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un discours de la méthode
« Culture et Société »
collection dirigée par
Claude Duchet
Illustration de couverture :
Choque cultural © Remed, for Choque Cultural (www.remed.es). Œuvre
reproduite avec la gracieuse autorisation de l’artiste.
Sous la direction de Marie-Christine Bornes Varol
Culture et Société
Presses Universitaires de Vincennes
I.
INTRODUCTION
INTERDISCIPLINARITÉ
Présentation générale
Le volume qui est ici présenté est, au-delà des dix articles qui composent
les études de cas, une synthèse des résultats obtenus par un groupe de
chercheurs appartenant à différentes disciplines au sein du laboratoire
Langues Musiques Sociétés (UMR 8099 CNRS-Paris V). Les
anthropologues, linguistes, ethnomusicologues, psychanalyste du groupe de
travail intitulé « Processus d’Identification en situation de contact1 » étaient
d’abord pressés de réfléchir ensemble en raison de la complexité des
situations qu’ils rencontraient sur leurs terrains d’études et qui leur posaient
des problèmes de description. Ils souhaitaient savoir comment ces
phénomènes d’interactions de langues, de cultures, de musiques, de plus en
plus fréquents, ces objets scientifiques complexes souvent écartés des
études parce qu’ils mettaient en jeu trop de paramètres, étaient pris en
compte (ou non) par les différentes disciplines, analysés et catégorisés par
elles, afin de mieux les comprendre et de glaner, le cas échéant, des savoirs
et des méthodes utiles à leur traitement. Personne ne souhaitait transiger sur
sa discipline, mais nous partagions le souci de ne pas réduire nos objets
d’étude à de simples cas servant d’illustration à une théorie quelle qu’elle
soit. Une approche interdisciplinaire nous semblait de nature à permettre la
prise en compte de cette complexité.
Notre expérience de travail doit beaucoup au cadre institutionnel du
laboratoire Langues Musiques Sociétés et aux orientations données par son
directeur Frank Alvarez-Pereyre. La description de notre expérience
s’appuie sur sa réflexion dans le cadre de son ouvrage L’Exigence
interdisciplinaire (2003), où il distingue pluridisciplinarité,
interdisciplinarité et transdisciplinarité. Ici, le premier terme concerne
plutôt la juxtaposition des différents regards disciplinaires, le second la
dynamique interactive entre les différentes disciplines, le troisième
l’émergence d’une réelle compétence théorique et méthodologique
interdisciplinaire.
Le fait de travailler en commun supposait la reconnaissance par les uns
des compétences des autres. Le fait de raisonner sur des terrains et des cas
qui nous étaient étrangers supposait non seulement le respect préalable pour
le travail des spécialistes, mais aussi la confiance dans la rigueur de leurs
démarches2. Comme la suite le montrera, ce n’est une évidence que dans le
principe.
Nous partions donc, a priori, du principe de la pertinence et de la
cohérence des observations faites par chacun des spécialistes sur le cas
particulier qu’il étudiait sur son terrain. En focalisant sur les processus
d’identification en œuvre dans les situations de contact, communs à tous ces
spécialistes, il devait être possible de mettre ces cohérences en
concordance, à un niveau supérieur, interdisciplinaire.
Si toutes les disciplines n’étaient pas aussi théoriquement démunies les
unes que les autres face aux problèmes de contact, elles avaient toutes des
difficultés de description fine des phénomènes complexes, des problèmes
pour intégrer différents niveaux d’analyse pour un même objet et pour
catégoriser les phénomènes observés. Elles partageaient le même
questionnement méthodologique par rapport aux descriptions en synchronie
de phénomènes interagissant en diachronie, et les difficultés pour rendre
compte par des descriptions forcément statiques (en un moment T) de
situations dynamiques.
L’une des questions partagées était : si l’on doit tenir compte dans la
description d’une culture des interférences dues à d’autres cultures,
comment le fait-on et jusqu’à quel point ?
Ainsi, pendant les six années de rencontres de travail, une vingtaine de
contributeurs stables (pour la plupart)3 ou occasionnels4 ont participé à cette
recherche.
Nous avons procédé à partir d’études de cas dont une dizaine sont réunies
dans cet ouvrage : les situations de multilinguisme complexe de part et
d’autre de la frontière entre le Mexique et les États-Unis, de nombreux
processus d’emprunts linguistiques faits par les Judéo-Espagnols d’Istanbul
au turc dans une situation multilingue, les interférences des systèmes
linguistiques chinois sur le français d’apprenants sinophones dans des
classes associatives à Paris, la notion de nkukuma avant et après la
colonisation allemande chez les Beti du Cameroun, la pathologie
d’identification d’un enfant de migrants dans un institut médico-éducatif de
la région parisienne, l’emprunt d’un rituel de circoncision par les Baka du
Cameroun, les rapports sociaux et les renégociations identitaires des
catégories serviles haalpulaaren en Mauritanie, l’évolution de l’ensemble du
répertoire musical des Maalé d’Éthiopie, l’évolution du sens du terme
criollo en Amérique latine avant et après les indépendances, le répertoire
dansé des Yéménites israéliens et son insertion dans un folklore national.
Toutes ces situations n’avaient en commun que la complexité, la variation,
la relativité et l’instabilité.
Ce qui frappera d’emblée est, outre la variation disciplinaire et la
diversité des approches à l’intérieur de chaque discipline, l’absence de
terrain d’étude commun (en termes d’aires géographiques), la diversité des
objets étudiés (un groupe social, une fonction, un rituel, une pathologie
individuelle, un système graphique, une petite unité linguistique, un
ensemble de musiques, un répertoire dansé…). On notera la différence
d’échelle des observations qui vont, en nombre, d’un individu à un groupe
puis à une société tout entière, et en temps : d’une cinquantaine d’années
(Fürniss) à un siècle (Laburthe-Tolra), voire à quatre (Cuche). Certains
assistent à la naissance du phénomène causé par un événement historique
récent : S. Fürniss, par exemple, recueille le témoignage de la décision du
père du circonciseur d’enseigner aux gens de son village un rituel observé
auprès de voisins, et assiste à son enracinement dans le système rituel baka.
L’émigration massive des Juifs du Yémen en Israël fait émerger le
phénomène décrit par M.-P. Gibert. H. Ferran constate sur son terrain les
modifications entraînées dans le sud de l’Éthiopie par l’arrivée des
missionnaires protestants. O. Leservoisier montre la négociation
interindividuelle de l’identification en situant son observation au moment
du conflit. Enfin, la nature des contacts varie énormément : de contacts
internes au sein d’une société à des migrations individuelles ou collectives,
voire à des diasporas.
Cette hétérogénéité maximale, au-delà des difficultés réelles qu’elle
représentait, s’est révélée être un atout théorique important en ce qu’elle a
polarisé notre attention sur les méthodologies et les problèmes théoriques et
a porté d’emblée le débat à un niveau interdisciplinaire qui a fait de notre
groupe lui-même un laboratoire pour l’étude des « Processus
d’identification en situation de contact ». Ainsi, le fonctionnement de notre
groupe se révèle-t-il comme la onzième étude de cas exposée dans cet
ouvrage.
Si l’identification de la situation de contact était à la base de notre
rassemblement, le premier problème interdisciplinaire auquel nous avons
été confrontés a été celui de la polysémie du terme « identité » ou
« identification » qui faisait partie de notre énoncé5. Nous avons dû
repenser la notion en fonction de ses deux acceptions principales qui étaient
diversement prises en compte par les différentes disciplines :
1. la reconnaissance d’une identité entre deux objets ou d’une
équivalence entre objets,
2. le positionnement d’un sujet ou d’un groupe par rapport à un autre.
Dans les sciences mathématiques « identité » ou « identification »
suppose la découverte d’une égalité ou d’une équivalence totale et porte sur
des objets, tandis que dans les sciences humaines identification renvoie
plutôt à la notion de sujet. L’identité est définie en anthropologie par
rapport à la culture comme « l’ensemble des répertoires d’action, de langue,
de culture qui permettent à une personne de reconnaître son appartenance à
un certain groupe social et de s’identifier à lui » (Warnier 1999 : 9-10) et en
relation avec des valeurs communes qui échappent à tout échange et à tout
commerce (Godelier 1996). Certains contributeurs prennent en compte les
deux significations : M-C. Bornes Varol parle d’identité formelle entre un
morphème et un autre et d’identité subjective d’une communauté à travers
sa langue ; les ethnomusicologues du groupe identifient des répertoires, des
pièces, au sens de repérage des unités. L’étendue des cas étudiés va donc de
l’identification, faite par le chercheur, d’un objet à un autre à l’identification
de soi par soi. L’ambiguïté n’est que relative dès lors que l’on considère
qu’il ne peut y avoir d’identité de soi (et donc d’identification) sans Autre et
que l’identification ne peut pas être absolue. L’identité est un moment
artificiellement isolé dans un continuum identificatoire qui consiste en
l’identification permanente des convergences (équivalences) et des
divergences de soi et des autres et le traitement dynamique subjectif et
collectif de ces phénomènes. Le psychanalyste Z. Strougo a défini
l’identification comme un processus permanent de construction de soi,
l’anthropologue O. Leservoisier a montré que les identifications étaient
réversibles.
Pour cette raison, le terme « identité » doit être entendu comme
« identification » ou « suite d’identifications ». On trouvera donc également
le terme d’« identifications plurielles » (c’est-à-dire à des niveaux
différents), et le terme de « contre-identification » (repérage de l’altérité de
l’autre et refus). On parlera également d’« identifications contradictoires »,
pour traiter des contradictions en matière d’identification interne au groupe
(chacun s’identifiant différemment) ou externe au groupe (lorsque les
identifications proposées ne sont pas prises en compte et que le projet
identificatoire échoue).
La terminologie commune
Un certain nombre de notions sont ordinairement utilisées par toutes les
sciences humaines et souffrent d’une polysémie gênante (Alvarez-Pereyre
2003 : 15). On a évoqué plus haut l’exemple du terme « identité », celui de
« culture » a donné lieu aux mêmes difficultés. Au-delà des savoirs
partagés, les anthropologues ont dû expliciter la signification qu’avait
exactement pour eux le terme « acculturation », à savoir : ‘tout type
d’interférence entre deux cultures’, l’usage qui en est fait dans d’autres
études de sciences humaines renvoyant parfois de manière très ambiguë à
l’élimination d’une culture par une autre. Le psychanalyste a entrepris
d’élucider les relations spécifiques théorisées par la psychanalyse entre les
notions de « sujet » et d’« objet » que les autres disciplines utilisent de
manière non marquée, dans un sens très général. Certains termes sont très
investis par une discipline tandis que leur banalisation dans les usages
courants les vide de leur sens, ce qui engendre nombre de malentendus.
Ainsi a-t-on achoppé plusieurs fois (entre psychanalyse et linguistique) sur
les termes de « sens » ou de « signification ». Là où les linguistes parlaient
indifféremment du « sens du signe » ou de sa « signification » pour parler
en fait plus exactement du « signifié d’un signe linguistique » (i.e. : ‘la face
du signe qui est dotée d’un sens’), les autres disciplines s’en tenaient à la
définition de la « signification » comme ‘sens d’un mot’. Les différences de
niveaux d’analyse envisagés par les uns et par les autres perturbaient
fortement la communication : au lieu de nous concentrer sur la théorie
émise, nous focalisions sur une utilisation, ressentie comme erronée, d’un
mot. Les autres disciplines ont à nouveau soupçonné les linguistes de
limiter la question du sens au seul langage, malentendu que la définition du
« phonème » (i.e. ‘la plus petite unité dépourvue de sens’) ne faisait que
conforter. C’est l’avancée des discussions autour des articles qui a permis
de lever bien des malentendus. Les précisions qu’A. Bergère était, pour son
analyse, tenue d’apporter, montraient que le « sens », en phonétique comme
en graphie, ne se limitait pas à la « signification ». M. López Izquierdo et
M.-C. Bornes Varol mettaient en avant le fait que le « signifiant » (par
définition dépourvu de sens), voire un simple phonème composant ce
signifiant, pouvait avoir une valeur symbolique (jouant un rôle dans le
système linguistique), c’est-à-dire ce que les autres appelaient un sens. Les
reformulations ont permis d’identifier les causes de la rupture. Pour les
linguistes comme pour les autres, la question du sens excède largement le
cadre du langage. Pour Z. Strougo, le langage comme la musique sont un
travail sur le sens. Pour les anthropologues – et a fortiori ceux de notre
laboratoire qui participaient au groupe de travail « Matière à penser »10 – le
sens existe en dehors du langage. Pour les linguistes, les mots ont un sens et
pour les musicologues, les signes musicaux n’ont pas de sens sémantique,
mais ont un sens symbolique : une formule rythmique « signifie » un
événement auquel elle est associée, on parle de « signifiant » sonore d’un
événement social, mais le sens symbolique va bien au-delà.
Le terme « sens » a donc été gardé pour l’abstraction, la plus large et
générale possible. Le sens peut être véhiculé par un rituel, une danse, un
mot, un geste… en œuvre dans « la mise en sens » d’un élément ou d’un
ensemble…. La « signification » a été utilisée pour des données plus
contingentes, particulières ou contextualisées, comme le sens d’un mot ou
d’un rituel spécifique. L’usage de « signifié » a été conservé dans le seul
cadre linguistique en liaison avec le « signifiant ». Bien entendu, au-delà de
l’accord sur la terminologie, l’accord sur la question du sens dans les
différentes disciplines a permis aux linguistes de se laver du soupçon
d’impérialisme disciplinaire. Un tel soupçon était nourri, comme on l’a vu,
tant par le poids théorique de cette discipline dans le courant structuraliste
de l’anthropologie que par les discours de certains théoriciens du langage,
confondant langage et pensée. Selon ces derniers, seule l’étude du langage
(et des langues) permettrait l’accès au sens. Faire sauter ce verrou
idéologique était dans notre situation de contact spécifique particulièrement
important.
La validation interdisciplinaire
La rencontre de phénomènes semblables ou comparables d’un champ
disciplinaire à un autre constitue une validation pour les résultats de la
recherche. Pour reprendre l’exemple précédent, certains sons présents dans
des termes empruntés sont considérés comme sons étrangers. Bien que ne
faisant pas partie du système phonologique de la langue ils sont nécessaires
à sa description. De la même façon S. Fürniss rencontre des expressions
musicales rituellement intégrées, mais non-intégrées musicalement,
considérées comme « étrangères », mais nécessaires à une description
complète du système musical. À partir de cette réflexion est né le
questionnement sur la description du système phonologique ou musical
d’une langue ou d’une musique en un temps T, et sa qualification (le cas
échéant) comme intersystème : « interlangue », « intermusique »,
« interculture ». C’est le psychanalyste qui a perçu la prise en compte de la
subjectivité dans l’étude de cas linguistique, alors que le linguiste ne la
percevait pas forcément comme telle, intégrant naturellement les paramètres
subjectifs à son étude comme faisant de la prose sans le savoir. D’implicite,
cette pratique est alors devenue explicite pour le linguiste.
La réflexion interdisciplinaire a rendu les chercheurs vigilants quant aux
données issues de leur terrain, celles qu’ils n’étaient pas habitués à prendre
en compte, et celles qu’ils ne traitaient pas directement, mais qu’il leur
semblait intéressant de soumettre aux autres disciplines.
Parmi les premières on notera comme exemple que l’analyse du
processus d’évolution des systèmes rituel et musical bakas a obligé
S. Fürniss à prendre en compte l’individu-musicien et sa part d’influence
dans la modification des pratiques collectives.
À propos des secondes, on remarquera que certains phénomènes dont une
discipline (ou une étude disciplinaire) ne sait pas quoi faire parce qu’ils sont
hors de son champ d’analyse, mais que, paradoxalement, l’observation et
l’analyse de terrain ont mis en évidence, peuvent se révéler d’un grand
intérêt pour une autre discipline (ou un autre terrain) : ainsi en va-t-il par
exemple pour le psychanalyste des « hallucinations auditives » des
apprenants chinois mises en évidence par A. Bergère (le « phonème
fantôme » dans son article). La différenciation opérée par l’étude de cette
dernière entre les processus de reconnaissance phonique et les processus en
jeu dans le graphisme éclaire pour M.-C. Bornes Varol certains problèmes
de graphie en jeu sur son terrain. Le métasystème graphique élaboré par les
Judéo-Espagnols, en effet, ne correspond pas exactement à leur
métasystème phonologique (Neuman 2006)14.
1. C’est-à-dire A. Bergère, M.-C. Bornes Varol, H. Ferran, S. Fürniss, M.-P. Gibert, P. Laburthe-
Tolra, O. Leservoisier, M. López Izquierdo, Z. Strougo, qui ont participé à la construction de cet
ouvrage.
2. Nous ne pouvons que souscrire à l’opinion exprimée par Vinck (2000 : 104) : « Le succès de la
recherche ou de projets interdisciplinaires dépend autant de la “synchronisation” des humeurs et des
affinités sociales que de celle des concepts et des modèles (Wohl R., « Some observations on the
social organization of interdiciplinary social science research », in Social Forces, n°33 [1955] : 374-
383) ; la construction de la confiance, de la convivialité et du respect mutuels sont si importants que
nous sommes tentés de les mettre avant tout cadrage épistémologique et institutionnel. Ils facilitent le
dialogue et le désir d’apprendre à mieux se connaître mutuellement. La confiance et l’affinité influent
sur la capacité à construire un consensus sur des objectifs ou sur des mécanismes de régulation. »
3. Il s’agit ici de Francis Affergan, Pascal Bacuez, Guillaume Berland, Denys Cuche, Nathalie
Fernando, Sylvie Le Bomin, Jean-François Macé, Fabrice Marandola, Vanessa Pfister, Magali de
Ruyter, qui ont participé à nombre de réunions du groupe et soumis leurs situations de terrain à la
réflexion collective.
4. Jean-Marie Essono, Gabriel Ménendez, Yishaï Neuman, Emmanuelle Olivier, Denis-Constant
Martin nous ont, par exemple, présenté leurs travaux lors d’une conférence et ont débattu avec le
groupe.
5. Cf. Handler (1996) et l’article de Brubaker (2001) intitulé « Au-delà de l’identité ».
6. Pour reprendre la traduction de l’anglais « hyphen disciplines » utilisée par notre collègue Takuya
Nishimura.
7. Sur la distinction entre pluridisciplinarité et interdisciplinarité et leurs implications respectives cf.
supra (Alvarez-Pereyre 2003).
8. Cette démarche a abouti, à leur demande, à la création au sein du laboratoire d’un nouvel axe de
recherche, disciplinaire, réunissant les linguistes.
9. Dans l’article commun qu’ils ont écrit pour le volume Catégories et catégorisation (Arom,
Fernando, Fürniss, Le Bomin, Marandola et Molino 2009).
10. Dirigé par J.-P. Warnier.
11. Notamment en raison du fait que dans la littérature anthropologique la notion d’« emprunt » peut
supposer une hiérarchisation en termes de valeurs, les cultures qui « empruntent » étant alors
considérées comme inférieures par rapport aux cultures « prêteuses ». Cette connotation n’apparaît
pas dans les autres disciplines.
12. Un volume (où l’on trouve les contributions de la plupart des auteurs du présent ouvrage) a paru,
sous la direction de F. Alvarez-Pereyre (2009).
13. C’est cette prise de conscience qui a permis aux linguistes d’envisager leur participation à un
autre groupe de travail du laboratoire « pratiques corporelles » auquel participaient par ailleurs trois
des auteurs de cet ouvrage (M.-P. Gibert, S. Fürniss et Z. Strougo).
14. Alors que dans le métasystème phonologique l’opposition entre/d/et/ð/ fricatif n’a pas de
pertinence en judéo-espagnol dont le système phonologique suit plutôt celui du turc, le système
graphique tend à les distinguer, reprenant par là un trait phonétique marqué par un signe diacritique
dans le système graphique hébraïque. /d/ et /ð/ s’opposent en arabe (ancienne langue de contact),
mais également en grec moderne et cette opposition est graphiquement marquée (par un signe
diacritique sur le d en arabe et dans sa transcription hébraïque, respectivement par ντ et δ en grec
moderne). Les règles graphiques du judéo-espagnol restent celles de l’hébreu même lorsqu’il est écrit
en caractères latins.
15. La question apparaît directement posée dans un de nos comptes rendus en ces termes : « Nous
percevons des transversalités, mais ces transversalités sont-elles formulables en d’autres termes que
des récits d’impressions ? ».
16. Bien souvent l’adjectif « scolaire » est apparu dans ces phases de description laborieuses.
17. Ici au sens d’équivalence.
18. L’article, intitulé « Principe de coupure, acculturation formelle et faux-self » a fait l’objet d’une
publication dans la revue Migrations – Santé (Strougo 2006).
19. Dans le cadre de Homo Legens, Projet International d’Études Avancées de la Maison des
Sciences de l’Homme & Columbia University at Reid Hall, sous la direction de Svetlana
Loutchitskaya.
20. D. Vinck (2000 : 209) arrive à la même conclusion, il conseille en effet de « préférer le détour par
le terrain au savoir pur ».
LES TRADITIONS D’ÉTUDES
DU CONTACT : ÉCHANGES THÉORIQUES
ET MÉTHODOLOGIQUES
3. En ethnomusicologie
En ethnomusicologie, les notions « identification », « identité » et
« contact » ne sont pas théorisées en tant que telles. Alors que le concept
d’identification n’est pas utilisé, celui d’identité transparaît directement ou
indirectement dans tout travail sur « la musique des X ». C’est l’approche
fondatrice de l’ethnomusicologie, appliquée, encore aujourd’hui, autant à la
pratique musicale ou à sa signification symbolique qu’au langage musical
d’une culture donnée. Elle s’appuie largement sur les utilisations qu’en fait
l’anthropologie1. Le concept de contact y apparaît parfois en creux, par
l’exclusion de ce qui viendrait expressément de l’extérieur de la culture
musicale étudiée2.
Un courant plus récent centré autour de la notion d’identité – présidé
principalement par des études américaines – s’oriente vers l’étude du
métissage, du syncrétisme et de la globalisation. Ces études partent du
constat que le contact infléchit fortement les (ou une des) cultures se
rencontrant, ou qu’il est à l’origine de l’émergence de nouvelles pratiques
musicales. Dans la grande majorité des cas, il s’agit d’études sur des
musiques urbaines, caractérisées par la rencontre – due au partage d’un
espace de vie commun – de différentes cultures et de strates sociales. Tout
comme certaines études en psychologie de la musique à propos des
préférences musicales dans les pays industrialisés (Macdonald, Hargreaves
& Miell 2002), ce courant ethnomusicologique se situe du côté de la
sociologie de la musique, comme le montrent les travaux de D.-C. Martin
sur le métissage (1992, 2002)3.
La prise en compte par les scientifiques des « musiques populaires »,
voire des « musiques noires », introduit implicitement l’enjeu de l’identité
et de l’identification. Les études questionnent des identités locales ou
nationales, voire socio-culturelles/raciales, par exemple « arabe » ou
« noire » (Rahier 1999). Dans ce contexte, on constate un certain malaise
face au terme d’identité : « ceux qui l’utilisent encore paraissent naïfs ou
dépassés » (Stokes 2004 : 371). De par sa sémantique, il inclurait, de façon
sous-jacente, l’opposition entre « eux » et « nous » qui le rapproche des
notions – récusées, car postcoloniales – de race et d’ethnicité4.
Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle que le terme « identité » fait sa première
apparition dans un ouvrage à visée théorique (Stokes 1997), toujours
appliqué au contexte de mondialisation et à la rencontre, dans les pays
industrialisés, de cultures issues d’ailleurs. La production scientifique dans
ce domaine est prolifique et concerne essentiellement la symbolique
associée à la pratique de la musique et à son contexte de production. Plus
rares sont les travaux analysant la musique elle-même et interrogeant les
mécanismes musicaux de métissage (Lundberg, Malm & Ronström 2003 ;
Arom & Martin 2006).
Un autre courant de l’ethnomusicologie, moins marqué par la sociologie,
concerne la folklorisation, c’est-à-dire le figement d’une tradition musicale
– réelle ou supposée – dans le but d’une représentation « officielle » de la
culture. Elle est alors sortie de son contexte initial de production et participe
du vaste complexe de la patrimonialisation (Charles-Dominique 2007). De
par ses pratiques et les transformations qu’elle connaît, ce type d’activité
musicale est à rapprocher de l’invention de la tradition (Hobsbawm &
Ranger 1983).
Ce n’est que dans les dernières années que le contact en tant que plate-
forme d’échange a été abordé dans un contexte rural comme un phénomène
non pas lié à la modernisation, voire à la globalisation, mais intrinsèque aux
dynamiques des rencontres de cultures dans des régions éloignées des
grands centres urbains (Arom & Fernando 2002 ; Olivier 2004 ; Le Bomin
& Bikoma 2005). Dans le domaine français et particulièrement dans
l’ethnomusicologie pratiquée au sein de notre laboratoire, ce type d’étude
gagne en importance en ce qu’elle relie les procédés d’identification à
l’analyse formelle du langage musical qui en est le support.
4. Pour la psychanalyse
La psychanalyse a pour sa part théorisé l’identification comme processus
permanent de construction de soi dans la relation à l’Autre et aux Autres.
Elle apporte l’idée fondamentale pour elle qu’il n’y a pas d’identification
sans contact. Elle catégorise des modes d’identification du sujet, d’abord
considérés comme pathologiques : hystérique, narcissique, mélancolique…
Elle ne parle pas d’identités, mais d’identification et s’attache plutôt à en
décrire les processus et à en étudier les pathologies. Pour cette raison, elle a
longtemps ignoré le terme d’identité. C’est après les années soixante,
lorsque la psychanalyse a identifié la montée en puissance de nouvelles
pathologies (états border-line, dysharmonies d’évolution, pathologies du
narcissisme…), qu’elle s’est tournée vers l’étude de la construction de
l’identité. Certains psychanalystes ont commencé à développer des concepts
définissant plus finement l’identité à travers le « self » (Winnicott 1999), le
« Moi-peau » et la théorie des « enveloppes » (Anzieu 1994), le « Soi » de
Kohut (1974). Il ne peut y avoir de développement du Moi et d’existence
sociale que si, en amont, l’identité subjective est construite. L’idée
essentielle est que le devenir social et culturel d’un individu présuppose
l’établissement de l’identité : on ne peut procéder à des identifications
saines qu’à partir du moment où le sentiment d’identité est établi.
La psychanalyse s’est implicitement intéressée au rôle de la culture dans
la construction identitaire. Celle-ci est présente à travers les parents qui la
véhiculent, à travers les valeurs qu’ils transmettent aux enfants. Cependant,
si la culture est présente, elle n’est pas problématisée en tant que telle. Les
notions d’« inconscient collectif », transindividuel, et de « transmission
d’inconscient à inconscient » ont été travaillées dans une perspective
freudienne, à partir de l’intérêt de la psychanalyse pour les phénomènes de
groupes et institutionnels (Anzieu 1999 ; Kaës 2005 ; Bion 1961, 1974).
Le contact de cultures n’a pas intéressé la psychanalyse en tant que telle.
Cette dimension est prise en compte et développée par les travaux de
G. Devereux, en relation avec le courant anthropologique de R. Bastide, qui
amènent à la fondation de l’ethnopsychiatrie et, plus récemment, avec
T. Nathan, à l’ethnopsychanalyse. La contribution de G. Devereux aide à la
compréhension des processus cognitifs ou mentaux individuels ou
collectifs, conscients ou inconscients. Il examine l’interaction de ces
processus, et montre la conséquence de ces identifications croisées pour
l’élaboration des repères mentaux et de la construction du monde entre
universel et particulier.
Dans son article, Z. Strougo présente le débat qui oppose les
« universalistes » et les « relativistes » représentés par une certaine
ethnopsychiatrie.
Dénomination et catégorisation
Dans les situations de redéfinition identitaire qui mettent en jeu la
tradition vécue et la tradition représentée, ou qui donnent lieu à des luttes de
catégorisation remettant en jeu les liens entre les sujets et le groupe et entre
les groupes entre eux, comme dans l’article d’O. Leservoisier, on voit tout
l’intérêt qu’il y a à bien distinguer les niveaux d’analyse. Les notions
abordées autour de la dénomination (partielle) comme accès à la
catégorisation prouvent la nécessité de bien distinguer dans l’analyse le
niveau du discours de celui de la pratique. Notre attention a souvent été
attirée sur les décalages entre la pratique effective des sujets et les discours
qu’ils tenaient sur cette pratique.
Dans cette étape du travail, la méthodologie mise en œuvre par les
ethnomusicologues du groupe s’est avérée très utile, notamment pour les
linguistes, qui ne savent pas toujours comment intégrer à leur description
les catégories internes à la culture. En effet, si les ethnolinguistes et les
sociolinguistes sont habitués à recueillir les catégories autochtones (quand
elles existent, ce qui n’est pas souvent le cas en linguistique) et les discours
et représentations métalinguistiques, ce n’est pas, chez les linguistes, une
pratique très largement répandue. Quand le discours et la pratique se
contredisent, parce qu’ils sont situés sur des plans de pertinence différents,
leur prise en compte dans l’analyse pose des problèmes difficiles à régler.
En sociolinguistique, par exemple, le décalage entre ce que les locuteurs
pensent ou disent faire et ce qu’ils font effectivement a été fréquemment
relevé (dans les études sur la pratique des langues en famille et en société
par exemple), mais théorisé dans très peu d’études. Pour cette raison nous
nous sommes appuyés sur les travaux de S. Arom (1991, 2002) et des
ethnomusicologues du laboratoire, notamment ceux de S. Fürniss, qui
relèvent ces données et qui les traitent.
L’importance de la dénomination dans la catégorisation des identités en
contact se lit dans les articles d’O. Leservoisier, D. Cuche, M. López
Izquierdo, H. Ferran, P. Laburthe-Tolra et, dans une moindre mesure, dans
la conclusion de l’article de M.-P. Gibert. Cependant, la catégorisation ne
peut s’arrêter à la simple dénomination. Les problèmes de polysémie et de
synonymie se posent en effet en ethnomusicologie comme en linguistique.
Ce point faisant l’objet d’un autre volume interdisciplinaire de notre
laboratoire (Alvarez-Pereyre 2009), nous nous en tiendrons ici aux seules
études de ce volume.
La dénomination est une expression de la catégorisation interne à la
culture. Cependant, si toute dénomination est une forme de catégorisation,
toutes les catégories ne sont pas forcément nommées. Il existe des
catégories implicites. Dans certains cas, il existe des dénominations
concurrentes (quelquefois en conflit). Une même dénomination peut aussi
recouvrir des signifiés opposés en tout ou en partie, comme on le voit dans
les articles de M. López, D. Cuche et O. Leservoisier. Cependant, la co-
construction de l’identité par des groupes différents d’une société donnée
implique que les traits identificatoires soient les mêmes dans deux
catégorisations/ dénominations en conflit, mais avec une valeur symbolique
différente. Elles se recouvrent et elles s’opposent, à des niveaux d’analyse
différents. Il convient de bien distinguer qui produit et qui emploie la
dénomination, dans quel sens, avec quels traits, à propos de qui (ou de
quoi). Une des phases de l’analyse a donc consisté à paramétrer avec soin
nos objets d’étude.
CALQUE
Terme utilisé pour l’emprunt de structures, de signifiés ou de traits
sémantiques, difficilement repérables.
CONTACT
Nous avons pris le terme « contact » au sens le plus large. Il n’y a pas de
conscience d’une spécificité culturelle sans connaissance d’une culture
autre, pas de notion de sujet sans confrontation avec un autre. Le
contact peut être intraculturel ou interculturel. Nos études traitent de
contacts interculturels, que la situation de contact soit actuelle ou
passée. Dans ce dernier cas (qui est notamment celui traité par
O. Leservoisier), il s’agit de contact entre groupes sociaux issus d’une
ancienne situation de contact interculturel.
CULTURE
Les anthropologues nous ont proposé une définition de la culture fondée
sur E. Tylor (1871) : « La culture ou civilisation est cette totalité
complexe qui comprend les connaissances, les croyances, les arts, les
lois, la morale, la coutume, et toute autre capacité ou habitude acquises
par l’homme en tant que membre de la société » (Laburthe-Tolra &
Warnier 1993). C’est ce qui distingue l’acquis de l’inné. Jean-Pierre
Warnier (1999 : 11) la définit comme « la capacité à mettre en œuvre
des références, des schèmes d’action et de communication. C’est un
capital d’habitudes incorporées qui structure les activités de ceux qui le
possèdent ».
EMPRUNT
Nous employons ici le terme d’emprunt au sens générique utilisé par
toutes les disciplines de notre groupe pour désigner tout phénomène de
transfert intersystémique en situation de contact. Dans le cas d’un
contact entre un système A et un système B, emprunt désigne tout
élément pris de B (prêteur) par A (emprunteur). Il s’applique aussi bien
à la reprise par un sujet de A d’un élément produit par un sujet de B,
qu’à un élément du système de A qui procéderait, de manière ancienne,
du système B, en dehors de toute conscience de son origine. Nous avons
repris et transposé d’une discipline à une autre les catégorisations telles
qu’elles ont été établies par la sociolinguistique : alternance codique (cf.
définition), emprunt spontané (personnel et non repris par le groupe),
emprunt balisé (signalé par des guillemets ou des pauses ou
explicitement signalé comme emprunt) ; emprunt intégré (entré dans le
système de A, partagé par le groupe et, le plus souvent, non perçu
comme un emprunt) ; calque (cf. définition).
IDENTITÉ-IDENTIFICATION
Cette notion a fait l’objet d’un développement spécifique dans la
Première partie, chapitre 1, auquel nous renvoyons ici. (cf. également
Introduction, chapitre 2, Contextualisation épistémologique des études,
pour les développements disciplinaires).
INTERFÉRENCE
Les anthropologues donnent au terme « acculturation » la définition :
« tout type d’interférence entre deux cultures » ; nous avons préféré
parler d’emprunt au sens large. Weinreich (1953) préfère parler
d’interférence, plutôt que d’emprunt, dans les situations de bilinguisme,
dans la mesure où tout emprunt entraîne une réorganisation des deux
systèmes en contact. Par la suite, le terme interférence a, en
sociolinguistique, un sens ambigu, quelquefois abstrait et général,
quelquefois matériel et défini. Dans le deuxième cas, nous avons préféré
« emprunt », dans son sens le plus large. Dans notre synthèse,
« interférence » a le sens très général de tout type de contact, qu’il
relève de la simple perception d’une altérité ou qu’il ait une influence
concrète.
PHONÈME
La plus petite unité de langue, dépourvue de sens. Le phonème
appartient à un système abstrait, il est différent du « son »
matériellement perceptible parce qu’il fait partie d’un système abstrait :
le système phonologique d’une langue qui fait qu’à partir d’un nombre
réduit d’unités distinctives on peut constituer et reconnaître tous les
signes d’une langue. Les sons produits par les locuteurs sont marqués
par les variations individuelles ou contextuelles (étudiées par la
phonétique). Le phonème est une abstraction mentale partagée (établie
par la phonologie) qui permet aux locuteurs d’interpréter les signes de
leur langue au-delà des réalisations différentes qu’ils en perçoivent.
Notre travail commun aborde la question du « phone », son pertinent
dans un intersystème ou un mini-système, mais n’ayant pas (ou pas
encore) de pertinence en langue ; il aborde aussi la question du
« phonème fantôme », projection d’une unité pertinente dans une langue
A sur une langue B où elle ne l’est pas, si bien que les locuteurs de A
repèrent et croient entendre une opposition phonétique dans B alors
qu’elle n’existe pas. Enfin A. Bergère parle de « grapho-phonologie-
syllabique ».
SENS
Les linguistes, dans leurs articles, ne distinguent pas toujours le
« signifié » = « face dotée d’un sens » du signe linguistique (notion
abstraite), de la « signification » d’un mot (concrète et contextualisée),
qui concerne le lexique d’une langue. « Signifié », « sens » et
« signification » se trouvent souvent superposés du fait de la nature de
leur objet d’étude. Ils ont conservé dans leurs articles leur terminologie
spécifique. Pour les autres disciplines, le sens excède largement le seul
sens sémantique des signes linguistiques et la signification des mots
d’une langue. Pour le psychanalyste, le langage comme la musique sont
un travail sur le sens. Pour les anthropologues, le sens existe hors du
langage (Warnier 1999b). Pour les ethnomusicologues, les signes
musicaux n’ont pas de sens sémantique, mais ont un sens symbolique
qui va bien au-delà de la « signification » entendue comme la
contextualisation de tel ou tel rituel.
Nous avons préféré le terme « sens » pour l’abstraction, la plus large et
générale possible. Le « sens » peut être véhiculé par un rituel, une
danse, un mot, un geste… en œuvre dans « la mise en sens » d’un
élément ou d’un ensemble…
Le fait qu’un phonème par définition, privé de « sens » (de
« signification » pour les anthropologues et le psychanalyste), puisse
avoir un « sens » symbolique est abordé par deux études linguistiques
de cet ouvrage. Les linguistes préfèrent alors utiliser le terme de
« valeur symbolique ».
Le sens symbolique, en ce qu’il met en corrélation les systèmes
linguistiques, musicaux, rituels, artistiques, est plus que tout autre
sollicité dans les situations de contact. Il y sert notamment de
plateforme pour l’intégration des emprunts.
SIGNIFICATION
Est strictement entendu par les non-linguistes du groupe de recherche
comme « sens d’un mot du lexique ». Les linguistes, pour leur part, ont
tendance à superposer « sens » (sémantique) et « signification »
(lexicale), qui ne s’opposent pas forcément dans leur objet d’étude. Le
terme « signification » a été utilisé, en général dans les articles, pour des
données plus contingentes, particulières ou contextualisées, comme le
sens d’un mot ou d’un rituel particulier.
SIGNIFIÉ
Pour la linguistique (Saussure 1916), le signifié (la face du signe qui est
dotée d’un sens) est indissociable du signifiant (face sonore du signe).
C’est le rapport indissociable du signifiant au signifié qui constitue le
signe linguistique. Les linguistes, dans leurs articles, ne distinguent pas
toujours le « signifié » et le « sens » du signe linguistique (notion
abstraite) de la « signification » d’un mot (concrète et contextualisée),
qui concerne le lexique d’une langue. « Sens » (toujours
« sémantique ») et « signification » se trouvent souvent superposés du
fait de la nature de leur objet d’étude.
SIGNIFIANT
Pour les linguistes, le « signifiant » est la face sonore du « signe »
linguistique indissociable de son « signifié » ou « sens sémantique
abstrait ». Pour les ethnomusicologues de notre groupe, une formule
rythmique « signifie » un événement auquel elle est associée. Utilisant
la notion de signe linguistique, ils parlent alors de « signifiant » sonore
d’un événement social (qui correspondrait ici au signifié). Ils
distinguent donc le « signifié » du signe musical, du « sens », toujours
symbolique, de la musique qui va bien au-delà de la contextualisation
d’un de ses éléments.
Pour les linguistes du laboratoire, le signifiant a une facette acoustique
physiologique et une facette symbolique (qui peuvent se trouver
modifiées de manière indépendante). Il fonctionne sur plusieurs plans :
fonctionnel, social, symbolique.
STRUCTURE
Dans notre groupe, l’ethnomusicologie et la linguistique avaient
absolument besoin de cette notion, alors que son utilité et son contenu
scientifique étaient critiqués par les anthropologues). Issues du
structuralisme, les notions de « structure » et de « système » cristallisent
à la fois le reproche d’une détermination externe à la culture, d’une
approche de type essentialiste et d’une représentation figée, statique,
loin de la dynamique des processus. La mise au point de la structure
d’un système est une part essentielle de l’analyse pour les linguistes et
les ethnomusicologues. Elle ne constitue pas, cependant, une fin en soi,
mais une étape. La co-construction de la notion de « structure » a
amené, dans un premier temps, à définir :
– une « structure profonde », armature, stable bien que flexible, qui
n’est pas forcément verbalisée ou catégorisée par la culture, mais qui est
néanmoins pertinente ;
– une « structure de surface », plus instable et sujette à variation, formée
d’éléments plus disjoints et plus adaptables, plus accessible à la
conscience des locuteurs, verbalisable et parfois verbalisée par la
culture.
Les métaphores de « structure de surface » et « structure profonde » se
sont finalement avérées gênantes en raison de l’usage particulier qui est
fait de ces formulations par la linguistique générative. Nous avons alors
recouru à la métaphore de « structures articulées de plusieurs niveaux »,
plus définies par les articulations mouvantes des unités entre elles que
par la fixité d’une armature. La structure ne peut être appréhendée que
par l’analyse du processus de sa mise en œuvre ; elle évolue ; les
éléments qui la composent peuvent changer, mais, pour certains d’entre
eux, le réseau formé par les liens qu’ils entretiennent reste relativement
stable.
SUJET
Compte tenu de l’importance de la notion de « sujet » pour la théorie
psychanalytique, nous n’avons pas repris l’extension qu’a le terme dans
cette discipline. Nous opposons simplement le « sujet », c’est-à-dire
l’individu considéré dans sa dimension psychique singulière, le sujet
humain pris dans son histoire personnelle, à « l’individu », c’est-à-dire
tout membre d’une collectivité, d’un groupe, d’une culture qui en
actualise les propriétés partagées. Pour une même personne, le terme
« sujet » renvoie à l’individualité et à la singularité, tandis
qu’« individu » renvoie à sa part socialement et culturellement
construite. Le sujet est en jeu dans la production des variables
subjectives, de l’innovation, de la création. L’individu est en jeu dans
l’actualisation des règles sociales, culturelles, du groupe. Selon les
besoins, l’individu sera aussi désigné comme tenant ou usager de la
culture, locuteur d’une langue, membre d’un groupe. Le sujet pourra
être désigné comme acteur, créateur…
SYSTÈME
Les ethnomusicologues et les linguistes du groupe utilisent volontiers le
terme de « structure » qui a donné lieu à des définitions poussées (cf.
supra NOYAU DUR). Les contributeurs ont préféré dans leurs articles le
terme « système », moins marqué et plus souple. Les linguistes parlent
de système linguistique, phonologique, sémantique pour toute
organisation abstraite et mentale des unités de langue. Le terme de
« système » est relié aux notions de « réseaux », de « liens », de
« faisceaux de traits », de « noyau dur ». Les ethnomusicologues parlent
de système musical. Ils ont exposé la façon dont les notions de
« paramètre », « critère » et « traits » intervenaient dans leurs analyses
des systèmes. Le psychanalyste parle de « système identificatoire ». La
notion de système linguistique, culturel, musical, symbolique… comme
ensemble des éléments partagés par un groupe ou une collectivité de
sujets, est utile à la description des contacts « intersystémiques ».
La notion d’interlangue a été théorisée en didactique des langues, la
notion d’interculture a été partiellement traitée par l’anthropologie (cf.
Introduction, chapitre II) et la notion d’intermusique est nouvelle en
ethnomusicologie.
« Intersystèmes ». Si les systèmes et mini-systèmes sont plutôt, dans nos
études, des régularités intra-culturelles, les intersystèmes s’entendront
plutôt dans cet ouvrage comme la régulation des convergences et
divergences entre deux systèmes linguistiques, culturels, musicaux,
symboliques… distincts.
Nos études recourent à la notion de « mini-système » ; comme
M. López Izquierdo le rappelle opportunément dans son article, en
s’appuyant sur A. Meillet (1931) et Y. Malkiel (1994), la variation
individuelle, l’innovation, l’emprunt, créent des « mini-systèmes »
concomitants, parallèles au système général, fonctionnant selon des
principes différents et qui pourraient expliquer les irrégularités
phonétiques, notamment. La création de mini-systèmes qui mettent en
relation des convergences partielles sur la base de traits non-
systémiques et la persistance des liens entre les unités formant ces mini-
systèmes permettent d’éclairer la façon dont se trouvent réactualisés en
synchronie des systèmes qui ont existé en diachronie, et ce après un
temps de latence. En contact intersystémique, les mini-systèmes
marginaux deviennent un recours en cas de divergences systémiques.
« Métasystème » s’entendra comme : ensemble abstrait de régulations
partagées par une collectivité de sujets, leur permettant l’usage conjoint
de deux ou plusieurs systèmes.
TRANSFERT
Employé par les premiers travaux sociolinguistiques sur les contacts de
langues (Weinreich 1953), « transfert » désigne aussi bien un processus
qu’un résultat, comme l’emprunt, par exemple. Parce qu’il suppose une
conscience de celui qui « transfère » un élément de A dans B ou de B
dans A, nous avons quelquefois gardé ce terme pour désigner les
opérations ou les processus d’emprunt. Cependant, la notion de
« transfert » en linguistique (très neutre et générale) est différente de la
notion de « transfert » fortement théorisée (et très spécifique) en
psychanalyse, et le terme a donc été, en général, évité en dehors du
champ de la psychanalyse.
II.
ÉTUDES DE CAS
DE L’IDENTITÉ DANS LA LANGUE
À L’IDENTIFICATION D’ÉQUIVALENCES
INTERLINGUISTIQUES EN SITUATION
DE CONTACT
Les processus et les limites de l’emprunt
en judéo-espagnol (Turquie)
2. L’emprunt morphologique
Pour U. Weinreich (1963 : 8), on peut distinguer entre l’emprunt
immergé, c’est-à-dire intégré à la langue, devenu transparent en tant
qu’emprunt pour les locuteurs (comme ‘redingote’, en français, qui vient de
l’anglais riding coat) et l’emprunt « émergé », ou emprunt non intégré,
reconnaissable comme tel. Une telle distinction n’est pas possible chez les
plurilingues que sont les Judéo-Espagnols d’Istanbul. En effet, ils sont
toujours conscients de l’origine turque d’un emprunt7 et prêts à l’analyser,
avec un taux d’erreur assez faible. Leurs intuitions sont en général tout à
fait fondées même s’ils ne disposent pas toujours du métalangage
nécessaire pour les expliciter en des termes précis ou techniques.
Si l’on peut emprunter des unités de n’importe quel niveau (un phonème,
un son, du lexique, un morphème, un élément de syntaxe, une valeur
sémantique, une valeur modale…), l’emprunt obéit néanmoins à des règles
de convergence, de transposition, d’adaptation, qui supposent la
reconnaissance d’une identité totale ou partielle de comportement
syntaxique, une convergence entre l’élément emprunté et les règles logiques
de la langue d’accueil. Pour qu’il y ait emprunt, il faut qu’il y ait
identification, au sens de la perception d’une équivalence, d’une identité au
moins partielle entre l’élément transféré et un élément aussi abstrait soit-il
de la langue d’accueil. Il faut avant tout qu’il s’insère dans le sens de la
phrase énoncée et qu’il ne fasse pas obstacle à la compréhension. Pour un
item lexical, l’intégration syntaxique dans une langue où la position des
termes donne la fonction constituera un minimum d’adaptation, la
cohérence de l’énoncé étant avant tout sémantique.
L’identité linguistique s’entendra alors comme signe =, ‘identique à’. Les
processus d’identification en situation de contact linguistique analyseront
comment une structure, un élément, un trait, de la langue B est reconnu par
les locuteurs de la langue A comme identique à une structure, un trait, un
élément de la langue A, ou comme compatible avec les structures de même
niveau dans la langue A.
Nous étudierons ici comment se fait le transfert de l’un à l’autre, par quel
processus mental, en général peu apparent et non explicite ; comment
l’étude de la langue peut rendre certaines de ces démarches apparentes.
Nous chercherons ce qui gouverne le choix de cet élément et non d’un
autre, en l’absence, a priori, de considérations ethnologiques, sociologiques
évidentes8 ; nous nous demanderons ce que le choix, le transfert, la nature
de l’adaptation, la réanalyse et l’expansion ou la limitation de l’unité dans
la langue d’accueil nous apprennent des opérations mentales invisibles
auxquelles se livrent les locuteurs en tant que communauté parlante ;
comment fonctionne cette grammaire mentale faite d’approximations, de
liens, de mémoire individuelle et de mémoire collective ; que nous apprend-
elle de la perception que les locuteurs ont de leur langue et de la langue des
autres, des convergences qui les unissent, mais aussi des divergences qui les
séparent et donc des limites aux processus d’identification (le sens
mathématique du terme rejoignant ici son sens large) en situation de
contact. Pour ce faire nous choisirons un emprunt complexe, celui d’un
morphème, catégorie réputée difficilement empruntable parce que très liée à
la syntaxe. La morpho-syntaxe qui gouverne les relations des unités entre
elles à l’intérieur d’une langue est en général considérée comme le noyau
dur du système linguistique.
Tableau récapitulatif
Rentabilité du formant
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1. L’hébreu, ou plutôt l’hébraïco-araméen biblique et michnique, fait aussi partie des langues de
contact du judéo-espagnol, mais en tant que langue sacrée propre aux Juifs ; le français, introduit
comme langue d’enseignement dans les écoles judéo-espagnoles de Turquie vers 1860, est une
langue romane comme le judéo-espagnol.
2. Il s’agit ici de la sélection par les locuteurs de ces critères, tels qu’ils apparaissent dans leurs
discours explicites sur la différence entre les deux langues ; ou dans les histoires drôles à thème
linguistique confrontant un Judéo-Espagnol à un Espagnol lors d’un voyage en Espagne (Varol
1992b) ou dans les imitations qu’ils en font ; ou dans les tentatives d’hispanisation de leurs discours
en situation d’interaction, etc.
3. Il est étonnant que le français, pourtant premier prêteur, ne soit jamais cité.
4. Textes en espagnol, mais écrits en caractères hébreux (aljamiados hebreos) ou en caractères arabes
(aljamiados moriscos), issus de ces communautés d’Espagne médiévale.
5. On se reportera aux catégorisations auxquelles les dénominations donnent accès qui sont traitées
ici-même dans les articles de M. López Izquierdo et D. Cuche. Sur les classifications opérées par la
façon dont les Judéo-Espagnols d’Istanbul s’auto-dénominent et dénominent les autres, voir M.-
C. Bornes Varol (1999).
6. Le français et le judéo-espagnol peuvent utiliser le conditionnel, ‘on l’au- rait tué’, lo matariyan,
mais il s’agit d’une forte mise en doute requérant des précisions du type ‘d’après certaines
sources…’, selon ce que l’on m’a rapporté…’, ‘selon ce que j’ai entendu dire…’, a lo ke me
dicheron…, asigún sentí…, pour rendre un médiatif.
7. Au sens strict du terme emprunt, c’est-à-dire celui d’un signifiant turc plus ou moins intégré au
judéo-espagnol.
8. On peut penser que le résultat linguistique du contact de langues est uniquement déterminé par
l’histoire sociolinguistique des locuteurs et non par la structure de leurs langues comme l’avancent
S. Thomason et T. Kaufman (1988). Mais la motivation de l’emprunt peut être un manque dans la
langue des locuteurs ou un besoin accru d’expressivité qui fait rechercher l’effet intensif d’une
structure empruntée…
9. Son maniement ne demande pas un grand degré de compétence linguistique. Les francophones de
Turquie connaissant (un peu) le turc forment facilement des noms de métiers à partir de termes
français : par exemple, pour ‘marchand de stylos’ le stylodju, ‘marchand de cahiers’ le cahierdji.
10. Il est à noter que les terminaisons en – í accentué existent en espagnol où elles procèdent de
l’arabe. Il existe une classe d’adjectifs de nationalité, marroquí, israelí, bengalí… dérivés des noms
gentilices arabes. Normalement, indique Lapesa (1991 : § 36, 2), -í au singulier et -íes servent pour le
masculin et le féminin (hurí, huríes ‘une houri, des houris’), mais on a des exemples en espagnol
médiéval de féminins en -ía (< de l’arabe -iyya), -ías : doblas d’oro marroquías, ‘des doublons (f)
d’or marocains’ ; dos ollas tortoxías, ‘deux marmites de Tortosa’. Il est intéressant ici de voir que
c’est le féminin d’origine arabe qui est attribué au suffixe terminé en -í accentué.
11. T. yeyi-djí ‘mangeur’ du v. yemek ‘manger’ ; JE kome -dor du v. komer ‘manger’.
12. -(V)dor, (V) désigne la voyelle thématique des trois groupes de conjugaison : a, e, i.
13. Cf. supra note 4.
14. Les noms contenant le formant -tud en espagnol sont des termes savants intro- duits pour la
plupart à partir de la fin du XVe siècle.
15. Pour reprendre la jolie expression inventée pour le judéo-espagnol par A. Münch (1996) à partir
de la poétique de H. Meschonnic.
PROCESSUS D’IDENTIFICATION
DANS L’APPRENTISSAGE
D’UN NOUVEAU SYSTÈME D’ÉCRITURE
Amandine Bergère
Terrain d’étude
L’étude s’est déroulée à Paris, dans des associations qui proposent des
cours de français à des migrants adultes sinophones.
Ces associations offrent généralement trois niveaux, d’environ 70 heures
chacun. Le premier niveau, appelé chūjí (初级), propose une initiation à la
lecture et à l’écriture alphabétiques, aux particularités morphologiques du
français ainsi qu’à quelques compétences de communication de survie.
À l’issue de ce premier niveau, les apprenants devraient maîtriser la
quasi-totalité des compétences écrites nécessaires à l’obtention du Diplôme
Initial en Langue Française, qui correspond au niveau A1.1 du Cadre
Européen Commun de Référence pour les langues (Conseil de la
coopération culturelle 2001). Les compétences orales sont plus développées
aux niveaux intermédiaires et supérieurs, respectivement zhōngjí (中级) et
gāojí (高级), qui amènent à un niveau A1, parfois A2.1.
Nos observations de classes, les entretiens, la passation des
questionnaires et des tests ont été effectués dans les classes de chūjí, où l’on
accompagne les premiers pas des apprenants dans leur apprentissage du
français oral comme du français écrit.
Apprenants : scolarisation antérieure et répertoires
linguistiques
Dans le domaine de la psychologie ou de la psycholinguistique
expérimentales, la question des parcours antérieurs des sujets testés
(répertoires linguistiques et scolarisation) est souvent évoquée de façon
lapidaire. Dans notre cas, l’étude ne se déroulant pas dans des conditions
expérimentales, mais en milieu dit « écologique », la question des acquis
antérieurs des apprenants nous semble fondamentale, puisqu’elle permet de
savoir à partir de quels types de savoirs se construisent les représentations
de l’écriture française.
Les données sociologiques concernant les migrants sinophones en France
sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus précises ; Hommes et
Migrations a consacré le numéro de mars-avril 2005 aux Chinois de
France, tandis que Migrations Société a consacré son numéro de
septembre-octobre 2003 aux Migrations chinoises en Europe. Outre ces
articles, depuis la parution du Que Sais-Je ? de Trolliet sur La Diaspora
chinoise (1994), plusieurs ouvrages documentés traitent du phénomène
migratoire chinois (par ex. Pann 1999 ; Ma Mung 2000).
Cependant, pour ce qui nous intéresse, les études qui rendent compte des
répertoires linguistiques des migrants en France restent insatisfaisantes.
Certains travaux aux données très détaillées (Hassoun & Tan 1986) sont
trop anciens pour prendre en compte des changements récents dans la
migration en provenance de Chine continentale, en particulier l’arrivée des
Chinois du Nord et des mégapoles. D’autres études, plus récentes, se
focalisent sur des populations peu représentées dans les lieux où nous avons
fait nos relevés : la migration de langue chinoise en provenance du Sud-Est
asiatique (Zheng 1995a ; b) ou les adolescents (Saillard & Boutet 2001).
D’autre part, la scolarisation des migrants, du point de vue de sa durée et
surtout du point de vue de ses contenus, ne semble pas avoir fait l’objet
d’une recherche approfondie, même si elle est parfois mentionnée pour
différencier deux types de flux migratoires en provenance de Chine (Levy
2005 : 45 par ex.).
C’est pourquoi nous avons procédé à une enquête par questionnaire1, qui
vient compléter les données recueillies en observation participante au cours
de notre pratique d’enseignement depuis 1999 dans trois associations
différentes, les entretiens personnels avec les apprenants en marge de la
classe et les entretiens avec des enseignants.
Ces données nous ont permis d’arriver à une appréhension relativement
stable de la composition des classes, ainsi que du parcours migratoire et
scolaire des apprenants.
La moyenne d’âge des apprenants en classe de chūjí se situe aux
alentours de 30 ans, il y a à peu près autant de femmes que d’hommes. La
durée de leur séjour en France varie de 1 jour à 16 ans, pour une moyenne
de 5 ans.
Tous sont sinophones, mais on peut cependant distinguer trois grands
groupes (cf. carte page suivante) :
• les Chinois de la province du Zhèjiāng (浙江) (parcours 1 sur la carte) ;
• les Chinois du Nord (Heilongjiang, Jilin, Liaoning, Hebei, Shandong)
et des mégapoles (Beijing, Shanghaï…), tels que définis par Cattelain
et ses collègues (2002) (parcours 2) ;
• et enfin, un troisième groupe, numériquement plus faible, rassemble
des apprenants qui résidaient dans un pays du Sud-Est asiatique avant
leur arrivée en France, mais dont la langue de communication en
famille est une langue régionale chinoise (parcours 3).
Les deux premiers groupes se caractérisent par une trajectoire migratoire
directe de la Chine vers la France, même si quelques-uns ont séjourné
temporairement dans un autre pays européen. La langue première des
Chinois du Zhèjiāng et de certaines mégapoles est une langue de leur région
d’origine (wēnzhōuhuà, shanghaïen etc.), mais ils ont été scolarisés en
chinois standard (appelé communément « mandarin »). Les Chinois du
Nord ne parlent que le chinois standard.
Ce n’est pas le cas des apprenants du troisième groupe, qui se
caractérisent par une trajectoire migratoire plus complexe, incluant des
installations de longue durée dans plusieurs pays du Sud-Est asiatique.
Leurs répertoires linguistiques sont plus variés. Ils maîtrisent à des degrés
divers jusqu’à quatre langues chinoises ainsi qu’une ou plusieurs langues de
la péninsule indochinoise.
Figure 1. Trajets migratoires des populations sinophones implantées en France
Tous sont scolarisés, en moyenne huit ans selon les questionnaires. D’une
manière générale, plus la personne est jeune, plus il y a de chances que sa
scolarité ait été longue. Les quadragénaires et quinquagénaires ont souvent
eu une scolarité plus courte et perturbée par la Révolution Culturelle (1965-
1969). Il est à noter que les plus scolarisés (de 10 à 14 ans) se retrouvent
surtout parmi les apprenants originaires du Nord et des mégapoles, tandis
que les moins scolarisés (de 2 à 5 ans) sont très généralement originaires du
Zhèjiāng.
En classe, on observe des comportements de scripteurs-lecteurs
compétents : les apprenants savent tenir un stylo, ouvrir un cahier ou un
livre dans le bon sens, à la bonne page. Ils sont capables d’identifier des
écrits fonctionnellement différents (facture, lettre, affiche publicitaire, etc.).
Ils recherchent des mots dans leurs dictionnaires bilingues, écrivent les
traductions et organisent leurs notes. Lors de la passation des questionnaires
en chinois, seuls les moins scolarisés ont demandé de l’aide à leurs voisins
pour certaines questions, toutefois ils ont été capables de répondre par écrit
à la question ouverte (您为什么学习法语 ? – Pourquoi apprenez-vous le
français ?) sans aide et de façon appropriée.
Ces apprenants ne sont pas analphabètes, au sens où ils ont été scolarisés
et sont capables de produire un texte simple portant sur des situations de
leur vie quotidienne. Bien plus, la scolarisation chinoise implique
généralement la familiarité avec trois systèmes graphiques différents : les
écoliers apprennent non seulement à lire et à écrire les caractères chinois,
mais également à utiliser la transcription officielle du chinois standard en
lettres latines, le pīnyīn (拼音). Pour ceux qui sont allés au collège, à ces
deux systèmes graphiques vient s’ajouter l’écriture anglaise.
Cependant, on constate que les apprenants des classes associatives se
sont inscrits volontairement à des cours dont une partie des contenus est
proche de ceux proposés par une classe de cours préparatoire en France, car
ils ne maîtrisent pas ou mal le principe alphabétique qui régit l’écriture
française.
Si les apprenants ne connaissaient que le système d’écriture chinois,
personne ne s’étonnerait de cette situation, cette écriture obéissant à des
principes différents de ceux de l’écriture française. Mais le système
scriptural anglais, lui, est proche du français, et le pīnyīn semble, à première
vue, fonctionner comme une transcription alphabétique.
Dans notre étude des processus d’identification mis en jeu dans
l’apprentissage de l’écriture française par des apprenants sinophones, nous
avons donc dû mettre en lumière avec plus de précisions les compétences
qu’ils avaient pu acquérir au cours de leur parcours antérieur.
1. Français
Le système scriptural français se range parmi les systèmes alphabétiques,
que nous définirons ainsi :
– les unités graphiques représentent des unités sonores (et non pas des
unités significatives) ;
– les unités sonores représentées sont des phonèmes (et non pas des
syllabes) ;
– tous les phonèmes sont représentés graphiquement (et non pas, par
exemple, uniquement les consonnes) ;
– les unités graphiques se suivent dans le même ordre que les phonèmes
(si un phonème vient en premier lieu dans le temps, le graphème qui le
représente sera écrit en première place dans l’espace graphique, que ce soit
une consonne ou une voyelle).
En outre, le système français présente deux autres caractéristiques :
1) Les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes ne sont pas
bi-univoques :
• Un même phonème peut être représenté par un ou plusieurs graphèmes,
/i/ par exemple peut s’écrire <i>2 dans midi, <y> dans stylo, <Î> dans
dîner, ou même <ee> dans week-end.
• Plus rarement, une suite de lettres peut représenter un ou plusieurs
phonèmes, <en> par exemple peut se lire /ɛ/̃ dans cent, /ã/ dans
examen ou encore /ɛn/ dans cyclamen.
2) Tout ce qui est prononcé est écrit, mais l’inverse n’est pas vrai : ce qui
est écrit ne se prononce pas toujours. Ainsi, certains graphèmes n’ont-ils
pas de valeur phonique, mais renvoient à un morphème particulier, parfois
encore ils cumulent les deux valeurs :
• Lorsque plusieurs graphèmes sont possibles pour un même phonème,
c’est le graphème permettant de rappeler les séries dérivationnelles qui
est utilisé. Par exemple pour sain, <ain> est utilisé plutôt que <in>,
<im>, <aim>, <ein> ou <eim>, ce qui permet de rappeler le <a> de
santé et sanitaire3. De fait, les 133 graphèmes répertoriés pour
transcrire les 37 phonèmes de la langue française (Catach 2003 : 35)
permettent une différenciation graphique des homophones.
• Certaines lettres ne se prononcent que dans certaines conditions, mais
sont toujours écrites. Par exemple, le <s> de petites /pǝtit - pǝtitz/ ne se
prononce que si le substantif qu’il qualifie commence par une voyelle,
par exemple dans petites économies. Par ailleurs, certaines lettres ne se
prononcent pas, mais donnent un indice des formes dérivées. Par
exemple, le <t> du substantif chocolat laisse présager la forme de
l’adjectif chocolaté. Enfin, plus rarement, certaines lettres ne se
prononcent pas et n’ont pas de lien avec la variation ou la dérivation
morphologique. Toutefois, ces lettres ont pour effet d’accélérer
l’identification visuelle du mot. Par exemple, dans vingt, la lettre <g>
permet de le différencier de vint.
C’est pourquoi, au sein du groupe des écritures alphabétiques, le français
est rangé dans le sous-groupe des écritures alphabétiques profondes (cf. par
ex. Jaffré & Fayol 2005).
On peut distinguer deux grands types de méthodes utilisées pour
enseigner la lecture aux enfants français : les méthodes dites analytiques et
les méthodes dites synthétiques (Campolini et al. 2000).
Dans le premier cas, l’enseignement se focalise d’abord sur les unités
signifiantes (mots, phrases ou récit) pour amener les apprenants à extraire
les unités non-signifiantes du système scriptural : les graphèmes. On parle
également dans ce cas de conception idéographique de l’écriture.
Dans le deuxième cas, l’enseignement se focalise d’abord sur les unités
non-signifiantes (lettres, phonèmes, syllabes) pour amener ensuite les
apprenants à faire du sens dans les textes qu’ils déchiffrent.
Généralement, les approches des enseignants mêlent des méthodes
analytiques et synthétiques, on parle alors de méthode mixte.
Ces deux types de méthodes d’enseignement et d’apprentissage de la
lecture correspondent aux deux voies d’accès au lexique interne identifiées
par les psycholinguistes :
• la voie analytique4, qui passe par une étape de décodage des
correspondances grapho-phonématiques pour accéder ensuite au
signifié,
• la voie globale, appelée également voie directe, puisque l’image
globale du mot est associée directement à son signifié (cf. par ex.
Butterworth 1997).
Un lecteur compétent passe généralement par la voie globale, et non plus
par le déchiffrage, sauf si le mot qu’il rencontre lui est inconnu. Cependant,
la maîtrise de la voie analytique est fondamentale lors des premiers
apprentissages de la lecture alphabétique.
Or, pour être en mesure de repérer les correspondances grapho-
phonématiques, il faut, à l’oral, pouvoir isoler les phonèmes à l’intérieur
des syllabes. Mais ce n’est pas une compétence qui se développe
naturellement ; il apparaît que la conscience phonologique, et, plus
précisément, la capacité à manipuler à l’oral des unités inférieures à la
syllabe, est une compétence à la fois nécessaire pour – et engendrée par –
l’apprentissage de la lecture alphabétique (cf. par ex. Sprenger-Charolles
1996, Chauveau 1993, Gombert 1992).
2. Chinois
De nombreux penseurs occidentaux ont été fascinés par la langue et
l’écriture chinoises, parce qu’elles entretiennent des relations d’une très
grande simplicité. Les unités significatives de la langue chinoise, les
morphèmes, sont invariables et presque toujours monosyllabiques. De plus,
chaque morphème est représenté par un seul caractère. On a donc une
correspondance parfaite entre une unité significative invariable (le
morphème), une unité sonore (la syllabe) et une unité graphique séparée par
des blancs (le caractère chinois).
Paradoxalement, c’est cette pureté des correspondances entre les
différents éléments qui nourrit le débat autour de la qualification et la
classification de l’écriture chinoise dans les différentes typologies :
puisqu’un caractère représente un morphème, Gernet qualifie l’écriture
chinoise d’idéographique (Gernet 1963), tandis que Geoffrey Sampson
préfère utiliser le terme de logographique (Sampson 1985). Mais un
caractère représente également une syllabe, on peut donc considérer
l’écriture chinoise comme une sorte de syllabaire. Cependant, peut-on
véritablement parler de syllabaire quand aucune des syllabes homophones
n’est représentée de la même manière ? C’est pourquoi John DeFrancis
propose le terme de morphosyllabique pour résumer en un mot les deux
particularités de ce système graphique (DeFrancis 1984).
Sans entrer dans un débat autour des différentes dénominations de
l’écriture chinoise, nous proposons de décrire les traits généraux des
éléments avec lesquels les caractères sont construits :
• Les éléments graphiques qui composent les caractères chinois peuvent
être affectés de deux valeurs : une valeur sémantique ou une valeur
phonique, l’une excluant l’autre. La position de l’élément graphique à
l’intérieur du caractère détermine généralement le type de valeur qui
lui sera affecté. Prenons par exemple l’élément <人> : il a pour valeur
phonique {ren} et pour valeur sémantique « personne, personnel,
humain ». Dans le caractère 从 {cóng} « suivre, à partir de », < 人>
redoublé a une valeur sémantique : Deux personnes se suivent5. Dans
le caractère 认 {rèn} « reconnaître », <人> a une valeur phonique.
Un caractère peut contenir plusieurs éléments à valeur sémantique,
comme on l’a vu dans l’exemple ci-dessus.
• Certains caractères sont composés uniquement d’éléments à valeur
sémantique. Par exemple, le caractère 明 {míng} « lumineux » est
composé de 日 à valeur sémantique « soleil » et de 月 « lune ».
• Les valeurs sémantiques des éléments peuvent n’entretenir aucune
relation évidente avec le signifié du morphème. Par exemple, le
caractère 笨 {bèn} « sot, idiot » est composé de 竹 {zhú} « bambou »
et 本 {ben} « racine ». Si 本 est sans conteste un élément à valeur
phonique, la présence de <竹> « bambou » en élément sémantique est
assez difficile à expliquer, du moins d’un point de vue synchronique.
• Un caractère ne peut contenir qu’un seul élément à valeur phonique,
tous les autres éléments ont une valeur sémantique, quel que soit leur
nombre. Ainsi, dans l’exemple ci-dessus, il est exclu que < 竹 >
« bambou » ait une valeur phonique, puisque 本 {ben} « racine »
remplit déjà cette fonction.
• Toutes les valeurs phoniques des éléments sont syllabiques, et jamais
phonématiques.
Dans bien des cas, s’il y a indication phonique, elle est très imprécise,
même si elle est très souvent circonscrite à un nombre limité de possibilités.
Par exemple, le caractère 且 {qiě} a une valeur phonique dans 趄 {qiè}
« incliné », 姐 {jiĕ} « sœur aînée », 租 {zū} « louer », 组 {zŭ} « groupe »,
祖 {zŭ} « ancêtre », 阻 {zŭ} « bloquer » et également dans 助 {zhù}
« aide ».
On le voit, lorsqu’on descend à un niveau inférieur à l’unité graphique
que constitue le caractère chinois, la régularité des correspondances
disparaît pour laisser place à une grande variété. Les unités graphiques
composant les caractères ne fonctionnent pas en système général, mais en
un grand nombre de sous-systèmes locaux6. Parallèlement, contrairement au
système français, les unités phoniques de niveau inférieur à la syllabe ne
sont pas représentées.
Ce type d’organisation pourrait sembler aberrant, et a conduit certains à
prédire la disparition prochaine de l’écriture chinoise. Mais la distinction
graphique maximale qu’on observe dans l’écriture chinoise relève d’un
principe d’économie différent de celui qui prévaut au sein des systèmes
alphabétiques. Comme dans beaucoup d’écritures syllabaires, en chinois,
les formes phonétiquement proches ont tendance à être graphiquement
éloignées, ce qui permet une meilleure distinction graphique des syllabes
homophones et donc, une lecture accélérée.
Pour enseigner la lecture aux enfants chinois, on utilise une méthode que
l’on pourrait qualifier d’analytique, en ce qu’elle se focalise sur le sens.
Cependant, le système scriptural chinois ne permet pas d’opposer, comme
dans les écritures alphabétiques, des méthodes centrées sur le sens à des
méthodes centrées sur le code phonographique. Par ailleurs, les techniques
d’aide à la mémorisation sont bien plus perfectionnées qu’elles ne le sont
dans les méthodes analytiques françaises. En effet, chaque caractère est
abordé selon plusieurs points de vue, graphique et sémantique (Huang
1996) :
– le nombre, l’angle et l’ordre de ses traits ; par exemple < 天 > {tiān}
« ciel, nature » est constitué de quatre traits, deux traits horizontaux, un trait
oblique vers la gauche et un trait oblique vers la droite. On commence par
écrire le trait du haut, puis le second trait horizontal, etc. ;
– la valeur et la position des différents éléments qui le constituent. Par
exemple, < 天 > est composé de l’élément < 大 >, signifiant « grand »,
surmonté d’un trait. Le ciel, c’est « Ce qui se trouve au-dessus d’une
personne de grande taille ». On notera que les petites histoires
mnémotechniques comme celle-ci font partie intégrante de l’enseignement
des caractères chinois. Elles permettent de mémoriser la composition des
caractères, en rassemblant les différents éléments autour d’un récit. Cette
technique tend à re-sémantiser les éléments à valeur phonique ;
– ce qui le différencie des caractères quasi-homographes. Par exemple : <
天> est différent de <大>, il a un trait de plus, il est également différent de
<夫>, où le trait oblique dépasse ;
– les unités de lexique dans lesquelles il est utilisé, par exemple « 天气 »
{tiān qì} « le temps qu’il fait », « 天然 » {tiān rán} « nature, naturel », « 冬
天 » {dōng tiān} « l’hiver », etc. ;
– les homophones avec lequel il ne faut pas le confondre. Par exemple
« 天 » {tiān} « ciel » est différent de « 添 » {tiān} « ajouter ». L’enseignant
propose des phrases ou des unités de lexique à l’oral et demande aux élèves
de déterminer s’il faut utiliser le caractère 天 {tiān} pour écrire ces unités.
Compte tenu des particularités de l’écriture chinoise, il est impossible
pour l’apprenant débutant de connaître la prononciation d’un caractère7, il
est toujours dépendant d’une autorité compétente : l’enseignant, le manuel
ou le dictionnaire. C’est pourquoi, outre ces procédés mnémotechniques, la
répétition tient une très grande place dans l’enseignement et
l’apprentissage. Les écoliers écrivent des lignes de caractères. L’enseignant
écrit les caractères au tableau et fait répéter leur prononciation à de
nombreuses reprises.
Du côté de l’acquisition de la lecture, il apparaît que les compétences de
discrimination visuelle et la conscience morphologique (i.e. savoir isoler un
morphème dans la chaîne orale) sont plus importantes en chinois que dans
les écritures alphabétiques. Parallèlement, les compétences de manipulation
phonématique sont bien moins importantes que la capacité à identifier une
syllabe.
Or, la conscience syllabique semble se développer naturellement
(Cheung, McBride-Chang & Chow 2005), alors qu’on l’a vu, la conscience
phonématique nécessaire à l’apprentissage de la lecture alphabétique est
une compétence qui s’acquiert beaucoup plus difficilement.
En résumé, les systèmes chinois et français se rejoignent dans le fait que
la graphie permet de discriminer visuellement des homophones aux
signifiés différents, ce que Blanche-Benveniste et Chervel appellent
l’écriture du signifié (Blanche-Benveniste & Chervel 1969) ; les deux
écritures instaurent une différenciation visuelle des unités graphiques,
parfois en dehors de tout attachement à la dimension phonique. Elles ont un
même penchant pour les graphies extra-ordinaires, qui ne sont peut-être pas
économiques à écrire8 ou à apprendre, mais qui augmentent la vitesse de
lecture.
En revanche, elles ont fait des choix différents dans le domaine de
l’écriture du signifiant. En chinois, la saisie graphique du flux sonore est
syllabique, avec des indications de prononciation parfois floues, voire
même inexistantes. En français, la graphie représente chaque phonème, un à
un et dans l’ordre de succession de l’oral.
L’identification du phonème à l’oral et sa mise en correspondance avec
une unité graphique est ce qui caractérise le principe alphabétique. Cette
opération n’est pas nécessaire pour l’apprentissage de l’écriture chinoise.
Par contre, elle est nécessaire à la maîtrise du pīnyīn, dont nous allons
maintenant analyser les caractéristiques.
3. Pīnyīn
« L’épellation du chinois » hàny ǔ pīnyīn (汉语拼音), que nous appelons
ici pīnyīn, a été adoptée officiellement en 1958 (Alleton 1978 : 9).
Initialement, cette construction scientifique en caractères latins était
destinée à remplacer l’écriture chinoise. Aujourd’hui, le pīnyīn ne sert pas à
communiquer. Pour l’essentiel, il est l’outil de diffusion de la prononciation
standard des caractères chinois et de l’uniformisation linguistique. À
l’école, il est enseigné dans les premières semaines du primaire, puis
indiqué au-dessus des caractères nouveaux jusqu’à la fin du primaire (Hoa
1978 : 94). La lecture ne se fait pas en pīnyīn, car aucun signifié n’est
affecté aux syllabes transcrites par ce biais.
Dans toutes les langues sinitiques, les positions des phonèmes à
l’intérieur des syllabes sont très contraintes. La structure fondamentale
d’une syllabe comporte trois éléments : une voyelle noyau, à laquelle peut
s’ajouter à gauche une des consonnes du système phonologique, mais une
seule. À droite de la voyelle, ne peut se trouver qu’un nombre limité de
consonnes occlusives. On a donc une structure du type : (Consonne) +
Voyelle + (Consonne occlusive). Dans les deux langues les plus
représentées dans les classes : chinois standard et wēnzhōuhuà, les
consonnes finales ne peuvent être que des nasales /n/ ou /ŋ/. Cette
combinatoire restreinte donne un ensemble – variation tonale non comprise
– d’environ 400 syllabes en chinois standard (pour 8 000 en anglais).
Ce nombre est suffisamment bas pour qu’un apprentissage global des
syllabes représentées par le pīnyīn puisse être envisagé, sans le recours à
l’économie d’une analyse phonématique. Dans le temps limité qui leur est
imparti, les écoliers entraînés à mémoriser globalement les graphies
complexes des caractères chinois font probablement de même pour les
syllabes du pīnyīn.
Nos observations et nos entretiens avec certains apprenants nous laissent
penser que les techniques d’enseignement du pīnyīn ont varié de la méthode
analytique la plus stricte à la méthode synthétique en fonction des
générations, des écoles (ville ou campagne) et des enseignants.
Cela est confirmé par les tests de transcription effectués au cours de la
première séance d’une session de chūjí, où les résultats ont été très
variables. Une partie de la classe, environ les deux tiers, a eu de très
grandes difficultés ou s’est avérée incapable de transcrire en pīnyīn la
totalité des treize caractères proposés.
Dans ces productions, on observe des interférences des langues
premières, par exemple une confusion des deux finales nasales {n} et {ng}
du chinois standard, chez la plupart des sinophones de langue maternelle
wēnzhōu : <mèn> pour {mèng}, etc. Ce type d’erreur n’affecte pas le
principe de la transcription, au contraire, puisque qu’il s’agit bien d’une
notation de la forme sonore.
Mais on trouve également des erreurs qui révèlent une mauvaise maîtrise,
voire une incompréhension du système : des transcriptions très éloignées de
la forme prévue : <ĭn > pour {mèng}, des inversions de lettres : <lèi> pour
{liè} ou encore des omissions : <lo> pour {luò}. On remarque également
un nombre très élevé d’erreurs portant sur les marques tonales, lorsqu’elles
ont été représentées.
Plus révélateur encore, certains ne transcrivent que quelques caractères,
disant « j’ai oublié » pour les autres. Or, ils n’ont pas oublié ces caractères
puisqu’ils sont capables de les prononcer et qu’ils en connaissent le sens, ils
ont oublié comment ils se transcrivent. En d’autres termes, ils ne sont pas
en mesure de passer par les correspondances grapho-phonématiques pour
proposer une transcription, même approximative. Les transcriptions
proposées par ailleurs par ces apprenants peuvent sembler parfaites. Mais
elles sont le produit de la mémorisation d’un ensemble graphique associé à
une syllabe orale sans découpage phonématique, un peu comme si un
Français associait « grande barre verticale, petit rond » à la syllabe /lo/, sans
associer « grande barre verticale » au phonème /l/ et « petit rond » au
phonème /o/.
4. Anglais
L’anglais est enseigné au collège depuis la fin des années 1950 en Chine.
Son écriture appartient sans conteste au groupe des écritures alphabétiques,
mais également, comme le français, à celui des écritures dites profondes et
présente des correspondances moins régulières que dans beaucoup
d’écritures alphabétiques. Les quarante phonèmes environ de l’anglais
seraient représentés par 1 120 différents graphèmes, soit une moyenne de 28
graphèmes par phonème (Nyikos cité par Coulmas 2003).
Ainsi <a> peut se prononcer /eı/ dans cake « gâteau », /ɑː/ dans arm
« bras », /e/ dans many « plusieurs », /ɔ/ dans equality « égalité », /ɔː/ dans
all « tous », /æ/ dans adult « adulte », /i/ dans village « village », /ei/ dans
patient « patient », /ǝ/ dans company « entreprise » ou encore /ø/ dans
distance « distance » (exemples de Coulmas 2003 : 186). Certains
spécialistes comme Sampson (1985) vont d’ailleurs jusqu’à affirmer que
l’orthographe anglaise est une « graphie de mots » au même titre que le
système scriptural chinois.
Outre le fait que seule une partie des apprenants interrogés a appris
l’anglais plus d’un an, les discussions avec eux montrent qu’ils ne
maîtrisent pas du tout cette langue. Il semblerait qu’en Chine, la méthode
globale soit utilisée également pour l’apprentissage de l’anglais au collège.
Les Chinois de trente à quarante ans que nous avons interrogés nous ont
confirmé ne jamais avoir appris la prononciation de graphèmes isolés au
cours de leur apprentissage de l’anglais en Chine, alors que les plus jeunes
semblent y avoir été initiés.
En résumé, le pīnyīn et l’anglais assurent aux apprenants chinois une
bonne maîtrise de la graphie des lettres, en production graphique comme en
discrimination visuelle, mais ne garantissent en rien leur maîtrise du
principe alphabétique9, c’est-à-dire la capacité à mettre en correspondance
des graphèmes et des phonèmes.
Sachant désormais à quel niveau se situent les compétences
indispensables à l’apprentissage de l’écriture du français et quelles
compétences les apprenants chinois peuvent mobiliser, nous pouvons
déterminer comment se font ces apprentissages.
Le rapport au signifié
Un phénomène marquant dans les classes de sinophones et qui constitue
un des sujets d’agacement des enseignants est lié à la prépondérance de la
dimension sémantique sur la dimension phonique. Les apprenants « sont
toujours fourrés dans leurs dictionnaires », « veulent tout traduire », « font
du mot à mot ».
Ainsi, contrairement à d’autres publics confrontés à l’apprentissage de la
lecture et de l’écriture alphabétique (enfants, adultes illettrés ou
analphabètes en langue maternelle), les apprenants scolarisés en Chine ne
doutent pas que l’écriture permette d’accéder à du sens et savent que
chaque unité graphique entourée d’un blanc correspond à un signifié bien
défini. Devant un mot nouveau, ils veulent retrouver les informations
sémantiques et pragmatiques très fournies qui accompagnent
l’apprentissage des caractères chinois.
Nous avons pu observer une formatrice chinoise enseignant le français en
France, qui procédait à la manière chinoise, avec un léger ajustement au
français. Elle désignait un mot français, le traduisait et en donnait la nature
(nom, verbe…), puis l’insérait dans plusieurs phrases en indiquant en
chinois les situations dans lesquelles ces phrases pouvaient être utilisées. Le
moment du découpage phonologique ne venait qu’après, où elle transcrivait
les graphèmes français à l’aide de l’Alphabet Phonétique International. Elle
prononçait ensuite le mot et, en donnant le rythme en claquant des doigts,
incitait la classe à répéter après elle. En dernier lieu, elle désignait chacun
des apprenants pour qu’il lise individuellement et corrigeait les
prononciations déviantes.
Lors de cette observation, un apprenant a proposé une lecture d’un des
mots avant que l’enseignante ne l’ait présenté. Celle-ci l’a – très gentiment
– rabroué, en lui signifiant qu’il ne devait pas lire les mots à voix haute
avant la phase de répétition collective et que son tour viendrait.
Dans toutes les autres classes que nous avons pu observer, l’enseignant
est français et les apprenants se plaignent de la rapidité de l’enseignement
ou de leurs difficultés d’apprentissage. On entend régulièrement « La tête ça
va pas » ou « Moi vieille/vieux », et surtout « jìbuzhù (记不住 – Je n’arrive
pas à mémoriser) », une phrase qui revient comme un leitmotiv.
En effet, lorsque l’enseignant ne le leur propose pas d’emblée, les
apprenants réclament des séances de mémorisation par répétition collective.
Ici, le terme « réclamer » que nous avons fini par choisir ne retranscrit
qu’en partie le mode de négociation adopté : il en décrit l’intensité, mais
pas la nature.
De fait, les apprenants ont recours à des stratégies qui évitent de passer
par la communication méta : ils ne disent pas « Faites-nous répéter », même
lorsque l’enseignant parle chinois ou a pris soin de leur enseigner le terme
en français. En revanche, ils utilisent des modes de communication
analogiques de façon répétée et insistante.
Par exemple, lorsque l’enseignant français demande de lire quelque
chose qu’il n’a pas encore lu à voix haute pour la classe, le premier
apprenant auquel il fait la demande refuse, invoquant la timidité, mais un
deuxième, puis un troisième refusent également. Il arrive parfois qu’un
apprenant dise explicitement « Vous d’abord ». L’enseignant donne alors le
modèle et obtient enfin une « lecture », qui n’est autre qu’une répétition.
S’il demande de lire un autre élément inconnu, la situation se répète,
jusqu’au moment où il renonce à l’idée de faire lire des éléments textuels
inconnus et fait répéter l’ensemble des éléments à toute la classe. Les
apprenants se plient alors volontiers à l’exercice, dans un chœur fluide,
harmonieux et rythmé.
En conséquence de quoi, même s’ils ne l’admettent qu’avec réticence au
cours des entretiens, les enseignants, dans leur grande majorité, ont recours
à la répétition chorale lorsqu’ils enseignent à des classes constituées
exclusivement de sinophones10.
Or, la répétition chorale ne fait pas partie du répertoire usuel des
techniques d’enseignement des Français, surtout s’ils ont été formés dans
des cursus universitaires de français langue étrangère (licence, maîtrise ou
master FLE), où les techniques d’enseignement traditionnelles sont
explicitement déconseillées, voire dénigrées.
L’idée leur vient pourtant, pour une raison simple : les apprenants
répètent spontanément, sans sollicitation, parfois même dans des contextes
pédagogiques où la répétition est exclue. Ainsi, dans un exemple extrême
qui nous a été relaté, l’enseignant s’adresse à un apprenant en lui disant « Je
m’appelle X, et vous ? », l’apprenant réplique « Et vous ? ». L’enseignant
tente alors de reformuler sa question : « Quel est votre nom ? ». Et
l’apprenant de rétorquer « Quel est votre nom ? » et ainsi de suite. Le
passage par l’explicitation de la consigne et par la traduction ne fait pas
sortir l’apprenant et l’enseignant de l’impasse.
Que se passe-t-il lorsque l’enseignant refuse d’adopter la technique de la
répétition chorale ? Une minorité des enseignants rencontrés a résisté à la
pression collective des classes de sinophones, au nom des principes
pédagogiques acquis au cours de leur formation. Ils en gardent un souvenir
cuisant d’atmosphères chargées d’hostilité. L’enseignement en devenait
quasi impossible, car en retour, les apprenants refusaient catégoriquement
de se plier aux techniques d’enseignement proposées par l’enseignant.
Celui-ci ne restait pas longtemps dans les associations chinoises, non
seulement parce qu’il ne trouvait plus de plaisir dans la situation de classe,
mais parce que, suite aux plaintes des apprenants ou à leur défection, il était
remercié par le responsable de l’association.
Dans les cas où l’enseignant accepte d’utiliser la répétition chorale, en
revanche, les apprenants se prêtent plus volontiers aux exercices des
approches communicatives préconisées par les cursus universitaires de
FLE, bien qu’ils n’en perçoivent pas l’utilité au premier abord. Certains
enseignants utilisent d’ailleurs la répétition chorale délibérément, avant ou
après l’introduction d’une nouvelle technique d’enseignement-
apprentissage, afin de renforcer ou de restaurer la confiance de la classe
dans ses capacités d’enseignant.
Il y a dans la répétition chorale un enjeu fort, qui semble dépasser celui
d’une simple technique d’enseignement-apprentissage. Quel est-il ?
On l’a dit précédemment, c’est une technique pédagogique profondément
liée aux caractéristiques de l’écriture chinoise : l’apprenant débutant ne peut
pas connaître la prononciation d’un caractère au travers de l’analyse de ses
composants. La mémorisation par la répétition des signifiés et des
signifiants associés aux caractères est l’unique moyen de se constituer un
stock suffisant de caractères pour savoir lire.
Or, l’ensemble de nos observations nous permet de postuler que les
migrants chinois identifient la situation de classe qu’ils vivent dans les
associations à celle qu’ils ont vécue en Chine. Ils identifient les mots
français aux caractères chinois et s’attendent à les apprendre de la même
manière.
Dès lors, on peut penser que lorsque l’enseignant refuse d’utiliser la
répétition chorale, les apprenants l’interprètent comme un refus de leur
donner l’accès au savoir-lire.
Or, ce qui fait défaut à un lecteur compétent en chinois, sans qu’il le
réalise, c’est la compréhension du rapport qu’entretient l’écriture française
avec les unités sonores de la langue. C’est cet aspect de l’apprentissage que
nous allons aborder maintenant.
Le rapport au signifiant
On trouve dans bien des dictionnaires franco-chinois en version papier11
des tables qui font correspondre des caractères chinois à quelques syllabes
françaises, et dont nous reproduisons un extrait ci-dessous.
Figure 2. Extrait du Tableau de transcription phonétique, Dictionnaire français-chinois
(1978 : 1494)
Nombre de syllabes
1 2 3 4 5 6 7 8 9 10
françaises
Transcription API du
/pu ve vu ã vw a je sɛt lɛ tr pur mwa/
français
Transcription pīnyīn du
{bù wēi wù áng wă ā yē sài te lái te he bù he mù ā}
chinois
Nombre de syllabes 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 1 13 14 15 16
Nous avons mis en rapport le nombre de sons estimé (ici 30) avec le
nombre de phonèmes dictés (ici 31), nous avons également mis en rapport
le nombre de lettres écrites (ici 44) avec le nombre de sons estimé. Le
recoupement de ces trois paramètres pour chaque production a permis de
dégager neuf types distincts :
Type A : le nombre de sons estimé par l’apprenant est supérieur à 31, mais
il y a moins de lettres sur la totalité de la production. Par exemple, pour la
syllabe /ra/, l’apprenant indique 4 sons, mais n’a écrit que 3 lettres : <han>
(Dictée n° 1).
Type B : le nombre de sons estimé par l’apprenant est strictement égal au
nombre de lettres écrites, mais supérieur à 31. Par exemple, pour la syllabe
/rap/, l’apprenant indique 5 sons après avoir écrit 5 lettres : <raBer> (Dictée
n° 1).
Type C : le nombre de sons estimé par l’apprenant est supérieur à 31 et il y
a encore plus de lettres sur la totalité de la production. Par exemple, pour la
syllabe /lars/, l’apprenant indique 5 sons après avoir écrit 6 lettres : <larese>
(Dictée n° 1).
Type D : l’apprenant estime qu’il y a 31 sons et écrit 31 lettres au total. Par
exemple, pour la syllabe /paf/, l’apprenant écrit <baf> et indique 3 sons
(Dictée n° 1).
Type E : l’apprenant estime qu’il y a 31 sons, mais écrit plus de 31 lettres.
Par exemple, pour la syllabe /las/, l’apprenant indique 3 sons après avoir
écrit 5 lettres : <lasse> (Dictée n° 1).
Type F : l’apprenant estime qu’il y a moins de 31 sons et écrit encore moins
de lettres. Ce type de productions n’est pas apparu dans les dictées que nous
présentons ici, mais nous l’avons observé ailleurs13.
Type G : le nombre de sons estimé par l’apprenant est strictement égal au
nombre de lettres écrites, mais inférieur à 31. Par exemple, pour la syllabe
/lars/, l’apprenant écrit 3 lettres <lrs> et indique 3 sons (Dictée n° 1).
Type H : l’apprenant estime qu’il y a moins de 31 sons et écrit plus de
lettres. Par exemple, pour la syllabe /larm/, l’apprenant indique 3 sons après
avoir écrit 6 lettres : <LaRame> (Dictée n° 2).
Type I : l’apprenant n’indique pas combien de sons il entend.
RAPPORT LETTRE-SON
SONS ESTIMÉS
nb lettres < nb sons nb lettres = nb sons nb lettres > nb sons
sons estimés > 31 A /ra/ : <han> 4 B /rap/ : <raBer> 5 C /lars/ : <larese> 5
sons estimés = 31 pas de production D /paf/ : <baf> 3 E /las/ : <lasse> 3
/lam/ : <lm> 2
sons estimés < 31 F et G /lars/ : <Lrs> 3 H /larm/ : <LaRame> 3
/parm/ : <prm> 4
Pas d’estimation I /tap/ : <table>
Identifications d’éléments
Dans les productions, on remarque immédiatement que certaines lettres
sont utilisées avec leurs valeurs en transcription pīnyīn, conséquence
graphique d’identifications phonologiques.
Par exemple, la lettre <h>, qui note /x/, une fricative vélaire en chinois,
est souvent utilisée pour noter /r/, une fricative française d’articulation
proche (uvulaire) [4 productions dans la dictée n° 1 ; 2 productions dans la
dictée n° 2]. Ce type de production est le résultat d’une identification
phonique, (/r/ = /x/) et de l’inclusion, dans le système graphique français, de
valeurs de la transcription pīnyīn.
On constate de la même manière que les phonèmes /p/ et /t/ sont
identifiés à des phonèmes non-aspirés du chinois standard ou de langues
régionales et qu’on trouve souvent des graphies <b> et <d> en lieu et place
de <p> et <t>.
En effet, en français, les séries de phonèmes occlusifs s’opposent par leur
trait de voisement : /p/ et /t/ sans vibration des cordes vocales, s’opposent à
/b/ et /d/ avec vibration des cordes vocales. En chinois standard par contre,
les phonèmes occlusifs s’opposent par un trait d’aspiration : /p/ et /t/ non-
aspirés s’opposent à /p‘/ et /t‘/ aspirés. /p/ peut être réalisé [b], l’essentiel
étant qu’aucune aspiration ne soit perçue.
Le même processus est observé avec les accents : la lettre <a> est
accentuée dans certaines productions, mais on peut penser que la valeur qui
est affectée à l’accent n’est pas l’une de celles qui prévalent en français.
En effet, en français, les accents peuvent avoir deux fonctions différentes.
Dans le premier cas, la présence de l’accent est associée à une différence
phonique. C’est le cas avec la lettre <e>, par exemple de et dé se
prononcent différemment. Dans le second cas, l’accent a uniquement une
fonction de distinction graphique des homophones ; la lettre accentuée ne se
prononce pas différemment de la lettre non-accentuée. Par exemple, ou se
prononce comme où.
Par contre, en pīnyīn, les accents notent une variation tonale : l’accent
plat <ā> indique un ton haut continu, l’accent grave <à> indique un ton
descendant, l’accent aigu <á> indique un ton montant, et enfin, l’accent
creux <ă> indique un ton bas descendant-montant.
Au terme de douze à vingt-quatre heures d’enseignement, les apprenants
qui ont effectué les dictées ont certainement déjà pu observer que le
système scriptural français comportait un bon nombre d’accents, mais n’ont
pas nécessairement compris leurs fonctions, il est assez probable qu’ils
affectent à ces accents la valeur tonale qui prévaut dans le système pīnyīn.
En effet, les apprenants sinophones sont extrêmement sensibles aux
variations mélodiques. Lorsque les enseignants proposent des activités de
discrimination de phonèmes dans des paires minimales, les apprenants
tendent à repérer surtout des variations suprasegmentales.
On peut donc penser que les accents observés dans les dictées
correspondent moins à des marques à fonction de distinction graphique
comme c’est le cas en français, qu’à des marques de modulations tonales
telles qu’elles existent dans le système pīnyīn.
Ce phénomène d’identification interlinguistique portant sur les éléments
constitutifs des syllabes a longuement été étudié, en linguistique
fonctionnelle (Weinreich 1970) comme en linguistique générative (Eckman
1977), aussi ne nous appesantirons-nous pas plus.
1. Productions extrêmes15
Seuls les types de productions D et E ne présentent pas cette
identification des consonnes finales du français à des consonnes initiales du
chinois. Ce sont celles où les apprenants indiquent 31 sons correspondant
aux 31 phonèmes dictés.
Les productions de type D s’apparentent à des transcriptions
phonologiques plus qu’à des écritures en ce sens que les correspondances
entre les lettres et les sons sont bi-univoques : l’apprenant compte 31 sons
et écrit 31 lettres.
Dans les productions de type E, on s’approche d’une écriture comme le
français, où une partie des lettres d’un mot n’a pas de correspondant sonore.
Parmi ces productions, certaines présentent des syllabes qui respectent les
principes orthographiques du français, par exemple/lam/est écrit <lamme>
(Dictée n° 2) comme gamme, tandis que d’autres ne respectent ces règles
que partiellement, par exemple/ral/est écrit <hral> (Dictée n° 2) alors que le
groupe <hr> n’est pas habituel en français.
Pendant la dictée, certains auteurs de productions de type D et E avaient
un regard très complice avec l’enseignant, parce qu’ils identifiaient
immédiatement les inversions et les ajouts de phonèmes de la dictée : /sal/,
/las/, /lars/, /lar/, /ral/, etc. Ils souriaient à chaque nouvelle syllabe, comme à
une blague un peu simpliste.
De fait, les apprenants qui ont produit des productions de type D ou E
sont parfaitement capables d’isoler les phonèmes dans la chaîne orale et de
jouer avec leurs positions. Pour eux, comme pour tout lecteur-scripteur
compétent dans une langue à écriture alphabétique, /ral/ est identique à /lar/,
simplement, les éléments en sont inversés.
Ces productions représentent l’étape ultime du processus qui mène à la
maîtrise du système scriptural français. Inversement, certaines des
productions du type I sont celles qui se rapprochent le plus d’une
identification totale du mot français au caractère chinois.
En effet, pour ces dernières, ce sont moins les structures phonologiques
des langues sources et de la langue cible qui sont en cause, mais plutôt le
rapport qu’entretiennent les unités de l’oral et les unités de l’écrit. Ainsi on
trouve /ral/ écrit <Has>, /lars/ écrit <large>, /tap/ écrit <table> ou encore
/paf/ écrit <bath> (Dictée n° 1).
On peut en dire trois choses. Tout d’abord, on peut raisonnablement
penser que <bath> et <Has> sont des mots anglais, tout comme peuvent
l’être <large> et <table>. L’apprenant semble avoir établi des
correspondances entre le français et l’anglais, où l’anglais fonctionne
comme langue pivot pour apprendre le français.
Ensuite, on peut penser que la dictée de syllabes a été comprise comme
une dictée de mots, puisqu’on a des orthographes normées et aucune
indication de comptage, la consigne semblant perçue comme absurde et/ou
incompréhensible. Cela confirme – à nouveau – que la connaissance de
l’anglais pour les apprenants chinois n’est pas nécessairement un gage de
connaissance du principe alphabétique.
Enfin, il est intéressant de constater que dans ces productions, une partie
de la réalité acoustique est prise en compte. On peut aisément mettre en
parallèle cette manière de considérer les valeurs phoniques de l’écrit avec
ce qui se passe dans l’écriture chinoise : Dans les caractères contenant des
éléments à valeur phonique, celui-ci ne fait que délimiter un champ des
possibles, sans précision phonématique stricte. Il semblerait que dans les
productions dont nous parlons, les valeurs phoniques des graphèmes du
français soient identifiées aux valeurs phoniques des éléments à valeur
phonique des caractères chinois. Autrement dit, leur « prononciation » n’est
pas totalement fixée.
Nous venons d’identifier deux pôles dans le processus d’apprentissage
des apprenants : l’identification totale du mot français à un mot chinois à
une extrémité (type I), le repérage des phonèmes français et leur mise en
correspondance avec des graphèmes à une autre extrémité (types D et E).
Nous allons maintenant dégager les différentes étapes intermédiaires. Les
paramètres que nous avons choisis à fin d’analyse tendent à gommer à la
fois la diversité des propositions individuelles et, au sein des productions,
les différentes hypothèses qui y coexistent, mais c’est un passage obligé. Il
ne s’agit pas de dire que ces étapes sont nécessaires ou qu’elles se
succèdent les unes aux autres, il se pourrait même que certains apprenants
des classes associatives chinoises ne débutent pas toujours par le point
représenté par le type I, et à l’inverse, il arrive malheureusement que
certains ne parviennent pas au point représenté par les types D et E.
Les différents types de productions présentés ici constituent seulement
des étapes possibles, des instantanés de parcours intellectuels toujours
uniques et constamment en évolution.
2. Productions intermédiaires
En dehors des types de productions qui constituent deux pôles de
représentations de l’écriture française, on dégage six types de productions
(A, B, C, F, G et H), qui se subdivisent en deux grands groupes caractérisés
par le mode de comptage adopté. Pour les types A, B et C, les apprenants
indiquent plus de 31 phonèmes, tandis que pour les types F, G et H, ils en
indiquent moins.
Dans le premier groupe (A, B et C), les apprenants adoptent un comptage
à tendance phonématique, ils indiquent tous les sons qu’ils entendent, y
compris les « phonèmes fantômes », ce qui explique qu’ils indiquent plus
de 31 sons.
Dans le second groupe (F, G et H), les apprenants adoptent un mode de
comptage à tendance syllabique, et, bien souvent, le nombre de sons
indiqué par les apprenants se rapproche du nombre de phonèmes
consonantiques dictés (21), ce qui explique qu’ils indiquent moins de
31 sons.
Nous avons déjà mentionné que c’était les apprenants qui persistaient
dans des stratégies de type I qui se trouvaient le plus en difficulté dans les
classes. Il y a également une forte corrélation entre les difficultés
d’apprentissage constatées dans les classes et le mode de comptage adopté
pendant le test : les apprenants qui proposent un comptage à tendance
syllabique (F, G et H) sont plus en difficulté que ceux qui proposent un
comptage à tendance phonématique (A, B et C).
En effet, on peut penser que ceux pour qui « son » signifie « syllabe » (F,
G et H) ont encore des difficultés à isoler les unités sub-syllabiques à l’oral.
Ils ne maîtrisent pas tout à fait la conscience phonologique nécessaire à la
maîtrise du système scriptural français. À l’inverse, ceux qui identifient
plus de « sons » que de phonèmes dictés sont capables de manipuler des
unités sub-syllabiques, y compris les « phonèmes fantômes » qu’ils isolent
et comptabilisent.
Dans ces deux groupes, cependant, deux types peuvent être mis en
parallèle : les types B et G où les apprenants ont compté les lettres qu’ils
avaient écrites au lieu de compter le nombre de sons qu’ils avaient
entendus. Le nombre de lettres est strictement identique au nombre de sons
comptabilisés, sur la totalité de la production de chaque apprenant. Par
exemple, pour le type B, /rap/ est écrit <raBer> et l’apprenant indique 5
sons (Dictée n° 1). Pour le type G, /parf/ est écrit /prf/ et l’apprenant
indique 3 sons (Dictée n° 1).
Ces productions donnent l’impression que les apprenants ont oublié le
processus qui les a conduits à l’écriture des syllabes. Ils écoutent, écrivent
ce qu’ils entendent, mais lorsqu’ils doivent compter le nombre de sons, ils
comptent les lettres.
Ces deux profils sont proches de certaines productions du type I dans leur
représentation du processus qui va du mot entendu au mot écrit. En effet, à
la fin d’une dictée, un apprenant qui n’avait pas mentionné le nombre de
lettres (type I ; Dictée n° 2) a été interrogé. Il a déclaré « 几个字母就几个
声音 » (il y a autant de sons que de lettres), ce qui l’apparente aux types B
et G.
Pour lui, la consigne n’avait pas de sens, car l’enseignant pouvait
compter le nombre de lettres qu’il avait écrites. On doit ajouter que,
pendant la classe, ce même apprenant refusait de lire si l’enseignant n’avait
pas donné de modèle préalable. Il se trouve capable d’écrire sous dictée des
non-mots, mais pas de lire des mots inconnus, comme si le chemin qui
mène de l’oral à l’écrit n’était pas de même nature que celui qui va de
l’écrit à l’oral.
Il est probable que les apprenants qui présentent des productions de type
I, G et B, n’aient qu’une très faible conscience du processus qui les a menés
de l’audition d’un mot à son écriture, c’est pourquoi, pour eux, la procédure
n’est pas réversible : ils ne peuvent pas partir des lettres pour arriver aux
phonèmes.
Les apprenants qui ont indiqué un nombre de sons différent du nombre de
lettres qu’ils ont écrites (types A, C, F et H) ont une conscience plus claire
des relations graphème-phonème du système scriptural français. Mais ils
doivent résoudre une difficulté majeure : compte tenu des interférences de
la structure phonologique du chinois, il y a pour eux parfois moins de lettres
que de « sons » dans les mots qu’ils rencontrent habituellement. Ainsi,
selon cette perspective, sac entendu [sa.kø] peut être interprété comme une
écriture mixte, tantôt phonématique quand <sa> correspond à /sa/, tantôt
syllabique quand <c> correspond à [kø].
Dans les productions de type H, le nombre de sons indiqué est inférieur
au nombre de phonèmes dictés, en revanche le nombre de lettres est
supérieur au nombre de sons indiqué, et bien souvent également supérieur
au nombre de phonèmes dictés. Ainsi pour la syllabe /lam/ un apprenant
écrit <lami> et compte deux sons (Dictée n° 2). Les productions
manifestent une très forte identification de la structure syllabique française
à la structure syllabique chinoise et une très forte tendance au comptage
syllabique, associée à une transcription à tendance alphabétique : tous les
« sons » entendus tendent à être écrits.
Pour ces apprenants, les « phonèmes fantômes » sont un frein à la
conceptualisation des rapports grapho-phonologiques du français, car
l’écriture française leur semble très lacunaire, ils y voient moins de
graphèmes qu’ils n’y entendent de sons. Ils ont des difficultés à faire
correspondre leur conception de l’écriture avec les règles de lecture. Ce
sont souvent des apprenants qui peuvent déchiffrer un mot, mais ne le
reconnaissent que lorsqu’ils l’ont prononcé à voix haute, car à voix haute,
ils rétablissent les « phonèmes fantômes ».
Dans les productions de type F, l’apprenant indique moins de 31 sons et
encore moins de lettres ; on trouve souvent des syllabes écrites sans lettre
vocalique. Ainsi, pour la syllabe /parm/, l’apprenant écrit <prm> et indique
4 sons. Il est évident que le mode de comptage adopté pour cette syllabe est
de type phonématique et que l’une des lettres consonantiques a une valeur
syllabique : soit <p> vaut pour /pa/, soit <r> vaut pour /ar/. Pour la syllabe
/lam/, le même apprenant écrit <lm> et indique 2 sons. On peut penser ici
que le type de comptage adopté est de nature syllabique et que les deux
lettres ont une valeur syllabique : <l> vaut pour /la/ et <m> vaut pour /mø/.
De même, dans les productions de type A, malgré des graphies en
apparence correctes, le comptage montre que certaines consonnes ont des
valeurs syllabiques. Par exemple, pour la syllabe /lam/, l’apprenant écrit
<lam> et indique 4 sons [Dictée n° 2]. Il est probable que <la> vaut pour
/la/ et <m> vaut pour /mø/. La transcription est ici nettement de type mixte :
une lettre a une valeur tantôt phonématique, tantôt syllabique.
Enfin, les transcriptions de type C présentent des caractéristiques très
proches de l’écriture française : l’apprenant écrit tous les sons qu’il entend
et ne comptabilise pas certaines lettres qui restent « muettes ». Ainsi, un des
apprenants écrit <bamme> pour /pam/ et indique 4 sons. Ces productions se
différencient de celles du type E en ce que la structure syllabique du
français n’est pas encore entièrement maîtrisée.
Pour résumer, on voit que le principe commun à l’écriture chinoise et à
l’écriture française – des graphies se rapportant au signifié plus qu’au
signifiant – est repéré par les apprenants sinophones, à tel point que cela
peut leur masquer le principe le plus fondamental de l’écriture française :
l’écriture du signifiant, comme on l’a vu dans les productions de type I, G
et B.
Une fois que les apprenants ont compris que les lettres et les sons
entretiennent des rapports privilégiés, il leur faut découvrir quel type
d’unité phonologique est représenté. Leur tâche est compliquée par la
prégnance de la structure phonologique chinoise, qui les conduit à affecter
une valeur syllabique à certaines lettres, comme on peut le voir dans les
productions de type A, F et H.
Ce n’est qu’après avoir résolu les deux questions – et elles ne peuvent
être résolues que de façon corrélée – que les apprenants sont capables de
produire des graphies correspondant au principe alphabétique, comme dans
les productions de type C, D ou E.
Remédiation
Certains pédagogues qui liraient cet article pourraient être choqués par le
fait que nous ayons choisi de procéder à une dictée pour mettre à jour les
stratégies d’appropriation des principes du système scriptural français par
les apprenants sinophones.
En effet, la culture professionnelle du milieu de la formation des adultes
en France réprouve l’utilisation d’exercices trop scolaires par respect pour
les apprenants, car on fait de l’andragogie et pas de la pédagogie. Or, la
dictée est considérée comme l’exercice le plus scolaire qui soit, et bon
nombre de formateurs d’adultes désapprouvent son utilisation en classe
d’alphabétisation ou de FLE.
Par extension, le travail intensif sur le code alphabétique, tel qu’il est
pratiqué dans les écoles associatives chinoises, n’est pas toujours favorisé
ailleurs. On y préfère un travail qui passe d’abord par la compréhension et
l’appréhension globales des documents écrits, pour arriver, en fin de
parcours, au code. En d’autres termes, c’est l’approche analytique (dite
« globale ») qui est favorisée dans le domaine de la formation des adultes.
Or, on le voit avec les sinophones, les techniques alternatives à celles qui
portent spécifiquement sur le code – celles de l’apprentissage analytique,
surtout dans sa variante la plus stricte – peuvent ne jamais conduire les
apprenants à la découverte des correspondances grapho-phonologiques. En
effet, la structure syllabique de la langue source, très éloignée de celle du
français, la complexité de l’orthographe française et ses points de
ressemblance avec l’écriture chinoise, ainsi que les techniques
d’apprentissage des apprenants (la transcription en caractères chinois, la
focalisation sur les syllabes) concourent à masquer la régularité des
relations qu’entretiennent les graphèmes et les phonèmes.
Par ailleurs, les enseignements de type analytique confortent les
apprenants scolarisés en Chine dans l’idée qu’ils pourront apprendre à lire
et à écrire en français de la même manière qu’ils ont appris, plus jeunes,
l’écriture chinoise. Guider les apprenants vers des représentations
différentes de l’apprentissage implique de les confronter à des techniques
différentes.
Si l’on fait abstraction du style d’enseignement autrefois associé à la
dictée, cet exercice reste l’un des seuls qui permette de pousser les
apprenants à dépasser l’identification de mots dans leur globalité pour
commencer à associer phonie et graphie. Il donne également la possibilité,
si la correction se fait en groupe et suit immédiatement la dictée, de
travailler sur les différentes hypothèses formulées par chacun.
Le terme « dictée » peut recouvrir une grande variété d’exercices
consacrés à la mise en correspondance des unités phoniques et graphiques :
retrouver un mot entendu à l‘oral dans une liste de mots inconnus, dictées
« à trous » de voyelles ou de consonnes (par exemple : Complétez avec <i>
ou <a> : _l est m_d_ et qu_rt), etc. Les auteurs des manuels Trait d’union 1,
proposent quelques exercices qui vont dans ce sens dans le cahier
complémentaire Lire (Adami 2004 : 47-53), par ex. :
Désignez les mots où vous entendez le son [i]
lettre - fenêtre - cahier - lit- rouge - gris - pneu - vélo - livre - plante - bouton- arbre - Paris
téléphone - stylo - bricolage - mère - liste - poste - plier - île- aile - il - elle - trottoir - Lyon
Conventions de notation
Bibliographie
ADAMI, Hervé (2004). Trait d’union 1. Lire : méthode de français. Apprentissage de la lecture pour
adultes. Paris : CLÉ international.
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1. 85 questionnaires ont été renseignés dans trois associations différentes. Les questions ont été
rédigées en chinois standard. Après pré-testing, nous avons opté pour 13 questions fermées et 1
question ouverte. Les questions fermées portent sur la durée de la scolarisation en Chine, les langues
apprises, le séjour dans d’autres pays que la France, la durée du séjour en France, le type de contacts
avec les Français et la durée de la formation en français avant de répondre au questionnaire. La
question ouverte était « Pourquoi apprenez-vous le français ? ».
2. Les crochets <…> indiquent que le signe est considéré sous son aspect graphique.
3. Il est évident qu’une partie des variantes graphémiques est intimement liée à l’évolution
phonologique de la langue. Nous privilégions cependant une analyse synchronique du système
scriptural français.
4. On notera que le terme analytique est utilisé différemment par les psycho-linguistes et par les
spécialistes de l’enseignement. Pour les premiers, la voie analytique utilisée par le sujet lecteur est
celle qui s’appuie sur le décodage des unités non signifiantes (phonèmes et graphèmes) pour accéder
à son lexique interne. Pour les seconds, la méthode analytique d’enseignement s’appuie sur la
mémorisation d’unités signifiantes (mots, phrases écrites, etc.) pour arriver à l’appréhension d’unités
non signifiantes du système (graphèmes, lettres).
5. On remarquera que les composants ne correspondent pas à des sémantèmes.
6. On peut rapprocher ce fonctionnement de celui du genre en français, qui présente également un
grand nombre de sous-systèmes locaux. Ainsi, les noms de fruits sont souvent féminins, tandis que
les noms d’arbres fruitiers sont masculins (la pomme, le pommier), les mots finissant en [sjon] sont
féminins (la passion, l’institution), etc. Mais aucune règle générale ne permet de déterminer le genre
d’un nom à coup sûr.
7. Cela ne vaut que pour les lecteurs débutants. Un lecteur compétent peut déduire le sens d’un
caractère inconnu en s’appuyant sur les éléments à valeur sémantique et/ou phoniques ainsi que sur le
contexte phrastique ou textuel. S’il connaît le mot à l’oral, il en déduira sa prononciation. Il est
intéressant de noter que les auteurs du Dictionnaire de logopédie (Campolini et al. 2000) indiquent
que, pour les systèmes alphabétiques, « la méthode analytique est inopérante lorsqu’il s’agit
d’identifier des mots rencontrés pour la première fois par écrit. ». Ce qui est valable pour le chinois
l’est également pour les écritures alphabétiques.
8. La dernière réforme de l’écriture chinoise a d’ailleurs consisté à réduire le nombre de traits des
caractères, plutôt qu’à harmoniser les éléments à valeur phonique au sein des caractères avec la
prononciation actuelle du chinois standard.
9. Cette particularité des migrants sinophones explique pourquoi ils sont peu présents dans les
structures de formation linguistique classiques. Les procédures de positionnement permettant de
répartir les apprenants en classe d’alphabétisation ou de FLE évaluent la capacité à copier et
s’appuient sur le nombre d’années de scolarisation. Pour les populations venant du Maghreb ou
d’Afrique sub-saharienne, le test de copie est efficace : une personne qui recopie bien un modèle est
généralement une personne qui sait lire. Ce n’est malheureusement pas le cas des migrants
sinophones, dont le niveau est systématiquement surévalué, et qui, par conséquent, se trouvent très
rapidement en situation d’échec.
10. Les enseignants qui ont vécu les deux situations notent que lorsque des apprenants d’autres aires
culturelles, même deux ou trois, sont présents dans une classe composée majoritairement de
sinophones, la pression exercée par les apprenants est bien moindre, voire disparaît.
11. Dans les dictionnaires chinois, les caractères se retrouvent par l’ordre et le nombre de traits. Cela
explique que les migrants sinophones préfèrent les dictionnaires électroniques, la plupart d’entre eux
ne connaissant pas l’ordre alphabétique.
12. Nous avons gardé la casse d’origine des caractères : les majuscules reproduisent donc les
majuscules écrites par l’apprenant.
13. Il s’agit de dictées où, contrairement à celles que nous présentons ici, il était demandé de compter
le nombre de sons entendus avant d’écrire. Nous n’y avons relevé qu’une seule production de type
F. Pour la plupart des syllabes, il n’y avait pas de lettre vocalique, et le comptage des sons ne prenait
généralement en compte que les consonnes, par exemple, pour la syllabe /lam/, l’apprenant a écrit
<lm> et a indiqué 2 sons. Deux exceptions expliquent que le nombre total des sons estimé soit
inférieur au nombre de lettres écrites : /par/, qui est écrit <br>, mais où l’apprenant indique 3 sons, et
/parm/, qui est écrit <brm>, mais où l’apprenant indique 4 sons.
14. On notera que dans beaucoup de méthodes syllabiques d’enseignement de la lecture aux enfants,
<e> en position finale est considéré comme un noyau syllabique. Ainsi France /frãs/ sera
découpé en deux syllabes : fran – ce. Cependant, les formateurs des vingt-six apprenants de cette
étude n’ont pas enseigné le découpage syllabique de cette manière : <e> en position finale a
spécifiquement été désigné comme ne correspondant pas à un noyau syllabique et ne devant pas être
pris en compte lors du découpage, ainsi France /frãs/ correspond à une seule syllabe, septembre à
deux syllabes : sep-tembre, etc.
15. Pour les descriptions qui vont suivre, on se reportera à la figure 6 présentant les différents types
de productions.
16. Voir à ce sujet les travaux de l’Observatoire National de la Lecture : http://on.inrp.fr/ONL/garde
(dernière consultation le 6 novembre 2006).
PSYCHOPATHOLOGIE
DANS LA MIGRATION
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1. Nous n’aborderons pas, ici, les raisons de cette difficulté, qui tient autant à la structure ou aux
fragilités psychiques du migrant qu’aux conditions économiques, sociales, dans lesquelles il vivra
dans le pays de migration, ainsi qu’à la manière dont celui-ci l’accueille, le perçoit, l’assigne à une
place prédestinée d’« étranger », renforçant, ainsi, quand elle ne l’induit pas, la crispation identitaire.
2. On peut noter, également, que Ragab a beaucoup de mal à se situer dans la généalogie. Par
exemple, il ne saura pas dire quelle est sa place dans la fratrie, affirmera au cours d’une même
séance, à quelques minutes d’intervalle, qu’il est l’aîné, puis qu’il a un frère plus grand que lui. De
même, parlant de ses grands-parents, il ne parviendra pas à distinguer ceux de la lignée paternelle de
ceux de la lignée maternelle ; ou encore il évoquera son grand-père paternel en disant « le grand-père
de mon père », etc.
Sa difficulté à classer les objets en « grands-moyens-petits » acquiert ici un éclairage évident : il est
le plus grand des frères et sœurs vivants, il est plus petit que son frère aîné décédé dont il est, en
quelque sorte la (ré) incarnation ; comment se situer dans la généalogie quand on est, tout à la fois,
plus grand, plus petit et le même.
3. On peut aussi se demander si l’impasse identificatoire dans laquelle se trouve enfermé Ragab ne
tient pas au redoublement du deuil inélaboré de l’enfant mort et de celui, tout aussi inélaboré,
provoqué par la migration, et qu’il vient symptomatologiser aussi bien l’un que l’autre.
4. Ragab, qui participe comme tous les jeunes de l’institution, à différents ateliers (menuiserie,
poterie entre autres), étonnera les éducateurs par ses productions marquées par la présence régulière
d’une béance : il réalisera, par exemple, des bateaux dont les parois latérales sont bien construites,
mais dont le fond ouvre sur le vide, faute de plancher.
5. Certains auteurs ont déjà souligné le rôle fondamental des relations mère-enfant lors de l’étape
spéculaire. En plus de Winnicott (« le rôle de miroir de la mère ») on peut citer G. Mercier et
J. Bergeret qui écrivent : « À l’école du miroir, on peut opposer que l’enfant ne parvient à percevoir
une image jubilatoire de lui-même dans une glace anonyme que s’il a d’abord perçu dans les yeux
non glacés de sa mère une marque suffisante de fonctionnement positif de l’imaginaire de celle-ci à
son égard. »
De même, P. Castoriadis décrit trois moments dans l’expérience spéculaire :
« – le surgissement dans le miroir d’une image que la psyché reconnaît comme sienne ;
– le détournement du regard vers le regard de la mère où est lu un énoncé disant que cette image est
l’objet de son plaisir, qu’elle est l’image de l’aimé, du bon, du beau… ;
– le retour du regard à l’image présente dans le miroir et qui, dès lors, sera constituée par la jonction
entre l’image et la légende la concernant telle qu’on l’a perçue dans le regard maternel. »
Il est vrai, cependant, que ces auteurs continuent de donner la prééminence au seul visuel au
détriment des autres sens qui sont, tout autant, vecteurs identificatoires dans le registre du primaire,
anticipant et préparant l’avènement de l’étape spéculaire.
6. Jusque-là, la mère était étonnamment absente du discours de Ragab. Il pouvait dire, par exemple :
« ce week-end j’ai été faire les courses avec mon père », la suite de nos échanges indiquant que sa
mère et une de ses sœurs étaient également présentes. On assiste ici à quelque chose qui est de l’ordre
de la forclusion des signifiants maternels.
7. Le concept de faille primaire de l’imaginaire a été proposé par J. Bergeret ; il rendrait compte de
cette invasion de la psyché de l’enfant par l’imaginaire d’un autre (père ou mère) dont les
conséquences seraient la sidération de tout imaginaire propre et le court-circuit de la liaison entre le
réel et le symbolique.
8. Il me faut, ici, évoquer un aspect de la thérapie dont je n’ai pas parlé jusqu’ici : dès le départ,
Ragab initiera nos échanges en utilisant la langue arabe qu’il présuppose, à juste titre, nous être
commune. J’accepterai volontiers, estimant important de répondre à sa quête de reconnaissance sur
ce site linguistique de son appartenance culturelle, là où ses identifications sont à la fois
fondamentales et vacillantes. Très vite, cependant, cette enveloppe linguistique, supposée nous
inclure l’un et l’autre et nous permettre de nous identifier dans une certaine spécularité, montrera ses
limites ; des difficultés tenant aux différences de vocabulaire et de prononciation, dont nous nous
amuserons, nous obligeront à avoir recours à une langue tierce, le français, qui fonctionnera entre le
tunisien et l’égyptien comme l’entre-deux langues nous permettant de nous comprendre. Cette
« migration » constante du sens de la langue arabe à la langue française fera progressivement de
celle-ci un lieu où se retrouvent et se traduisent les significations véhiculées par nos dialectes arabes
respectifs, et où pourra commencer à s’inscrire et se dire le désir, à commencer par le désir de
communiquer.
9. À cet égard, Ragab est exemplaire des difficultés et incertitudes du diagnostic quand on est
confronté à certains migrants ou à leurs enfants. Le caractère insolite de certaines de leurs
manifestations psychopathologiques, la saturation de leurs symptômes par des thèmes prévalents
dans leur culture, peuvent conduire, quelquefois, à percevoir comme hallucinatoires ou délirants les
symptômes dont ils font état, et qui ne sont, en fait, que les cris de détresse d’un soi entravé dans son
développement ou dans ses capacités d’expression. Sans entrer dans les détails du diagnostic
différentiel, qui seraient ici inutiles et fastidieux, contentons-nous de préciser qu’en ce qui concerne
notre patient, la présentation que nous en avons faite présupposait le diagnostic d’état limite. D’autre
part, un certain nombre de traits identifiés par D. Anzieu comme caractéristiques des états limites
permettent de le situer dans cette famille psychopathologique :
– l’incertitude quant à ce qu’il ressent ; en effet, à la moindre critique, réelle ou supposée, il réagit
immédiatement avec inquiétude en disant : « non, non, ce n’est pas ce que je voulais dire » ;
– le vécu flou et mixte de lui-même, sur lequel nous avons déjà beaucoup insisté ;
– la difficulté à accéder à un raisonnement abstrait, dans un collage aux sensations et émotions dans
sa vie mentale ;
– l’aptitude importante à un transfert immédiat et massif ;
– la préoccupation importante concernant les désirs et les affects de l’autre, dans une volonté
d’adaptation à ce qu’il suppose être ses demandes ou ses attentes : ainsi, il va acquiescer facilement à
tout ce que peut lui dire son interlocuteur : « oui, tu as raison, c’est ça » (même si lui-même vient de
dire le contraire l’instant d’avant) est une formule qu’on retrouve régulièrement dans sa bouche. De
même, il ne manifeste jamais aucune opposition aux exigences des adultes (éducateurs,
enseignantes), ceux-ci se demandant toujours si ce qu’il accepte l’intéresse, lui plaît, ou pas.
Ce dernier trait, entre autres, n’est pas sans évoquer l’organisation en « faux-self » de la vie
relationnelle, qui participe très fréquemment à la pathologie des états limites. Un bref développement
est ici nécessaire : le « faux-self » peut être défini comme un style relationnel où le factice l’emporte
sur l’authentique. Sa fonction, essentielle pour le sujet, est de faire écran afin de préserver et de
protéger le « vrai self », lequel reste enfoui dans la psyché, en mal d’affirmation et d’expression. Le
« faux-self » se caractérise par une hyper-adaptabilité aux désirs, attentes, discours de l’autre, et par
des comportements de docilité qui frisent la soumission. Reste masqué le profond désarroi du sujet,
qui le pousse à des relations quasi adhésives avec des objets dont il ne peut se différencier, et ce,
faute d’avoir pu vivre, au moment où il le fallait, un lien fusionnel à la mère suffisamment étayant et
réparateur.
Rappelons les circonstances qui ont permis à Winnicott d’avancer et d’élaborer le concept de « faux-
self » : ayant en thérapie un patient dont l’analyse évoluait de manière remarquable, qui poursuivait,
pour ainsi dire, une trajectoire analytique idéale, il éprouvait cependant une insatisfaction qu’il avait
du mal à comprendre. Au lieu de se réjouir des progrès du sujet, son contre-transfert était dominé par
un malaise qui le surprenait. Jusqu’au jour où, au cours d’une séance, l’intuition d’une évidence
s’imposa à lui : son patient imitait à la perfection une vraie psychanalyse plus qu’il ne l’effectuait
véritablement.
Il est clair que l’organisation de la personnalité en « faux-self » sera une tentation « adaptative » à
laquelle céderont bon nombre de migrants, dans leur confrontation à une culture d’accueil dont ils
sentent qu’elle les presse d’adhérer à ses normes, ses coutumes, son système de valeurs. On trouvera
le « faux-self » également chez ceux qui, dès avant leur départ, avaient fortement idéalisé le système
culturel du pays qu’ils souhaitaient rejoindre. Toutefois, il nous semble fondamental de distinguer ce
que nous appellerons le « faux-self culturel » de ces migrants, qui est souvent provisoire, non
pathologique, passage obligé vers des remaniements identificatoires ultérieurs, et le « faux-self »
pathologique que l’on rencontre chez d’autres. Celui-ci ne se développe que quand la problématique
migratoire, l’écartèlement entre deux cultures et les exigences adaptatives qui s’imposent à eux
entrent en résonance, comme nous l’avons déjà souligné, avec les failles de leur construction
identitaire personnelle, failles qui renvoient à leur histoire singulière et à leurs rapports avec les
objets de leurs investissements primaires. Dans cette configuration, qui fut celle de notre patient
pendant de longs mois au cours de sa thérapie, les identifications en « faux-self » concernent aussi
bien l’une que l’autre culture : quel que soit le système culturel dans lequel le sujet puise ses repères
identificatoires, ceux-ci ne seront ni stabilisateurs ni structurants, laissant entière la quête d’un lieu de
résidence psychique.
10. « L’ethnopsychiatrie doit apprendre à se pencher, en premier lieu, sur la personnalité du patient et
en second lieu seulement sur la culture. S’il agit autrement, il se transforme, lui aussi, en machine à
stéréotyper » (G. Devereux).
11. « Car, dans l’histoire du migrant, je tiens que l’appartenance culturelle du sujet ne prend sens que
dans la mesure où, à travers sa trajectoire singulière, elle permet de repérer là où elle a manqué, là où
ses déchirures, ses failles, ont permis l’émergence du symptôme » (R. Berthelier).
12. Le lecteur désireux de se pencher sur le problème de la transmission psychique inconsciente et le
mécanisme d’identification projective qui y préside pourra lire avec intérêt l’ouvrage de A. Ciccione,
cité en bibliographie.
CHICANO : LA QUÊTE D’UN NOM
Les formes anthropologiques et linguistiques
d’une représentation
Continuités historiques
1. Premiers colons
En Californie, la présence hispanique remonte à 1769, date qui marque le
début de la colonisation espagnole de la région5. Les terres jusqu’alors
habitées par des Indiens de différentes ethnies et parlant plusieurs dizaines
de langues différentes6 sont progressivement occupées par les missionnaires
du père Junípero Sierra et ses successeurs qui, en l’espace de cinquante ans,
fondent vingt et une missions le long de la côte californienne : San Diego
de Alcalá (aujourd’hui la ville de San Diego), Nuestra Señora de Los
Angeles (aujourd’hui Los Angeles), Santa Bárbara, Monterrey, San José,
San Francisco, Sonoma… Le gouvernement espagnol entendait ainsi faire
avancer leurs frontières, tout en s’appropriant les terres indiennes et en
convertissant les natifs.
Les premiers colons sont des métis très pauvres, originaires du Mexique,
à qui le gouvernement espagnol a promis du bétail. La région suscitait
néanmoins peu d’attrait : à la veille de l’Indépendance du Mexique, en
1821, quelques trois mille Mexicains habitaient la Californie. À leur tête,
des Espagnols, propriétaires de grandes extensions de terre, les ranchos ou
haciendas, obtenues en récompense pour leurs services dans l’Armée
espagnole, et que l’on appelait les (E) Californios7. La masse des
travailleurs était composée de Métis et « en bas de l’échelle » se trouvaient
les Indiens, mal payés, endettés par le système de la (E) tienda de raya des
haciendas8, comme dans les autres régions du Mexique et de l’Amérique
espagnole.
Commence alors un mouvement migratoire des États-Unis vers la
Californie. Des hommes seuls, d’abord, qui, bien accueillis par l’élite
espagnole, se naturalisent et se convertissent au catholicisme. Ils contractent
des mariages mixtes et accèdent à la propriété terrienne. Mais à partir de
1840, ce mouvement migratoire s’intensifie : ce sont maintenant des
groupes d’Américains, des familles entières qui s’établissent dans la région
et prétendent transformer le pays en accord avec leur propre culture. Ce
processus aboutira en 1846 à la rébellion du « Drapeau de l’Ours » [(A)
Bear Flag], tentative de prise de pouvoir par les nouveaux colons. À la
même époque, et conformément aux idéaux de la « destinée manifeste »
[(A) Manifest Destiny]9, commence également l’occupation du Texas. Les
affrontements entre les États-Unis et le Mexique se concluront, après deux
années de guerre, par le traité de Guadalupe-Hidalgo en 1848.
Le traité garantissait aux Mexicains en territoire maintenant américain le
droit de citoyenneté et la possibilité de garder leurs possessions. Dans la
pratique, ils deviendront des « étrangers sur leur propre terre10 » : lorsque le
Sénat américain ratifie le traité, l’article 10, où s’affirmait le respect des
propriétés mexicaines, est remplacé par un protocole qui « permettait »
(mais ne garantissait pas) la validation des titres de propriété mexicains par
les tribunaux nord-américains. Dans les faits, les titres de propriété des
anciens Mexicains ne sont pas reconnus par les cours de justice américaines
ou seulement après des longs procès ruineux (d’une durée moyenne de dix-
sept ans).
À la fin des années 1840, la ruée vers l’or fait des Mexicains une
minorité de plus en plus marginalisée en Californie. Au début du XXe siècle,
leur prolétarisation est quasiment achevée : ils travaillent comme ouvriers
sur les terres des nouveaux maîtres, ou dans l’élevage, la construction des
chemins de fer, les mines…
Dans cette histoire de dominations successives qui se prolonge depuis
des siècles (les Indiens dominés par les Espagnols dominés par les
Américains), un point d’inflexion semble se produire. Dans une
modification des rapports de force, les Mexicains, métis d’Indiens et
d’Espagnols, voient s’accroître leur nombre, leur présence culturelle, leur
influence politique. Face à cette montée en nombre, beaucoup d’habitants
de la Californie sentent le mode de vie et la suprématie socioculturelle du
modèle blanc anglo-saxon menacés. Depuis plus d’une décennie, des
mesures dites « défensives » sont votées dans l’État californien : en 1987,
l’anglais est déclaré langue officielle de l’État11 ; en 1994, on refuse l’accès
aux soins et à l’éducation aux immigrants sans papiers (initiative
paradoxalement appelée SOS [Save Our State]), 1996 : interdiction de la
(A) affirmative action (discrimination positive) ; 1998 : interdiction de
l’éducation bilingue12… Ces mesures annulent les lois de protection des
minorités approuvées suite aux revendications des activistes des Chicanos
dans les années soixante13.
2. La vie de quartier
L’organisation de la communauté se fait également par l’appropriation de
l’espace urbain qui leur est imposé dans un premier temps.
La création dans les villes de (E) barrios, c’est-à-dire de ‘quartiers
hispaniques’, répondait à une volonté de ségrégation raciale agissant dès la
fin du XIXe siècle. On y a construit des écoles pour les enfants des
Mexicains, destinées à former des ouvriers et à limiter leur progression
sociale.
Avec le temps, ces barrios deviennent l’espace de reconstitution d’une
identité collective, où la colonia mexicana, ‘la communauté mexicaine en
exil’, garde ses festivités. Ainsi, celle du 16 septembre, jour de
l’indépendance mexicaine de la couronne espagnole (elle est aujourd’hui
reconnue comme fête nationale sous le nom paradoxal de « Jour de
l’héritage hispanique »). Les cafés, les marchés, les églises avec les (E)
santitos mexicains, la Virgen de Guadalupe, Vierge mexicaine, à la peau
basanée, l’emploi dominant de l’espagnol, mais aussi de l’anglais
représentent autant d’éléments recontextualisés, qui permettent de
réinventer une nouvelle mexicanité de l’autre côté de la frontière24.
C’est cette nuance qui explique le rejet que ce terme connaît encore
aujourd’hui par une partie des descendants des Mexicains :
Bien qu’aujourd’hui Chicano continue d’être utilisé en rapport avec des concepts positifs tels que
fierté raciale/culturelle, autonomie, pouvoir politique et égalité sociale, certains Mexico-
Américains sont encore mal à l’aise avec ce terme.
Polkinhorn, 1986, s/v chicano.
4. Le ch au front
Le <x> de (E) México ‘le Mexique’ et (E) mexicano ‘mexicain’,
emblématique de l’identité mexicaine au sein du monde hispanique, se mue
en <ch> dans son avancée vers le nord. Comme dans chicano, d’autres
noms identificateurs, (E) pachuco, cholo, pocho, ou même (E) gabacho,
gachupín, présentant tous le phonème palatal affriqué /c/, dénomment des
groupes ou des sous-groupes de population en introduisant un trait
stigmatisant.
L’écrivain mexicain A. Reyes est l’auteur d’un recueil d’essais32 sur
l’identité mexicaine, emblématiquement contenue, selon lui, dans
l’ancienne graphie <x> de México. Comme le montre le tableau des
phonèmes espagnols ci-après, les phonèmes médiévaux /ʃ/ et /ʒ/ se
confondent à la fin du Moyen Âge en /ʃ/, qui modifie un siècle plus tard son
point d’articulation pour devenir une fricative vélaire sourde /x/. Les
anciennes graphies pour /ʃ/, le <x>, et pour /ʒ/, le <j>, s’utilisent alors
indistinctement pour les mots comportant désormais le même phonème /x/.
C’est seulement au XIXe siècle que l’Académie limite l’usage de <x> pour la
séquence /ks/ et de <j> pour le phonème /x/. Mais tandis que le monde
hispanique se met à utiliser la graphie Méjico selon les nouvelles normes, le
Mexique conserve et prône l’usage de la forme ancienne México.
Système des stridentes en espagnol à la fin du Moyen Âge et évolution postérieure :
Cette persistance graphique est probablement liée aussi au fait que, encore
aujourd’hui, au Mexique, le phonème /x/ se confond parfois avec la variante
allophonique de /s/, [ʃ]. C’était le cas du nom mexicano, prononcé
[meʃi'kano] par des locuteurs indiens, comme nous l’avons vu plus haut.
Avec la transformation de mexicano en chicano, le <x> identitaire
disparaît, mais laisse à sa place le phonème /c/, dont l’emploi dépasse à son
tour le plan du signifiant, et représenté par le digraphe <ch>33.
[ʃ] et [c] apparaissent, en espagnol du Mexique, dans les emprunts
aztèques ou d’autres langues indiennes. Ainsi, le phonème des langues
tarasques /tʃ/, avec graphie – tz –, est prononcé en espagnol [ts], [s] ou [c].
Les tableaux suivants montrent l’adaptation phonique des emprunts
aztèques :
Système des sibilantes en nahuatl (période classique)34
fricative affriquée
dentale s ts
palatale ʃ tʃ
On peut souligner d’un côté l’alternance des sons [ʃ]/[c] dans un certain
nombre de contextes et de l’autre leur association à deux types de termes :
– des emprunts (nahuas ou anglais),
– des dénominations identificatrices, les noms propres, surtout lorsqu’on
leur associe une valeur hypocoristique.
Si dans le cas des emprunts nahuas en espagnol du Mexique, l’apparition
de [ʃ] et [c] dans des toponymes et anthroponymes indigènes pouvait
s’expliquer par le caractère conservateur propre à ce type de mots, il n’en
va pas de même pour l’utilisation de ces mêmes sons en espagnol du Sud-
Ouest des États-Unis. Ici, leur apparition permet l’adaptation d’emprunts et
la formation d’anthroponymes, tout en intégrant une charge affective. Dans
cette optique, la transformation de mexicano en chicano n’est rien d’autre
qu’une classification anthroponymique dérivée d’un toponyme réinterprété.
Cependant, le phénomène dépasse la possible influence du nahua dans
ces choix. En espagnol standard, le phonème /c/, ainsi que sa variante
dialectale [ʃ], occupent une place particulière dans les usages des locuteurs
hispanophones en général, au point qu’on a pu leur attribuer des fonctions
« phonosymboliques ».
5. Son, sens et innovation
Le phonosymbolisme reconnaît à certains phonèmes une dimension
signifiante par un mécanisme non onomatopéïque : tandis que dans le cas
des onomatopées, le phonème est associé à un concept sonore, à un référent
acoustique, dans le phonosymbolisme, le phonème est associé à une idée ou
concept non sonore.
Le caractère symbolique de certains phonèmes a été décrit pour l’anglais
par Bloomfield, qui en fait par ailleurs une description générale, et pour
plusieurs langues par Otto Jespersen. Selon ce dernier auteur, par exemple,
le phonème /i/ apparaît dans grand nombre de langues associé aux idées de
petitesse, de jeunesse, ou à la rapidité de mouvements. Il entre ainsi dans la
formation de diminutifs dans beaucoup de langues différentes.
En espagnol, le phénomène a été décrit par Fernando Lázaro Carreter
comme une capacité des sons à évoquer une catégorie non acoustique, mais
ayant trait au mouvement ou à une autre caractéristique physique ou
morale, souvent défavorable. À propos du son [c], María Moliner (1998, s/v
ch) écrit :
Le son représenté [par le ch] est hautement expressif ou imitatif, c’est-à-dire qu’il forme des mots
qui ne sont pas, ou pas seulement, représentativo-objectifs, mais qui expriment une attitude
affective ou intentionnelle du sujet (ils servent surtout à marquer du mépris ou à appeler), ou bien
ils imitent ou suggèrent un son, un mouvement, etc.
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1. Le Mexique s’est vu privé de près de la moitié de son territoire par l’expansion du puissant voisin
du nord. D’abord, par la perte du Texas, en 1836. Plus tard, après la guerre de 1846-1848 entre le
Mexique et les États-Unis, par la perte de ce que sont aujourd’hui les États de l’Arizona, de l’Utah,
du Nevada, du nord de la Californie et d’une partie du Nouveau Mexique, le Colorado et le Wyoming
(cf. carte). Le Traité de Guadalupe-Hidalgo, signé à la fin de la guerre entre les deux pays,
garantissait le respect des droits et des propriétés des nouveaux citoyens (cf. infra).
2. Terme employé par l’administration américaine pour toute personne se reconnaissant de langue
espagnole ou descendant d’hispanophones. À partir de 2000, on trouve aussi le terme Latino à côté
de Hispanic. Cf. www.census.gov. Autres provenances pour les Hispanics : Amérique du Sud,
Amérique Centrale, Cuba, Porto Rico.
3. Vagnoux 2003 : 269.
4. W. Labov considère que l’ethnicité ne peut pas être considérée comme un principe général de
changement linguistique : « If there is a general principle to be extracted from the study of ethnicity
in New York, Boston, Grand Rapids, and Philadelphia, it is a negative one. Despite the fact that
ethnicity is logically linked to the differentiation of language behavior through use and knowledge of
the immigrant language, it has proved to be weaker and less general in its effects than gender, age,
and social class, which have no inherent connection with linguistic differentiation » (Labov 2001 :
259).
5. Avant cette date, une expédition avait été envoyée par Hernán Cortès après son arrivée au Mexique
en 1519.
6. Appartenant à plusieurs familles de langues différentes, dont la famille Athabaskan-Eyak-Tinglit,
la famille Uto-Aztèque, et la famille Yuman-Cochimi (Mithun 1999).
7. Abréviations utilisées : (A) : anglais, (E) : espagnol.
8. Magasin d’approvisionnement à l’intérieur des (E) haciendas, où les travailleurs étaient obligés
d’acheter, ce qui conduisait à leur endettement chronique.
9. La progression des colons nord-américains vers l’Ouest prend appui sur le principe de la « destinée
manifeste », explicitement énoncée pour la première fois par le journaliste et diplomate John
L. O’Sullivan en 1845. Selon cette idée, la Providence a fait de l’Amérique le dépôt des idéaux
démocratiques, qu’elle se doit de répandre sur tout le continent.
10. Acuña 2000 : 20.
11. L’anglais a été traditionnellement considéré comme la « langue commune » du pays. C’est très
récemment que des initiatives pour faire de l’anglais la langue officielle des États-Unis ont vu le
jour : une proposition fédérale approuvée par le Congrès en 1997 (The Bill Emerson English
Language Empowerment, 1996) fut rejetée par le Sénat plus tard.
12. Toutes ces mesures ont fait l’objet de référendums suite à des propositions de loi faites
généralement par des groupes conservateurs.
13. Cf. infra.
14. Les Aztèques étaient la dernière des sept tribus nahuas à entrer dans l’Anáhuac. Elles recevaient
le nom de Chichimecas, ‘barbares’.
15. Des caravanes régulières de mulets entre Chihuahua et Santa Fé transportaient des produits
manufacturés par les Indiens du Nord (peaux, couvertures…). Santa Fé se trouvait sur la route vers le
nord, voie d’accès aussi aux territoires français du Mississippi.
16. Langue des anciens Aztèques, que nous représenterons désormais par (N). L’ensemble des
dialectes de cette langue, parlés encore aujourd’hui, sont regroupés sous le terme de nahua [(NA)
dans notre texte].
17. Le premier épisode Fast and Furry-ous apparaît en 1949.
18. Chuck Jones, 1989.
19. L’emploi du mot espagnol raza ‘race’ représente pour les descendants des Mexicains une identité
ethnique mixte, née de la rencontre des Indiens américains et des Espagnols. La fête du (E) Día de la
raza ‘jour de la race’ célèbre ainsi l’arrivée de Christophe Colomb en Amérique et la rencontre de
deux peuples. Aujourd’hui, dans le langage courant des Mexico-américains, la raza désigne ‘nos
gens’, définis en termes d’appartenance culturelle plutôt que raciale et comporte une forte
composante de revendication politique. Cf. Nova 2003 :20-21.
20. Sur l’origine et les divers emplois de cette forme, cf. infra.
21. À la même époque, d’autres leaders chicanos apparaissent dans les autres États à forte présence
mexicaine : Reies López Tijerina au Nouveau Mexique, Rodolfo « Corky » González au Colorado,
José Angel Gutiérrez au Texas.
22. Rappelons qu’il a été récemment annulé en Californie, cf. supra.
23. Citons quelques noms d’écrivains : Richard Vásquez, Jose Antonio Villarreal, Sergio Elizondo,
Bruce-Novoa, Luis J. Rodríguez, Denise Chávez, etc.
24. Une jeune femme à San Diego, à qui j’ai demandé de se définir ethniquement, se disait
« Mexicaine ». À ma demande de précisions, elle répond : « Mais Mexicaine d’ici (États-Unis), pas
comme ceux de là-bas (Mexique). »
25. Suivant les usages le plus répandus en linguistique, je représente les transcriptions phonétiques et
les sons entre crochets, [ ], les transcriptions phonologiques et les phonèmes entre barres, / /, et les
graphies entre parenthèses, < >.
26. « The term then was merely a term of ethnic identification and not meant in any way a demean »,
Edward-Simmen, 1972 ; « In the 1920s and 1930s it was an in-group term used by Americans of
Mexican descent to refer to themselves and was not derogatory. Some time afterwards the meaning
changed and became somewhat disrespectful », H. Polkinhorn et al., s/v Chicano.
27. J’utilise le symbole [c] pour représenter la prépalatale affriquée espagnole, monophonématique,
et la différencier de la linguo-alvéolaire affriquée anglaise, [tʃ].
28. Adolescent mexico-américain appartenant à une bande urbaine.
29. Cités par Galván (1973). Ma traduction, comme pour toutes les autres citations, originairement en
anglais ou en espagnol.
30. Ibid.
31. Nom de la ville légendaire d’où seraient originaires les Aztèques et qu’on a essayé de situer en
Californie.
32. La x en la frente, 1952.
33. D’origine française, adopté en espagnol pour représenter la nouvelle palatale romane au
e
XII siècle.
34. Lope Blanch (1967).
35. J. A. Díaz Rojo ne propose aucun exemple de ce [c] typique du babytalk. Nous pensons à des cas
comme chi à la place de sí, ‘oui’, ou tengo chueño pour tengo sueño, ‘j’ai sommeil’… Dans ces
exemples, le son [c] apparaît comme une variante du phonème /s/.
LES TRANSFORMATIONS DE L’IDENTITÉ
CRÉOLE AU PÉROU : ENJEUX SOCIAUX
ET JEUX D’IDENTIFICATION
Denys Cuche
Le seul reclassement social et ethnique qui se produit alors est celui qui
inverse les positions des Créoles péruviens et des Espagnols. Ces derniers,
du moins ceux qui décident de rester sur place et qui ne se fondent pas dans
le groupe créole, sont « déclassés » au profit des premiers, qui constituent la
nouvelle élite du pays. Et, désormais, ce seront les Espagnols qui arrivent
d’Espagne – car il y aura au cours du XIXe siècle des immigrants espagnols,
quoique peu nombreux, à faire le choix de s’établir au Pérou – qui seront
considérés comme constituant une catégorie inférieure par rapport aux
Créoles. Ainsi s’opère la revanche des Créoles sur les Espagnols et, en
particulier, sur les chapetones qu’ils détestaient.
Mais cette revanche restera inaboutie. Car elle ne s’effectue que sur le
plan interne de la société péruvienne ou, tout au plus, des nations sud-
américaines. Quant au jugement des Européens sur les Créoles, lui n’a
pratiquement pas varié. Le discrédit des Créoles dans la pensée européenne
est même, sans doute, plus profond au XIXe siècle qu’au temps de la colonie.
L’image du Créole demeure négative, car il est avant tout perçu par les
Européens comme un métis, avec tous les préjugés que cela implique. La
pensée dominante au XIXe siècle, y compris la pensée scientifique, considère
en effet le métissage comme un fléau. Au début des années 1850, dans un
essai au grand retentissement en Europe et en Amérique du Sud, le Comte
de Gobineau, qui avait résidé comme diplomate au Brésil, exposait une
théorie, très répandue à l’époque, qui expliquait l’instabilité politique
chronique des jeunes nations ibéro-américaines par les conséquences
catastrophiques du métissage, et notamment du métissage de ses élites
créoles :
L’Amérique du Sud, corrompue dans son sang créole, n’a nul moyen désormais d’arrêter dans leur
chute ses métis de toutes variétés et de toutes classes. Leur décadence est sans remède. (Gobineau
1853-18558)
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1. Par un retournement de valeur dont les jeux d’identification sont familiers, c’est l’identité créole
qui va devenir progressivement l’identité positive chez les Noirs des Amériques. Le retournement est
dû au fait que les maîtres blancs privilégient les esclaves créoles du fait de leur plus grande proximité
culturelle avec eux. Inversement, ils considèrent les Noirs bossales comme stupides, incultes, voire
sauvages. Les esclaves vont adopter peu à peu les jugements de valeur des Espagnols, que ce soit
pour se rapprocher de leurs maîtres dans l’espoir d’un traitement plus favorable ou que ce soit par
aliénation culturelle. Toujours est-il que dans la littérature orale des Noirs d’Amérique latine, le héros
des contes traditionnels est toujours le cadet, qui représente le Noir créole, malin, rusé et
débrouillard, alors que l’aîné, représentant le Noir bossale, apparaît comme balourd, maladroit et
malchanceux.
2. Pour tout ce développement, je m’appuie principalement sur l’article de Bernard Lavallé : « Del
indio al criollo : evolucion de una imagen colonial », 1990 (cf. également Demélas 1983).
3. « Chapetón » est dérivé de « chapeta » qui désigne des joues rouges. Le « criollo », au teint
supposé mat, se distingue donc du « chapetón », défini lui aussi par une caractéristique physique : le
« chapetón » serait reconnaissable à la rougeur de son visage.
4. Ici encore, j’emprunte à B. Lavallé et à son article « Americanidad exaltada/ hispanidad
exacerbada : contradicción y ambigüedades en el discurso criollo del siglo XVII peruano » (2002).
5. En ce qui concerne l’analyse de l’indépendance du Pérou, voir l’ouvrage de M.-D. Demélas :
L’Invention politique. Bolivie, Équateur, Pérou au XIXe siècle (1992). Et sur la question de l’identité
créole dans les pays andins au XIXe siècle, cf. les différentes publications de Demélas.
6. Cf. mon essai : « Une étrange étrangère au Pérou ou le Pérou de Flora Tristan : du rêve à la
réalité » (1988).
7. Aujourd’hui, au Pérou, F. Tristan est considérée comme une héroïne nationale. À Lima, une rue
porte son nom. En 1971, à l’occasion du cent cinquantième anniversaire de l’indépendance, les
Pérégrinations d’une paria ont été rééditées au Pérou dans une traduction espagnole – symbolique
reconnaissance posthume – avec une préface qui rend justice à la lucidité de l’auteur. Et récemment,
en 2003, un des plus grands écrivains péruviens contemporains, Mario Vargas Llosa, a consacré un
roman, El paraiso en la otra esquina, à la vie de Flora Tristan.
8. Contrairement à Gobineau, F. Tristan, quant à elle, ne fonde pas sa critique des Créoles sur des
arguments pseudo-raciaux. Sa critique est purement sociale et politique. Même si son jugement peut
paraître parfois sévère, il ne l’empêche pas d’envisager avec optimisme le devenir de l’Amérique du
Sud en général et du Pérou en particulier : « L’avenir est pour l’Amérique », écrit-elle en préambule
de son livre.
9. Dans le même ouvrage, C. Palma tient des propos d’un racisme « primaire » sur les Noirs, alors
que lui-même a une ascendance noire, sa grand-mère paternelle étant une mulâtresse « quarteronne ».
Sa thèse constitue donc une illustration de plus des ambiguïtés et des contradictions des Créoles du
Pérou.
10. Ce thème n’est pas absolument nouveau. Certains leaders créoles l’avaient déjà introduit comme
arme idéologique contre les Espagnols à la veille de l’indépendance (Demélas 1992 : 358), ainsi que
dans les premières années de la République (Demélas 1983 : 125). Mais ce qui est nouveau, c’est
qu’il devient au début du XXe siècle un mythe national quasi officiel.
11. Je n’évoque ici que les positions idéologiques de la classe dirigeante créole. Cependant, il faut
signaler que commence à émerger, à la même époque, un courant « indigéniste » radical
d’intellectuels créoles progressistes comme M. Gonzalez Prada, bientôt suivi par P. Zulen, L. E.
Valcarcel, J. C. Mariategui, R. Haya de La Torre, L. A. Sanchez, pour n’en citer que quelques-uns.
12. Sur ce point, voir l’étude anthropologique de R. Patch (1967), concernant un quartier populaire
mal famé de Lima.
13. Je donne ici au terme « créolisation » une acception très large : la créolisation, c’est tout
simplement le phénomène de diffusion de la culture créole dans la société péruvienne et son adoption
par des individus de plus en plus nombreux. Il ne s’agit donc pas de l’acception des linguistes qui
désignent par ce mot un processus d’autonomisation d’une langue composite par rapport au système
linguistique dominant dans les débuts du procès de syncrétisation, acception étendue par certains
chercheurs à tout phénomène culturel syncrétique qui répond au même principe.
14. Voir l’analyse critique qu’a faite M. Giraud de cette conception de la créolité dans son article :
« Les identités antillaises entre négritude et créolité » (1994). Dans les Antilles françaises, le sens du
mot « créole » a aussi beaucoup évolué depuis le XVIIe siècle. Au début du XXe siècle, il désignait
encore principalement les descendants des colons blancs, numériquement minoritaires. Alors
qu’aujourd’hui, il est plutôt associé à la majorité noire et mulâtre de la population. D’où l’erreur, tout
de même surprenante, d’un journaliste de la radio « France Inter », qui s’étonnait, en janvier 2003,
dans son commentaire d’un film récent, de voir Isabella Rosselini, actrice blanche, tenir le rôle de
Joséphine de Beauharnais, « la belle Créole ». Pour lui, qui ignorait tout de l’histoire de la Martinique
et qui ne savait même pas que Joséphine était la fille d’un grand planteur de l’île, une Créole ne
pouvait être que noire ou mulâtresse. Car, s’excusait-il, quelques jours plus tard, dans un rectificatif
qui ne faisait qu’ajouter à la confusion, il était persuadé que « créole » était synonyme d’« indigène »
[sic] !
15. Cette distinction fondamentale entre Créoles et Indiens se retrouve, à quelques variantes près,
dans d’autres pays andins, en particulier en Bolivie, l’ancien Haut-Pérou. Récemment, en juin 2004,
Gabriela Oviedo, jeune Créole blanche, élue Miss Bolivie, a déclenché une polémique durant le
concours de Miss Univers, qui avait lieu à Quito en Équateur, autre pays andin à forte population
indienne. Interrogée en anglais par des journalistes étrangers sur son pays, elle se désolait que la
Bolivie soit perçue comme un pays indien : « Malheureusement, les gens qui ne connaissent pas bien
la Bolivie pensent que nous ne sommes tous que des Indiens de l’Ouest du pays, de La Paz ; et la
seule image qu’ils ont de nous est celle de gens pauvres, petits et Indiens. Je suis originaire de l’autre
partie du pays, la partie orientale. Il n’y fait pas froid, il y fait très chaud et nous sommes grands,
blancs, et nous savons parler anglais. Aussi, l’idée reçue selon laquelle la Bolivie ne serait qu’un
pays “andin” est fausse. La Bolivie a beaucoup à offrir, et c’est mon travail comme ambassadrice de
mon pays de faire connaître aux gens la grande diversité qui est la nôtre. »
ENJEUX DE CLASSEMENT ET
RÉVERSIBILITÉ DES IDENTIFICATIONS
CHEZ LES CATÉGORIES D’ORIGINE
SERVILE HAALPULAAREN (MAURITANIE)
Olivier Leservoisier
Rester dans le leynol est donc vécu par certains comme un déclassement
tant l’appellation hrâtîn revient, selon eux, à être identifiés comme
d’anciens esclaves des Maures. Or, ces personnes revendiquent avec force
le fait que leurs ascendants étaient affranchis avant leur arrivée chez les
Haalpulaaren. Il s’agit là d’un argument essentiel qui révèle l’importance
accordée à l’ancienneté de l’affranchissement dans les jeux de
positionnement. En d’autres termes, ces Hormankooße se considèrent d’un
plus haut statut que les hrâtîn – et a fortiori que les maccuße – car ils ne
doivent pas leur affranchissement à leur société de rattachement.
L’argument culturel apparaît également fondamental pour justifier
l’opposition à l’identification hrâtîn. Pour les familles opposées au leynol,
leur appartenance à la société haalpulaar ne peut être discutée. Ce
positionnement ne répond pas uniquement à une réalité culturelle, mais
renvoie également à un choix stratégique. Devant le peu de considération
que le terme hrâtîn suscite en milieu pulaar, nombreux sont ceux qui, parmi
les Hormankooße, refusent de faire référence à leur origine hrâtîn pour se
présenter exclusivement comme Haalpulaaren. Ce choix est condamné par
les membres du leynol qui le jugent contradictoire, voire suspect.
Les Hormankooße sont des hrâtîn. Celui qui dit qu’il n’est pas hrâtîn alors pourquoi il s’appelle
Saafalße. Celui qui dit qu’il n’est pas hrâtîn et qui se dit Hormanke c’est un ancien maccudo
(singulier de maccuße)28.
Ainsi s’établit une hiérarchie entre les Safaalße Hormankooße qui, du fait
de la prétendue antériorité de leur affranchissement, se considèrent
supérieurs aux hrâtîn, qui eux-mêmes se positionnent au-dessus des
maccuße. Ces lignes de démarcation sont entretenues à l’occasion des
alliances matrimoniales par le refus des Hormankooße de donner leurs
femmes aux hrâtîn, lesquels évitent à leur tour de marier des femmes chez
les maccuße33. Or, ironie de l’histoire, de tels mariages étaient fréquents
dans le passé. La tendance actuelle au repli sur soi apparaît donc pour le
moins singulière au regard de la proximité sociale et généalogique des
groupes concernés. Cette situation est souvent à l’origine de configurations
familiales originales. Aussi n’est-il pas rare de rencontrer des parents
proches se revendiquer hrâtîn, tandis que d’autres se déclarent
Hormankooße ou maccuße (Leservoisier 2000 ; Kamara 2001). Ceux qui,
aujourd’hui, reconnaissent leur statut d’« esclave », regrettent les divisions
qui s’instaurent ainsi au sein des mêmes familles et rejettent l’idée que le
chemin de l’émancipation doive passer par le reniement de l’origine
sociale34 : « Les Saafaalße Hormankooße, à part quelques familles, c’est la
même chose que les maccuße. Ce sont nos parents. Ils se disent
Hormankooße parce qu’ils ne veulent pas se dire maccuße »35. Or, force est
de constater que la plupart des membres du leynol ont effectivement dans
leur généalogie des parents d’origine servile, ce qui ne les empêche pas
cependant de se prévaloir comme de dignes représentants des
Hormankooße. Face à cette situation et à la politique de fermeture
appliquée aux maccuße, il semble donc que la condition essentielle pour
être accepté dans le leynol est avant tout d’être reconnu par ses membres,
l’origine des aïeux n’ayant en définitive que peu de pertinence. On constate
ainsi que les lignes de démarcation entre ces catégories subordonnées se
fondent moins sur des différences culturelles objectives fortes que sur leur
positionnement identitaire et la reconnaissance mutuelle de leurs membres
respectifs. Il ressort, par ailleurs, que le franchissement des frontières
sociales est d’autant plus difficile à réaliser que les groupes concernés sont
socialement et généalogiquement proches.
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1. L’utilisation que je fais dans le texte des termes « nobles » (rimße) et « esclaves » (maccuße),
renvoie donc à un statut et à un usage locaux.
2. Une autre version recueillie auprès des intéressés en fait les descendants directs de ces guerriers
marocains : ils seraient des Arabes venus du Maroc.
3. Entité régionale et politique haalpulaar de la moyenne vallée du Sénégal.
4. Comme l’a défini Bastide (1998 : 85), l’acculturation forcée intervient dans des cas comme ceux
de l’esclavage ou de la colonisation « dans lesquels il y a bien volonté de changer la culture des natifs
pour la plier aux besoins du groupe dominant […] ».
5. Cette partie reprend partiellement certains éléments présentés dans Leservoisier (2000).
6. Comme l’a souligné A. Wedoud Ould Cheikh (1985), l’essentiel des acquisitions en esclaves ne
provenait pas des sociétés négro-africaines de la vallée. Bien que le souvenir de razzias reste ancré
dans les mémoires de ces populations, celles-ci n’ont en effet jamais constitué pour les Maures leur
source principale d’approvisionnement en captifs. Elles ont même parfois participé activement à leur
commerce, comme l’ont signalé les travaux de P. Curtin (1975) et de J. Webb (1995). Les esclaves
provenaient principalement des régions du haut fleuve Sénégal (Bundu, Bambuk). Un grand nombre
de Bambaras a ainsi été vendu sur le marché mauritanien, à la fin du XIXe siècle, à la suite des guerres
saintes menées par Al Hajj Umar Tall et par Samori.
7. Ces appellations traduisent en réalité moins une couleur de peau qu’un statut social et une origine
raciale. On rencontre, en effet, des harâtîn qui sont clairs de peau et des bidân au teint noir.
8. Voir à ce sujet les travaux de Denise Bouche (1968) qui ont montré le traitement peu enviable que
l’administration française réserva aux esclaves réfugiés dans les villages de liberté. Les esclaves en
fuite, lorsqu’ils n’étaient pas tout simplement rendus à leur maître, étaient ainsi soumis aux tâches les
plus pénibles, au point que les populations autochtones leur donnèrent le surnom de « captifs de
Blancs ».
9. Ce fut le cas aux alentours de Boghé où les Halayße ont largement encouragé, au XIXe siècle,
l’installation des hrâtîn Jeyjuba en leur distribuant des terres sur le jeejegol (la limite du waalo et du
jeeri). Les Jeyjuba ont ainsi formé une ceinture de protection autour de la plaine de Boghé et ont
contribué à renseigner les Halayße sur tous les mouvements de razzia qui parcouraient la région à
cette époque (Jah 1986 : 46).
10. Ce fut notamment le cas dans la région du Gorgol entre les villages de Dao et de Dolol, où les
habitants de cette dernière localité recrutèrent massivement des hrâtîn pour s’assurer d’une protection
contre leurs voisins (Leservoisier 1994).
11. Dans la basse vallée du Sénégal, les hrâtîn qui se sont implantés en milieu wolof sont appelés
« Bzouga ». S’ils ont souvent changé leur patronyme au contact de ce milieu (Sall 1986), il semble
cependant, selon les personnes interrogées à Kaédi, qu’ils aient conservé des traits culturels maures,
notamment vestimentaires.
12. Terme désignant en pulaar les femmes de statut servile.
13. Les premières élections après le coup d’État militaire de 1978 ont été les municipales de 1986,
qui ne concernaient, à l’époque, que les capitales régionales. Le processus démocratique a été
véritablement enclenché avec l’adoption d’une nouvelle constitution, approuvée par référendum le
12 juillet 1991, suivie la même année par une ordonnance relative à l’instauration du multipartisme.
14. Terme consacré localement.
15. Manifeste du 5 mars 1993 intitulé : Les Haratines… Contribution à une compréhension juste de
leur problématique (1993 : 7).
16. Le leynol n’aurait pu être créé sans le soutien de l’administration car au lendemain des
événements de 1989, il fallait la reconnaissance et l’autorisation de l’administration pour pouvoir se
réunir.
17. Entretien avec B. M., Kaédi, février 2004.
18. Entretien avec M.C., Kaédi, février 2004.
19. Dans son article Ousman Kamara (2001) ne semble pas prendre en compte le fait que bon nombre
de Hormankooße se disent également hrâtîn et que seule une fraction des Hormankooße à Kaédi
refuse cet amalgame.
20. Les Seßße et les Subalße appartiennent à l’ordre noble des rimße.
21. Entretien avec M. K., Kaédi, février 2004. Pour la petite histoire, signalons que dès la nuit
tombée le chameau a été égorgé par les Haalpulaaren, officiellement pour donner à manger aux
invités !
22. Entretien avec A. D., Kaédi, décembre 2003.
23. L’opposition a en effet été affaiblie par le conflit entre les hrâtîn d’El Hor et l’ancien maire
soninké Tijane Koita, qui a décidé de quitter l’AC pour créer son propre parti, l’UNDD (Union
Nationale pour la démocratie et le développement).
24. Certains ont néanmoins choisi de rester dans l’opposition. Cependant, la solidarité des membres
du leynol n’est pas remise en cause par ces divergences politiques car la défense de l’organisation
reste prioritaire.
25. Entretien avec Abou Cissé, Kaédi, février 2004.
26. Entretien avec A. A., Kaédi, février 2004.
27. Entretien avec M. B., Kaédi, février 2004.
28. Entretien avec A. B., Nouakchott, février 2004.
29. En outre, conformément à l’interdiction de mariages hypogamiques faite aux femmes nobles, ce
sont les hommes torooße qui le plus souvent épousent les femmes hormankooße, généralement
comme quatrième épouse. Par le passé, ils pouvaient les choisir comme simples concubines (taara).
30. Entretien avec M. B., Kaédi, février 2004.
31. Le même refus s’est produit en 1994 à Nouakchott dans une autre association de Hormankooße.
32. Entretien avec M. D., Kaédi, décembre 2003.
33. La transgression des interdits matrimoniaux peut conduire à des exclusions. Tel est le cas de cet
Hormanke qui, après s’être marié avec une femme kordo (plur. Horße) de mère hrâtîn, a dû quitter la
ville pour échapper aux réprimandes de sa famille. Ce n’est qu’à la naissance de son premier enfant
qu’il a pu se réconcilier avec ses parents et revenir à Kaédi.
34. Signalons que ceux qui aujourd’hui reconnaissent leur statut de maccuße sont loin d’être les plus
passifs politiquement. Beaucoup d’entre eux sont ainsi engagés dans des mouvements sociaux pour
faire valoir leurs droits et obtenir une reconnaissance sociale (Leservoisier 2003).
35. Entretien avec M. Marega, Nouakchott, décembre 2003.
L’EMPRUNT D’UN RITUEL
Susanne Fürniss
Introduction
Le présent article se propose de traiter de l’emprunt du rituel de
circoncision bèkà par les Baka du Cameroun1. Il sera question autant du
système rituel – notamment de la musique qui en est le support, des acteurs
et de leurs fonctions – que du système musical.
D’un point de vue théorique, des questions se posent tant au niveau
ethnomusicologique qu’à celui du contact entre cultures. La première est
celle de la variabilité au sein même d’une culture de tradition orale. Il s’agit
d’une approche relativement nouvelle en ce qui concerne l’Afrique centrale.
En effet, les études ethnomusicologiques relatives à cette région ont
longtemps négligé l’aspect dynamique des musiques supposées homogènes,
fonctionnelles et ancestrales. Cependant, D. V. Joiris (1996) a été la
première, dans le domaine des rituels, à démontrer et à souligner
l’importance de la variation intraculturelle. La pertinence de son approche a
été corroborée par D. Tsuru (1998 ; 2001). Leurs études mettent en évidence
de fortes variantes – que je qualifierais de « dialectales » – autour de
principes structurels communs. Ces connaissances dans le domaine des
rituels encouragent un travail ethnomusicologique différencié sur la
variabilité du système musical – synchronique et diachronique.
Dans le cadre de cet article, cette variabilité est étroitement liée au
phénomène d’emprunt à une autre culture. De ce fait, une deuxième
question théorique traitée ici est celle de la réélaboration de l’emprunt pour
en faire un élément identitaire baka. Afin de comprendre les mécanismes et
la profondeur de l’intégration de l’emprunt – inégale sur les plans musical
et rituel –, on situera le rituel de circoncision d’abord dans le contexte
interethnique de l’Est camerounais, puis dans les systèmes rituel et musical
baka ; on mettra alors en lumière les principales caractéristiques du rituel tel
qu’il est actuellement pratiqué par les Baka ; puis, on examinera le
comportement innovateur propre à cette culture ainsi que le rituel de
circoncision original avant d’approfondir les aspects de son appropriation
par les Baka.
Les données qui vont être présentées ici ont été collectées entre 1999 et
2002 à Messéa et à Njela, deux villages à 70-90 km de la ville de Lomié à
l’ouest du pays baka. Cette région est occupée par des Nzimé que les Baka
côtoient depuis la fin du XIXe siècle (Leclerc 2001 : 138). La majorité de ces
Baka est venue de l’est, de la piste qui longe la frontière centrafricaine, à
plusieurs journées de marche de leur actuel lieu de vie3. Encore
aujourd’hui, d’autres Baka y sont établis dans un territoire qu’ils partagent
avec d’autres populations, dont les Bangando et les Kwelé sont les plus
importants pour la présente étude. Une courte mission de prospection
ethnomusicologique en pays bangando et kwelé, en 2006, m’a permis de
collecter les premières données musicales pour une étude comparative à la
fois intraculturelle qu’interethnique.
Comme cela a été examiné en détail par S. Bahuchet (1993a), la
mosaïque ethnique est doublée d’une mosaïque linguistique d’une
quinzaine de langues, juxtaposant des langues oubanguiennes – tels le baka
et le bangando – et des langues bantoues – comme le nzimé et le kwelé
(Bahuchet 1992 : 48).
2. La circoncision et sa ritualisation
Chez les Baka, la circoncision est la condition pour l’accès à l’activité
sexuelle et au mariage. La coutume ancestrale comporte une circoncision
informelle et sans activité rituelle particulière4. À l’est du pays baka, les
garçons sont très souvent circoncis hors contexte baka, lors de rituels bèkà
menés par les Villageois (Joiris 1997-1998 : 308 ; Tsuru 1998 : 65), mais
ceci n’est pas une obligation (Joiris 1997-1998 : 312). L’innovation que
représente la pratique du bèkà à Messéa et dans ses environs ne réside donc
pas dans l’acte de circoncision lui-même, mais dans sa mise en forme, à
savoir son inscription dans un contexte spirituel et social renforcé. Les Baka
du Gabon connaissent une danse de circoncision ébèkà qui, selon les
enquêtes de S. Le Bomin, est accompagnée d’un tambour et de chants sur
des paroles touchant à la sexualité5. S’il est fort probable que le terme
(é)bèkà ait rayonné depuis le triangle Centrafrique-Congo-Cameroun, il ne
semble cependant pas être associé, au Gabon, à une ritualisation comme elle
est examinée ici.
En effet, comme cela est décrit en détail dans Fürniss & Lussiaa-Berdou
(2004), la cérémonie de circoncision bèkà chez les Baka occidentaux est
une manifestation importante. Elle mobilise souvent les habitants de deux
villages, puisque les candidats viennent d’un large rayon autour de Messéa
et sont alors soutenus par les habitants de leur propre village. Trois jours
durant, une succession complexe de chants, de danses et d’actes rituels non
musicaux accompagnent les préparatifs des espaces de circoncision et de
guérison avant d’aboutir à l’opération elle-même.
Les Baka de Messéa disent avoir emprunté leur rituel bèkà auprès des
Bangando il y a environ deux générations. Lors de leur migration vers
l’ouest, ils l’auraient « importé » dans la région dans laquelle ils vivent
aujourd’hui. L’emprunt étant parfaitement identifié, récent et traçable d’un
point de vue historique, nous avons la chance d’observer la période de son
installation, sa réinterprétation et son intégration.
Il convient alors de poser la question de savoir quels sont les éléments
correspondant au rituel d’origine et dans quelle mesure les Baka ont
modifié la référence bangando pour mieux l’intégrer dans leur propre
système symbolique. Afin de pouvoir appréhender ces questions, c’est donc
le système rituel et musical baka qui sera décrit en premier.
2. Le rituel d’origine
Nous allons faire un bref résumé de l’organisation de l’association
rituelle villageoise, des principaux actes magiques et thérapeutiques, ainsi
que du déroulement d’une cérémonie, tels que décrits par D.V. Joiris (1997-
1998 : 414-423). N’ayant pas assisté à une cérémonie bangando, il ne nous
est pas possible de dresser un tableau détaillé de la musique ayant servi de
référence à l’emprunt qui nous intéresse ici. Les informations étant
lacunaires, nous sommes parfois obligés de détecter les éléments exogènes
en creux dans la pratique actuelle des Baka en la comparant aux autres
musiques de leur patrimoine.
Les initiés les plus importants sont rassemblés dans un « bureau » et une
« banque », les dénominations de leurs fonctions puisant dans les termes
civils ou militaires de l’administration coloniale13. Un « claironnier » mène
les chants ; un responsable de la caisse veille à ce que les membres de
l’association payent une amende en cas de faute de comportement et
attribue des prêts aux membres nécessiteux. Le circonciseur est assimilé au
gorille « comme partout dans l’Est » (Joiris 1997-1998 : 415), et
l’association est sous la tutelle de deux masques mwangala et de son
interprète. Les membres de l’association se réunissent régulièrement dans
un enclos sacré interdit aux femmes.
À part la sœur puînée du candidat, qui l’accompagne et qui participe à un
« rituel de caractère sexuel14 » dans l’enclos (Joiris 1997-1998 : 416),
aucune femme n’intervient en tant qu’acteur rituel. Le groupe des femmes
organise certaines danses et a la responsabilité du chant et de la préparation
de grandes quantités de nourriture qui serviront à gaver le circoncis. Ce
dernier est encadré par un « parrain » ou « gardien » et d’un homme qui le
nourrit tout au long de la période rituelle. Chez les Bangando, une jeune
parente collecte des dons au candidat alors que les femmes de sa famille
font la même danse marchée que le mɛngbàā des Baka.
La cérémonie, qui dure trois jours et trois nuits, comporte des séquences
secrètes et des séquences publiques. La rencontre avec les esprits tutélaires
se fait en ouverture des festivités, mais à l’exclusion des femmes. Ces
dernières n’interviennent que le lendemain lors d’une « sorte de joute au
cours de laquelle les femmes, d’un côté, et les hommes de l’autre, se
disputent un long bâton » (Joiris 1997-1998 : 419). La fabrication des jupes
des candidats, leur habillage et un premier traitement occupent l’après-midi,
et la soirée est consacrée à une veillée récréative « durant laquelle les
candidats, suivis de leurs petites sœurs, arpentent sans relâche la cour du
village au rythme cadencé du gardien » (ibid. : 420). Au matin du jour de
l’opération, des danses d’êtres masqués – un chimpanzé mâle et des
chimpanzés femelles – ont lieu dans l’enclos du « bureau ». Lors de ces
danses, le chimpanzé mâle, assisté du claironnier comme interprète,
procède au questionnement rituel des noms des candidats et de leur
ascendance mâle. L’après-midi débute par une simulation de bataille entre
les jeunes initiés et les femmes pour les tenir à une certaine distance de
l’espace de circoncision, mais pas trop loin non plus, puisqu’elles chantent
jusqu’au moment de l’opération. Chez les Bangando, on habille le circoncis
d’une longue jupe en raphia dont la ceinture est ajustée trop large. Durant la
période de gavage, l’homme doit grossir de sorte à remplir entièrement la
ceinture sous peine de honte pour lui et la famille qui l’a nourri. Commence
alors une période de semi-réclusion de plusieurs semaines lors desquelles le
nouvel initié doit consommer des quantités énormes de nourriture, car bèkà
signifie « élever pour que quelqu’un atteigne la corpulence d’un homme »
(ibid. : 422)15.
En ce qui concerne les éléments musicaux et paramusicaux du rituel –
tant kwelé que bangando –, on peut mentionner l’utilisation de deux
tambours comme accompagnement rythmique et d’une cloche en tant
qu’objet de signalement. Il existe plusieurs chants et danses spécifiques,
tout comme des répertoires de chants masculins, féminins et mixtes. Il faut
souligner l’importance du silence : la rencontre des masques ainsi que
l’opération elle-même se déroulent dans un silence absolu. Chez les
Bangando, ce dernier phénomène met en évidence l’important enjeu moral
et social de la circoncision. Un autre élément renforce cet aspect :
l’opération a lieu publiquement, soustraite aux yeux des non-initiés par la
seule barrière que forment les hommes initiés autour du candidat. Au
moindre signe de faiblesse de ce dernier, les hommes s’écarteront, le
donneront à voir nu et l’abandonneront à la honte.
La formule rythmique
Du point de vue de la systématique musicale, la première caractéristique
à relever est celle de la formule polyrythmique bèkà dont la principale
composante est un rythme asymétrique totalisant neuf valeurs
opérationnelles minimales (2+2+2+3), représentées ici par des croches :
Il est joué par le deuxième tambour, lɛ̀ ndùmù. Ce même rythme se retrouve
dans le divertissement collectif mbàlà, lui aussi clairement identifié comme
étant un emprunt, mais auprès des Nzimé, voisins actuels des Baka
occidentaux.
Comme nous avons vu plus haut, la métrique baka est fondée sur la
subdivision ternaire des pulsations. Théoriquement, une période de neuf
valeurs minimales pourrait donc donner lieu à trois pulsations (3+3+3), ce
que suggère d’ailleurs le schéma accentuel du rythme du premier tambour,
nyīɛ̀ ndùmù :
Mais ceci irait à l’encontre d’un autre trait du système métrique baka, à
savoir celui de la périodicité à quatre pulsations ternaires, en général
exprimées par des battements de mains. Rappelons que la notion de
pulsation sous-entend un découpage isochrone de la période : le temps
écoulé entre deux pulsations conjointes est rigoureusement identique. Le
jeu du deuxième tambour – quoique fondé sur quatre accents – ne
correspond donc pas à des pulsations, puisque les accents ne sont pas
répartis de façon régulière et isochrone : 2 2 2 3. Afin de comprendre
l’aménagement de la formule empruntée, nous sommes obligés de laisser de
côté les ratios simples qui régissent quasiment toutes les musiques
africaines. En effet, les quatre pulsations isochrones semblent un trait
identitaire si puissant qu’elles sont appliquées telles quelles à cette période
de neuf valeurs rythmiques minimales. Elles sont couramment matérialisées
sous forme de battements de mains réguliers :
Ces devises sont lancées tout au long de la cérémonie, dès que l’action des
soldats est engagée. Elles sont doublées du jeu de la trompe qui remplace la
cloche de signalement bangando et en remplit les mêmes fonctions. Selon la
phase de la cérémonie, les scansions sont plus ou moins espacées, soit le
meneur lance une des quatre formules individuellement, soit il les enchaîne
et les répète jusqu’à constituer un fond sonore quasi continu lors de
l’opération.
C’est à ce moment qu’un aménagement significatif du rituel d’origine est
à relever. En effet, l’opération est le moment du climax sonore et de la plus
grande densité de rassemblement de personnes dont la disposition et les
expressions entourent littéralement le candidat et le circonciseur d’une
intense enveloppe sonore : les soldats et les tambours sont à l’intérieur de
l’enclos, alignés le long de la paroi, le frappement des tambours et le jeu de
la trompe sont ininterrompus et les scansions de devises frénétiques. En
même temps, toutes les femmes tournent autour de l’enclos de circoncision
en chantant de toute leur force. Le maintien de l’intensité et la continuité de
leur chant sont surveillés par le maître du masque qui est le seul homme, à
ce moment-là, à être à l’extérieur de l’enclos. La clameur qui résulte de ce
magma sonore, ainsi que la proximité physique des sources sonores et des
candidats, créent un puissant anesthésiant qui permet aux candidats de
supporter l’épreuve dans un état second.
Si l’épreuve de l’opération est de la supporter sans émettre un cri – le
rituel bangando est impitoyable par son silence absolu à ce moment précis
et la menace de l’abandon du candidat peureux –, les Baka ont néanmoins
créé un dispositif censé couvrir les éventuels cris des garçons : un jeune
initié, nommé « Le Chimpanzé », grimpe sur l’arbre qui soutient le siège de
circoncision et lance des cris aigus tout au long de l’opération. Dans le
discours baka, il évite ainsi la honte aux candidats qui n’auraient pas pu se
contrôler. Mais ce dispositif s’adresse aussi aux mères pour qu’elles ne se
laissent pas emporter par l’inquiétude pour leurs fils, disposition
psychologique néfaste pour l’opération.
On voit ici une attitude primordiale des sociétés pygmées : la prise en
charge de l’individu par la communauté entière20. Non seulement beaucoup
de personnes sont physiquement très proches des candidats, mais en plus,
les cris du « Chimpanzé » externalisent les peurs et les douleurs qui
deviennent alors plus supportables21.
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1. Je remercie les collègues qui ont bien voulu lire la première version de ce texte et dont les
remarques pertinentes ont permis de l'améliorer considérablement : les membres du groupe de travail
« Processus d’identification en situation de contact », ainsi que F. Alvarez-Pereyre et S. Arom.
2. En ce qui concerne l’« invention » du concept de « Pygmée », cf. Bahuchet 1993b. Ce terme se
réfère à des populations vivant le long de l’équateur africain, parlant des langues de groupes
linguistiques différents : les Mbuti – constitués des sous-groupes Efe, Asua et Kango – du Congo
Démocratique, les Twa du Rwanda, les Aka de Centrafrique, les Baka, Bakola/Bagyieli et Bedzan du
Cameroun, ainsi que les Babongo et les Bakoya du Gabon ; quelques Baka vivent au Gabon sous
l’appellation de Bibayak. J. Thomas et S. Bahuchet (1981 sqq.) les distinguent des populations de
« Grands Noirs », terme auquel je préfère avec C. Leclerc (2001 :18) celui de « Villageois ».
3. Ce mouvement est-ouest correspond à la direction principale de la migration baka considérée sur
une large échelle de temps. Toutefois, les travaux de C. Leclerc (2001 :144-145) montrent que
certains ancêtres des habitants de Messéa avaient été installés plus à l’ouest dans la deuxième moitié
du XIXe siècle, mais se sont repliés vers l’est sous la pression esclavagiste des Bulu.
4. Tsuru (1998 : 57) mentionne également la circoncision au cours du rituel d’initiation jengi.
Toutefois, la coïncidence de jengi avec cette opération n’a été observée nulle part ailleurs.
5. Je remercie vivement S. Le Bomin d’avoir mis à ma disposition les notes de ses enquêtes réalisées
auprès des Baka du canton de Minvoul (septembre/ octobre 2000).
6. Parmi les trente-quatre répertoires recensés à Messéa, outre ceux liés à la circoncision, deux danses
de divertissement (mbàlà, àmpír) sont identifiées comme exogènes et un autre répertoire rituel (èdíò)
comporte des indices forts d’un emprunt (échelle musicale, paroles).
7. À propos de la conceptualisation des parties vocales et des modalités de leur agencement (cf.
Fürniss 2005).
8. Il y a trois exceptions : une danse avec un seul tambour, deux autres avec trois.
9. Dans l’orthographe des termes baka, je fais une exception à la notation strictement phonétique afin
de correspondre à l’orthographe établie par Brisson & Boursier (1979 : vii) : le phonème noté ici /j/
se prononce dans la région d’étude [dj].
10. La circoncision en tant qu’opération se dit également njàngò (Brisson & Boursier 1979) ou
njāngò, « tranchant d’un outil, côté tranchant d’une lame, danse de la circoncision, circoncision »
(Brisson, à paraître).
11. Affronter la présence de l’esprit – qui se montre aux seuls hommes sous forme d’un masque en
branches de raphia –, supporter son regard et le regarder à son tour fait partie des épreuves de
courage qui marquent le passage du jeune homme vers l’âge adulte.
12. Les thématiques concernant la vie en couple, l’amour, voire le sexe, sont récurrentes dans le
patrimoine chanté et dansé baka (Bundo 2001, Fürniss 2005).
13. Dont le « chef du village (koukouma) ». Ce terme est également utilisé par les Baka orientaux
pour désigner le chef de bande officiel qui représente le groupe vis-à-vis de l’administration de
l’État : « Kokoma is a nominal leader for external affairs, and does not have any authority within the
band » (Tsuru 1998 : 51). À Messéa, cette fonction se nomme móbālā.
14. Joiris ne donne pas de précisions quant à la nature du rituel et de sa composante sexuelle.
15. Ceci est illustré par la photo 7 publiée dans l’annexe de Bahuchet 1993a : « Circoncision beka,
adoptée des Bangando : les jeunes hommes sont gavés et engraissés, pendant une période de
réclusion ».
16. Le résultat arithmétique ne ressemble à rien de connu jusqu’à présent, puisque le dénominateur
commun entre les 4 pulsations et les 9 impacts rythmiques est la valeur minimale virtuelle – non
opérationnelle, puisque jamais exprimée – d’1/36e de la période pendant laquelle la noire pointée est
exécutée au tempo de 156 à la minute ! Je remercie beaucoup Simha Arom et Guillaume Berland
pour leurs précieuses remarques à ce sujet et développerai en un autre lieu les implications théoriques
et cognitives de ce procédé d’adaptation particulier.
17. Il s’agit des répertoires associés aux sociétés secrètes masculines dɔ̀dì et èdíò, ce dernier étant
également un emprunt comme nous venons de le voir.
18. Je remercie M.-C. Bornes Varol pour l’initiation à la linguistique de contact.
19. Serait-ce une allusion à la recirconcision bangando à l’âge adulte dont parle Rupp (2003 : 48) ?
20. Le CD-Rom Pygmées Aka. Peuple et musique (Arom et al. 1998) comporte de multiples
exemples d’une telle attitude chez les Aka de Centrafrique, notamment le chant ndósí adressé à
l’enfant non sevré dont la mère est à nouveau enceinte et le répertoire pour harpe-cithare bògóngó
dont les chants collectifs expriment l’amour et le désir sexuel de l’homme marié pour son épouse.
21. Je remercie Z. Strougo pour son regard pertinent sur les aspects psychologiques qui transcendent
les paroles et les actes.
22. Cette acception large de « chasseur de grand gibier », qui assimile les hommes aux grands
mammifères et de ce fait regroupe les soldats et les chasseurs dans une même catégorie de personnes,
semble répandue dans le Bassin du Congo. Il en est de même chez les Lia de Lukolela en République
Démocratique du Congo auprès de qui mes collègues et moi-même avons pu mener des enquêtes en
1990.
VARIATION SÉMANTIQUE
DU NKUKUMA (« CHEF »)
État initial, renversement et réinvestissement
d’une notion, sous impact étranger,
chez les Beti du Cameroun
Philippe Laburthe-Tolra
Légende
grisé clair et = éléments de renversement.
Marie-Pierre Gibert
Danse(s) yéménite(s)
Si l’on réduit encore la focale pour se centrer plus particulièrement sur un
groupe de la population israélienne, celui des Juifs venus du Yémen, il est
surprenant de constater que, tandis que les patrimoines dansés apportés par
cette population au début des années 1950 sont très diversifiés17, une seule
pièce dansée est évoquée ou décrite par tout Israélien interrogé sur « la
danse yéménite ». Une analyse approfondie des différentes formes de danse
coexistant aujourd’hui en Israël (danse folklorique israélienne, troupes de
danse yéménites et pratiques communautaires) montre alors que cette pièce
dansée, qui correspond à l’origine à ce que dansaient les hommes venant
des régions Centre et Sud du Yémen, se retrouve aujourd’hui dans ces trois
formes de danse, mais dans des versions présentant des différences plus ou
moins grandes.
C’est sur les différentes exécutions de cette pièce dansée et les raisons de
sa sur-représentation que portera cet article18. Leur comparaison permettra
de mettre au jour les différents processus d’emprunts réciproques et
d’innovations touchant un répertoire dansé et résultant de la situation
sociopolitique israélienne. Deux espaces de contact sont ainsi pris en
compte :
– celui de la danse folklorique israélienne comme résultat du contact
entre les pratiques dansées des différentes commu– nautés (juives et
non juives) composant la société israélienne et le processus volontaire
de construction culturelle israélien ;
– celui des troupes « ethniques » yéménites comme résultat d’un contact
entre danse folklorique israélienne et pratiques dansées des Juifs venus
du Yémen.
On assiste ainsi à la construction, par la danse19, d’un personnage que je
nomme le « Yéménite israélien », qui est tantôt commun à tous les
Israéliens, tantôt spécifique aux membres de la communauté d’origine
yéménite en Israël. Ainsi, en étudiant cette prise en charge collective de la
construction israélienne du Yéménite par la danse, la question du contact
est envisagée en termes de phénomène dynamique réciproque.
Le texte s’organise en deux parties : présentation analytique des
différentes versions d’abord, puis ouverture sur un commentaire théorique.
Si ce découpage peut paraître trop artificiel a priori, il se justifie par une
volonté non seulement d’analyser un phénomène de contact particulier,
mais aussi de démontrer la capacité heuristique de l’étude des pratiques
dansées dans la compréhension des phénomènes sociaux. En effet, passer
par une analyse précise des différentes dimensions constitutives des
pratiques dansées (dimensions formelle, corporelle, musicale, contextuelle,
etc.) permet d’accéder aux différentes formes que peuvent revêtir les
processus de construction et de reconstruction identitaires (opposition entre
assimilation et différentiation, dialectique entre regard intérieur au groupe et
regard extérieur, identités « gigognes » ou multiples).
Protagonistes :
– hommes,
– de tous âges,
– habitants ou originaires de la région Centre-Sud du Yémen.
Organisation temporelle :
Organisation spatiale :
– une à trois paires34 de danseurs seulement ; plus rarement, une configuration en trios est
observable,
– les paires ou les trios s’ouvrent parfois pour former une ligne,
– il n’existe pas de front particulier (le « public » que constitue l’assemblée est assis tout autour des
danseurs),
– les déplacements se font dans un espace réduit (quelques mètres carrés).
Structure de la pièce :
– il s’agit d’une succession de motifs dansés choisis au fur et à mesure par les danseurs dans un
stock relativement fini de motifs chorégraphiques.
Dimension corporelle :
Habillement :
– les hommes sont vêtus de la tenue quotidienne de certains hommes de la région centre-sud, c’est-
à-dire une galabia (« djellaba ») blanche ou grise, en général rayée de noir ou de gris foncé. Leur
tête est coiffée d’un bonnet de feutre noir entouré d’un foulard de tissu similaire à celui de la
galabia, dont dépassent les pe’ot ou papillotes (mèches de cheveux descendant le long des tempes).
Divergences
Un certain nombre de divergences peuvent être constatées dans les trois
versions :
– toutes procèdent à un raccourcissement de la durée des séquences
dansées ;
– l’organisation dans l’espace est plus diversifiée : un « face public » est
instauré ; d’autres configurations des danseurs sont ajoutées ; les
motifs dansés sont effectués dans toutes les directions ;
– la succession des motifs dansés est fixée préalablement et est identique
pour tous les danseurs ;
– un même costume est adopté par tous, qui n’est pas forcément celui
qu’ils portaient dans leurs régions respectives : la longue robe de coton
(galabia) et le bonnet de feutre noir auquel sont fixées de fausses
papillotes (pe’ot) lorsque les danseurs n’en portent pas véritablement.
D’autres divergences sont encore observables, mais qui ne concernent
cette fois que l’une ou l’autre des versions.
Dans « Nostalgie de la terre d’Israël » (troupe de Kiriat Ekron), c’est
avant tout le changement des protagonistes qu’il faut souligner. En effet, les
danseurs de cette troupe sont originaires d’une autre région du Yémen et
sont identifiés comme tels par le nom même de la troupe dont le sous-titre
indique « Patrimoine des Juifs du Nord du Yémen ». Outre l’origine
régionale des danseurs, c’est aussi sur le sexe que peut se faire la
divergence. Ainsi, cette pièce est parfois exécutée par une fillette seule,
revêtue de vêtements féminins venant de la région Centre-Sud. En termes
d’accompagnement musical, on note l’absence du halel – dernière séquence
de la succession musicale. D’autre part, la quantité des motifs gestuels et
chorégraphiques exécutés est réduite.
Dans « Nostalgie de Jérusalem » présentée par la troupe du moshav
Shaar Efraïm, la principale divergence concerne également les
protagonistes de la scène. Ici, c’est avant tout en termes de sexe des
danseurs que cette version diverge du « modèle » : une partie des exécutants
sont des femmes, dont certaines sont déguisées en hommes. D’autre part,
l’organisation spatiale est assez largement modifiée puisque les
danseurs/danseuses ne sont qu’exceptionnellement en paire, mais plutôt en
cercle ou en lignes ; et du point de vue des motifs chorégraphiques et de la
gestuelle, certains éléments ont été ajoutés. En outre, comme dans le cas
précédent, seules les deux premières séquences de la succession musicale
(nashid et shira) sont effectuées. Enfin, cette pièce est présentée de manière
isolée, sans restituer le contexte de son exécution au Yémen (il s’agit donc
de ce que j’ai appelé une « scène-musée »).
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Filmographie
1949 Flight to Freedom
Production : William Zimmerman – Joint Distribution Commitee
Additional film, 11 min.
1962 Rikoudei Yehoudei Teiman [« Danses des Juifs yéménites »]
Production : Gourit Kadman, 19 min., filmé en 1951.
1973 Captation du Festival Boï Teiman [« Viens Yémen »], Israël.
1992 Teiman : Music of the Yemenite Jews
The Israel Music Heritage Project, 28 min.
1995 The Last Jews of Yemen
Production : Larry Frisch, 43 min.
s. d. Shirat Teiman [« Le chant-poésie du Yémen »]
s. d. Kumi Teiman [« Lève-toi Yémen »]
Hugo Ferran
Tableau récapitulatif
1. Sur les quatre-vingts groupes ethniques recensés à l’échelle nationale (Central Statistical Authority
1996), plus de quarante occupent la moitié méridionale de l’Éthiopie, et plus précisément, l’une des
neuf provinces ethno-fédérales appelée « Nations, nationalités et peuples du Sud ». La société maale
fait partie de cet ensemble hétéroclite. Son territoire de 600 km² s’élève à des altitudes comprises
entre 700 et 2 800 mètres. Les linguistes classent la langue maale dans la branche sud-ometo de la
famille omotique. Elle serait parlée par plus de 46 000 locuteurs (CSA 1996). Nous avons effectué
cinq enquêtes de terrain dans l’une des quatre aires culturelles et dialectales qui composent le pays
maale (février-avril 2001 ; février-mars 2002 ; décembre 2002-janvier 2003 ; novembre-décembre
2003 ; juillet-septembre 2006), en son centre géographique, politique et rituel, grâce au concours du
ministère des Affaires étrangères, de l’Ambassade de France, du Centre Français des Études
Éthiopiennes, du laboratoire Langues Musiques Sociétés (UMR 8099 CNRS – Paris Descartes) et de
l’Unesco. Qu’ils en soient ici sincèrement remerciés.
2. Zamure (sing.), Zamuro (plur.).
3. Amane (sing.), Amano (plur.).
4. Alame (sing.), Alamo (plur.).
5. Donham (1986 : 80-81).
6. Né en 1872 dans une famille méthodiste, Rowland Victor Bingham émigre rapidement au Canada.
Il fonde la Sudan Interior Mission (SIM) à Toronto en 1893 avec Walter Gowans et Thomas Kent. Un
siècle plus tard, en 1998, les organisations appelées Sudan Interior Mission, Andes Evangelical
Mission, International Christian Fellowship et Africa Evangelical Fellowship fusionnent pour former
la Serving In Mission (SIM), autrement appelée Société Internationale Missionnaire (SIM) en langue
française. Jusqu’en 1998, l’acronyme SIM a donc désigné la Sudan Interior Mission et sert
maintenant d’abréviation à la Serving In Mission ou Société Internationale Missionnaire. Dans le
présent article, nous utiliserons uniquement ce sigle en référence à la Sudan Interior Mission, sauf
indication contraire de notre part.
7. « En 1935, il y avait dix missions protestantes différentes dans le pays, mais la SIM faisait plus de
trois fois la taille de toutes les autres » (Donham 1999 : 201 note 21, notre traduction). Voir
également l’article Protestant Missions during and after the Italo-Ethiopian War, 1935-1937 (Lass-
Westphal 1972 : 89-101).
8. Lettre de prières et d’informations de la SIM 2005 : 11, www.simorg.fr, consultée le 28 mars 2005.
9. Carolyn Ford (missionnaire américaine de la SIM), communication personnelle ; et Wole Yesus
(missionnaire kambatta œuvrant pour l’église éthiopienne évangélique Kale Heywet), communication
personnelle.
10. Donham (1999 : 110).
11. SIM, Éthiopie, Un peu d’histoire, http://home.sysco.ch/sim/chfsite/histoire.htm, consulté le 19
avril 2005.
12. « Ce fut particulièrement le cas en pays welaita, où les missionnaires avaient laissé cinquante
convertis tout au plus en 1937, alors qu’en 1944, il en existait près de quinze mille » (Donham
1999a : 98, notre traduction).
13. SIM, Éthiopie, Un peu d’histoire, http://home.sysco.ch/sim/chfsite/histoire.htm, consulté le 19
avril 2005.
14. Donham (1999 : 101).
15. Ibid. (1999 : 109).
16. La photographie qui se trouve sur la couverture du livre Marxist Modern de D. Donham (1999)
témoigne de l’exécution de l’un de ces chants.
17. Cf. infra. On pourra également se référer à Donham (1994 : 159-60) et à Ferran (2002 : 50) pour
saisir l’importance de la bière dans la société maale traditionnelle.
18. On retrouve ici le thème abordé par O. Leservoisier dans cet ouvrage.
19. Ce sujet est traité de façon détaillée dans la notice du disque Éthiopie méridionale. Musique des
Maale : éloges et bénédictions (Ferran : 2005).
20. Serving In Mission Together, Strengthening the Church, Issue 98,
http://www.sim.org/magazine/mag98.pdf, consulté le 24 avril 2005.
21. Ce sujet est également discuté par T. L. Baldridge (1997).
22. Ces informations et celles qui suivent ont été recueillies au cours de plusieurs entretiens menés en
pays maale et à Addis Abeba auprès d’informateurs maale, amhara, kambatta, welaita et américains.
Je me suis également référé aux rapports de terrain non publiés de Balew Baye et Bitew Kassaw (cf.
bibliographie).
23. « Les missionnaires welaita sont arrivés en 1960. Au début, les premiers protestants maale ne
faisaient que prier. Puis, ils ont commencé à chanter des zamuro en langue welaita. Les missionnaires
venus du Nord chantaient le solo et les Maale leur répondaient en chœur [sous forme d’ostinato],
même s’ils ne comprenaient pas les paroles. Les Maale ont ensuite traduit ces chants dans leur langue
et en ont appris d’autres en langue ari, après les avoir traduits ou non. Plus tard, ils se sont mis à
composer leurs propres zamuro, en maale et en amharique. Quelle que soit la langue utilisée, tous ces
chants [de forme responsoriale] sont appelés bayle zamuro (‘psaumes traditionnels’). Les Maale se
sont également approprié certains zamuro amhara à partir de cassettes ou de chants entendus à la
radio. Dans certains cas, ces chants étaient repris tels quels. Dans d’autres, on traduisait les paroles en
maale en modifiant ou non la mélodie. De nos jours, un grand nombre de compositeurs maale (au
moins deux par église) créent des zamuro. Les paroles maale ou amhariques sont soit complètement
inventées, soit inspirées d’un passage de l’Ancien Testament, des Évangiles ou du Livre des
Psaumes, soit encore directement extraites de l’un de ces livres bibliques et mises en musique. Une
fois composée, la mélodie originale est adaptée aux différents instruments dont on dispose. Notre
intention est de publier un recueil d’une centaine de zamuro maale » (Entretien effectué le
11/08/2006 à Koybe auprès de Asfaw, missionnaire maale travaillant pour la mission The Word for
the World, dirigée en pays maale par le Sud-Africain Kobus van Aswegen, en partenariat avec
l’église Kale Heywat et la SIM).
24. Comme les traditionalistes, les protestants représentent aujourd’hui près de 50 % de la population
maale. La musique protestante est donc aussi répandue que la musique traditionnelle.
25. La catégorie densitsi zamuro des protestants fait figure d’exception. En effet, les protestants ont
composé récemment cette catégorie en s’inspirant des chants traditionnels contrapuntiques.
Conséquence de cet emprunt musical, les traditionalistes – et surtout les jeunes générations de
traditionalistes – pratiquent régulièrement les pièces de cette catégorie. Ainsi, bien que chaque
communauté religieuse affirme jouer exclusivement le patrimoine qui lui est associé, il est fréquent
de voir les traditionalistes chanter des pièces protestantes. Mais la réciproque est plus rare, la
musique traditionnelle étant considérée comme l’œuvre de Satan par les protestants.
26. Bien entendu, une même pièce peut être catégorisée de plusieurs façons et appartenir ainsi à
plusieurs catégories.
27. Ce sujet est traité de façon détaillée dans l’article « Désignation et catégorisation vernaculaires
des pièces musicales maale » (Ferran 2009). Ici aussi, une même pièce peut être catégorisée de
plusieurs façons et appartenir à des catégories différentes.
III.
UNE MÉTHODE POUR L’ÉTUDE
DES SITUATIONS DE CONTACT
L’étude des processus d’identification en situation de contact porte sur la
façon dont une culture réagit aux perturbations créées par le contact. Les
études présentées dans ce volume sont guidées par une ou plusieurs des
interrogations suivantes : comment un sujet perçoit-il l’Autre à partir de lui-
même et de sa propre culture ? Comment les sujets évaluent-ils la
différence/la ressemblance entre leur culture et celle des Autres ? Comment
cette prise de conscience individuelle modifie-t-elle collectivement la
culture ? Comment la collectivité culturelle prend-elle conscience d’elle-
même à travers la diversité de l’Autre et du traitement qu’elle fait de cette
différence ? Enfin, comment le regard porté par l’Autre (ou plutôt par les
Autres en tant que sujets porteurs d’une culture différente) sur elle affecte
ou non la perception que cette culture a d’elle-même ?
Ces questions interfèrent les unes avec les autres et les étudier demande
de ne pas perdre cet aspect global de vue, quel que soit le découpage auquel
on se livre ou le point de vue que l’on adopte sur cet objet d’étude
complexe. Le contact ne se fait pas d’une culture à l’autre, mais d’un sujet à
un autre à l’intérieur d’une même culture ou dans plusieurs cultures
différentes. Se pose alors une autre question : qu’est-ce qui distingue les
processus d’identification en contact interculturel des processus
d’identification intraculturels ? Si, nous fondant sur la similitude entre les
deux processus, nous abordons la question du contact entre deux cultures
comme un cas particulier de contact interindividuel au sein d’une même
culture, est-ce que nous ne réduisons pas notre objet à l’excès ? Et si les
résultats des contacts interculturels ne sont analysés que comme une somme
infinie de contacts entre un nombre (fini, mais très important) de sujets
appartenant à des cultures différentes (avec toutes les variantes
individuelles que cela représente), est-il encore possible de dire quelque
chose sur les cultures en contact ? Nous avons choisi une position de bon
sens qui prenne en compte des ensembles culturels et leurs rapports sans
pour autant nous écarter de la notion de sujet. De fait, nos études de cas
concernent tour à tour un seul sujet, plusieurs sujets d’un même ensemble,
des groupes de sujets au sein d’une société, une société tout entière.
Les études de cas que nous avons présentées dans la deuxième partie de
ce volume ont été soumises à des présentations discutées et à des relectures
critiques dont les conclusions ont été intégrées aux textes, selon un
fonctionnement que nous avons abordé en introduction (chapitre I). Cette
étude finale reprend donc, de façon plus théorique, la confrontation de nos
méthodes et de nos problématiques à partir de ce qu’en disent nos
disciplines, telles que nous les avons situées en introduction également
(chapitre II), et à propos des objets d’étude qui nous étaient propres.
Rappelons ici que nous ne représentons que quelques disciplines et encore,
pour chacune d’elles, ne représentons-nous pas tous les courants de cette
discipline. Pour cette raison les membres du groupe de recherche ont bien
pris soin de préciser à quelle école de pensée ils se rattachaient. Il s’agit
simplement, dans ce chapitre, de rendre compte de la progression
interdisciplinaire de notre réflexion commune et de nos discussions, d’en
concrétiser les étapes et les résultats aussi loin que faire se peut à ce stade
de notre réflexion. Ce faisant, nous sommes conscientes de ce que nos
remarques ici présentées croisent ou rejoignent en bien des points des
travaux sur la sociologie de la connaissance ou la philosophie des sciences,
mais notre but ici n’est pas d’élaborer une théorie dans ces domaines. Les
études que nous présentons sont des cas particuliers, elles sont en nombre
insuffisant, elles relèvent d’approches disciplinaires, et ne peuvent en
conséquence permettre d’élaborer une théorie unifiée.
Cependant, la confrontation des savoirs et des études a amené les
chercheurs du groupe à un travail méthodologique et théorique s’appuyant
sur des convergences et cherchant à résoudre et transcender les divergences,
comme dans d’autres cas de contacts. Le traitement des frontières des
disciplines, leur repérage, leur maintien ou leur effacement ont produit un
discours transdisciplinaire dont nous jugeons qu’il constitue un progrès
pour l’étude des rapports complexes de contact entre les sujets et les
cultures. Il relève les points importants qui doivent obligatoirement être pris
en compte lors de l’étude d’une situation de contact, présente une première
typologie comparée des situations de contact et des phénomènes d’emprunt,
décrit les processus et dynamiques en jeu et en propose une explication. Il
extrait enfin de la lecture croisée des études de cas une modélisation
provisoire de l’identification du sujet à sa culture, utile au paramétrage des
situations de contact. Ce sont ces points de réflexion commune que nous
souhaitons ici soumettre à la communauté scientifique afin de les confronter
à de nouveaux exemples et à de nouvelles disciplines.
La sociologie du contact
Majorités/minorités. Cette variable est liée à la précédente par le fait que,
tant dans la migration que dans la diaspora, le groupe qui entre en contact
avec un autre est minoritaire et n’a, en général, pas de pouvoir
démographique, politique ou culturel dominant. Le contact est donc
asymétrique et l’on peut déduire que si l’impact du contact sur les
populations migrantes ou en diaspora est fort, il n’affectera que peu la
société qui les reçoit. Il est donc utile de poser la question de la taille
relative des groupes comparés, même si ce questionnement n’est pas
suffisant, une majorité pouvant être socialement soumise à une minorité
comme c’est notamment le cas des Baka du Sud-Est du Cameroun.
Le nombre de groupes en présence. On voit dans les études que la
multiplication des groupes en contact produit des effets de multiplication
des variantes. C’est surtout dans les effets du contact sur les systèmes que
ce facteur a été étudié (ici par D. Cuche et M.-C. Bornes Varol). Son
incidence est donc prise en compte lorsque nous examinons les effets du
contact intersystémique.
La réciprocité/la non-réciprocité du contact est un paramètre important
pour l’évaluation de la situation de contact. La symétrie domine entre
l’influence de A sur B et de B sur A dans le cas d’un multilinguisme ou
d’un multiculturalisme partagé. On constate une asymétrie importante dans
le cas des Chinois apprenant le français (A. Bergère), dans la mesure où la
réanalyse qu’ils opèrent du français n’affecte en rien (ou a peu d’incidence
sur) la perception de cette langue par ses locuteurs et la façon dont ils la
parlent, si l’on exclut le cas de l’enseignante locutrice de français. La
réanalyse du système linguistique du turc par les Judéo-Espagnols (M.-
C. Bornes Varol) a beau produire une variété particulière de turc (le turc des
Juifs), cette variété, en raison du rapport numérique très déséquilibré entre
les populations turcophones et la population judéo-hispanophone, n’affecte
pas le turc de manière signifiante. Dans le cas des Baka (S. Fürniss), les
Bangando auprès de qui ils ont emprunté leur rituel ne sont même pas au
courant de cet emprunt et de ses réaménagements, les Baka qui le pratiquent
ayant quitté le territoire bangando.
Le rapport dominant-dominé. Le rapport asymétrique entre des langues
partageant un même territoire peut être lu en termes sociopolitiques de
rapport entre dominant et dominé1. Analysant les effets de ce rapport
asymétrique, S. Thomason et T. Kaufman (1988) opposent les situations de
multilinguisme partagé aux cas « d’alternance sous shift », qui désignent les
cas de remplacement progressif d’une langue par une autre. Pour le
psychanalyste, c’est la situation conflictuelle ou non conflictuelle existant
entre le sujet, sa famille et la société qui s’avérera pertinente. Une telle
situation peut produire des cas d’acculturation forcée où la transmission de
la culture d’origine n’est plus assurée, où il y a une rupture entraînant le
remplacement d’une langue ou d’une culture par une autre.
L’acculturation progressive peut mener à l’assimilation sans qu’il y ait de
violence exercée par un groupe sur un autre. En général, il y a cependant
dans ce cas asymétrie (numérique, sociale, symbolique…) des groupes en
présence. Louis-Jean Calvet, dans La Guerre des Langues (1987) affirme la
primauté du rapport de force des groupes en présence sur les effets du
contact.
Une des situations-limite de l’étude des situations de contact interculturel
est l’ethnocide, entendu comme la disparition d’une culture, « absorbée »
par une autre (cf. infra les bornes de l’emprunt).
Prestige et pouvoir. L’emprunt semble avoir une fonctionnalité
spécifique tant pour les Judéo-Espagnols que pour les Baka. On remarque,
dans le cas des seconds, la forte fonction symbolique de l’élément emprunté
qui présente une expressivité accrue : il est reconnaissable, il appelle
l’attention, il a un marquage symbolique particulier « exogène » parmi tous
les autres éléments culturels. L’emprunt du rituel entraîne un surcroît de
pouvoir (S. Fürniss parle d’intensification), reconnu à la fois à l’intérieur du
groupe et à l’extérieur (dans l’environnement interethnique), celui de
l’efficacité de la procédure rituelle. Dans le cas des Judéo-Espagnols,
l’emprunt confère un surcroît d’efficacité verbale2. L’efficacité verbale de
leurs créations (papeldji et pacharodjú) transcende les frontières du groupe
et les termes sont passés dans l’argot des marchands turcs. Ils affirment par
là une aptitude à la conversion des monnaies et à leur transfert (compétence
économique située dans une marginalité relative par rapport au pouvoir) que
les Autres leur reconnaissent (ou leur assignent).
1. Théorie de l’emprunt
Nous employons ici le terme d’emprunt au sens générique utilisé par
toutes les disciplines de notre groupe pour désigner tout phénomène de
transfert intersystémique en situation de contact ainsi qu’il a été défini
supra dans le glossaire commun.
Le fait qu’une société (un groupe, un individu) ait une disposition à
l’emprunt, voire qu’elle instrumentalise sa capacité à emprunter dans une
situation d’enjeux identificatoires suppose qu’elle sache délimiter les
systèmes. Elle fait intervenir ce qui peut ou non être emprunté, à qui,
pourquoi, et surtout dans quelles limites. En effet, l’existence de situations
où un système est remplacé par un autre pose le problème de savoir
jusqu’où l’on peut emprunter sans devenir l’Autre. Dans certaines situations
de contact, ces questions sont explicitement posées et font l’objet
d’affrontements et de négociations.
Z. Strougo et M.-C. Bornes Varol ont proposé deux bornes aux situations
d’emprunt, un pôle négatif défini comme l’emprunt zéro, celui où rien
n’est pris par une société de la culture de l’Autre (si ce n’est la conscience
de constituer une culture distincte), et un pôle positif défini comme
l’emprunt total, c’est-à-dire le passage à un autre système, l’assimilation
au système de l’Autre et la disparition de la culture ou de la langue
antérieure du groupe. Ce dernier pôle correspond aux cas d’acculturation
subie ou forcée, d’ethnocide culturel (Jaulin 1970 ; 1974) et aux cas de
changement de langue distingués par les travaux de Thomason & Kaufman
(1988) sous le nom de « language shift ». Entre ces deux pôles se
trouveraient des situations d’emprunt d’extension variable. Toutefois, les
deux pôles considérés constituent des situations limites, dont la réalité
effective peut être mise en doute. En effet, toute culture emprunte forcément
quelque chose à une autre, qu’elle le veuille ou non, et toute culture qui
disparaît laisse forcément une trace dans celle qui l’absorbe. Cependant, les
cas de refus de contact culturel et de disparition de cultures existent et sont
des cas sociologiquement problématiques.
La schématisation précédente est certes abstraite et hypothétique, mais il
est intéressant de constater que les théorisations issues des études sur les
contacts de langue rejoignent ici les limites posées aux processus
d’identification par différents travaux de psychanalyse. Elles ont été
transposées par Z. Strougo au cas des migrants. Cette superposition dessine
une première typologie, assez sommaire certes, qui conduit M.-C. Bornes
Varol et Z. Strougo à la définition commune des trois cas de figure
suivants :
– l’emprunt zéro ou l’identification en « contre-identification » ;
– l’emprunt total ou l’identification en « faux-self » ;
– l’emprunt partiel intégratif ou l’identification structurante.
L’emprunt zéro correspond au cas des migrants qui, face à la société
d’accueil, réagissent par une crispation de l’identité culturelle d’origine et le
surinvestissement exacerbé de celle-ci. Ces familles ne communiquent pas
avec l’extérieur, se sentent menacées et se créent leur propre frontière pour
se préserver de la nouveauté qui les désoriente. La frontière est maintenue
grâce à un processus actif de résistance à l’acculturation et ces familles ne
supportent pratiquement aucun élément de la culture d’accueil dans leur
quotidien qu’elles organisent autour de la réactivation, de la reviviscence
(parfois quasi hallucinatoire) des signes identitaires de leur culture
d’origine. Z. Dahoun a étudié cette forme de contact (que nous nommons
« emprunt zéro ») et a décrit dans son livre Les Couleurs du silence (2006)
ses effets dévastateurs en matière de santé mentale tant au niveau de la
première que de la deuxième génération de migrants (mutisme des enfants,
troubles psychosomatiques, psychoses).
L’emprunt total correspond à ce que Z. Strougo appelle
« l’identification en faux-self »6. Cliniquement, le faux-self se caractérise
par un certain nombre de traits : l’absence de symptômes
psychonévrotiques francs ou de manifestations caractérielles pathologiques,
un comportement bien adapté, en apparence, à l’environnement, une
soumission aux exigences de la réalité. La labilité des identifications est
frappante et celles-ci peuvent changer au gré des situations. Pour utiliser un
terme anglo-saxon très parlant, on est ici dans une parfaite compliance à
l’environnement et à l’Autre. Dans le cas du migrant qui s’identifie en faux-
self, on peut voir sa difficulté à parler de son pays d’origine, ou bien, quand
il en parle, que son discours n’est infiltré d’aucune émotion décelable. Tout
au plus exprime-t-il des pseudo-affects sur le mode des stéréotypes sociaux
les plus banals. Le sujet est donc comme déconnecté de sa réalité
psychique, coupé de ses racines et de son histoire, vivant dans un état
d’apesanteur par rapport à sa culture d’origine. Les identifications qu’il
« emprunte » au système identificatoire du pays d’accueil ne sont que de
façade et ne sont pas véritablement subjectivantes.
L’emprunt partiel intégratif (ou l’identification structurante) suppose
un investissement de la culture d’accueil, probablement dès avant l’exil, ce
qui fait dire à Z. Strougo que l’étranger qui émigre est, dans certains cas, en
quelque sorte étranger en son propre pays et à sa propre culture. Il y a ici un
« désir identificatoire pré-transférentiel », c’est-à-dire d’avant la rencontre,
qui préexiste au contact et l’appelle de ses vœux. L’emprunt partiel
intégratif suppose une certaine distance, un regard critique qui ne sont pas
cependant synonymes de reniement ou de déni d’identité. Le sujet n’est pas,
ici, dans une logique de fidélité/trahison comme dans les deux autres cas,
mais dans une logique de transgression. Il fait, en quelque sorte, la traversée
de sa culture d’origine dans une recherche d’un au-delà de cette culture. Sa
recherche d’identification est exploratoire et n’est pas une déshérence.
L’emprunt identificatoire ne vient pas se substituer aux identifications
antérieures ou cohabiter avec elles dans une relation d’extériorité à
l’intérieur de soi. Il les traverse, les modifie, les parachève. Cela n’empêche
pas que la migration s’accompagne d’une souffrance plus ou moins
importante et génère un sentiment de perte. Mais peut-être que celui qui
part cherche, à travers son exil, à organiser cette perte pour s’inscrire en
propre dans son histoire.
Si l’identification symbolique (correspondant à la situation où l’emprunt,
accepté, n’entraîne pas de disparition de la culture, de réduction de soi à
l’Autre) est non pathologique, les deux autres situations sont considérées
comme pathologiques. La coïncidence entre ces théorisations disciplinaires
et leurs applications nous a conduits à considérer que l’emprunt en situation
de contact était un fonctionnement régulier et adapté des individus, des
groupes et des sociétés et que le refus d’emprunter ou l’emprunt total
comme identification à l’Autre étaient des situations pathologiques ou des
dysfonctionnements pour les individus, les groupes et les sociétés. Toute
évolution nécessite une négociation, il n’existe pas de possibilité d’inventer
sans dialectique avec sa propre identité d’origine.
L’emprunt intégré
Ce n’est pas tant la nature des éléments empruntés, leur nombre ou leur
extension qui importe ici, mais les processus d’emprunt et le traitement que
les emprunts reçoivent dans la culture emprunteuse. Pour la
sociolinguistique, l’emprunt intégré s’insère linguistiquement dans la
langue emprunteuse et devient même, au dernier stade de son intégration,
transparent pour les locuteurs de la langue. L’intégration systémique
(intraculturelle) de l’emprunt fait resurgir la question des strates du signe
qui vont au-delà du musical pour une musique, au-delà du linguistique pour
une langue, au delà du rituel pour une société.
Le degré de transparence de l’emprunt (ou le degré de conscience que les
groupes en ont) est une donnée essentielle de la typologie de l’emprunt. Elle
nécessite également une épaisseur historique, l’intégration se faisant
progressivement.
Les traits permettant de distinguer entre emprunt intégré et alternance,
pour S. Fürniss, sont :
– la profondeur historique (l’emprunt peut être daté ; au-delà d’une
génération, l’emprunt intégré suppose une transmission aux générations
suivantes tandis que l’alternance est un phénomène synchronique) ;
– l’opposition collectif/individuel (l’alternance codique stylistique est
plutôt du ressort de la variation individuelle ; l’emprunt intégré du côté du
code partagé).
À cela s’ajoute le critère de la perception de l’élément emprunté comme
endogène ou exogène par les tenants de la culture. Le chercheur peut avoir
une perception différente du phénomène en fonction de sa connaissance
différente du système et de son histoire. À titre d’exemple, le philologue
sait que le terme français « redingote » vient de l’anglais riding-coat, mais
le locuteur l’ignore la plupart du temps. De même, S. Fürniss établit
l’origine exogène d’un rituel de guérison dont les Baka ignorent qu’il a été
emprunté, grâce à sa connaissance du système musical baka. Cet emprunt,
totalement intégré, est un emprunt établi.
L’emprunt d’une forme (sonore, matérielle…) est plus concret et plus
facilement reconnaissable que celui d’un sens. Les traits divergents d’une
forme sonore ou matérielle, d’une mélodie, d’un mot, d’un rituel empruntés
sont en effet immédiatement repérables à l’oreille ou à la vue, ‘ils sautent
aux yeux’ en quelque sorte. Ce sont des données d’expérience directement
accessibles à la conscience.
P. Laburthe-Tolra montre que l’un des critères de l’intégration de
l’emprunt est sa mise en sens dans le système culturel qui l’emprunte.
Comme on le verra infra l’opération de réanalyse et de remotivation de
l’emprunt est l’un des processus de son intégration au système symbolique
de la culture, ce qui, pour Z. Strougo, dans son article, correspond aux
« remaniements » identificatoires que le sujet opère.
Les exemples donnés montrent que le degré d’intégration de l’emprunt
peut affecter diverses composantes de l’élément emprunté, qui peuvent se
situer à des profondeurs différentes. L’emprunt peut être totalement intégré,
partiellement intégré, voire très superficiellement intégré selon que telle ou
telle de ses composantes est affectée. Il sera donc nécessaire de paramétrer
finement quelles composantes sont affectées par le processus d’intégration,
à quel niveau elles sont situées et à quel degré elles sont intégrées.
Si nous reprenons le cas décrit par S. Fürniss, dans leur grande majorité
les chants empruntés sont rituellement intégrés (fonctions rituelles),
socialement intégrés (ils sont transmis depuis deux générations),
symboliquement intégrés (ils sont conformes aux valeurs esthétiques du
groupe et à son goût pour l’innovation), intégrés linguistiquement (les
paroles sont traduites en baka) et partiellement intégrés musicalement par
l’accompagnement instrumental (jeu de la trompe et formule
polyrythmique) ; mais il subsiste une particularité de leur structure formelle
qui ne correspond pas au patrimoine emprunteur.
Dans la catégorisation des emprunts on peut placer l’emprunt établi
comme borne de l’emprunt (le point où l’extra-culturel devient intra-
culturel) puisqu’il est totalement intégré, validé par la transmission et qu’il
n’est plus perçu comme un emprunt par le groupe. En cela il se situe à
l’opposé de l’alternance codique qui constitue l’autre borne systémique.
Le calque
Autant les tenants de la culture identifient facilement l’emprunt, autant
l’identification du calque leur est difficile : en effet, il est dans sa nature
même d’être transparent. La notion de calque n’est peut-être perceptible que
dans le domaine linguistique ; à notre connaissance il n’a pas été identifié
dans d’autres domaines. Cependant, il peut certainement se rencontrer dans
les cas de syncrétisme, par exemple lorsqu’un rituel garde son déroulement,
mais acquiert un sens « emprunté » tout à fait différent. Son étude
permettant de le différencier des autres types d’emprunt requiert de
descendre à un niveau d’analyse inférieur et d’examiner les procédures qui
permettent de différencier le calque de l’emprunt. Son repérage est, dans
tous les cas, le résultat d’une opération complexe car l’absence de traits
sonores ou visuels repérables immédiatement lui confère une naturalité
formelle. Il n’est en effet reconnaissable ni par les uns, ni par les autres.
Quelque chose a bien été emprunté, mais il est difficile pour les tenants de
la culture de dire exactement quoi. Cet emprunt associe des éléments
systémiques abstraits de A avec des éléments systémiques abstraits de B. Le
processus du calque témoigne d’une activité métasystémique qui se situe en
dehors de la zone de conscience des sujets : il est implicite8.
C’est encore le paramétrage qui permet de distinguer ce qui relève de la
forme de ce qui relève du sens. En linguistique, le calque repose en effet sur
la dissociation (en tout ou en partie) du signifiant et du signifié9.
L’organisation syntaxique d’un énoncé, ou une valeur modale, empruntées
sans séquence phonique de support (ou sans emprunt de signifiant) n’est
perceptible qu’à un second niveau d’analyse et demande une comparaison
intersystémique. De la même façon, la valeur sémantique d’un mot, si elle
est empruntée à un mot d’une autre langue, intervient à un niveau
symbolique et abstrait. Par exemple, en judéo-espagnol, le signifié
« essence » du mot gueso ‘os’, est calqué sur la valeur sémantique de
l’hébreu etsem, à la fois ‘os’ et ‘essence’. La forme sonore de l’hébreu n’est
pas empruntée, mais sa valeur sémantique est transférée au mot judéo-
espagnol (qui n’a jamais ce sens en espagnol).
Résumé typologique
Seuls les cas d’alternance codique matérialisent une frontière, une
rupture systémique, encore cette frontière ne se situe-t-elle que sur le plan
du code linguistique utilisé. Les sociolinguistes (Gumperz 1982) ont en
effet montré que, sur le plan discursif, l’emploi de deux codes alternés avait
des usages pertinents. On a donc, dans la langue, une unité discursive, mais
une rupture codique (limitée à son aspect stylistique). L’emprunt balisé
focalise également l’attention sur la frontière systémique. L’intégration de
l’emprunt, en revanche, contribue à effacer les frontières codiques. Le
calque crée l’illusion d’une unité codique même lorsqu’il transgresse les
frontières systémiques.
Le recours au calque
C’est la stratégie adoptée qui permet de différencier l’emprunt intégré du
calque. En effet, si l’emprunt traite une divergence reconnue en lui
construisant une convergence systémique, le calque prend acte d’une
divergence et ne cherche pas à adapter l’emprunt au système, mais à
introduire de force un élément systémique de B et à lui donner l’apparence
formelle de la naturalité. Dans la construction d’un intersystème
linguistique, le calque grammatical consiste à naturaliser en surface un
élément de la langue B, même lorsqu’il viole la grammaire de la langue
A. Le calque sémantique consiste à conférer à un élément de A un sens ou
une valeur symbolique qui appartient à B et qui lui est, avant cet emprunt,
étranger.
Comme nous l’avons vu plus haut, cette naturalité lui est conférée par la
dissociation du signe entre signifiant sonore et signifié. Le signifiant sonore
est conforme à la langue emprunteuse A alors que son sens ou sa fonction
sont conformes à la langue B. Devant l’irréductibilité de la syntaxe du
judéo-espagnol à celle du turc et de celle du turc à celle du judéo-espagnol
les locuteurs de judéo-espagnol empruntent un ordre des mots du turc
incompréhensible en espagnol : ainsi la formulation amiga de mi ermana la
madre, littéralement ‘amie de ma sœur la mère’, signifie-t-elle ‘la mère de
l’amie de ma sœur’. Le vocabulaire, la phonétique et la morphologie sont
ceux de l’espagnol, mais l’ordre des mots et le sens qui en résulte sont ceux
du turc. On peut analyser le « phonème fantôme », dont parle A. Bergère,
en termes de calque : il s’agit pour les locuteurs de A (chinois) d’introduire
un élément du système phonologique de A (une règle implicite du chinois)
dans le système phonologique de B (français).
La création de mini-systèmes
Confrontés à de grandes failles intersystémiques, les sujets construisent
des ponts à partir de fragments de systèmes : ils privilégient un trait dans un
ensemble pour fonder une convergence, se servent d’éléments devenus non
systémiques en diachronie, ou marginalisés en synchronie (variations
individuelles). Les anthropologues ont d’ailleurs pour cette raison attiré
l’attention sur le fait que le changement se produisait le plus souvent aux
marges du système.
Mini-systèmes variationnels. Comme M. López Izquierdo le rappelle
opportunément dans son article en s’appuyant sur A. Meillet (1931) et Y.
Malkiel (1994), la variation individuelle, l’innovation, l’emprunt, créent des
« mini-systèmes » concomitants, parallèles au système général,
fonctionnant selon des principes différents et qui pourraient expliquer les
irrégularités phonétiques, notamment.
Diachronie et mini-systèmes. Tous les éléments non systémiques ne
disparaissent pas, même si leur fonctionnalité est annulée ou invalidée en
synchronie. Les réseaux métaphoriques des mots, les anciennes oppositions
phonétiques qui rendent sensibles à telle ou telle articulation d’un phonème,
telles variantes de réalisation d’un rituel, d’un mythe, d’une danse,
continuent à exister en synchronie même après avoir perdu leur pertinence
systémique et restent disponibles, aux marges du système. Par exemple, un
élément a cessé d’être systémique, mais il a gardé certaines propriétés qui
l’ont empêché de disparaître tout à fait. Dans le cas analysé par M. López,
le trait symbolique et le trait graphique <x> sont liés dans le maintien
partiel du phonème /∫/ dans l’espagnol du Mexique. J.-M. Essono nous a
donné avec l’ewondo l’exemple d’une langue bisyllabique, devenue
monosyllabique, mais dont le ton de la syllabe disparue continue de jouer
un rôle en système (Essono & Laburthe-Tolra, 2005). Nous avons vu plus
haut que la diachronie pouvait constituer un cas de contact en synchronie et
une source de variation.
Situation de contact et mini-systèmes. De la même façon, des « traces »
d’une ancienne situation de contact peuvent subsister à la périphérie d’un
système. C’est le cas des substrats disparus, en linguistique diachronique.
M.-C. Bornes Varol (2001) a rapporté le fait que l’acquisition dans un jeune
âge de la modalité médiative du turc par un bilingue (turc-français) devenu
monolingue (français), avait créé chez ce locuteur un usage spécifique des
temps du passé en français, le médiatif continuant à y jouer un rôle de
catégorie fantôme. Ces fragments de systèmes et d’intersystèmes anciens
peuvent constituer des fragments disponibles, sollicités pour la construction
des convergences.
La situation de contact (a fortiori lorsque ces contacts sont multiples)
offre de nombreuses possibilités intersystémiques et permet de créer de
nouveaux mini-systèmes. Elle peut remotiver un élément marginalisé qui
redevient pertinent comme support d’une convergence. Ainsi, dans la
musique des Baka occidentaux, la structure formelle exogène du rythme
bèkà (bangando) rencontre celle du rythme de divertissement mbàlà
(nzimé). Le double emprunt d’un même rythme exogène le sort de sa
marginalité, l’ancre dans le système musical des Baka occidentaux et
constitue un mini-système par rapport à la musique des autres Baka qui
n’ont pas intégré ce rythme.
Traces mnésiques et phénomène de latence. Ce processus explique en
partie les phénomènes de latence (en linguistique) ou de résurgence d’un
trait ancien (en anthropologie) qui font écho au retour du refoulé (en
psychanalyse), que nous avons rencontrés sur nos terrains. Des stratégies ou
des solutions anciennes à des problèmes linguistiques ou sociaux qui
semblaient avoir été écartées du système au cours du temps réapparaissent
en système. Pour le psychanalyste, l’idée de trace mnésique qui serait
réactualisée en fonction d’événements présents fait sens. Cela a été expliqué
par le fait que les problèmes de sens ou de cohérence systémiques ne sont
jamais totalement réglés et que les contraintes et contingences de tous
ordres limitent le nombre des solutions possibles. On en revient donc à
essayer des solutions semblables de manière cyclique. Chacune, parce que
son adéquation (ou sa cohérence avec les autres éléments systémiques)
n’est que partielle, provoque des déséquilibres (ou des contradictions)
nouveaux dont la compensation (ou la résolution) entraîne de nouveaux
choix.
La réintégration d’un élément ancien peut aussi venir du fait que, si cet
élément systémique s’est trouvé d’abord marginalisé puis éjecté du système
(dynamique de la variation), les liens (symboliques ou de dépendance…)
qu’il entretenait avec d’autres éléments du système se sont maintenus. Ce
sont ces liens maintenus de manière sous-jacente qui font que l’élément n’a
pas tout à fait disparu et reste disponible aux marges du système. Ces
fragments systémiques abandonnés qui peuvent retrouver leur pertinence en
diachronie sont particulièrement sollicités lors de la création de mini-
systèmes destinés à soutenir une convergence intersystémique en situation
de contact.
Construction de divergence
Renforcement des divergences et marquage identitaire. Nous avons traité
jusqu’ici de la construction de convergences intersystémiques permettant
aux tenants d’un système A d’appréhender un système B, afin d’y prélever
des éléments ou de l’acquérir. Toutefois il ne faut pas oublier que dans
certains cas, des stratégies identitaires conduisent à la construction de
divergences, notamment lorsque les systèmes en contact sont très proches.
Dans cette démarche centrifuge, les divergences intersystémiques sont
repérées, valorisées et chargées de sens. Lorsque ces traits sont peu
nombreux, un trait différentiel peut se trouver surchargé de sens et devenir
un marqueur identitaire.
Ainsi, dans l’article de H. Ferran, les Maale protestants focalisent sur les
éléments non-traditionnels de leur musique, pour l’opposer à celle des
Maale traditionnalistes.
« Dé-(s)-intégration » de l’emprunt. Dans le cas complexe de groupes
multilingues ou multiculturels dont le système propre consiste en la
possession de plusieurs systèmes, en la capacité à en jouer et à construire et
dé-construire des intersystèmes, le dynamisme des processus de contact est
si grand qu’il est à la source d’infinies variations. C’est notamment le cas
lorsque le contact existe depuis longtemps. Ainsi un emprunt ancien, très
intégré à la langue au point de s’y être fondu, peut-il en être à nouveau
détaché, être pour ainsi dire « dé-(s)-intégré ». Des locuteurs multilingues
peuvent choisir de remplacer (pour une raison ou une autre y compris
pragmatique) un emprunt établi par un emprunt non intégré. Ce jeu, de
l’ordre de la variation individuelle, marque le fait que la conscience de
l’origine de l’emprunt ne s’est pas perdue. Le terme kömür ‘charbon’ du
turc est par exemple intégré en judéo-espagnol sous la forme kimur (de
façon banale depuis le début du XVIIIe siècle, au moins), mais un locuteur
peut choisir de le prononcer kömür, pour bien faire remarquer qu’il connaît
l’origine turque du mot ou pour appuyer l’idée que le judéo-espagnol est
une langue « métisse » ou « mélangée », ou encore pour introduire un
doublet sémantique (kimur sera alors le charbon que l’on brûle et kömür la
taxe ou la charge locative liées au charbon). Cela suppose que le contact
linguistique avec les locuteurs de turc est maintenu en synchronie. On peut
à l’inverse choisir d’occulter un emprunt en l’intégrant davantage. Dans les
cas de multilinguisme stable, les stratégies deviennent explicites et
permettent des jeux stylistiques ou de la variation individuelle.
Dans son article, O. Leservoisier insiste sur le caractère réversible de
l’identification. On voit des hrâtîn très intégrés à la culture pulaar se « dé-
pulaariser » en se focalisant sur les éléments maures de leur culture, voire
en acquérant des marqueurs de la culture maure. Dans le cas qu’il étudie, la
connaissance des systèmes identificatoires différents permet aux sujets des
jeux et des stratégies individuelles complexes.
Changement de système ou substitution d’un système à un autre
Nous avons fait de ce cas l’un des pôles de notre théorie de l’emprunt (cf.
supra ). Quel que soit l’écartement ou la proximité entre les systèmes en
contact, le changement de système peut être imposé par l’Autre, comme
dans les cas extrêmes d’acculturation forcée, dans les situations d’esclavage
ou de colonisation par exemple, tels qu’évoqués dans notre ouvrage par
O. Leservoisier. Mais il est possible de rencontrer des cas d’acculturation
volontaire aboutissant au remplacement d’une langue par une autre ou
d’une culture par une autre. En dehors des « ethnocides culturels », ont été
décrites des disparitions de culture par assimilation volontaire à la culture
de l’Autre ou des cas de « mort » de langues que leurs locuteurs jugent
désormais comme marginalisantes ou non adaptées à la modernité. Le
judéo-espagnol est d’ailleurs considéré par certains auteurs (Harris 1994)
comme un cas de mort de langue (ce qui semble avéré en ce qui concerne la
communauté de Seattle, où la pratique effective de la langue a disparu, mais
n’est pas – tout au moins, pas encore – le cas à Istanbul).
Figements d’intersystèmes
Certaines situations de contact peuvent aboutir à des figements
d’intersystèmes12. On a évoqué le cas où la proximité trop grande des
systèmes rendait difficilement dépassable l’illusion de l’identité, entraînant
le figement d’interlangues de migrants, par exemple. Mais les interlangues
se figent le plus souvent pour des raisons extra-linguistiques (historiques,
anthropologiques, sociologiques), fortement identitaires. La finalité est ici
différente : loin d’être une étape d’appropriation de B (multiculturalisme),
ou d’utilisation de fragments de B dans la construction de A (innovation ou
enrichissement basé sur l’emprunt), l’intersystème est élaboré ou choisi
comme expression spécifique d’une identité nouvelle.
En linguistique, des intersystèmes de types très différents ont été
identifiés, dont la plupart ont donné lieu à de nouveaux codes linguistiques,
à des langues nouvelles. Les pidgins peuvent être considérés comme des
intersystèmes minimaux, obtenus à partir d’une simplification systémique
de A (par les locuteurs de A et selon les règles de A) dans le but de créer un
intersystème accessible aux locuteurs de B. Il est à noter que ces
intersystèmes minimaux peuvent devenir des systèmes à part entière,
comme c’est le cas de certains pidgins. Certaines interlangues non
stabilisées sont des réélaborations partielles et individuelles de A et B
(code-mixing) ou des entrelacements pragmatiques de codes (code
intertwining) comme l’espanglés ou spanglish, dont la fonction peut être
identitaire. D’autres sont des réélaborations totales à partir de fragments de
différentes langues parlées (par des esclaves) et d’un intersystème (celui des
contremaîtres) ayant la langue des maîtres comme composante : c’est le cas
des langues créoles qui naissent dans les plantations (Hazaël Massieux
2005 ; Robillard 1997). D’autres interlangues particulières sont devenues
des langues, pour des raisons identitaires également, comme la lengua-
media du Pérou (Muysken 1997) obtenue par systématisation du processus
de calque (elle a la phonétique et la morpho-syntaxe du quechua et le
lexique de l’espagnol).
Les articles de cet ouvrage montrent que ce phénomène n’est pas limité
aux langues. Les cas linguistiques de réélaboration complète en contact font
écho pour Z. Strougo aux situations que l’on rencontre dans le processus
identificatoire interculturel. De même, dans l’article de H. Ferran, la
musique des protestants maale est une réélaboration musicale
intersystémique destinée à représenter une identité composite distincte de
l’identité des traditionalistes. Dans l’article d’O. Leservoisier, l’identité
Hormankooße hrâtîn est une élaboration intersystémique culturelle destinée
à fonder de manière volontaire une identité composite nouvelle. Ces
systèmes recomposés ne diffèrent que par le degré de conscience qu’ont
leurs usagers des processus et des buts qui les ont créés.
2. Métasystèmes
La constitution d’un métasystème à partir des intersystèmes successifs
(A’B’ ; A’’ B’’ ; etc.) mis en place correspond au même processus qui amène
les variations individuelles à se régulariser, se systématiser, puis constituer
un « noyau dur ».
Le sens symbolique
Ainsi que le montrent les exemples linguistiques examinés plus haut, le
fonctionnement intersystémique – en mettant l’accent sur des niveaux
d’analyse non pertinents pour le chercheur qui s’avèrent pertinents pour les
tenants d’un système – met en exergue un niveau d’analyse, le niveau
symbolique. Ce dernier est peu pris en compte jusque-là par certaines
disciplines, notamment par la théorie linguistique. La théorie saussurienne
du signe en linguistique ne prend d’abord en compte que le signifiant et le
signifié. Le lien entre le signe et le référent a été également analysé, mais
les chercheurs n’ont pas considéré la composante symbolique du signe (aux
quelques exceptions près citées plus haut). De même, M.-P. Gibert montre
dans son article que l’analyse de la danse (par le chorégraphe israélien) ne
tient pas compte de la nature des instruments ou du sexe des musiciens qui
sont pourtant pertinents pour les Yéménites.
La nécessité de prendre systématiquement en compte ce niveau d’analyse
s’est imposé à tous grâce au travail interdisciplinaire. Plus ou moins laissé
de côté par chacun des chercheurs sur son propre terrain au début de sa
recherche, il s’est avéré pertinent pour tous au cours de notre réflexion.
C’est ce qui nous a amenés à poser dans un premier temps un « principe de
cohérence » (cf. supra ) assez général.
L’étude des situations de contact a montré que le trait symbolique figurait
jusque dans la plus petite unité dépourvue de sens, le phonème, et lui en
conférait un. Nos études montrent la pertinence de ce trait y compris à des
niveaux d’analyse et dans des domaines disciplinaires où on ne l’attendait
pas : si on l’attendait en anthropologie, on ne l’attendait pas en effet en
phonétique, ni en musique.
Le sens symbolique excède largement le cadre étroit des disciplines et
contribue à l’identité de la culture en ce qu’il unifie et donne sens à des
éléments disjoints : des sonorités, un élément de la culture matérielle, un
invariant abstrait, un mot de la langue, un geste… Le sens symbolique, en
ce qu’il met en corrélation les systèmes linguistiques, musicaux, rituels,
artistiques, sociaux, est plus que tout autre sollicité dans les situations de
contact. Il y sert notamment de plate-forme pour l’intégration des emprunts.
La possibilité d’insérer l’élément emprunté dans un réseau de sens est aussi
l’une des conditions de son emprunt, comme nous le voyons de façon
approfondie dans les articles de P. Laburthe-Tolra et de S. Fürniss.
L’identification
1. Co-construction identitaire
La notion d’identification, pour reprendre et développer ce qui a été dit
en introduction (chapitre II) est inhérente à toute situation de contact, même
interne à une culture. Il n’y a pas d’identification sans Autre, et
l’identification est forcément réciproque. Cependant, elle peut affecter
différemment l’Un et l’Autre. Nous la définissons donc, collectivement,
comme processus de perception empirique (souvent implicite) par les
individus, de la convergence et de l’absence de convergence entre deux
individus, deux ensembles, deux systèmes (au minimum) et le traitement
qu’ils font de ces différences.
Les articles de D. Cuche et d’O. Leservoisier montrent comment le
regard de l’Autre, ses catégorisations, les dénominations et les propriétés
qu’il attribue à l’Un, influent sur sa façon de s’identifier, que celle-ci soit
centripète (convergente) ou centrifuge (divergente). Ainsi, dans l’article
d’O. Leservoisier, l’identité des hrâtîn consiste-t-elle principalement à fuir
les identifications externes restrictives. Ce faisant, ils dégagent un trait
intersystémique convergent, la place déterminante de l’esclavage (pourtant
aboli) comme trait identificatoire, assigné par les Autres et refusé par les
Uns.
Le regard de l’Autre sur un système met parfois en avant des
caractéristiques systémiques qui passent pour secondaires ou qui ne sont
pas perçues, parce que leur prise en compte par la culture est marginale ou
non explicite. Pourtant ces traits peuvent, en contact, fonder une élaboration
intersystémique : ainsi, dans l’article d’A. Bergère, le rôle principal de la
graphie complexe du français qui est la distinction graphique des
homophones, très nombreux dans cette langue, est-il directement perçu et
reconnu par les apprenants chinois comme une convergence, une identité,
au sens large, partagée par le français et le chinois. La discrimination
visuelle est fonctionnelle dans les deux langues, mais ne repose ni sur les
mêmes mécanismes d’analyse, ni sur les mêmes principes.
La complexité de cet échange croisé et la réciprocité des effets n’est pas
le cas dans les situations où le contact n’a des effets visibles qu’à sens
unique (l’organisation sociale des colons allemands n’est pas
particulièrement affectée par celle des Beti, le judéo-espagnol n’affecte pas
– ou très peu – le turc, la musique bangando n’est pas affectée par les
modifications que lui apportent les Baka), cependant elle relativise tout de
même leur identité.
Plus que jamais, dans le cas des contacts interculturels, il est nécessaire
d’observer les précautions préconisées par les ethnomusicologues de notre
groupe en matière de spécification précise des niveaux d’analyse auxquels
le chercheur se situe.
1. Description du modèle
Différents degrés de conscience : de l’explicite à l’implicite
Il est apparu qu’il était indispensable de tenir compte, dans l’analyse du
discours tenu par chaque individu sur sa culture et ses objets, des différents
degrés de conscience allant de l’explicite à l’inconscient inaccessible.
Le premier niveau (1), le plus accessible, disponible, est celui des
discours explicites, partagés, consciemment transmis. On trouve là les
catégorisations courantes verbalisées (dénominations) ou facilement
verbalisables, et les savoirs qui recourent au métalangage pour la
formulation des règles et leur enseignement. Ce niveau est explicite autant
pour les tenants de la culture que pour le chercheur ou les Autres. C’est le
niveau du discours sur la langue, sur la musique ou sur la société.
Le second niveau (2) concerne des opérations qui ne sont pas
spontanément verbalisées, mais que le chercheur peut mettre en évidence à
partir de l’observation de ce que font les gens. Ces opérations sont
implicites, mais l’interaction entre le chercheur et les acteurs permet de les
dégager. À partir de la variation dans le traitement par la tradition des objets
qu’il étudie, le chercheur établit un modèle et repère à partir des erreurs, des
commentaires, des jugements de valeur sur les innovations… quelles sont
les marges de réalisation admises par la culture.
Ce niveau de conscience (2) très important et paradoxalement flou est la
zone intermédiaire entre ce qui est inaccessible à la conscience (sinon par
une distanciation que permet un médiateur, l’analyste ou le chercheur) (3),
et ce qui est disponible, explicite et facilement verbalisé (1). À quel
moment un élément de surface cesse-t-il d’être perçu comme tel et devient-
il inconscient ? Cette zone est à nos yeux le lieu par excellence de
l’interaction entre le chercheur et le groupe étudié pour co-construire le
discours sur l’objet et appréhender sa nature. Dans une perspective
dynamique, pour les besoins de notre réflexion, nous distinguons
empiriquement deux niveaux relevant de processus inverses, pertinents en
contact interculturel.
Le niveau 2a représente un niveau de transformation des phénomènes de
surface en régularités et de leur mémorisation conduisant à des
automatismes. Il s’agit là d’un premier niveau de sélection et de classement
des unités proposées en surface, d’une première intégration au système des
éléments nouveaux retenus ; c’est une première phase de leur
systématisation. En linguistique on peut penser aux premiers stades de
grammaticalisation d’une unité lexicale, ou à la formation d’un paradigme
ou d’une règle implicite. Il s’agit d’un mouvement descendant de
systématisation d’éléments nouveaux, à l’interface entre le verbalisé et le
verbalisable. Ce niveau est accessible au chercheur par l’analyse externe
qu’il fait des objets et peut être appréhendé par les réactions, les jugements,
les commentaires qu’il provoque en soumettant au groupe son modèle ou
ses analyses.
Le niveau 2b représente l’interface entre le système automatisé, implicite,
partagé, mais inaccessible à la conscience des tenants de la culture (3) et la
part floue et verbalisable du système, partiellement accessible (2a). Ce
niveau 2b est essentiellement activé, de manière ascendante, dans le cas
particulier des contacts interculturels. De manière interne à la culture, dans
cette zone se négocie aussi la contradiction éventuelle entre une règle
établie et implicite (3) et une règle en cours d’élaboration partielle à partir
d’une régulation des éléments de surface (2a). Une incohérence systémique
intraculturelle de ce type donne lieu à des renégociations collectives du
système. Son traitement entraîne des phénomènes de réanalyse et de
remotivation des éléments du noyau dur qui se trouvent inclus dans de
nouvelles combinaisons, et peuvent mener à des reformulations de règles
(1).
Le niveau 3 représente l’ensemble des modes de fonctionnement internes
à la culture, le système implicite et partagé, intériorisé par les sujets. C’est
la part la plus stable de l’ensemble même s’il peut bien évidemment voir
certaines de ses règles conscientisées et renégociées (remontant en 2b) ou
accueillir de nouvelles règles systématisées (venant de 2a). Cet ensemble
mémorisé et transmis implicitement par le groupe est très difficile à
atteindre pour le chercheur ou à mettre en évidence pour les membres du
groupe. L’avantage des situations de contact ou de changements de système
est de le faire remonter à un niveau de conscience supérieur permettant de
l’appréhender. Enfin on peut poser que les objets étudiés actualisent tout ou
partie de cet ensemble de règles que l’analyse des réalisations de surface,
combinée avec les verbalisations de différents degrés, permet d’abstraire.
Les situations de bouleversement systémique (qu’ils soient dûs au contact
avec une nouvelle culture ou à un accident de l’histoire) sont de nature à les
faire apparaître. C’est au niveau 3 que se situe le noyau dur que nous avons
défini plus haut (cf. glossaire commun). Il conditionne l’accès au
symbolique pour une culture donnée.
Le niveau 4, théorisé par les sciences humaines à divers degrés et d’une
manière spécifique, plus développée, par la psychanalyse, est celui des
invariants qui sont propres à l’espèce humaine et qui formatent toutes les
données de l’expérience des individus en deçà de la variété des cultures.
L’invariant est un contenant formel comprenant des éléments qui diffèrent
en fonction des cultures : à titre d’exemple, l’Œdipe est un invariant, mais
son expression varie d’une culture à l’autre. On trouve à ce niveau la faculté
de langage qui préexiste à toutes les langues ; on trouve également là le
processus psychique archaïque qui prédispose et conditionne l’accès au
symbolique et à la culture. C’est à ce niveau que la linguistique générative
situe la grammaire élémentaire de toutes les langues humaines et
l’anthropologie les invariants de la nature humaine, toutes cultures
confondues. Cependant, ce niveau antérieur à toute culture et à toute
subjectivation ne peut que rester inaccessible à la conscience qui en est
issue16.
Pour la théorie freudienne, le refoulement primaire, bénéfique, concerne
le niveau 4, archaïque, et le refoulement secondaire le niveau 3. Le
médiateur, psychanalyste, chercheur, peut permettre au sujet d’accéder à ce
niveau 3 et l’amener vers les niveaux 2 et 1 selon une prise de conscience
progressive.
2. Usage du modèle
Des états aux processus
À chaque fois que le chercheur rencontre son terrain, il observe des états
dont la mise en relation permet de dégager des processus. Lors de la
construction de son objet d’étude, il privilégie l’observation d’un niveau par
rapport à un autre, ou d’un aspect par rapport à un autre, alors que tous les
niveaux et aspects interagissent simultanément dans le système culturel
dont chaque sujet est issu.
Tous les niveaux conscients et inconscients sont confondus et actualisés
lorsque le chercheur observe un phénomène à partir d’un sujet.
Cependant, la temporalité du sujet n’est pas celle de la société ni du
système culturel. La diachronie du système interfère en synchronie et les
innovations sont en partie cadrées par le système culturel. De même, la
représentativité du sujet au sein de la collectivité culturelle est variable.
Enfin, les discours de la culture sur les phénomènes enregistrés par le
chercheur ne se situent pas tous au même niveau d’élucidation. Ils peuvent
en effet dépendre d’autres facteurs non pris en compte et appartenir à des
plans de pertinence différents, se contredire les uns les autres, voire
contredire les faits observés. La réalisation nouvelle, la réalisation erronée,
la réalisation normée se produisent simultanément en un temps T dans une
culture X, où tous les niveaux que nous avons soigneusement distingués co-
agissent et se co-construisent mutuellement. Le cumul et la superposition de
plusieurs états produisent les processus.
Tous ces éléments opèrent en synchronie dans une culture donnée, et cela
peut créer des cas de micro-contacts intraculturels (cf. supra) : un cas
particulier de contact intraculturel par diachronie interposée a été, par
exemple, évoqué par J.-M. Essono. Lors de l’établissement des Jaunde-
Texte (Essono et Laburthe-Tolra 2005), le linguiste de l’ewondo s’est tourné
vers les locuteurs actuels de la langue afin de comprendre ce qui n’était plus
compris, compte tenu de l’évolution rapide de la langue. Il a recherché les
locuteurs les plus âgés, les plus proches de l’état de langue des textes,
rendant de la sorte sensibles à tous les locuteurs les changements
intervenus.
Cependant nous pouvons également poser comme hypothèses des
fonctionnements réguliers, observables à travers nos études de cas. Nous
supposerons que plus on est près des discours, de la synchronie, des
éléments de surface, de l’actualisation du système, plus les phénomènes
sont variables et labiles, plus la part du sujet y est grande, plus elle est
verbalisable. À l’inverse, plus on va vers la partie immergée du système qui
organise peu ou prou l’ensemble, plus on peut poser que l’on a affaire à des
éléments liés les uns aux autres, stables, ne variant que peu ou lentement,
partagés par le plus grand nombre, et difficiles à verbaliser voire non
verbalisables.
B
BILINGUE, 208, 215, 457.
C
CALQUE, 32, 43, 69, 85, 91, 93, 97, 98, 108, 444, 448, 449, 453, 455, 456, 462, 466, 468, 488.
CATÉGORIE, 59, 61, 91, 95, 166, 190, 226, 235-237, 246, 259, 268, 273, 277, 280, 283, 296, 297,
320, 323, 331, 367, 412, 433, 457.
CATÉGORIE
fantôme, 457.
musicale, 59, 296, 297, 323.
(-s) musicale(s), 296, 297, 314, 323.
modale, 91.
psychique, 190.
quasi-juridique, 259.
(-s) de pensée, 188.
(-s) ethnologique(s), 205.
(-s) linguistique(s), 90.
servile, 59.
(-s) noble(s), 268.
sociale, 236, 283.
CATÉGORISATION, 17, 25, 41, 43, 56-60, 65, 163, 324, 389, 390, 400, 412, 413, 419, 432, 445,
447,449, 486, 493.
CATÉGORISATION
catégoriser, 9, 28, 88, 163, 190, 432, 440.
conflits de, 432.
CHANGEMENT, 44, 70, 92, 205, 264, 323, 339, 340, 356, 359, 363, 365, 366, 369, 400, 404, 406,
434, 441, 450, 456, 462, 476.
CLASSEMENT, 56, 269, 283, 285, 478.
CLASSIFICATION, 41, 59, 111, 121, 188, 225.
CLIVAGE CULTUREL, 454.
CODE, 43, 68, 79, 80, 102, 104, 107, 123, 153, 162, 444, 446, 449, 463, 465-467, 487, 497.
CODE
culturel, 162.
intertwining, 466.
linguistique, 449, 487.
phonographique, 123.
plurilingue, 79, 80, 104.
switching, 444, 497.
COHÉRENCE, 8, 24, 94, 186, 188, 316, 450, 451-453, 458, 462, 471, 492.
COHÉRENCE
principe de, 450, 452, 471.
COLONISATION, 9, 13, 23, 53, 205, 234, 249, 269, 320, 328, 329, 331, 335, 337, 462.
COLONISATION
colon, 341.
colonie, 239.
coloniser, 400.
COMMUNAUTÉ, 11, 14, 44, 80, 82, 84, 85, 94, 108, 160, 205, 214, 215, 253, 273, 274, 319, 321,
322, 328, 352, 353, 360, 368, 370, 374-376, 378-381, 392, 404, 410, 413, 425, 462, 475, 481.
COMPATIBILITÉ, 78, 438, 451.
COMPATIBILITÉ (critères de), 451.
COMPLEMENTARITÉ, 44, 63, 79, 294.
COMPLEXE, 9, 46, 68, 86, 95, 97, 99, 100, 104, 115, 136, 175, 203, 249, 293, 297, 423, 448, 461,
472.
CONDITION (libre, servile), 244, 485.
CONFLIT, 10, 58, 178, 194, 197, 198, 202, 214, 279, 294, 396, 407, 416, 432, 433, 436, 437, 474.
CONFLIT
d’identifications, 178, 474.
d’identifications identitaire, 416, 432.
CONNOTATION, 22, 103, 235, 279.
CONNOTÉ, 219.
CONQUÊTE, 270, 397, 398.
CONSCIENCE, 23, 27, 28, 56, 68, 69, 72, 74, 103, 120, 124, 150, 151, 240, 241, 255, 266, 275, 283,
407, 423, 428, 433, 441, 446-448, 461, 463, 467, 468, 477-481, 483, 485, 489, 491, 492.
CONSCIENT, 103, 243, 453, 486.
CONSTRUCTION, 7, 8, 12, 14, 23, 24, 30-32, 35, 36, 45, 47, 48, 58, 62, 72, 99, 125, 162, 163, 185,
193, 197, 198, 205, 207, 213, 256, 322, 337, 347-349, 351-355, 360, 367, 368, 373, 376, 380,
381, 396, 432, 438, 439, 452, 454, 455, 457, 459, 460, 464, 465, 472, 474, 483, 489, 492, 496.
CONSTRUCTION
auto-, 198.
co-construction de l’identité, 58, 439.
de convergence, 452, 459, 460.
identitaire, 40, 47, 185, 432, 472, 489.
scientifique, 125.
subjective, 162.
CONTACT, 7, 9, 11-14, 21, 24, 29-31, 33, 34, 37-52, 55-57, 62-64, 66, 68, 69, 71, 74, 77, 78-80, 83,
84, 85, 89-92, 94, 95, 102-105, 108, 109, 160, 166, 167, 203, 204, 211, 213, 225, 227, 228, 268,
269, 272, 278, 289, 297, 315, 321, 340, 347, 353, 369, 370, 377, 378-380, 396-403, 406, 417,
418, 423, 425, 426, 428-444, 446, 449, 450, 452, 453, 457-469, 471-479, 481, 482, 484, 487,
488-492, 497, 498, 519.
CONTACT
attitude face au, 12, 434, 440.
culturel, 38, 40, 441, 477.
culturel
interculturel, 39, 62, 68, 424, 431, 436, 463, 478, 487, 491.
durée du, 431.
effets du, 429, 431, 440, 475, 519.
interindividuel, 424.
intersystémique, 74, 429, 487.
langue de, 29, 91.
linguistique, 94, 105, 204, 426, 461.
musical, 400.
théorisation du, 39.
CONTEXTE, 26, 39, 45, 46, 49, 60, 104, 124, 137, 185, 213, 268, 275, 285, 290-292, 303, 306, 312,
357, 359, 360, 362, 363, 366, 372, 376-379, 383, 395, 401, 405, 407, 416, 427, 428, 463, 482.
CONTINUITÉ, 166, 213, 257, 319, 350, 365, 434, 436, 438, 439, 463, 491.
CONTINUUM, 12, 41, 188, 204, 436, 437, 463.
CONTRAINTE, 43, 92.
CONTRAINTE
d’autonomie, 92.
CONTRE-IDENTIFICATION, 12, 193, 442.
CONVERGENCE, 18, 19, 21, 25, 30, 31, 32, 93, 101, 136, 312, 314, 381, 417, 451, 452, 454-456,
458, 459, 467, 472-474, 490, 492.
CONVERGENCE
construction de, 452, 459, 460.
CONVERGENT, 208, 434, 437, 452, 472.
CONVERSION, 341, 406, 431.
CORRESPONDANCES, 118, 120,-122, 127, 147, 148, 153, 454.
COUPURE (principe de), 34, 39, 194, 200, 202, 437.
CRÉATION, 15, 73, 74, 96, 98, 100, 104, 179, 215, 227, 275, 277, 280, 282, 283, 347-351, 356, 369,
375, 381, 409, 451, 452, 456, 459, 462, 469, 473-475, 490.
CRÉATION RITUELLE, 301, 305, 323.
CRÉOLE, 41, 43, 233, 235, 236, 238-248, 250, 253-256, 258-266.
CRITÈRE, 23, 56, 59, 73, 245, 260, 315, 375, 432, 446.
CULTURE, 9, 11, 16, 19, 22, 23, 34, 38-40, 45-47, 52-54, 56-58, 60, 64, 65, 68, 72, 73, 78, 82, 85,
88, 91, 104, 153, 161, 162, 177, 183-188, 191-195, 200, 201, 206, 211, 214, 215, 217, 219, 220,
233, 241, 256-262, 265, 268, 269, 271, 272, 274-278, 289, 290, 296, 297, 301, 303, 305, 310,
313, 314, 322, 324, 345, 348, 349, 351, 352, 355, 372, 377, 378, 389, 391, 397, 423, 425, 426,
430, 431, 433, 434-436, 438, 441-443, 446-448, 450, 452, 455, 461, 462, 467, 471-473, 475-
480, 482, 484, 486, 487, 494, 495, 498.
CULTURE
créole, 41, 43, 233, 235, 236, 238-250, 253-256, 258-266.
créole
cultura criolla, 257, 259.
cultura indigena, 259.
d’accueil, 184, 185, 200, 426, 442, 443.
d’origine, 161, 189, 193, 201, 430, 442, 443.
encodage de la, 78.
métisse, 259.
tenants de la, 54, 60, 64, 65, 446, 448, 467, 476, 478, 479, 486, 487.
CULTUREL(LE), 17, 38, 40, 41, 47, 52, 53, 60, 68, 73, 78, 86, 103, 112, 162, 167, 168, 172, 175,
179, 180, 182, 184, 185, 188-195, 197, 198, 200, 204, 205, 207, 214, 220, 235, 254, 260, 262,
264, 265, 269, 276-278, 280-283, 285, 347-349, 353, 354, 360, 370, 377-380, 390, 406, 408,
423, 428, 429, 434, 435, 441, 442, 447, 454, 462, 465, 466, 477, 484, 487, 495.
CULTUREL(LE)
système culturel, 52, 78, 184, 185, 406, 447, 477, 484.
D
DANSE, 21, 54, 55, 60, 71, 83, 258, 292, 294, 295, 298, 299, 305, 306, 308, 313, 332, 350-358, 360,
361, 364-369, 371-381, 383, 384, 390, 391, 412, 457, 471, 474, 475, 491.
DANSE
folklorique, 350, 352-354, 366, 367, 369, 371-373, 375-380, 383.
DÉCONTEXTUALISATION, 17, 474.
DIACHRONIE, 9, 13, 18, 30, 41, 44, 52, 53, 55, 60, 62, 64, 65, 74, 355, 432, 456, 457, 459, 482,
484.
DIACHRONIQUE, 13, 44, 290, 432, 457.
DIALECTE, 41, 217, 269.
DIASPORA, 49, 81, 109, 160, 349, 428, 429, 433, 438, 473, 498.
DIFFÉRENCIATION, 29, 86, 118, 125, 240, 372, 379, 448.
DIGLOSSIE, 43, 430.
DISCOURS, 7, 14, 15, 18, 21, 24, 25, 34, 36, 54, 55, 57, 60, 64, 80-82, 92, 164, 167, 169, 172, 173,
175-179, 181, 182, 184, 192, 193, 219, 236, 254, 314, 316, 319, 322, 328, 368, 391, 397, 416,
417, 425, 428, 442, 456, 468, 476-478, 481, 484, 486, 492.
DISCOURS
dominant, 236.
sur, 55, 60, 80, 172, 322, 428, 478, 486, 492.
DISCRIMINATION, 93, 124, 128, 144, 207, 215, 248, 472, 482.
DISCRIMINATION
positive, 207, 215.
DISSOCIATION (DU SIGNE), 455.
DISTANCE, 90, 128, 181, 193, 242, 261, 268, 272, 309, 331, 427, 443.
DISTANCIATION, 478.
DISTINCT(E), 263, 416, 418, 429, 441, 466.
DISTINCTION, 14, 56, 93, 123, 144, 235, 236, 263, 269, 283, 285, 372, 381, 384, 426, 445, 469,
472.
DIVERGENCE, 314, 363, 453, 455, 460.
DÉNOMINATION, 18, 57, 58, 213, 215, 264, 365, 373, 427.
DÉNOMINATION
auto-désignation, 222.
DOMINATION, 237, 240, 241, 243, 248, 251, 254, 259.
DOMINATION
dominant, 49, 216, 236, 262, 269, 286, 429, 430.
dominé, 49, 184, 430.
DÉVALORISATION, 182, 235.
DYNAMIQUE, 8, 12, 13, 18, 22, 24, 25, 30, 39, 40, 43, 44, 51, 62, 64, 65, 69, 72, 92, 193, 285, 289,
329, 353, 355, 427, 428, 434, 437, 458, 463, 474-478, 486, 489, 490, 492.
DYNAMIQUE
des systèmes, 475, 476.
identificatoire, 427.
E
ÉCHANGE, 11, 35, 40, 46, 66, 210, 213, 244, 270, 305, 311, 330, 331, 333, 343, 404, 473.
EFFICACE, 128, 247, 347, 380.
EFFICACITÉ, 14, 194, 195, 316, 323, 427, 431, 455, 491.
ÉLITE, 206, 236, 242, 246, 260.
EMPRUNT, 10, 12, 22, 24, 32, 43, 51, 55, 65, 68, 69, 74, 77, 79, 84, 86, 90-95, 97, 99-103, 108, 228,
235, 289, 290, 293, 295, 306, 307, 310, 313-315, 320, 322-324, 353, 365, 367, 413, 425, 428,
430, 431, 433, 434, 438, 440-449, 451, 453, 455, 457, 458, 461, 462, 466, 471, 483, 485, 487,
488.
EMPRUNT
balisé, 69, 444, 449, 488.
intégration de l’, 447, 453.
intégré, 69, 446, 455, 488.
limites de l’, 103.
motivation de l’, 94.
partiel, 32, 55, 442, 443.
spontané, 69, 444, 445, 488.
total, 55, 441-443.
zéro, 441, 442.
EMPRUNTER, 12, 55, 92, 93, 99, 102, 104, 434, 441, 443.
ENDOGÈNE, 446, 450.
ENJEU(X), 32, 45, 66, 132, 202, 233, 235, 268, 274, 283, 309, 350, 355, 366, 367, 370, 377, 378,
380, 381, 396, 400-404, 432, 435, 441, 492.
ENJEU(X)
sociaux, 233.
ÉNONCÉ, 11, 94, 180, 181, 187, 298, 449.
ENVELOPPE, 172, 173, 176, 177, 180, 200, 319.
ÉQUIVALENCE, 11, 31, 77, 94, 97, 112, 129, 134, 188.
ÉQUIVALENCE
mis(e) en équivalence, 112, 129.
ESCLAVAGE, 244, 258, 267, 269, 286, 329, 405, 432, 462, 472, 485.
ESCLAVES, 234-236, 244, 258, 265, 267, 269, 270, 281, 283, 284, 286, 330, 332, 333, 340, 342,
405, 432, 466.
ESPACE, 43, 45, 118, 162, 167, 169, 171, 176, 178, 179, 186, 197, 199, 205, 215, 256, 299, 309,
312, 317, 358, 362, 364, 365, 366, 372, 377, 379, 385, 387, 397, 409, 428, 454.
ESPACE
intermédiaire, 197.
transitionnel, 197, 454.
ÉTAT-NATION, 10, 41, 84, 210, 243, 245, 247-250, 252-257, 261, 262, 266, 274, 275, 285, 348,
376, 389, 391, 393, 405, 473.
ETHNICITÉ, 40, 46, 205, 286, 352, 493.
ETHNIQUE, 159, 191, 195, 201, 204, 205, 214, 217, 245, 246, 252, 257, 260, 262, 264, 277, 279,
291, 292, 312, 323, 373, 400, 428.
ETHNIQUE
origine, 205, 400.
ETHNOCIDE, 431, 441, 495.
ETHNOLOGUE, 188, 426.
ÉVALUATION, 430, 481.
ÉVALUER, 59, 117, 163, 306, 314, 340.
ÉVOLUTION, 10, 13, 28, 33, 38, 41-43, 45, 47, 49, 52, 54, 55, 62, 64, 66, 78, 85, 87, 98, 118, 149,
157, 199, 201, 202, 216, 223, 228, 250, 254, 266, 286, 355, 433, 434, 444, 459, 462, 465, 483,
484.
ÉVOLUTION
systémique, 55, 462.
EXIL, 192, 193, 201, 202, 215, 286, 429, 443.
EXOGÈNE, 312-314, 322, 323, 431, 445, 446, 450, 458.
EXPLICITE, 16, 28, 52, 53, 56, 88, 94, 236, 320, 349, 356, 468, 472, 474, 476-478, 489.
EXTRACULTUREL, 450.
F
FACTEUR, 87, 156, 181, 250, 271, 426, 429, 433, 453.
FACTEUR
-s externes, 44, 92, 306, 425, 450, 462, 519.
-s internes, 42, 44, 92, 425, 435, 450, 462.
FAUX-SELF, 34, 55, 162, 184, 442, 497.
FIGEMENT, 46, 453, 464, 465, 473.
FOLKLORE, 10, 352, 376, 473, 474.
FOLKLORISATION, 46, 432, 474.
FONCTION, 10, 11, 43, 48, 59, 60, 64, 72, 79, 84, 85, 94, 95, 97-99, 101, 102, 122, 126, 143-146,
148, 157, 167, 173, 178, 184, 186, 187, 189, 202, 224, 229, 242, 256, 294, 295, 297-299, 303,
305, 308, 312-315, 336, 344, 355, 361, 404, 411, 426, 431, 445, 446, 450, 452, 453, 456, 458,
465, 466, 468, 470, 472, 480, 483, 485, 488, 492.
FONCTION
distinctive, 146.
grammaticale, 97.
rituelle, 453.
symbolique, 297, 312, 431.
FONCTIONNALITÉ, 431, 457.
FOSSILISATION, 453.
FRACTURE, 53, 427.
FRAGMENTATION, 303, 306 491, 492.
FRONTIÈRE, 9, 27, 41, 86, 208-213, 216, 236, 264, 277, 290, 292, 303, 426, 438, 442, 449.
FRONTIÈRE
ethnique, 277.
géographique, 426.
maintien de, 40.
symbolique, 236.
traitement des -s, 425.
G
GÉNÉRALISATION, 93, 99, 481, 483, 485, 490.
GÉNÉRATION, 161, 166, 186, 197, 210, 214, 218-220, 305, 355, 409, 442, 446.
GÉNÉRATIONNEL(LES), 218, 435.
GÉNÉALOGIE, 163, 170, 182, 273, 276, 284, 286.
GRAMMAIRE, 43, 83, 94, 455, 456, 460, 468, 480, 483, 486, 487.
GRAMMAIRE
intersystémique, 468.
musicale, 460, 487.
GRAMMATICALISATION, 478.
GRAPHIE, 20, 29, 125, 128, 138, 154, 217, 222, 223, 470, 472, 496.
GRAPHIQUE, 10, 29, 118, 119, 121-123, 125, 127-130, 143, 144, 158, 223, 457, 469, 470, 472.
GRAPHO-PHONOLOGIE, 70, 470.
GROUPE, 7, 9, 10-15, 17-19, 21, 24, 25, 27, 28, 31, 32, 34, 37, 40, 44, 45, 49-51, 54-57, 60, 61, 68,
71-73, 78, 81, 85, 86, 88, 114, 115, 119, 122, 127, 138, 140, 147, 149, 154, 157, 191, 204, 213,
220, 246, 247, 257, 264, 268, 269, 275, 277, 279, 289, 308, 316, 318, 327, 328, 341, 352, 354,
370, 378, 424-431, 436, 438, 440, 441, 444, 445, 447-449, 451, 464, 468, 473, 475, 478-483,
487-490, 492, 493.
GROUPE
histoire du, 81.
identité de, 78.
servile, 268.
social, 10, 11, 279.
-s subordonnés, 267, 274.
H
HIÉRARCHIE, 245, 252, 284, 332, 335, 404, 405, 439.
HIÉRARCHIE
système hiérarchique, 273, 406.
HISTOIRE, 18, 34, 40, 43, 49, 65, 73, 81, 94, 161, 162, 166, 170, 171, 179, 182, 183, 185, 193, 197,
205, 207, 215, 216, 233, 239, 254, 256, 263, 265, 268, 278, 284, 286, 307, 345, 351, 399, 419,
426, 427, 432, 434, 436, 443, 446, 479, 483.
HISTOIRE
du contact, 426.
du système, 483.
personnelle, 73, 161, 182, 183.
HISTORICITÉ, 391, 431.
HISTORIQUE, 10, 13, 38, 65, 81, 82, 204, 256, 293, 446.
HOMOPHONE, 118, 121, 123-125, 144, 472.
I
IDENTIFICATION, 9-12, 27, 30, 34, 40, 41, 44-47, 51, 54, 55, 58, 64, 77, 78, 86, 94, 95, 97, 102,
104, 112, 117, 119, 125, 129, 134-136, 143, 144, 146-148, 151, 154-156, 160, 167, 173, 193,
200, 217, 219, 222, 235, 238, 268, 273, 279, 281, 283, 289, 321, 333, 355, 356, 372, 379-381,
396, 403, 423-427, 429, 434, 436, 438, 441-443, 448, 451, 452, 454, 461, 464, 472, 481, 489,
490, 492.
IDENTIFICATION
conflit d’, 178, 474.
contre-, 12, 193, 442.
interlinguistique, 144.
interne, 12, 222.
jeux d’, 104, 235.
processus d’, 9, 51, 64, 78, 92, 94, 95, 104, 117, 268, 379, 380, 424, 426, 451, 454, 489, 492.
structurante, 442, 443.
supra-identité, 428.
IDENTIFICATIONS, 12, 40, 47, 48, 92, 143, 157, 162, 173, 178, 180, 193, 197-201, 268, 275, 285,
427, 442, 443, 472, 474, 489.
IDENTIFICATIONS
élaboration d’, 200.
emboîtées, 489.
imaginaires, 173.
instabilité des, 427.
primaire(s), 173, 198, 200.
IDENTIFICATOIRE(S), 12, 27, 58, 73, 162, 169-175, 178, 182-185, 193, 197-200, 339, 405, 417,
427, 429, 433, 435-437, 441, 443, 447, 454, 461, 466, 472.
IDENTIFICATOIRE(S)
désir, 443.
impasse, 169, 171, 182.
processus, 173, 198, 200, 339, 466.
projet, 12, 162, 198-200, 454.
repère(s), 162, 173, 175, 193, 194.
système, 73, 200, 435, 443.
IDENTITÉ, 11, 12, 19, 25, 31, 37, 39-42, 44-47, 58, 77-81, 88, 91-94, 97, 99, 101, 102, 104, 137,
156, 181, 182, 189-195, 197-199, 201, 202, 214-216, 218, 220, 222, 224, 233, 235, 236, 239,
241-243, 247, 253, 255, 259-263, 278, 347, 351, 369, 373, 381, 389, 390, 396, 397, 399, 400-
403, 405, 407, 410, 416-418, 428, 433, 435, 436, 439, 442-444, 452, 464-466, 471-473, 488,
490, 491, 493-498.
IDENTITÉ
affichée, 278.
assignée, 236.
auto-, 241.
co-construction de l’, 58, 439.
collective, 215, 381, 473, 490.
composite, 242, 466.
culturelle, 189-194, 197, 201, 347, 442.
déni d’, 443.
illusion d’, 452.
linguistique, 92, 94, 488.
multiple double, 435.
nationale, 247, 255, 369, 389.
négative, 236.
positive, 235, 241, 261.
revendiquée, 241.
subjective, 11, 47, 436.
IDENTITAIRE, 15, 25, 40, 42, 47, 51, 56, 79-81, 84, 86-88, 92, 102-104, 161, 162, 164, 166, 178,
179, 182, 183, 185, 193, 199, 203, 213, 217, 223, 229, 240, 262, 264, 275-279, 281-283, 285,
290, 311, 321 339, 371, 378, 380, 381, 390, 397, 401-403, 407, 416, 417, 427, 432-435, 450,
460, 466, 469, 472, 474, 485, 489, 492, 493.
IDENTITAIRE
crispation, 162, 166.
dénomination, 213.
discours, 416.
pratique, usage, 20-23, 43, 44, 72, 74, 80, 95-97, 99-101, 103, 108, 222, 227, 236, 241, 261, 262,
285, 286, 330, 337, 362, 365, 429, 437, 457, 459, 468, 476.
repli, 25, 161, 164, 181.
revendication, 283.
réversibilité, 402.
trait, 80, 86, 311.
IDENTITÉ, 301, 322.
IDENTITÉS, 40, 45, 47, 51, 57, 78, 79, 104, 163, 263, 265, 268, 347, 354, 381, 396, 400, 407, 416,
418, 452, 454, 463, 469, 487, 490.
IMAGE, 14, 101, 120, 173, 174, 198, 199, 211-213, 246, 263, 321, 322, 324, 367, 369, 370-373, 375,
376-381, 434.
IMAGE
de soi, 199.
IMMIGRÉ, 191, 211, 264, 435.
IMMIGRANT, 205, 209.
IMMIGRATION, 160, 212, 248-251, 287, 348.
IMMIGRATION
services d’, 212.
IMPLICITE, 28, 52, 53, 56, 354, 435, 448, 456, 463, 472, 476-479, 482, 485, 489, 490.
IMPLICITE
partagé, 476.
INCONSCIENT, 47, 453, 467, 476-478, 485, 489, 493.
INCONSCIENT
collectif, 47, 476.
uniformisation des -s, 468.
INCONSCIENT(E), 47, 54, 200, 201, 236, 354, 450, 453, 467, 476,-478, 485, 489, 493.
INDIVIDU, 10, 29, 47, 51, 56, 73, 112, 188, 191, 194, 199, 260, 262, 264, 294, 303, 305, 319, 381,
404, 436-438, 441, 463, 477, 480, 481, 483, 489, 490.
INDIVIDUEL(LE), 10, 13, 25, 50, 51, 56, 63, 74, 94, 161, 185, 252, 412, 423, 438, 440, 446, 457,
461, 462, 476, 483, 488, 490, 491.
INFLUENCE, 29, 69, 78, 82, 85, 91, 186, 202, 207, 225, 237, 239, 241, 250, 258, 338, 344, 375,
406, 430.
INITIATION, 112, 156, 292, 301, 307, 313, 315, 331, 332, 336-339, 342, 451.
INNOVATION, 30, 56, 65, 73, 74, 203, 213, 226, 227, 229, 292, 301, 305, 306, 310, 353, 434, 444,
447, 453, 455, 457, 462, 466, 476, 481, 483, 490.
INSTABILITÉ, 10, 246, 249, 427.
INSTABLE, 23, 72, 181.
INSTITUTION, 122, 163, 164, 166-169, 171, 172, 177, 179, 180, 183, 185, 329.
INSTITUTIONNEL, 8, 35, 161, 164, 185, 248.
INSTRUMENTALISATION, 492.
INTÉGRATION, 290, 293, 312, 321, 323.
INTENSIFICATION, 323 431.
INTERACTION, 48, 82, 98, 440, 449, 478, 482.
INTERCULTURALITÉ, 103.
INTERCULTURE, 28, 74, 464.
INTERCULTUREL(LE), 38, 39, 62, 68, 185, 186, 188, 197, 355, 424, 435, 436, 463, 465, 466, 478,
487, 491.
INTERDISCIPLINARITÉ, 7, 8, 12-14, 31-34, 470, 492.
INTERFÉRENCE, 20, 69, 440.
INTERLANGUE, 28, 43, 74, 157, 464.
INTERMUSIQUE, 28, 74, 464.
INTERSYSTÉMIQUE, 30, 52, 53, 68, 74, 92, 429, 438, 439, 440, 449, 459, 464, 466, 468, 470, 472,
487, 491.
INTERSYSTÈME, 28, 30, 70, 455, 459, 463-467.
INTÉGRATION, 14, 15, 43, 71, 85, 87, 93, 94, 101, 164, 214, 256, 269, 273, 275, 285, 435, 446,
447, 449, 453, 455, 456, 459, 461, 463, 471, 473, 478, 483, 491.
INTÉGRATION
de l’emprunt, 447, 453.
facteur d’, 87.
résistance à l’, 459.
sociale, 463, 491.
systémique, 446.
INTRACULTUREL, 68, 450, 456, 465, 484.
INVARIANT, 70, 339, 471, 480.
IRRÉGULARITÉ, 228, 229, 312, 313.
J
JUGEMENT, 64, 246, 247, 261.
JUGER, 350.
L
LABILITÉ, 427, 442, 464, 490.
LANGAGE, 12, 16, 20, 21, 45, 46, 56, 71, 111, 159, 160, 191, 214, 218, 227, 233, 235, 245, 451,
460, 480, 486.
LANGUE, 11, 19, 27-29, 41-44, 53, 56, 65, 68, 70-73, 77-95, 99-105, 109, 113-115, 118, 120, 126,
127, 129, 131, 133, 135, 138, 139, 148, 153, 156, 159, 163, 180, 191, 195, 204, 207, 211, 215,
217, 219, 227, 228, 234, 260, 262, 316, 328, 335, 372, 395, 397, 398, 407-409, 411, 426, 430,
433, 435-437, 441, 444-446, 449, 450, 452, 455-457, 459-462, 464, 466, 471, 472, 478, 482-
484, 486, 488, 491, 498.
LANGUE
cible, 148.
cryptique, 84.
de communication, 114.
de contact, 29, 91.
de prestige, 83.
d’accueil, 93, 94.
d’enseignement, 82, 83.
emprunteuse, 92, 228, 446, 456.
étrangère, 131.
évolution de la, 42, 78.
maternelle, 83, 127, 129, 135.
mort de, 462.
pivot, 148.
première, 115.
principale, 82.
prêteuse, 100.
régionale, 114.
source, 153.
LATENCE, 24, 74, 458.
LEXICAL, 19, 80, 94, 95, 97.
LEXIQUE, 70-72, 89, 90, 91, 93, 119, 120, 124, 227, 466, 483.
LINGUISTIQUE (ADJECTIF), 10, 12, 13, 15, 16, 20-23, 27, 28, 37, 41-44, 50, 52, 53, 57-59, 65,
70-74, 77-79, 82, 85, 88, 90-92, 94, 95, 101-103, 108, 109, 111, 126, 128, 145, 158, 159, 180,
203-205, 213, 216, 217, 229, 262, 292, 315, 426, 430, 436, 437, 445, 446, 448, 449, 455-458,
461, 466, 469, 470, 473, 478, 480-482, 487, 488, 495, 497, 498.
LOCUTEUR, 68, 73, 81, 91, 97, 444, 446, 457, 461, 483, 486.
LOGOGRAPHIQUE, 121.
M
MAJORITÉ, 41, 45, 131, 135, 138, 140, 193, 239, 250, 256, 263, 269, 275, 276, 292, 295, 314, 316,
331, 357, 361, 405, 411, 415, 429, 447.
MAÎTRE, 51, 270, 294, 299, 305, 315, 316, 319, 481.
MARGE, 114, 138, 176, 470, 490.
MARGE
du système, 490.
MARGINALITÉ, 431, 458.
MARQUAGE, 106, 431, 460.
MARQUER, 43, 80, 226, 242, 275, 277, 278, 378.
MARQUEUR, 42, 80, 87, 88, 92, 218, 371, 375, 378, 380, 381, 432, 460, 469, 474, 485, 492.
MÉDIATEUR, 426, 454, 478, 480, 485, 489.
MÉLODIE, 364, 375, 409, 447.
MÉLODIQUE, 314, 315, 362, 445.
MÉMOIRE, 94, 137, 166, 313, 431, 475, 483, 490.
MÉMOIRE
collective, 94, 483.
MÉMORISATION, 120, 123, 127, 130, 132, 478, 490.
MÉTASYSTÈME, 29, 30, 463, 467, 468, 474, 476, 486, 488, 492, 519.
MÉTASYSTÉMIQUE, 66, 70, 448, 467, 468, 488, 491.
MÉTIS, 39, 45, 207, 236, 238, 246, 251-253, 255-259, 262, 334, 461, 493.
MÉTISSAGE, 39, 45, 46, 205, 238, 240, 246, 250, 253-256, 408.
MÉTISSÉ, 237,252, 258.
MÉTRIQUE, 58, 59, 296, 310, 311, 312, 313.
MIGRANT, 166, 189, 190, 192, 193, 195, 199, 201, 435, 438, 442, 463.
MIGRATION, 49, 113, 159, 160, 166, 171, 180, 182, 183, 185, 191, 194, 197, 210, 259, 292, 293,
312, 331, 347, 348, 427, 428, 429, 433, 435, 438, 443.
MIGRATION
régionale, 428.
saisonnière(s), 271.
MIGRATOIRE, 113, 114, 115, 161, 184, 192, 199, 200, 206, 208, 209, 433, 436.
MINORITÉ, 131, 159, 207, 220, 429.
MINORITAIRE, 43, 240, 247, 428, 429.
MISSION, 189, 276, 292, 331, 337, 349, 398, 399, 409.
MISSIONNAIRE, 398, 408, 409.
MOBILITÉ, 264, 303, 329, 341, 433.
MODALITÉ, 84, 91, 93, 200, 354, 357, 384, 457.
MODÈLE, 16, 55, 58, 60, 61, 62, 64, 66, 91, 128, 131, 150, 187, 207, 248, 286, 315, 321, 323, 354,
355, 361-366, 373, 374, 377, 378, 383, 385, 386, 427, 428, 475-479, 482, 485, 486, 493.
MODÉLISATION, 50, 56, 354, 425, 475, 476, 485, 487.
MODERNITÉ, 82, 96, 107, 264, 389, 462, 496.
MONDIALISATION, 46, 189, 327, 328, 345, 427, 498.
MONOLINGUE, 457.
MORPHÈME, 11, 93, 95, 118, 120-122, 124, 137, 460.
MORPHOLOGIE, 90, 156, 452, 454, 456, 488.
MORPHOLOGIQUE, 77, 91, 93, 95, 119, 124, 488.
MORT, 43, 165, 171, 174, 198, 199, 300, 316, 320, 331, 332, 337, 451, 462.
MOTIVATION, 94, 278.
MÉTRIQUE, 58, 59.
MULTICULTURALISME, 369, 430, 465.
MULTILINGUE, 9, 80, 102, 104, 216.
MULTILINGUISME, 9, 86, 92, 430, 433, 461.
MUSICAL, 10, 28, 45, 46, 52, 53, 72, 73, 213, 289, 290, 293, 294, 296, 301, 303, 305, 310, 312,
313, 315, 322, 323, 362-364, 366, 367, 372, 374, 375-378, 395, 396, 400-402, 404, 406, 413,
416-418, 433, 446, 458, 460, 464, 481, 482, 487.
MUSICAL
système musical, 28, 52, 53, 289, 290, 310, 312, 406, 417, 446, 458.
MUSIQUE, 20, 28, 44-46, 53, 59, 71, 72, 213, 258, 277, 289, 295, 297, 306, 307, 312, 315, 319, 324,
353, 362, 364, 367, 368, 373-376, 395-400, 402-404, 406-413, 415-418, 436, 446, 450, 458,
460, 464, 466, 471, 473, 478, 486, 491, 495, 496.
MUSIQUE
traditionnelle, 395, 396, 398, 399, 402, 406-408,
410, 411, 413, 415, 417.
MUTATION, 93, 238, 264, 389.
MYTHE, 212, 247, 253, 256, 257, 457, 491.
N
NATION, 84, 243, 245, 247-250, 252-257, 266, 389, 405.
NATIONAL, 10, 41, 210, 253, 256, 261, 262, 274, 275, 285, 348, 376, 391, 393, 473.
NÉGOCIATION, 10, 41, 44, 50, 52, 130, 194, 427, 444, 455, 465, 482, 486, 491.
NIVEAU D’ANALYSE, 32, 58, 449, 470, 471, 492.
NOM, 89, 96, 98, 101, 105, 122, 123, 131, 132, 136, 162, 168, 169, 185, 208, 212, 216, 217, 219,
220, 223, 234, 245, 270, 276, 298, 300, 330, 344, 348, 363, 380, 397-399, 411, 441, 454.
NORMALISATION, 474.
NOYAU, 23, 69, 73, 95, 126, 139, 145, 146, 163, 222, 303, 306, 339, 340, 416-418, 439, 440, 459,
464, 465, 467, 468, 476, 479, 483, 485, 487, 488.
NOYAU
dur, 23, 69, 73, 95, 163, 303, 339, 340, 439, 440, 459, 464, 465, 467, 468, 476, 479, 483, 485, 487,
488.
O
OBJET D’ÉTUDE, 12, 17, 34, 71, 72, 186, 423, 483, 492.
OBSERVATEUR, 233, 426.
OPPOSITION, 29, 46, 70, 81, 91, 184, 253, 259, 262, 269, 279, 281, 328, 354, 356, 372, 380, 437,
446, 469.
OPTIMALITÉ, 459, 498.
ORDRE, 50, 70, 81, 89, 118, 123, 125, 133, 136, 155, 163, 165, 176, 177, 194, 240, 268, 272, 275,
277, 281, 328, 330, 337, 375, 438, 444, 451, 456, 461, 488, 491.
ORDRE
des mots, 81, 456, 488.
ORIGINE, 45, 69, 85, 93, 96, 115, 141, 161, 165, 166, 168, 169, 171, 175, 178, 189, 193, 195, 196,
198-205, 211, 213, 215-218, 220, 224, 226-229, 234, 235, 242, 245, 247, 258, 262, 269, 270,
273, 275, 278, 281, 282, 284, 285, 293, 305-307, 313, 314, 318, 322, 324, 327, 349, 352, 353,
355, 356, 360, 363, 364, 368, 371, 373, 375, 376-380, 383, 400, 428, 430, 431, 442-444, 446,
455, 461, 468, 483, 490.
ORIGINE
culture d’, 161, 189, 193, 201, 430, 442, 443.
géographique, 203, 262, 373, 428.
retour à l’, 198, 199.
sociale, 205, 284.
P
PARADIGME, 192, 194, 460, 478.
PARAMÈTRE, 23, 58, 63, 73, 312, 339, 430-432, 434.
PARAMÉTRER, 58, 447.
PARAMÉTRAGE, 60, 425, 448, 486.
PARCOURS, 51, 85, 113, 114, 117, 149, 153, 187, 205, 208, 221, 435.
PAROLE, 56, 78, 172, 191, 277, 316, 435, 483, 486.
PASSAGE, 15, 18, 55, 92, 112, 131, 149, 162, 184, 185, 188, 195, 220, 299, 313, 322, 332, 338, 342,
348, 356, 360, 409, 436, 441, 445, 456, 488.
PATRIMOINE, 59, 83, 294, 300, 301, 303, 306, 307, 312, 314, 323, 365, 366, 373, 395, 400, 402,
413, 432.
PATRIMOINE
fragmentation du, 303, 306.
PATRIMONIALISATION, 46, 474.
PÉRIPHÉRIE, 103, 457, 459.
PERPÉTUATION, 356, 404.
PERTINENCE, 8, 17, 29, 56, 57, 59-61, 70, 178, 192, 196, 285, 290, 355, 426, 445, 457, 458, 469,
470, 471, 484.
PHILOLOGUE, 446.
PHONE, 28, 70, 469.
PHONÈME, 20, 29, 70, 71, 87, 93, 101, 104, 118, 125, 127, 136, 137, 145, 146, 151, 155, 158, 217,
222, 223, 225-227, 296, 433, 456, 457, 471, 482.
PHONÈME
fantôme, 29, 70, 146, 456.
PHONÉTIQUE, 20, 27, 29, 50, 70, 80, 81, 102, 133, 158, 216, 218, 224, 225, 228, 296, 456, 466,
469, 470, 471, 488.
PHONIE, 138, 154, 470.
PHONIQUE, 29, 91, 118, 121, 122, 125, 129, 136, 143, 144, 148, 223, 227, 228, 449, 459, 470, 488.
PHONOLOGIE, 70, 106, 160, 470, 488, 498.
PHONOLOGIQUE, 28, 29, 70, 73, 81, 86, 88, 95, 118, 120, 126, 130, 146, 150-152, 156-158, 433,
452, 456, 459, 469.
PHONOTACTIQUE, 485.
PIDGIN, 41, 43, 335, 338.
PLASTICITÉ, 216, 301, 463, 490.
PLURICULTURALISME, 351.
PLURILINGUE, 44, 68, 79-81, 86, 102, 104, 108, 444.
POLYFONCTIONNALITÉ, 297.
POPULATION, 13, 49, 51, 204, 219, 220, 222, 248, 249, 252-254, 256, 259, 263, 315, 347, 349,
352, 368, 370, 372, 376, 379, 402, 411, 426, 428, 430, 432, 433.
POSITIONNEMENT, 11, 128, 267, 277, 278, 281, 285, 402, 407, 428, 485.
POUVOIR, 13, 39, 120, 168, 170, 178, 206, 220, 227, 239, 244, 245, 247-249, 257, 273, 275, 279,
287, 293, 305, 307, 323, 324, 327-331, 333, 335, 336, 338-340, 342, 343, 362, 369, 372, 401,
402, 405, 407, 417, 419, 429, 431, 433, 481, 486, 492.
PRAGMATIQUE, 15, 451, 461.
PRATIQUE, 14, 17, 26, 28, 33, 34, 45, 46, 57, 80, 85, 97, 98, 103, 114, 188, 190, 194, 207, 292, 306,
307, 310, 313, 315, 348, 351, 355, 358, 384, 410, 451, 459, 462, 468, 495.
PRÉDISPOSITION, 306, 434.
PRESTIGE, 50, 83, 255, 329, 333, 336, 338, 339, 455, 481, 482.
PRINCIPE, 8, 34, 36, 39, 41, 70, 92, 102, 116, 123, 125, 127, 128, 133, 138, 148, 152, 153, 156, 158,
187, 194, 200, 202, 205, 206, 249, 262, 320, 328, 331, 335, 437, 438, 439, 450, 452, 471, 473,
482.
PRINCIPE
de cohérence, 450, 452, 471.
de coupure, 34, 39, 194, 200, 202, 437.
d’économie, 102, 123, 439.
d’unicité, 92.
PROCESSUS, 9, 12, 22-24, 28, 29, 31, 33, 38-43, 47, 48, 50, 51, 59, 61, 62, 64, 65, 72-74, 77, 78,
92, 94, 101, 104, 112, 117, 138, 144, 147, 148, 150, 151, 163, 173, 197, 198-200, 203, 204, 206,
212, 228, 262, 264, 265, 267, 268, 274, 315, 321, 322, 330, 339, 340, 347, 348, 351, 353, 354,
367, 369, 370, 373, 376, 379-381, 396, 423-426, 433-435, 438, 440-442, 444, 446-452, 454,
458, 461-463, 465-469, 472-474, 476, 478, 480, 483, 484, 486, 487, 489, 490-492, 495, 519.
PROCESSUS
cognitif, 48, 105, 476.
de créolisation, 264.
d’acquisition, 454.
d’emprunt, 9, 74, 104, 353, 367, 434.
d’identification, 9, 51, 64, 78, 92, 94, 95, 104, 117, 268, 379, 380, 424, 426, 451, 454, 489, 492.
d’innovation, 203.
PROTESTANTISME, 404, 405, 408.
PSYCHANALYSE, 13, 20, 22, 38, 47, 50, 54, 55, 74, 184, 185, 441, 458, 468, 480.
R
RACE, 46, 213, 214, 245, 247, 249-251, 253-256.
RÉAMÉNAGEMENT, 321, 324, 481.
RÉANALYSE, 87, 94, 430, 447, 450, 452, 465, 467, 470, 479, 487, 489.
RÉCIPROCITÉ, 430, 473.
RÉÉLABORATION, 290.
RÉFÉRENCE ABSTRAITE, 428.
REFOULÉ, 458.
REFOULEMENT, 480.
REGARD (de l’autre), 472.
REGARD extérieur, 354, 378.
RÉGULARITÉ, 122.
RELATION, 11, 47, 48, 74, 77, 122, 167, 168, 172, 174, 176, 181, 194, 197, 200, 201, 231, 244, 325,
381, 405, 443, 448, 483.
RELATION
mise en, 381, 483.
RELATIVITÉ CULTURELLE, 179.
RELIGIEUX, 84, 89, 179, 240, 350, 372, 395, 400, 404, 417, 428, 452.
RELIGION, 108, 180, 330, 372, 395, 397, 400, 402, 405, 406.
RELIGIOSITÉ, 371.
REMANIEMENT, 166, 200, 435.
REMÉDIATION, 452.
REMOTIVATION, 447, 479, 489.
REMPLACEMENT, 426, 430, 462, 473.
RENÉGOCIATION, 40, 481, 488.
RÉPERTOIRE, 295, 306, 313, 319, 358.
RÉPÉTITION, 321.
REPÉRAGE, 11, 12, 34, 102, 148, 425, 448, 450, 452, 453.
REPRÉSENTATION, 14, 22, 46, 72, 79, 83, 150, 167, 170, 185, 212, 236, 260, 324, 353, 367, 369,
371, 373, 376, 379, 381, 435, 451, 470, 474.
REPRÉSENTATION
système de, 236.
REPRÉSENTER, 118, 162, 168, 217, 219, 223, 253, 368, 373, 432, 466.
RÉSURGENCE, 337, 340, 458.
RETOUR DU REFOULÉ, 458.
REVENDICATION, 213, 214, 241, 255, 275, 276, 280, 282, 283, 285, 360, 367, 377, 379.
RÉVERSIBLE, 151, 268, 275, 285, 461.
RÉFÉRENT, 226, 416, 471.
RÉGLAGE GROUPAL, 490.
RÈGLE, 56, 122, 123, 163, 228, 282, 366, 456, 459, 460, 478, 479, 485, 488.
RÈGLE
implicite, 456, 478, 485.
RÉGULARITÉ, 100, 154, 490.
RÉGULATION, 8, 74, 468, 474, 479, 481, 491.
RÉITÉRATION (du contact), 431.
RITUEL, 10, 18, 21, 28, 51, 71, 289, 290, 292-295, 297, 298, 301, 303, 305-310, 312-316, 318-325,
331, 390, 395, 400, 404, 417, 428, 430, 431, 445-448, 453, 455, 457, 481, 491.
RÉÉLABORATION, 466, 491.
RÉPERTOIRE, 10, 59, 131, 353, 356, 366, 373, 378, 386, 409, 412, 433.
RÉPÉTITION, 30, 124, 130-133, 432.
RÉSEAU, 23, 70, 73, 338, 339, 344, 471, 474.
RUPTURE, 20, 50, 162, 168, 192, 201, 235, 275, 427, 428, 430, 434, 436, 437, 449, 455, 456.
RÉVERSIBILITÉ, 402, 427, 490.
RYTHME, 130, 301, 308, 310, 312, 323, 357, 375, 384, 458, 460, 485.
RYTHMIQUE, 21, 59, 72, 296, 309, 310, 313.
S
SÉMANTIQUE, 121.
SENS, 10, 11, 13-15, 17, 20, 21, 26, 31, 42, 58, 60, 61, 66, 68-72, 77, 79, 91, 92, 94, 95, 97-100, 102,
104, 105, 116, 119, 123, 124, 127, 129, 130, 139, 147, 150, 154, 156, 163, 166, 170, 174, 178-
180, 183, 187-189, 193, 195, 216, 218, 226, 227, 233, 236, 241, 257, 258, 260, 261, 263, 264,
322, 329, 334-338, 340, 354, 356, 366, 424, 434, 436, 438, 440, 447, 448, 450, 455, 456, 458,
460, 462, 463, 469-475, 485, 487-489, 491, 498.
SENS
continuité du, 438.
mise en, 21, 71, 188, 322, 434, 447, 475.
social, 257, 262.
symbolique, 21, 71, 469-471.
SEXE, 188, 205, 298, 300, 355, 358, 363, 375, 379, 471.
SIGNE, 20, 29, 70-72, 94, 118, 169, 174, 176, 177, 216, 217, 222, 275, 309, 315, 362, 446, 455, 470.
SIGNE
strates du, 446.
SIGNIFIÉ, 20, 21, 42, 70-72, 104, 120, 125, 129, 152, 449, 456, 471.
SIGNIFIANT, 20, 21, 42, 71, 72, 85, 93, 100, 102, 104, 123, 125, 129, 130, 133, 136, 152, 157, 223,
312, 323, 375, 380, 400, 449, 455, 470, 471, 474, 488.
SIGNIFIANT
système de -s, 194.
SIGNIFICATION, 19, 21, 45, 66, 70, 71, 163, 170, 235, 312, 314, 337, 445, 450.
SIGNIFICATION
système de -s, 435.
SIGNIFIÉ, 122, 126, 158.
SÉMANTIQUE, 13, 21, 46, 71-73, 88-90, 93, 95, 101, 121, 122, 124, 129, 191, 216, 221, 222, 227,
228, 235, 236, 449, 455, 461, 488.
SOCIÉTÉ, 10, 13, 38, 40, 51, 53, 57, 58, 68, 86, 164, 166, 168, 185, 187, 188, 210, 214, 220, 221,
234, 240, 242, 244-246, 248, 252, 255, 258, 262, 265, 267, 269, 272, 275, 278, 281, 283, 285,
287, 291, 307, 320, 322, 324, 328-330, 335, 336, 339, 342, 345, 353, 355, 371, 376, 378, 379,
381, 389, 391, 392, 395, 400, 402-404, 408, 410, 417, 419, 424, 428, 429, 430, 433, 434, 435,
438, 440-442, 446, 463, 477, 478, 481, 484, 489, 490.
SOCIOLINGUISTIQUE, 37, 41-44, 48, 57, 68, 69, 77-80, 92, 94, 103, 425, 444, 446.
SOCIOLOGIE DU CONTACT, 49, 426, 429.
SON, 28, 70, 72, 87, 88, 93, 138-143, 146, 147, 149-152, 154, 155, 224-227, 314, 469, 471, 482,
493, 498.
SONORE, 72, 101, 104, 117, 121, 127, 133, 136, 138, 156, 158, 173, 221, 226, 298, 312, 318, 319,
323, 447-449, 455, 494.
SONORE
activités, 298.
concept, 226.
correspondant, 147.
enveloppe, 318.
face, 72, 221.
flux, 125.
forme, 104, 127, 312, 447, 449.
image, 101.
de la langue, 173.
de soi, 173.
unité -(s), 117, 121, 133, 136, 138, 156.
SONORITÉS
bande sonore, 364.
chaîne sonore, 158.
climax sonore, 318.
événements sonores, 318.
fond sonore, 318.
magma sonore, 318.
signifiant sonore, 323, 455.
sources sonores, 319.
traits sonores, 448.
unités sonores, 117, 121 133, 136, 138, 156.
STANDARDISATION, 27, 474.
STÉRÉOTYPE, 61, 192, 376, 378, 379, 380, 381.
STRATÉGIE, 108, 135, 136, 241, 276, 453, 455, 456, 460.
STRUCTURE, 14, 16, 22, 23, 43, 58, 68, 72, 92, 94, 126, 134, 145, 151-153, 156-158, 166, 183,
196, 218, 311, 312, 329, 330, 354, 368, 378, 379, 405, 436, 442, 447, 453, 458.
SUBJECTIVATION, 480.
SUBSTRAT, 42, 224, 496.
SUJET, 11, 16, 20, 34, 38, 47, 50, 51, 53, 56, 68, 69, 73, 91, 120, 155, 161, 162, 170, 171, 173-175,
178, 181, 182, 184, 185, 187, 188, 191-193, 197-199, 201, 226, 270, 271, 348, 349, 404, 407,
413, 423, 425, 427, 430, 435-437, 443-445, 447, 449, 451, 463, 480-482, 484, 487, 489, 495.
SURFACE, 23, 72, 195, 439, 455, 463, 476, 478, 479, 483, 484.
SYMBOLE, 217, 373.
SYMBOLIQUE, 20, 43, 45, 46, 55, 58, 71-73, 163, 169, 179, 194, 226, 235, 236, 241, 256, 257, 275,
277, 278, 293, 297, 312, 320, 323, 341, 368, 428, 430, 431, 433, 434, 443, 447, 449, 451, 453,
455, 457, 469, 470, 471, 480.
SYMBOLIQUE
système, 293, 341, 434, 447, 451, 453.
SYMBOLISME (PHONÉTIQUE), 470.
SYNCHRONIE, 9, 30, 38, 42, 44, 52, 54, 55, 60, 61, 64, 65, 74, 427, 433, 456, 457, 461, 476, 482-
484, 490.
SYNCRÉTIQUE, 182, 262, 402.
SYNCRÉTISME, 39, 45, 448.
SYNTAXE, 90, 92, 93, 95, 452, 456, 466.
SYSTÈME, 10, 12, 20, 22, 23, 28-30, 42, 44, 51-55, 61, 63-66, 68-70, 72-74, 77-79, 81, 86, 88-92,
95, 101, 102, 112, 116-123, 126-128, 134-136, 143, 144, 147, 150, 151, 153-155, 184-186, 192,
194, 200, 206, 219, 228, 236, 262, 273, 289, 290, 293, 294, 301, 310-315, 325, 337, 338, 341,
343, 356, 397, 399, 403, 404, 406, 417, 430, 433-437, 439-441, 443, 445-447, 450-453, 455-
465, 467-470, 472, 474-479, 481, 483-490, 519.
SYSTÈME
cible, 117.
source, 117.
de référence, 470.
graphique, 10, 29, 121, 143.
phonologique, 28, 29, 70, 81, 86, 88, 95, 126, 433, 452, 456, 469.
politique traditionnel, 404.
-s complexes, 25, 61, 491.
-s culturels contradictoires, 195.
sociosymbolique, 185.
SYSTÉMATISATION, 92, 466, 478.
SYSTÉMIQUE, 28, 44, 50, 51, 54, 55, 60, 65, 69, 79, 93, 104, 434, 436, 437, 446, 448-450, 453,
455, 457, 458, 463, 466, 467, 469, 479, 482, 488.
T
TAXINOMIE, 486.
TAXONOMIQUE, 451.
TEMPS, 10, 18, 23, 28, 29, 33, 37, 49, 54, 56, 62, 63, 66, 72, 74, 90, 112, 118, 124, 126, 138, 165-
167, 171, 175, 186, 194, 195, 198, 200, 209, 213, 215, 216, 220, 221, 226, 246, 255, 256, 258,
259, 272, 292, 294, 299, 306, 311-313, 319, 340, 351, 354, 362, 365, 368, 374, 377, 398, 400,
402, 428, 432, 446, 451, 457, 471, 481, 482, 483, 484, 491.
TERRITOIRE, 42, 49, 79, 204, 207, 209, 210, 270, 292, 303, 305, 328, 367, 395, 397, 399, 400, 401,
428, 430.
THÉÂTRALISATION, 320.
THÉRAPEUTE, 191, 485.
TRACE, 86, 181, 224, 229, 441, 458, 467.
TRACE
mnésique, 458.
TRADITION, 46, 56, 60, 84, 213, 217, 289, 324, 330, 340, 355, 356, 365, 376, 389, 391, 393, 404,
405, 432, 473-475, 478, 489, 492, 493.
TRADITIONALISME, 389, 403.
TRADITIONALISTE, 396, 400, 402-404.
TRAIT, 29, 43, 50, 58, 59, 66, 80, 86, 88, 94, 95, 101, 103, 123, 124, 143, 184, 187, 188, 216, 222,
226, 264, 274, 296, 297, 311, 372, 375, 432, 433, 434, 456-460, 471, 472.
TRAIT
distinctif, 59, 432.
identificatoire, 433, 472.
intersystémique, 472.
opératoire, 432.
pertinent, 58, 59, 66, 88.
-s linguistiques, 80.
sonores, 448.
symbolique, 457, 471.
TRANSDISCIPLINAIRE, 425, 476.
TRANSDISCIPLINARITÉ, 8, 31, 492.
TRANSFERT, 22, 68, 74, 78, 94, 175-178, 184, 227, 305, 431, 440.
TRANSFORMATION, 223, 225, 262, 264, 347, 348, 350, 351, 366, 478, 486, 490.
TRANSFORMÉS, 272.
TRANSGRESSIF, 177.
TRANSGRESSION, 65, 284, 330, 332, 443, 481.
TRANSMISSION, 47, 62, 66, 83, 192, 200, 201, 305, 377, 391, 430, 432, 446, 448, 473, 475, 489.
TRANSMISSION
rupture de la, 192.
TRANSPOSITION, 93, 134.
TRILINGUE, 437.
TYPOLOGIE, 40, 43, 425, 441, 446, 449, 519.
TYPOLOGIQUE, 155, 438, 449.
TYPOLOGIQUE
écartement, 439.
proximité, 438.
U
UN, 19, 21, 25, 32, 33, 46, 55, 92, 97, 118, 120-122, 124, 129, 139, 140, 157, 172, 183, 184, 191,
196, 219, 250, 260, 264, 269, 299, 301, 307-309, 313. 331, 345, 350, 356, 362, 366, 368, 397,
399, 407, 408, 429, 472, 496.
UNICITÉ, 90, 92, 352, 429, 482.
UNIFORMISATION, 126, 468.
UNIVERSALITÉ, 186, 198, 489, 493.
V
VALIDATION, 18, 28, 33, 34, 53, 54, 55, 207, 486.
VARIABILITÉ, 60, 187, 289, 290.
VARIABLE, 32, 55, 261, 297, 429, 441, 476, 484, 491.
VARIANTE, 50, 51, 55, 139, 153, 223, 226, 227, 365, 377, 378, 475, 481.
VARIANTE
dialectale, 226.
individuelle, 51.
VARIATION, 10, 23, 41, 42, 44, 50, 54, 58, 62, 63, 65, 72, 74, 101, 119, 126, 144, 290, 427, 428,
436, 440, 446, 457, 458, 461, 463, 478, 483, 490, 496.
VARIÉTÉ, 80, 83, 84, 122, 154, 227, 430, 480.
VERBALISABLE, 23, 53, 56, 72, 476, 478, 479, 485.
VERBALISATION, 30, 485.
VIOLENCE, 201, 263, 330, 430, 435.
Présentation des auteurs
Amandine BERGÈRE, linguiste sinologue, est spécialiste de l’apprentissage du français par les
migrants chinois adultes (notamment les systèmes d’écriture), sujet auquel elle a consacré sa thèse,
soutenue en 2008 sous la direction de Frank Alvarez-Pereyre. Elle dirige aujourd’hui le projet
MALIN (Mutualisation et analyse des ressources pour la formation linguistique des adultes). Elle a
également contribué au volume, dirigé par Frank Alvarez-Pereyre, Catégorisation et système de
signes (Peeters, 2009).
Susanne FÜRNISS est ethnomusicologue. Directrice de Recherche au CNRS, elle a dirigé l’axe
« Catégorisation » du laboratoire Langues Musiques Sociétés dont elle est l’un des membres
fondateurs. Auteur de très nombreux articles et publications multimédia consacrés aux Pygmées (Aka
et Baka), elle est co-auteure et co-éditrice de l’Encyclopédie des Pygmées Aka et participe à plusieurs
projets de recherche internationaux.
Marie-Pierre GIBERT est anthropologue. Spécialiste de la danse/musique et des questions de
migration/mobilité transnationale, elle est docteur en anthropologie sociale et ethnologie de
l’EHESS, et membre associé du laboratoire Langues, Musiques, Sociétés. Elle était jusqu’en 2009
« Research Fellow » pour le programme financé par le Arts and Humanities Research Council
(AHRC Program), Diasporas, Migrations & Identities, à l’université de Southampton (Royaume-
Uni). Elle a rejoint en 2009 le département d’Anthropologie de l’université Lumière-Lyon 2 comme
Maître de conférence.
Zaki STROUGO est aujourd’hui membre honoraire du Laboratoire Langues, Musique, Société.
Ingénieur d’études au CNRS, il s’est intéressé dans le cadre de sa pratique psychanalytique à la
pathologie des migrants. Il a également collaboré aux travaux du groupe de recherches en
anthropologie Matière à Pensée, dirigé par Jean-Pierre Warnier. Ses travaux sur les pathologies de la
migration et son expérience de terrain ont apporté une nouvelle dimension disciplinaire aux
recherches du laboratoire.
Table des matières
I. Introduction
Interdisciplinarité
Les traditions d’études du contact : échanges théoriques et méthodologiques
Marie-Christine BORNES VAROL
Glossaire commun
Distribution SODIS
al
128, av. du M de Lattre-de-Tassigny - 77403 Lagny-sur-Marne
Tél. 01 60 07 82 00 - Fax 01 64 30 32 27