Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
net/publication/301652604
Regards critiques sur la notion d' " interculturalité ". Pour une didactique de la
pluralité linguistique et culturelle
CITATIONS READS
5 75
2 authors:
Some of the authors of this publication are also working on these related projects:
All content following this page was uploaded by Philippe Blanchet on 26 February 2018.
REGARDS CRITIQUES
SUR LA NOTION
D’ « INTERCULTURALITE »
REGARDS CRITIQUES
SUR LA NOTION
D’ « INTERCULTURALITE »
1
Le PREFics est membre fondateur du Groupement d’Intérêt
Scientifique « Pluralités Linguistiques et Culturelles ».
8
1989). Elle couvrait, au départ, un empan très large issu d’un
point de vue anthropologique et sociopsychologique lié à la
contextualisation sociale de son émergence, empan large que
l’on trouve également chez le sociologue et philosophe J.
Demorgon (1996) et chez Ladmiral et Lipiansky (1989),
traductologue et psychologue. L’ancrage spécifique de cette
notion dans le champ éducatif, posé par Camilleri lui-même
(1985) a été confirmé par Clanet (1993), Abdallah-Pretceille
(1999), Abdallah-Pretceille et Porcher (1996). Son ancrage dans
le champ plus précis encore de la didactique des langues-
cultures a été rapide et conséquent, grâce notamment aux
travaux de références de G. Zarate (1986, 1994) et de Michael
Byram (1997, 2003). Le croisement avec la notion de
compétence de communication (Hymes, 1984 pour la traduction
française) issue des recherches en ethnographie de la
communication (autrement appelée « sociolinguistique
interactionnelle », cf. la traduction française de Gumperz, 1989)
et des recherches sur les interactions verbales (Kerbrat-
Orecchioni, 1994), a centré la question interculturelle sur une
approche dite pragmatique ou interactionniste (Collès, 2003,
177-178 ; De Salins, 1992) visant l’appropriation d’une
compétence (de communication) interculturelle.
La notion répondait à une préoccupation sociale : elle a
connu un grand succès et elle est devenue omniprésente en
didactique des langues et dans certaines autres disciplines qui se
préoccupent de relations dites « interculturelles », notamment
d’insertion sociale. Elle a ainsi été diffusée largement chez les
enseignants et divers acteurs sociaux. Cette expansion du terme
interculturel dans divers champs, parallèlement à sa centration
sur le champ éducatif et plus précisément celui de l’éducation
linguistique, a été accompagnée de reconfigurations de ses
significations et de ses usages, qui peuvent être perçus comme
autant d’affaiblissements et de réductions de sa portée.
Récupéré dans des représentations dominantes et dans les
idéologies nationales fortement à l’œuvre dans certains
9
1
systèmes éducatifs — notamment en France , récupéré dans les
routines des enseignants de langues, le terme a été réduit à la
notion de « connaissance de ‘la’ culture nationale cible » de
l’enseignement d’une langue. En témoignent l’usage qu’en font
nombre de manuels de langues (Auger, 2007) et même des
manuels de communication interculturelle (Hubert-Kriegler et
coll., 2007 ; Ildiko et coll., 2008). Il s’agit là d’une réduction au
fond contradictoire avec le cœur de la notion de relation /
communication interculturelle, notamment dans son acception
anthropologique générale et dans la visée concrète d’une
compétence interculturelle interactionnelle. Triple réduction
d’ailleurs, en faisant primer l’idée de cultures nationales
homogènes, posées comme des objets de connaissance
extérieurs à l’apprenant, alors que la problématique
interculturelle a été plutôt conceptualisée comme celle d’une
expérience concrète de toute forme d’altérité socioculturelle
vécue par les individus dans leurs interactions.
On observe également le développement d’une acception
« angélique » de la notion, même au sein d’une conception
interactionnelle de la question interculturelle, qui en réduit la
portée à une simple attente de « relations humaines
harmonieuses malgré les différences culturelles et
linguistiques ». En d’autres termes, il n’y aurait relation /
dialogue réellement interculturel(le), situation effective
d’interculturalité, que lorsque cet objectif plus ou moins idéal
ou idéaliste serait atteint. Ainsi, « L’interculturel serait une
solution aux contacts/conflits des langues-cultures imposés par
une société multiculturelle puisqu’il induirait négociation et
compromis ou une sorte d’inter-solidarité » (De Carlo, 1998 :
40). On trouve une synthèse significative de ce que nous
considérons comme une réduction de la notion sous cette
formulation :
1
D’après L. Collès (2003, 175) l’interculturel est resté au Québec,
dans une culture nord-américaine plus ouverte à la pluralité culturelle,
un champ à part entière envisagé notamment d’un large point de vue
sociologique.
10
« L'interculturel, c'
est faire face à l' Autre, non pas pour
l'
affronter mais pour le compléter, pour vivre en parallèle avec lui,
l'
écouter, s' ouvrir, construire le dialogue avec lui. Toutes les
cultures sont égales, s' observent, s'inspirent mutuellement.
L'interculturel, ce sont des langues-cultures qui se croisent et qui
veulent se comprendre » (Dumont, 2008 : 8).
Face à ces réductions, certains, notamment parmi les
fondateurs de la notion, ont alors tenu des positions critiques, à
l’instar de J. Demorgon (2005, 197) :
« L’affichage d' une critique de l' interculturel nous a paru
nécessaire pour marquer un point de non-retour. Il fallait
absolument quitter cette exclusivité accordée à l' interculturel de
‘bonne volonté’. Il fallait sortir de cette essentialisation des
cultures, bien visible dans l' expression tellement idéalisante de
dialogue des cultures (…) Le véritable objet n' est pas tant
l'
interculturel que l' interculturation. (…) Tout cela conduit à
rétablir clairement ‘les humains entre eux’ comme producteurs de
leurs stratégies et de leurs cultures. Seule l' interculturation permet
cette perspective de synthèse, en englobant ses acteurs, ses
objectifs, ses processus, ses résultats ».
1
Ces interactions incluent les interactions indirectes, différées, via
des textes, enregistrements sonores, images, films, supports
multimédias, etc.
12
hybridations, métissages, mélanges, y sont des processus
« normaux » à l’œuvre partout ;
-la recherche de l’acceptabilité des interactions et de
l’intercompréhension qui implique une conscience de la
relativité de son propre système d’interprétation et une tentative
de comprendre le système d’interprétation d’autrui ;
-la recherche d’une bienveillance ou au moins d’une
compassion comme principe majeur des relations humaines
fondées sur le respect de la dignité des personnes ;
-le refus de l’ethnocentrisme y compris sous la forme
déguisée de l’universalisme, qui consiste à imposer comme
valeurs universelles non négociables des convictions
nécessairement issues de contextes, d’histoires, de cultures
précises (Todorov, 1989) ;
-l’indispensable progressivité de toute transformation
linguistique et culturelle, car il s’agit de transformer en
profondeur tout un système d’interprétation ; cette
transformation passe nécessairement par l’hybridation de
systèmes et de pratiques dans la longue fréquentation d’une
altérité ; toute coercition et toute précipitation rigidifient le
système de départ au lieu de l’assouplir.
Pour autant, cela ne conduit pas à s’enfermer dans un
« idéalisme » aveugle aux conflits, aux tensions, aux
contradictions, aux ethno-égocentrismes à l’œuvre dans les
relations humaines. Il s’agit, au contraire, de les englober dans
les modalités et les effets de l’aspect interculturel des relations
sociales, comme autant de facteurs-clés de la dynamique de ces
relations.
Cela conduit, à l’inverse, à une remise en question radicale
de certaines notions liées, identité, culture, langue…, autant de
repères confortables où se nichent les croyances, les idéologies,
même les « mieux pensantes ». Ce n’est pas le lieu ici de se
lancer dans de longs développements conceptuels sur ces
questions, mais il est clair qu’il n’y a pas d’approche plurilingue
et interculturelle possible, au sens où nous l’entendons, tant que
13
l’on en reste à des définitions « chosifiantes » de langues (=
ensemble clos de règles normatives d’organisation d’unités
minimales traditionnelles —mots, phrases— ou modernes —
phonèmes, morphèmes—) et de cultures (ensemble d’œuvres
patrimoniales et/ou de stéréotypes nationaux).
1
Ceci incluant les systèmes et pratiques linguistiques.
14
-Le syncrétisme interculturel : la rencontre avec des
personnes « altéritaires » conduit à une appropriation de repères
et de ressources culturels (linguistiques inclus) sous la forme
d’une juxtaposition peu maitrisée, éventuellement insécurisée,
éventuellement contradictoire, d’où notamment des retours vers
le stéréotype ou vers des divergences (stratégie dite « de
coupure » qui consiste à occulter selon ses interlocuteurs et son
environnement certaines de ses ressources culturelles et
linguistiques plurielles).
-La synthèse interculturelle : articulation consciente
assumée en une identité culturelle et linguistique « hybride » ou
« métissée » de la pluralité de son propre système interprétatif
(répertoire pluriculturel et plurilinguistique1), et donc de la
légitimité des pluralités portées par toute altérité. D’où une
capacité accrue de vigilance et de remédiation aux malentendus
interculturels.
1
Le terme est préféré à plurilingue pour y intégrer toute pluralité
linguistique y compris « à l’intérieur » de ce qui est considéré comme
une « même langue » : l’une des formes de l’occultation de l’altérité
est l’illusion de similarité, fréquente lorsque l’on pense parler la
même langue.
2
On ne mentionne pas la phase 0 d’ignorance de l’existence de
certaines personnes altéritaires, puisqu’elle présuppose l’absence
totale de contact et donc de phénomènes interculturels.
15
culturel (et linguistique) de l’individu. Ces moments de tensions
sont légitimes, parfois souhaités, parfois souhaitables (personne
n’est obligé de tout accepter !). Intégrer les aspects « négatifs »
du processus d’interculturation nous semble fondamental pour
ne pas en négliger l’un des pôles de la dynamique, le pôle de
divergence, dont la tension complexe avec le pôle « positif » de
convergence, résultant du fait même de l’altérité, constitue
l’énergie de l’interculturation. Sur le plan d’une éducation à
l’interculturalité (au sens du développement de compétences à
prendre en compte le facteur interculturel dans les relations
sociales), ces aspects « négatifs » doivent être intégrés selon le
principe de l’efficacité pédagogique des tâtonnements,
« erreurs » et autres obstacles à dépasser dans des situations-
problèmes.
Enfin, puisque nous sommes dans des processus
(l’interculturation, l’éducation), cela implique une analyse et
une compréhension du changement (qui inclut les résistances,
les déséquilibrations, les décentrations, les recadrages…).
1
Dans cette logique, une certaine adéquation entre culture et langue
se retrouve, non certes au sens whorfien, mais du fait que la variation
et les normes que toute communauté de pratiques se donne, transmet
et fait évoluer articulent dimensions langagières et fonctionnements
culturels.
20
d’interculturation et l’importance d’une éducation plurilingue et
interculturelle.
On se hasarderait presque à risquer alors un adjectif
(éventuellement substantivable) comme alterculturel, à côté du
multi, du pluri, du trans et de l’inter, voire à en dériver
alterculturalité et alterculturation. Mais on s’en tiendra ici à
l’existant.
1
Le colloque Langue(s) et Insertion (discriminations, normes,
apprentissages, identités…) du Réseau Francophone de
Sociolinguistique et du GIS Pluralités Linguistiques et Culturelles,
tenu à l’université Rennes 2 les 16, 17 et 18 juin 2009.
21
Albin Wagener, de formation philosophique, revisite les
relations entre le concept de culture, que celui d’interculturalité
met en question au moins autant qu’il en affirme la nécessité, et
le concept d’interculturalité lui-même, en introduisant et en
discutant celui d’intraculturalité. Il conclut à la nécessité d’une
approche dite contextique (d’autres diraient contextualisée ou
située), de toute recherche interculturelle.
Damien Le Gal, partant d’une recherche en cours sur la
contextualisation de l’enseignement-apprentissage du français
au Brésil, poursuit cette interrogation théorique en revisitant lui
aussi, mais d’un point de vue directement didactique, la
constellation conceptuelle de l’interculturalité. Il envisage en
outre des pistes de transposition didactique en s’appuyant sur la
notion de dialogicité de la culture.
Se plaçant sur un terrain différent, celui du renouvellement
de l’enseignement du français en formation initiale an Algérie,
Malika Kebbas analyse l’ensemble des textes officiels (rapports
de commissions, programmes, manuels officiels…) pour y
rechercher l’introduction d’une approche interculturelle. Elle
montre que si l’intention est bel et bien là, elle n’est pas
concrétisée in fine dans les manuels officiels qui constituent la
base essentielle de travail des enseignants et des élèves. Elle
plaide pour une mise œuvre effective de ces orientations qui,
dans un contexte plurilingue complexe et une situation
sociopolitique tendue, rencontre des obstacles mais pourrait
constituer une ressource primordiale pour l’éducation de la
jeunesse algérienne.
C’est sur un terrain très concret que Nathalie Auger et
Christina Romain mettent le doigt sur ce que l’on pourrait
appeler une « incongruence », mieux qu’une incohérence : des
discours enseignants > enseignés fortement empreints de
malentendus interculturels, alors même que l’enseignant
observé devrait pouvoir être soucieux des facteurs interculturels
puisqu’il s’agit de cours de langue-culture, en l’occurrence de
français. Elles comparent pour cela des classes de français dit
« langue première » (déjà approprié par les élèves) et de
français dit « langue étrangère » à des élèves migrants
22
récemment arrivés en France. Leur conclusion est que les
malentendus interculturels sont au moins aussi prégnants en
situation de langue « première » qu’en situation de langue
« étrangère », parce que la maîtrise d’une langue partagée (mais
en fait elle-même diverse) dissimule des différences culturelles
auxquelles les enseignants ont été moins préparés que leurs
collègues intervenant avec des élèves réputés étrangers ». Des
pistes d’intervention en formation des enseignants en découlent
aussitôt.
Michèle Levacic-Burkhardt investit elle aussi, dans une
recherche en cours, la question de l’ « agir professionnel », en
l’occurrence celui de médecins allophones intégrés dans des
hôpitaux français. Elle décrit et analyse, à l’aide du concept de
mimesis sociale issu d’une approche anthropologique de la
communication, la façon dont ces médecins mobilisent leurs
compétences culturelles et professionnelles préalables pour les
adapter à leur nouvel environnement professionnel en tâchant
de croiser ce qu’ils savent et ce qu’ils observent (souvent avec
un recours initial très limité à une langue partagée, ici le
français). Les stratégies étudiées confirment la pertinence d’une
approche actionnelle aujourd’hui développée en didactique des
langues-cultures et plus évidemment encore dans une
perspective plurilingue et interculturelle.
Anne-Sophie Calinon étudie la perception de la part
culturelle de l’enseignement du français que reçoivent des
migrants au Québec. Elle montre comment un enseignement, au
fond assez traditionnel, centré sur les structures linguistiques,
peu ouvert à des aspects culturels eux-mêmes réifiés, les
prépare mal à leur insertion sociale et renforce même chez eux
la demande d’un enseignement de ce type et, de fait, la
négligence de la question des compétences à interagir en
contexte socioculturel. Elle plaide pour le développement d’une
véritable didactique plurilingue et interculturelle au service de
ces personnes.
Marc Debono étudie le cas original d’une formation
juridique en français à des étudiants plurilingues venant
d’autres espaces culturels, cas tout à fait significatif des enjeux
23
interculturels assumés ou non. Il montre à quel point
l’enseignement y est centré sur une approche qu’il nomme
« techno-terminologique », qu’il s’agisse des manuels de
français juridique ou de l’exemple d’une formation franco-
chinoise. L’absence totale de problématisation interculturelle
non seulement de la langue, mais surtout du droit, est analysée
comme une incohérence majeure. La conclusion en est sans
appel, en insistant fort justement sur la nécessité de replacer en
priorité ce qui est au cœur et du droit et de la langue :
l’interprétation et la pluralité.
Enfin, Didier de Robillard et Marc Debono revisitent
l’histoire de l’approche interprétative et resituent ainsi la
démarche interculturelle dans une démarche herméneutique
commune aux activités humaines et sociales, non pour l’y
diluer, mais pour en affirmer la pertinence transversale dès lors
qu’elle est problématisée dans sa radicalité fondamentale.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1
Livre blanc sur le dialogue interculturel, suite à la 118ème session
ministérielle des ministres des affaires étrangères du Conseil de
l’Europe (Strasbourg, 7 mai 2008).
30
intraculturels ? Après plusieurs décennies de travaux dans ces
domaines, ne serait-il pas bon de revenir sur le concept de
culture, qui semble trop souvent se confondre avec les concepts
de nation ou de civilisation ? Pourquoi certains chercheurs
parlent-ils de langue-culture1, et pourquoi d’autres estiment que
les recherches entreprises de nos jours ne concernent plus la
culture à proprement parler2 ? A force d’entreprendre un certain
nombre de travaux dans ce champ d’investigation mêlant à la
fois anthropologie, psychologie, sociologie et sciences du
langage, n’est-on pas précisément en train de construire un
objet de recherche dont le cœur humaniste et universaliste reste
paradoxalement flou et intransigeant ?
1. Ontologie de l’interculturalité et de
l’intraculturalité
1
M. Agar. Language Shock : Understanding the Culture of
Conversation. New York : HarperCollins. 2002.
2
L. Ma. “Is there an Essential Difference between Intercultural and
Intracultural Communication?”. In Journal of Intercultural
Communication, 6. 2004.
31
principe que le principal problème de cette différence vient
d’une définition de la communication qui reste empreinte d’une
terminologie réductionniste, assimilant l’échange culturel et/ou
linguistique à la formulation et la réception d’un code ou d’un
ensemble de signes codifiés. Ainsi, Ma parvient à isoler un
éclairant problème de définition, venue d’une tradition quasi-
positiviste, qui tente de mécaniser la communication humaine
en lui assignant un ensemble de causes, d’effets de fonctions.
1
L. Ma, op. cit. ; notre traduction.
32
tend à décliner des comportements variés et distincts, ceux-ci
répondent néanmoins à des questions sociétales essentielles :
comment organiser un groupe ? Quelle place donner à chacun ?
Comment ritualiser les différentes étapes de la vie, comment les
définir ? Comment mettre en place des activités communes et
individuelles ? Comment faire survivre la société ?
D’un autre point de vue, Peter Winch estime que le
simple fait de parler de communication interculturelle distingue
par avance deux entités culturelles comme significativement
isolées et originales. Ce faisant, il met en exergue une absurdité
relative concernant le schisme entre interculturalité et
intraculturalité : « Il est en tout point erroné d’effectuer une
distinction grossière entre ‘notre culture’ et une ‘culture
étrangère’ ; certains éléments de ‘notre’ culture peuvent ‘nous’
paraître étrangers. En effet, certains de ses éléments peuvent
paraître plus étrangers que des manifestations culturelles qui
sont géographiquement ou historiquement éloignées »1. En
soulignant une telle expérience, Winch brouille littéralement les
limites entre interculturalité et intraculturalité, montrant ainsi
qu’un rapport intraculturel peut nous paraître tout autant
énigmatique et inexplicable qu’un rapport interculturel. Afin de
soutenir les points de vue de Ma et Winch et exposer une
analyse plus pragmatique de cette différence (ou plutôt de ce
manque de différence), nous souhaitons proposer quatre
exemples de situations de communication où interculturalité et
intraculturalité sont au mieux inopérantes, au pire tout
simplement hors de propos. Pour ce faire, nous nous attarderons
principalement sur quatre dimensions au sujet desquelles les
comportements individuels et groupaux peuvent diverger, à
savoir le temps (notamment la perception du retard), le contact
physique, le contact visuel et le passage du vouvoiement au
tutoiement.
1
P. Winch, "Can We Understand Ourselves?". In Philosophical
Investigations, 20: 3, 193-204. 1997 ; notre traduction.
33
1.1. Le Temps
Le facteur temporel est très souvent cité en exemple lorsqu’il
s’agit de réaliser des travaux interculturels. Depuis les travaux
d’E.T. Hall1 à propos de cette dimension, nombre d’éléments
ont évolué. Hall lui-même rappelle que le temps est avant tout
pris en compte comme outil de synchronisation sociale. D’un
point de vue anthropologique, une société s’organise ainsi à
travers ses activités, ses célébrations et ses rituels par un
ancrage plus ou moins défini dans le temps. Ce facteur permet
aux individus de se baser sur des repères relativement stables
quant à leur rapport au groupe. En revanche, pour diverses
raisons, le battement rythmique du temps est susceptible d’être
modifié suivant les individus et les groupes. En raison d’un
nombre important de constructions stéréotypiques, nous avons
différentes visions de certaines « cultures » quant à leur relation
au temps. Et même lorsque des études comportementales sont
effectuées à grande échelle - comme celles, bien connues, de
Geert Hofstede2 -, c’est avant tout pour dégager des tendances
statistiques qui ne font pas foi en termes de règle
comportementale.
1
E.T. Hall, Le langage silencieux. Paris : Seuil. 1978.
2
G. Hofstede, Culture' s Consequences: comparing values,
behaviors, institutions, and organizations across nations. Thousand
Oaks : Sage Publications. 2001.
34
interculturelles. Dans ce cas précis, il s’agit d’exposer les
réactions d’une population japonaise expatriée à Paris :
« Les femmes se plaignent des services et les hommes s’en
plaignent par solidarité avec leur épouse. ‘Les techniciens et les
livreurs ne précisent pas l’heure, ni même parfois le jour. Nous y
sommes habitués et nous ne sommes plus impatients, mais c’était
très difficile pour ma femme au début’. (…) Une seule chose
continue de les choquer : le fait que l’interlocuteur ne s’excuse pas.
Alors ce comportement est qualifié d’incroyable et
d’incompréhensible. Ce n’est donc pas tant le retard qui est source
de frustrations, mais le manque de respect exprimé par cette
attitude. En effet, au Japon encore davantage qu’ailleurs, la
ponctualité est révélatrice de la considération accordée à la
personne. Or, s’il existe un pays où le client est roi, c’est en tout
premier lieu au Japon. (…) Pour les femmes japonaises, le lieu des
achats est un des domaines où elles dominent et où elles ont le
pouvoir. Se voir refuser cette prérogative, c’est tout simplement
avoir l’impression de ne plus compter. Ce manque de respect est
particulièrement blessant, car il touche à leur identité. Certaines
femmes expatriées japonaises (…) ont affirmé avoir tout
simplement perdu leurs moyens et fondu en larmes au cours d’un
de ces malentendus »1.
Nous avons nous-mêmes utilisé ce cas afin d’en faire une
étude des réactions émotionnelles liées aux incompréhensions
comportementales et aux conflits interactionnels, et les études
d’E. de Pembroke et Montgomery sont enrichissantes de ce
point de vue. Toutefois, il est utile de prendre en compte
l’intégralité du contexte présenté ici ; la recherche fait état
d’une situation impliquant la venue hypothétique de techniciens
et de livreurs. D’un point de vue purement interculturel,
évidemment, la vision de la ponctualité japonaise se trouve
renforcée face à une société française présentée comme
désorganisée et floue dans les repères qu’elle est censée
manipuler. Toutefois, si nous présentions la même situation
avec des clients français, il y a peu de chance pour que leur
réaction soit absolument compréhensive. Combien d’entre nous
1
E. de Pembroke et Montgomery, Vers une pédagogie de la
communication interculturelle. Paris : ANRT, p.250-251. 1996.
35
ont déjà fait l’expérience de ce genre d’attente ? Avons-nous
alors réellement pensé : « c’est normal, je suis français, je suis
en France, c’est un comportement auquel je suis habitué et qui
ne me perturbe absolument pas » ?
1
Nous disposons dans notre université d’une structure appelée
CIDEF (Centre d’apprentissage du français pour étudiants étrangers)
qui accueille des apprenants du monde entier, ce qui nous permet
d’être au plus près des préoccupations interculturelles.
36
soit le pays, arriver en retard au travail est une faute
professionnelle qui peut être légalement sanctionnée si elle se
trouve répétée. Dans d’autres structures (qu’il s’agisse de
laboratoires de recherche ou de certaines associations, voire
d’entreprises), quel que soit le pays d’implantation, encore une
fois, le retard peut être toléré, dans la mesure où il est compensé
par l’accomplissement d’un certain nombre d’heures
journalières1. Dans une telle complexité écologique, où se
trouve la différence entre ces prétendues différences
interculturelles et intraculturelles ? Bien qu’il existe
probablement des différences culturelles au sens large du terme,
l’analyse d’interactions quotidiennes ne peut que les représenter
que partiellement.
1
Nous avons notamment en tête les exemples d’un laboratoire de
recherche bordelais et d’un cabinet de traduction parisien.
2
Nous renvoyons à nouveaux aux ouvrages exhaustifs d’E.T. Hall
et Geert Hofstede, précédemment cités au cours de cet article.
37
« Lorsque j’eus fini ma première heure d’enseignement et que
je me préparais pour quitter la classe, une étudiante américaine
m’interpella. Elle était plus grande que moi et me sembla plutôt
imposante lorsqu’elle se dirigea vers moi. Je la regardai
s’approcher de plus en plus près jusqu’à ce qu’il me sembla
pouvoir la toucher si je levais la main. C’était mon premier cours,
et je ne savais pas du tout s’il s’était bien déroulé, de sorte que,
même si elle n’avait pas l’air en colère, je me demandais si elle
n’allait pas se plaindre de quelque chose. Son expression faciale
n’était absolument pas si menaçante, mais elle s’approcha si près de
moi que je fis involontairement un pas en arrière. Mais lorsque je
fis cela, elle fit un pas de plus vers moi. J’eus l’impression d’être
poursuivi par cette grande étudiante qui me surplombait, et je
reculai une seconde fois. Cependant, le tableau noir était derrière
moi, de sorte que je me retrouvai incapable de reculer plus loin. Je
me sentis gêné et fis un effort pour sourire. Mais elle s’approcha
manifestement de moi une nouvelle fois et dit qu’elle avait une
question. Cette expérience fut perturbante pour moi, parce que la
distance entre nous deux était bien plus réduite qu’elle l’est
normalement entre un homme et une femme japonais »1.
Ici, nous ne souhaitons pas précisément relever les termes
utilisés pour décrire l’étudiante américaine2 ; aussi préférons-
nous nous attacher à l’exploration d’une telle situation
interactionnelle. Au cours de la narration de cet exemple,
l’enseignant japonais explique sa réaction par la différence
existant entre les distances sexuées au Japon et aux États-Unis.
Mais explique-t-il cette réaction parce qu’il est déjà conscient
de ces différences, et qu’il les interprète a posteriori ? Ou bien
estime-t-il vraiment qu’une distance inconfortable a été
franchie ? D’autre part, cette étudiante américaine est-elle
réellement représentative des comportements en cours aux
États-Unis ? De quelle culture américaine est-elle ou de quelle
ethnie ? Une autre étudiante américaine se serait-elle comportée
1
L. Loveday, Explorations in Japanese Sociolinguistics.
Amsterdam : John Benjamins. 1986, p. 111 ; notre traduction.
2
Était-elle réellement imposante d’un point de vue purement
physique (ce qui pourrait mettre en lumière une différence de taille qui
aurait pu influencer la réaction du professeur japonais), ou bien était-
ce une interprétation a posteriori de la part de l’enseignant ?
38
de la même façon, ou bien était-ce une particularité
individuelle1 ? Le cas relaté par Loveday manque de données
contextuelles pour nous aider à prendre en compte l’intégralité
de ces paramètres, et il est évident que la situation qu’il expose
est avant tout circonstancielle et qu’elle s’inscrit dans un hic et
nunc entre deux personnes. De surcroît, nous ne sommes
absolument pas en mesure de mesurer la distance réelle entre les
individus et nous devons simplement nous baser sur la distance
ressentie par l’un des protagonistes.
Si nous nous basons exclusivement sur des différences
d’ordre supposément culturel, nous pouvons par exemple
constater un certain nombre de différences concernant des
comportements observés en Allemagne et en France, concernant
le contact physique. Pour ce faire, nous relatons un certain
nombre d’expériences répertoriées auprès d’étudiants des deux
pays :
- en France, lorsque deux étudiants se rencontrent pour la
première fois, ils auront tendance à se faire la bise ou
une poignée de main : il s’agit ici d’une salutation
conventionnelle ;
- en Allemagne, lorsque deux étudiants se rencontrent
pour la première fois, la tendance sera plutôt à la simple
salutation verbale, sans contact physique, avec parfois
un petit signe de la main.
En revanche, lorsque ces étudiants sont des amis proches,
nous observons alors une différence substantielle qui n’a plus
grand-chose à voir avec les stéréotypes circulant à propos des
Allemands, supposément plus « distants » et « froids » que les
Français :
1
Y avait-il un enjeu dissimulé dans l’interaction, comme par
exemple un réel désir de séduction ? Les buts pragmatiques d’une telle
interaction ne peuvent pas non plus être déduits à partir de cette
anecdote interculturelle.
39
élaborer ce que l’on nomme un « check », soit une suite
partagée et codifiée d’un certain nombre de signes
physiques, le plus souvent manuels ;
- en Allemagne, lorsque deux amis se rencontrent, ils
pratiquent une franche et nette accolade, se serrant dans
les bras l’un de l’autre, pour une durée plus ou moins
longue.
Nous assistons ici à une invalidation relativement nette des
stéréotypes concernant les Allemands, puisque dans une
situation de proximité relationnelle, ceux-ci peuvent se
comporter de manière bien plus « méditerranéenne » que leurs
homologues français. En revanche, il convient de souligner le
fait qu’il s’agit ici d’une population jeune, ce qui contextualise
une nouvelle fois le contact physique en cours. La proximité
physique ou l’utilisation de certains codes de contact sont
conditionnés par la personne que l’on a en face de soi (amis,
famille, collègue professionnel) et le contexte dans lequel on se
trouve (lieu de travail, soirée, etc.). Pour autant, ce genre de
comportement relève tout autant de données éducatives et
psychologiques que sociologiques ou culturelles. Ici encore, les
différences interculturelles et intraculturelles ne restent
tangibles que si l’on admet utiliser un filtre analytique qui crée
notre objet observé. Dans les faits occurrents, interculturalité et
intraculturalité peuvent tout à fait se confondre en ce qui
concerne les tolérances au contact physique.
1
B. Conein, « Les sens sociaux : coordination de l’attention et
interaction sociale ». In IntellecticaI, 1/2 : 26/27, 181-202. 1998.
2
C. Kerbrat-Orecchioni, Les interactions verbales. 3/ Variations
culturelles et échanges rituels. Paris : Armand Colin. 1998, p. 24.
3
Qui plus est, les chiffres obtenus lors d’études statistiques ne
représentent jamais une vérité universelle mais plutôt une courbe de
résultats observés selon une matrice d’étude bien particulière.
4
B. Cyrulnik, De la parole comme d’une molécule. Paris : Eshel.
1995, p. 24.
41
1
contact avec des personnes sourdes, notamment via l’IRIS , et
nous avons pu remarquer une tendance nette à l’augmentation
du contact visuel chez les individus sourds. Bien évidemment,
ceux-ci ont besoin d’un contact visuel plus soutenu pour
pouvoir interagir en langue des signes ; cependant, une telle
activité visuelle va également se ressentir dans une conversation
entre un sourd et un entendant. Ainsi, l’acuité du regard aura
tendance à être plus élevée chez une personne sourde2. Pour
autant, peut-on dire qu’il s’agit là d’une « culture sourde »,
alors même que ces personnes sourdes sont elles aussi
françaises ? Ou bien ce comportement est-il avant tout
conditionné par la surdité ? Peut-on raisonnablement imaginer
que toutes les personnes sourdes à travers le monde partagent ce
même trait expressif ? Le cas des individus sourds, qui permet
d’effectuer un lien très fort entre langue et « culture » (ou
ensemble de traits comportementaux), rend une nouvelle fois
plus diffuse la différence réelle entre situations interculturelles
et intraculturelles, dans la mesure où les réalités pragmatiques
semblent ne pas obéir à un tel schisme, mais simplement
s’articuler selon l’environnement interactionnel du moment, les
besoins des interactants, leurs influences respectives et leurs
adaptations au contexte donné. En termes d’adaptation
notamment, si nous revenons aux interactions entre sourd et
entendant, il y a de fortes chances pour que les entendants
puissent s’appliquer à augmenter la persistance de leur contact
visuel lorsqu’ils conversent en langues des signes avec un
individu sourd. Une nouvelle fois, c’est bien la situation qui
prime sur la prétendue primauté des comportements dits
« culturels ».
1
Institut de Recherche sur l’Implication de la langue des Signes
française.
2
Au départ, certains entendants ont tendance à qualifier ce contact
visuel de « gênant », avant de s’y habituer.
42
2. Déconstruction et reconstruction du concept de
« culture »
1
W. H. Goodenough, « Cultural Anthropology and Linguistics ». In
D. Hymes (Ed.), Language in Culture and Society. A Reader in
Linguistics and Anthropology. New York : Harper & Row. 1964, p.
36. (notre traduction).
44
de penser, de normes et de conventions »1, ce qui permet à la
« culture » de préciser ses traits sociétaux et de sortir du jeu de
rôle imaginé par Goodenough. Toutefois, un tel apport permet
d’installer la « culture » dans une conception déterministe tout à
fait analogue à la linguistique anthropologique de Benjamin
Whorf et qui prive l’interactant de tout libre arbitre. Celui-ci se
retrouve lié à des manières de penser qui conditionnent toutes
ses actions, sans qu’il en soit nécessairement conscient. La
culture devient ainsi une prison dorée qui permet d’organiser le
monde et la société tout en niant les capacités créatrices et
réflexives de l’individu.
Une autre approche consiste à approfondir le caractère
sémantisant du concept de « culture », en mettant l’accent sur
ses fonctions de mise en signes et en symboles du monde et de
la société. Carmel Camilleri est partisan d’une telle approche.
« La culture est l’ensemble plus ou moins fortement lié des
significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que
les membres d’un groupe, de par leur affiliation à ce groupe, sont
amenés à distribuer de façon prévalente sur les stimuli provenant de
leur environnement et d’eux-mêmes, induisant vis-à-vis de ces
stimuli des attitudes, des représentations et des comportements
communs valorisés, dont ils tendent à assurer la reproduction par
des voies non génétiques »2.
Ainsi, dans une telle perspective, la culture n’est plus
réellement un ensemble partagé de normes, de conventions ou
d’opérations sociétales, mais plutôt une façon de signifier le
monde. En d’autres termes, par analogie linguistique, nous
pourrions arguer du fait que Camilleri utilise une dichotomie
saussurienne afin de montrer que la culture permet de signifier
un certain nombre d’éléments sociétaux de notre rapport au
1
K. Knapp, A. Knapp-Pothoff, « Interkulturelle Kommunikation ».
In Zeitschrift für Fremdsprachenforschung, 1, 62-93. 1990, p. 65 ;
notre traduction.
2
C. Camilleri, « La culture et l’identité culturelle : champ notionnel
en devenir ». In C. Camilleri et M. Cohen-Emerique (Eds.), Chocs de
cultures : concepts et enjeux pratiques de l’interculturel, 21-76. Paris :
L’Harmattan. 1989, p. 27.
45
monde. Qui plus est, la persistance d’une perméabilité aux
stimuli induit une dimension résolument cognitive de la culture.
Cependant, ici encore, la « culture » semble présentée comme
un filtre fixe et délimité qui, malgré l’évolution de la
reproduction, tiendrait compte d’une certaine conscientisation
des interactants. En d’autres termes, les fonctions culturelles
selon Camilleri sont la signification d’une part et la
reproduction de l’autre, sans toutefois expliquer l’origine de ce
besoin de signification, ni la fonction réelle d’une telle
reproduction. Ce faisant, Camilleri analyse deux fonctions
élémentaires de toute activité humaine que l’on retrouve
également dans le langage, sans mettre l’accent sur les besoins
des individus, voire même des groupes et en évitant de les y
relier. En d’autres termes, l’on retrouve ici une définition qui
souffre des mêmes points faibles que le cognitivisme dans sa
forme la plus élémentaire, qui décrit un processus entrée /
sortie, reproduit ici dans la formulation stimuli / signification,
ce qui ne semble pas réellement souligner l’importance des
besoins individuels et groupaux.
L’approche psychologique, qui s’intéresse désormais de très
près aux questions interculturelles dans une perspective
apparemment interindividuelle, propose bien souvent une
définition de la « culture » qui va dans le sens des autres
sciences humaines précédemment évoquées. Malgré son désir
de mettre l’accent sur les relations entre individus, André Sirota
reste dans les sillons tracés par l’anthropologie structuraliste :
« La culture, au sens anthropologique, désigne ce qui équipe les
individus de capacités de vivre, de penser et d’agir de façon adaptée
au monde qui les environne et qui leur donne des capacités de
transformation créatrice d’eux-mêmes et du monde. Par la culture,
l'individu est doté d’un appareil à penser et se représenter la
société, sa place et son rapport à celle-ci, ainsi que les relations des
individus entre eux. La culture donne à l’individu la capacité de
communication avec son environnement, et, par un travail et des
techniques partagés avec d' autres, elle lui permet une intégration
sociale. L’être humain cherche l’autre, le groupe, la société pour
46
réaliser, par construction culturelle, ce qu’il ne peut produire seul
étant donné son incomplétude, fondatrice de l’humanité »1.
Malgré le fait que l’auteur insiste sur la dimension
individuelle de l’expression culturelle, la « culture » est
toujours représentée comme une entité stable, un « appareil à
penser et se représenter la société » qui détermine l’intégralité
de notre vie quotidienne, y compris les relations que l’on peut
cultiver ou développer avec autrui. La psychologie trouve dans
le concept de « culture » un outil idéal pour expliquer les
symbolisations des individus ainsi que leurs problématiques
personnelles, simplifiant ainsi au maximum à la fois la
complexité de l’être humain, qui ne cherche plus à être compris
dans son intégralité mais dans la vision simplifiée que l’on
essaye d’en avoir, et également la complexité de la « culture »,
qui est vidée de son rapport à l’individu, précisément.
1
A. Sirota, « Des espaces culturels intermédiaires ». In Revue
internationale de Psychosociologie, 9, 91-107. 1998.
2
J. Demorgon, Complexité des cultures et de l’interculturel. Paris :
Anthropos. 2004, p. 37.
47
ceux-ci puissent être en mesure de créer ou non de nouveau
codes. En d’autres termes, il s’agirait d’une sorte de programme
sémantico-cognitif qui s’exprimerait à travers nous et sur
lequel, bon an mal an, nous pouvons avoir une certaine
influence en retour, en le modifiant par rétroaction systémique ;
ce programme permettrait en outre de garantir une unité sociale
et un partage de codes susceptible de construire du sens. Une
telle vision quasi-mécaniste de la culture s’inscrit à la fois dans
un cognitivisme « boîte noire »1 et un structuralisme dont
l’idéologie quasi-obsessionnelle serait de pouvoir classer les
activités et les fonctions humaines en maximisant leurs
typifications et leurs délimitations strictes. Pourtant, notre vécu
semble en tout point s’opposer à une telle vision de la
« culture ». Prenons par exemple notre toute première
expérience culturelle, celle de la famille : les codes sont-ils
toujours partagés ? Où résident les significations qui sont
censées harmoniser la vie en groupe ? Comment se produisent
les désaccords et les conflits ? Et surtout, comment créer de
nouveaux codes sociétaux ? Comme nous pouvons le voir, dans
une structure aussi simple et restreinte, une telle conception de
la « culture » est déjà remise en cause. Une telle critique est
largement formulée par Paul Kay, qui met à mal les héritages
anthropologiques des définitions culturelles actuelles, revenant
ainsi sur les bases scientifiques du concept de « culture » :
« Une culture ne fournit pas de théorie unifiée du monde – ou
vision du monde – à ses détenteurs, pas plus que ne le fait une
langue. La culture consiste bien plus en une vaste batterie de
schémas qui représentent des événements et des états du monde.
Certains de ces schémas entrent en conflit avec d’autres.
Cependant, le conflit ne pose aucun problème aux utilisateurs de
cette culture parce que les individus ne croient pas en leurs items
culturels, ils les utilisent en fonction de ce que les occasions
permettent et exigent. En conséquence, une culture est comme une
boîte à outils conceptuelle qui contient des outils pour faire du sens
avec le monde. Ce n’est pas le genre d’élément qui est lui-même
1
L’être humain ou le groupe humain serait la boîte noire, alors qu’y
entrent des stimulus qui en sortent sous forme de significations et de
comportements.
48
supposé faire sens, pas plus que tous les outils contenus dans la
boîte n’ont à être mobilisés pour chaque activité (…). Les cultures
n’ont pas besoin de comprendre une vision du monde généralement
consistante, parce que les individus n’ont jamais besoin d’employer
toute leur culture d’un seul tenant. (…) Si les anthropologues
n’avaient pas assumé que les individus qu’ils étudiaient avaient des
visions du monde, les auraient-ils trouvées ? »1.
1
P. Kay, « Intra-speaker Relativity ». In J. J. Gumperz et S. C.
Levinson (Eds.), Rethinking linguistic relativity, 97-114. Cambridge :
Cambridge University Press. 1999, p. 110 ; (notre traduction).
49
2.2. Du retour aux expressions inter-individuelles
Lorsqu’un échange dit interculturel ou intraculturel émerge,
il nous faut revenir aux bases de cette interaction. Bien
évidemment, les interactants possèdent un certain nombre
d’influences, de possibilités comportementales et d’expressions
variables. Tous ces éléments peuvent être conditionnés par des
racines biologiques, psychologiques, sociologiques,
linguistiques, culturelles, éducatives et autres. En d’autres
termes, la rencontre fait d’abord intervenir des individus. Dans
une recherche précédente sur le désaccord interculturel1, qui ne
faisait pas encore état de nos doutes concernant les définitions
mentionnées ici, nous avions déjà mis l’accent sur l’extrême
volatilité des caractéristiques individuelles, en insistant sur
l’individu comme fruit d’interactions variées, qui crée lui-même
ses outils en fonction de ses différents conditionnements. Pour
autant, le concept de « culture » nous paraissait évident en ce
que sa définition était sous-entendue comme multiple et
adaptable, comprenant un nombre important de paramètres. Ici,
une « culture » est donc à comprendre au sens « agricole » du
terme, en accord avec la notion de terrain que nous employons
également :
« Les locuteurs sont ainsi continuellement soumis au
changement et à l’évolution tant qu’ils vivent dans une culture
particulière. En fait, les locuteurs n’interagissent pas avec ou ne
sont pas en interaction : ils sont interaction. Un individu peut être
défini comme un terrain commun sur lequel plusieurs influences et
conditionnements se rencontrent et convergent, ou même comme
un faisceau en continuelle évolution constitué de divers
paramètres : éducation, origines professionnelles histoire
socioculturelle, psychologie, même les humeurs ou la biologie
définissent les personnes comme des individus. Ils les conduisent à
vouloir ce qu’ils veulent, nécessiter ce qu’ils nécessitent, désirer ce
qu’ils désirent. En étant eux-mêmes de l’interaction, les locuteurs
se meuvent perpétuellement dans un univers sans cesse changeant
1
A. Wagener, « On Intercultural Disagreement : Interaction and
Inertia ». In Pragmatics applied to Language Teaching and Learning,
256-279. Cambridge : Cambridge Scholars Publishing. 2009, p. 274 ;
notre traduction.
50
qu’ils construisent avec les nombreux outils qu’ils forgent à partir
de leurs conditionnements et que leurs conditionnements forgent à
partir d’eux-mêmes »1.
En d’autres termes, nous nous retrouvons ici dans le même
paradigme scientifique que Scollon et Wong Scollon, qui
apportent une redéfinition de la communication interculturelle
en rappelant à juste titre que toute étude part d’abord des
individus en interaction2. Ce faisant, bien qu’ils ne remettent
pas en question le concept de « culture » comme modèle
d’analyse, le point de focalisation est positionné à partir des
échanges interindividuels. Avant qu’il y ait rapport interculturel
ou intraculturel, il y a d’abord la rencontre d’individus qui
peuvent ou non rencontrer des difficultés de communication en
fonction de différences de comportements, de réflexion ou de
réaction. Que ces individus se réclament ou non d’une
« culture » donnée ne change strictement rien au déroulement
de l’interaction ; tout au plus cette notion permet-elle une
interprétation a posteriori de la communication qui constitue
déjà en soi un parti pris qui n’aura peut-être rien à voir avec
l’explication que les individus auraient apporté d’eux-mêmes si
la question leur avait été posée.
Nous ne souhaitons pas ici remettre en question les riches
apports anthropologiques permettant de catégoriser les
différentes fonctions culturelles, comme les versants
techniques, formels ou informels de la « culture ». Nous nous
permettons avant tout de remettre en question l’utilisation du
concept de « culture » comme totalité outrancièrement
déterminante et son manque de clarté notionnelle. Si nous
poussons à l’extrême les définitions de la « culture » que nous
avons précédemment évoquées, nous pourrons rapidement en
déduire que tout comportement quel qu’il soit peut être expliqué
par l’appartenance à une certaine « culture », sans même avoir
besoin d’analyser le contexte d’application de l’expression
individuelle. Nous arguons du fait que le modèle culturel a
1
A. Wagener, op. cit., p. 274; notre traduction.
2
R. Scollon, S. Wong Scollon, Intercultural Communication.
Oxford: Blackwell. 2001, p. 138.
51
tendance à s’auto-valider lorsqu’il est appliqué aux cas
pratiques, puisque toute action pourra de facto être interprétée
comme appartenant à une culture donnée. L’analyse
interculturelle ne doit pas primer sur l’analyse interindividuelle,
dont la complexité ne laisse à la « culture » qu’un rôle sans
doute bien plus restreint que certains le souhaiteraient. C’est
exactement le danger contre lequel met en garde le linguiste
Paul Castella :
« Nous pouvons tous fournir après coup des explications à
propos de nos conduites lorsqu’on nous demande de les justifier.
Mais lorsqu’il s’agit d’actes que nous n’avons pas appris de
manière formelle, comme la manière de nous distribuer dans
l’espace, et qu’on nous demande de justifier notre conduite, nous
ne l’expliquons pas, mais nous faisons intervenir l’émotion,
l’esthétique, la morale, la philosophie, dans des formulations qui
n’ont rien à voir avec le phénomène. »1
Tout en écrivant que certains comportements s’expliquent
par un certain nombre de facteurs, dont des facteurs culturels,
Castella présente une subtile analogie avec l’analyse
justificative que nous sommes amenés à faire au cours de nos
recherches. Ce faisant, il remet le concept de phénomène au
centre des préoccupations. C’est précisément le phénomène
interindividuel, en tant qu’interaction humaine, qu’il serait
bienvenu d’étudier, avant même de lui attribuer des explications
qui interviennent parfois de manière hasardeuse.
C’est dans ce sens que Castella propose clairement un
domaine d’étude à part entière qu’il nomme contextique, soit
une méthodologie qui aurait pour but principal de remettre en
contexte les interactions et d’en observer les différents
enchevêtrements, avant même que de fournir des explications
psychologiques, socioculturelles ou autres :
« [Le modèle de la contextique] regarde les complexités comme
des systèmes en équilibre relativement aux interactions des
éléments qui les composent. Il correspond à des structures sociales
de type coopératif, sans hiérarchie, puisque, de ce point de vue, il
1
P. Castella, La différence en plus. Paris : L’Harmattan. 2005, p. 63.
52
n’y a pas d’instance première. Ce modèle n’est pas causaliste. Il
explique ce qui se passe par les interactions entre les éléments du
système, sans leur attribuer de cause »1.
Fortement inspirée par la systémique2, la contextique tente
cependant une radicalisation méthodologique dénuée de toute
causalité, afin d’observer les phénomènes et la manière dont
ceux-ci émergent. Les interactions peuvent bien évidemment
faire l’objet d’une telle analyse, mais une telle méthodologie
doit encore être approfondie afin de créer les outils nécessaires
à sa réalisation. La « culture » anthropologique nous parait
inadaptée pour analyser les interactions humaines. Elle
représente pour nous un construit immuable et fixe qui, malgré
des aveux d’évolution perpétuelle, reste un appareil dont les
individus doivent se servir pour interagir avec le monde ; qui
plus est, elle reste confinée dans un espace géographique et
politique qui justifie bien souvent des décisions tout à fait
discutables. En effet, comme Paul Kay le souligne, la définition
d’un certain nombre de cultures conduit à un relativisme
culturel réellement dangereux. En stigmatisant ainsi des espaces
culturels, nous délimitons des façons de penser égales les unes
aux autres qui ne souffrent ni remise en question, ni injection
d’universalisme humain propre à notre espèce. Les « cultures »
seraient donc des entités qui cohabitent et au sujet desquelles il
convient d’adopter une attitude relativiste, quant bien même
certaines d’entre elles possèderaient des tendances qui
pourraient mettre en lumière des interprétations résolument
différentes du respect de la personne humaine. A un niveau plus
politique, même le Livre blanc sur le dialogue interculturel du
Conseil de l’Europe n’en fait pas mention. Afin de proposer une
redéfinition du concept de culture, nous souhaitons donc
repartir d’une base interactionnelle, puisque l’interaction est le
lieu même de l’émergence de traits comportementaux
communs, avant que de constituer des objets d’études
anthropologiques totaux et plus ou moins imperméables :
1
P. Castella, op. cit., p. 193.
2
J.-P. Meunier, Approches systémiques de la communication.
Bruxelles : De Boeck. 2003.
53
1
H. J. Heringer, op. cit., p. 107 ; notre traduction.
2
C. S. Peirce, The Essential Peirce, Selected Philosophical
Writings, Volume 2 (1893–1913). Bloomington & Indianapolis :
Indiana University Press. 1998.
55
culture, une version qu’il pourrait par ailleurs décliner
par des expressions artistiques, ce qui correspondrait à
ce que nous proposons d’appeler osmoculture, soit la
« culture en diffusion, en impulsion ».
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
La dialogicité de la culture
Définition de culture
Différentes définitions (Ladmiral & Lipiansky, 1989 : 8,
Bakic-Miric, 2008, Camilleri1) abordent la culture dans la seule
perspective d’un produit collectif, « ensemble de systèmes de
1
Camilleri Carmel, Cohen-Emerique Margalit, Abdallah-Pretceille
Martine, 1989, Chocs de cultures: concepts et enjeux pratiques de
l'
interculturel, L'
Harmattan, Paris.
60
significations propres à un groupe » (Clanet, 1993 : 15),
« programmation mentale collective propre à un groupe
d'individus […]. Dans ce sens la culture est un système de
valeurs collectivement partagées »1, « a deeper level of basic
assumptions and beliefs that are shared by members of an
organization » (un niveau plus profond de conceptions
fondamentales et de croyances partagées par les membres d’une
organisation, Edgar Schein). Ces approches et nombre d' autres
occultent le versant individuel du concept qui doit être souligné.
Cet article se distinguera ainsi d'Aline Gohard-Radenkovic qui
affirme que toute culture est partagée (1999 : 122).
Les définitions opératoires pour le paradigme dialogique
dans lequel s' inscriront ces propos sont la définition
essentialiste, ontologique de Pierre Bourdieu de la culture
comme « capacité à faire des différences », de « système global
d'interprétation du monde et de structuration des
comportements » de Denys Cuche (2001 : 97) et celle
anthropologique d' Edward Thomas Hall et de Mildred Reed
Hall : « système développé par l' être humain pour créer,
émettre, conserver et traiter l' information, système qui le
différencie des autres êtres vivants » (dans Collès 2007). En
effet ces définitions embrassent autant l' aspect collectif
qu'individuel de la culture.
Visant à la construction de compétences interculturelles,
notre perspective adopte également une approche
interactionniste de la culture telle qu'
on la trouve chez Edward
Sapir qui fut un des premiers à avoir considéré la culture
comme un système de communication interindividuelle (Cuche,
1
Geert Hofstede, 1991, Cultures and Organizations: Software of the
Mind, McGraw-Hill, New York.
61
2001 : 49) quand il précisait : « le véritable lieu de la culture, ce
sont les interactions individuelles »1 .
1
Sapir Edward, 1993, The Psychology of Culture: A Course of
Lectures, reconstruit et édité par J. T. Irvine. Mouton de Gruyter,
Berlin.
2
Galisson Robert, 1989, « La culture partagée : une monnaie
d'échange interculturelle », Recherches et Applications, août-
septembre, pages 113-117.
3
Idem note page précédente.
62
approches ne distinguant pas un niveau collectif et individuel
analyse1 pourraient être repris ici.
d'
Si l'
on considère une culture nationale, à y regarder de près
on y distinguera des sous-entités culturelles propres aux
différents groupes régionaux qui la composent. De même,
l'
observation attentive montre qu' au delà d' un tronc commun
toute culture se subdivise jusqu' à atteindre un seuil dans les
particularismes individuels. L' hétérogénéité culturelle est
présente dans les groupes nationaux comme dans tout groupe ;
les cultures individuelles sont elles aussi composées de
subcultures variées (Abdallah-Pretceille & Porcher, 1996 : 14).
1
Irvine T. Judith, 1993, « Editor' s Introduction » dans The
Psychology of Culture : A Course of Lectures, reconstruit et édité par
J. T. Irvine, Mouton de Gruyter, Berlin.
63
ceux-ci transcendent les différentes cultures auxquelles ils
appartiennent dans une « constellation » identitaire propre à
chaque être humain. Transférées sur le plan pédagogique, ces
approches de l' interaction interculturelle doivent amener
l'
apprenant à envisager la rencontre interculturelle sur le seul
plan culturel, délaissant l' individu et ses caractéristiques
personnelles, considérant celui-ci seulement comme un
représentant de son groupe. Au contraire, le paradigme
interculturel proposé ici intègre pleinement le sujet, la personne
et la dimension individuelle dans l'approche des interactions.
Considérer la personne
Il est très important, à considérer une rencontre
interculturelle, d'intégrer cette dimension individuelle. Une
dérive réductionniste serait de considérer la rencontre entre Jean
et Mohammed seulement comme la rencontre d' un Français et
d'un Marocain. La mise en œuvre de la compétence
interculturelle dans l’interaction implique pour le locuteur de
prendre en compte toute la spécificité, l’unicité de son
interlocuteur. Celui-ci, si il possède des traits issus de sa culture
nationale ou régionale, les fusionne dans une association qui lui
est propre. Aussi le locuteur ayant développé ses compétences
plurilingues et pluriculturelles ne doit pas s’arrêter à une
perception « de surface » mais demeurer en questionnement,
ouvert à la singularité qu’il rencontre.
D’autre part l' approche, l' entrée culturelle, si elle est
pertinente car les facteurs d' ordre culturels sont extrêmement
prégnants sur la situation, ne doit pas être la seule « entrée »
dans l'approche des phénomènes, à l' instar d'
un enfermement
disciplinaire. Cette interaction franco-marocaine par exemple,
implique, plus que le croisement de deux ensembles de schèmes
symboliques, au-delà de la rencontre de deux représentants des
groupes nationaux français et marocain, deux êtres humains,
64
acteurs sociaux dans toute leur complexité. Cette complexité
doit engager, en complément de l' approche interculturelle sur
ces phénomènes, un syncrétisme d' approches, ou plutôt une
approche qui joint les différents regards des Sciences Humaines
et Sociales (S.H.S.), inspirée de la transdisciplinarité
morinienne (Morin, 1986, 1991, 1997). L' observateur s'attache
alors à aborder les phénomènes en-dehors d' un ancrage
disciplinaire mais dans une ouverture scientifique où les outils
théoriques pertinents des S.H.S. sont mis à profit.
Considérer que la rencontre interculturelle implique des
personnes requiert un regard sur ces protagonistes en tant
qu' acteurs sociaux, « homo oeconomicus, politicus, historicus »
(Morin, 1986, 1991), un questionnement sur la psychologie, la
personnalité, les passions... de la personne rencontrée, tout ce
qui la construit en tant qu' individu, irréductiblement différent.
L’approche interculturelle doit faire adopter aux apprenants une
attitude d'ouverture à l'
autre, à la personne rencontrée :
« On ne peut donc connaître autrui sans communiquer avec lui,
sans échanger, sans lui permettre de se dire, de s' exprimer en tant
que sujet. L'objectif est donc d' apprendre la rencontre et non pas
d'apprendre la culture de l'Autre ; apprendre à reconnaître en autrui,
un sujet singulier et un sujet universel. » (Abdallah-Pretceille, 1999
: 59).
La représentation de la culture
On sait que les représentations jouent un rôle fondamental
dans l'approche de l'étranger (Véronique, 2001 : 34, 35, Zarate,
1995 : 30). Le travail de réflexion mené sur la dialogicité de la
culture et le paradigme construit engagent certaines orientations
sur le plan représentationnel.
Il est ici proposé de développer chez les apprenants une
représentation dialogique de la culture et corrélativement de
l'
autre, de l'
étranger. L’éducation interculturelle doit transmettre
une représentation de la culture comme une entité dialogique,
construite d'une part par l'
individu, de l' autre par ses groupes
d'appartenance. Cette représentation considère non seulement la
nationalité mais prend également en compte la personne ;
l'
apprenant considère autant les communautés d’appartenance
de son interlocuteur que son individualité.
Transpositions pédagogiques
Sur le plan pédagogique, il semble pertinent de faire
appréhender aux apprenants les nombreuses sous-cultures de
leurs propres cultures d'appartenance. Cela pourrait être réalisé
par un travail d' auto-observation qui mettrait en évidence les
multiples variétés présentes au sein de leurs cultures nationales
et régionales mais également l' hétérogénéité individuelle qui
constitue tout humain en tant qu’être unique. Les apprenants
pourraient observer par exemple les différentes manières de
nommer un même objet selon les régions, de se saluer,
différentes techniques, procédés relatifs à la réalisation d' un
objet, d'un rite (exemple : ce que l' on mange à Noël). Les
apprenants analyseraient des documents qui leur permettraient
de constater les différences régionales, locales, sociales (entre
différents quartiers) de pratiques et en discuteraient ensemble.
Ces activités visent à permettre aux apprenants de voir combien
ce qui est assemblé sous une même étiquette occulte bien
souvent de grandes différences et qu' il convient de garder à
l’esprit que tout groupe est un ensemble d' individualités fort
différentes.
À charge ensuite au formateur de transférer ce constat de
l'
hétérogénéité « chez nous » puis « chez soi » dans l'
approche
68
de l'étranger, montrant comment les cultures étrangères elles
aussi sont composites, tout comme la culture de leurs membres.
La dialogicité de la culture sera mieux encore approchée de
manière pratique, pragmatique car l' expérimentation est la clé
de voûte de la dynamique de la compétence interculturelle et
l'
expérience la meilleure manière d' apprendre comme l’a
montré Célestin Freinet (1994).
Par le biais d'Internet, il est possible de mettre en place un
échange avec une classe d' un autre pays. Les apprenants
s'exerceraient à échanger en face à face virtuel avec leurs
« correspondants », accompagnés par l' enseignant qui donne des
conseils sur la manière de mener ces interactions
interculturelles. A posteriori, les apprenants échangent sur leurs
impressions, leurs difficultés de communication, éclairés par
l'
enseignant.
Un classique échange linguistique en présentiel est
également une excellente occasion d’identifier et de développer
les savoir-faire communicationnels.
Compétence de communication
La dialogicité de la culture amène certaines répercussions
sur la compétence de communication, sur le plan de la
compréhension particulièrement.
On peut en effet découper l' ensemble des compétences de
communication (que l’on pourrait également nommer
plurilingues, pluriculturelles...) en deux ensembles : celles qui
concernent la compréhension, comme une phase préalable à
l’interaction, et celles qui régissent la production, celle-ci étant
la conséquence de la première, qui rétroactivement va générer
du matériau à comprendre dans une interrelation en spirale.
69
L'approche dialogique ici développée soutient le
développement d' une compétence de compréhension qui amène
l'
apprenant à adopter une attitude de questionnement sur son
interlocuteur, (Qui est-il ? Quelle est son histoire ? Ses modes
de communication ?), favorisant ainsi le travail d'empathie.
Conclusion
Introduction
1
J.-P. Cuq (dir.), Dictionnaire de didactique du français langue
étrangère et seconde, CLE International, Paris, 2003, p. 136.
2
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 83.
74
apprenant1 et de doter les élèves d’une véritable compétence
pluriculturelle, indissociable de la compétence plurilingue, dont
D. Coste, D. Moore et G. Zarate ont donné la définition
suivante :
« […] on désignera par compétence plurilingue et
pluriculturelle, la compétence à communiquer langagièrement et à
interagir culturellement possédée par un acteur qui maîtrise, à des
degrés divers, la maîtrise de plusieurs langues et a, à des degrés
divers, l’expérience de plusieurs cultures, tout en étant à même de
gérer l’ensemble de ce capital langagier et culturel. L’option
majeure est de considérer qu’il n’y a pas là superposition ou
juxtaposition de compétences toujours distinctes, mais bien
existence d’une compétence plurielle, complexe, voire composite et
hétérogène, qui inclut des compétences singulières, voire partielles,
mais qui est une en tant que répertoire disponible pour l’acteur
social concerné »2.
Cette définition pose, d’une part, que la langue est un
phénomène socioculturel et que parler une langue, ce n’est pas
seulement aligner des phrases correctes (au sens strictement
linguistique et normatif) mais tenir compte également des traits
déterminants pour l’usage de la langue. D’autre part, plus loin
que la juxtaposition des cultures « au risque de figer les
différences et d’y enfermer les sujets »3 que suppose le
multiculturel, la compétence interculturelle, en incluant la
dimension plurilingue et pluriculturelle, convoque un processus
de construction de valeurs en partage en puisant dans le capital
langagier et culturel des apprenants qui sont – du moins en
Algérie – pour la plupart d’entre eux, plurilingues et dont le
français n’est pas totalement étranger à l’environnement
socioculturel.
1
P. Lambert, « Des compétences plurilingues et interculturelles à
l’épreuve des normes de référence scolaire : un paradoxe à
contretemps », Interculturalité. Enjeux pour les pays du Sud. Colloque
international, 19-20 novembre 2008. Actes, Université de Bejaia,
ANDRU, 2009, pp. 181-182.
2
Compétence plurilingue et pluriculturelle, Strasbourg, Conseil de
l’Europe, 1997, p. 12.
3
P. Lambert, Op. cit.
75
L’apprentissage du français – en ce qui nous concerne – doit
permettre aux apprenants une ouverture sur l’Autre, sur sa
culture et « n’est donc pas simplement […] un exercice
technique visant à l’acquisition et au développement de
compétences communicatives mais plutôt un engagement face à
leur environnement et à celui d’autrui dans une période
cruciale de leur vie. »1 C’est dire que, comme le précise G.
Zarate faisant ainsi référence aux travaux de P. Bourdieu sur la
notion de classement2, « Comprendre une réalité étrangère,
c’est expliciter les classements propres à chaque groupe et
identifier les principes distinctifs d’un groupe par rapport à un
autre. » 3
L’enseignement du français a connu, en Algérie, plusieurs
étapes depuis l’indépendance dont celle – de 1976 à 2003 – qui
consistait à lui assigner comme objectif principal la maîtrise de
l’information scientifique et technique ignorant en cela son
aspect socioculturel et sa présence indéniable comme langue de
pratiques langagières diverses.
La réforme du système éducatif algérien (depuis 2003)
consacre la dimension culturelle de l’enseignement du français
et notre propos est d’analyser les discours institutionnels issus
de cette réforme afin d’examiner quel(s) type(s) de relations est
(sont) instauré(s) entre langue et culture, quelle place est
réservée à la dimension culturelle/interculturelle dans
l’enseignement du français.
A cet effet, nous nous intéresserons plus particulièrement
aux recommandations de la Commission Nationale de Réforme
du Système Educatif (CNRSE) de 2001 et à la manière dont
1
M. Byram et M. T. Planet (éds), Identité sociale et dimension
européenne. La compétence interculturelle par l’apprentissage des
langues vivantes, Editions du Conseil de l’Europe, 2000, p. 12.
2
La Distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Minuit, 1979 ;
« Espace social et genèse des "classes" », Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 52-53, 1984, pp. 3-14.
3
Représentation de l’étranger et didactique des langues, Paris,
Didier, 1993, p. 17.
76
elles sont mises en œuvre dans les nouveaux programmes et
manuels du Secondaire (classes de Premières, Secondes et
Terminales) publiés en 2005, 2006 et 2007.
Recommandations de la CNRSE
1
Commission Nationale de la Réforme, Rapport, Alger, 2001, p. 23
2
Ibid.
3
Ibid.
77
De l’avis des rédacteurs de ce rapport, les débats au sein de
la sous-commission « Pédagogie », chargée de dessiner les
contours de la politique des langues étrangères, n’ont pas été
empreints de sérénité. C’est dire combien la mise en place
d’une politique linguistique ouverte sur l’international, le
plurilinguisme et l’interculturel doit se frayer un chemin
difficile, voire périlleux.
En tout état de cause et désireux de se conformer à la réalité
des faits, les membres de cette sous-commission optent pour le
français comme première langue étrangère et s’en expliquent
ouvertement :
« la langue française est une des langues les plus importantes
sur la scène internationale en sus du fait qu’elle jouit en Algérie
d’une place privilégiée pour des raisons historiques évidentes, le
français étant aussi fortement présent dans l’environnement
linguistique des élèves. Par ailleurs, le français est la langue que
notre pays utilise dans ses relations avec les pays limitrophes. Dès
lors, il serait malvenu de considérer le fait de privilégier le français
comme symptôme de quelque aliénation. Il s’agit ici tout
simplement d’obéir au principe de réalité et non à celui de
plaisir »1.
Ceci représente une avancée considérable2 car parmi les
arguments avancés figure celui relatif à la présence du français
dans l’environnement linguistique des élèves, ce qui proclame
implicitement que cette langue est une langue seconde devant
avoir un statut particulier et donc une place privilégiée dans la
politique des langues étrangères. C’est pourquoi il est
recommandé d’introduire l’enseignement du français dès la
deuxième année du cycle primaire :
« Quant à l’année à laquelle devrait intervenir l’introduction de
la première langue étrangère dans le système éducatif, la majorité
1
Ibid., p. 24
2
On se rappellera la tentative d’instaurer l’anglais comme première
langue étrangère dans les années 90 allant en cela à l’encontre de la
dynamique historique et socioculturelle. Ce projet a échoué car, entre
autres raisons, beaucoup de parents d’élèves ont refusé l’intégration
de leurs enfants dans des classes d’anglais première langue.
78
des membres de la sous-commission ont opté pour la deuxième
année de l’enseignement fondamental, convaincus qu’ils sont que
plus tôt elle est introduite, mieux elle sera maîtrisée »1.
Ce que l’on retiendra des travaux de la CNRSE et c’est
l’objet de la présente contribution, c’est l’inscription de la
dimension culturelle comme finalité à l’enseignement du
français, recommandation dont il sera tenu compte dans les
directives institutionnelles issues du processus de refonte du
système éducatif mis en œuvre depuis la rentrée scolaire de
2003.
Directives institutionnelles
1
Ibid., p. 24. L’Institution n’a pas tenu compte de cette
recommandation puisque l’enseignement du français est introduit
désormais en troisième année du cycle primaire, ce qui en soi est tout
de même un progrès (dans l’ancien système cela intervenait en
quatrième année primaire).
2
RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 1ère année secondaire, Janvier
2005 ; RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 2ème année secondaire, Janvier
2006 ; RADP, Ministère de l’Education Nationale, Commission
Nationale des programmes, Français. 3ème année secondaire, 2007.
79
Ces documents institutionnels inscrivent ainsi, parmi les
finalités assignées à l’enseignement du français :
«- la familiarisation avec d’autres cultures francophones pour
comprendre les dimensions universelles que chaque culture porte
en elle ;
- l’ouverture sur le monde pour prendre du recul par rapport à
son propre environnement, pour réduire les cloisonnements et
installer des attitudes de tolérance et de paix. » (p. 5)
Il s’agit ici aussi d’une volonté de rupture radicale avec ce
qui était pratiqué auparavant où l’enseignement du français était
expurgé de sa dimension culturelle et avait une visée
« instrumentale » en sa qualité de langue d’accès à
l’information scientifique et technique exclusivement1.
On peut constater donc que dans les directives
institutionnelles issues des recommandations de la CNRSE, les
termes et expressions utilisés renvoient certes à la dimension
culturelle de l’enseignement du français mais entretiennent une
confusion qui semble dénoter une volonté de ne pas reconnaître
que le français est partie intégrante du paysage linguistique
algérien en le plaçant dans la sphère des « dimensions
universelles », de « l’ouverture sur le monde », d’une
« réflexion sur l’Identité/Altérité ». La notion de « l’Autre »
telle que véhiculée par ces textes renvoie encore et toujours à
une période historique et à des repères méthodologiques qui ne
sont plus de mise. En cela, les documents des programmes
représentent un recul par rapport aux recommandations de la
CNRSE qui – rappelons-le – précisent que le français «… jouit
en Algérie d’une place privilégiée pour des raisons historiques
évidentes, […et est] aussi fortement présent dans
l’environnement linguistique des élèves »2.
1
Nous avons analysé cet aspect dans une communication lors de la
Journée littéraire organisée en marge du Salon international du livre
d’Alger en 2001 : « Manuels du secondaire algérien et textes
littéraires ».
2
Op. cit.
80
Qu’en est-il de la mise en œuvre de ces aspects dans les
manuels de français du secondaire algérien élaborés dans le
cadre de la refonte du système éducatif 1 ? C’est ce que nous
allons examiner maintenant.
1
K. Djilali (dir.), Français. Première année secondaire lettres,
Alger, ONPS, 2005 ; B. Zegrar (dir.), Français. Deuxième année
secondaire, Alger, ONPS, 2006 ; F. Mahboubi (dir.), Français.
Troisième année secondaire, Alger, ONPS, 2007.
2
« Approche écodidactique des représentations de l’interculturalité
dans les manuels algériens de FLE. Enjeux et perspectives », Cahiers
de langue et de littérature, Université de Mostaganem, Janvier 2008,
n°05, pp. 36-37.
81
- le nucléaire et le développement durable : p. 52, 62, 69 ;
- l’action humanitaire et la solidarité internationale : p. 53,
56, 84 ;
- l’Internet : p. 81 ;
- les inventions du futur : p. 137-143.
Dans le Manuel de 3° AS (classe de Terminale)
- la Coupe du monde : p. 10 ;
- l’informatique : p. 11, 104-110 ;
- les OGM : p. 65, 76 ;
- le racisme : p. 72, 74 ;
- la guerre : p. 85, 95 ;
- la solidarité : p. 141-142 ;
- le Sida : p. 147 ;
- les conflits linguistiques : p. 150-151.
1
Commission Nationale de la Réforme, Rapport, Alger, 2001, p.
144.
83
• En 1°AS
Projet 1 : « Réaliser une campagne d’information à
l’intention des élèves du lycée » ;
Projet 2 : « Rédiger une lettre ouverte à une autorité
compétente pour la sensibiliser à un problème et lui proposer
des solutions » ;
Projet 3 : « Ecrire une petite biographie romancée ».
• En 2° AS
Projet 1 : « Concevoir et réaliser un dossier documentaire
pour présenter les grandes réalisations scientifiques et
techniques de notre époque » ;
Projet 2 : « Mettre en scène un procès pour défendre des
valeurs humanitaires » ;
Projet 3 : « Présentez le lycée, le village, la ville ou le monde
de vos rêves pour faire partager vos idées, vos aspirations »
• En 3° AS
Projet 1 : « Dans le cadre de la commémoration d’une
journée historique, réaliser une recherche documentaire puis
faire la synthèse de l’information à mettre à la disposition des
élèves dans la bibliothèque du lycée » ;
Projet 2 : « Organiser un débat d’idées puis en faire un
compte-rendu » ;
Projet 3 : « Dans le cadre d’une journée "portes ouvertes",
exposer des panneaux sur lesquels seront reportés des appels
afin de mobiliser les apprenants et les visiteurs autour de causes
humanitaires » ;
Projet 4 : « Rédiger une nouvelle fantastique ».
Chaque projet est accompagné d’un objet d’étude et doit
déboucher sur une technique d’expression. Ainsi et pour
prendre un exemple, pour le Projet 1 en 1°AS, l’objet d’étude
est la vulgarisation scientifique et les techniques d’expression,
la prise de notes, le plan, le résumé. En atteste, outre le type de
questions posées, la présence à l’issue de chaque activité de
84
compréhension de deux rubriques : « Faites de point » et
« Savoir-faire ». Voici ce qui est consigné dans le manuel de
1°AS pour le même projet :
-« Faites le point. Le paragraphe est une partie du discours
qui a une cohérence sémantique, c’est pourquoi nous pouvons
lui trouver un titre qui en résume la signification. Le paragraphe
se révèle d’abord par une présentation typographique (premier
mot en retrait, obligation d’aller à la ligne à la fin du
paragraphe) »
-« Savoir-faire. Dans la perspective du résumé, il est
nécessaire de dégager la grande unité de signification que
contient chaque paragraphe ».
La même démarche est adoptée pour tous les projets et pour
toutes les années d’enseignement dans le secondaire. Elle
n’apporte pas de grands changements à celle qui avait cours
jusqu’en 2003.
1
Signalons au passage que les notions figurant dans ce glossaire
sont données sans aucune référence bibliographique, ce qui ne permet
pas de situer à quel type de recherches didactiques ou linguistiques il
est fait référence. Cela ne permet pas non plus aux enseignants
d’approfondir ces notions par des recherches personnelles.
87
- utilisé la langue dans des situations d’interlocution
pour différents buts en prenant en compte les
contraintes de la vie sociale ;
- exploité efficacement de la documentation pour la
restituer sous forme de résumés, de synthèses de
documents, de compte-rendu,
- adopté une attitude critique face à l’abondance de
l’information offerte par les média ;
- produit des discours écrits et oraux qui porteront la
marque de leur individualité (que ces discours servent à
raconter, à exposer, à rapporter des dires ou à
exprimer une prise de position ;
- appréhendé les codes linguistique et iconique pour en
apprécier la dimension esthétique. » (p. 4).
1
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 18.
88
La compétence de communication peut-elle être réellement
assimilée si elle est expurgée de sa composante culturelle. Nous
ne le croyons pas car, ainsi que le soulignent à juste titre M.
Byram et M. T. Planet, « La communication n’est pas seulement
une question d’échange d’informations. Elle implique
également une interaction avec d’autres individus, la
compréhension de leur mode de vie, de leurs croyances, de
leurs valeurs et de leur comportement » qui ajoutent :
1
M. Byram et M. T. Planet (éds), Identité sociale et dimension
européenne. La compétence interculturelle par l’apprentissage des
langues vivantes, Editions du Conseil de l’Europe, 2000, p. 12.
2
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 40.
89
Les documents institutionnels algériens relatifs à l’E/A du
français se contentent de déclarations d’intention qui ne sont
pas suivies d’effet et passent sous silence le fait que, comme il
est spécifié dans le CECRL : « la connaissance de la société et de
la culture de la (ou des) communauté(s) qui parle(nt) une langue est
1
l’un des aspects de la connaissance du monde » .
1
Ibid., p. 82.
2
P. Charaudeau, « L’identité culturelle entre soi et l’autre » in L.
Collès, J.-L. Dufays et F. Thyrion (éds), Quelle didactique de
l’interculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S, Fernelmont,
EME, 2006, pp. 55-56).
90
l’optique de l’autre, souvent sous la forme de stéréotypes
nationaux »1.
La diversité régionale et sociale de l’Algérie n’est pas prise
en compte dans les manuels algériens de français du secondaire,
pas plus que celle de la communauté francophone. La langue
enseignée est décontextualisée, vidée de sa substance.
1
Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, Un
cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre,
enseigner, évaluer, Strasbourg, 2000, p. 83.
2
« Approche interculturelle et identité narrative » in Etudes de
linguistique appliquée, n° 93, janv.-mars 1994, p. 34.
91
de conscience interculturelle en s’inspirant des recherches et des
propositions de R. Amossy, J.-L. Dufays et L. Collès1.
1
R. Amossy et A. Herschberg Pierrot, Stéréotypes et clichés, Paris,
A. Colin, 2007 ; L. Collès, J.-L. Dufays et F. Thyrion (éds), Quelle
didactique de l’interculturel dans les nouveaux contextes du FLE/S ?,
Fernelmont, EME, 2006 ; L. Collès, Interculturel. Des questions vives
pour le temps présent, Fernelmont, EME, 2007.
2
Education et communication interculturelle, PUF, Paris, 1996, cit.
par M. De Carlo, L’interculturel, Paris, CLE International, 1998, p.
64.
3
Ibid., p. 65
4
Ibid., p. 64.
92
francophones, à enrichir leur propre univers linguistique et
culturel »1.
Conclusion
1
L. Collès, « Diversité culturelle et effets de la mondialisation chez
les écrivains francophones » in C. Condei, J.-L. Dufays et C.-N.
Teodorescu (éds), Métissage culturel. Interculturels et effets de la
mondialisation chez les écrivains francophones, Craiova, Ed.
universitaires, 2009, p. 12.
2
S. Asselah-Rahal et P. Blanchet (éds), Plurilinguisme et
enseignement des langues en Algérie. Rôles du français en contexte
didactique, Fernelmont, EME, 2007, p. 24.
93
celles de son voisin et de les mettre en commun en un lieu où
chacun puise ce qu' il peut » car « la pédagogie interculturelle
constitue l'
option (donc le choix, la valeur, la non-réduction au
positivisme scientiste démontrable ainsi que l' a signifié
définitivement Todorov) la meilleure parce qu' elle est la seule à
se fonder sur le principe qu' un homme est, quel qu' il soit, un
homme, donc un semblable différent (les deux à la fois) »1.
C’est ainsi que nous pourrons atteindre, entre autres finalités
assignées à l’enseignement du français en Algérie, celles
relative à l’éducation interculturelle et figurant dans les
programmes du secondaire :
«- la familiarisation avec d’autres cultures francophones
pour comprendre les dimensions universelles que chaque
culture porte en elle ;
- l’ouverture sur le monde pour prendre du recul par
rapport à son propre environnement, pour réduire les
cloisonnements et installer des attitudes de tolérance et de
paix » (p. 5).
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Les causes
Pistes de remédiation
Ces représentations et pratiques de l’enseignement du
français, du bi-/, pluri-linguisme, de ce qu’est l’apprentissage
d’une langue étrangère provoquent trois types de conséquences
non négligeables : l’isolement des enseignants, les carences
d’outils et une formation de formateurs qui ne diffuse pas
encore de façon généralisée les données de la recherche en
matière d’approches plurilingues et pluriculturelles.
Face à cette problématique, quelles peuvent être les pistes de
remédiation ?
- La première semble être la question de la reconnaissance de
l’altérité. Celle-ci passe par une prise de conscience de l’autre
102
et des mécanismes d’appréhension de cette xénité : reconnaître
les émotions, savoir se décentrer, contextualiser et objectiver
une situation interculturelle ce que Blanchet (2007) résume
comme une prise de conscience du processus de relation
interculturelle.
- La seconde reposerait sur une réflexion sur la langue-
culture. Partir de la langue pour aborder « les formules
culturelles » de chacun selon l’expression de C. Camilleri
(1994) semble très pertinent. La langue, qui évolue selon les
contextes et révèle aussi les métissages, véhicule à tous les
niveaux bien des représentations.
- Passer d’une approche de l’interculturel à une mise en
œuvre co-culturel par les interactants, processus qui favorise :
vers la pédagogie actionnelle.
Ainsi, il s’agit de comprendre comment les usages agissent
sur les comportements et inversement. Puren (2002) semble
annoncer que l’ère de « l’interculturel », qui travaille
essentiellement sur le côté représentationnel, cède le pas au
« co-culturel » : un agir ensemble qui permet aussi de tisser le
lien. L’interculturel et le co-culturel pourraient alors
s’apparenter à l’articulation « représentations/usages » et
devenir complémentaires dans les pistes de remédiation.
- Les arts du langage qui permettent, au travers des pratiques
artistiques et culturelles, de pouvoir faire ensemble : monter une
pièce de théâtre, écrire un scénario de film, un conte, mettre en
place un spectacle dansé. Cet agir ensemble, forcément
coopératif, met en œuvre du langage, fait émerger de la parole
subjective. Ainsi, en s’appuyant sur les connaissances acquises,
l’apprenant est reconnu dans ce qu’il est, ce qui provoque un
effet la motivation.
103
Vers des similitudes entre les conflits
interactionnels en ZEP et les conflits de représentation,
d’interculturalités et de compréhension en FLE ?
2
Appartenance déterminée suivant la localisation des établissements
-collège des quartiers sud de Marseille et collège inscrit en Z.E.P. de
Vitrolles- et confirmée indirectement par les fiches pédagogiques et
directement par le traitement de questionnaires soumis et remplis par
les élèves.
104
que, dans le cadre de l’interaction didactique, la séquence
latérale en communication exolingue ne revêt pas la même
fonction que la mise en place de stratégies d’obtention de
réponse concluante en communication endolingue, les
séquences latérales constituant une sorte de parenthèse
potentielle, de mise en suspens, de l’échange ternaire, alors que
les stratégies éventuelles d’obtention de réponse concluante sont
constitutives de ce même échange. Néanmoins on se demandera
si la mise en place de stratégies d’obtention de réponse
concluante, que des travaux antérieurs (Romain, 2005) ont
révélées être beaucoup plus nombreuses quantitativement pour
un même échange IRE en ZEP qu’en milieu dit facile, ne serait
pas constitutive d’une séquence particulière que nous tenterons
de décrire comme se situant à mi-chemin entre la séquence IRE
au collège et la séquence latérale en didactique du FLE et qui
répondrait à un même souci de remédiation à un moment de
tension (effectif ou potentiel) émergeant dans l’interaction
didactique, mais dont l’acte déclencheur serait néanmoins
différent (conflit interpersonnel en ZEP et conflit de
représentations, de non/mé-compréhension, ou encore culturel
en FLE).
Conclusion
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Introduction
1
La notion de l’agir professionnel trouve sa source dans les théories
de l’action. M. Weber a proposé le modèle de l’action rationnelle ou
téléologique qui définit un sujet dont l’action s’inscrit dans un but
clairement défini. Le sociologue allemand H. Joas a développé une
sociologie de l’agir et a mis en valeur le caractère créatif de l’agir
humain. Différents courants de recherche permettent de concevoir
l’agir professionnel dans une dimension culturelle articulant le corps
dans l’interaction au sein d’une communauté de pratiques. Citons les
travaux de A. Jorro (2006) L’agir professionnel des enseignants, les
travaux de Lave et Wenger sur les communautés de pratique, ainsi que
D. Schön comme référence dans le courant de l’approche
praxéologique. Pour D. Schön, l’agir professionnel revêt un savoir-
faire observable dans les postures et les agissements spécifiques à tel
ou tel professionnel.
2
Les débats concernent les questions économiques, culturelles et
plus particulièrement les questions autour des langues des pays
d’accueil. En France, on observe la mise en place du DILF (diplôme
initial de langue française) depuis janvier 2007, rendu obligatoire pour
les signataires d’un CAI (contrat d’accueil et d’insertion), utile dans le
cadre d’un dispositif d’insertion et dans certains cas lors de demande
de naturalisation.
116
des populations migrantes et les critères linguistiques censés
devoir la faciliter, il semble pertinent de s’intéresser aux
questions des relations interculturelles, incluant la question de
l’insertion sociale. Cette question sera à rapprocher de celle de
l’agir professionnel.
1
L’utilisation de ces termes renvoie à des contextes différents. En
France, il a été question d’assimilation dès la fin du 19ème siècle et
jusqu’au milieu du 20ème. A cette notion a succédé celle d’insertion,
réservée à une immigration de passage nourrissant l’espoir du « retour
au pays ». Le terme d’intégration a été utilisé à partir de l’époque de
l’Algérie colonisée. Notons que beaucoup plus récemment, nous
parlons du « vivre ensemble » (C. Withol de Wenden, 2008).
117
Eléments de contextualisation
L’agir professionnel
Le questionnement
1
Legitimate Peripheral Participation, en anglais dans la version
originale.
121
2. Comment les éléments linguistiques et professionnels
s'
articulent-ils pour favoriser l’insertion de professionnels en
contexte exolingue et interculturel ?
On permet à l’individu doté de compétences professionnelles
de les utiliser d’emblée, de s’intégrer grâce à elles au lieu d’être
maintenu en dehors des échanges sociaux sous prétexte d’un
« handicap linguistique ». Cela peut paraître une prise de risque.
Pour analyser la situation dans laquelle se trouvent les
médecins allophones en contexte professionnel français, nous
nous appuierons sur quelques fondements théoriques.
- Stratégies sociales :
1. « Joignez-vous à un groupe et faites comme si vous
compreniez ce qui se dit, même si ce n’est pas le cas. »
2. « Donnez l’impression par quelques expressions bien
choisies que vous êtes capables de parler la langue. »
1
Wong-Fillmore, L (1979): Individual differences in second
language acquisition. In C. J. Fillmore, D. Kempler & W. S.-Y. Wang
(Eds.), Individual differences in language ability and language
behaviour. New York, Academic Press.
122
- Stratégies cognitives :
1. « Supposez que ce qui se dit est en liaison directe avec la
situation ou l’activité en cours. »
2. « Repérez ce qui se répète dans les expressions que vous
connaissez. »
3. « Utilisez au maximum ce que vous avez acquis. »
- La théorie du « Moniteur » de Kraschen1 qui oppose
l’apprentissage explicite en milieu formel d’une langue à son
acquisition en milieu informel. Dans ce dernier cas, l’apprenant
étant directement impliqué dans l’interaction sociale, manipule
la langue de manière plus inconsciente et se focalise beaucoup
plus sur le contenu que sur la forme.
1
Les termes « monitor theory » sont traduits par « théorie du
contrôle » par Klein (1984, trad. française 1989 : 44). Selon cette
théorie, l’adulte a deux systèmes indépendants pour développer ses
connaissances en langue étrangère, à savoir, « l’apprentissage
conscient de la langue » (« conscious language learning ») et
l’ « acquisition subconsciente de la langue » (« subconscious language
learning »). Lorsque le sujet apprend une langue, il est attentif à, et
donc conscient de la forme linguistique des énoncés qu’il produit,
mais ce n’est pas le cas dans l’ « acquisition » qui est marquée par
l’absence d’une telle conscience chez le sujet.
123
Axe 1 : L’agir professionnel
1
Ces dénominations sont critiquables mais nous reprenons ici les
termes utilisés par Daniel Véronique. Nous pourrions dire locuteur
francophone confirmé ou locuteur francophone débutant.
124
Axe 2 : Les interactions
Par les interactions des membres de la communauté
médicale, où plusieurs éléments entrent en résonance : les
indices verbaux (discours, énoncés, dialogues) et les indices
non verbaux (gestes, regards, mimiques…) forment un
ensemble hétérogène riche d’enseignement. La langue, au sens
strict, est ici au second plan, elle sert à mettre en mots1 et en
discours une situation, c’est l’agir qui suscite la parole, la
production du discours. Le contexte est générateur d’une
réaction évocatrice d’un savoir partagé. Les mots, la parole
viennent en complément. La langue devient un outil de
médiation de l’activité et, pour les médecins allophones,
l'
activité est facteur d' appropriation linguistique. L’une des
stratégies cognitives consiste à deviner le sens des paroles de la
langue cible et à employer intensivement tout élément connu.
Le locuteur de la langue majoritairement parlée, pour ne pas
dire le natif, joue implicitement un rôle d’étayage linguistique
dans l’action collective même, sans qu’il y ait besoin d’un
contrat didactique. Un interne en radiologie, venu de Roumanie
nous explique comment il est devenu capable de rédiger des
comptes rendus :
« au début / je suivais un collègue français / je regardais /
j’écoutais / je faisais les radios / on regardait l’image ensemble
et puis je lisais les comptes rendus qu’il écrivait. »
1
Le concept de mot peut paraître réducteur, mais nous tenons à
exprimer cette idée de mot à la suite d’une remarque d’un médecin
rencontré. Il nous expliquait combien lui a été utile la réalisation d’une
liste de mots français désignant les ustensiles du bloc opératoire.
125
Axe 3 : Les processus d’identification entre les
différents membres d’une communauté
Des processus d’identification interviennent entre les
représentants du modèle professionnel dominant (médecins
français encadrant) et les médecins en « formation » (médecins
allophones faisant fonction d’internes) et renforcent le
phénomène d’insertion professionnelle. S’inspirer d’un modèle
auquel on aspire est un moyen de lui ressembler et constitue une
chance supplémentaire d’être reconnu et légitimé au sein de la
communauté à intégrer. Ainsi, le médecin allophone observe,
s’imprègne de la langue, des façons de faire, des attitudes et
imite « le modèle » auquel il tend à s’identifier. En effet,
« l’individu s’éprouve lui-même non pas directement, mais
seulement en adoptant le point de vue des autres ou du groupe
social auquel il appartient » (L. Baugnet, 1998 : 51). Un des
médecins rencontrés nous dit ainsi :
« au début / je ne fais rien / je dois observer / écouter le staff
/ et ensuite j’essaie de faire la même chose »
Aussi, lorsqu’il s’agit de rédiger un compte rendu, le même
médecin nous explique ses stratégies :
« je comprends presque 100 % de ce que je lis / mais pour
moi / c’est encore difficile de trouver les mots et les phrases / je
lis beaucoup de comptes rendus et je choisis les phrases que je
comprends très bien et puis j’écris».
Il parvient à maîtriser la langue écrite et surtout le style
employé en s’imprégnant de modèles dont il extrait les
fragments les plus compréhensibles, les plus évocateurs d’une
situation vécue, pour se les approprier. Nous observons là un
processus en constante évolution, dans la mesure où il y a
passages successifs d’un état de connaissances, de potentiel
d’action, de possibilité de mobilisation de diverses ressources, à
un autre état ; s’établissent des combinaisons entre le « déjà-
là » et le « en construction » à compter du moment où le
professionnel n’occupe qu’une position d’observateur puis de
celui où il agit sous le contrôle d’un tuteur jusqu’au moment où
126
il devient autonome et pleinement responsable dans la
réalisation de ses actes. Le sujet s’adapte, cela signifie qu’il
réutilise progressivement à sa façon le discours de l’autre pour
construire à terme son propre discours.
Remarques conclusives
1
D. Bucheton a étudié plus particulièrement les « gestes
professionnels » propres à ceux des enseignants.
127
l’encadrement des médecins allophones. En effet, s’intégrer
dans un groupe ne se fait que si le groupe accueillant aménage
des possibilités permettant cette insertion et cela nécessite des
ajustements, des articulations, des négociations des deux côtés.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Introduction
Résultats
!
" #
$ "
%& '
() # *
) # * " '
Quelle utilité ?
Pour 35 % des répondants (item 1.5), les contenus culturels
des cours sont perçus comme inutiles. Pour les témoins les plus
éduqués (2ème cycle d’université), cette proportion monte
jusqu’à 60 %. Deux causes semblent expliquer cette évaluation
négative. La première : un manque d’adéquation entre les
activités proposées et les objectifs d’insertion professionnelle
des témoins. Une des visées des cours est de faciliter leur
insertion économique. Cependant, il semble cependant que les
objectifs culturels des cours ne soient pas adaptés aux personnes
ayant un haut niveau de scolarité ou bénéficiant déjà d’une
expérience professionnelle. Les étudiants se sentent alors
dévalorisés et leurs connaissances et compétences sous-
estimées dans des activités décrites comme infantilisantes.
Conclusion et réflexions
1
Nous faisons ici référence à un autre article basé sur le même
terrain d'
étude, Calinon (2009).
142
d’atteindre les objectifs fixés dans leur démarche
d’immigration.
Les cours de francisation, pourtant destinés à un public
migrant, ne laissent pas de place à leur(s) langue(s) première(s)
ou à leur répertoire langagier. Leur plurilinguisme n’est pas pris
en compte. Comme le soulignait déjà Coste, la lecture de la
compétence à communiquer se fait davantage sous l’optique
langagière plutôt que culturelle : « l’attention a été davantage
donnée à la multiplicité des moyens d’expressions d’actes ou
fonctions de langage posés comme largement communs et
transversaux, aux dépends de la variété des conditions
culturelles dans lesquelles ces cas et fonctions se réalisent et
trouvent des significations spécifiques. La variation intra et
interlinguistique a été plus valorisée que la différenciation intra
et interculturelle » (Coste, Moore, Zarate 1997 : 10). Une
valorisation du répertoire langagier antérieur, dans une optique
de développement de la compétence plurilingue et
pluriculturelle, pourrait rassurer les apprenants immigrants, en
situation de forte insécurité linguistique et sociale. Modifier,
auprès des apprenants, l’image d’un apprentissage « de la
langue source à la langue cible », qui peut paraître décourageant
tant l’objectif « maîtrise linguistique proche de celle du natif »
est éloigné de leurs compétences, privilégier le « déjà là » à
enrichir plutôt que d’axer l’apprentissage sur les connaissances
manquantes, développer les savoir-apprendre, valoriser les
savoir-être et les attitudes envers les langues, pourraient
compenser des lacunes linguistiques et projeter l’individu, de
manière plus concrète, dans son rôle d’acteur social.
En privilégiant une optique plurilingue et pluriculturelle, on
pourrait modifier les représentations linguistiques sur le rôle de
la grammaire dans l’apprentissage de la langue et, ainsi, rendre
l’apprentissage, dans ce contexte, plus efficace en terme de
mobilité et d’intégration linguistiques. Pour ces apprenants,
majoritairement très éduqués et qui possèdent des repères
métalinguistiques, la grammaire appartient à leur habitus
scolaire. Ainsi, compte tenu du contexte et du public, la
grammaire proposée pourrait être une grammaire orientée vers
143
le sens et moins vers la forme. Dans une perspective
interculturelle plus globale, elle permettrait de décoder « les
implicites de tous ordres qui tiennent autant des pratiques que
des représentations et qui régissent les comportements et les
discours des natifs » (Adami 2009 : 116). Cette démarche
pourrait également faire émerger de la conscience linguistique
des apprenants leurs capacités à répondre aux exigences
pragmatiques que leur rôle d’acteur social demande au niveau
langagier.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Introduction
1
Equipe implantée également à l'
Université de Limoges.
150
juristes techniciens, directement opérationnels et employables
(Legrand, 1996a : 317).
1
Cette réflexion s’inscrit dans le cadre d’une thèse, dirigée par
Didier de Robillard, sur la « langue-langage-discours-culture » du
droit et son enseignement à un public d’étudiants étrangers.
2
Appellation consacrée pour cet enseignement de spécialité, que
nous ne discuterons pas ici.
3
Nous conserverons dans un premier temps ce couple
« culturel/interculturel », tout en ayant conscience de la redondance,
l’ « interculturel » incluant nécessairement le « culturel », et le
« culturel » n’étant pas définissable hors d’un cadre relationnel
(Abdallah-Pretceille, 2003 : 28 et suiv.). La perspective
herméneutique que nous proposerons plus bas à la didactique du
français juridique, viendra expliciter l’interdépendance des deux
notions.
151
l’autre (Legrand, 1996a et 2006 ; Dahl, 2005 ; Dahl, Jensen et
Nynäs, 2006 ; Dervin, 2008 ; Abdallah-Pretceille, 2003 ;
Robillard, 2009 ; Simard, 2002 et 2004), peut nous aider à
réfléchir la dimension interculturelle d’une telle préparation ?
Avant de présenter des propositions didactiques concrètes en
ce sens, il semble nécessaire de partir d’une analyse des -
relativement rares - matériels pédagogiques et programmes de
formation existant dans le domaine du français juridique.
1
Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade de
France à Pékin (Chine).
2
Français sur Objectifs Spécifiques.
156
La centration sur le lexique du droit est ici présentée comme
prioritaire, faute de temps. C’est l’idée de ne pas se disperser
qui préside ici au resserrement de l’enseignement du français
juridique autour de ce qui est considéré comme son noyau dur :
le lexique. Mais les compétences strictement terminologiques
sont-elles véritablement les « plus indispensables » à la
constitution d’une sorte de « kit de survie » pour ces juges et
procureurs chinois se préparant à l’ « immersion » ? Si l’on ne
peut nier l’importance que revêt l’acquisition lexicale en
français juridique, deux remarques s’imposent néanmoins :
- En premier lieu, on notera que la notion de
compétence communicative est ici essentiellement conçue dans
ses composantes linguistiques et pragmatiques (lexique et
« échanges plus complexes »), sans aucune mention de la
composante culturelle/interculturelle.
- En second lieu, on peut se demander si la brièveté du
cours (30 h) et l’optique de formation (préparer des apprenants
à la rencontre « en immersion » d’une - toute -autre culture
juridique) ne devrait pas au contraire amener à mettre l’accent
sur cette composante culturelle/interculturelle - l’acquisition
d’un vocabulaire spécialisé « de survie » n’étant pas
incompatible avec un tel axe de formation.
1
Sur l’utilisation transdisciplinaire de l’herméneutique pour penser
le rapport à l’autre, voir l’article cosigné avec D. de Robillard dans ce
même volume.
2
La réponse à cette question passe par une nécessaire présentation
approfondie des postulats de l’herméneutique : faute de place, et pour
ne pas être redondant, nous renvoyons sur ce point à l’article cosigné
avec D. de Robillard dans ce même volume.
159
conduit à son importation « en bloc », sans véritable travail de
ré-interprétation, avec le résultat d’une large inadéquation entre
le droit et les aspirations d’une majorité des justiciablesCette
juxtaposition risque donc de conduire à une affiliation stérile au
droit français1.
1
Cette affiliation est peut-être l’objectif « institutionnel »,
« stratégique » qui sous-tend l’accueil et les bourses attribuées aux
étudiants juristes étrangers par le gouvernement français, mais avec
lequel la didactique du français juridique peut néanmoins prendre ses
distances.
160
Proposition
Pour ce faire, il s’agit davantage de travailler la posture
(herméneutique) que les objets (le droit, la langue). Travailler
les objets est ce qui caractérise l’approche techno-
terminologique (LE droit et LA langue / les règles et les
termes), largement répandue en français juridique et que nous
avons critiquée plus haut. Travailler la posture c’est proposer
un « mode d’intelligibilité », pour reprendre une expression de
Martine Abdallah-Pretceille, qui reconnaît les liens entre son
approche de l’interculturel et l’herméneutique :
1
Ces cours constituant d’ailleurs l’ « horizon d’attente » de certains
étudiants qui ont une représentation souvent idéalisée de la France
comme « patrie des droits de l’homme ».
161
que nous avons d’ailleurs éprouvé en tant que concepteur et
enseignant d’un cours de français juridique élaboré pour
l’Institut d’études françaises de Touraine en 2007. Aborder
l’année précédant les Jeux Olympiques de Pékin la question des
droits humains avec des apprenants chinois n’était pas
« facile », ni d’ailleurs la question de la laïcité avec des
étudiants juristes musulmans (public important de l’Institut, et
très demandeur de formation en droit français, pour des raisons
historiques évidentes).
1
Au sens positif de Gadamer : jugements provisoires et anticipants,
nés de l’inscription de l’individu dans une tradition culturelle (voir sur
cette notion l’article cosigné ici avec D. de Robillard).
2
C. Forestal et Y. Lefranc ont récemment fait des propositions
stimulantes allant dans le sens d’une réhabilitation d’un conflit
productif en didactique des langues-cultures (Forestal, 2007 et
Lefranc, 2007).
162
conflictuelles) doit s’accompagner d’un indispensable travail
sur la posture – qui n’épargne pas l’enseignant1.
1
En effet, l’enseignant ne doit pas éluder ses propres préjugés, qui
peuvent se manifester par des précautions, parfois excessives, sur
certains sujets, avec certains apprenants dont il se représente l’univers
référentiel. S’il arrive que l’enseignant de français juridique pressente
des conflits dans certains contextes, sur certaines notions, avec
certains apprenants, c’est parce que ses propres préjugés
interviennent. Il est donc nécessaire d’en tenir compte, de ne pas
« faire semblant » en jouant le masque de la neutralité professorale. Le
processus herméneutique ne joue pas à sens unique, dans une relation
verticale, mais implique tous les acteurs de l’échange didactique.
163
Herméneutique, interculturel et conflit. Aborder la
notion juridique de laïcité en classe de français
juridique
1
Voir par exemple : CARLO, C. et BRINQUIER, L., Trait d' Union
2. Culture et citoyenneté, CLE International, 2006, pp. 38-39 et 68.
2
Encore un fois, il ne s’agit pas de présupposer les identités des
apprenants comme figées : ce n’est pas parce que l’apprenant juriste
est koweïtien qu’il sera nécessairement un virulent pourfendeur de
l’idée de laïcité !
164
une juxtaposition sans rencontre des droits, avec des
risques de rejet ou de survalorisation du droit français
par l’apprenant.
2) Un autre écueil serait de commencer par une
relativisation de la notion : notion aux contours
juridiques mal définis, mouvante, qui n’a rien de la
solidité d’un « pilier », et qui, loin d’être universelle, est
plutôt une option juridique exceptionnelle (seule une
petite dizaine d’Etats sont constitutionnellement laïcs).
Commencer par briser un certain « catéchisme
républicain » - démarche que nous avions dans un
premier temps adoptée dans notre cours dispensé à
l’Institut de Touraine - n’est pas non plus une bonne
solution : en se donnant le beau rôle (« regardez comme
le droit français est capable de se remettre en question,
prenez exemple ! »), on condamne les apprenants au
suivisme et on ne suscite pas le travail herméneutique :
on reste focalisé sur l’ « objet » et on ne travaille pas la
« posture » avec l’apprenant.
1
Ce découpage n’est qu’une proposition de progression, qui n’a rien
de figeant : le déroulé du cours peut très bien amener à entrelacer ces
étapes, présentées distinctement ici pour la facilité de l’exposé.
165
de « libertés fondamentales » / « droits fondamentaux ». Ce
discours, auquel les apprenants seront donc nécessairement
confrontés, ne doit en effet pas être occulté dans un but de
pacification de la relation d’apprentissage.
1
La question de la laïcité s’est posée à l’occasion de cette
« affaire », qui a éclaté avec la parution en 2005 d’une série de douze
caricatures du prophète Mahomet dans le journal danois Jyllands-
Posten.
2
Discours prononcé le 20 décembre 2007 au Palais du Latran
(Rome), par le président français Nicolas Sarkozy lors d’une visite au
pape Benoît XVI. Beaucoup de commentateurs avaient alors vu dans
les propos du chef d’Etat français une grave atteinte au principe
fondamental de laïcité. Sur la polémique soulevée par ce discours, voir
par exemple : DUHAMEL, A., « La fausse querelle de la laïcité »,
Libération, 23 janvier 2008.
3
P. Legrand propose une telle propédeutique pour la formation de
ses étudiants en droit comparé (Legrand, 1996a).
167
se mêler au débat), en montrant que ce principe est né dans le
conflit (débats autour de la loi de 1905 sur la séparation de
l’Eglise et de l’Etat) et que son statut de « pilier » de la
démocratie française est relatif : le discours du Latran, prononcé
en 2008 par N. Sarkozy constitue un exemple récent de
discussion de son caractère « absolu ». On pourra également
montrer les traces de droit canon en droit français, et mettre en
lumière la « matrice théologico-juridique » du droit français et,
plus largement, occidental (Legendre, 2004)1.
Conclusion
1
« Ce qui nous échappe d’essentiel dans la représentation
occidentale concerne la base historico-mythique sur laquelle la
tradition européenne a fondé ses catégories normatives […] C’est à
cette matrice théologico-juridique de l’Occident qu’il faut se reporter,
si l’on veut saisir la plasticité de cette culture, sa capacité
(apparemment paradoxale) d’intégrer dans son système normatif
l’individualisme anti-normatif, et son efficacité dans le laminage des
cultures autres en utilisant l’arme institutionnelle » (Legendre, 2004 :
23-25).
2
Voir article cosigné ici avec D. de Robillard.
168
droit et, pas là, aux possibilités qu’autorise le divers dans le droit ».
(Legrand, 1996a : 317)
L’étude terminologique et le travail technique sont
indéniablement utiles pour préparer l’entrée d’étudiants
allophones à l’Université française dans un cursus de droit. Ces
approches ne seront que plus efficaces si on leur donne un
surcroît de sens par une réflexion sur l’altérité.
Après avoir développé sa vision originale du droit comparé
« à l’aune d’une herméneutique », P. Legrand concluait que « la
comparaison [juridique] sera CULTURELLE ou ne sera pas »
(Legrand, 2006 : 125). Nous sommes tenté de tirer une
conclusion similaire pour la didactique du français juridique,
qui sera interculturelle, donc herméneutique, ou aura du mal à
atteindre son objectif de mise en relation d’altérités.
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1
Equipe implantée également à l'
Université de Limoges.
174
faciliter leur étude afin de constituer un texte que l' on va plus
tard appeler canonique, que l' on appellerait de nos jours
probablement "standard". Ces textes sont ensuite (ré-
)interprétés au fil du temps pour qu' ils continuent à "faire sens",
et cela est considéré comme une priorité, compte tenu du rôle de
pilier culturel de ce corpus. Il est intéressant de constater que le
« mouseion » conçoit les signes en lien indissociable avec leur
interprétation, ce qui fonde une posture herméneutique. Il faut
sans doute rappeler qu' entre le moment de l' interprétation de ces
textes et les événements qui y sont racontés, s' écoulent près de
mille ans, ce qui permet d' imaginer la part d' altérité à laquelle
doivent se mesurer les interprètes de ces textes.
Cette perspective et cette méthode de travail vont être mises
en oeuvre successivement pour articuler le logos grec et la
tradition hébraïque, puis pour travailler les textes bibliques
(notamment avec les contributions d' Augustin (354 - 430),
considéré comme l' inventeur de l' individualisme occidental et
du contextualisme interprétatif, et de Jérôme (346 – 420),
traducteur de la Bible). Le processus se poursuit pendant le
Moyen Age, puis à la Renaissance, au moment de la Réforme,
pour élaborer les traductions de la Bible en langues vulgaires. A
cette époque, la technicité philologique élaborée notamment à la
faveur de la migration des savants à la chute de Constantinople
est mobilisée par les réformateurs et les contre-réformateurs, et
se voit donc discréditée puisqu' elle produit des interprétations
opposées d' un texte identique. Quelques noms marquants avant
la période moderne : R. Simon (1838 – 1712) puis G.B. Vico
(1688 – 1744) vont animer les débats herméneutiques avant la
période romantique, où cette tradition va être travaillée par
Schleiermacher, puis par Dilthey, qui influence Heidegger, qui
a son tour inspire H.G. Gadamer (1976), P. Ricoeur (voir
bibliographie).
Il est frappant de constater que cette longue tradition a pour
constante le travail de traduction, de médiation entre traditions
culturelles pour les rendre mutuellement intelligibles sans les
réduire les unes aux autres. Ce courant n' est cependant pas sans
perturbations, oscillations, turbulences : des débats, parfois
175
féroces, se nouent autour de questions (tellement familières
dans les perspectives interculturelles contemporaines) telles que
l'
importance à attribuer à la lettre (au signifiant, au corpus), la
délimitation du corpus (où s' arrête-t-il, quels textes, quelles
versions sont pertinentes, quel est le statut de la traduction par
rapport à l'"original", y a-t-il un seul "original", doit-on prendre
en compte les commentateurs comme faisant partie de l’œuvre),
la part du signe dans la signification (quelle place au contexte,
aux commentaires, et si l' essentiel n' était pas dans le signe ?), la
part de la technicité dans le processus d' interprétation, etc.
On pourrait donc facilement argumenter que, sans la coupure
exercée par la période positiviste des sciences humaines, on
n'aurait pas dû réinventer, sous le nom d' « approches
interculturelles » ce qui avait déjà constitué une considérable
tradition intellectuelle de débats sous l' appellation
d'« herméneutique », et se poursuit de nos jours.
L'herméneutique contemporaine
1
Le droit « napoléonien » est un des étendards souvent brandis par les
nationistes opposés à l’approfondissement de l’intégration
européenne : la conjointe défense par l’académicien Maurice Druon
de la place à accorder au sein des institutions à la langue juridique et
au droit français, en constitue un exemple récent (« Druon fait
campagne », Le Point, 22 mars 2007).
180
signification exemplaire de l’herméneutique juridique »
(Gadamer, 1996 : 347-363).
Ces raisons étant explicitées, nous allons voir comment
l’herméneutique aide à penser la rencontre altéritaire dans le
domaine du droit, dans un mouvement de convergence, non
concerté, avec d’autres disciplines du champ des sciences
humaines et sociales. Mais, pour bien saisir la pertinence d’un
tel mouvement, il convient de d’abord revenir sur une des
pierres angulaires de l’herméneutique gadamerienne qu’est
l’idée de précompréhension (Vorverständnis).
1
Dans sa « nouvelle défense » de l’herméneutique gadamerienne,
D.Weberman revient sur la constance de cette accusation (Weberman,
2000 : 62 et suiv.).
182
interculturel devient en quelque sorte le « révélateur »
du processus herméneutique en ce qu’il « excite » le
préjugé (pour reprendre le verbe utilisé par Gadamer).
2) l’examen critique des préjugés : une fois
« excités », « conscientisés », « mis sur la table », les
préjugés peuvent être soumis à un examen critique.
Plutôt que de chercher à occulter ses préjugés par
l’exercice de la raison critique (idéal de Lumières,
repris par la raison scientiste), l’herméneutique
gadamerienne propose de les mettre au centre du
processus dialogique de la compréhension.
Dès lors, on comprend aisément la productivité d’une telle
perspective pour (re)penser l’interculturel (et l’éducation : mais
toute éducation n’est-elle pas interculturelle ?). Certains
chercheurs ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : des recherches
sur l’interculturel dans les domaines de l’anthropologie, de la
didactique des langues-cultures, des sciences de l’éducation et
du droit fondent leur démarche sur l’herméneutique.
1
Le contexte des propositions de D. Simard est celui de la réforme du
système éducatif québécois amorcée dans les années 1990 (Simard,
2000 et 2002).
184
une ouverture à l’altérité, au texte à interpréter ou à l’autre qui peut
toujours m’apprendre quelque chose » (Simard, 2002 : 65).
La critique de la raison scientiste toute puissante et
l’« ouverture à l’altérité » inhérentes aux herméneutiques
gadamerienne et ricordienne, constituent également les raisons
qui ont inspiré Pierre Legrand dans l’établissement d’une
« comparaison [des droits] comme herméneutique » (Legrand,
1996a : 287).
Conclusion
1
Nous avons présenté ici des travaux qui font explicitement référence
à l’herméneutique dans leur abord de la question interculturelle, mais
d’autres, qui n’y font pas référence pour différentes raisons (traditions
disciplinaires, etc.), nous semblent néanmoins indéniablement s’en
approcher : nous pensons en particulier aux œuvres de J. Demorgon en
sociologie et de P. Legendre en anthropologie/histoire/droit.
2
D’abord discipline « technique » dans les domaines juridique,
religieux et philologique, l’herméneutique ne prend une orientation
philosophique qu’à partir du XIXe siècle. Dans Vérité et Méthode,
Gadamer s’inspire explicitement de cette herméneutique juridique
originelle pour fonder son herméneutique philosophique (Gadamer,
1996 : 347-363).
3
Juriste et historien du droit à l’origine d’une anthropologie
dogmatique, très « herméneutique », et avec laquelle Martine
Abdallah-Pretceille se reconnaît des liens (Abdallah-Pretceille, 2003).
187
visait à dissuader de l’effort interprétatif, tenu pour illicite, c’est-à-
dire subversif au-delà d’une certaine frontière familière désignée
comme infranchissable » (Legendre, 1974 : 8-9).
Reconnaître sa finitude (« casser le piano ») en faisant
l’ « effort interprétatif » (herméneutique) est justement pour
Gadamer la condition de la rencontre de l’autre :
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Albin Wagener
Entre interculturalité et intraculturalité : pour une redéfinition
du concept de culture…………………………………………29
Damien Le Gal
La dialogicité de la culture : élargissement du paradigme
interculturel et transposition pédagogiques……………..........59
Malika Kebbas
Dimension culturelle/interculturelle et enseignement du français
en Algérie…………………………………………………..…73
Michèle Levacic-Burkhardt
L’agir professionnel, facteur d’insertion et d’appropriation
linguistique…………………………………………………..115
Anne-Sophie Calinon
Objectifs culturels dans les cours de francais : perception et
réception des apprenants immigrants au Québec……………129
Marc Debono
De l’intérêt de l’herméneutique : pour repenser l’interculturel
en classe de français juridique………………………………149