transmettre
une représentation de la culture comme une entité dialogique,
construite d'une part par l'
individu, de l' autre par ses groupes
d'appartenance. Cette représentation considère non seulement la
nationalité mais prend également en compte la personne ;
l'
apprenant considère autant les communautés d’appartenance
de son interlocuteur que son individualité.

Gestion des représentations


D'autre part le développement des compétences
interculturelles implique la mise à distance des représentations
circulantes (non scientifiques) sur les groupes nationaux.
L’éducation interculturelle doit travailler sur les représentations,
les préjugés et non contre ceux-ci car ils sont inévitables,
l’humain se construit toujours une « représentation mentale » de
tout ce qu’il rencontre (Blanchet, 2007 : 44).
L'apprenant doit, dans la rencontre interculturelle, mettre
entre parenthèses le construit discursif qu'
il a pu se constituer,
67
souvent de l’ordre du stéréotype ou du
réductionnisme, représentations circulantes véhiculées par les
médias et l’environnement social ; sur les Allemands en tant
que personnes rigoureuses et disciplinées par exemple. Le
locuteur, pour demeurer ouvert à cet Allemand qu' il va
rencontrer, possiblement laxiste et désordonné, doit adopter une
distanciation critique sur ces représentations et apprendre à les
relativiser, à les « gérer », mesurant dans quelle mesure elles
sont fondées, utiles, évaluant leur fond de vérité ou
d’inexactitude, la part de mythe...

Transpositions pédagogiques
Sur le plan pédagogique, il semble pertinent de faire
appréhender aux apprenants les nombreuses sous-cultures de
leurs propres cultures d'appartenance. Cela pourrait être réalisé
par un travail d' auto-observation qui mettrait en évidence les
multiples variétés présentes au sein de leurs cultures nationales
et régionales mais également l' hétérogénéité individuelle qui
constitue tout humain en tant qu’être unique. Les apprenants
pourraient observer par exemple les différentes manières de
nommer un même objet selon les régions, de se saluer,
différentes techniques, procédés relatifs à la réalisation d' un
objet, d'un rite (exemple : ce que l' on mange à Noël). Les
apprenants analyseraient des documents qui leur permettraient
de constater les différences régionales, locales, sociales (entre
différents quartiers) de pratiques et en discuteraient ensemble.
Ces activités visent à permettre aux apprenants de voir combien
ce qui est assemblé sous une même étiquette occulte bien
souvent de grandes différences et qu' il convient de garder à
l’esprit que tout groupe est un ensemble d' individualités fort
différentes.
À charge ensuite au formateur de transférer ce constat de
l'
hétérogénéité « chez nous » puis « chez soi » dans l'
approche
68
de l'étranger, montrant comment les cultures étrangères elles
aussi sont composites, tout comme la culture de leurs membres.
La dialogicité de la culture sera mieux encore approchée de
manière pratique, pragmatique car l' expérimentation est la clé
de voûte de la dynamique de la compétence interculturelle et
l'
expérience la meilleure manière d' apprendre comme l’a
montré Célestin Freinet (1994).
Par le biais d'Internet, il est possible de mettre en place un
échange avec une classe d' un autre pays. Les apprenants
s'exerceraient à échanger en face à face virtuel avec leurs
« correspondants », accompagnés par l' enseignant qui donne des
conseils sur la manière de mener ces interactions
interculturelles. A posteriori, les apprenants échangent sur leurs
impressions, leurs difficultés de communication, éclairés par
l'
enseignant.
Un classique échange linguistique en présentiel est
également une excellente occasion d’identifier et de développer
les savoir-faire communicationnels.

Compétence de communication
La dialogicité de la culture amène certaines répercussions
sur la compétence de communication, sur le plan de la
compréhension particulièrement.
On peut en effet découper l' ensemble des compétences de
communication (que l’on pourrait également nommer
plurilingues, pluriculturelles...) en deux ensembles : celles qui
concernent la compréhension, comme une phase préalable à
l’interaction, et celles qui régissent la production, celle-ci étant
la conséquence de la première, qui rétroactivement va générer
du matériau à comprendre dans une interrelation en spirale.
69
L'approche dialogique ici développée soutient le
développement d' une compétence de compréhension qui amène
l'
apprenant à adopter une attitude de questionnement sur son
interlocuteur, (Qui est-il ? Quelle est son histoire ? Ses modes
de communication ?), favorisant ainsi le travail d'empathie.

Conclusion

Amenée de manière progressive chez l’apprenant par la


découverte de l’hétérogénéité culturelle de son groupe
d’appartenance puis de lui-même, il devient ensuite aisé de
transposer la dialogicité chez autrui. Ce travail s’intègre à une
éducation interculturelle et gagne à être accompagné d’une
réflexion sur les représentations.
Parce que la conception dialogique de la culture influe sur la
manière dont l’altérité sera appréhendée et vécue dans
l'
interaction, ce cadre entraîne diverses conséquences sur le
développement des compétences plurilingues et pluriculturelles.
Mieux qu’une approche où la culture d’autrui risque d’être
réduite à sa culture nationale, l’éducation interculturelle prépare
-par la mise en avant de la dialogicité de la culture- une
rencontre avec autrui dans toute sa multiplicité et sa complexité
et engage l’apprenant sur la voie d’un échange réussi.
70
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DIMENSIONS
CULTURELLE/INTERCULTURELLE
ET ENSEIGNEMENT DU FRANÇAIS EN
ALGERIE

Malika Kebbas, ENS Bouzaréa, Alger

Introduction

Née en France dans les années 1970 dans le contexte des


migrations et de la nécessaire prise en compte des cultures
différentes présentes dans les classes, le terme « interculturel »
se veut un dépassement du multiculturel conçu comme une
simple juxtaposition des cultures et suppose l’échange entre les
différentes cultures et les enrichissements mutuels1. Il s’agit
alors d’amener l’apprenant à une prise de conscience fondée sur
« la connaissance, la conscience et la compréhension des
relations, (ressemblances et différences distinctives) entre "le
monde d’où l’on vient" et "le monde de la communauté
cible" »2. Dépassant la simple juxtaposition des cultures en
présence, la mise en œuvre d’une démarche interculturelle passe
par la prise en compte de manière différenciée des capacités et
connaissances tant générales que langagières que possède un

1
J.-P. Cuq (dir.), Dictionnaire de didactique du français langue
étrangère et seconde, CLE International, Paris, 2003, p. 136.
2
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 83.
74
apprenant1 et de doter les élèves d’une véritable compétence
pluriculturelle, indissociable de la compétence plurilingue, dont
D. Coste, D. Moore et G. Zarate ont donné la définition
suivante :
« […] on désignera par compétence plurilingue et
pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à
interagir culturellement possédée par un acteur qui maîtrise, à des
degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et a, à des degrés
divers, l’expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de
gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel. L’option
majeure est de considérer qu’il n’y a pas là superposition ou
juxtaposition de compétences toujours distinctes, mais bien
existence d’une compétence plurielle, complexe, voire composite et
hétérogène, qui inclut des compétences singulières, voire partielles,
mais qui est une en tant que répertoire disponible pour l’acteur
social concerné »2.
Cette définition pose, d’une part, que la langue est un
phénomène socioculturel et que parler une langue, ce n’est pas
seulement aligner des phrases correctes (au sens strictement
linguistique et normatif) mais tenir compte également des traits
déterminants pour l’usage de la langue. D’autre part, plus loin
que la juxtaposition des cultures « au risque de figer les
différences et d’y enfermer les sujets »3 que suppose le
multiculturel, la compétence interculturelle, en incluant la
dimension plurilingue et pluriculturelle, convoque un processus
de construction de valeurs en partage en puisant dans le capital
langagier et culturel des apprenants qui sont – du moins en
Algérie – pour la plupart d’entre eux, plurilingues et dont le
français n’est pas totalement étranger à l’environnement
socioculturel.

1
P. Lambert, « Des compétences plurilingues et interculturelles à
l’épreuve des normes de référence scolaire : un paradoxe à
contretemps », Interculturalité. Enjeux pour les pays du Sud. Colloque
international, 19-20 novembre 2008. Actes, Université de Bejaia,
ANDRU, 2009, pp. 181-182.
2
Compétence plurilingue et pluriculturelle, Strasbourg, Conseil de
l’Europe, 1997, p. 12.
3
P. Lambert, Op. cit.
75
L’apprentissage du français – en ce qui nous concerne – doit
permettre aux apprenants une ouverture sur l’Autre, sur sa
culture et « n’est donc pas simplement […] un exercice
technique visant à l’acquisition et au développement de
compétences communicatives mais plutôt un engagement face à
leur environnement et à celui d’autrui dans une période
cruciale de leur vie. »1 C’est dire que, comme le précise G.
Zarate faisant ainsi référence aux travaux de P. Bourdieu sur la
notion de classement2, « Comprendre une réalité étrangère,
c’est expliciter les classements propres à chaque groupe et
identifier les principes distinctifs d’un groupe par rapport à un
autre. » 3
L’enseignement du français a connu, en Algérie, plusieurs
étapes depuis l’indépendance dont celle – de 1976 à 2003 – qui
consistait à lui assigner comme objectif principal la maîtrise de
l’information scientifique et technique ignorant en cela son
aspect socioculturel et sa présence indéniable comme langue de
pratiques langagières diverses.
La réforme du système éducatif algérien (depuis 2003)
consacre la dimension culturelle de l’enseignement du français
et notre propos est d’analyser les discours institutionnels issus
de cette réforme afin d’examiner quel(s) type(s) de relations est
(sont) instauré(s) entre langue et culture, quelle place est
réservée à la dimension culturelle/interculturelle dans
l’enseignement du français.
A cet effet, nous nous intéresserons plus particulièrement
aux recommandations de la Commission Nationale de Réforme
du Système Educatif (CNRSE) de 2001 et à la manière dont

1
M. Byram et M. T. Planet (éds), Identité sociale et dimension
européenne. La compétence interculturelle par l’apprentissage des
langues vivantes, Editions du Conseil de l’Europe, 2000, p. 12.
2
La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979 ;
« Espace social et genèse des "classes" », Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 52-53, 1984, pp. 3-14.
3
Représentation de l’étranger et didactique des langues, Paris,
Didier, 1993, p. 17.
76
elles sont mises en œuvre dans les nouveaux programmes et
manuels du Secondaire (classes de Premières, Secondes et
Terminales) publiés en 2005, 2006 et 2007.

Recommandations de la CNRSE

Le rapport de la Commission Nationale de Réforme du


Système Educatif algérien (CNRSE) inscrit la connaissance des
langues étrangères comme une nécessité :
« La connaissance voire la maîtrise des langues étrangères est
une nécessité impérieuse, pour qui veut faire partie de ce monde
dont les frontières ne cessent de se rétrécir, en raison notamment
des progrès incommensurables réalisés dans le domaine des
nouvelles technologies de l’information et de la communication »1.
C’est ainsi que les membres de cette commission
recommande la mise en place d’une politique des langues
étrangères « sérieuse » :
« Une politique des langues étrangères sérieuse est souhaitable
et doit être mise en place dès que possible notamment dans le
système éducatif. Elle aura pour finalités de redonner aux langues
étrangères la place qui doit être la leur comme supports
incontournables pour l’accès à la science, à la technologie et à la
culture mondiale »2.
Ceci est en conformité avec la lettre de mission adressée par
le Président de la République aux membres de cette
commission :
« La commission examinera les dispositions appropriées en vue
d’intégrer l’enseignement des langues étrangères dans les différents
cycles du système éducatif pour permettre […] l’accès aux
connaissances universelles et favoriser l’ouverture vers et sur
d’autres cultures »3.

1
Commission Nationale de la Réforme, Rapport, Alger, 2001, p. 23
2
Ibid.
3
Ibid.
77
De l’avis des rédacteurs de ce rapport, les débats au sein de
la sous-commission « Pédagogie », chargée de dessiner les
contours de la politique des langues étrangères, n’ont pas été
empreints de sérénité. C’est dire combien la mise en place
d’une politique linguistique ouverte sur l’international, le
plurilinguisme et l’interculturel doit se frayer un chemin
difficile, voire périlleux.
En tout état de cause et désireux de se conformer à la réalité
des faits, les membres de cette sous-commission optent pour le
français comme première langue étrangère et s’en expliquent
ouvertement :
« la langue française est une des langues les plus importantes
sur la scène internationale en sus du fait qu’elle jouit en Algérie
d’une place privilégiée pour des raisons historiques évidentes, le
français étant aussi fortement présent dans l’environnement
linguistique des élèves. Par ailleurs, le français est la langue que
notre pays utilise dans ses relations avec les pays limitrophes. Dès
lors, il serait malvenu de considérer le fait de privilégier le français
comme symptôme de quelque aliénation. Il s’agit ici tout
simplement d’obéir au principe de réalité et non à celui de
plaisir »1.
Ceci représente une avancée considérable2 car parmi les
arguments avancés figure celui relatif à la présence du français
dans l’environnement linguistique des élèves, ce qui proclame
implicitement que cette langue est une langue seconde devant
avoir un statut particulier et donc une place privilégiée dans la
politique des langues étrangères. C’est pourquoi il est
recommandé d’introduire l’enseignement du français dès la
deuxième année du cycle primaire :
« Quant à l’année à laquelle devrait intervenir l’introduction de
la première langue étrangère dans le système éducatif, la majorité

1
Ibid., p. 24
2
On se rappellera la tentative d’instaurer l’anglais comme première
langue étrangère dans les années 90 allant en cela à l’encontre de la
dynamique historique et socioculturelle. Ce projet a échoué car, entre
autres raisons, beaucoup de parents d’élèves ont refusé l’intégration
de leurs enfants dans des classes d’anglais première langue.
78
des membres de la sous-commission ont opté pour la deuxième
année de l’enseignement fondamental, convaincus qu’ils sont que
plus tôt elle est introduite, mieux elle sera maîtrisée »1.
Ce que l’on retiendra des travaux de la CNRSE et c’est
l’objet de la présente contribution, c’est l’inscription de la
dimension culturelle comme finalité à l’enseignement du
français, recommandation dont il sera tenu compte dans les
directives institutionnelles issues du processus de refonte du
système éducatif mis en œuvre depuis la rentrée scolaire de
2003.

Directives institutionnelles

Les nouveaux programmes de français élaborés pour le


secondaire 2 dans le cadre de la refonte du système éducatif
précisent en guise de « Préambule » l’ouverture de l’école
algérienne – qui « …ne peut plus fonctionner en "vase clos" » -
sur le monde, sur l’Autre :

« … l’acquisition d’une langue étrangère ne peut pas se réaliser


efficacement si l’on distingue l’aspect "utilitaire" de l’aspect
"culturel". Une langue maîtrisée est […] le moyen le plus objectif
de connaissance de l’Autre à travers une réflexion entretenue sur
l’Identité/Altérité. » (p. 4)

1
Ibid., p. 24. L’Institution n’a pas tenu compte de cette
recommandation puisque l’enseignement du français est introduit
désormais en troisième année du cycle primaire, ce qui en soi est tout
de même un progrès (dans l’ancien système cela intervenait en
quatrième année primaire).
2
RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 1ère année secondaire, Janvier
2005 ; RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 2ème année secondaire, Janvier
2006 ; RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 3ème année secondaire, 2007.
79
Ces documents institutionnels inscrivent ainsi, parmi les
finalités assignées à l’enseignement du français :
«- la familiarisation avec d’autres cultures francophones pour
comprendre les dimensions universelles que chaque culture porte
en elle ;
- l’ouverture sur le monde pour prendre du recul par rapport à
son propre environnement, pour réduire les cloisonnements et
installer des attitudes de tolérance et de paix. » (p. 5)
Il s’agit ici aussi d’une volonté de rupture radicale avec ce
qui était pratiqué auparavant où l’enseignement du français était
expurgé de sa dimension culturelle et avait une visée
« instrumentale » en sa qualité de langue d’accès à
l’information scientifique et technique exclusivement1.
On peut constater donc que dans les directives
institutionnelles issues des recommandations de la CNRSE, les
termes et expressions utilisés renvoient certes à la dimension
culturelle de l’enseignement du français mais entretiennent une
confusion qui semble dénoter une volonté de ne pas reconnaître
que le français est partie intégrante du paysage linguistique
algérien en le plaçant dans la sphère des « dimensions
universelles », de « l’ouverture sur le monde », d’une
« réflexion sur l’Identité/Altérité ». La notion de « l’Autre »
telle que véhiculée par ces textes renvoie encore et toujours à
une période historique et à des repères méthodologiques qui ne
sont plus de mise. En cela, les documents des programmes
représentent un recul par rapport aux recommandations de la
CNRSE qui – rappelons-le – précisent que le français «… jouit
en Algérie d’une place privilégiée pour des raisons historiques
évidentes, […et est] aussi fortement présent dans
l’environnement linguistique des élèves »2.

1
Nous avons analysé cet aspect dans une communication lors de la
Journée littéraire organisée en marge du Salon international du livre
d’Alger en 2001 : « Manuels du secondaire algérien et textes
littéraires ».
2
Op. cit.
80
Qu’en est-il de la mise en œuvre de ces aspects dans les
manuels de français du secondaire algérien élaborés dans le
cadre de la refonte du système éducatif 1 ? C’est ce que nous
allons examiner maintenant.

La dimension culturelle/interculturelle dans les


manuels du secondaire algérien

A première vue, et ainsi que le constate T. Bouguerra2,


l’interculturel et le socioculturel sont introduits dans les
nouveaux manuels sous forme de supports aux thématiques
novatrices : les nouvelles technologies, la conquête de l’espace,
la génétique, l’Internet, etc. En voici quelques exemples pris
des manuels :

Dans le Manuel de 1° AS (classe de Seconde)


- la diversité linguistique (répartition des langues en Afrique
et dans le monde) : p. 7 et 9 ;
- l’histoire de la constitution de la langue française : p. 14 ;
- l’homme et son environnement : p. 33, 34, 40 ;
- les loisirs, le sport et les jeux : p. 101-103, 106, 116.
Dans le Manuel de 2° AS (classe de Première)
- les grandes réalisations scientifiques et techniques de notre
époque : pp. 13-49 ;

1
K. Djilali (dir.), Français. Première année secondaire lettres,
Alger, ONPS, 2005 ; B. Zegrar (dir.), Français. Deuxième année
secondaire, Alger, ONPS, 2006 ; F. Mahboubi (dir.), Français.
Troisième année secondaire, Alger, ONPS, 2007.
2
« Approche écodidactique des représentations de l’interculturalité
dans les manuels algériens de FLE. Enjeux et perspectives », Cahiers
de langue et de littérature, Université de Mostaganem, Janvier 2008,
n°05, pp. 36-37.
81
- le nucléaire et le développement durable : p. 52, 62, 69 ;
- l’action humanitaire et la solidarité internationale : p. 53,
56, 84 ;
- l’Internet : p. 81 ;
- les inventions du futur : p. 137-143.
Dans le Manuel de 3° AS (classe de Terminale)
- la Coupe du monde : p. 10 ;
- l’informatique : p. 11, 104-110 ;
- les OGM : p. 65, 76 ;
- le racisme : p. 72, 74 ;
- la guerre : p. 85, 95 ;
- la solidarité : p. 141-142 ;
- le Sida : p. 147 ;
- les conflits linguistiques : p. 150-151.

On peut constater en effet qu’il y a une réelle volonté de


changement car outre les thématiques nouvelles, les supports
des projets prennent diverses formes : textes, affiches
publicitaires, caricatures, unes de magazines. Toutefois, cette
diversité de formes n’est pas exploitée d’un point de vue
culturel ; elle est le prétexte à distinguer entre différents types
de communication, point sur lequel nous reviendrons ci-
dessous.
Par ailleurs dans les activités de recherche documentaire
proposées aux élèves, on conseille d’utiliser non seulement le
dictionnaire mais aussi Internet. Il s’agit de mettre en
application le constat qui est fait dans les programmes :
« …l’école n’est plus, pour l’apprenant, la seule détentrice des
connaissances (l’apprenant peut parfois être "en avance" sur
l’enseignant s’il est plus familiarisé avec ces nouveaux vecteurs de
transmission des connaissances)… » (p. 3).
82
Tout ceci concourt à mettre en œuvre le principe ayant trait à
la « formation culturelle de base » énoncé dans le rapport de la
CNRSE et qui se doit de comporter :
« … un certain nombre de connaissances fondamentales et
structurantes, solidement enracinées et toujours mobilisables […].
Cette formation culturelle doit être conçue dans un sens très large,
englobant sciences humaines, sciences, technologie et doit
permettre à l’élève de connaître le monde dans lequel il vit, de le
comprendre, de s’y situer, d’y agir de façon intelligente et efficace
et de s’adapter aux changements et mutations »1.
Toutefois, peut-on se suffire de l’introduction de
thématiques, de supports plus en adéquation avec le monde
moderne ? Peut-on dire que la composante culturelle de la
langue française trouve une place importante dans les manuels
du secondaire algérien ? Qu’en est-il de la dimension
interculturelle ?

Nous allons tenter de répondre à ces questions en examinant


l’utilisation qui est faite des supports.

Utilisation des supports

Si l’on s’en tient aux questionnaires de compréhension des


supports et aux directives accompagnant les programmes, force
est de constater que ni la dimension culturelle, ni la dimension
interculturelle ne sont prises en charge.
Un examen des questions posées montre en effet qu’elles ont
pour objectif, dans leur ensemble, une reconnaissance du type
de texte et des moyens linguistiques et discursifs mobilisés qui
en font la spécificité typologique ou qui visent à la maîtrise
d’une technique d’expression. Ceci est d’ailleurs en conformité
avec les projets inscrits au programme de chaque année :

1
Commission Nationale de la Réforme, Rapport, Alger, 2001, p.
144.
83
• En 1°AS
Projet 1 : « Réaliser une campagne d’information à
l’intention des élèves du lycée » ;
Projet 2 : « Rédiger une lettre ouverte à une autorité
compétente pour la sensibiliser à un problème et lui proposer
des solutions » ;
Projet 3 : « Ecrire une petite biographie romancée ».
• En 2° AS
Projet 1 : « Concevoir et réaliser un dossier documentaire
pour présenter les grandes réalisations scientifiques et
techniques de notre époque » ;
Projet 2 : « Mettre en scène un procès pour défendre des
valeurs humanitaires » ;
Projet 3 : « Présentez le lycée, le village, la ville ou le monde
de vos rêves pour faire partager vos idées, vos aspirations »
• En 3° AS
Projet 1 : « Dans le cadre de la commémoration d’une
journée historique, réaliser une recherche documentaire puis
faire la synthèse de l’information à mettre à la disposition des
élèves dans la bibliothèque du lycée » ;
Projet 2 : « Organiser un débat d’idées puis en faire un
compte-rendu » ;
Projet 3 : « Dans le cadre d’une journée "portes ouvertes",
exposer des panneaux sur lesquels seront reportés des appels
afin de mobiliser les apprenants et les visiteurs autour de causes
humanitaires » ;
Projet 4 : « Rédiger une nouvelle fantastique ».
Chaque projet est accompagné d’un objet d’étude et doit
déboucher sur une technique d’expression. Ainsi et pour
prendre un exemple, pour le Projet 1 en 1°AS, l’objet d’étude
est la vulgarisation scientifique et les techniques d’expression,
la prise de notes, le plan, le résumé. En atteste, outre le type de
questions posées, la présence à l’issue de chaque activité de
84
compréhension de deux rubriques : « Faites de point » et
« Savoir-faire ». Voici ce qui est consigné dans le manuel de
1°AS pour le même projet :
-« Faites le point. Le paragraphe est une partie du discours
qui a une cohérence sémantique, c’est pourquoi nous pouvons
lui trouver un titre qui en résume la signification. Le paragraphe
se révèle d’abord par une présentation typographique (premier
mot en retrait, obligation d’aller à la ligne à la fin du
paragraphe) »
-« Savoir-faire. Dans la perspective du résumé, il est
nécessaire de dégager la grande unité de signification que
contient chaque paragraphe ».
La même démarche est adoptée pour tous les projets et pour
toutes les années d’enseignement dans le secondaire. Elle
n’apporte pas de grands changements à celle qui avait cours
jusqu’en 2003.

L’apprenant n’est pas invité à réfléchir sur la diversité


linguistique mondiale (c’est l’objet du texte servant
d’introduction au Projet 1 en 1°AS) ni à comparer la situation
linguistique mondiale avec celle de l’Algérie ce qui lui
permettrait d’inscrire son expérience linguistique dans le
monde. De plus, dans le support consacré à la diversité
linguistique mondiale, le français est mis en relation avec la
colonisation : « le français ainsi que dans une moindre mesure,
l’anglais, introduites par les anciens colonisateurs ». Certes, il
s’agit d’une réalité historique mais qui n’est pas relativisée par
un autre support pouvant montrer que le français est aussi une
langue algérienne dont la présence n’est plus à démontrer.
Officiellement, on continue à nier la réalité et à maintenir une
représentation du statut du français qui n’a plus sa place.
Par ailleurs, l’ancienne relation langue française = France
n’est pas dépassée lors même que cette langue déborde
largement ce cadre étroit et se situe dans un contexte
85
1
francophone international . Pourtant, un support du manuel de
1° AS aborde cet aspect : « Le français se parle également dans
une partie de la Belgique, du Canada, de la Suisse, dans les
départements et territoires français d’outremer (DOM-TOM). Il
est également parlé plus ou moins dans les anciennes colonies »
(p. 14) mais ceci est complètement occulté dans le
questionnaire qui accompagne le texte, un texte fabriqué (non
authentique donc) puisqu’il est suivi de la mention « d’après ».
Plus préoccupant encore cette vision nationaliste des
concepteurs des manuels qui cultivent le souvenir de la
colonisation et de la guerre de libération. Nous en voulons pour
preuve les textes qui servent de support au Projet 1 du manuel
de 3° AS et qui réfèrent à l’histoire : « La colonisation
française », « La société européenne d’Algérie », « Histoire du
8 mai 1945 » (pp. 12-31). Ceci est d’autant plus perceptible que
dans le document du programme de français de 3° AS, l’objectif
déclaré de ce projet est de : « renforcer le sentiment
d’appartenance à la nation » (p. 19).
Nous sommes là tout à fait dans ce que G. Zarate décrit et
qui va à l’encontre du principe d’égalité des cultures :
« J’ai établi une liste de procédés qui rompent habituellement le
principe d’égalité des cultures, et que nous devrions surveiller à
l’avenir. Les retombées passionnelles de la colonisation ou d’une
occupation étrangère qui peuvent déclencher des effets de
contrepoids nationaliste dans des pays désormais indépendants ou
dans les anciennes puissances coloniales ou occupantes et entraîner
un déni historique de cette culture étrangère. Voilà autant
d’exemples de confusions qui alimentent une hiérarchie implicite
entre les cultures, et qui entrent en pleine contradiction avec le
principe d’égalité entre les langues »2.
Cette conception de l’E/A du français en dit long sur
l’arrière-plan idéologique qui préside à la conception des
1
S. Asselah-Rahal et Ph. Blanchet (éds), Plurilinguisme et
enseignement des langues en Algérie. Rôles du français en contexte
didactique, Fernelmont, EME, 2007, p. 21.
2
G. Zarate (dir.), Langues, xénophobie, xénophilie dans une Europe
multiculturelle, CRDP de Basse-Normandie, 2001, p. 9.
86
manuels du secondaire et qui va à l’encontre des déclarations
figurant dans le Préambule de chaque document de programme
concernant « l’ouverture sur l’autre » et la sensibilisation à
« l’identité/altérité ».

D’autre part, certains supports figurant dans les manuels


visent à installer l’identité de l’apprenant algérien et sa culture
dans le cadre étroit des origines arabo-musulmanes : « Histoire
des Arabes : l’Islam et les conquêtes » (Manuel de 3° AS, pp.
14-15) ; « Spécial Omra » (Manuel de 2° AS, p. 111). Rien sur
les origines berbères de l’Algérie.
Nous le voyons bien, dans les manuels algériens
d’enseignement/apprentissage du français, ni la dimension
culturelle réelle, ni la dimension interculturelle ne sont prises en
charge. Pour tenter de comprendre pourquoi ces dimensions ne
sont pas mises en œuvre dans les manuels, revenons aux
programmes.
La première chose que l’on peut constater est que, dans le
« Glossaire » des notions théoriques utilisées qui figure en fin
de chaque document, les entrées « culture », « interculturel » et
leurs corollaires «composante culturelle » et « composante
interculturelle » sont absentes1.
Il en est de même dans le profil de sortie à l’issue de
l’enseignement secondaire où la compétence interculturelle est
occultée :
« Les apprenants, au terme du cursus, auront :
- acquis une maîtrise suffisante de la langue pour leur
permettre de lire et de comprendre des messages
sociaux ou littéraires ;

1
Signalons au passage que les notions figurant dans ce glossaire
sont données sans aucune référence bibliographique, ce qui ne permet
pas de situer à quel type de recherches didactiques ou linguistiques il
est fait référence. Cela ne permet pas non plus aux enseignants
d’approfondir ces notions par des recherches personnelles.
87
- utilisé la langue dans des situations d’interlocution
pour différents buts en prenant en compte les
contraintes de la vie sociale ;
- exploité efficacement de la documentation pour la
restituer sous forme de résumés, de synthèses de
documents, de compte-rendu,
- adopté une attitude critique face à l’abondance de
l’information offerte par les média ;
- produit des discours écrits et oraux qui porteront la
marque de leur individualité (que ces discours servent à
raconter, à exposer, à rapporter des dires ou à
exprimer une prise de position ;
- appréhendé les codes linguistique et iconique pour en
apprécier la dimension esthétique. » (p. 4).

On remarquera que dans ce profil de sortie la référence à


l’ancrage social de la langue est représentée, ce qui en soi est
une avancée car parmi les composantes de la compétence de
communication (dont se réclament les concepteurs des
programmes) figure la composante sociolinguistique qui, selon
de CECRL, « renvoie aux paramètres socioculturels de l’utilisation
de la langue. Sensible aux normes sociales (règles d’adresse et de
politesse, régulation des rapports entre générations, sexes, statuts,
groupes sociaux, codification par le langage de nombre de rituels
fondamentaux dans le fonctionnement d’une communauté), la
composante sociolinguistique affecte fortement toute communication
langagière entre représentants de cultures différentes, même si c’est
1
souvent à l’insu des participants eux-mêmes » .
Ces « paramètres socioculturels » ne semblent pas être
présents dans les activités de lecture des textes-supports des
manuels du secondaire qui, de toute évidence, favorisent
l’aspect « utilitaire » de la langue et passent sous silence son
aspect « culturel ».

1
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 18.
88
La compétence de communication peut-elle être réellement
assimilée si elle est expurgée de sa composante culturelle. Nous
ne le croyons pas car, ainsi que le soulignent à juste titre M.
Byram et M. T. Planet, « La communication n’est pas seulement
une question d’échange d’informations. Elle implique
également une interaction avec d’autres individus, la
compréhension de leur mode de vie, de leurs croyances, de
leurs valeurs et de leur comportement » qui ajoutent :

« L’efficacité de la communication et de l’interaction exigent


que les apprenants comprennent une vision différente du monde –
objectif tout à fait compatible avec les buts humanistes liés à
l’épanouissement personnel, à l’acquisition des points de vue
différents et à l’analyse critique de soi-même et de la société qui
nous entoure »1.

S’il est vrai que « les compétences linguistiques et


culturelles relatives à chaque langue sont modifiées par la
connaissance de l’autre et contribuent à la prise de conscience
interculturelle, aux habiletés et aux savoir-faire [… qu’ elles]
permettent à l’individu de développer une personnalité plus
riche et plus complexe et d’accroître sa capacité à apprendre
d’autres langues étrangères et à s’ouvrir à des expériences
culturelles nouvelles. »2, force est de constater que l’apprenant
algérien n’est pas confronté aux repères culturels de la langue-
cible, ce qui le place dans l’impossibilité d’établir des relations
d’interaction avec l’Autre, de relativiser les compétences
linguistiques et culturelles propres à sa (ses) langue(s) et
entrave la prise de conscience interculturelle.

1
M. Byram et M. T. Planet (éds), Identité sociale et dimension
européenne. La compétence interculturelle par l’apprentissage des
langues vivantes, Editions du Conseil de l’Europe, 2000, p. 12.
2
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 40.
89
Les documents institutionnels algériens relatifs à l’E/A du
français se contentent de déclarations d’intention qui ne sont
pas suivies d’effet et passent sous silence le fait que, comme il
est spécifié dans le CECRL : « la connaissance de la société et de
la culture de la (ou des) communauté(s) qui parle(nt) une langue est
1
l’un des aspects de la connaissance du monde » .

Amener l’apprenant algérien à connaître le monde ce n’est


pas l’enfermer dans le cadre étroit d’une nation, ni même dans
celui, dépassé, d’une structure géopolitique (cf. manuel de
1°AS, recherche documentaire sur l’habitat dans le Tiers
Monde, p. 6), c’est l’aider à se situer parmi les membres de la
communauté qui ont en partage le français et à prendre
conscience de son identité en la confrontant à celle de l’Autre,
comme le précise si bien P. Charaudeau : « L’enseignement, et
particulièrement celui des langues, devrait être l’occasion d’inculquer
cette complexité identitaire, l’occasion de découvrir "l’autre pour
2
soi", d’apprendre que "l’autre-moi" se fait à travers "l’être-autre" » .
C’est aussi tenter de comprendre et de dépasser les
stéréotypes, l’un des aspects qui entravent la conscience
interculturelle et dont la déconstruction peut aider aux
rapprochements culturels :
« La connaissance, la conscience et la compréhension des
relations, (ressemblances et différences distinctives) entre « le
monde d’où l’on vient » et « le monde de la communauté cible »
sont à l’origine d’une prise de conscience interculturelle. Il faut
souligner que la prise de conscience interculturelle inclut la
conscience de la diversité régionale et sociale des deux mondes.
Elle s’enrichit également de la conscience qu’il existe un plus
grand éventail de cultures que celles véhiculées par les L1 et L2 de
l’apprenant. Cela aide à les situer toutes deux en contexte. Outre la
connaissance objective, la conscience interculturelle englobe la
conscience de la manière dont chaque communauté apparaît dans

1
Ibid., p. 82.
2
P. Charaudeau, « L’identité culturelle entre soi et l’autre » in L.
Collès, J.-L. Dufays et F. Thyrion (éds), Quelle didactique de
l’interculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S, Fernelmont,
EME, 2006, pp. 55-56).
90
l’optique de l’autre, souvent sous la forme de stéréotypes
nationaux »1.
La diversité régionale et sociale de l’Algérie n’est pas prise
en compte dans les manuels algériens de français du secondaire,
pas plus que celle de la communauté francophone. La langue
enseignée est décontextualisée, vidée de sa substance.

Pistes didactiques pour une prise en charge de la


dimension culturelle/interculturelle

Comment faire en sorte que la dimension


culturelle/interculturelle de l’E/A du français en Algérie, soit
prise en charge dans les classes ?

Bien évidemment, il ne s’agit pas de tomber dans l’excès


inverse d’une approche exclusivement interculturelle mais de
faire en sorte que chaque texte-support (pourvu qu’il s’y prête)
soit l’occasion d’une réflexion culturelle/interculturelle. La
démarche pourrait être celle proposée par M. Lits qui explique
que l’on peut conserver « comme première entrée l’analyse
textuelle » et garder « la perspective interculturelle comme
point de fuite »2.

Ceci peut d’ores et déjà être mis en œuvre à partir de


certains textes-supports figurant dans les manuels et prendre la
forme d’activités annexes (recherches documentaires,
description des images que l’on a de l’Autre, comparaison des
règles de comportement et d’interprétation de soi avec celles de
l’Autre, etc.). Il s’agirait de déconstruire les stéréotypes liés à la
représentation de soi et de l’Autre, de favoriser ainsi une prise

1
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 83.
2
« Approche interculturelle et identité narrative » in Etudes de
linguistique appliquée, n° 93, janv.-mars 1994, p. 34.
91
de conscience interculturelle en s’inspirant des recherches et des
propositions de R. Amossy, J.-L. Dufays et L. Collès1.

Dans le cadre d’une approche interculturelle, il conviendrait


également de ne pas négliger l’apport que peut représenter le
texte littéraire qui, comme le soulignent L. Porcher et M.
Abdallah-Pretceille, représente un « lieu emblématique de
l’interculturel »2 car « l’enseignement de la littérature suppose
qu’on franchisse les frontières, que l’on se situe dans une
perspective résolument internationale, que l’on dépasse son
bout de champ. […] Cette prise de vue résolument
internationaliste ne doit pas occulter le fait qu’une œuvre
littéraire possède un lieu de naissance, dans le temps et dans
l’espace, et qu’elle en porte nécessairement les marques
distinctives. La littérature est à la fois de partout et de quelque
part. »3 Pour M. De Carlo, la littérature, de par sa complexité et
la richesse des points de vue qu’elle mobilise, permet de
« focaliser l’attention sur les usages des objets culturels et non
seulement sur les objets eux-mêmes »4.

Il faudrait pour cela introduire, dans les classes du


secondaire algérien, des textes extraits de la littérature
francophone et notamment algérienne – dont l’absence se fait
sentir dans les manuels que nous avons analysés – non pas
seulement pour en étudier les modèles textuels (le narratif ou le
descriptif) mais également et surtout pour inviter les apprenants
« à percevoir comment le français peut se colorier d’un pays à
l’autre [… et] les amener, à travers les littératures

1
R. Amossy et A. Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris,
A. Colin, 2007 ; L. Collès, J.-L. Dufays et F. Thyrion (éds), Quelle
didactique de l’interculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S ?,
Fernelmont, EME, 2006 ; L. Collès, Interculturel. Des questions vives
pour le temps présent, Fernelmont, EME, 2007.
2
Education et communication interculturelle, PUF, Paris, 1996, cit.
par M. De Carlo, L’interculturel, Paris, CLE International, 1998, p.
64.
3
Ibid., p. 65
4
Ibid., p. 64.
92
francophones, à enrichir leur propre univers linguistique et
culturel »1.

Conclusion

Comme nous pouvons le constater, l’éducation


culturelle/interculturelle résolument recommandée par la
CNRSE est inscrite en tant que discours mais n’est pas suivie
d’effet dans les documents des programmes officiels ; elle
disparait complètement dans les manuels de français du
secondaire.
Une révision des procédures d’élaboration des manuels
d’enseignement du français s’impose – du moins en ce qui
concerne le secondaire – nous entendons par là, entre autres, la
nécessité d’inclure, parmi les objectifs assignés à l’E/A du
français, celui relatif à la composante interculturelle comme il
est mentionné dans les recommandations de la CNRSE et inscrit
dans les préambules à chaque document de programme.
En attendant l’élaboration de nouveaux manuels (ceci
devrait intervenir tous les quatre ans si la recommandation de la
CNRSE est mise en application), il appartient au professeur
algérien de français de s’inscrire dans le vaste espace
interculturel, de sensibiliser les apprenants à la culture et aux
pratiques culturelles effectives et diversifiées et non aux
généralités historico-sociologiques sclérosantes2, en somme, il
lui appartient « de mettre en œuvre une pédagogie du respect de
l'
autre, de ses richesses qui, par nature, sont différentes de

1
L. Collès, « Diversité culturelle et effets de la mondialisation chez
les écrivains francophones » in C. Condei, J.-L. Dufays et C.-N.
Teodorescu (éds), Métissage culturel. Interculturels et effets de la
mondialisation chez les écrivains francophones, Craiova, Ed.
universitaires, 2009, p. 12.
2
S. Asselah-Rahal et P. Blanchet (éds), Plurilinguisme et
enseignement des langues en Algérie. Rôles du français en contexte
didactique, Fernelmont, EME, 2007, p. 24.
93
celles de son voisin et de les mettre en commun en un lieu où
chacun puise ce qu' il peut » car « la pédagogie interculturelle
constitue l'
option (donc le choix, la valeur, la non-réduction au
positivisme scientiste démontrable ainsi que l' a signifié
définitivement Todorov) la meilleure parce qu' elle est la seule à
se fonder sur le principe qu' un homme est, quel qu' il soit, un
homme, donc un semblable différent (les deux à la fois) »1.
C’est ainsi que nous pourrons atteindre, entre autres finalités
assignées à l’enseignement du français en Algérie, celles
relative à l’éducation interculturelle et figurant dans les
programmes du secondaire :
«- la familiarisation avec d’autres cultures francophones
pour comprendre les dimensions universelles que chaque
culture porte en elle ;
- l’ouverture sur le monde pour prendre du recul par
rapport à son propre environnement, pour réduire les
cloisonnements et installer des attitudes de tolérance et de
paix » (p. 5).

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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Education et communication interculturelle, PUF, Paris.
AMOSSY R.et HERSCHBERG PIERROT A., 2007,
Stéréotypes et clichés, A. Colin, Paris.
ASSELAH-RAHAL S. et BLANCHET Ph., 2007 (Eds),
Plurilinguisme et enseignement des langues en Algérie. Rôles
du français en contexte didactique, EME, Fernelmont.
1
L. Porcher, « Interculturels : une multitude d’espèces », Le
Français dans le monde, Septembre-Octobre 2003, n°329.
94
BOUGUERRA T., 2008, « Approche écodidactique des
représentations de l’interculturalité dans les manuels algériens
de FLE. Enjeux et perspectives » dans Cahiers de langue et de
littérature 05, Université de Mostaganem, Mostaganem, p. 19-
43.
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l’apprentissage des langues vivantes, Editions du Conseil de
l’Europe, Strasbourg.
CHARAUDEAU P., « L’identité culturelle entre soi et
l’autre » dans L. COLLES, J.-L. DUFAYS et F. THYRION,
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nouveaux contextes du FLE/S ?, EME, Fernelmont, p. 41-56.
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temps présent, EME, Fernelmont.
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mondialisation chez les écrivains francophones » dans CONDEI
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culturel. Interculturels et effets de la mondialisation chez les
écrivains francophones. Vol.1, Editions universitaires, Craiova,
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commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner,
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Paris.
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interculturelles à l’épreuve des normes de référence scolaire :
un paradoxe à contretemps ? » dans Interculturalité. Enjeux
95
pour les pays du sud. Colloque international. Actes, Université
de Bejaia/ANDRU, p. 181-193.
LITS M., 1994, « Approche interculturelle et identité
narrative » dans Etudes de linguistique appliquée 93, p. 25-37.
PORCHER L., 2003, « Interculturels : une multitude
d’espèces » dans Le Français dans le monde 329,
http://www.fdlm.org/fle/article/329/interculturel.php.
ZARATE G., 1993, Représentation de l’étranger et
didactique des langues, Didier, Paris.
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dans une Europe multiculturelle, CRDP de Basse-Normandie.

DOCUMENTS OFFICIELS ET MANUELS


CONSULTES

COMMISSION NATIONALE DE LA REFORME, 2001,


Rapport, Alger.
RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 1ère année secondaire,
Janvier 2005.
RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 2ème année secondaire,
Janvier 2006.
RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 3ème année secondaire,
2007.
DJILALI K., 2005 (Dir), Français. Première année
secondaire lettres, ONPS, Alger.
ZEGRAR B., 2006 (Dir), Français. Deuxième année
secondaire, ONPS, Alger.
96
MAHBOUBI F., 2007 (Dir), Français. Troisième année
secondaire, ONPS, Alger.
MALENTENDUS INTERCULTURELS
ET PRATIQUES ET TENSIONS DIDACTIQUES
DANS L’ENSEIGNEMENT – APPRENTISSAGE
DU FRANÇAIS LANGUE PREMIERE ET
LANGUE AUTRE

Nathalie Auger, Université Paul Valery, Montpellier III


&
Christina Romain, I.U.F.M. Aix-En-Provence, Université
De Provence

Depuis 2000, nous appartenons à un groupe de chercheurs


français (N. Auger, B. Fracchiolla, C. Moïse et C. Romain)
s’intéressant à la description et à l’analyse de la violence
verbale. A travers différentes publications, nous avons tenté de
définir la violence verbale comme un processus complexe,
situationnel et interactionnel. Dans le cadre de cet article et en
liaison avec les recherches que nous avons pu conduire sur les
ruptures dans les rituels interactionnels, nous souhaitons
questionner, par l’analyse d’un vaste corpus1, les notions
d’interculturalité, de pratique didactique mais aussi montrer que
les malentendus interculturels sont partie prenantes des
pratiques didactiques en classe, qu’il s’agisse d’enseigner une
1
Transcription d’enregistrements audios conduits dans des classes
accueillant des enfants nouvellement arrivés (ENA) en France, dans
des classes du primaire et du secondaire, dans des classes d’un collège
inscrit en Zone d’Education Prioritaire -ZEP- ainsi que dans des
classes issues d’un collège à milieux socioculturels dit « favorisé et
facile », et enfin à l’université en cours de FLE destinés à des
étudiants étrangers.
98
langue « maternelle », « seconde » ou «étrangère ». En effet, il
ressort de nos analyses que la tension verbale se trouve au centre
de la question des pratiques interactionnelles et des
représentations en usage dans le milieu scolaire.

Plus précisément, deux questions ont animé notre démarche :

Comment est abordée la communication interculturelle et


quelles sont les tensions constitutives de freins portés aux
modalités d’appropriation d’une langue en classe,
indépendamment de son statut (LM/LS/LE) ? En effet, le
contexte scolaire peut porter l’étiquette FLM alors même que les
élèves qui composent la classe parlent une autre langue à la
maison (cas d’un élève sur deux dans les grandes villes selon
Bertucci et Corblin 2004). Pour nous, toute interaction comporte
donc une dimension interculturelle et les télescopages de
normes (endolingues et exolingues peuvent être présents). Nous
nous focalisons alors sur ce qui peut conduire de
l’interculturalité et des représentations négatives à des moments
de tension interactionnelle en classe de langue. Nous
procéderons alors à la comparaison des moyens utilisés pour
gérer la tension dans ces différentes situations en ZEP (étude de
la gestion du conflit verbal et étude de son impact sur la gestion
de l’échange ternaire classique appelé IRE -interrogation,
réponse, évaluation-) et en FLE (gestion de la survenance de
moments de non compréhension enchâssés dans l’échange
ternaire classique).

Tensions et enseignement/apprentissage d’une


nouvelle langue-culture

Cette étude, conduite en France dans les classes de l’Hérault


et du Gard en primaire et au collège accueillant des ENA,
permet d’aborder la question des pratiques interactionnelles et
99
des représentations en usage dans le milieu scolaire qui peuvent
freiner l’intégration des ENA.
L’étude de deux types de publics (ENA et publics
plurilingues de ZEP) a permis d’articuler une réflexion sur les
pistes de remédiation envisageables face à des représentations
négatives dans le cas de l’enseignement-apprentissage d’une
nouvelle langue-culture. Les terrains, ayant servi à cette étude,
ont en commun de mettre en exergue la dimension relationnelle
à l’autre, des processus communicatifs qui oscillent très vite
entre compétition et coopération. Dans les interactions les plus
marquantes, il peut même y avoir rupture conversationnelle,
voire acte menaçant (Auger, 2003). Ce positionnement par
rapport à l’autre révèle une attitude identitaire que Blanchet
(2007 : 24) nomme « l’identit de façade (« sentation
artificielle de traits culturels attendus par action fensive
d’ vitement du risque d’ valuation jorative ») », le plus
souvent inconsciente. Mais derrière ce point commun à ces deux
publics, il existe une différence importante : les enfants de ZEP
n’ont généralement pas de difficultés relatives à la compétence
langagière (comme décrits dans les travaux de Gumperz (1982)
par exemple), du moins à l’oral. Il s’agit plutôt, dans les
interactions, de mettre en exergue des enjeux de norme, des
revendications identitaires (de soi ou d’un groupe). Toutefois
dans les deux cas, les processus restent les mêmes, accentués
peut-être dans le cas des ENA puisque ceux-ci n’ont pas encore
les mots pour dire ce qu’ils sont.

Les causes

Rencontrer l’autre, un vécu souvent sous le signe de la


contrainte
Ces enfants n’ont pas choisi la nouvelle langue-culture. Ils y
ont souvent été contraints par de multiples facteurs : guerre,
grande difficulté économique, etc. La « transplantation » (Varro,
1984) peut alors être vécue sous le signe de la contrainte. En
situation d’enseignement-apprentissage du français, ces publics
100
peuvent avoir des attitudes « conflictuelles » face à la nouvelle
langue-culture, et ceci d’autant plus si l’enseignement-
apprentissage ne développe pas des approches qui prennent en
compte les besoins de ces élèves. Par ailleurs, même sans
contrainte, rencontrer l’autre peut mettre le même en difficulté
car l’héritage de la pensée monolingue reste très fort en France
et le bilinguisme de ces élèves est encore souvent davantage
traité par les enseignants en terme de déficit qu’en terme de gain
(Varro, 2003) malgré les avancées en recherche sur cette
question, qui démontrent l’inverse pourtant l’inverse (Cummins,
2000).

Différents types de freins


Par rapport aux enquêtes menées, Auger (20087) a relevé
deux types de freins :
- l’un plus macro et relatif aux représentations du français dans
le système éducatif en France (vision mono-dure et monolingue
de la langue française qui laisse peu de place à la notion de
variation en français ou entre langues connues.
- et un ensemble de freins plus micro, repérables dans certains
discours et certaines pratiques en classe relatifs au bi/-pluri-
linguisme (ne pas accepter les langues des élèves en classes,
considérer telle ou telle langue maternelle comme plus
valorisante pour les apprentissages) et au fait d’apprendre une
langue seconde (percevoir l’interlangue comme un processus
négatif).
Représentations du bilinguisme : Les équipes de sociologie
du CNRS comme celle de Gabrielle Varro (2003) avec Paris V
ont montré que les représentations du bilinguisme sont souvent
négatives lorsqu’il s’agit d’un ENA car le fait d’être bilingue est
« reconnu en tant qu’attribut de l’élite » et il est souvent « nié
lorsqu’il est le fait de la grande majorité des enfants primo-
arrivants issus de milieux sociaux en décalage avec la culture
scolaire ». C’est le cas aussi selon la langue et sa représentation
en France qui est le résultat du lien historique entre les
101
différents pays des locuteurs. Ainsi, un bilinguisme anglo-
français ou germano-français sera mieux perçu qu’un
bilinguisme arabo-français par exemple.
P : ben+++ non+++ non+++ ils ne sont pas plurilingues++
Enq. : ah non ?
P : ben+++ i : sont loin de maîtriser plusieurs langues+++
ben pour certains peut-être qu’ils vont arriver à maîtriser les
deux langues+++ hum :: le français et et :: la langue de la
maison+++ à être bilingue quoi+/ si vous voulez+++ à la limite
Les enseignants que nous avons pu observer et qui ont
répondu à nos entretiens n’ont pas toujours connaissance de ce
qu’est l’apprentissage d’une langue étrangère, ni de ce qui
constitue une compétence plurilingue et pluriculturelle dont l’un
des premiers aspects est le développement de l’interlangue. La
méconnaissance des approches interculturelles peut parfois
entraîner des malentendus qui enracinent certaines
représentations voire des stéréotypes culturels plus ou moins
conscients. Ces « conflits » de représentations et ces
stéréotypies sont parfois nuisibles à l’enseignement (Auger,
2005).

Pistes de remédiation
Ces représentations et pratiques de l’enseignement du
français, du bi-/, pluri-linguisme, de ce qu’est l’apprentissage
d’une langue étrangère provoquent trois types de conséquences
non négligeables : l’isolement des enseignants, les carences
d’outils et une formation de formateurs qui ne diffuse pas
encore de façon généralisée les données de la recherche en
matière d’approches plurilingues et pluriculturelles.
Face à cette problématique, quelles peuvent être les pistes de
remédiation ?
- La première semble être la question de la reconnaissance de
l’altérité. Celle-ci passe par une prise de conscience de l’autre
102
et des mécanismes d’appréhension de cette xénité : reconnaître
les émotions, savoir se décentrer, contextualiser et objectiver
une situation interculturelle ce que Blanchet (2007) résume
comme une prise de conscience du processus de relation
interculturelle.
- La seconde reposerait sur une réflexion sur la langue-
culture. Partir de la langue pour aborder « les formules
culturelles » de chacun selon l’expression de C. Camilleri
(1994) semble très pertinent. La langue, qui évolue selon les
contextes et révèle aussi les métissages, véhicule à tous les
niveaux bien des représentations.
- Passer d’une approche de l’interculturel à une mise en
œuvre co-culturel par les interactants, processus qui favorise :
vers la pédagogie actionnelle.
Ainsi, il s’agit de comprendre comment les usages agissent
sur les comportements et inversement. Puren (2002) semble
annoncer que l’ère de « l’interculturel », qui travaille
essentiellement sur le côté représentationnel, cède le pas au
« co-culturel » : un agir ensemble qui permet aussi de tisser le
lien. L’interculturel et le co-culturel pourraient alors
s’apparenter à l’articulation « représentations/usages » et
devenir complémentaires dans les pistes de remédiation.
- Les arts du langage qui permettent, au travers des pratiques
artistiques et culturelles, de pouvoir faire ensemble : monter une
pièce de théâtre, écrire un scénario de film, un conte, mettre en
place un spectacle dansé. Cet agir ensemble, forcément
coopératif, met en œuvre du langage, fait émerger de la parole
subjective. Ainsi, en s’appuyant sur les connaissances acquises,
l’apprenant est reconnu dans ce qu’il est, ce qui provoque un
effet la motivation.
103
Vers des similitudes entre les conflits
interactionnels en ZEP et les conflits de représentation,
d’interculturalités et de compréhension en FLE ?

A partir d’une analyse contrastive portant sur la description


de la gestion de la relation interpersonnelle au collège (Romain,
2005, 2007 et 2009), les vraisemblables influences d’une
gestion différenciée de la relation interpersonnelle
maître/élève(s) sur le bon déroulement de la séance de cours et
plus particulièrement sur l’échange ternaire (IRE) ont été
interrogées. L’objectif est de rendre compte des résultats
concernant la description contrastive des composantes de
l’échange IRE (corpus constitué par des interactions didactiques
en classe de 4ème et de 3ème à l’occasion de cours de français en
milieux socioculturels dits favorisés et en milieux socioculturels
dits défavorisés). Une fois ces composantes relevées et
comparées suivant l’appartenance socioculturelle des élèves2,
nous avons analysé les séquences latérales au sein d’une
interaction à visée didactique du FLE (interactions didactiques
entre des enseignantes de FLE et un étudiant finlandais en FLE
de l’université de Provence) afin de rendre compte des
différentes séquences latérales rencontrées dans ce type
particuliers de didactique du français. A partir de ce corpus, les
modalités de conduite de l’échange IRE ont été décrites, du
point de vue des composantes de l’échange à travers le contenu
de la séquence ternaire au collège et de la conduite des
séquences latérales en communication exolingue. L’intérêt de
cette étude est de confronter et de comparer les différents
aspects des didactiques du français quant à la conduite de la
séquence latérale. Ceci afin de décrire les éventuelles
spécificités de chacune des situations didactiques rencontrées
voire d’établir des comparaisons. A ce stade, nous soulignerons

2
Appartenance déterminée suivant la localisation des établissements
-collège des quartiers sud de Marseille et collège inscrit en Z.E.P. de
Vitrolles- et confirmée indirectement par les fiches pédagogiques et
directement par le traitement de questionnaires soumis et remplis par
les élèves.
104
que, dans le cadre de l’interaction didactique, la séquence
latérale en communication exolingue ne revêt pas la même
fonction que la mise en place de stratégies d’obtention de
réponse concluante en communication endolingue, les
séquences latérales constituant une sorte de parenthèse
potentielle, de mise en suspens, de l’échange ternaire, alors que
les stratégies éventuelles d’obtention de réponse concluante sont
constitutives de ce même échange. Néanmoins on se demandera
si la mise en place de stratégies d’obtention de réponse
concluante, que des travaux antérieurs (Romain, 2005) ont
révélées être beaucoup plus nombreuses quantitativement pour
un même échange IRE en ZEP qu’en milieu dit facile, ne serait
pas constitutive d’une séquence particulière que nous tenterons
de décrire comme se situant à mi-chemin entre la séquence IRE
au collège et la séquence latérale en didactique du FLE et qui
répondrait à un même souci de remédiation à un moment de
tension (effectif ou potentiel) émergeant dans l’interaction
didactique, mais dont l’acte déclencheur serait néanmoins
différent (conflit interpersonnel en ZEP et conflit de
représentations, de non/mé-compréhension, ou encore culturel
en FLE).

L’échange IRE dans un collège zépien

Analyse de la gestion de la relation interpersonnelle en


situation de tension
En milieux socioculturels dits favorisés, les enseignantes
imposent le style de l’interaction, le protocole, ses enjeux et ses
règles conformément au contexte institutionnel ; elles usent
notamment de marqueurs paraverbaux (prosodiques et vocaux),
d’intensité articulatoire et du timbre de leur voix, du débit et de
l’articulation de leurs phonèmes (Romain, 2007). Elles refusent
toute atteinte portée à leur face et réagissent très rapidement
voire par anticipation, de fait elles positionnent
systématiquement leurs élèves en position basse. Les élèves
acceptent de subir cette situation dissymétrique.
105
P : tiens-toi correctement
Elève : j’ai fait tomber le crayon
P : je m’en fous tiens-toi correctement
Au contraire, en milieu dit défavorisé, les enseignantes
assouplissent considérablement leurs taxèmes verbaux, il s’agit
pour elles de ne pas faire peser trop de poids institutionnel sur
leurs élèves, ceci les conduit à reculer leur seuil de tolérance et à
rechercher la coopération au point de ne pas relever des atteintes
portées à leur face, qui dans le cas contraire pourraient peut-être
bien les conduire à la perdre définitivement, et donc à occuper
momentanément mais de façon récursive une position basse.
P : voilà/ HICHEM il a un livre il sert à RIEN/
ABSOLUMENT à RIEN/ il décore la table là vous voyez
t’as pas chut suivi/ on aurait mieux fait de le donner à des
filles qui auraient travaillé
Elève : qu’est-ce qu’elle veut <agacement >

Le problème des altérations et de la gestion du rapport de


force maître/élève(s) se pose donc essentiellement en milieu
difficile. Les enseignantes y rencontrent des difficultés à tenir
un échange discursif de son initiation à sa clôture, contrairement
à ce qui se produit en milieu dit facile. Dans un contexte où la
situation de communication est dépendante d’une attitude
désinvolte et potentiellement agressive de certains élèves qui
mettent les enseignantes régulièrement en position basse, ces
dernières adoptent une conduite qui tend à dissiper cette tension
ambiante, peu favorable à une situation d’apprentissage, par la
mise en œuvre de procédés de réajustements et de négociation
de la relation interpersonnelle, privilégiant la coopération à
l’autorité, ceci afin d’éviter la réalisation d’un conflit,
potentiellement déstabilisateur pour le reste de la séquence,
tendant à émerger avec un ou des élève(s). De fait, des stratégies
d’évitement apparaissent là où en milieu dit favorisé une attitude
agonale sera nettement affirmée.
106
Liens établis entre la gestion de la relation
interpersonnelle et la gestion des échanges I.R.E.
Les stratégies majoritaires des enseignantes des classes de la
ZEP observée contribuent à alimenter le registre coopératif que
ces enseignantes tendent à maintenir entre elles-mêmes et leurs
élèves. L’aspect valorisant et lénifiant des concessifs, mais aussi
leur aspect indiciel, du fait de la ou des informations
supplémentaires accompagnant certains concessifs proposés par
ces enseignantes, tout comme d’ailleurs celui des reformulations
informationnelles, qui cherchent à aider les élèves dans leur
construction pertinente de la réponse attendue, infèrent de fait la
volonté de ces enseignantes de valoriser les productions
verbales des élèves mais aussi de les aider dans le cheminement
de leurs formulations. Ce cheminement méthodique souligne le
registre coopératif des enseignantes de ZEP, recherchant la
négociation et la coopération des élèves, et donc un
assouplissement de leur position institutionnelle conférée par le
système scolaire français, contrairement à ce qui se produit avec
la démarche des enseignantes en milieu dit facile qui présentent
un registre plus agonal, soulignant en cela leur position haute,
en ayant recours à des réfutatifs (qui dénoncent explicitement
les erreurs des élèves) et à des formulations directrices
complémentaires (qui forcent les élèves à adopter une certaine
démarche, sans marge de manœuvre, pour la formulation de
leurs réponses).
Ainsi, en ZEP la gestion consensuelle des moments de
tension interactionnelle semble induire une conduite tout aussi
consensuelle de l’échange IRE. Si l’enseignante a un registre
discursif réducteur de distance, à savoir davantage coopératif
que directif, ses stratégies d’obtention de réponses concluantes
seront plus diversifiées et tout à la fois plus encourageantes
lénifiantes et plus indicielles (elles aident davantage les élèves,
elles les positionnent en situation favorisant, à tout le moins
recherchant, leur réussite). Ainsi ces élèves, initiateurs de
moments conflictuels, sont « canalisés voire manipulés » par le
registre discursif de ces enseignantes qui parviennent par ces
stratégies (de contournement, évitement, des conflits et
107
d’obtention de réponses concluantes) à les ancrer dans de
véritables échanges pédago-didactiques.

Les séquences latérales enchâssées dans une séquence


IRE en communication exolingue : Le cas du FLE
En communication exolingue, dans le contexte didactique
considéré, les participants ne peuvent ou ne veulent communiquer
dans une langue commune : soit qu’ils n’en aient pas, soit qu’ils
choisissent de communiquer dans une autre langue. C’est ce dernier
cas qui caractérise la classe de langue. En classe de langue, on est
conscient de cette situation particulière et les participants vont
interpréter chacun à leur manière ce type de situation. L’échange
est forcément structuré par cet état de chose : les participants vont
adapter leur comportement et leur conduite langagière à cette
situation. Cette démarche analytique permet à la fois de prendre
conscience et de se donner les moyens de détecter, à l’aide d’une
vigilance exacerbée, les difficultés apparaissant au cours de
l’échange. Finalement, la communication exolingue doit être
envisagée sous ses différentes formes comme une dimension
spécifique de la communication langagière. On considère en
général que ce type de communication est plus fragile que la
communication endolingue dans la mesure où il existe une
asymétrie plus marquée dans la maîtrise du système linguistique.
Ainsi, l’intercompréhension est plus difficile à réaliser et, les
risques de malentendu sont nombreux. De même, le déroulement et
la poursuite d’un échange sont plus difficiles à réaliser. Ces
situations de malentendu exercent une forme de tension voire
même de violence interactionnelle, certes différentes de celles
observées en ZEP mais néanmoins clairement identifiables et
portant une atteinte au bon déroulement de l’interaction didactique
du fait de l’émergence d’une résistance qu’il est nécessaire pour
l’enseignant de prendre en compte, d’anticiper lorsque cela est
possible, et de gérer au mieux, afin que la tension laisse place au
bon déroulement, intelligible, compréhensible, de l’interaction.
Pour autant, se joue aussi en ZEP ce que Blanchet (2007 : 24)
nomme « l’illusion de similarit qui fait ignorer les rences
culturelles sous la façade d’une langue e : c’est
probablement dans ces situations, plus que dans celles es
108
par une ostensible, que les enjeux interculturels sont »
(finalement) « les plus grands ».
Ainsi, en classe de langue, la séquence ternaire classique est
régulièrement interrompue pour régler un problème de type
linguistique ou communicatif. Toutes les conditions pour que la
séquence initiale se déroule normalement ne sont donc pas
toujours réunies. A ce moment là, la séquence latérale
s’enchâsse dans une activité de cours qu’elle interrompt
provisoirement. L’enseignant de langue doit donc être averti et
formé à l’importance d’une telle gestion, car de cette dernière
dépendra la pertinence de la clarification, l’explication, la
reformulation, etc. Suite à l’analyse du corpus, nous avons
relevé trois grands types de séquences latérales (reformulation,
de correction et de recherche et d’aide lexicale).
Pour l’enseignant, l’objectif est donc de réguler
l’intercompréhension, d’identifier et de résoudre les problèmes
de compréhension et d’intercompréhension. Une gestion de la
tension interactionnelle est nécessaire afin de ne pas conduire
l’interaction sur une voie sans issue, à l’échec. Une similitude
évidente existe entre la tension survenant dans cette interaction
didactique (où la séquence latérale, en tant que partie intégrante
de la séquence de travail, vient affiner, préciser, éclaircir,
assurer la compréhension voire éviter le malentendu, etc., elle
cherche à éviter une montée en tension interactionnelle pour
assurer l’inter-compréhension) et celle vécue par les
enseignantes de ZEP (où la gestion de la relation
interactionnelle et interpersonnelle est nécessaire pour permettre
la réalisation complète de la séquence de travail), dans les deux
cas la tension, qui donne naissance au conflit, doit être identifiée
et traitée, gérée au mieux. L’enseignant vise la recherche de
l’apaisement de la tension afin de favoriser le bon déroulement,
(la compréhension et l’inter-compréhension) ou la réalisation de
la séquence didactique (la gestion de la relation
interpersonnelle). On comprend pourquoi un registre discursif à
dominante consensuelle, coopérative, favorisera l’apaisement de
la tension ou, dans les cas plus sévères, la résolution du conflit.
109
Dans le cas contraire, l’échec, la rupture interactionnelle
surviendrait.

Conclusion

Variétés et continuum en matière de malentendus


interculturels, de pratiques et tensions dans l’enseignement-
apprentissage d’une langue
Comme nous l’avons évoqué, on considère en général que la
communication exolingue (avec les ENA ou en classe de FLE)
est « plus fragile » que la communication endolingue dans la
mesure où il existe une asymétrie dans la maîtrise du système
linguistique. Par ailleurs, l’apprenant en FLE est
vraisemblablement plus averti que l’élève nouvellement arrivé
en France, de l’importance de la compétence sociopragmatique,
des malentendus et des chocs interculturels liés à sa situation
d’apprenant. En effet, l’enseignant de FLE est normalement
formé aux approches interculturelles alors que celui de FLS ne
l’est pas systématiquement comme le montrent nos enquêtes.
Mais notre étude permet d’établir que la dimension
interculturelle joue tout autant en ZEP, ou plus largement à
l’occasion de toute interaction. En effet, la maîtrise de la
compétence langagière n’est qu’un leurre de surface qui ne doit
pas occulter le fait que les malentendus interculturels sont
néanmoins présents et peuvent prendre un tour rapidement
conflictuels en milieu scolaire.

Vers une prise en compte généralisé de la problématique


interculturelle dans tout type d’enseignement–apprentissage
des langues
Il semblerait donc que les séquences latérales (pour aider à
l’(inter)compréhension en FLE/S mais aussi à
l’(inter)coopération en ZEP) soient, dans ces différents milieux,
des moyens de gérer au mieux ces moments de tension mais
110
encore faut-il qu’elles soient construites de façon à favoriser tant
la compréhension que la coopération interactionnelles.

En ZEP, des stratégies peuvent être mises en place par les


enseignantes, pour un même échange IRE, qui sont beaucoup
plus nombreuses qu’en milieu dit facile et reposent sur des
stratégies principalement encourageantes et indicielles. Par cette
catégorie de stratégies, les enseignantes cherchent à valoriser la
valeur de vérité des propositions de leurs élèves, qui se trouvent
favorisées par le registre discursif coopératif adopté par ces
mêmes enseignantes visant, principalement, à favoriser la
production verbale de leurs élèves en les accompagnant dans la
formulation et dans la recherche de réponses. Ces stratégies sont
facilitées par ce registre coopératif et, plus largement,
négociationnel. La gestion de ces séquences latérales destinées à
faire réussir les séquences IRE obéissent donc à un registre
discursif coopératif qui se trouve être comparable à celui
convoqué par les mêmes enseignantes en situation de tension
interactionnelle. Ce registre discursif consensuel semble
d’ailleurs aboutir à évincer des échanges IRE les éventuelles
interactions perçues comme parasites (c’est-à-dire autres que
favorisant le bon déroulement de l’échange IRE -aucune
intervention à visée conflictuelle, provocatrice de tension de la
part des élèves n’ayant été trouvée dans ce type d’échange-).
Cette séquence latérale coopérative ne vise pas la
compréhension et l’inter-compréhension comme c’est le cas en
milieu exolingue FLE ou FLS (réussite de la communication
dans sa visée didactique), mais la coopération et l’inter-
coopération des élèves en milieu difficile (réussite de la relation
interactionnelle et interpersonnelle). Ce n’est donc pas
seulement voire à titre principal la compréhension ou l’inter-
compréhension qui est visée ici, ni même finalement l’obtention
de la réponse la plus pertinente attendue par l’enseignante, mais
bien plutôt le fait pour ces élèves d’aboutir à satisfaire à
l’échange en le nourrissant de productions verbales que
l’enseignante encourage en octroyant dans sa validation
intermédiaire une valeur lénifiante. Et donc, pour ce faire,
111
l’enseignante peut privilégier un registre discursif coopératif qui
se trouve être le même que lorsqu’elles a à gérer des situations
conflictuelles avec ses élèves.
L’intérêt de cette étude aura ainsi été de montrer les enjeux
des choix discursifs des enseignants afin de pouvoir repérer des
éléments sur lesquels les professionnels pourront s’appuyer dans
le contexte de leur activité langagière professionnelle pour
mettre en œuvre une approche relationnelle qui prend en compte
la question interculturelle.

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interactions, Paris, Hachette Université.
1
L’AGIR PROFESSIONNEL
FACTEUR D’INSERTION
ET D’APPROPRIATION LINGUISTIQUE

Michèle Levacic-Burkhardt, EA Dynadiv 4246,


Université François-Rabelais Tours

Introduction

A l’heure où de nombreux débats sur l’immigration agitent


la scène politique de pays francophones du « Nord » (France,
Suisse, Québec et d’autres encore)2, où l’on évoque l’insertion

1
La notion de l’agir professionnel trouve sa source dans les théories
de l’action. M. Weber a proposé le modèle de l’action rationnelle ou
téléologique qui définit un sujet dont l’action s’inscrit dans un but
clairement défini. Le sociologue allemand H. Joas a développé une
sociologie de l’agir et a mis en valeur le caractère créatif de l’agir
humain. Différents courants de recherche permettent de concevoir
l’agir professionnel dans une dimension culturelle articulant le corps
dans l’interaction au sein d’une communauté de pratiques. Citons les
travaux de A. Jorro (2006) L’agir professionnel des enseignants, les
travaux de Lave et Wenger sur les communautés de pratique, ainsi que
D. Schön comme référence dans le courant de l’approche
praxéologique. Pour D. Schön, l’agir professionnel revêt un savoir-
faire observable dans les postures et les agissements spécifiques à tel
ou tel professionnel.
2
Les débats concernent les questions économiques, culturelles et
plus particulièrement les questions autour des langues des pays
d’accueil. En France, on observe la mise en place du DILF (diplôme
initial de langue française) depuis janvier 2007, rendu obligatoire pour
les signataires d’un CAI (contrat d’accueil et d’insertion), utile dans le
cadre d’un dispositif d’insertion et dans certains cas lors de demande
de naturalisation.
116
des populations migrantes et les critères linguistiques censés
devoir la faciliter, il semble pertinent de s’intéresser aux
questions des relations interculturelles, incluant la question de
l’insertion sociale. Cette question sera à rapprocher de celle de
l’agir professionnel.

Il paraît nécessaire de préciser d’emblée le sens des termes


souvent confondus « intégration », « insertion », versus
« assimilation »1. Dans ce dernier, les différences entre les
individus ou les groupes en présence sont gommées afin que
seules subsistent les caractéristiques de la partie dominante. A
l’opposé, la notion d’« insertion », que l’on pourrait rapprocher
ici de celle d’ « intégration », signifie que chaque partie trouve
une place dans un ensemble qui, bien que composite, garde une
certaine cohésion. Chacun y est légitimement reconnu et on
peut y voir l’idée d’adaptation, de flexibilité des différents
éléments mis en présence. Ils constituent un solide édifice,
consolidé par un matériau qui fait le lien, dont le plus souvent
une langue « commune ». En effet, la langue est un des moyens
privilégiés de communication des cultures et des identités. Or,
si l’on considère les variations d’une langue donnée et plus
largement ses nombreux contextes d’utilisation (cf. les langues
de spécialités), on doit admettre que l’intercompréhension n’est
pas automatique. Cette insertion professionnelle est rendue
possible non sans quelques mutations identitaires auxquelles
nous reviendrons plus tard.

1
L’utilisation de ces termes renvoie à des contextes différents. En
France, il a été question d’assimilation dès la fin du 19ème siècle et
jusqu’au milieu du 20ème. A cette notion a succédé celle d’insertion,
réservée à une immigration de passage nourrissant l’espoir du « retour
au pays ». Le terme d’intégration a été utilisé à partir de l’époque de
l’Algérie colonisée. Notons que beaucoup plus récemment, nous
parlons du « vivre ensemble » (C. Withol de Wenden, 2008).
117
Eléments de contextualisation

Nous nous intéresserons ici essentiellement à la question de


l’insertion sociale et professionnelle et précisément, celle de
professionnels médicaux allophones exerçant en milieu
hospitalier français. Il s’agit de personnes immigrantes (des
médecins diplômés ou en cours de formation), situées hors de
leur contexte familier, des points de vue géographique,
linguistique et culturel. Ces médecins sont plongés dans
l’exercice de leur fonction, sans maîtrise préalable de la langue
pratiquée sur le terrain.
Il semble nécessaire de préciser ici que de nombreux travaux
ont trait à une problématique qui paraît semblable, mais qui en
réalité se pose de manière différente. Il s’agit de la relation
interculturelle entre médecins et patients-migrants, traitée
notamment par P. Singy qui, comme nous pouvons le voir, se
décline selon une autre orientation : «Tous les chercheurs ou
presque qui font de la relation médecin/patient le centre de
leurs préoccupations tombent généralement d’accord pour voir
en elle une relation essentiellement verticale. Cette dernière
résulte du jeu de toute une série de distances sociales séparant
le médecin du patient, distances en règle générale à l’avantage
du premier et parmi lesquelles on trouve celles exprimées par
une asymétrie comprise en termes de capital cognitif,
institutionnel et linguistique » (P. Singy, 2003 : 135).
Ici, le médecin a un statut légitime de professionnel et c’est
le patient qui est le migrant allophone en situation
stigmatisante. Notre recherche s’attache, d’un autre point de
vue, à analyser la situation du médecin immigrant et allophone
qui de fait, voit sa légitimité professionnelle entamée du fait
même de son allophonie.
L’objectif est de proposer un positionnement différent de
ceux habituellement rencontrés concernant les relations entre
langue et insertion, qui posent généralement la dimension
linguistique, comme facteur premier, toujours essentiel, dans les
processus d’insertion sociale au sein d’une communauté. On
peut en effet imaginer, dans un positionnement inversé, que
118
l’insertion professionnelle est susceptible d’engendrer et de
favoriser l’accès à la langue : on apprend mieux une langue
lorsqu’il est possible d’ancrer sa pratique dans un contexte,
notamment professionnel, comprenant des éléments connus et
partagés. Référons-nous aux théories sur le langage élaborées
par L. S. Vygotski (1934, trad. 1985) et J. S. Bruner (1983). Ils
soutiennent la thèse que la pensée a une origine externe et que
c’est dans un fonctionnement social, autrement dit dans
l’interaction que s’inscrit le développement du langage.

Quelques aspects notionnels et méthodologiques

C’est à partir d’une recherche de thèse en cours que nous


illustrerons notre propos, en analysant des entretiens semi-
directifs menés avec des médecins allophones ayant effectué
l’essentiel de leur cursus universitaire dans leur pays d’origine,
dans une première langue de scolarisation et qui exercent leurs
compétences professionnelles en France, malgré une maîtrise
insuffisante de la langue française. L’objectif poursuivi est pour
les uns, une installation à long terme en France et pour d’autres,
une expérience supplémentaire, une formation à la médecine
pratiquée en France.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, précisons la notion d’agir
professionnel.

L’agir professionnel

Il s’inscrit dans une dimension dynamique. En effet, l’agir


génère, comme son nom l’indique, un ensemble d’actes, et le
qualificatif professionnel suppose que cet ensemble est en
principe organisé en un tout plus ou moins cohérent dans un
contexte social donné. Il est le plus souvent associé à une
interaction verbale. C’est dans une relation dialectique que
l’agir se lie au verbal. Ces deux formes d’intervention sur le
milieu se complètent et nous le vérifions dans les propos de
119
Gebauer et Wulf, « le monde mimétique n’est rien en lui même.
Il nécessite, pour être compris, la création d’un monde
mimétique en second-[…]. Le second monde clarifie le premier.
Mais l’action mimétique ne se limite pas à deux mondes : elle
est en fait transversale à plusieurs mondes, le long d’une chaîne
de relations inter-mondes. […] Un monde doit être compris,
faire sens ou être interprété en référence à un autre. Il est
difficile de trouver un concept précis pour relier ces mondes ;
nous ne parlons pas d’un monde de connaissance purement
cognitif ou purement théorique, nous voulons décrire un monde
de connaissance différent, un monde de connaissance dans
lequel la dimension pratique du faire – le sensoriel, le corps,
l’auto-développement commun – joue une part essentielle. » (G.
Gebauer et C. Wulf, 1995, p.13-24 cité par Jean-Paul Fischer et
Jean-Baptiste Perret, 1998, p.63-66).
Chez Aristote, on trouvait le concept de mimésis. Il s’agissait
à l’origine d’une œuvre artistique et littéraire représentant le
réel. C’est donc un terme grec dont le sens a évolué au cours
des siècles. Le mot a ensuite été utilisé par différents chercheurs
pour désigner tout ce qui relève du « faire à la manière de ».

Rapprochons ce concept de celui de l’agir professionnel afin


de mieux comprendre ce dernier. N’est-il pas le moyen d’agir
avec cohérence dans un contexte social ? Selon Wenger (2005 :
53), « une pratique est toujours sociale » et il ajoute pour le
justifier que « c’est « faire » dans un contexte historique et
social qui donne une structure et une signification à ce qu’on
accomplit » (ibidem).
Dans une communauté, quelle qu’elle soit, en l’occurrence
celle des médecins, chacun des membres doit contribuer au bon
fonctionnement de l’ensemble dont il fait partie, en agissant
pour compléter ou renforcer une action commune. Ainsi, les
médecins accomplissent certains gestes de la même manière et
emploient les mêmes outils dans des situations similaires, etc.
Dans tout apprentissage, l’imitation est l’un des
préliminaires à une action maîtrisée, elle permet d’intégrer des
120
façons d’agir qui en se transmettant, se combinent et se
modifient pour donner lieu à des activités plus créatives, plus
personnelles.
C’est en effet beaucoup par l’imitation que les médecins
allophones interviewés procèdent pour pénétrer le nouveau
milieu professionnel (l’hôpital français) et être reconnus comme
légitimes par leurs pairs francophones. Pour décrire cette entrée
progressive, référons-nous à un concept de Lave et Wenger
(1991) qu’ils ont appelé « la participation périphérique
légitime »1 qui signifie qu’un non initié entre dans une
communauté à sa périphérie pour y être progressivement
intégré. Il s’agit là d’un processus d’apprentissage qui se double
de celui d’enculturation ou d’insertion.

Le questionnement

1. Le fait d’être reconnu et légitimé pour ses qualités de


professionnel ne serait-il pas une source de motivation
inestimable pour l’acquisition de la langue cible ? Un des
médecins nous dit :
« quand je suis arrivé en France / je savais dire que
bonjour / j’ai suivi des cours de français pendant un mois /
mais après ça / je me sentais toujours pas capable d’avoir une
conversation avec des Français / mais à l’hôpital /, j’avais
l’impression de mieux comprendre et j’avais envie de parler
comme mes collègues parce que je comprenais ce qui se
passait »
On assiste à une sorte « d’adhérence » de l’individu au
contexte social qu’il reconnaît, grâce à ses ressources
personnelles, à sa connaissance de quelques éléments qui le
composent.

1
Legitimate Peripheral Participation, en anglais dans la version
originale.
121
2. Comment les éléments linguistiques et professionnels
s'
articulent-ils pour favoriser l’insertion de professionnels en
contexte exolingue et interculturel ?
On permet à l’individu doté de compétences professionnelles
de les utiliser d’emblée, de s’intégrer grâce à elles au lieu d’être
maintenu en dehors des échanges sociaux sous prétexte d’un
« handicap linguistique ». Cela peut paraître une prise de risque.
Pour analyser la situation dans laquelle se trouvent les
médecins allophones en contexte professionnel français, nous
nous appuierons sur quelques fondements théoriques.

Quelques références théoriques

- Les stratégies cognitives et sociales élaborées par Wong-


Fillmore1 (1979) (D. Gaonac’h, 1991 : 194). Wong-Fillmore
établit une correspondance entre ces deux types de stratégies,
montrant leur caractère indissociable : selon elle, il n’y a pas de
stratégies cognitives purement formelles et il n’y a pas de plus
grande motivation à acquérir des informations sur le
fonctionnement de la langue que celle relative à l’interaction
sociale.

- Stratégies sociales :
1. « Joignez-vous à un groupe et faites comme si vous
compreniez ce qui se dit, même si ce n’est pas le cas. »
2. « Donnez l’impression par quelques expressions bien
choisies que vous êtes capables de parler la langue. »

1
Wong-Fillmore, L (1979): Individual differences in second
language acquisition. In C. J. Fillmore, D. Kempler & W. S.-Y. Wang
(Eds.), Individual differences in language ability and language
behaviour. New York, Academic Press.
122
- Stratégies cognitives :
1. « Supposez que ce qui se dit est en liaison directe avec la
situation ou l’activité en cours. »
2. « Repérez ce qui se répète dans les expressions que vous
connaissez. »
3. « Utilisez au maximum ce que vous avez acquis. »
- La théorie du « Moniteur » de Kraschen1 qui oppose
l’apprentissage explicite en milieu formel d’une langue à son
acquisition en milieu informel. Dans ce dernier cas, l’apprenant
étant directement impliqué dans l’interaction sociale, manipule
la langue de manière plus inconsciente et se focalise beaucoup
plus sur le contenu que sur la forme.

Quelques éléments de réponse

L’analyse des extraits d’entretiens nous permet de construire


quelques éléments de réponse autour de trois axes :
1. l’agir professionnel
2. les interactions
3. les processus d’identification entre les différents membres
de la communauté

1
Les termes « monitor theory » sont traduits par « théorie du
contrôle » par Klein (1984, trad. française 1989 : 44). Selon cette
théorie, l’adulte a deux systèmes indépendants pour développer ses
connaissances en langue étrangère, à savoir, « l’apprentissage
conscient de la langue » (« conscious language learning ») et
l’ « acquisition subconsciente de la langue » (« subconscious language
learning »). Lorsque le sujet apprend une langue, il est attentif à, et
donc conscient de la forme linguistique des énoncés qu’il produit,
mais ce n’est pas le cas dans l’ « acquisition » qui est marquée par
l’absence d’une telle conscience chez le sujet.
123
Axe 1 : L’agir professionnel

C’est dans la construction de l'espace de travail tout d'abord


que se développe l' agir professionnel. Il s’agit d’un espace où
les individus ont des connaissances partagées, des points
communs dans les modes de pensée, dans les façons de traiter
des situations vécues ensemble, de les interpréter, d’y réagir.
« c’est parce que je vois ce qui se passe dans le service avec
les malades que je peux comprendre / maintenant / c’est plus
facile pour moi de parler que de parler dans la rue ou de lire le
journal » déclare un médecin.

Daniel Véronique évoque le positionnement de l’alloglotte


suivant les enjeux communicatifs et sociaux. Selon ses termes,
il peut être « solidaire ou non du groupe des natifs », « usager
ou apprenant». Intégrer le sujet alloglotte à un groupe de
professionnels en reconnaissant son savoir-faire, malgré son
déficit linguistique, est une forme de négociation entre les natifs
et les non natifs1 qui permet d’être intégré et d’intégrer en
contournant la difficulté de la langue. Il s’agit de prendre en
compte tout le potentiel exprimé et / ou non exprimé de
l’individu. La posture de l’alloglotte est donc variable selon la
méthode d’apprentissage de la langue et selon les possibilités
qui lui sont offertes. En milieu institutionnel d’apprentissage,
l’apprenant est maintenu plus longtemps à l’extérieur des
réseaux de communication alors qu’en situation « authentique »
- c’est-à-dire en situation où l’on ne fait pas « comme si » mais
où l’on fait « vraiment »- et a fortiori en contexte professionnel,
l’apprenant est intégré, est partie prenante de l’interaction
sociale.

1
Ces dénominations sont critiquables mais nous reprenons ici les
termes utilisés par Daniel Véronique. Nous pourrions dire locuteur
francophone confirmé ou locuteur francophone débutant.
124
Axe 2 : Les interactions
Par les interactions des membres de la communauté
médicale, où plusieurs éléments entrent en résonance : les
indices verbaux (discours, énoncés, dialogues) et les indices
non verbaux (gestes, regards, mimiques…) forment un
ensemble hétérogène riche d’enseignement. La langue, au sens
strict, est ici au second plan, elle sert à mettre en mots1 et en
discours une situation, c’est l’agir qui suscite la parole, la
production du discours. Le contexte est générateur d’une
réaction évocatrice d’un savoir partagé. Les mots, la parole
viennent en complément. La langue devient un outil de
médiation de l’activité et, pour les médecins allophones,
l'
activité est facteur d' appropriation linguistique. L’une des
stratégies cognitives consiste à deviner le sens des paroles de la
langue cible et à employer intensivement tout élément connu.
Le locuteur de la langue majoritairement parlée, pour ne pas
dire le natif, joue implicitement un rôle d’étayage linguistique
dans l’action collective même, sans qu’il y ait besoin d’un
contrat didactique. Un interne en radiologie, venu de Roumanie
nous explique comment il est devenu capable de rédiger des
comptes rendus :
« au début / je suivais un collègue français / je regardais /
j’écoutais / je faisais les radios / on regardait l’image ensemble
et puis je lisais les comptes rendus qu’il écrivait. »

C’est dans la confrontation et la collaboration avec des


locuteurs francophones, dans un univers partagé que le
professionnel alloglotte se voit reconnu progressivement
comme usager de plus en plus expert de la langue et de ce fait
bien intégré.

1
Le concept de mot peut paraître réducteur, mais nous tenons à
exprimer cette idée de mot à la suite d’une remarque d’un médecin
rencontré. Il nous expliquait combien lui a été utile la réalisation d’une
liste de mots français désignant les ustensiles du bloc opératoire.
125
Axe 3 : Les processus d’identification entre les
différents membres d’une communauté
Des processus d’identification interviennent entre les
représentants du modèle professionnel dominant (médecins
français encadrant) et les médecins en « formation » (médecins
allophones faisant fonction d’internes) et renforcent le
phénomène d’insertion professionnelle. S’inspirer d’un modèle
auquel on aspire est un moyen de lui ressembler et constitue une
chance supplémentaire d’être reconnu et légitimé au sein de la
communauté à intégrer. Ainsi, le médecin allophone observe,
s’imprègne de la langue, des façons de faire, des attitudes et
imite « le modèle » auquel il tend à s’identifier. En effet,
« l’individu s’éprouve lui-même non pas directement, mais
seulement en adoptant le point de vue des autres ou du groupe
social auquel il appartient » (L. Baugnet, 1998 : 51). Un des
médecins rencontrés nous dit ainsi :
« au début / je ne fais rien / je dois observer / écouter le staff
/ et ensuite j’essaie de faire la même chose »
Aussi, lorsqu’il s’agit de rédiger un compte rendu, le même
médecin nous explique ses stratégies :
« je comprends presque 100 % de ce que je lis / mais pour
moi / c’est encore difficile de trouver les mots et les phrases / je
lis beaucoup de comptes rendus et je choisis les phrases que je
comprends très bien et puis j’écris».
Il parvient à maîtriser la langue écrite et surtout le style
employé en s’imprégnant de modèles dont il extrait les
fragments les plus compréhensibles, les plus évocateurs d’une
situation vécue, pour se les approprier. Nous observons là un
processus en constante évolution, dans la mesure où il y a
passages successifs d’un état de connaissances, de potentiel
d’action, de possibilité de mobilisation de diverses ressources, à
un autre état ; s’établissent des combinaisons entre le « déjà-
là » et le « en construction » à compter du moment où le
professionnel n’occupe qu’une position d’observateur puis de
celui où il agit sous le contrôle d’un tuteur jusqu’au moment où
126
il devient autonome et pleinement responsable dans la
réalisation de ses actes. Le sujet s’adapte, cela signifie qu’il
réutilise progressivement à sa façon le discours de l’autre pour
construire à terme son propre discours.

Remarques conclusives

C’est en valorisant les compétences de l’individu allophone,


en lui laissant la possibilité des les exercer malgré les lacunes
de son répertoire langagier, que l’intégration sociale et
professionnelle se réalise, grâce à certaines qualités inhérentes à
la personne et à d’autres construites par les nécessités de la vie
sociale.
Utiliser son capital constitué de savoir, de savoir-faire et de
savoir-être quand il n’y a pas de savoir-dire est peut-être le
meilleur moyen de s’approprier la langue de la communauté et
de rendre compatibles des éléments qui a priori ne l’étaient pas.
Intégrer une communauté en adoptant ses codes, ses rites, ses
moyens de communication qui régissent des normes de
comportement, devient possible par un processus identitaire
lorsque certains des éléments en présence, comme des « gestes
professionnels » sont identifiables. « Le terme geste est […]
indicateur d’un mouvement, aussi bien verbal que corporel »
(D. Bucheton, 2008 : 20)1. Cette notion évoque simultanément
la « gestualité d’une action », sa spécificité et le répertoire
social dans lequel elle s’inscrit.

L’avenir dira si cette mixité de populations, cette


interculturalité au sein d’un groupe de professionnels relève
d’une ressource ou au contraire, d’un obstacle. Des réponses
devraient être trouvées lors de futurs entretiens menés auprès de
personnel soignant francophone chargé de l’accueil et de

1
D. Bucheton a étudié plus particulièrement les « gestes
professionnels » propres à ceux des enseignants.
127
l’encadrement des médecins allophones. En effet, s’intégrer
dans un groupe ne se fait que si le groupe accueillant aménage
des possibilités permettant cette insertion et cela nécessite des
ajustements, des articulations, des négociations des deux côtés.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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mars 2010]. Disponible en ligne. http://www.univ-
rouen.fr/dyalang/glottopol/numero_11.html.
OBJECTIFS CULTURELS DANS LES COURS
DE FRANCAIS
PERCEPTION ET RECEPTION DES
APPRENANTS IMMIGRANTS AU QUEBEC

Anne-Sophie Calinon, Université de Franche-Comté /


Université de Montréal

Introduction

Comment les immigrants-apprenants perçoivent-ils et


évaluent-ils les objectifs culturels de la formation linguistique
en français qu' ils suivent au Québec ? Dans cet article, nous
nous servons du contexte québécois pour entamer une réflexion
générale sur la place de la formation linguistique donnée aux
immigrants dans le but de faciliter le processus d’intégration.
Nous adoptons une perspective macrosociolinguistique en nous
intéressant à la politique linguistique du Québec pour, ensuite,
nous orienter vers des représentations d’ordre
microsociolinguistique.

Présentation du contexte d’étude

Le Gouvernement du Québec a pour volonté de favoriser


l’insertion sociale et économique des immigrants grâce aux
connaissances linguistiques et culturelles dispensées dans des
cours de francisation. Le Programme général d’intégration
linguistique prévoit que :
130
« à la fin de son stage de formation, l’immigrant adulte
sera capable :
- d’interagir oralement et par écrit, en
français, dans des situations de vie
quotidiennes ;
- d’interpréter les contenus et les règles de
comportements sociaux, culturels et
économiques afin d’agir de façon
appropriée » (1994 : 13).

Ces objectifs visant l’intégration linguistique de chaque


individu immigrant sont inclus dans les objectifs généraux
d’une politique globale de gestion de la diversité sociale. Le
français et la culture francophone, caractérisée par l’ensemble
des représentations et des valeurs sur lesquelles s’est construite
et se reconnaît la communauté francophone au Québec, sont les
éléments de cohésion de la société québécoise. Au niveau
institutionnel, le français est l’instrument essentiel qui permet la
communication et l’interaction avec les autres Québécois.
L’apprentissage du français viendrait appuyer le développement
du sentiment d’appartenance à la communauté québécoise dans
la politique de l’interculturalisme dont le principe est de
« concilier la diversité ethnoculturelle avec la continuité du
noyau francophone et la préservation du lien social »
(Bouchard, Taylor 2008 : 20).
Les cours de francisation1 sont supposés dispenser un
enseignement sur la société d’installation et sur la culture
québécoise. Par la définition d’objectifs culturels et une
présentation des valeurs communes de la société québécoise

1 Nous discutons des notions d’intégration linguistique dans un


article à paraître, « Langue commune, langue de communication,
langue d’intégration ? », Actes du colloque international
Hétérogénéité et variation : quels objets socio-linguistiques et
didactiques aujourd’hui ?, 27-29 Mai 2009, DIPRALANG-LACIS
(E.A. 739) Université Montpellier III, II et de l’Institut Universitaire
de France.
131
dans les cours de francisation, la visée politique (qui sous-tend
la mesure d’intégration qu’est la formation linguistique destinée
aux immigrants) est de former une société cosmopolite mais
homogène.

Dans les années 1990, le Québec avait axé l’intégration des


immigrants sur la pratique de la langue française et l’adhésion à
la culture franco-québécoise. En 2004, l’orientation choisie est
différente : le Plan d’action pour l’intégration des immigrants
présente l’intégration économique comme première et
déterminante. L’évolution des objectifs d’intégration du Québec
semble confirmer que « si l’intégration à l’espace politique d’un
Etat se fait, c’est qu’il est considéré comme un espace
résidentiel et ce n’est pas grâce aux vertus mobilisatrices de son
attraction culturelle. Dorénavant, il n’y a plus corrélation entre
intégration socioculturelle et socioéconomique. La cohésion
fonctionnelle de la société est assurée par le marché
économique et le pouvoir administratif avant de l’être par une
culture locale commune » (Bastenier et al. 2001 : 67). La
plupart des mesures prises pour favoriser l’intégration
concernent dorénavant l’accès à l’emploi car « par les contacts
et les collaborations qu’il nécessite et par les occasions de
s’exercer à parler français qu’il implique, il permet à
l’immigrant d’accélérer son processus d’intégration dans les
diverses dimensions de la vie sociale et de développer un
sentiment d’appartenance envers le Québec » (Québec MRCI
2004 : 43).
Ainsi, avant 2004, et d’après les textes institutionnels, une
compétence en français, suffisante pour interagir dans les
domaines de la vie quotidienne, ouvrait les différentes portes
(de la communauté d’installation et du marché du travail) de la
société québécoise. C’est désormais l’insertion économique,
conditionnée par cette même compétence, qui joue ce rôle,
selon ses institutions.
132
Problématique et bases théoriques

Comment le contexte politique et les ambitions migratoires


des immigrants influencent-ils leurs représentations des
objectifs culturels présents dans les cours de francisation ?

La « compétence à communiquer » considère l’individu en


tant qu’ « acteur social » celui qui utilise les connaissances
linguistiques pour interagir avec des interlocuteurs et qui
« développe et possède une compétence (composée de savoirs
et savoir-faire) qui, par le contrôle et la mise en œuvre de
moyens langagiers, peut agir et interagir avec d’autres dans un
environnement culturel déterminé » (Coste, Moore, Zarate
1997 : 9). La compétence de communication, telle que
présentée par le Conseil de l’Europe, intègre une composante
socioculturelle et une composante sociolinguistique qui, dans le
contexte d’étude (la formation linguistique dispensée aux
immigrants), jouent un rôle important dans la réussite du
processus d’intégration linguistique et d’intégration sociale. La
composante sociolinguistique est la capacité d’utiliser des
acquis linguistiques de manière interactionnellement adéquate.
Cette adéquation est permise par la connaissance des usages
sociaux, implicites et culturels du groupe linguistique cible. Le
respect de ces contraintes est possible si l’individu apprenant a
acquis des données socioculturelles sur l’univers de référence
de la langue-cible. La composante socioculturelle est définie
comme l’ensemble des savoirs fondamentaux ethnologiques et
sociologiques sur la culture et la société cibles. L’acquisition de
références culturelles permet d’identifier et de repérer le non-dit
culturel et, donc, les non-dits linguistiques d’une situation de
communication.
Si « l’efficacité langagière ou communicative d’une
interaction, intrinsèquement complexe et hétérogène, est
difficilement fractionnable » (Vasseur 2002 : 41), cette
distinction permet de montrer l’interaction très forte entre
langue, compétences interculturelles et utilisation adéquate de la
langue en contexte.
133
Ainsi, qu’est-ce qu’un locuteur compétent en situation de
communication ? C’est celui qui possède une compétence de
communication qu’il utilise de manière adéquate en fonction de
la situation de communication et dont le discours correspond à
la norme d’usage sociale.
La compétence interactionnelle d’un individu dépend :
- des ressources langagières qui font que son
discours correspond suffisamment à la
norme grammaticale pour permettre
l’intercompréhension,
- de la fréquence de ses interactions dans des
aires de communication qui correspondent
aux situations quotidiennes. Ces aires se
définissent par les caractéristiques de la
situation au moment où l’interaction se
réalise. Ces situations sont donc éphémères
mais récurrentes.
- de sa capacité à produire un discours
adéquat, c’est-à-dire correspondant à la
norme d’usage sociale attendue dans l’aire
de communication dans laquelle il se trouve
et de l’enjeu de l’interaction. Ces exigences
pragmatiques sont définies par la relation
entre les structures linguistiques et les
contraintes communicatives de la situation
de communication.

Ainsi, un individu autonome au niveau linguistique évolue


parmi différentes aires de communication, sait isoler les
paramètres de l’aire dans laquelle il se trouve et dispose des
moyens langagiers adéquats pour y tenir son rôle d’interactant.
S’inscrire dans les « normes d’interaction », définies comme
étant « les comportements particuliers et les propriétés qui sont
liées à la communication » (Hymes 1980 : 144), demande la
connaissance et la compréhension de la structure sociale et des
rapports sociaux d’une communauté culturelle. Accéder à la
connaissance de ces normes et de leur aspect rituel, permet de
134
respecter les formes de la relation sociale et d’atteindre la visée
de l’interaction : engager la conversation, demander un
renseignement, prendre des nouvelles… Cependant, la
compétence de communication ne sert pas seulement à atteindre
des objectifs langagiers pragmatiques. L’utilisation qu’un
locuteur fait de la langue le définit en tant qu’acteur social. Le
langage sert donc d’index social. Les indices sociaux, qui
permettent cette indexation, se divisent en éléments matériels,
moraux et également langagiers. Un locuteur catégorise
socialement son interlocuteur selon les caractéristiques
formelles de son discours. Ainsi, la langue possède, au-delà de
sa fonction référentielle et illocutive, une fonction proprement
sociale. Plus un individu aura les capacités langagières pour
évoluer parmi différentes sphères communicatives, plus sa
mobilité linguistique et sociale sera importante, et plus son
intégration linguistique sera facilitée. Les cours de francisation
et leurs objectifs culturels visent à développer ces mobilités qui
sont, toutefois, orientées vers les groupes et les normes
dominants de la communauté linguistique.

Description de l’enquête et des témoins

Les résultats sont issus de l’analyse thématique de 110


entretiens individuels et semi-dirigés que nous avons menés, en
2006, auprès d’immigrants suivant la formation linguistique
mise en place par le Gouvernement du Québec. Nous avons
ciblé les personnes en fin de formation afin, d’une part, que
l’entretien soit, le moins possible, empêché par des lacunes
linguistiques et d’autre part, que leurs réponses portent sur un
temps de formation suffisamment long (les témoins suivent la
formation depuis 26 semaines en moyenne).
Ces Néo-québécois ont tous été sélectionnés par le Québec
dans le programme de l’immigration choisie. Le Québec est
généralement leur premier pays d’immigration. Leur autre
langue étrangère connue est, la plupart du temps, l’anglais
135
qu’ils ont appris de manière institutionnelle durant un parcours
scolaire qui se termine, pour la majorité, à l’université.
La décision d’immigrer relève généralement de raisons
économiques. Les témoins sont conscients que l’obtention d’un
emploi qualifié, qui correspond à leur formation universitaire et
à leurs ambitions sociales, repose sur leur niveau de
compétence en français. Ces espoirs et ces attentes de réussite
sociale et économique exercent une pression très importante sur
ces immigrants-apprenants.

Résultats

Au cours de l’entretien, chaque témoin s’est exprimé sur les


objectifs culturels des cours. Nous cherchions à connaître quels
étaient les thèmes qui animaient les discussions, quelles
activités interculturelles étaient mises en place, comment se
matérialisait le prolongement des exercices structuraux. Nous
avons également posé la question de savoir si les normes
d’interaction, les valeurs, tout comme la géographie et l’histoire
de la société d’installation étaient abordées. Puis ces témoins
ont été invités à donner leur avis sur le contenu et l’organisation
de ces cours.
136

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Positifs mais peu présents


Presque la moitié des témoins (46,4 %) n’ont pas formulé
d’opinion sur cette question, soit par manque de compétence
linguistique, soit l’absence ou quasi-absence de ces objectifs
culturels pendant les cours.
Le graphique 1 présente ce que les autres témoins ont
répondu et montre que la découverte de la culture et des valeurs
137
de la société québécoise obtient de bonnes évaluations de la part
des apprenants (item 1.1 : 51,6 %, item 1.2 : 19,9 %, item 1.3 :
6,5 %, item 1.4 : 6,5 %). Selon eux, connaître la société
d’installation est un élément important pour la réussite d’une
installation à long terme. Les objectifs culturels des cours
visent, par exemple, à rappeler des valeurs considérées comme
fondamentales au Québec, le respect de l’orientation sexuelle
entre autres, à des personnes venant de pays où ces mêmes
valeurs sont moins admises ou à aborder des thèmes très
concrets relevant des règles de vie comme l’hygiène,
l’éducation des enfants ou encore à présenter l’histoire et la
géographie du Québec.

Quelle utilité ?
Pour 35 % des répondants (item 1.5), les contenus culturels
des cours sont perçus comme inutiles. Pour les témoins les plus
éduqués (2ème cycle d’université), cette proportion monte
jusqu’à 60 %. Deux causes semblent expliquer cette évaluation
négative. La première : un manque d’adéquation entre les
activités proposées et les objectifs d’insertion professionnelle
des témoins. Une des visées des cours est de faciliter leur
insertion économique. Cependant, il semble cependant que les
objectifs culturels des cours ne soient pas adaptés aux personnes
ayant un haut niveau de scolarité ou bénéficiant déjà d’une
expérience professionnelle. Les étudiants se sentent alors
dévalorisés et leurs connaissances et compétences sous-
estimées dans des activités décrites comme infantilisantes.

Urgence de l’apprentissage linguistique : objectifs


socioculturels et sociolinguistiques considérés comme
secondaires
Une deuxième cause semble justifier le sentiment d’inutilité
porté au volet culturel de la formation, logiquement justifié par
le constat d’inadéquation ci-dessus. Même si la découverte de la
138
culture est perçue comme un élément déterminant de leur
intégration, pour les témoins, ces connaissances n’ont pas
forcément leur place dans un programme de francisation dont la
durée est déjà considérée comme trop courte.

Les apprenants sont (et sont mis) dans une situation


d’urgence d’acquisition linguistique : ils veulent devenir le plus
rapidement et le plus possible « efficaces » au niveau
linguistique afin de s’insérer sur le marché de l’emploi. Étant
donné que la formation linguistique demande beaucoup
d’énergie et d’investissement, les témoins expliquent qu’ils ne
peuvent se disperser : la compétence linguistique stricto sensu
prime. C’est uniquement après avoir acquis un niveau de
français qu’ils jugeront satisfaisant qu’ils souhaiteront aborder,
dans les cours, les aspects culturels de la société dans laquelle
ils évoluent.

Ainsi, la majorité des témoins considèrent que réussir leur


formation linguistique joue un rôle déterminant dans la réussite
de leur intégration sociale et économique. Ils insistent sur le fait
que, ce qui va les aider à s’intégrer, ce ne sont pas quelques
connaissances sur le Québec, mais leur excellente compétence
en français :
« je peux pas dire que je l’aime [les cours] parce que je
suis une personne très active je vais faire autre chose
toujours autre autre autre toujours autre chose je veux
changer mon ma vie vous comprenez je veux arriver tout de
suite au niveau maximal de mon langue français pour
commencer le travail » (A16).

Ces résultats nous laissent à penser que les cours ne


présentent pas la compétence culturelle à travers une visée
interactionnelle mais plutôt comme un ensemble d’informations
et données sur la « culture » du Québec, sans mise en
139
perspective concrète et intégrée à l’ensemble de la formation et
aux projets d’insertion économique des apprenants.
Ainsi, pour aller plus loin et pour comprendre pourquoi les
objectifs culturels sont relégués à une place secondaire, nous
analysons les représentations des témoins concernant le rôle de
la grammaire dans la compétence de communication. Il semble
que, dans leur optique et dans la manière dont elle est présentée
en cours, la compétence de communication soit réduite à sa
composante grammaticale. La logique d’efficacité et de
productivité dans laquelle se trouvent les témoins les amène à
dissocier langue et conditions d’utilisation de la langue, à
réduire les connaissances socioculturelles aux seuls éléments
« folkloriques » de la culture québécoise.

Discours métalinguistique comme validation de


l’apprentissage
L’acquisition de connaissances grammaticales est une des
raisons la plus souvent citée (25 %) pour expliquer les
évaluations positives données aux cours en général. Chez les
témoins, dont le niveau de formation est le plus élevé, ce
pourcentage atteint 50 %. Ainsi, les cours apportent des
connaissances grammaticales et un discours métalinguistique
que les étudiants, ayant un bon niveau de français, demandent,
car ils ne peuvent avoir accès à ce genre de discours qu’en
situation didactique. Le fait de pouvoir formuler un discours
métalinguistique sur leur apprentissage semble l’accompagner
et le valider :
« par exemple moi j’ai appris le français dans la rue mais
les verbes les temps les accents tout ça je connaissais rien là-
dedans » (D11).
Comme si le fait de pouvoir nommer les temps utilisés,
validait la correction de l’usage.
140
La grammaire de l’écrit et le canal oral
La grammaire est vue, par les apprenants, comme la
possibilité de développer la compétence en expression orale. Ce
témoin prend des cours de conversation dans une école mais il a
l’impression qu’il ne peut plus progresser à cause de ses lacunes
en grammaire :
« je pense que c’est essentiel pour moi de apprendre la
grammaire je ne savais pas je ne savais pas la grammaire et
à [l’autre école] le cours passé axé sur conversation et la
grammaire mais un peu de grammaire et j’ai besoin de de
faire ça de faire la grammaire intensive oui » (A7).

Le canal oral apparaît comme la production d’une variété


éloignée de la variété reconnue comme la norme. Sans les
règles grammaticales apprises et stabilisées, certains n’osent pas
prendre l’initiative d’une conversation. La conscience
normative des témoins, traduite par leur attachement à la
grammaire, est telle qu’ils ont l’impression de ne pas maîtriser
suffisamment la langue pour la pratiquer en situations sociales
et se trouvent ainsi bloqués dans leur progression et le
développement de leur compétence en expression orale. Les
règles grammaticales rassurent ces mêmes témoins sur le fait
que leurs productions correspondent à la norme structurelle.
Elles servent à identifier, classer, organiser des connaissances
qui ont pu être acquises hors contexte scolaire, elles leur
donnent ici une légitimité et une validité. Cette identification et
cette classification de leurs habiletés communicatives
concourent à leur donner confiance en eux. L’écrit et la
grammaire semblent être les garants d’un apprentissage du
français jugé correct et le canal oral apparaît comme production
d’un langage plus familier où les erreurs se fossilisent :
« en français xx la grammaire l’écrit c’est très important
que je peux écrire une lettre que je peux faire une demande
que je peux exprimer ce que je crois que la grammaire que
les autres que la communication ou que parce que j’ai vu
nous avons un collègue qui a fait des conversations un cours
de conversation avant de grammaire de étudier la grammaire
141
et les erreurs imprimées en langage quand il a fait ces cours
restent beaucoup restent ils sont pas possible de les effacer »
(A13)

La majorité des témoins attribuent donc leur manque


d’autonomie communicationnelle à leurs seules lacunes
structurelles. On ne retrouve nulle part trace de leur conscience
de l’importance de la composante sociolinguistique et
socioculturelle, et d’une manière générale, de l’interculturel.
On peut émettre l’hypothèse que le fait que le français
enseigné dans les cours corresponde peu à la variante
québécoise du français1 et qu’une pression très importante pèse
sur les immigrants afin qu’ils rejoignent la communauté
francophone peuvent accroître l’insécurité linguistique des
apprenants-immigrants, qui se traduirait, entre autres, par un
attachement aux objectifs grammaticaux des cours et à
l’urgence de l’acquisition linguistique. Ce point mériterait
d’être vérifié par une étude approfondie.

Conclusion et réflexions

Les résultats ci-dessus montrent que les représentations des


apprenants sur les objectifs culturels des cours sont en
corrélation avec le contenu pédagogique de ces derniers : en
effet, leur programme accorde peu de place à ces objectifs, mal
adaptés aux besoins de ce public et les apprenants ne les
sollicitent pas.
Pourtant, dans ce contexte d’étude, la relation entre langue et
culture est très forte : à un niveau externe, l’intégration
linguistique est un enjeu politique de cohésion sociale, et à un
niveau interne, les immigrants cherchent le meilleur moyen

1
Nous faisons ici référence à un autre article basé sur le même
terrain d'
étude, Calinon (2009).
142
d’atteindre les objectifs fixés dans leur démarche
d’immigration.
Les cours de francisation, pourtant destinés à un public
migrant, ne laissent pas de place à leur(s) langue(s) première(s)
ou à leur répertoire langagier. Leur plurilinguisme n’est pas pris
en compte. Comme le soulignait déjà Coste, la lecture de la
compétence à communiquer se fait davantage sous l’optique
langagière plutôt que culturelle : « l’attention a été davantage
donnée à la multiplicité des moyens d’expressions d’actes ou
fonctions de langage posés comme largement communs et
transversaux, aux dépends de la variété des conditions
culturelles dans lesquelles ces cas et fonctions se réalisent et
trouvent des significations spécifiques. La variation intra et
interlinguistique a été plus valorisée que la différenciation intra
et interculturelle » (Coste, Moore, Zarate 1997 : 10). Une
valorisation du répertoire langagier antérieur, dans une optique
de développement de la compétence plurilingue et
pluriculturelle, pourrait rassurer les apprenants immigrants, en
situation de forte insécurité linguistique et sociale. Modifier,
auprès des apprenants, l’image d’un apprentissage « de la
langue source à la langue cible », qui peut paraître décourageant
tant l’objectif « maîtrise linguistique proche de celle du natif »
est éloigné de leurs compétences, privilégier le « déjà là » à
enrichir plutôt que d’axer l’apprentissage sur les connaissances
manquantes, développer les savoir-apprendre, valoriser les
savoir-être et les attitudes envers les langues, pourraient
compenser des lacunes linguistiques et projeter l’individu, de
manière plus concrète, dans son rôle d’acteur social.
En privilégiant une optique plurilingue et pluriculturelle, on
pourrait modifier les représentations linguistiques sur le rôle de
la grammaire dans l’apprentissage de la langue et, ainsi, rendre
l’apprentissage, dans ce contexte, plus efficace en terme de
mobilité et d’intégration linguistiques. Pour ces apprenants,
majoritairement très éduqués et qui possèdent des repères
métalinguistiques, la grammaire appartient à leur habitus
scolaire. Ainsi, compte tenu du contexte et du public, la
grammaire proposée pourrait être une grammaire orientée vers
143
le sens et moins vers la forme. Dans une perspective
interculturelle plus globale, elle permettrait de décoder « les
implicites de tous ordres qui tiennent autant des pratiques que
des représentations et qui régissent les comportements et les
discours des natifs » (Adami 2009 : 116). Cette démarche
pourrait également faire émerger de la conscience linguistique
des apprenants leurs capacités à répondre aux exigences
pragmatiques que leur rôle d’acteur social demande au niveau
langagier.

Dans le contexte de la francisation des immigrants en milieu


institutionnel, la compétence à interagir dans un contexte
culturel donné se présente comme étant primordiale car la
composante socioculturelle, si elle est manquante, représente un
obstacle à la progression langagière et à l’utilisation de la
langue dans le contexte social. Si, en classe de FLE, la
découverte culturelle vient par l’utilisation de documents
authentiques où les éléments culturels peuvent venir se greffer à
l’apprentissage linguistique, ici, les apprenants, en immersion,
sont quotidiennement confrontés à la culture, aux règles
d’interaction de la société d’installation et les contenus culturels
doivent être définis dans une optique globale d’apprentissage
de compétence à communiquer. La formation linguistique doit
donc fournir aux apprenants les moyens langagiers
d’appréhender cette culture en leur apportant les connaissances
culturelles qui leur permettront d’utiliser, de façon adéquate, ces
outils linguistiques. Une des nouvelles mesures concernant la
formation linguistique des immigrants au Québec vise à insérer,
dans les programmes, des objectifs linguistiques spécifiques
répondant aux exigences de certains domaines professionnels.
Dans la même optique, on pourrait inscrire les dimensions
culturelles dans une relation plus étroite avec le projet
d’insertion socio-économique des immigrants.

Pour répondre à leurs objectifs décidés par la démarche


d’immigration, les immigrants-apprenants sont dans une
144
logique de productivité linguistique. Ils sont dans une double
situation d’urgence : d’une part, le temps de la formation est
court pour arriver aux objectifs linguistiques (qui
correspondraient au niveau B2-C1 selon le CECR) que
l’institution et qu’eux-mêmes se sont fixés et d’autre part, leur
insertion économique et sociale dépend, en partie, du niveau de
leur maîtrise linguistique, la rapidité et l’efficacité de
l’apprentissage sont donc essentielles. Cette pression de
l’efficacité dans leurs représentations linguistiques correspond à
leur schéma de l’immigration réussie : de l’intégration
économique découleront toutes les autres formes d’intégration.
Les connaissances culturelles, les règles socioculturelles de
l’interaction sont reléguées à plus tard. Ils sont dans la même
logique concernant l’appropriation du français québécois, qui
est perçu comme une variété dissociée du français standard, et
qui viendra « avec le temps » (Calinon 2009).
Les immigrants-apprenants ont une vision réductrice de la
compétence de communication, confortée par la nature des
objectifs culturels, par leur faible présence dans les curriculums
de formation et par la manière dont ils sont abordés en classe. Si
l’intégration économique est visée, elle n’est possible qu’avec
une mobilité linguistique pragmatique, qui suppose une
connaissance des règles, codes et contraintes d’utilisation
définies par une aire de communication et une situation
d’interaction particulière. Or le rejet des objectifs culturels des
cours et le plébiscite de la grammaire montrent une vision de
l’apprentissage réduite à la structure de la langue. La pression
de la productivité linguistique entraîne une dissociation des
connaissances structurelles et des conditions d’usage de la
langue (composante sociolinguistique et socioculturelle) car
l’intégration économique n’est perçue comme possible qu’avec
des compétences linguistiques très importantes. Selon les
immigrants-apprenants, l’emploi leur permettra l’entrée dans
des réseaux sociaux francophones où ils apprendront les normes
d’interaction, les connaissances culturelles. Or, cette entrée
n’est possible que si l’acquisition de ces normes d’interaction
est déjà commencée. En effet, les immigrants apprennent la
145
langue de la société d’installation par « le biais des échanges
interactionnels et le développement de ces compétences en
retour, permet de mieux s’insérer dans la vie sociale,
professionnelle et favorise les échanges interpersonnels »
(Adami 2009 : 104).
Les formateurs auraient intérêt à sensibiliser les apprenants à
l’importance des objectifs culturels (une fois redéfinis et
adaptés au contexte), non comme contenus supplémentaires
dissociés des autres contenus, mais dans une perspective
intégrée de compétence interculturelle. Valoriser ces aspects en
s’en servant comme support pédagogique permettrait de les
inclure dans les cours sans pour autant aller à l’encontre des
attentes des apprenants. De même que, prendre en compte la
situation de stress et d’insécurité linguistique et sociale dans
laquelle se trouvent les apprenants, en axant les cours sur la
compétence plurilingue, permettrait d’aborder la question
interculturelle dans une optique interactionnelle et pragmatique.

Le fait que la pression de la productivité linguistique


ressentie par les immigrants soit bénéfique est un argument
recevable pour accéder à l’intégration économique. Or, cette
seule productivité basée sur l’apprentissage de connaissances
linguistiques et de la langue standard présente des limites
importantes. D’une part, la mesure politique d’intégration
linguistique n’atteint pas son objectif dont la visée est d’amener
les nouveaux immigrants à partager et à adopter les codes
linguistiques et sociaux qui régissent la société où ils
s’installent, et, par ce biais, à contribuer à « l’enrichissement de
la province » comme l’énonce le dernier plan de mesure en
formation linguistique (Québec MICC 2008). D’autre part, au
niveau individuel, la pression de la productivité linguistique
restreint la langue à son seul caractère fonctionnel et limite son
usage à des aires de communication réduites en freinant le
développement de la mobilité linguistique et sociale.
146

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

ADAMI H. (2009), La formation linguistique des migrants,


coll. Didactique des langues étrangères, Clé International,
Nathan, Paris.
BASTENIER A. et al. (2001), Mon délit ? Mon origine, (1ère
ed.), De Boeck Université (Coll. Pol-his), Bruxelles.
BOUCHARD P., TAYLOR C., 2008, Fonder l’avenir, Le
temps de la conciliation, Rapport de la Commission sur les
pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles,
Publications officielles du Gouvernement du Québec, Québec.
CALINON A.-S., 2009, « Tension entre norme d’usage et
norme standard : étude de l’insécurité linguistique des
immigrants-apprenants en francisation au Québec », in Les
Cahiers de l’ASDIFLE n° 20 Normes et usages en français
langue étrangère, seconde…, Actes des 41e et 42es Rencontres
de l’ASDIFLE, Paris, 2009, p. 106-116.
COSTE D., MOORE D., ZARATE G., 1997, Compétence
plurilingue et pluriculturelle, Vers un Cadre Européen
Commun de référence pour l’enseignement et l’apprentissage
des langues vivantes : études préparatoires, Editions du Conseil
de l’Europe, Strasbourg.
QUEBEC MAIICC, 1994, Programme général
d’intégration linguistique, Direction des politiques et
programmes d’intégration linguistique, Service du
développement pédagogique, Montréal.
QUEBEC MICC, 2008, Pour enrichir le Québec : Franciser
plus, intégrer mieux, Direction des affaires publiques et des
communications, Montréal.
QUEBEC MRCI, 2004, Des valeurs partagées, des intérêts
communs, pour assurer la pleine participation des Québécois
des communautés culturelles au développement du Québec,
147
Plan d’action 2004-2007, mai 2004, Direction des affaires
publiques et des communications, Montréal.
VASSEUR M.-T., 2002, « Comment les analyses
interactionnistes réinterprètent la notion de compétence.
Compétence en langue ou efficacité en discours ? », dans
CASTELLOTI V, PY B., 2002, (coord.), La notion de
compétence en langue, Notions en questions n°6, sept. 2002,
ENS Editions, Lyon, p. 37-49.
DE L’INTERET DE L’HERMENEUTIQUE
POUR REPENSER L’INTERCULTUREL EN
CLASSE DE FRANÇAIS JURIDIQUE

Marc Debono, EA 4246 DYNADIV1

Université François Rabelais de Tours

Introduction

Denis Simard (Simard, 2000) a montré que, face à la


complexification de la société moderne, les systèmes éducatifs
nationaux avaient tendance à privilégier des contenus
techniques, directement opérationnels et donc « rentables », tout
en négligeant une dimension culturelle, héritière d’une
conception humaniste de l’éducation, dont il faut certes
« clarifier » le contenu (Simard, 2002), mais seule à même de
donner du sens, de la « forme » (Bruner, 1991), à cette
technicisation.
Or, cette tendance générale à la technicisation des
apprentissages semble amplifiée dans le domaine de la
formation juridique : qui n’a jamais entendu dire que les études
de droit étaient le règne du « par cœur », de l’apprentissage
systématique de la règle et du terme justes ? Cette tendance est
parfaitement résumée dans la formule de Pierre Legrand selon
laquelle l’Université française aurait abandonné l’ambition de
former de véritables « jurisconsultes », pour se contenter de ne
« produire » que de simples - mais néanmoins « efficaces » -

1
Equipe implantée également à l'
Université de Limoges.
150
juristes techniciens, directement opérationnels et employables
(Legrand, 1996a : 317).

Si la question de la pertinence de ce modèle éducatif se pose


pour la formation des étudiants juristes nationaux, c’est avec
une acuité renouvelée qu’elle se pose en situation
interculturelle, quand il s’agit de former en langue juridique
française des étudiants étrangers inscrits ou se préparant à entrer
à l’université1. Est-il possible/souhaitable d’enseigner le
français juridique2 dans une perspective exclusivement techno-
terminologique (entendue comme réduction aux termes et aux
concepts, aux dimensions terminologique et technique), sans
recourir aux notions de culture et d’interculturel3 ? Il semble en
tout cas que cette approche soit celle privilégiée par nombre de
méthodes et programmes de formation existants, ce qui
s’explique en partie par l’alignement sur le paradigme dominant
en didactique du droit français. Mais, si au sein d’une culture
juridique nationale on peut regretter que la dimension technique
supplante la dimension culturelle au point de la réduire à la
portion congrue, peut-on entériner une telle réduction quand il
s’agit de préparer des individus à la rencontre d’une culture
juridique autre ? Poser la question, c’est y répondre. Dès lors,
comment la perspective herméneutique, adoptée par des
chercheurs d’horizons très divers pour penser le rapport à

1
Cette réflexion s’inscrit dans le cadre d’une thèse, dirigée par
Didier de Robillard, sur la « langue-langage-discours-culture » du
droit et son enseignement à un public d’étudiants étrangers.
2
Appellation consacrée pour cet enseignement de spécialité, que
nous ne discuterons pas ici.
3
Nous conserverons dans un premier temps ce couple
« culturel/interculturel », tout en ayant conscience de la redondance,
l’ « interculturel » incluant nécessairement le « culturel », et le
« culturel » n’étant pas définissable hors d’un cadre relationnel
(Abdallah-Pretceille, 2003 : 28 et suiv.). La perspective
herméneutique que nous proposerons plus bas à la didactique du
français juridique, viendra expliciter l’interdépendance des deux
notions.
151
l’autre (Legrand, 1996a et 2006 ; Dahl, 2005 ; Dahl, Jensen et
Nynäs, 2006 ; Dervin, 2008 ; Abdallah-Pretceille, 2003 ;
Robillard, 2009 ; Simard, 2002 et 2004), peut nous aider à
réfléchir la dimension interculturelle d’une telle préparation ?
Avant de présenter des propositions didactiques concrètes en
ce sens, il semble nécessaire de partir d’une analyse des -
relativement rares - matériels pédagogiques et programmes de
formation existant dans le domaine du français juridique.

La dominance de l’approche « techno-


terminologique » du français juridique

Florence Mourlhon-Dallies considère que ce qu’elle désigne


comme « la priorité aux mots » ne constitue qu’un « moment »
dans l’histoire des didactiques linguistiques de spécialité
(Mourlhon-Dallies, 2008). Or, il semble bien que ce moment
soit toujours celui de la didactique du français juridique :
quelques transformations « cosmétiques » sous l’influence du
courant communicatif ne masquent guère une focalisation sur
l’acquisition des termes et de leurs contenus conceptuels :
l’enseignement se réduit donc souvent à un jeu de « poupées
gigognes », avec un travail de « déballage » de notions dont le
signifiant est préalablement et systématiquement appris. La
conséquence de cette priorité techno-terminologique étant la
place secondaire accordée à la dimension culturelle, et a fortiori
interculturelle, de l’enseignement du français juridique.
Pointant « les limites épistémologiques de la linguistique du
mot » pour l’appréhension du langage du droit, le terminologue
P. Lerat (Lerat, 2005) désigne, aux côtés d’ouvrages plus
théoriques, certaines méthodes de français juridique. Le
matériel pédagogique existant présente en effet une nette
tendance à réduire le langage-discours-culture juridique à la
langue, entité réifiée que les dictionnaires et autres vocabulaires
juridiques s’efforcent de circonscrire. S’il ne s’agit pas de nier
l’utilité d’un tel travail (et en particulier pour le praticien,
152
souvent non spécialiste du français juridique), la didactique du
français juridique ne saurait se contenter de cela : la dimension
culturelle des « phénomènes L » - expression proposée par D.
de Robillard pour éviter le terme trop connoté de langue
(Robillard, 2007) apparaît comme un axe important à
développer.
Pour exemplifier la dominance techno-terminologique en
français juridique, analysons quelques méthodes et programmes
de formation qui nous semble la refléter.

Les méthodes de français juridique : termes et concepts


Nous nous limiterons ici à l’examen de deux méthodes qui
nous semblent emblématiques de cette tendance : Le français
juridique (Schena et Proietto, 1992) et Le français pour les
juristes (Larisova, 2006).
En plein courant communicatif (1992), L. Schena et B.
Proietto proposent une méthode archétypale de l’option techno-
terminologique. Un rapide aperçu de la structure le montre. Une
division notionnelle (« Les erreurs judiciaires », « Le tribunal
d’instance », « L’autorité parentale », etc.) préside à
l’organisation générale de l’ouvrage en chapitres, lesquels
présentent l’ossature standard suivante :
1) Un texte authentique (article de doctrine ou journalistique,
extrait de traité ou manuel de droit, etc.), suivi d’une série de
questions.
2) Une section intitulée « De la langue aux institutions : la
langue », qui comprend deux sous-sections : l’une, étoffée,
consacrée au lexique, l’autre - limitée et un peu artificielle - à la
morphosyntaxe.
3) Et pour terminer, une section « De la langue aux
institutions : le droit », qui présente des définitions de notions
juridiques (ordre public, code du travail, etc.), en cohérence
avec la thématique générale du chapitre.
153
Cette séparation matérielle entre « la langue » (lexique,
principalement) d’un côté et « le droit » (définitions des
concepts) de l’autre, est très caractéristique de l’approche
techno-terminologique. Outre l’essentialisation des objets
d’étude (langue et droit comme monades), cette opposition
montre une conception instrumentale et techniciste de la
« langue », outil au service de l’expression des concepts
juridiques. On le voit : les aspects culturels et interculturels sont
absents de cette méthode.
L’exemple du manuel, plus récent, de M. Larisova (Le
français pour les juristes, 2e éd., 2006) étaye ce constat. Dès la
préface, l’auteur, traductrice-interprète assermentée auprès des
tribunaux de République Tchèque (et non juriste), met
explicitement en avant la dimension « linguistique » :
« Le souci de l’auteur est avant tout d’ordre linguistique »
(Larisova, 2006 : Préface).
Cette dimension linguistique étant elle-même très largement
réduite à une terminologie spécifique :
« [L’approche] consiste à aider les ‘apprenants’ non seulement
à appréhender le langage juridique français, la terminologie, le
vocabulaire, les tournures, les constantes linguistiques observées et
spécifiques à ce langage, mais encore à s’essayer à la traduction
vers le tchèque » (Larisova, 2006 : Préface).
Là encore, la manière dont les chapitres du manuel sont
structurés reflète la primauté du « souci » terminologique.
Chaque chapitre peut se décomposer ainsi : une partie
constituée d’un texte de cours ou d’un texte de référence, une
partie exercices, et une partie de synthèse des points principaux
à retenir. Examinons le premier d’entre eux, introductif des
spécificités du « Langage juridique », et dont, ce qui est
éclairant, le sous-titre est l’ « Importance de la terminologie ».

1) La partie « cours » est constituée de trois


paragraphes dont les seuls intitulés marquent cette centration :
« Apprendre à définir les notions juridiques » ; « Apprendre à
154
traduire en termes juridiques les faits, les actes, les situations de
la vie courante » ; « Apprendre la précision technique » -
définie par la suite comme précision terminologique (c’est nous
qui soulignons).
2) La partie exercices commence par un bref rappel
grammatical sur l’inversion sujet-verbe (« I. L’inversion du
sujet et son emploi dans la langue française »), pour ne se
consacrer ensuite qu’aux mots : « II. Formation des mots par
préfixe » ; « III. Complétez chacune des phrases suivantes par
les prépositions (d’après le texte) » ; etc.
3) Enfin, le chapitre se clôt par une partie synthétique,
constituée de listes de différentes natures mais toujours centrées
sur l’acquisition lexicale (« Définitions à apprendre par cœur » ;
« Expressions latines et leurs équivalents français », etc.).

Chaque partie, quasi-exclusivement orientée vers les seuls


termes et concepts juridiques, est donc innervée du
« souci avant tout d’ordre linguistique » annoncé dans la
préface. Et l’on retrouve cette prégnance techno-terminologique
tout au long de l’ouvrage, avec des intitulés de paragraphes qui
ne varient guère.
La lacune de cette approche est donc identique à celle
identifiée dans le premier manuel étudié : l’entrée privilégiée,
que nous avons appelée « techno-terminologique », ne prend
pas en compte les dimensions culturelle et interculturelle qui, à
notre sens, doivent nécessairement animer (voire être à la base
de) l’enseignement du français juridique. Dans les autres
méthodes de français juridique existantes, on retrouve, à des
degrés divers, la même tendance à privilégier termes et règles,
et ceci indépendamment de leur visée plus ou moins
universaliste ou contextualisée (par ex. : Schmidt, 1997 ;
Schlichting, 1995 ; Gabilloux, 1994 ; et, dans une moindre
mesure : Penfornis, 1998 ; Soignet, 2003). Cela ne signifie pas
que ces manuels ne correspondent pas à certains besoins des
apprenants en français juridique (fort heureusement), mais que
l’insistance significative sur la dimension techno-
155
terminologique de l’apprentissage se fait au détriment d’une
dimension interculturelle, peu présente (ce qui pourra, bien sûr,
être modifié lors de l’intervention pédagogique de
l’enseignant).
Cette tendance significative, nous la retrouvons également
dans certains programmes de formation.

Les programmes de formation : l’exemple du


programme « 100 juges » (SCAC de Pékin1)
On pourrait penser que les manuels ne reflètent qu’une partie
de la réalité de l’enseignement du français juridique. Mais si
l’on se penche sur les programmes de formation existants, l’on
retrouve également une prégnance du techno-terminologisme.
Prenons par exemple le programme de formation « 100 juges
chinois », initié en 2003 par le SCAC de Pékin, et destiné à des
juristes chinois déjà en poste. Ce programme visait à envoyer
cinquante juges et cinquante procureurs, ayant un minimum de
trois ans d’expérience, suivre une formation professionnelle en
France. Il était prévu que les candidats sélectionnés, débutants
en français, suivraient une formation linguistique avant leur
départ. Voici comment était présentée la partie « F.O.S.2
juridique » de la formation, limitée à 30 heures (assurées par le
SCAC, « [faisant] appel à des spécialistes du droit résidant à
Pékin »), en complément d’une formation de 500 heures en
français général (assurées par l’Alliance française) :
« Notons que l’enseignement du français du droit est fortement
centré sur l’acquisition d’un lexique spécialisé et ne peut, vu le
nombre d’heures réduit, prendre en compte des échanges plus
complexes comme ceux qui existent entre deux collègues de la
profession ou au moment des délibérations lors d’un procès »
(Martin, 2006) (c’est nous qui soulignons).

1
Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de
France à Pékin (Chine).
2
Français sur Objectifs Spécifiques.
156
La centration sur le lexique du droit est ici présentée comme
prioritaire, faute de temps. C’est l’idée de ne pas se disperser
qui préside ici au resserrement de l’enseignement du français
juridique autour de ce qui est considéré comme son noyau dur :
le lexique. Mais les compétences strictement terminologiques
sont-elles véritablement les « plus indispensables » à la
constitution d’une sorte de « kit de survie » pour ces juges et
procureurs chinois se préparant à l’ « immersion » ? Si l’on ne
peut nier l’importance que revêt l’acquisition lexicale en
français juridique, deux remarques s’imposent néanmoins :
- En premier lieu, on notera que la notion de
compétence communicative est ici essentiellement conçue dans
ses composantes linguistiques et pragmatiques (lexique et
« échanges plus complexes »), sans aucune mention de la
composante culturelle/interculturelle.
- En second lieu, on peut se demander si la brièveté du
cours (30 h) et l’optique de formation (préparer des apprenants
à la rencontre « en immersion » d’une - toute -autre culture
juridique) ne devrait pas au contraire amener à mettre l’accent
sur cette composante culturelle/interculturelle - l’acquisition
d’un vocabulaire spécialisé « de survie » n’étant pas
incompatible avec un tel axe de formation.

Le manque d’une réflexion sur la dimension culturelle


- et a fortiori interculturelle - de l’enseignement du français
juridique
Nous pourrions multiplier les exemples montrant la
convergence des approches didactiques du français juridique.
Mais ce n’est pas l’objet principal de cette contribution, qui est
davantage de réfléchir aux moyens d’infléchir la dominance
techno-terminologique diagnostiquée : comment introduire une
dimension culturelle et interculturelle dans un enseignement du
français juridique ? Cette « introduction » n’est pas le simple
ajout d’un ingrédient manquant : penser le cours de français
157
juridique comme rencontre interculturelle, et non plus comme
juxtaposition de nomenclatures lexicales et techniques, suppose
un changement radical de perspective. Et ce changement, nous
proposons de le faire à l’aune de la perspective herméneutique,
à l’instar de certaines « marges du droit » qui l’ont adoptée pour
penser le rapport à l’altérité, dans un domaine qui, il faut bien le
dire, ne le réfléchit que très peu.
Il existe en effet en droit comparé – une discipline juridique
qui traite de l’altérité en droit – un courant qui s’appuie sur les
principes de la philosophie herméneutique pour (re)penser la
relation aux « droits » (ou, plus largement aux formes de
normativité) étrangers. Si cette réflexion intéresse de manière
très évidente l’enseignement du français juridique à des
apprenants étrangers, elle peut, espérons-le, être (un peu) utile
au renouvellement de la notion même d’interculturel.

(Re)penser l’interculturel en classe de français


juridique « à l’aune de l’herméneutique » ?
« […] pour quiconque désire se convaincre de la dimension
éducative de l’herméneutique, son histoire elle-même est une
source de première main » (Simard, 2000 : 38).
Partant de l’herméneutique de Chaldenius, J. Grondin a
retracé l’histoire de cette « intention pédagogique » (Grondin,
1993 : 58-69). La philosophie herméneutique posant la question
fondamentale du « comprendre », au cœur de tout processus
d’enseignement-apprentissage, question qu’elle noue
étroitement à la dimension linguistique (Gadamer, 1996a ;
Robillard, 2009), elle ne peut qu’intéresser le didacticien des
langues-cultures.
Réintroduisant une approche historique, culturelle et
interprétative du « comprendre », l’herméneutique représente
pour D. Simard un moyen de lutter contre le cognitivisme qu’il
considère comme le paradigme dominant en éducation (Simard,
2000). Elle constitue pour nous une assise solide pour discuter
158
de la pertinence d’une dominance techno-terminologique en
français juridique, et proposer des pistes didactiques permettant
une véritable rencontre interculturelle.
Comment la posture herméneutique, prônée de manière
convergente - et non concertée - par des chercheurs d’horizons
très divers1, peut-elle aider à (re)penser la question de
l’interculturel en classe de français juridique ?2 Avant de
proposer, sous la forme très brute d’une sorte de « fiche
pédagogique », des pistes didactiques susceptibles d’apporter
des éléments de réponse à cette question, il convient d’établir ce
que pourrait ou devrait être l’objectif d’un cours de français
juridique.

Objectif du cours de français juridique


Il s’agit d’abord, à notre sens, d’éviter une juxtaposition ou
superposition des positivités, l’établissement d’un catalogue de
différences stables entre un droit nouveau et le droit déjà appris
(à l’université) ou acquis (dans un environnement juridique
autre). Or, cette juxtaposition est ce vers quoi tendent souvent
les approches techno-terminologiques du français juridique (et
un comparatisme « classique », celui de la linguistique
comparée ou du droit comparé dominant).
Ce schéma de juxtaposition conduit en outre souvent à la
hiérarchisation des droits, avec une minoration du système
juridique de l’apprenant. Le risque étant alors une trop
fréquente idéalisation du droit français lors du retour dans le
pays d’origine. L’exemple de la Turquie est à cet égard à
méditer : l’idéalisation du droit français par les kémalistes a

1
Sur l’utilisation transdisciplinaire de l’herméneutique pour penser
le rapport à l’autre, voir l’article cosigné avec D. de Robillard dans ce
même volume.
2
La réponse à cette question passe par une nécessaire présentation
approfondie des postulats de l’herméneutique : faute de place, et pour
ne pas être redondant, nous renvoyons sur ce point à l’article cosigné
avec D. de Robillard dans ce même volume.
159
conduit à son importation « en bloc », sans véritable travail de
ré-interprétation, avec le résultat d’une large inadéquation entre
le droit et les aspirations d’une majorité des justiciablesCette
juxtaposition risque donc de conduire à une affiliation stérile au
droit français1.

Etablissant son approche du droit comparé « à l’aune d’une


herméneutique » (Legrand, 1996a : 316), Pierre Legrand définit
ainsi l’objectif du juriste-comparatiste : plutôt que de juxtaposer
des positivités, celui-ci doit s’ouvrir à la rencontre de l’autre-
en-droit, défini comme un « entendement étranger » du droit, et
opposé à la réification de l’objet : l’autre-droit. Tout comme les
« cultures », les « droits » ne se rencontrent pas (ne
s’ « entrechoquent » pas pour reprendre la désormais célèbre
image de S. Huntington), mais ce sont bien des interprétations,
des entendements, situés, historicisés (ceux d’étudiants
étrangers en droit, dans le cas qui nous intéresse), qui se
rencontrent, sur un mode éventuellement conflictuel (Legrand,
2006).

Le français juridique peut s’inspirer utilement d’une telle


réflexion. L’enjeu du cours devient alors de susciter un regard
nouveau sur les deux droits : réinterpréter son droit, son
entendement du droit, en l’instabilisant à l’aide d’un autre droit.
L’enjeu devient la l’herméneutisation de la rencontre.

1
Cette affiliation est peut-être l’objectif « institutionnel »,
« stratégique » qui sous-tend l’accueil et les bourses attribuées aux
étudiants juristes étrangers par le gouvernement français, mais avec
lequel la didactique du français juridique peut néanmoins prendre ses
distances.
160
Proposition
Pour ce faire, il s’agit davantage de travailler la posture
(herméneutique) que les objets (le droit, la langue). Travailler
les objets est ce qui caractérise l’approche techno-
terminologique (LE droit et LA langue / les règles et les
termes), largement répandue en français juridique et que nous
avons critiquée plus haut. Travailler la posture c’est proposer
un « mode d’intelligibilité », pour reprendre une expression de
Martine Abdallah-Pretceille, qui reconnaît les liens entre son
approche de l’interculturel et l’herméneutique :

« L’approche interculturelle, qui n’a pas de caractère prédictif,


permet de comprendre et de modéliser des situations complexes à
partir d’un mode d’intelligibilité. Elle est en ce sens, une
herméneutique (Martine Abdallah-Pretceille, 2003 : 25) » (c’est
nous qui soulignons).

Ce travail sur la posture nous apparaît d’autant plus


important que la potentialité du conflit interculturel est forte, et,
envisager ce conflit en classe de français juridique n’est pas
s’interroger sur un cas d’école : tout système juridique reposant
sur un système de valeurs, un rapide aperçu des concepts et
valeurs fondatrices en droit français (laïcité, droits de l’homme,
égalité, etc.) suffit à comprendre que ces notions peuvent
être sensibles dans certains contextes. Or, ces notions sont
incontournables quand on prépare des étudiants étrangers à une
entrée à l’Université française où, dès la première année, ils
suivront un enseignement obligatoire diversement intitulé
« libertés fondamentales » ou « droits fondamentaux » selon les
facultés1.
Le cours de français juridique est donc un lieu où la question
du conflit interculturel se pose avec une acuité particulière ; ce

1
Ces cours constituant d’ailleurs l’ « horizon d’attente » de certains
étudiants qui ont une représentation souvent idéalisée de la France
comme « patrie des droits de l’homme ».
161
que nous avons d’ailleurs éprouvé en tant que concepteur et
enseignant d’un cours de français juridique élaboré pour
l’Institut d’études françaises de Touraine en 2007. Aborder
l’année précédant les Jeux Olympiques de Pékin la question des
droits humains avec des apprenants chinois n’était pas
« facile », ni d’ailleurs la question de la laïcité avec des
étudiants juristes musulmans (public important de l’Institut, et
très demandeur de formation en droit français, pour des raisons
historiques évidentes).

Il serait, bien sûr, en parfaite contradiction avec une


démarche herméneutique que de « cataloguer » ici
d’hypothétiques réactions qui seraient déterminées par des
identités figées, attribuées une fois pour toutes aux apprenants.
Néanmoins, ces notions étant des « lieux » où les préjugés1
participent fortement de la connaissance, la potentialité de
conflit d’interprétation est accrue. On peut d’ailleurs se
demander si aborder, avec des apprenants étrangers, des
notions/valeurs juridiques telles que la laïcité et les droits de
l’homme, culturellement très « chargées », peut se faire de
manière satisfaisante autrement qu’en laissant une place à
l’explicitation éventuellement conflictuelle des différences ? Si
l’on croit au caractère fécond du conflit en didactique du
français juridique2, lui laisser toute sa place est néanmoins
délicat (si l’on ne croit pas en son caractère fécond, il est très
simple de « verrouiller » le cours en le technicisant). Notre
expérience d’enseignement du français juridique nous mène à la
conclusion que l’abord de ces notions (très potentiellement

1
Au sens positif de Gadamer : jugements provisoires et anticipants,
nés de l’inscription de l’individu dans une tradition culturelle (voir sur
cette notion l’article cosigné ici avec D. de Robillard).
2
C. Forestal et Y. Lefranc ont récemment fait des propositions
stimulantes allant dans le sens d’une réhabilitation d’un conflit
productif en didactique des langues-cultures (Forestal, 2007 et
Lefranc, 2007).
162
conflictuelles) doit s’accompagner d’un indispensable travail
sur la posture – qui n’épargne pas l’enseignant1.

Comment mener ce travail pour rendre possible un conflit


interculturel productif en classe de français juridique ? Pour le
FLE généraliste, Y. Lefranc propose d’intégrer/d’accepter la
dynamique conflictuelle en classe, en menant un travail de
laïcisation de la communication d’apprentissage (Lefranc,
2007). Si cette proposition est très stimulante quant à la
réhabilitation du conflit en didactique des langues-cultures, elle
nous paraît néanmoins assez différente de la perspective
herméneutique quant à sa modalité de mise en place, très
contraignante, imposée aux apprenants (Lefranc, 2007 : 30).
L’herméneutique gadamerienne se présente davantage sur le
mode du « pari » (« [l]’espoir de Gadamer est que c’est
justement la reconnaissance de sa finitude essentielle qui
amènera la conscience à s’ouvrir à l’altérité et à de nouvelles
expériences » (Grondin, 2006 : 59)).

Mais partons d’un exemple concret pour proposer des


« pistes » didactiques.

1
En effet, l’enseignant ne doit pas éluder ses propres préjugés, qui
peuvent se manifester par des précautions, parfois excessives, sur
certains sujets, avec certains apprenants dont il se représente l’univers
référentiel. S’il arrive que l’enseignant de français juridique pressente
des conflits dans certains contextes, sur certaines notions, avec
certains apprenants, c’est parce que ses propres préjugés
interviennent. Il est donc nécessaire d’en tenir compte, de ne pas
« faire semblant » en jouant le masque de la neutralité professorale. Le
processus herméneutique ne joue pas à sens unique, dans une relation
verticale, mais implique tous les acteurs de l’échange didactique.
163
Herméneutique, interculturel et conflit. Aborder la
notion juridique de laïcité en classe de français
juridique

La laïcité est une notion fondamentale en droit français et un


étudiant étranger en droit ne peut en faire l’économie. On peut
d’ailleurs remarquer un consensus assez large sur l’importance
de cette notion dans la socio-culture française : on la retrouve
aussi bien dans les très républicaines méthodes d’ « Education
Civique, Juridique et Sociale » (destinés aux élèves du
secondaire français) que dans les manuels de « français langue
seconde »1.
Or, il n’est pas très difficile de comprendre qu’à aborder la
notion de laïcité avec des apprenants venant d’un pays de
tradition juridique non laïque, les divergences de points de vue
peuvent être sensibles. L’Institut d’études françaises de
Touraine reçoit par exemple des demandes de formation en
français juridique émanant pour une bonne part d’étudiants
originaires de la péninsule arabique (Koweït notamment),
d’Egypte, ou de Libye ; ceci étant bien sûr très lié à des
considérations historiques, le droit français ayant exercé une
forte influence dans ces pays.
Or, si nous pensons que ces possibles2 divergences peuvent
être fécondes pour aborder la notion de laïcité, deux démarches
nous semblent à éviter :
1) D’abord, une présentation ethnocentrée et
universaliste de la laïcité comme indispensable à la
bonne marche de la démocratie française, comme un
« donné » stable, un « pilier ». Présenter les choses de la
sorte, c’est inscrire le cours de français juridique dans

1
Voir par exemple : CARLO, C. et BRINQUIER, L., Trait d' Union
2. Culture et citoyenneté, CLE International, 2006, pp. 38-39 et 68.
2
Encore un fois, il ne s’agit pas de présupposer les identités des
apprenants comme figées : ce n’est pas parce que l’apprenant juriste
est koweïtien qu’il sera nécessairement un virulent pourfendeur de
l’idée de laïcité !
164
une juxtaposition sans rencontre des droits, avec des
risques de rejet ou de survalorisation du droit français
par l’apprenant.
2) Un autre écueil serait de commencer par une
relativisation de la notion : notion aux contours
juridiques mal définis, mouvante, qui n’a rien de la
solidité d’un « pilier », et qui, loin d’être universelle, est
plutôt une option juridique exceptionnelle (seule une
petite dizaine d’Etats sont constitutionnellement laïcs).
Commencer par briser un certain « catéchisme
républicain » - démarche que nous avions dans un
premier temps adoptée dans notre cours dispensé à
l’Institut de Touraine - n’est pas non plus une bonne
solution : en se donnant le beau rôle (« regardez comme
le droit français est capable de se remettre en question,
prenez exemple ! »), on condamne les apprenants au
suivisme et on ne suscite pas le travail herméneutique :
on reste focalisé sur l’ « objet » et on ne travaille pas la
« posture » avec l’apprenant.

Proposer aux apprenants une approche herméneutique de


cette notion de laïcité peut permettre de naviguer entre ces deux
écueils, sans les occulter : les discours ethnocentrés (laïcité
indispensable) et relativisants (laïcité floue) ont en effet leur
place dans une telle séquence.

Comment procéder ? Sous forme de « trame pédagogique »,


voilà ce à quoi pourrait ressembler cette séquence, en quatre
étapes1.
- Première étape : partir de la « laïcité indispensable », telle
qu’elle est enseignée dans les facultés de droit, dans les cours

1
Ce découpage n’est qu’une proposition de progression, qui n’a rien
de figeant : le déroulé du cours peut très bien amener à entrelacer ces
étapes, présentées distinctement ici pour la facilité de l’exposé.
165
de « libertés fondamentales » / « droits fondamentaux ». Ce
discours, auquel les apprenants seront donc nécessairement
confrontés, ne doit en effet pas être occulté dans un but de
pacification de la relation d’apprentissage.

- Deuxième étape : l’explicitation par l’apprenant (et


l’enseignant) de ses préjugés, de son historicité, « condition
positive de la connaissance » pour Gadamer (Gadamer, 1996b :
100). Cette explicitation passe chez Gadamer par le
« frottement » dialogique avec les préjugés de l’autre (Gadamer,
1996a). Le procédé de cette confrontation/explicitation pourrait
être le suivant en classe de français juridique : un travail en petit
groupes ou en binômes, au sein desquels chacun, après
d’éventuelles recherches, présenterait le traitement du
phénomène religieux dans son droit à un autre apprenant, celui-
ci étant ensuite chargé de l’exposé au groupe classe ; chacun
revenant enfin sur la présentation de son droit par l’autre, pour
préciser, compléter, critiquer, etc. L’intérêt de ce « détour » est
de permettre un « polycentrement », mais aussi de faciliter la
prise en charge des différences.

- Troisième étape : les préjugés de chacun, étant ainsi « mis


sur la table », on peut débattre de la notion, laisser la place au
« mouvement circulaire dans lequel les réponses renvoient à des
questions, provoquant de nouvelles réponses » (Gadamer,
1996a). Mouvement circulaire, dialogique, qui fait émerger le
« conflit des interprétations » (Ricoeur, 1969) nécessaire à la
compréhension, telle que l’entend Gadamer :
« Celui qui comprend ne revendique pas une position
supérieure, mais reconnaît que sa propre présomption de vérité
puisse être mise à l’épreuve » (Gadamer, 1996b : 117).
Les thèmes d’un débat possible sur la notion de laïcité ne
sont pas difficile à trouver (« laïcité et intégration », « laïcité et
diversité », etc.), et les documents déclencheurs encore moins,
la question revenant régulièrement en unes des journaux
166
français (récemment : affaire des caricatures1, discours du
Latran2, etc.).
La condition évidente pour permettre un conflit productif est
que les acteurs acceptent d’ « entrer dans le jeu » - jeu langagier
de questions et de réponses - et d’en respecter les « règles ».
D’où l’importance de bien faire comprendre l’intérêt de cette
démarche aux apprenants : cette compréhension peut venir de
l’expérienciation même de sa finitude, de la prise de conscience
de ses préjugés (c’est l’ « espoir » de Gadamer ; Cf Grondin,
2006 : 59), ou, éventuellement, d’une propédeutique théorique3.
La démarche étant acceptée par les apprenants, l’expérience
herméneutique d’une « transformation » par le discours de
l’autre peut opérer : je peux accepter / expliciter le caractère
« inconciliable » de certaines différences, et ne pas tomber dans
un interculturel « aseptisé »). Ce qui ne veut pas dire que le
« détour » instabilisant par ces différences ne peut me
transformer : le « frottement » des préjugés devient le moyen de
leur critique (Gadamer, 1996a). C’est exactement ce que dit, par
exemple, le sinologue François Jullien à propos du « détour »
par la Chine qu’il propose à la philosophie (Jullien, 2007).

- Quatrième étape : discuter le caractère stable et unifié du


principe de laïcité en droit français (cette étape pouvant bien sûr

1
La question de la laïcité s’est posée à l’occasion de cette
« affaire », qui a éclaté avec la parution en 2005 d’une série de douze
caricatures du prophète Mahomet dans le journal danois Jyllands-
Posten.
2
Discours prononcé le 20 décembre 2007 au Palais du Latran
(Rome), par le président français Nicolas Sarkozy lors d’une visite au
pape Benoît XVI. Beaucoup de commentateurs avaient alors vu dans
les propos du chef d’Etat français une grave atteinte au principe
fondamental de laïcité. Sur la polémique soulevée par ce discours, voir
par exemple : DUHAMEL, A., « La fausse querelle de la laïcité »,
Libération, 23 janvier 2008.
3
P. Legrand propose une telle propédeutique pour la formation de
ses étudiants en droit comparé (Legrand, 1996a).
167
se mêler au débat), en montrant que ce principe est né dans le
conflit (débats autour de la loi de 1905 sur la séparation de
l’Eglise et de l’Etat) et que son statut de « pilier » de la
démocratie française est relatif : le discours du Latran, prononcé
en 2008 par N. Sarkozy constitue un exemple récent de
discussion de son caractère « absolu ». On pourra également
montrer les traces de droit canon en droit français, et mettre en
lumière la « matrice théologico-juridique » du droit français et,
plus largement, occidental (Legendre, 2004)1.

Conclusion

Cette proposition de « renouvellement herméneutique » de la


didactique du français juridique s’inspire de l’accord, non
concerté, de chercheurs d’horizons divers (anthropologie,
didactique des langues-cultures, (socio)linguistique, droit) sur
l’importance de la philosophie herméneutique pour penser
l’interculturel2.
Son ambition n’est pas de former de simples techniciens
juristes-linguistes, mais des individus capables de se réfléchir
dans la rencontre avec l’autre, et
« […] qui pourront, situés qu’ils sont au ‘carrefour des
séparations’ – la formule est d’Antonin Artaud – travailler
utilement à l’appréhension et à la dissémination du divers dans le

1
« Ce qui nous échappe d’essentiel dans la représentation
occidentale concerne la base historico-mythique sur laquelle la
tradition européenne a fondé ses catégories normatives […] C’est à
cette matrice théologico-juridique de l’Occident qu’il faut se reporter,
si l’on veut saisir la plasticité de cette culture, sa capacité
(apparemment paradoxale) d’intégrer dans son système normatif
l’individualisme anti-normatif, et son efficacité dans le laminage des
cultures autres en utilisant l’arme institutionnelle » (Legendre, 2004 :
23-25).
2
Voir article cosigné ici avec D. de Robillard.
168
droit et, pas là, aux possibilités qu’autorise le divers dans le droit ».
(Legrand, 1996a : 317)
L’étude terminologique et le travail technique sont
indéniablement utiles pour préparer l’entrée d’étudiants
allophones à l’Université française dans un cursus de droit. Ces
approches ne seront que plus efficaces si on leur donne un
surcroît de sens par une réflexion sur l’altérité.
Après avoir développé sa vision originale du droit comparé
« à l’aune d’une herméneutique », P. Legrand concluait que « la
comparaison [juridique] sera CULTURELLE ou ne sera pas »
(Legrand, 2006 : 125). Nous sommes tenté de tirer une
conclusion similaire pour la didactique du français juridique,
qui sera interculturelle, donc herméneutique, ou aura du mal à
atteindre son objectif de mise en relation d’altérités.

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L'INTERCULTUREL AU RISQUE DE
L'
HERMENEUTIQUE : FAIRE DROIT AUX
AUTRES ?

Didier de Robillard & Marc Debono


EA 4246 DYNADIV1, Université François Rabelais de
Tours

Et si l’ « interculturel » avait un prestigieux et ancien


prédécesseur ?
Si on fait, avec G. Gusdorf (1988) l' histoire de la posture
herméneutique à travers les siècles, on ne peut qu' être frappé,
indépendamment de la diversité des situations et des époques,
d'une constante : le rôle de l'herméneutique est extrêmement
proche de celui que l'
on attribue généralement aux perspectives
généralement dites, de nos jours, « interculturelles ».
On ne pourra que survoler ici cette histoire, pour illustrer ce
propos initial. G. Gusdorf fait commencer cette histoire à la
création du « mouseion » d'Alexandrie vers l' an 300. Il s'agit, à
cette époque, et ce n'est pas un détail, de rassembler en un
même lieu et des (éléments de) textes de la tradition grecque,
notamment concernant le corpus homérien, et des savants pour
les « travailler ».
Ce « travail » consiste d' abord en un recueil des diverses
sources, souvent dispersées, fragmentaires, se contredisant, puis
en un classement des ces divers textes, à la fois pour les rendre
accessibles (mesure de bibliothéconomie élémentaire) et pour

1
Equipe implantée également à l'
Université de Limoges.
174
faciliter leur étude afin de constituer un texte que l' on va plus
tard appeler canonique, que l' on appellerait de nos jours
probablement "standard". Ces textes sont ensuite (ré-
)interprétés au fil du temps pour qu' ils continuent à "faire sens",
et cela est considéré comme une priorité, compte tenu du rôle de
pilier culturel de ce corpus. Il est intéressant de constater que le
« mouseion » conçoit les signes en lien indissociable avec leur
interprétation, ce qui fonde une posture herméneutique. Il faut
sans doute rappeler qu' entre le moment de l' interprétation de ces
textes et les événements qui y sont racontés, s' écoulent près de
mille ans, ce qui permet d' imaginer la part d' altérité à laquelle
doivent se mesurer les interprètes de ces textes.
Cette perspective et cette méthode de travail vont être mises
en oeuvre successivement pour articuler le logos grec et la
tradition hébraïque, puis pour travailler les textes bibliques
(notamment avec les contributions d' Augustin (354 - 430),
considéré comme l' inventeur de l' individualisme occidental et
du contextualisme interprétatif, et de Jérôme (346 – 420),
traducteur de la Bible). Le processus se poursuit pendant le
Moyen Age, puis à la Renaissance, au moment de la Réforme,
pour élaborer les traductions de la Bible en langues vulgaires. A
cette époque, la technicité philologique élaborée notamment à la
faveur de la migration des savants à la chute de Constantinople
est mobilisée par les réformateurs et les contre-réformateurs, et
se voit donc discréditée puisqu' elle produit des interprétations
opposées d' un texte identique. Quelques noms marquants avant
la période moderne : R. Simon (1838 – 1712) puis G.B. Vico
(1688 – 1744) vont animer les débats herméneutiques avant la
période romantique, où cette tradition va être travaillée par
Schleiermacher, puis par Dilthey, qui influence Heidegger, qui
a son tour inspire H.G. Gadamer (1976), P. Ricoeur (voir
bibliographie).
Il est frappant de constater que cette longue tradition a pour
constante le travail de traduction, de médiation entre traditions
culturelles pour les rendre mutuellement intelligibles sans les
réduire les unes aux autres. Ce courant n' est cependant pas sans
perturbations, oscillations, turbulences : des débats, parfois
175
féroces, se nouent autour de questions (tellement familières
dans les perspectives interculturelles contemporaines) telles que
l'
importance à attribuer à la lettre (au signifiant, au corpus), la
délimitation du corpus (où s' arrête-t-il, quels textes, quelles
versions sont pertinentes, quel est le statut de la traduction par
rapport à l'"original", y a-t-il un seul "original", doit-on prendre
en compte les commentateurs comme faisant partie de l’œuvre),
la part du signe dans la signification (quelle place au contexte,
aux commentaires, et si l' essentiel n' était pas dans le signe ?), la
part de la technicité dans le processus d' interprétation, etc.
On pourrait donc facilement argumenter que, sans la coupure
exercée par la période positiviste des sciences humaines, on
n'aurait pas dû réinventer, sous le nom d' « approches
interculturelles » ce qui avait déjà constitué une considérable
tradition intellectuelle de débats sous l' appellation
d'« herméneutique », et se poursuit de nos jours.

L'herméneutique contemporaine

Animé par des figures comme celles de H. G. Gadamer et P.


Ricoeur, cette perspective propose de considérer qu' un être
humain, lorsqu' il se projette / est projeté dans le monde pour y
vivre / exister, y agir, adopte irrationnellement une posture de
base, parce qu' il n'a pas le choix : force lui est de faire
l'
hypothèse que, quand il est précipité dans le monde, pour y
agir, il doit faire le pari qu' il parviendra à donner du sens au
monde. Le monde est donc postulé a priori sans signification,
puisque c' est l'homme qui catégorise, donne sens, organise,
articule les éléments de ce qu' il appelle « monde ».
Cela rappelle ces pages de Proust :
« Toujours est-il que, quand je me réveillais ainsi, mon esprit
s’agitant pour chercher, sans y réussir, à savoir où j’étais, tout
tournait autour de moi dans l’obscurité, les choses, les pays, les
années. Mon corps, [...] cherchait, d’après la forme de sa fatigue, à
repérer la position de ses membres pour en induire la direction du
176
mur, la place des meubles, pour reconstruire et pour nommer la
demeure où il se trouvait. Sa mémoire, la mémoire de ses côtes, de
ses genoux, de ses épaules, lui présentait successivement plusieurs
des chambres où il avait dormi, tandis qu’autour de lui les murs
invisibles, changeant de place selon la forme de la pièce imaginée,
tourbillonnaient dans les ténèbres. Et avant même que ma pensée,
qui hésitait au seuil des temps et des formes, eût identifié le logis
en rapprochant les circonstances,[...] j’étais à la campagne chez
mon grand-père, mort depuis bien des années; [...] j’étais dans ma
chambre chez Mme de Saint-Loup, à la campagne; mon Dieu! »
Du côté de chez Swann, Marcel Proust
On y voit une caractéristique importante des hypothèses
herméneutiques : le « je », avant de se lever, doit donner sens,
organisation, structure à son environnement, pour s' y placer lui-
même et y agir (on ne descend pas de la même manière d' un lit
et d' un hamac), s' y donner une identité (la construction de
l'
environnement est présentée comme organiquement liée à des
parties du corps même du « je »). On peut comprendre (cela
n'est pas flagrant dans l'extrait) que l'
anticipation de ce que l'on
a l'
intention d' y faire compte également dans la façon dont on
construit le monde, ainsi que sa place en son sein : le pêcheur,
le plongeur sous-marin, et le touriste, l' océanologue et
l'
ichtyologue ne voient pas la mer de la même manière.
On pourrait synthétiser l'essentiel de ce point de vue
herméneutique en quelques propositions un peu caricaturales :
1° La Sn. (= signification), les Sns. (et pas le signe) sont une
condition d'
existence humaine.
2° La Sn. humaine est donc toujours une Sn. « à partir de »
et « en vue de », donc une Sn. contextualisée, historicisée.
3° Pour donner sens au monde, à l'
autre, on doit construire
des hypothèses causales.
4° La construction de causalités est sous-tendue par un récit
(P. Ricoeur) qui, en postulant des causes et effets, construit des
antériorités et des postériorités, perceptibles par les
changements, les variations, oxygène de l' herméneute. De ce
point de vue, la formule ensteinienne E= MC2 est la version
177
sténographiée à l'
extrême d'un récit sur le fonctionnement d'
une
partie des éléments du monde.
5° Cet exemple est intéressant, puisque l' on peut considérer
que tout ce qui occulte, détruit des morceaux de cette narrativité
/ historicité participe du positivisme, de la (socio)linguistique
positive, puisque cela travaille à masquer le « à partir de » et le
« en vue de », ce qui humanise la Sn., pour ne laisser que le
squelette de la Sn., le signe.
6° Le « préjugé » de Sn. est fondateur d'
humanité (ne serait-
ce que parce qu' il pointe vers une historicité), et est
indispensable comme amorce devant l' inconnu.
7° La Sn. est inséparable d' une narration d' expérience de
production de Sn. qui inclut l'
amorce par les préjugés.
8° La Sn. précède et excède les signes : il les précède dans
la mesure où le signe est un élément cristallisé (re-)construit
par narration réflexive d'expérience de Sn. En effet, toutes les
Sns. ne donnent pas lieu à des signes. La signification les
excède en cela que le signe est le sommet métonymique de
l'
iceberg, fabriqué après coup, du processus d' expérience de Sn :
le signe présuppose une expérience de Sn. et pas l' inverse.
9° Construire des Sns., dans cette perspective, loin d'être un
exercice seulement intellectuel, constitue aussi à la fois une
expérience existentielle globale où le « non scientifique » est
indémêlable du "scientifique", parce que nous y mettons toute
notre expérience, notre « à partir de », et notre « en vue de », et
l'
exercice d' un pouvoir (sur lequel, en démocratie, il faut donc
s'expliquer): construire le monde, les autres.

Un des conséquences de tout cela mérite d' être développée :


la tradition positiviste et le « politiquement correct » nous
incitent tantôt à travailler « sur » des signes plus que des
significations, tantôt à nier nos préjugés (en prétendant arriver
« vierge » sur le terrain), tant t à prétendre que nous pouvons
nous mettre à la place de l' autre (ce qui nie les singularités, les
histoires constructrices de particularités), tant t à taire les
préjugés, ou à les attribuer aux autres (travail sur les stéréotypes
178
en général plut t qu'avec ceux du chercheur, qui ne serait pas
humain s'il n'
en avait pas).
Le résultat de tout cela est que le processus (récit) de
signification est occulté, tronqué, au profit des signes, avec le
risque de présenter l' autre, et soi-même, comme des signes
(risques de racisme, de culturalisme) comme déshumanisés
puisque anhistoricisés, essentialisés.
La tradition herméneutique en revanche nous incite à
« réflexiver » nos préjugés (sans rechercher la transparence
totale, inhumaine), à les intégrer à la réflexion, à les « mettre
sur la table », pour construire une relation paritaire, dans le sens
o tout être humain se caractérise par une histoire, donc des
préjugés qui en sont témoin, et ne pas laisser de signe sans
processus de signification, puis à instabiliser sa propre tradition
par la rencontre avec une autre, puisque la « critique », si elle
suppose un point de vue extérieur, est impossible sans nier notre
histoire.
Ces différents points de vue seront illustrés, infra, par la
discussion de problèmes herméneutiques ou « interculturels »
rencontrés dans le traitement de la rencontre altéritaire dans le
domaine du droit.

L’intérêt du droit pour la pensée des problèmes


herméneutiques ou « interculturels »Plusieurs raisons font
du droit un domaine pertinent pour interroger la notion
d’interculturel en partant de la pensée herméneutique.
La première réside d’abord certainement dans la fonction
prescriptive et « injonctive » du droit : le droit pose en effet la
question de la contrainte de l’autre, que cet « autre » soit une
personne (physique ou morale : droit civil, pénal, des sociétés,
etc.) ou un Etat (droit des relations inter-étatiques), ce qui en
fait un excellent observatoire pour les questions liées aux
rencontres interculturelles. Si certaines franges/courants du
droit s’intéressent de près à la réflexion interculturelle (droit
comparé, anthropologie juridique, etc.), la réciproque est
également vraie. Dans le domaine de la didactique des langues-
cultures par exemple, l’émergence régulière du « juridique »
179
dans les débats sur l’interculturel montre cet intérêt : la récente
« réactivation » du concept de transculturel, proposé par
Chantal Forestal comme moyen de lutter contre l’interculturel
« relativiste » et « indifférent » qu’elle juge dominant en FLE,
est innervée par les notions juridico-philosophiques de « droits
de l’homme » et de « laïcité » (Forestal, 2008).
Ensuite, la réflexion sur l’interculturel dans le domaine
juridique est confrontée à une difficulté particulière : la
représentation dominante du juridique est en effet celle de la
« solidité » du droit national, une « essence » qui ne se mélange
pas, et ceci d’autant plus dans un pays comme la France, où la
réification textuelle (codification) est perçue comme un
aboutissement. La comparaison avec les langues est ici assez
évidente : droit et langue sont traversés par des poussées
« réifiantes », essentialisantes comparables. Mais,
s’il est déjà difficilement accepté que les langues se
mélangent, le problème se pose avec une acuité redoublée pour
les droits, souvent considérés comme des « bastions » des
identités nationales1. Pourtant (et comme pour les langues) les
macro-évolutions actuelles (européanisation, mondialisation)
rendent de plus en plus nécessaire la réflexion sur la relation
entre ces systèmes de droit qui se sont historiquement voulus
« solides ».
Enfin, le droit est un domaine qui, en partie pour les raisons
qui viennent d’être mentionnées, intéresse particulièrement les
herméneutes : Ricoeur a beaucoup dialogué avec les juristes
(avec François Ost en particulier), contribué à des ouvrages sur
l’interprétation en droit (Ricoeur, 1995a) et écrit sur le
phénomène juridique (Ricoeur, 1995b). Quant à Gadamer, il
consacre une partie entière de Vérité et Méthode à « la

1
Le droit « napoléonien » est un des étendards souvent brandis par les
nationistes opposés à l’approfondissement de l’intégration
européenne : la conjointe défense par l’académicien Maurice Druon
de la place à accorder au sein des institutions à la langue juridique et
au droit français, en constitue un exemple récent (« Druon fait
campagne », Le Point, 22 mars 2007).
180
signification exemplaire de l’herméneutique juridique »
(Gadamer, 1996 : 347-363).
Ces raisons étant explicitées, nous allons voir comment
l’herméneutique aide à penser la rencontre altéritaire dans le
domaine du droit, dans un mouvement de convergence, non
concerté, avec d’autres disciplines du champ des sciences
humaines et sociales. Mais, pour bien saisir la pertinence d’un
tel mouvement, il convient de d’abord revenir sur une des
pierres angulaires de l’herméneutique gadamerienne qu’est
l’idée de précompréhension (Vorverständnis).

Préjugés et rencontre de l’autre

Pour Gadamer, toute compréhension comporte une


« structure d’anticipation », un processus de précompréhension
inévitable, qui s’enracine dans la tradition culturelle de
l’interprète (situé et historicisé), laquelle donne corps à ses
préjugés. Loin d’être une force négative, déformante, le préjugé
constitue chez Gadamer une condition positive de la
connaissance. Pour comprendre et se comprendre il est donc
nécessaire de partir de ses préjugés :
« Ce n’est qu’en reconnaissant ainsi que toute
compréhension relève essentiellement du préjugé que l’on
prend toute la mesure du problème herméneutique »
(Gadamer, 1996 : 291).
Gadamer réhabilite donc le préjugé, notion que les Lumières
avaient ardemment combattue, en le proposant comme façon de
réintroduire « la réalité historique de l’être humain » (Gadamer,
1996 : 115). Cette réhabilitation est aussi réinvestissement du
sens : le préjugé n’est plus considéré comme un jugement hâtif,
erroné, une vision déformée du « réel », mais comme un
jugement provisoire, renouant avec le sens originel du terme :
« Dans la pratique de la justice, préjugé voulait dire décision
juridique antérieure au jugement définitif proprement dit »
(Gadamer, 1996 : 291).
181
Jugement provisoire et inéluctable : la compréhension passe
nécessairement pas un processus de précompréhension où les
préjugés interviennent.
La notion de préjugé est chez Gadamer très liée à celle de
tradition, entendue comme « tout ce qui n’est pas ‘objectivable’
dans une compréhension, mais qui la détermine
imperceptiblement » (Grondin, 2006 : 56). La tradition c’est le
« travail de l’histoire », l’historicité de chaque individu qui
influe sur sa compréhension. Les préjugés conçus par l’individu
ne sont donc pas le fruit d’une conscience anhistorique, mais de
l’inscription de l’individu dans une tradition :
« Ce qui emplit notre conscience historique, c’est toujours une
multitude de voix où résonne l’écho du passé » (Gadamer, 1996 :
305).
Il faut bien expliciter le sens que donne Gadamer à ces
propos (sous peine de reconduire son récurent procès en
relativisme culturel1) : la notion gadamerienne de tradition ne
doit pas être comprise comme un attachement déterministe à
une tradition culturelle particulière (ce qui est l’attitude
traditionaliste). Les traditions culturelles et interprétatives
n’existent pas « en elles-mêmes », comme entités stabilisées,
réifiées, mais uniquement dans la dynamique dialogique du
« frottement » (Gadamer, 1996). La réhabilitation de cette
notion par Gadamer n’est pas un retour au relativisme
romantique, mais une invitation au dialogue (notion centrale de
l’herméneutique gadamerienne), potentiellement conflictuel,
des traditions interprétatives et culturelles qui ne sont pas
considérées comme « objets », mais comme « processus ». Ce
« frottement », avec une altérité non présupposée comme
réifiée, est pour Gadamer le moyen de la compréhension. La
rencontre avec l’autre permet :
1) la conscientisation de ses préjugés par
l’instabilisation de sa propre tradition : le « frottement »

1
Dans sa « nouvelle défense » de l’herméneutique gadamerienne,
D.Weberman revient sur la constance de cette accusation (Weberman,
2000 : 62 et suiv.).
182
interculturel devient en quelque sorte le « révélateur »
du processus herméneutique en ce qu’il « excite » le
préjugé (pour reprendre le verbe utilisé par Gadamer).
2) l’examen critique des préjugés : une fois
« excités », « conscientisés », « mis sur la table », les
préjugés peuvent être soumis à un examen critique.
Plutôt que de chercher à occulter ses préjugés par
l’exercice de la raison critique (idéal de Lumières,
repris par la raison scientiste), l’herméneutique
gadamerienne propose de les mettre au centre du
processus dialogique de la compréhension.
Dès lors, on comprend aisément la productivité d’une telle
perspective pour (re)penser l’interculturel (et l’éducation : mais
toute éducation n’est-elle pas interculturelle ?). Certains
chercheurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : des recherches
sur l’interculturel dans les domaines de l’anthropologie, de la
didactique des langues-cultures, des sciences de l’éducation et
du droit fondent leur démarche sur l’herméneutique.

Herméneutique, éducation, interculturel :


convergences

C’est en particulier le cas de Martine Abdallah-Pretceille,


dont les travaux font figure de référence en matière de réflexion
sur l’interculturel. Cette auteure affirme en effet de manière
explicite que « l’interculturel est une herméneutique »
(Abdallah-Pretceille, 2003 : 24 et suiv.), dans le sens où son
principal enjeu est d’ « apprendre à penser l’altérité sans partir
de la présupposition de l’Autre comme objet », cet Autre étant
« une aventure, un processus, un devenir » (Abdallah-Pretceille
et Porcher, 2001 : 71-73).
Cette opinion est reprise par Fred Dervin, qui inscrit sa
recherche sur la mobilité étudiante (Dervin, 2008) dans la
continuité des travaux de M. Abdallah-Pretceille et de ceux
d’un groupe scandinave de recherche en herméneutique
183
interculturelle : le cercle Critical Hermeneutic Research (Dahl,
Jensen et Nynäs, 2006).
Indépendamment de ces recherches, la réflexion du coauteur
de ces lignes sur l' herméneutique et l’altérité présente des
convergences certaines avec celles menées par M. Abdallah-
Pretceille et F. Dervin. D. de Robillard insiste en effet sur
l’importance de l’herméneutique pour aider à penser le rapport
à l’autre en sciences humaines et sociales, et en particulier en
linguistique/sociolinguistique. Rappelant les postulats
gadameriens sur le processus de précompréhension, il conclut
que la rencontre interculturelle gagnerait à l’explicitation des
préjugés des protagonistes. Le « gain » serait en particulier de
rendre possible une éventuelle conflictualité, au sens ricordien
du terme :
« Il me semble que, dans une perspective d’altérité forte
(rencontres interculturelles, conflictuelles, par exemple), le socle du
travail est moins l’entente que l’explicitation réciproque des
différences / analogies perçues, qui implique un contrat de
recherche en commun, y compris dans la modalité du conflit (cf.
Ricoeur, 1969) » (Robillard, à paraître).
Enfin, les travaux de Denis Simard en sciences de
l’éducation utilisent également l’herméneutique pour réfléchir
l’intégration/réintégration de la dimension
culturelle/interculturelle dans les apprentissages1. Il explique les
raisons qui l’ont poussé vers les herméneutiques gadamerienne
et ricordienne pour élaborer son « approche culturelle de
l’enseignement » :
« Pour des raisons qui tiennent d’une certaine conception de la
raison et de l’éducation, nous nous inspirons surtout de
l’herméneutique représentée par Gadamer (1996) et Ricoeur
(1986). Ces raisons tiennent aussi au rôle central que ces deux
auteurs font jouer au dialogue dans notre quête de sens et la
construction de nos savoirs, recherche qui ne peut jamais se
résoudre dans la possession définitive de la vérité, et qui implique

1
Le contexte des propositions de D. Simard est celui de la réforme du
système éducatif québécois amorcée dans les années 1990 (Simard,
2000 et 2002).
184
une ouverture à l’altérité, au texte à interpréter ou à l’autre qui peut
toujours m’apprendre quelque chose » (Simard, 2002 : 65).
La critique de la raison scientiste toute puissante et
l’« ouverture à l’altérité » inhérentes aux herméneutiques
gadamerienne et ricordienne, constituent également les raisons
qui ont inspiré Pierre Legrand dans l’établissement d’une
« comparaison [des droits] comme herméneutique » (Legrand,
1996a : 287).

Herméneutique, altérité et « marges juridiques » :


le cas du droit comparé de Pierre Legrand

Le droit comparé est une discipline juridique qui traite de


l’altérité en droit. Il s’agit d’une discipline marginale et
marginalisée, avec peu de place dans les cursus universitaires,
et peu d’enseignants-chercheurs, en comparaison de la masse
des juristes dits « locaux ». Si les choses évoluent peu à peu, ce
cloisonnement disciplinaire et cette marginalisation constituent
encore les symptômes d’une science juridique nationalo-
centrée, peu ouverte aux « contacts ».
Dans ce paysage universitaire, la « comparaison comme
herméneutique » de P. Legrand se situe « à la marge de la
marge ». C’est une comparaison d’opposition, très éloignée de
la « comparaison » dominante en droit qui « juxtapos[e] des
visibles, des surfaces, des positivités » (Legrand, 2006 : 126).
P. Legrand est très vindicatif contre le courant dominant du
comparatisme juridique, qu’il qualifie de comparatisme « entre
guillemets », « alimentaire », inféodé aux pouvoirs, « qui
sustente, avec une valeur nutritive toute relative, les cabinets
d’avocats comme les officines gouvernementales » ; une
comparaison qui décrit, compte et catalogue, les différences
comme on collectionne des « timbres-poste » (Legrand, 2006 :
11-12).
P. Legrand prône au contraire un comparatisme
« dépositivant », « à l’aune d’une herméneutique » (Legrand,
185
1996a : 316), perspective qui peut ressourcer la comparaison et
lui donner la « crédibilité intellectuelle » qui lui manque en
dérangeant le repos quantitativiste dans lequel se sont installés
selon lui la plupart des comparatistes. Dans ce programme, P.
Legrand se réclame explicitement de Gadamer et de ses
concepts centraux de Vorverständnis (Legrand, 1996b : 799) et
de préjugé (Legrand, 1996a : 309-310). Sur cette base, le
comparatiste se doit d’
« expliquer comment la compréhension du droit par le juriste
est tributaire de la précompréhension avec laquelle il a abordé
l’étude du droit et qui surdéterminera les analyses juridiques
auxquelles il se livrera par la suite » (Legrand, 1996a : 294).
Cette reconnaissance et explicitation du processus de
précompréhension n’est aucunement déterministe et
« enfermante » : Legrand, fidèle sur ce point à Gadamer, invite
à l’analyse critique des préjugés, à « approndi[r] sa
contingence », plutôt que d’essayer de s’en abstraire en suivant
l’idéal scientiste :

« […] loin d’être en mesure de revendiquer un entendement


plus riche en s’abstrayant de lui-même, le comparatiste français ne
pourra prétendre à un entendement accru qu’en approfondissant sa
contingence » (Legrand, 2006 : 120).

Sur la base de cette reconnaissance et explicitation de sa


propre contingence, le conflit devient une modalité possible de
la rencontre interculturelle :
« L’impossibilité de transcendance ne signifie certes pas que le
comparatiste doive se condamner au ‘quiétisme’ et entériner la
peine capitale telle qu’elle a cours en Californie. Au contraire, il
peut s’opposer à ce droit avec la dernière énergie. Mais il ne saura
tenter de réfuter le droit californien qu’au nom d’arguments dont il
devra convenir qu’ils sont situés […] » (Legrand, 2006 : 120).
Ces propos rejoignent ceux du cosignataire de ces lignes sur
l’intérêt de la philosophie herméneutique pour penser le conflit
en sciences humaines et sociales (Robillard, à paraître).
186

Conclusion

Le rapide passage en revue de ces travaux, montre donc une


convergence transdisciplinaire très forte sur l’intérêt de la
perspective herméneutique pour la pensée de l’interculturel1.
Dans le domaine juridique cette perspective - qui est une sorte
de « retour aux sources »2 - permet de penser les relations entre
les traditions, juridiques, sur un mode éventuellement
conflictuel, mais en évitant l’idéologie du « choc » (Huntington,
2007), d’ « objets » (les droits) posés comme « solides ».
L’herméneutique s’offre donc aux juristes – et aux didacticiens
du français juridique (Debono, ici même) - comme moyen de
penser la diversité.
Cette perspective reste néanmoins marginale, « hors
frontières », voire subversive, comme le rappelle Pierre
Legendre3:
« […] il existe du point de vue des juristes nourris par la
tradition occidentale, un en-bas interdit, la zone d’une science
infernale. Leur maxime tient en ce trait, qui me fut par l’un d’eux
plusieurs fois commenté : trop d’interprétation serait jouer du piano
avec un marteau ! Pareille galéjade, plus profonde qu’elle ne dit,

1
Nous avons présenté ici des travaux qui font explicitement référence
à l’herméneutique dans leur abord de la question interculturelle, mais
d’autres, qui n’y font pas référence pour différentes raisons (traditions
disciplinaires, etc.), nous semblent néanmoins indéniablement s’en
approcher : nous pensons en particulier aux œuvres de J. Demorgon en
sociologie et de P. Legendre en anthropologie/histoire/droit.
2
D’abord discipline « technique » dans les domaines juridique,
religieux et philologique, l’herméneutique ne prend une orientation
philosophique qu’à partir du XIXe siècle. Dans Vérité et Méthode,
Gadamer s’inspire explicitement de cette herméneutique juridique
originelle pour fonder son herméneutique philosophique (Gadamer,
1996 : 347-363).
3
Juriste et historien du droit à l’origine d’une anthropologie
dogmatique, très « herméneutique », et avec laquelle Martine
Abdallah-Pretceille se reconnaît des liens (Abdallah-Pretceille, 2003).
187
visait à dissuader de l’effort interprétatif, tenu pour illicite, c’est-à-
dire subversif au-delà d’une certaine frontière familière désignée
comme infranchissable » (Legendre, 1974 : 8-9).
Reconnaître sa finitude (« casser le piano ») en faisant
l’ « effort interprétatif » (herméneutique) est justement pour
Gadamer la condition de la rencontre de l’autre :

« L’espoir de Gadamer est que c’est justement la


reconnaissance de sa finitude essentielle qui amènera la conscience
à s’ouvrir à l’altérité et à de nouvelles expériences » (Grondin,
2006 : 59).

Gageons que l’émergence d’un intérêt transdisciplinaire pour


l’herméneutique, perçue comme « aide » à la pensée de
problématiques interculturelles / altéritaires / diversitaires, fasse
évoluer les « dissuasions », dans le domaine du droit et ailleurs
en sciences humaines et sociales.

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190
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2004.
TABLE DES MATIERES

Philippe Blanchet et Daniel Coste


Sur quelques parcours de la notion d’interculturalité : analyses
et propositions dans le cadre d’une didactique de la pluralité
linguistique et culturelle………………………………………..7

Albin Wagener
Entre interculturalité et intraculturalité : pour une redéfinition
du concept de culture…………………………………………29

Damien Le Gal
La dialogicité de la culture : élargissement du paradigme
interculturel et transposition pédagogiques……………..........59

Malika Kebbas
Dimension culturelle/interculturelle et enseignement du français
en Algérie…………………………………………………..…73

Nathalie Auger et Christina Romain


Malentendus interculturels et pratiques et tensions didactiques
dans l’enseignement-apprentissage du français langue première
et langue autre………………………………………………...97

Michèle Levacic-Burkhardt
L’agir professionnel, facteur d’insertion et d’appropriation
linguistique…………………………………………………..115

Anne-Sophie Calinon
Objectifs culturels dans les cours de francais : perception et
réception des apprenants immigrants au Québec……………129
Marc Debono
De l’intérêt de l’herméneutique : pour repenser l’interculturel
en classe de français juridique………………………………149

Didier de Robillard et Marc Debono


L'interculturel au risque de l' herméneutique : faire droit aux
autres ?....................................................................................173
Regards critiques sur la notion
d’ « interculturalité »
Pour une didactique de la pluralité
linguistique et culturelle

Sous la direction de Philippe BLANCHET et Daniel COSTE

La notion d’interculturalité a connu depuis les années 1980


un succès remarquable, au point d’être devenue incontournable
en didactique des langues et dans de nombreuses autres
disciplines qui se préoccupent de relations dites
« interculturelles », notamment d’éducation et d’insertion
sociale. Elle s’est diffusée largement chez les praticiens et
divers acteurs sociaux. Cette expansion du terme dans divers
champs a provoqué des réductions de ses significations et de ses
usages, notamment un repli vers une enseignement culturel
centré sur des stéréotypes nationaux ou encore vers une
acception « angélique » qui en limite la portée à des « relations
humaines harmonieuses malgré les différences culturelles et
linguistiques ». Il fait, dès lors, l’objet d’un certain nombre de
critiques justifiées. L’objectif de ce volume est de replacer le
concept au centre de la compréhension des dynamiques et des
tensions sociales, parce que les altérités en sont constitutives. Il
s’agit, dès lors, de lui restituer une portée fondamentale et des
fonctions transversales d’intervention de terrain, notamment en
sociolinguistique et pour une didactique des compétences
plurilingues et interculturelles.

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