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14 | 2018
Plurilinguismes en construction
Apprentissages et héritages linguistiques
Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/essais/281
DOI : 10.4000/essais.281
ISSN : 2276-0970
Éditeur
École doctorale Montaigne Humanités
Édition imprimée
Date de publication : 1 juin 2018
ISBN : 979-10-97024-06-2
ISSN : 2417-4211
Référence électronique
Mariella Causa et Valeria Villa-Perez (dir.), Essais, 14 | 2018, « Plurilinguismes en construction » [En
ligne], mis en ligne le 01 décembre 2019, consulté le 25 septembre 2020. URL : http://
journals.openedition.org/essais/281 ; DOI : https://doi.org/10.4000/essais.281
Essais
Revue interdisciplinaire d’Humanités
Plurilinguismes en construction :
apprentissages et héritages linguistiques
Numéro 14 - 2018
(2 - 2017)
Membres fondateurs
Brice Chamouleau, Bertrand Guest, Jean-Paul Engelibert, Sandro Landi,
Sandra Lemeilleur, Isabelle Poulin, Anne-Laure Rebreyend, Jeffrey Startwood,
François Trahais, Valeria Villa
Comité scientifique
Anne-Emmanuelle Berger (Université Paris 8), Patrick Boucheron (Collège de
France), Jean Boutier (EHESS), Catherine Coquio (université Paris 7), Phillipe Desan
(University of Chicago), Javier Fernandez Sebastian (UPV), Carlo Ginzburg
(UCLA et Scuola Normale Superiore, Pise), German Labrador Mendez (Princeton
University), Hélène Merlin-Kajman (Université Paris 3), Dominique Rabaté
(Université Paris 7), Charles Walton (University of Warwick)
Directeur de publication
Sandro Landi
Secrétaire de rédaction
Chantal Duthu
Les articles publiés par Essais sont des textes originaux. Tous les articles font l’objet d’une double
révision anonyme.
Tout article ou proposition de numéro thématique doit être adressé au format word à l’adresse
suivante : revue-essais@u-bordeaux-montaigne.fr
La revue Essais est disponible en ligne sur le site :
http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/la-revue-essais.html
Éditeur/Diffuseur
École Doctorale Montaigne-Humanités
Université Bordeaux Montaigne
Domaine universitaire 33607 Pessac cedex (France)
http://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/ecole-doctorale/la-revue-essais.html
École Doctorale Montaigne-Humanités
Revue de l’École Doctorale
ISSN : 2417-4211
ISBN : 979-10-97024-06-2 • EAN : 9791097024062
© Conception/mise en page : DSIN - Pôle Production Imprimée
En peignant le monde nous nous peignons nous-mêmes, et ce faisant
ne peignons « pas l’être », mais « le passage »*. Dialogues, enquêtes, les
textes amicalement et expérimentalement réunis ici pratiquent active-
ment la citation et la bibliothèque. Ils revendiquent sinon leur caractère
fragmentaire, leur existence de processus, et leur perpétuelle évolution.
Créée sur l’impulsion de l’École Doctorale « Montaigne-Humanités »
devenue depuis 2014 Université Bordeaux Montaigne, la revue Essais
a pour objectif de promouvoir une nouvelle génération de jeunes
chercheurs résolument tournés vers l’interdisciplinarité. Essais propose
la mise à l’épreuve critique de paroles et d’objets issus du champ des
arts, des lettres, des langues et des sciences humaines et sociales.
Communauté pluridisciplinaire et plurilingue (des traductions
inédites sont proposées), la revue Essais est animée par l’héritage de
Montaigne, qui devra être compris comme une certaine qualité de
regard et d’écriture.
Parce que de Montaigne nous revendiquons cette capacité à s’exiler
par rapport à sa culture et à sa formation, cette volonté d’estrange-
ment qui produit un trouble dans la perception de la réalité et permet
de décrire une autre scène où l’objet d’étude peut être sans cesse refor-
mulé. Ce trouble méthodologique ne peut être disjoint d’une forme
particulière d’écriture, celle, en effet, que Montaigne qualifie de façon
étonnamment belle et juste d’« essai ».
Avec la revue Essais nous voudrions ainsi renouer avec une manière
d’interroger et de raconter le monde qui privilégie l’inachevé sur le
méthodique et l’exhaustif. Comme le rappelle Theodor Adorno (« L’essai
comme forme », 1958), l’espace de l’essai est celui d’un anachronisme
permanent, pris entre une « science organisée » qui prétend tout expli-
quer et un besoin massif de connaissance et de sens qui favorise, plus
encore aujourd’hui, les formes d’écriture et de communication rapides,
lisses et consensuelles.
Écriture à contrecourant, l’essai vise à restaurer dans notre
communauté et dans nos sociétés le droit à l’incertitude et à l’erreur,
le pouvoir qu’ont les Humanités de formuler des vérités complexes,
Édito
dérangeantes et paradoxales. Cette écriture continue et spéculaire, en
questionnement permanent, semble seule à même de constituer un
regard humaniste sur un monde aussi bigarré que relatif, où « chacun
appelle barbarie ce qui n’est pas de son usage ».
C’est ainsi qu’alternent dans cette « marqueterie mal jointe »,
numéros monographiques et varias, développements et notes de lecture,
tous également essais et en dialogue, petit chaos tenant son ordre de
lui-même.
Le Comité de Rédaction
* Toutes les citations sont empruntées aux Essais (1572-1592) de Michel de Montaigne.
Plurilinguismes Dossier
en construction :
apprentissages et
héritages linguistiques
Dossier coordonné par
Mariella Causa
Valeria Villa-Perez
Avant-propos
1 Édgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Éditions du Seuil, 2000,
p. 15.
2 Jean-Claude Beacco, Mickael Byram, De la diversité linguistique à l’éducation plurilingue. Guide
8 Mariella Causa, Valeria Villa-Perez
dans l’ouvrage de référence Être bilingue publié il y a plus de trente ans, affir-
maient à propos du plurilinguisme individuel, à savoir que « le plurilingue
n’est pas une exception, il n’a rien d’exotique, d’énigmatique, il représente
seulement une possibilité de normalité »3. Le plurilinguisme est donc la règle
et le monolinguisme l’exception4, puisque les locuteurs possèdent des réper-
toires langagiers « pluriels » que ce soit au niveau des registres et des langages
sectoriels d’une même langue, ou encore de la connaissance (et non de la
maîtrise) de plusieurs langues.
Notre propos ne sera pas ici de traiter cette thématique de manière exhaus-
tive, ce serait trop ambitieux, mais d’essayer de mieux comprendre, à travers
des regards croisés et des approches variées, le sens à donner à cette complexité
en adoptant une vision foncièrement dynamique des parcours humains et
sociaux tels que les contributeurs les abordent dans leurs articles. Les contri-
butions réunies dans ce volume décrivent ainsi quelques aspects cruciaux liés
aux plurilinguismes individuels, aux politiques linguistiques et éducatives, en
France ou à l’étranger, étroitement imbriqués aux phénomènes migratoires et
à leurs relations avec les langues en contact.
Pour situer les relations qui s’établissent entre le(s) plurilinguisme(s) et les
apprentissages, nous nous sommes focalisées sur trois éléments, d’ordre différent
mais complémentaires, qui nous ont paru particulièrement porteurs : l’école,
l’individu et les phénomènes migratoires en allant de la sorte de l’institution
au groupe en passant nécessairement par l’individu avec toute sa complexité.
Le choix de ces trois éléments met par ailleurs l’accent sur la dimension tempo-
relle de cette relation et la nécessaire articulation entre le présent et le passé.
Le binôme plurilinguisme-école n’est pas récent, l’intérêt pour le pluri-
linguisme dans l’enseignement des langues remontant aux années 1970. En
France, on voit apparaître l’association entre « didactiques et plurilinguisme »5
en 1986 dans le célèbre ouvrage coordonné par Jacqueline Billiez en hommage
à Louise Dabène. La didactique du plurilinguisme se présente comme une
nouvelle perspective, ayant (entre autres) pour but de mettre en valeur les
compétences plurielles et plurilingues des élèves souvent mal- ou mé-connues.
Elle se positionne par conséquent moins dans l’enseignement d’une langue et
davantage sur le rôle du contact des langues dans la construction de compé-
tences plurilingues6. Cette approche de la pluralité linguistique met claire-
Ces exemples sont une bonne illustration du fait que nos sociétés se caracté-
risent par une différenciation des migrants par origines nationales, langues,
motivations, parcours et dynamiques d’intégration sociale, ce qui entraîne
une évolution du paradigme migratoire18. Non uniquement, des exodes forcés
donc, mais des migrations individuelles et choisies tout au long de la vie.
L’apparition des nouvelles « catégorisations » des migrations et des mobili-
tés internationales19 montre également l’exigence d’en reconfigurer la cartogra-
phie et de reconsidérer les termes utilisés pour les définir. Serait-il par exemple
plus approprié de dénommer les différentes catégories de migrants avec des
termes distincts, moins connotés ? Ou alors cela voudrait-il dire stigmatiser
davantage les migrations contraintes ? Et comment qualifier les différentes
étapes de ce parcours à travers des termes reflétant l’hétérogénéité de ces trajec-
toires complexes ? L’on voit par ailleurs que figer les termes renvoyant à ces
populations et à aux mobilités revient à les catégoriser dans un espace immuable
qui ne correspond pas véritablement à la réalité qui, elle, est changeante et
multiple. C’est pour cette raison que, dans l’étude des trajectoires migratoires,
l’un des dangers réside dans le fait de ne pas prendre suffisamment en compte
le présent en tant que générateur de comportements positifs, lorsqu’il engendre
des différences minimales, ou, au contraire, de comportements négatifs, lorsqu’il
engendre des différences maximales – donc l’inhibition ou le refoulement – par
rapport aux schèmes d’action incorporés et activés jusqu’alors20. Il s’ensuit que :
« Ce que l’acteur perçoit, voit, sent ou se représente de la situation présente et
ce qu’il y fait ne se saisit qu’au croisement des propriétés (objectivables) de la
situation en question et de ses propriétés incorporées (dispositions mentales
et comportementales plus ou moins cohérentes ou contradictoires formées au
cours des expériences socialisatrices passées). »21
Les questions définitoires et terminologiques restent par conséquent consti-
tutives du thème de la migration et de la prise en compte de son évolution, mais
deviennent source de débat (voire de conflit) dès lors qu’elles ne sont pas suffi-
samment analysées et contextualisées. C’est l’un des aspects qui fait polémique
dans les recherches sur l’intégration. À ce propos, il nous semble absolument
nécessaire de considérer le rôle des instances énonciatives qui utilisent les termes
faisant débat et d’opérer une distinction entre leur emploi chez les résidents du
présentée au Colloque ACEDLE, Université Bordeaux Montaigne, 19, 20, 21 Janvier 2017 ;
Rispail Marielle, Villa-Perez Valeria, « Migrer, migrants, migrations », in Rispail Marielle (éd.),
Abécédaire de sociodidactique - 65 notions et concepts, 2017, Saint-Étienne, PUSE.
18 Jan Blommaert, Ben Rampton, Massimiliano Spotti, « Language and superdiversity », Diversities,
vol. 13, n° 2, 2011 ; Jan Blommaert, « Commentary: Superdiversity old and new », Language and
Communication, 2015, 44, p. 82-88.
19 Catherine Withol de Wenden, La question migratoire au XXIe siècle : migrants, réfugiés et rela-
tions internationales, Paris, Presses universitaires de Sciences Po, 2017.
20 Bernard Lahire, op. cit., p. 87 et sqq.
21 Bernard Lahire, Le monde pluriel, Paris, Seuil, coll. La couleur des idées, 2012, p. 31.
12 Mariella Causa, Valeria Villa-Perez
pays d’accueil (ceux qu’on nommera les autochtones) et chez les populations
entrantes : le regard et les représentations sur cette délicate question ne sont en
effet pas les mêmes.
Un dernier point, de taille, qui mérite d’être mentionné dans ces quelques
pages est la relation entre les phénomènes migratoires et la langue du pays d’ac-
cueil. Rappelons qu’« une bonne connaissance de la langue officielle/nationale
est considérée signe d’intégration culturelle, laquelle justifie la naturalisation,
qui constitue la forme juridique d’intégration. »22. En France, la connaissance
et la compétence en langue devient un enjeu majeur pour les migrants ; c’est
surtout à partir de la loi de 200423 que la maîtrise du français fait partie des
compétences professionnelles requises et permet en retour le financement de
formations linguistiques à destination des citoyens étrangers. Cela peut néan-
moins donner lieu à une double lecture : soit la connaissance de la langue du
pays facilite et favorise « une intégration efficace des nouveaux arrivants dans la
vie professionnelle », soit la bonne connaissance de la langue du pays garantit
« la préservation de l’homogénéité culturelle de la communauté nationale. »24.
Dans les deux cas, la lecture serait partielle pour au moins deux raisons que
nous allons exposer. Premièrement, « il n’existe pas de relations directes entre
l’apprentissage de la langue, l’emploi et l’intégration », de plus, si on prend
l’exemple de l’intégration professionnelle, elle n’engendre pas automatique-
ment « des compétences en langues »25. En d’autres mots, la question posée
par Luc Biichlé, à savoir « est-ce parce que l’on ne « maîtrise » pas la langue
du pays d’immigration que le contact avec la nouvelle société ne se fait pas
ou est-ce plutôt parce que ce contact ne se fait pas que l’on ne « maîtrise » pas
cette langue ? »26, reste toujours ouverte même si des éléments de réponses
commencent à être apportés27. Deuxièmement, une focalisation exclusive (et
monolingue) sur l’apprentissage de la langue nationale comporte un oubli du
plurilinguisme constitutif de nos sociétés, de la présence des langues minori-
taires et minorées dans le répertoire linguistique des locuteurs28.
qu’il a « ensemble et avec les autres »33, il s’approprie enfin cette langue en l’in-
tégrant légitimement à son répertoire linguistique sans déprécier la/les langue/s
d’origine ou les autres langues qu’il connaît.
Cette façon d’appréhender la relation entre langue(s) et identité(s) entraîne
un changement profond dans le regard que la société a sur de tels phénomènes :
on ne s’identifie plus à une seule langue (la langue nationale et/ou officielle)
mais on accepte consciemment le fait que l’identité est plurielle, comme les
langues et les cultures que nous côtoyons et vers lesquelles nous allons. Et c’est
cette position que nous retrouvons d’ailleurs chez François Grosjean, autorité
en matière de bilinguisme et biculturalisme, dans un ouvrage récent dans lequel
il insiste à plusieurs reprises sur le caractère dynamique de l’identité culturelle
et linguistique de l’individu, caractère qui va à l’encontre des catégorisations
auxquelles nous sommes habitués et qui, souvent, nous sont imposées34.
Les principes de la valorisation de la diversité linguistique deviennent alors
la pierre angulaire de ce volume.
C’est en effet sur ce point que nous souhaitons ouvrir le débat avec la
contribution de Pierre Escudé, qui problématise l’apprentissage des langues
étrangères dans le contexte français et notamment à travers l’« étanchéité
des apprentissages » des langues. Pour contrer ce paradigme monolingue
dominant dans l’enseignement en France, l’auteur propose de didactiser le
contact des langues et notamment la « méthodologie de l’intercompréhen-
sion » qui aurait l’avantage de prendre véritablement en compte la diversité et
la variation interlinguistique.
La variation fait l’objet également d’une problématisation didactique
dans l’article de Marine Totozani et de Sandra Tomc, qui fait état d’une RAF
(Recherche-Action-Formation) conduite à Saint-Étienne dans des classes de
Français Langue Seconde (FLS) à partir d’observations et d’entretiens avec les
enseignants observés. L’approche proposée par les auteures s’avère intéressante
dans la mesure où les données recueillies permettent d’analyser la gestion de la
variation dans la phase interactive de la classe, d’une part, et, d’autre part, les
dires des enseignants sur les (éventuelles) pratiques pédagogiques employées
(ou pas) à cette fin, l’objectif de l’enquête étant de formaliser des fiches péda-
gogiques pour les enseignants travaillant dans ces contextes multilingues.
La gestion de la variation en classe est également traitée, cette fois-ci tant
du côté des apprenants que du côté des enseignants de mathématiques et d’his-
toire-géographie, dans l’article de Elisabeth Faupin sous forme de marques
transcodiques35. La question qui se dégage est la manière dont les langues des
élèves pourraient être utilisées par l’enseignant en classe pour véhiculer le savoir
disciplinaire et comme tremplin vers la langue de scolarisation, dans ce cas le
français. Accepter la langue des élèves pourrait, selon l’auteure, être une étape
du processus de scolarisation et, plus largement, d’intégration scolaire et sociale.
L’évolution des choix terminologiques pour désigner le public des allo-
phones est illustrée par Catherine Mendonça Dias qui présente également les
dispositifs pour leur prise en charge, les idéologies implicites (assimilation, inté-
gration et/ou inclusion), les choix didactiques et les approches pédagogiques. Il
est précisément question d’une analyse terminologique de l’accueil des élèves
allophones de l’Éducation Nationale au cours de ces dernières décennies.
Le maintien des langues d’origine et des plurilinguismes individuels est
crucial dans les recherches sur la migration. L’article d’Antoine Pascaud rend
compte de ce phénomène chez trois communautés de migrants, à savoir les
Portugais, les Espagnols et les Grecs par le biais d’entretiens recueillis auprès
de locuteurs appartenant à différentes périodes migratoires (première généra-
tion, une génération et demie, seconde génération) dans la région bordelaise.
Sa contribution soulève une question centrale concernant la transmission
intergénérationnelle de ce bagage linguistique (elle fait donc le lien entre le
présent et le passé) et, forcément, identitaire. Nous verrons que la relation
avec la langue d’origine ainsi que son enseignement plus ou moins institu-
tionnel peut aboutir à un large éventail d’attentes et de représentations chez
les enquêtés : du désintérêt à la reconnaissance en passant par des formes de
repli, voire de tension.
Avec l’article de Malika Pedley nous passons à un autre contexte : la
promotion de l’apprentissage des langues au Royaume-Uni. Dans un pays
marqué par une incontestable prédominance de l’anglais, de nouvelles poli-
tiques linguistiques et éducatives essayent d’inverser cette tendance. C’est le
cas du projet scolaire Mother Tongue Other Tongue, mis en œuvre en Écosse,
terrain d’enquête de cette recherche doctorale, un concours de poésie multi-
lingue visant la valorisation de l’apprentissage des langues à l’école et du pluri-
linguisme des élèves allophones.
En partant des travaux du sociologue Pierre Paillé qui définit l’ap-
proche qualitative comme une « méthodologie de la proximité », l’article de
Marielle Rispail, Marine Totozani et Valeria Villa-Perez explore les manifes-
tations d’une telle méthodologie en sociolinguistique et en sociodidactique.
L’analyse de deux enquêtes de terrain devient un lieu propice pour combiner
des considérations plus générales d’ordre épistémologique et méthodologique
à propos des recherches sur la migration et le plurilinguisme : quelle méthodo-
logie de recherche employer pour être au plus près des phénomènes étudiés ?
La dernière contribution de ce volume, issue d’une conférence donnée
en 2015 à l’Université Bordeaux Montaigne dans le cadre des Horizons de la
recherche, est signée par le sociolinguiste-didacticien Pierre Martinez. Tout
16 Mariella Causa, Valeria Villa-Perez
Mariella Causa
Clle ERSSàB UMR 5263
Université Bordeaux Montaigne
maria.causa@u-bordeaux-montaigne.fr
Valeria Villa-Perez
CELEC EA 3069
Université Lyon UJM Saint-Étienne
valeria.villa@univ-st-etienne.fr
Pierre Escudé
3 Jean Itard, Mémoire [1801] et rapport [1806] sur Victor de l’Aveyron, in Lucien Malson, Les
Enfants Sauvages, mythes et réalités, 10/18, 1964.
Intégrations, « force d’intercourse », identités 19
Document 1 : Manuel « J’apprends par les langues, 8-12 ans », leçon n° 19, p. 3, SCEREN,
Conseil de l’Europe, cf. www.euro-mania.eu.
En effet, l’enfant sauvage n’a pas pu, de sa naissance à ses deux ans, discri-
miner les sons humains, les reproduire, puis en produire afin de concevoir
l’espace symbolique qui relie notre position dans le monde et au milieu des
autres hommes. Or, si Victor n’avait pas été abandonné, il parlerait la langue de
son milieu : l’occitan, et sûrement aussi un peu de français. Si Victor avait été
élevé par des Chinois, il parlerait chinois ; par des Anglais, il parlerait anglais,
avec l’accent de ses parents et de son milieu éducatif. Bref, et sauf handicaps,
tout enfant à sa naissance à la capacité de discriminer tous les sons entendus,
de filtrer et reproduire les sons pertinents, d’en produire à son tour. À sa nais-
sance, le petit homme est un être potentiellement plurilingue. Dans la majorité
des cas, il le demeure. Dans nos sociétés scolarisées, il ne l’est pas4. Pourquoi ?
4 Claude Hagère, L’Enfant aux deux langues, Paris, Odile Jacob, 1996.
5 Tant et si bien qu’à l’heure où nous rédigeons cette communication (fin octobre 2015), le
20 Pierre Escudé
Sénat vient de rejeter la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires
(dont le processus a été lancé en 1999 par le gouvernement Jospin). La même journée, sur
deux radios nationales, un intervenant (le traducteur André Markowitz sur France-Culture)
estime qu’il est heureux que le Sénat ait agi ainsi : car « donner des droits a 70 langues, c’est
créer des communautarismes », se prononçant par ailleurs sur l’inexistence de l’occitan, à
rebours de la seule existence « du provençal, du gascon » ; tandis que sur RFM, les animateurs
daubent le personnel politique français, « ces gens incapables de bien parler et prononcer
l’anglais ». Le rapport de l’un à l’autre n’est jamais perçu ensemble.
6 Claude Truchot, Europe : l’enjeu linguistique, Paris, La Documentation française, collection
Études, 2008, p. 47.
7 Emily Apter, « L’Humanisme d’Edward Saïd », Zones de traduction. Pour une nouvelle littérature
comparée, Paris, Fayard, 2015, p. 92.
8 Id., « Rien n’est traduisible », p. 128.
9 On peut penser aux innombrables travaux de Robert Lafont qui inlassablement a pensé la
France dans la dynamique d’une dialectique unissant l’un et le divers : La révolution régionaliste,
Paris : Gallimard collection idées, 1967 ; Sur la France, Paris : Gallimard collection les essais,
1968 ; Décoloniser en France. Les régions face à l’Europe. Paris : Gallimard collections idées, et
Le Sud et le Nord, dialectique de la France. Toulouse : Privat, 1971 ; Autonomie, de la région à
l’autogestion, Paris, Gallimard, 1976.
Intégrations, « force d’intercourse », identités 21
10 Mohamed Arkoun, La question éthique et juridique dans la pensée islamique, Paris, Vrin, 2010,
p. 35.
11 Tullio De Mauro, Andrea Camilleri, La langue bat où la dent fait mal, Lambert Lucas, 2017
[Laterza, 2013], 86, Pierre Escudé (éd.).
12 « Le patois est le pire ennemi de l’enseignement du français dans nos écoles primaires. La ténacité
avec laquelle, dans certains pays, les enfants le parlent entre eux dès qu’ils sont libres de le faire, au
désespoir de bien des maîtres qui cherchent par toutes sortes de moyens, à combattre cette fâcheuse
habitude. Parmi les moyens il en est un que j’ai vu employer avec succès dans une école rurale de
haute Provence… Le matin, en entrant en classe, le maître remet au premier élève de la division
supérieure un sou marqué d’une croix faite au couteau… Ce sou s’appelle : le signe. Il s’agit pour
le possesseur de se signe (pour le « signeur « comme disent les élèves) de se débarrasser du sou en
le donnant à un autre élève qu’il aura surpris prononçant un mot de patois. Je me suis pris à réflé-
chir au sujet de ce procédé. C’est que je trouve, à côté de réels avantages, un inconvénient qui me
semble assez grave. Sur dix enfants, je suppose qui ont été surpris à parler patois dans la journée,
seul le dernier est puni. N’y a-t-il pas la une injustice ? J’ai préféré, jusque-là, punir tous ceux qui se
laissent prendre. » Correspondance générale de l’Inspection primaire, Barcelonnette, 15 octobre 1893.
22 Pierre Escudé
Notre didactique des langues est induite de fait par ces principes d’éradica-
tion des potentiels plurilingues natifs et de fondation sociale d’une conscience
linguistique unitaire et close sur elle-même. Toute langue autre que la langue
de l’étymon national est étrangère. L’altérité commence au-delà des limites de
notre langue.
Aussi, je pars de zéro quand je rentre dans une nouvelle langue. Je ne peux
faire aucun transfert par peur de provoquer des interférences, de rencontrer
des « faux-amis », d’entrer dans le domaine mixte de l’interlangue, et bien sûr
de mal prononcer, de faire des erreurs, de faire des fautes.
Les langues sont donc sans contact. Leur rapport est vertical, entre grandes
langues, petites langues, non langues. Ces définitions sont tournantes en fonction
de l’étymon national. Mais pour le français, seule une langue d’au moins même
assiette symbolique peut se prévaloir du statut de « langue vivante 1 » : l’anglais,
bien sûr, à moindre niveau l’allemand. Le chinois, depuis quelques années et
avant la déstabilisation actuelle du cours du yuan peut également prétendre à
ce statut de premier rang. Les langues romanes, langues du sud, plus « faciles »,
sont reléguées alors au statut de rang deux. De la même manière, on monte de
la « non langue » (« argot, patois, dialecte ») vers la Langue unique, sacrée, par
un cheminement initiatique aménagé par l’école laïque13.
Les langues, enfin, sont définies par un idéal de contenu : elles portent une
substance qui les vitalise. La langue française, intrinsèquement, est la seule
langue qui puisse dire l’idéal national dont le sésame est la vertu laïque qui fait
figure de sacré républicain. Sur trois siècles, on trouvera des traces imposantes
de cette vertu unique, depuis l’époque de la Convention en passant par les
pères fondateurs de la 3e République, jusqu’aux « débats » si engagés qui ont
fleuri à l’époque des premiers épisodes du feuilleton de la (non) ratification
par la France de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires14.
Un espace multilingue
16 Pierre Escudé et Pierre Janin, L’intercompréhension, clef du plurilinguisme, Paris, CLE interna-
tional, 2010, p. 17. Du fait du Brexit, le rapport devient encore plus fort en faveur des langues
romanes dans l’espace politique européen.
Intégrations, « force d’intercourse », identités 25
17 Chapitre 1-3, « Qu’entend-on par plurilinguisme? », 11. Le CECRL a été l’objet d’un travail
collaboratif entre 1991 et 2001, il est depuis août 2005 le texte d’appui de toute la politique
linguistique scolaire du Ministère de l’Éducation Nationale. Si certains éléments proposés par le
Cadre ont été assimilés : niveaux-seuils et à moindre degré l’intégration de la « méthode action-
nelle », d’autres éléments semblent moins perçus : la circulation dynamique entre les cinq acti-
vités (compréhension orale, écrite, production orale, orale en interaction, écrite), voire même
peu perçus, à l’instar du chapitre introductif que nous citons. Toute didactique des langues n’a
de sens que dans un contexte de rapport de langue à langue, soit de didactisation de contacts.
18 Ce travail d’éclaircissement du sens du texte, de compréhension du contenu ou du concept
toujours médiatisé, passe donc par la remédiation, le transfert et la circulation didactisée des
langues : « L’authentification consiste, elle, à montrer que la langue n’existe pas en dehors
de contenus, d’enjeux « non linguistiques » qu’elle contribue à façonner et, par conséquent,
26 Pierre Escudé
Proximité et distance
C’est à cette lumière que l’on peut reconsidérer le document 1 qui intro-
duisait cette contribution. Ce document a une valeur tout à la fois descrip-
tive (il supporte et étaye un contenu de savoir) et procédurale. Une fois le
document explicité, le texte en « langue étrangère » qui le constitue devient
transparent. La distance posée comme telle du simple fait que ce texte n’est
pas rédigé en français s’atténue et, ici, peut simplement disparaître. L’étrangeté
ontologique du texte s’efface car elle ne résiste pas à la réalité des faits :
- cette langue n’est plus étrangère car elle porte des éléments que j’intègre
dans mon système cognitif : « Victor, Itard, Avairon ». Je peux formuler
et valider l’hypothèse que le texte, en vis-à-vis des deux photogrammes,
met en mots l’histoire de Victor déjà glosée. Le texte reformule un
contexte déjà éclairci.
- Le texte reformule avec des variantes graphiques, lexicales, morpholo-
giques, un prétexte qui ne m’est pas inconnu. Je peux, avec des élèves
de 8 à 12 ans, et plus facilement encore avec des élèves de collège, de
lycée, d’université, faire émerger que la syntaxe est identique, la morpho-
logie parallèle, le lexique transparent… jusqu’à un certain point : c’est ce
point qui est le premier temps de mon apprentissage. Le lexique nouveau
(« demèst, capita ») et son fonctionnement (« salvajon »), les éléments
morphologiques (pas de pronom sujet, la désinence des verbes), seront
ici les vrais éléments d’apprentissage.
- Le texte ne vient jamais seul mais avec un paratexte (les photogrammes),
et un contexte (que je peux, ici ou par ailleurs, explorer ou faire explorer
dans la langue première de scolarisation). Jaillit ici tout l’intérêt d’une
éducation prenant en compte la transversalité des apprentissages.
C’est selon le principe de la pierre de Rosette, par triangulation conscien-
tisée entre ce que connait déjà l’apprenant et ce qu’il va/doit apprendre, que
l’apprentissage de la langue nouvelle confirme, développe, dit autrement, ce
que peut valider dans sa propre langue cet apprenant.
elle vise à thématiser les faits linguistiques dans le cadre de ces contenus et pour ceux-ci. »
Laurent Gajo, « Enseignement d’une DNL en langue étrangère : de la clarification à la concep-
tualisation », Tréma 28 (2007), Plurilinguisme et enseignement.
Intégrations, « force d’intercourse », identités 27
- le paratexte est une aide importante pour entrer dans le texte (il n’y a plus
d’autorité absolue de l’écrit dans la langue) : « Regarde d’abord tout ce
qu’il y a autour : les illustrations, le titre, le nom de l’auteur… : ce sont
autant d’aides pour comprendre le texte.20 ».
Le contact des langues, s’il n’est pas didactisé, peut mener à différents
traitements. Il peut d’une part être refusé, et les zones de contact se « balka-
nisent » dans la mesure où se referment des « nations monolingues [qui]
contrôlent leurs frontières linguistiques internes21 ». Cette situation de guerre
de tous contre tous est le chiffon rouge agité par les nations monolingues
installées contre toute reconnaissance de droits aux langues de même domaine
politique : reconnaître le bilinguisme serait ouvrir la porte au séparatisme.
Tout régionalisme est un nationalisme en herbe. Ce qui en retour signifie que
tout nationalisme est un régionalisme qui a réussi, et ne légitime pas plus,
sinon par le droit du plus fort, le statut d’une langue au-dessus d’une autre.
Le contact non didactisé peut mener à des « pidgins », ces langues qui
fonctionnent par greffes lexicales, morphologiques, syntaxiques, de langues
diverses : langues de transition où se jouent sans se dénouer les conflits des
plaques langagières en jeu22.
Ce contact mène également aux situations les plus courantes dans nos
espaces multilingues non didactisés : situations de diglossie. Les langues alors
se partagent en fonction des espaces sociaux de pouvoir, d’autorité, d’affec-
tivité, etc. Les langues qui s’installent dans les zones d’autorité (zones de
transmission de pouvoir : administration, école, formes artistiques, média-
tiques, géographiques « hautes ») assurent leur pérennité et de fait rejettent à
la marge de ces zones23 les langues devenues basses. En France, on n’entendra
jamais langues et cultures régionales dans les radios nationales ou publiques.
Les situations de diglossie peuvent toucher l’ensemble des langues, même et
y compris les langues réputées hautes. Ainsi, le français disparaît-il dans les
textes primaires de la Commission Européenne au profit de l’anglais.
20 E for English, manuel de 3e (A2-B1), Mélanie Herment et alii, éditions Didier, 2014, respecti-
vement aux pages p. 46 et p. 34.
21 Emily Epter, « Babel dans les Balkans : zones de traductions, zones de combat », op. cit., p. 187-188.
Ces nations internes, si elles développent des phases d’expansion, peuvent caresser le destin des
empires ou des « grandes nations ». Le français, originairement, était dialecte d’oïl d’île de France.
22 Un exemple célèbre de locuteur de pidgin est Salvatore, l’un des personnages les plus pitto-
resques du Nom de la Rose, roman d’Umberto Eco, Paris, Grasset, 1982. Cet « hérétique », aux
yeux de l’Inquisition orthodoxe, promouvait une forme radicale du « poverettisme » : en guerre
contre tous les états, tous les pouvoirs, il était proche des « pauvres » que ces états asservissent.
Il parlait toutes les langues mais n’en parlait bien aucune.
23 Zone, dont l’étymologie signifie ceinture : cordon de sécurité autour du corps. Ce qui est rejeté
en marge ne sera jamais intégré dans le corps.
Intégrations, « force d’intercourse », identités 29
24 Cf. Pierre Escudé, « De l’invisibilisation et de son retroussement. Étude du cas occitan : norma-
lité de la disparition, ou normalisation du bi/plurilinguisme ? », in Les minorités invisibles :
diversité et complexité (ethno)sociolinguistiques, sous la direction de K. Djordjevic Léonard,
Michel Houdiard (éd.), 2014, p. 9-22.
30 Pierre Escudé
Document 5 : évolution en pourcentage sur 10 ans de la place des langues vivantes étrangères
dans le système d’Éducation Nationale.
25 Victor Louis Aracil, « El bilingüisme com a mite », Conflicte lingüístic i normalització lingüística
a l’Europa nova, Papers de socio-lingüística, Barcelona, La Magrana, 1982 [1966], p. 39-57.
26 Jules Ronjat, La syntaxe du provençal moderne, Paris, Champion, 1913.
27 Cf. Pierre Escudé, « Origine et contexte d’apparition du terme d’intercomprehension dans sa
premiere attestation (1913) chez le linguiste francais Jules Ronjat (1864-1925) », O conceito
Intégrations, « force d’intercourse », identités 31
Force d’intercourse
mais Miriadi de Toulouse avec le programme www.euro-mania.eu mené par les équipes de
Pierre Escudé.
30 Dès la proclamation de la guerre de 1914, Jules Ronjat est contraint de s’exiler à Genève, cf.
Pierre Escudé, introduction à la seconde thèse de Jules Ronjat, Le développement du langage
observé chez l’enfant bilingue, Peter Lang, 2013, 4. Privat-docent à l’université, Ronjat va parti-
ciper de très prêt à l’édition des derniers cours donnés par Saussure à l’université de Genève
avant sa mort en 1913, travaux qui vont devenir les Cours de linguistique générale : « Nous
exprimons aussi nos plus vifs remerciements à M. Jules Ronjat, l’éminent romaniste, qui a
bien voulu revoir le manuscrit avant l’impression, et dont les avis nous ont été précieux », cf.
« Préface de la première édition », Genève, juillet 1915, Charles Bally et Albert Sechehaye,
Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1998 [1916], p. 8.
31 Cf. Cours de linguistique générale, p. 281.
Intégrations, « force d’intercourse », identités 33
Identités
Si cette langue qui « ne détonne ou n’étonne » nulle part est cette force
d’intercourse, langue qui permet à tous de comprendre et d’être compris
malgré la multitude de variations langagières au sein de la langue (« accents
légitimes » de chaque « esprit de clocher »), quel est alors le statut de ce
français normalisé, vertical, que l’école a transmis pour se substituer à « l’argot
32 Cf. Le développement du langage observé chez l’enfant bilingue, op. cit., p. 38.
34 Pierre Escudé
C’est ce que Jacques Lacan synthétise par ces aphorismes qui lui sont
familiers : « Il n’y a pas de dialogue », « il n’y a pas de rapport sexuel38 ».
Certes, il y a toujours de l’altérité dans la langue : car elle m’est toujours
étrangère, et je suis toujours étranger à elle. C’est sans doute d’ailleurs ce qui
provoque que nous parlons : nous nous « approximons39 » d’un sens, d’un lieu
du vrai, etc. à chaque fait de langue… car nous ne sommes pas arrivés au point
que vise la langue, et que seul sans doute le silence validerait. Souvenons-
nous cependant qu’intercourse signifie rapport, également dans sa dimension
sexuelle : la « force d’intercourse » saussurienne est cette fusion d’un sens entre
deux locuteurs qui transcende leur altérité.
La langue est tout à la fois ce lieu qui me rapproche de l’autre, et du sujet
de notre parole, et tout autant qui m’en sépare. La langue est le lieu infini de sa
propre glose. Elle ne peut jamais englober le monde, ni surtout elle-même, et
reste toujours dans le désir de se projeter vers l’inconnu, de ce qu’il y a à dire.
C’est ainsi que se délectait Victor Segalen de sa confrontation avec l’extrême
altérité :
« Partons donc de cet aveu d’impénétrabilité. Ne nous flattons pas d’assimiler
les mœurs, les races, les nations, les autres, mais au contraire réjouissons-nous
de ne le pouvoir jamais : nous réservant ainsi la perdurabilité du plaisir de
sentir le Divers.40 »
Pierre Escudé
LACES EA4140
ESPE d’Aquitaine / Université de Bordeaux
pierre.escude@u-bordeaux.fr
Résumé
Le mode d’enseignement des langues est induit par la représentation que les systèmes d’ensei-
gnement ont forgé des langues. Cette représentation est éminemment politique. Parler de
langues étrangères revient à rejeter toute altérité au-delà de la sphère de notre propre langue.
Or, linguistiquement et socialement, la langue existe, se développe et se définit dans la varia-
tion ; par ailleurs, les mobilités nous rappellent que la diversité des langues est une réalité de
plus en plus forte et évidente. De ce point de vue, l’enseignement/apprentissage des langues
pourrait s’apparenter davantage à une didactisation du contact des langues, prenant en compte
38 L’aphorisme « il n’y a pas de rapport sexuel » apparaît dans le Séminaire XX, (1972-1973) Paris,
Seuil, p. 14. Elisabeth Roudinesco cite ensemble ces deux formules dans son Jacques Lacan,
Paris, Fayard, 1993, p. 439. Traitant de l’intraductibilité irréductible de toute langue, Lacan a
encore ce bon mot dans la préface à l’édition de ses Écrits en japonais, en 1970 : « Le monde
n’a pas le bonheur de parler chinois dans sa propre langue ».
39 Nous employons ici une manière de parler qui appartenait à Claire Benveniste : l’approxima-
tion, a priori le contraire du « parler vrai », ou du « parler juste », est en fait la mobilisation
d’une dynamique de langue qui cherche à se rapprocher toujours plus de son but.
40 Victor Segalen, Essai sur l’exotisme. Une esthétique du divers, 1918, p. 25.
Intégrations, « force d’intercourse », identités 37
1 Cet article est issu en partie d’une communication présentée par Marine Totozani et
Sandra Tomc : « Pluralité linguistique en classe d’accueil : quelle place pour la variation ? » au
colloque Pluri-l, « Contributions au développement de perspectives plurilingues en éducation
et formation », Nantes, 2014. Par ailleurs, nous avons préféré abandonner l’acronyme UPE2A,
plutôt opaque et un peu trop technique, au bénéfice de « classe de français langue seconde »
qui permet par ailleurs de mieux situer notre recherche.
40 Marine Totozani, Sandra Tomc
2 Isabelle Graci, Marielle Rispail et Marine Totozani, (éds), L’arc-en-ciel de nos langues. Jalons
pour une école plurilingue, Paris, L’Harmattan, 2017.
3 Véronique Castellotti, « Réflexivité et pluralité/diversité/hétérogéneité : soi-même comme des
autres ? », in Didier De Robillard (éd.), « Réflexivité, herméneutique. Vers un paradigme de
recherche ? », Cahiers de Sociolinguistique n° 14, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
2009, p. 132.
4 Véronique Castellotti, ibid.
Pluralité linguistique en classe de français langue seconde : quid de la variation ? 41
tant ces aller-retours qui caractérisent la vie des langues, le pouvoir politique et
par conséquent l’école en ont de tout temps décidé autrement, en privilégiant
certaines formes au détriment des autres, comme nous le rappellerons dans le
paragraphe qui suit.
5 Citons, par ordre chronologique, les deux numéros de la revue Repères : « Ils parlent autrement :
pour une pédagogie de la variation langagière » en 1985, puis « Éléments pour une didac-
tique de la variation langagière » de 1988 ; Stéphanie Costa-Galligani et Cécile Sabatier, « La
cour de récréation : zone d’intersection linguistique entre les quartiers et l’école », in Louis-
Jean Calvet et Auguste Moussirou-Mouyama (éds), Le plurilinguisme urbain, Actes du colloque
international « Les villes plurilingues », Québec, Institut de la francophonie, 2000, p. 357-368 ;
Josiane Boutet et Françoise Gadet, « Pour une approche de la variation linguistique », in Le
français aujourd’hui, n° 143, 2003, p. 41-44 ; Françoise Gadet, « Quelle place pour la variation
dans l’enseignement du français langue étrangère et seconde ? », in Pré-textes franco-danois,
Université de Roskilde, 2004, <halshs-00114390>, qui l’aborde du point de vue de la socio-
linguistique ; plus récemment, les travaux réunis par Laurence Buson et Emmanuelle Guérin,
dans le numéro 50 de Lidil « Variation stylistique et diversité des contextes de socialisation.
Enjeux sociolinguistiques et didactiques », 2014 ; et plus récemment encore l’article de
Lucile Cagnon, Laurence Buson et Cyril Trimaille, « Développer la souplesse stylistique intra
et interlinguistique : exploration d’une approche croisée en classe de CP-CE1 », in Carnets
D’atelier De Sociolinguistique, 2015.
6 Voir à ce propos Évelyne Charmeux, Le « bon français » et les autres, Toulouse, Éd. Milan, 1989.
7 William Labov, « Hypercorrection by the lower middle-class as a factor in linguistic change »,
in William Bright, (éd.), Sociolinguistics, Mouton, 1966.
8 Denise Jodelet, Folies et représentations sociales, Paris, Les Presses universitaires de France, 1989.
9 Françoise Gadet, La variation sociale en français, Paris, Ophrys, 2003.
10 Daniel Coste, (éd.), Les langues au cœur de l’éducation. Principes, Pratiques, Propositions, Fernelmont,
E.M.E. Éditions, coll. Proximités Sciences du Langage, 2013.
42 Marine Totozani, Sandra Tomc
Du terrain au terrain
« Conscience » de la variation ?
18 Sandra Tomc et Grâce Ranchon précisent que le genre est un marqueur privilégié pour identi-
fier les processus relationnels et les rapports de pouvoir. Les études sur le genre s’intéressent à la
manière dont se composent pour les êtres humains, le féminin et le masculin, comment s’orga-
nisent les relations sociales, les rapports de pouvoir et les hiérarchies entre les femmes et les
hommes, voire à la déconstruction du paradigme de la bicatégorisation. « Identités/marquage/
genre », in Marielle Rispail (éd.), Abécédaire de sociodidactique - 65 notions et concepts, Saint-
Étienne, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2017, p. 60-61.
19 Ces thématiques ont déjà été abordées entre autres dans un article co-écrit par Sandra Tomc et
Marine Totozani, « Être fille ici et là-bas », in Sandra Tomc, Marine Totozani, Grâce Ranchon
et Mireille Baurens (éds), « Genres Langues et Pouvoirs », Cahiers de Linguistique. Revue de
sociolinguistique et de sociologie de la langue française, Fernelmont, E.M.E. Éditions, 2013.
20 Sandra Tomc, Sophie Bailly et Grâce Ranchon, (éds), Pratiques et Langages du genre et du sexe :
déconstruire l’idéologie sexiste du binarisme, E.M.E. Éditions, Collection Proximités, 2016, p. 10.
21 Pascal Molinier, Images et représentations sociales, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble,
1996.
22 Gilles Ferreol, « Attitude », in Gilles Ferreol et Guy Jucquois (éds), Dictionnaire de l’altérité et
des relations interculturelles, Paris, Armand Colin, 2003, p. 34-35.
46 Marine Totozani, Sandra Tomc
Déni, dénigrement ?
Des ouvertures ?
Marine Totozani
CELEC (EA 3069)
Univ Lyon UJM Saint-Étienne
marine.totozani@univ-st-etienne.fr
Sandra Tomc
CELEC (EA 3069)
Univ Lyon UJM Saint-Étienne
sandra.tomc@univ-st-etienne.fr
Résumé
L’existence d’une conscience de la pluralité linguistique chez les enseignant.e.s de français
langue seconde serait-elle exclusive d’une conscience de la variation intralinguistique comme
partie constitutive de cette pluralité ? Il se nourrit des travaux menés en sociolinguistique et
didactique des langues sur le plurilinguisme et la variation (socio)linguistique. Les réflexions
développées ici prennent appui sur les résultats d’une enquête effectuée lors d’une recherche-
action-formation portant sur la valorisation de la diversité linguistique et culturelle dans les 1er
et 2nd degrés à Saint-Étienne.
Mots-clés
Pluralité linguistique, variation, enseignant.e.s de français langue seconde, représentations,
attitudes.
Abstract
French as a Second Language teachers are aware of linguistic plurality, but runs this counter to
them being aware of intralinguistic variation as a constitutive part of this very plurality? The
analysis is grounded on existing work on language variation and plurilingualism in sociolinguistics
and language education/didactics. The data was collected through a study articulating an action-
based research and a training session promoting linguistic and cultural diversity in primary and
secondary schools in Saint-Étienne, France.
Keywords
Linguistic plurality, variation, French as a Second Language teachers, representations, attitudes.
Les marques transcodiques dans
les disciplines non linguistiques
Comment les enseignants gèrent-ils l’appa-
rition des langues premières chez les élèves
allophones scolarisés au collège ?
Elisabeth Faupin
1 Note de service n° 2004-175 du 19 octobre 2004. Attribution aux personnels enseignants des
premiers et second degrés relevant du MEN d’une certification complémentaire dans certains secteurs
disciplinaires.
2 Circulaire n° 2012-141 du 2 octobre 2012. Organisation de la scolarité des élèves allophones
nouvellement arrivés. BO n° 37 du 11 octobre 2012.
3 Brigitte Cervoni, Fatima Chnane-Davin et Manuela Ferreira-Pinto, Entrée en matière,
La méthode de français pour adolescents nouvellement arrivés, Paris, Hachette FLE, 2005 ;
Elisabeth Faupin et Catherine Théron, Enseigner le FLS par les textes littéraires, Paris, Cahiers
de Villes-École-Intégration du CNDP, coll. Outils pédagogiques, 2006 ; Dominique Levet,
Français langue seconde, Paris, Belin, 2012.
4 Nathalie Auger, Élèves nouvellement arrivés en France – Réalités et perspectives en classe, Paris,
Éditions des archives contemporaines, 2010 ; Fatima Chnane-Davin (éd.), Le français langue
seconde en milieu scolaire français. Le projet CECA, Grenoble, PUG, 2011 ; Christine Hélot, Du
bilinguisme en famille au plurilinguisme à l’école, Paris, L’Harmattan, 2007 ; Catherine Klein (éd.),
Le français comme langue de scolarisation. Accompagner, enseigner, évaluer, se former, Futuroscope,
CNDP, 2012 ; Danièle Moore et Cécile Sabatier, Une semaine en classe d’immersion française
au Canada. Le projet CECA au Canada, Grenoble, PUG, 2012.
Les marques transcodiques dans les disciplines non linguistiques 53
5 Unité pédagogique pour les élèves allophones arrivants. Pour un commentaire sur la déno-
mination des élèves allophones, voir Elisabeth Faupin, « Les élèves nouvellement arrivés au
collège en France : prendre la parole en classe lorsque l’on débute en français. Analyse des
interactions didactiques pour les élèves en immersion », INITIO, 4, Minorités en éducation et
dans le monde du travail, 2014, p. 35.
6 Nous utilisons par commodité l’appellation « discipline non linguistique » (DNL) pour les
matières scolaires dont l’objectif premier n’est pas l’enseignement de la langue bien que cette
dénomination ne considère pas l’aspect linguistique de chaque enseignement au collège.
54 Elisabeth Faupin
Cette absence quasi totale des langues premières des élèves à l’école pose
la question les pratiques langagières en situation didactique. Les acteurs du
système scolaire ont pourtant conscience que parmi les élèves scolarisés en
France, nombreux sont ceux qui parlent une autre langue que le français.
En 1994, Christine Deprez estimait déjà « qu’en région parisienne environ
un enfant sur quatre parle ou comprend une autre langue que le français »7.
De nombreux élèves ont donc des capacités dans deux ou plusieurs langues,
autrement dit ils ont une biographie langagière riche et le plus souvent, leurs
professeurs l’ignorent. La tradition monolingue, si bien installée en France,
ne nous permet pas de prendre conscience comme l’écrivent Georges Lüdi et
Bernard Py que « [p]lus de la moitié de l’humanité est plurilingue ou vit dans
un environnement multilingue »8. Cette notion de biographie langagière nous
amène à examiner les différentes définitions du bilinguisme car bien souvent,
les enseignants ne voient pas dans ces langues parlées dans les familles des
élèves un atout ; elles sont plutôt considérées comme des obstacles à l’appren-
tissage du français. Et bien que la définition du bilinguisme ait largement
évolué ces dernières décennies, nous vivons encore les conséquences de la
définition établie par L. Bloomfield qui soutenait en 1935 que le bilinguisme
correspond à la « connaissance de deux langues comme si elles étaient toutes
deux maternelles »9. Or, l’acception actuellement admise découle de la défi-
nition de François Grosjean qui, en 1984, proposait une signification plus
fonctionnelle : « est bilingue la personne qui se sert de deux langues dans la
vie de tous les jours et non qui possède une maîtrise semblable (et parfaite)
7 Christine Deprez, Les enfants bilingues : langues et familles, Paris, Didier, 1994, p. 15.
8 Georges Lüdi et Bernard Py, Être bilingue, Bern, Peter Lang, 1986-2003, p. 1.
9 Leonard Bloomfield, Language, Londres, Allen & Unvin, 1935. Le langage, Paris, Payot (trad.
fr. 1970), p. 57.
Les marques transcodiques dans les disciplines non linguistiques 55
des deux langues »10. Cette vision permet d’établir le plurilinguisme comme
une norme dans le monde.
10 François Grosjean, Le bilinguisme : vivre avec deux langues, TRANEL, 7, 1984, p. 16.
11 Martine Marquilló Larruy, L’interprétation de l’erreur, Paris, Clé International, 2003.
12 Georges Lüdi et Bernard Py, Être bilingue, Bern, Peter Lang, 1986, 2003, p. 141.
13 John J. Gumperz, Language and social identity, Cambridge, Cambridge University Press, 1982.
14 Lüdi et Py, op. cit., 1982, p. 114.
56 Elisabeth Faupin
Un bilinguisme invisible
dans le cas où l’enseignant a une langue en partage avec les élèves : les profes-
seurs, qui cherchent souvent à éviter l’apparition de la langue 1, s’interrogent
sur le déroulement des échanges en classe et plus précisément sur le moment
où les élèves cessent de parler dans la langue cible pour passer en langue 1.
Parallèlement il existe des recherches sur l’utilisation de deux langues par les
locuteurs bilingues dans la vie ordinaire. Danièle Moore affirme par exemple
que l’irruption de la langue première dans une conversation en langue 2 ne
doit pas forcément être interprétée comme un manque, une lacune dans
la connaissance de la langue 2. Elle appelle « bouées transcodiques »19 ces
moments où les élèves de cours de langue vivante reviennent à la langue 1 :
ces « bouées » fonctionnent selon l’auteure comme des balises du dysfonction-
nement, autrement dit, elles permettent la focalisation sur le lieu de détresse
et l’appel à l’aide, mais surtout elles permettent de maintenir le contact, elles
évitent la rupture dans la communication.
Pour observer le fonctionnement des interactions, nous nous appuyons
également sur une tradition d’analyse des interactions et plus particulière-
ment des interactions didactiques qui ont pour particularité de fonctionner
dans un contexte dans lequel les positions des participants aux échanges sont
asymétriques.
Ces recherches sur les interactions didactiques ont montré depuis long-
temps que l’interaction classique prenait la forme d’une séquence IRE20 :
initiative
réponse
évaluation
Ce schéma prend une forme ternaire : l’enseignant pose une question
(initiative), un élève répond et l’enseignant valide, ou pas, la réponse apportée
par l’élève. Bien que découverte il y a plusieurs décennies, cette séquence IRE
est très présente dans notre corpus. Ce schéma reste donc très fréquent en
contexte scolaire.
Dans les conversations en situation exolingue, l’asymétrie de la position
des locuteurs peut se transformer en situation didactique si une forme de
contrat est acceptée par les participants à l’échange. Jean-François De Pietro,
Marinette Matthey et Bernard Py21 ont mis en lumière les « séquences poten-
tiellement acquisitionnelles » ou SPA qui prennent la forme suivante au cours
de l’échange :
obstacle d’encodage
intervention-proposition
reprise
Ces séquences interviennent dans la conversation entre un natif et un non
natif, lorsqu’une forme de « contrat didactique » entre les deux participants
se met en place : l’asymétrie des positions étant acceptée, le locuteur natif
peut corriger ou reprendre le locuteur non natif pour l’aider à progresser. Si
le locuteur natif accepte l’aide proposée au cours de la conversation, il peut
faire de nouvelles acquisitions dans la langue cible. Ces séquences prennent
également une forme ternaire : le locuteur non natif ne connaît pas un mot
dans la langue 2 (obstacle d’encodage) ; le locuteur natif donne le mot dans
la langue 2 (intervention-proposition) et le locuteur non natif le reprend, le
répète éventuellement pour le retenir. Ces deux séquences, IRE en contexte
scolaire et SPA en situation exolingue, reposent toutes deux sur un contrat
didactique ; néanmoins ce contrat n’est pas comparable : en situation scolaire
le contrat est imposé par l’institution alors que dans la conversation exolingue,
le contrat est reconnu par les participants.
L’analyse des interactions didactiques de notre corpus révèle qu’il contient
à la fois des séquences IRE et des SPA ; ces apparitions s’expliquent par le
contexte particulier aux classes d’accueil des élèves allophones. Nous sommes
à la croisée des deux situations décrites plus haut : une situation à la fois
didactique et exolingue (réellement exolingue, ce qui n’est pas le cas des cours
de langue vivante en collège dans lesquelles l’enseignant parle la langue 1 des
élèves). Ce contexte donne ainsi naissance à une nouvelle séquence qui prend
une forme hybride :
initiative
obstacle d’encodage-réponse en langue 1
réponse en langue cible
Nous sommes donc face à une séquence ternaire qui est à l’initiative de
l’enseignant, schéma classique de la situation didactique ; l’élève rencontre
un problème pour formuler sa réponse et utilise sa langue 1. La séquence se
termine par une réponse donnée par l’enseignant en langue cible.
Pour rendre ces considérations théoriques plus concrètes, nous propo-
sons d’observer quelques exemples d’échanges enregistrés dans les classes de
collèges. Comme nous l’avons dit, les langues 1 des élèves arrivants n’appa-
raissant jamais en classe ordinaire, tous les exemples avancés ci-dessous sont
extraits de cours d’histoire-géographie et de mathématiques en classe d’accueil,
classes dans lesquelles tous les élèves sont allophones et récemment arrivés en
France. Dans ce cadre, les enseignants de DNL qui interviennent auprès des
publics d’UPE2A préparent leurs cours de façon autonome, sans concours du
professeur de FLS.
Les marques transcodiques dans les disciplines non linguistiques 59
22 Conventions de transcription
P professeur
G élève garçon
F élève fille
Cl classe
-G même locuteur qu’à l’avant dernier tour
/ pause courte
(27s) pause de 27 secondes
: allongement de la syllabe
> intonation montante
< intonation descendante
[ chevauchements
A accentuation
60 Elisabeth Faupin
Ce deuxième exemple est extrait d’un cours de géographie sur les domaines
avec le même enseignant ; l’obstacle d’encodage est traité différemment par
le professeur :
155 P des f- des sapins effectivement forêt de sapins / alors comment est-ce qu’on
appelle ce: cet euh cet endroit / situé entre deux montagnes / dans un un paysage
de montagnes / Nelson>
156 G le val
157 P la vallée / c’est ça c’est exactement ça c’est la vallée / effectivement
Du point de vue de l’élève, la situation est identique : pour répondre à la
question de l’enseignant qui cherche à faire émerger le mot « vallée », il fait le
pari que le terme dans sa langue sera proche du mot français et fait une tenta-
tive « le val » (« o val » en portugais, langue première de l’élève). L’enseignant
reformule directement et la réponse de l’élève fait l’objet d’une évaluation
positive du professeur « c’est ça c’est exactement ça c’est la vallée / effective-
ment » sans remarque concernant la langue de formulation. L’emploi de la
langue première de l’élève n’a pas causé de rupture dans la communication
grâce à l’acceptation par cet enseignant d’une langue qui ne fait pas partie du
contrat didactique généralement admis au collège. Pourtant, en règle générale,
les élèves intègrent très rapidement l’interdiction de l’utilisation de la langue 1
ou l’incongruité de sa présence en classe, même dans les structures d’accueil ;
à plusieurs reprises dans notre corpus, les élèves manifestent leur gêne (en
riant, par exemple) lorsque l’un d’entre eux utilise une langue que l’enseignant
ne connaît pas. Ils développent donc des stratégies pour tenter de palier un
obstacle d’encodage lorsqu’ils souhaitent répondre à une question du profes-
seur dont voici deux exemples.
468 P qu’est-ce que c’est ça vous arrivez à voir c’est peut-être [pas net / chut
469 F [des
escaliers
470 P qu’est-ce qu’on a là sur le DEVANT de la [maison
471 F [c’est des escaliers
472 P sur le DEVANT de l’immeuble […] oui
473 G les escaliers d’émergence
474 P d’émergence / ha: les escaliers d’émergence alors en français on dit pas
d’émergence
475 G je sais pas comment s’appelle
L’enseignant indique un élément sur l’image et une fille répond « des
escaliers » mais le professeur ne valide pas cette intervention et reformule sa
question (470). L’élève répète sa réponse mais le professeur l’ignore car il s’agit
d’un cas d’auto-sélection qui crée un chevauchement. L’enseignant n’a pas
donné la parole à cette élève, il n’accepte pas la réponse « c’est des escaliers »
qui est d’ailleurs partielle. En 472, le professeur sélectionne un garçon dont
la langue 1 est le portugais qui tente une traduction du mot « emergencia »
(« urgence ») C’est pour lui un moyen, comme le montre D. Moore pour le
cours de langue 2, de maintenir la communication sans la briser.
Néanmoins, le mot « émergence » est prononcé avec une intonation fran-
çaise (473), et l’enseignant accepte partiellement la réponse car il répète le mot
erroné à trois reprises (474) afin d’amener les élèves à compléter la réponse par
étayages successifs. L’apparition du mot ne représente pas une mise en diffi-
culté de l’enseignant car la prononciation est typiquement française. Malgré
l’alternance codique, la communication didactique n’est pas rompue, et, par
la suite, une élève portugaise donnera le terme attendu (escalier de secours).
L’échange est de forme IRE c’est-à-dire identique à un échange monolingue :
question du professeur
réponse mi-langue 1/mi-langue 2
évaluation négative du professeur (suivi d’une nouvelle question qui
renouvelle la séquence ternaire)
L’échange se termine avec un aveu d’ignorance « je sais pas comment s’ap-
pelle » (475), qui peut ressembler à une forme d’appel de la part de l’élève
mais qui est également une manière de dire « Je le sais dans ma langue »,
situation qui est représentée explicitement dans l’exemple suivant enregistré
durant le même cours :
589 P regardez / dans les vIlles< / au États-Uni:s / hein à New York à Chicago à Los
Angeles où vous voulez / hé ben quand on regarde la ville d’en haut / on s’aper-
çoit que les rues> / sont / vous l’avez pas fait en mathématiques / encore ça /
non / ça a pas l’air
62 Elisabeth Faupin
Le degré de xénité
Ces extraits montrent bien, que lorsque les enseignants connaissent des
langues étrangères, leur attitude face à l’emploi de langues autres que le
français est modifiée : l’alternance codique peut alors intervenir dans le cours
à l’initiative du professeur.
Pourtant cet enseignant invoque lui-même l’anglais tandis que l’apparition
du russe dans son cours provoque une gêne. Pour expliquer ce phénomène, on
peut faire appel à la notion de « degré de xénité »24, décrite par Louise Dabène
en 1994, pour montrer que toutes les langues étrangères ne nous sont pas
également étrangères. Pour cet enseignant, il semblerait que l’anglais comme
langue d’apprentissage scolaire et langue véhiculaire soit légitime en classe,
mais le russe n’y a pas sa place.
24 Louise Dabène, Repères sociolinguistiques pour l’enseignement des langues, Paris, Hachette FLE,
1995, p. 35.
Les marques transcodiques dans les disciplines non linguistiques 65
élèves migrants, il serait opportun de leur proposer des formations d’éveil aux
langues comme Michel Candelier en développe pour les enfants afin de leur
faire percevoir les problématiques des échanges exolingues.
Pour une conclusion à visée plus large, on peut se demander dans quelles
conditions est réalisée l’inclusion des élèves allophones dans des classes ordi-
naires lorsqu’ils viennent d’arriver en France sans aucune connaissance des
langues et culture françaises. Le risque dans la situation actuelle est de voir des
élèves rester silencieux durant de longs mois.
Elisabeth Faupin
CUEFLE université Nice Sophia Antipolis
Elisabeth.Faupin@unice.fr
Résumé
Dans cette contribution nous analysons les marques transcodiques dans les cours de mathéma-
tiques et d’histoire-géographie en collège. La question qui se dégage ici est la manière dont les
langues des élèves pourraient être utilisées par l’enseignant en classe pour véhiculer le savoir
disciplinaire et comme tremplin vers la langue de scolarisation afin de faciliter le processus
d’intégration scolaire et sociale.
Mots-clés
Marques transcodiques, français langue de scolarisation, intégration scolaire et sociale.
Abstract
In this paper we analyze “translinguistic markers” used in mathematic, history and geography
classes in secondary schools. The main point of this study is to show how teachers could use pupils’
native languages as means to convey disciplinary knowledge and as a springboard towards French
language learning, facilitating school and social integration.
Keywords
Translinguistic markers, French as second language, school and social integration.
Le poids des mots pour trouver
sa place dans l’espace scolaire
1 Juliette Robin et Mustapha Touahir, « Année scolaire 2014-2015 : 52 500 élèves allophones
scolarisés dont 15 300 l’étaient déjà l’année précédente », Note d’information n° 35, octobre
2015, Direction de l’Évaluation de la Prospective et de la Performance.
2 Jean-Pierre Cuq, Le Français Langue Seconde. Origines d’une notion et implications didactiques,
1991, Paris, Hachette.
3 Catherine Marcus, Français Langue Seconde, lectures pour le collège, CDRP de l’Académie de
Grenoble, La collection 36, Delagrave, 1999, p. 12.
4 Catherine Mendonça Dias, Les progressions linguistiques des collégiens nouvellement arrivés en
France, Villeneuve d’Ascq, Publication ANRT, 2012.
5 Bertrand Denis, Alain Viala, Gérard Vigner (éds), Le Français Langue Seconde, Centre National
de Documentation Pédagogique (CNDP), Collège-repères, publication du Ministère de
l’Éducation Nationale, 2000.
6 Gérard Vigner, Le français langue seconde, comment apprendre aux élèves nouvellement arrivés.
Paris, Hachette Éducation, 2009.
68 Catherine Mendonça Dias
16 EVASCOL, « Étudier, voir et analyser la scolarisation des enfants migrants et itinérants » (https://
evascol.hypotheses.org) est une recherche financée par le Défenseur Des Droits, portée par le
GRHAPES de l’INSHEA avec la coordination par Maïtena Armagnague et Isabelle Rigoni
et soutenue par Claire Cossée, Catherine Mendonça Dias et Simona Tersigni, membres de
l’équipe pluridiscipinaire de coordination scientifique.
17 Groupe de recherche sur le handicap, l’accessibilité et les pratiques éducatives et scolaires
(EA 7287 Grhapes)
18 Circulaire n° IX 70-37 du 13 janvier 1970, Classes expérimentales d’initiation pour enfants étrangers.
19 Claude Cortier, « Dispositifs et classes pour les nouveaux arrivants allophones », in Diversité,
n° 153, été 2008. Le principe d’hospitalité, 2008, p. 15-16.
70 Catherine Mendonça Dias
Les flux migratoires varient, la société et les projets de société aussi. Les mots
portent une charge sémantique dont la connotation évolue dans le temps. Il a
été nécessaire de nommer pour désigner et organiser l’enseignement en réponse
à des besoins identifiés par des équipes éducatives. En nous interrogeant rétros-
pectivement sur l’évolution terminologique à travers les circulaires20, comme
Gabrielle Varro21 avec son regard de sociologue ou Stéphanie Galligani22 en
sciences du langage et didactique des langues, nous cherchons pour notre part
à définir notre public tout en faisant apparaitre les représentations institution-
nelles qui ont été construites sur ces élèves arrivants et qui motivent les orien-
tations pédagogiques. Et comme l’écrivait Michèle Verdelhan-Bourgade, qui a
contribué au développement du concept de français langue de scolarisation :
« Point n’est besoin d’être linguiste averti pour comprendre l’importance de la
désignation d’un objet : le nom donné ne sert pas seulement à repérer l’élé-
ment, à le cerner dans l’espace et le temps ; il lui affecte une dimension, une
valeur, parfois politique, parfois affective. »23
20 http://www.francaislangueseconde.fr/recherches-sur-le-fls/textes-officiels/.
21 Gabrielle Varro, « La désignation des élèves étrangers dans les textes officiels », Mots, décembre
1999, n° 61, p. 49-66.
22 Galligani Stéphanie, « L’identification de “l’enfant étranger” dans les circulaires de l’Éducation
nationale depuis 1970. Vers la reconnaissance d’un plurilinguisme ? », in Pierre Martinez,
Danièle Moore et Valérie Spaëth (éds), Plurilinguismes et enseignement. Identités en construction.
Paris : Riveneuve Éditions, 2008, p. 113-126.
23 Verdelhan-Bourgade, op. cit., p. 13.
24 Loi du 9 août 1936, Journal Officiel du 13 août 1936.
25 Circulaire n° 86-120 du 13 mars 1986, Accueil et intégration des élèves étrangers dans les écoles,
collèges et lycées.
26 Claire Schiff (éd.), Non scolarisation, déscolarisation et scolarisation partielle des migrants, Ministère
de l’Éducation Nationale. Programme interministériel de recherche sur les processus de désco-
larisation, 2003, Paris.
27 Ministère de l’Éducation Nationale, Repères et références statistiques sur les enseignements, la
formation et la recherche, Paris : DEPP, 2006, p. 84-85.
28 Ministère de l’Éducation Nationale, Repères et références statistiques sur les enseignements, la forma-
tion et la recherche, Paris : DEPP, 2008, p. 29 et p. 135 : pour le second degré en 2008-2009 on
recense 163 881 étrangers alors que les élèves nouvellement arrivés sont estimés à 17 765.
Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire 71
29 Véronique Castellotti, La langue maternelle en classe de langue étrangère, Paris, CLE internatio-
nal, 2007, p. 50.
30 Circulaire n° 73-10008 du 2 février 1973, Enseignement du portugais à l’intention des élèves
portugais scolarisés dans l’enseignement élémentaire.
31 Haut Conseil à l’Intégration, Les défis de l’intégration à l’école et Recommandations du Haut
Conseil à l’intégration au Premier ministre relatives à l’expression religieuse dans les espaces publics
de la République, Rapport au Premier ministre pour l’année 2010, collection des rapports offi-
ciels, p. 23 à 29 et p. 147. La recommandation n° 46 est de « supprimer le dispositif des ELCO ».
32 http://cache.media.education.gouv.fr/file/DP_rentree_2017_NVB/96/8/2017_preparer_la_
rentree_F5_728968.pdf.
33 La Défenseure des Enfants, Actes du colloque Mineurs étrangers isolés, vers une harmonisation des
pratiques pour l’intérêt supérieur des enfants, 20 juin 2008 [en ligne]. Disponible sur : http://
defenseurdesenfants.fr/pdf/Actes_MEI.pdf.
34 Cette catégorisation figure dans le rapport suivant : Étiemble Angelina et Zanna Omar, 2013,
Des typologies pour faire connaissance avec les mineurs isolés étrangers et mieux les accompagner,
Convention de recherche n° 212.01.09.14, « Actualiser et complexifier des motifs de départ du
pays d’origine des mineurs isolés étrangers présents en France », Topik/Mission de Recherche
Droit et Justice.
72 Catherine Mendonça Dias
de la France ne figure plus, ce qui redéfinit une fois de plus les limites du
public : par exemple, les élèves de la France d’outre-mer dont des besoins en
français sont avérés peuvent alors relever des dispositifs lorsqu’ils arrivent en
métropole, bien qu’ils aient effectué leur scolarité dans le système éducatif
français.
Enfin, une autre expression « enfants venus d’ailleurs » se définit aussi
en rapport avec cette arrivée inédite mais elle engage une décentration sur le
départ et la situation antérieure non identifiés… ce que Cécile Goï élucidera
dans un ouvrage du même nom43 ou encore Marie-Rose Moro avec une
approche en éthnopsychanalyse44.
La place allouée se fonde donc sur des critères juridiques (« étranger »),
sociaux (« enfant de travailleur immigré ») pour une durée indéterminée
ou pour une durée déterminée encore que confuse (« arrivant », « arrivé »).
Pour toutes ces appellations qui permettent l’identification, la caractérisation
commune est le degré de maîtrise en langue française. Dès la première circu-
laire, en 197045, la dimension linguistique apparait avec la référence aux étran-
gers « non francophones ». C’est ce besoin implicite constaté par (et pour)
les équipes éducatives qui a justifié une catégorisation spécifique au sein de
la population scolaire pour organiser des dispositifs qui favorisent une acqui-
sition rapide de la langue française et déjouent des risques d’échec scolaire.
Cette appellation toutefois négative pointe la carence, le manque, la distance
par rapport à une norme. Elle nous conduit à deux remarques si on la ramène
à notre actualité. Tout d’abord, elle suscite le débat de la durée, qui persiste
à travers les appellations : pendant combien de temps l’élève peut-il justifier
d’une prise en charge spécifique ? Pour le moins, ici, cette phase de « non
francophonie » est particulièrement temporaire : dès quelques semaines, des
élèves se débrouillent en français, mais on mesure davantage les progrès à
réaliser plutôt que les progrès réalisés. En second lieu, des élèves issus de pays
francophones peuvent disposer de compétences satisfaisantes en production
orale et être en situation proche de l’illettrisme, non pas pour des raisons
intellectuelles, mais parfois en conséquence à leurs conditions d’apprentissage
antérieures. C’est d’ailleurs ce qui avait conduit l’académie de Paris à mettre
en place des dispositifs de Français Langue Écrite Renforcée (FLER).
46 Circulaire n° 76-387 du 4 novembre 1976 portant sur la création des Centre régionaux de forma-
tion et d’information pour la scolarisation des enfants de migrants (CEFISEM).
47 Jean Dubois, Giacomo Mathée, Louis Guespin, Christiane Marcellesi, Jean-Baptiste Marcellesi
et Jean-Pierre Mevel, 1994, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Larousse ;
Oswald Ducrotet Tzvetan Todorov, Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Points,
éditions du Seuil, 1972 ; Robert Galisson et Daniel Coste(éds), Dictionnaire de didactique des
langues, Hachette, 1976.
48 Catherine Marcus, op. cit., p. 52.
Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire 75
dans la multiplicité des langues »49. À cette période, le terme apparait dans
les documents d’accompagnement des programmes de 1996 et 1999 : par
exemple, pour les classes de 5e et de 4e, il est fait mention que « le français
langue seconde concerne les élèves allophones, souvent plurilingues ». Le
terme « allophone » figure avec sa signification actuelle dans le dictionnaire
dirigé par Jean-Pierre Cuq : « le terme bénéficie d’une acceptation plus large,
employée pour catégoriser un public qui parle une langue “autre”. Au Québec,
par exemple, il désigne les élèves immigrés qui doivent suivre un enseignement
spécifique […] il souligne la différence linguistique, aux dépens de l’apparte-
nance linguistique et culturelle. Aussi, dans la relation enseignant-apprenant,
l’enseignant gagnera-t-il toujours à se demander qui est l’allophone de qui »50.
Toutefois, au Québec, le terme d’allophone est étendu aux élèves nés au
Québec mais dont la langue maternelle n’est ni le français (voire ni l’anglais)51
tandis qu’il parait restreint – par l’usage – aux élèves récemment arrivés alors
que le terme d’alloglotte émerge pour désigner les élèves nés en France ayant
une langue maternelle autre que le français.
49 Ibid., p. 53.
50 Jean-Pierre Cuq (éd.), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et langue seconde,
Paris, CLE International, 2003, p. 17.
51 Françoise Armand, « Les élèves immigrants nouvellement arrivés et l’école québécoise », in
Santé, Société et Solidarité, n° 1, Immigration et intégration, 2005.
52 Actes de l’université d’automne, Le système éducatif français et les élèves à besoins éducatifs parti-
culiers, 30 octobre 2003, collection À Propos.
53 Encart 2007 : énumération des structures pédagogiques prévues aux décrets du 25 mai 1950 modifiés.
76 Catherine Mendonça Dias
54 Claudine Gruwez, « Comment poser le problème », in Patrick Besenval (éd.), Dans toutes nos
classes, des enfants d’immigrés, Le Français aujourd’hui, revue trimestrielle, n° 44, 1978.
55 Décret n° 2005-1617 du 21 décembre 2005, version consolidée au 18 octobre 2009, Décret
relatif aux aménagements des examens et concours de l’enseignement scolaire et de l’enseignement
supérieur pour les candidats présentant un handicap.
56 Catherine Klein et Joël Sallé, op. cit., p. 173.
57 Claire Schiff, op. cit.
58 Friedrich Heckmann (éd.), Education and migration, strategies for integrating migrant children
in European schools and societies, NESSE report, European Commission, 2008, p. 8.
Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire 77
« Va te faire intégrer ! », peut-on entendre dire65. Les regards et les mots des
autres construisent la représentation identitaire du jeune qui s’y réfère. Étranger,
enfant de travailleurs migrants, non francophone, allophone, arrivant puis
arrivé, l’élève peut éventuellement être perçu plus étranger que les enfants de
nationalité étrangère, davantage dépossédé de compétences langagières malgré
son plurilinguisme, parfois déclassé socialement (c’est le cas d’enfant de jour-
nalistes, d’enseignants… dont les parents se retrouvent dans des emplois subal-
ternes), en difficultés scolaires malgré son parcours brillant, etc. À lui de trouver
sa place dans un nouvel établissement scolaire, en ajustant son propre regard sur
lui-même et en acceptant celui porté par les autres, plus ou moins bienveillants.
Les circulaires figent, un mot pèse, les phrases réduisent, le discours est pragma-
tique et instaure des cours spécifiques à un public qui se redéfinit sous le facteur
commun du « manque » dans la biographie langagière. Maintenant que nous
avons vu le regard porté par l’institution sur ces élèves, décentrons-nous pour
envisager le regard que portent ces élèves sur cette institution, à travers leur
rapport à la langue. Nous allons évoquer des difficultés autres que linguistiques
qui tendent ou distendent la relation à la langue française.
65 Nathalie Auger, « Le rôle des représentations dans l’intégration scolaire des enfants allo-
phones », in Jean-Louis Chiss (éd.), Immigration, école et didactique du français, Paris, Didier,
2007, p. 215.
Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire 79
Cette jeune fille n’est pas entrée dans la langue française : au bout de
deux ans, le niveau A1 n’est pas atteint à l’oral. Elle demeure très passive, sans
interaction avec ses pairs. Lors de sa troisième année, elle parvient au début
du niveau A2. Son cas n’est pas isolé.
Dans cette présentation des extrêmes, quand ce n’est pas la langue fran-
çaise qui est rejetée, c’est la langue maternelle qui est écartée, refoulée ou
oubliée (cas du bilinguisme soustractif ) : cette attitude est observable par
exemple chez des enfants adoptés comme l’auteur-illustrateur Sik-Jun Jung
84 Catherine Mendonça Dias
Quelques mois ou années après leur arrivée, les élèves peuvent mettre des
mots sur des émotions distanciées. Guillemette, collégienne arrivée en France
suite à une adoption, se souvient, un peu plus de deux ans après son arrivée en
France : « Moi, quand la première fois je suis arrivée ici, je trouvais l’école fran-
çaise très nulle. Je n’avais ni amis ni famille. Je me sentais toute seule, comme
si dans une salle j’étais toute seule, qu’il faisait très noir et comme si j’appelle,
Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire 87
En effet, des collégiens très peu francophones ont apporté leur ressenti
et leur jugement sur leur environnement scolaire à travers des notes, au fil
de l’année. Il est apparu qu’ils avaient une image très positive de leurs ensei-
gnants mais un regard plutôt négatif sur leur intégration en classe ordinaire :
au mois de mai, lorsque les élèves notent leur classe de rattachement, celle-ci
n’obtient même pas la moyenne. Par exemple, Sali, élève d’origine bulgare,
attribue un 20 quelques jours après son arrivée, puis le restant de l’année,
Présentation de l’échantillon
Nous nous appuyons sur une cohorte au départ constituée de 190 collé-
giens, arrivés entre septembre 2008 et juin 2009 dans une même académie. Il
s’agit de 97 garçons et 93 filles, âgés de 10 à 17 ans, originaires de 45 pays, les
plus représentés étant ici la République Démocratique du Congo, la Turquie
et le Maroc78. Les raisons de leur arrivée sont diverses : près des trois quarts,
de nationalité française ou non, viennent rejoindre leurs parents, voire un
membre de famille, tandis que les autres arrivent dans le cadre de demande
d’asile, de contrats de travail des parents, d’adoption, d’échanges scolaires ou
des isolés se retrouvent pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance.
Locuteurs de 48 langues, 70 % étaient scolarisés antérieurement avec leur
langue première et 30 % avaient commencé leur scolarité avec une langue
seconde. Tous connaissaient l’alphabet latin, utilisé pour leur langue de
scolarisation ou leur langue vivante (généralement l’anglais). Ils avaient une
79 Conseil de l’Europe, Division des politiques linguistiques, 2000, Cadre européen commun de
référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Strasbourg.
80 Concernant les élèves « non retrouvés », 4 étaient déscolarisés, 7 étaient retournés dans leur
pays, 22 avaient déménagé hors de l’académie et 43 élèves avaient changé d’établissement mais
n’ont pas été retrouvés dans l’établissement d’accueil indiqué, principalement en lycée. Cette
mobilité en fait un public difficile à suivre.
81 Mickaël Rigolot, « Construire la connaissance autour de l’élève nouvellement arrivé en
France », in Klein Catherine (éd.), Le français comme langue de scolarisation. Accompagner,
enseigner, évaluer, se former, Collection Cap sur le français de la scolarisation, Scéren, CNDP-
CRDP, 2012, p. 58.
82 Catherine Mendonça Dias, « Les progressions linguistiques et scolaires par les collégiens nouvel-
lement arrivés, non ou peu scolarisés antérieurement », Revue Recherches en didactique des langues
et des cultures (RDLC) : les cahiers de l’Acedle, vol. 10, n° 1, octobre 2013, p. 159-175.
90 Catherine Mendonça Dias
étudié le français en
de scolarisation dans leur français à leur arrivée
tant que langue vivante
pays d’origine en France
NON ADMIS NON ADMIS NON ADMIS
ADMIS OU NON ADMIS OU NON ADMIS OU NON
INSCRIT INSCRITS INSCRITS
AN 2 37 6 5 5 6 4 11
AN 3 40 7 6 8 2 5 12
Document 14 : L’obtention du brevet par 35 élèves de la cohorte, lors de leur 2e ou 3e année en France.
83 Des élèves admis au DELF B1 et ajournés au brevet n’avaient été, en fait, « pas inscrits » au
brevet par leur établissement, de peur de compromettre le passage en filière générale.
92 Catherine Mendonça Dias
précieux pour la validation du brevet. Observons enfin que, dans cet échan-
tillon, les filles réussissent mieux que les garçons, ce qui ne déroge pas aux
statistiques nationales.
Cette réussite s’accompagne d’une orientation en filière générale ou en
bac professionnel par choix personnel. Les autres élèves, qui sortent du collège
sans le brevet, s’orientent en filière professionnelle, généralement en Certificat
d’Aptitude Professionnelle (CAP), ou sont pris en charge par un dispositif
de la Mission Général d’Insertion (MGI), aujourd’hui rebaptisée Mission
de Lutte contre le Décrochage Scolaire (MLDS). On relève quelques cas de
déscolarisation liée au rapport à la culture scolaire plutôt que résultant de
difficultés linguistiques. En effet, ces élèves – des garçons (sauf une jeune fille
devenue mère et une autre, malade) – se déscolarisent pour entrer dans la vie
active alors qu’ils atteignent un niveau linguistique supérieur à d’autres, peu
scolarisés antérieurement et parfois proches de l’illettrisme, qui réussissent
ensuite leur diplôme de CAP.
84 Par exemple, à la session de 2014 pour le brevet général, seulement 13 % des candidats avaient
plus de 15 ans. DEPP, RERS édition 2015.
85 Aude Vanhoffelen, Les bacheliers du panel 1995 : évolution et analyse des parcours, Note d’infor-
mation 10-13, Ministère de l’Éducation Nationale, DEPP (Direction de l’Évaluation, de la
Prospective et de la Performance), 2010.
86 Jean-Paul Caille et Louis André Vallet, « Les élèves étrangers ou issus de l’immigration dans
l’école et le collège français, une étude d’ensemble », Les dossiers de l’Éducation et formations du
MEN, 1996, n° 67.
Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire 93
Conclusion et perspectives
À travers cet article, nous avons questionné des représentations sur des
rapports identitaires entre la langue et les élèves. Notre approche n’a pas été
exhaustive, loin s’en faut. L’accueil de l’Éducation Nationale a évolué au cours
de ces dernières décennies, au gré des choix terminologiques dont l’analyse
révèle la variation du champ du public (primo-arrivants, enfants nés en France
issus de l’immigration, Français d’outre-mer), les types de prise en charge
(dispositifs fermés, ouverts, mixtes, absence de dispositifs) et les idéologies
qui les sous-tendent (assimilation, intégration, inclusion), les choix didac-
tiques (enseignement des langues d’origine via les ELCO, cours d’autres disci-
plines que le français, option d’un enseignement de type langue étrangère
ou langue de scolarisation ou soutien scolaire) et les approches pédagogiques
(place de l’interculturel, de la langue d’origine, pédagogie du projet, simu-
lation globale…). Difficile ici d’envisager tous les paramètres complexes qui
lient accueil institutionnel, trajectoires migratoires, caractères individuels,
effet enseignants, effets dispositifs, progrès des élèves… En 2009, suite à une
enquête de la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO), coor-
donnée notamment par Catherine Klein, il a été possible de mieux connaitre,
du point de vue institutionnel, l’organisation de la scolarisation de ces élèves
et l’enseignement mis en œuvre dans les dispositifs. Récemment, le nombre
de recherches universitaires portant sur ces questions augmentent.
Actuellement, en réponse d’un appel à projet du Défenseur des droits, un
projet vient d’être lancé : EVASCOL88 s’inscrit dans les problématiques que
nous venons d’énoncer. Il étudie les conditions de scolarisation des enfants
allophones, en cherchant à repérer les freins et les leviers à un parcours scolaire
réussi. L’étude est articulée autour de 3 axes. Le premier concerne la connais-
sance sur les conditions effectives de scolarisation depuis l’arrivée en France à
l’entrée en classe et, éventuellement, dans le dispositif. Le second axe identifie
différentes organisations pédagogiques de dispositifs, mises en œuvre par les
enseignants. Des exercices sont proposés aux élèves pour repérer les progrès en
langue française et en mathématiques, de sorte à obtenir des indicateurs sur
les performances89. L’axe 3, quant à lui, cherche davantage à évaluer la qualité
de l’intégration des élèves dans leur établissement, à travers le point de vue
de l’enfant, son ressenti et son vécu, pour dépasser le point de vue construit
par l’adulte. L’association de chercheurs relevant de différentes disciplines
(sociologie, anthropologie, sciences politiques, sciences de l’éducation, didac-
88 https://evascol.hypotheses.org/.
89 Catherine Mendonça Dias, « Le rythme d’apprentissage des élèves allophones arrivants :
présentation d’un protocole de recherches », Dialogues et cultures, n° 63, septembre 2017.
Le poids des mots pour trouver sa place dans l’espace scolaire 95
Résumé
Cet article présente des rythmes dans l’appropriation du français par les élèves récemment
arrivés en France. Nous questionnons d’abord les terminologies institutionnelles retenues
depuis les années 1970. Puis, nous mettons en évidence quelques caractéristiques individuelles
liées à la trajectoire migratoire, qui peuvent aussi avoir une incidence sur l’apprentissage.
Enfin, nous communiquons des résultats liés au suivi de cohorte de collégiens nouvellement
arrivés qui nous donnent des indicateurs sur le rythme d’appropriation de la langue française
et interrogent les représentations que l’institution peut en avoir.
Mots-clés
Français langue seconde (FLS), apprentissage du français, politiques éducatives, élèves nouvel-
lement arrivés.
Abstract
This article presents rhythms of French language acquisition by students recently arrived in France.
We first question the institutional terminologies chosen since the 1970s. Then, we highlight some
individual characteristics related to the migration paths, which may also have an impact on
learning. Finally, we report results related to a cohort of new arrivals followed for 3 years, which
gives us indicators the French language learning and question the representations that the institu-
tion may have on these students.
Keywords
French as an additional language, French learning, educational policies, new arrivals.
Paroles de migrants
Enquêtes sur la place de l’école dans le
plurilinguisme des migrants portugais,
espagnols et grecs de la région bordelaise
Antoine Pascaud
À partir d’enquêtes que nous avons réalisées entre 2009 et 20131, nous
proposons dans cet article d’interroger la place de l’école dans la conservation
des langues d’origine chez des migrants d’origines variées, bien que commu-
nautaires. Ainsi, les communautés portugaise, espagnole et grecque de la
région bordelaise, elles-mêmes divisées en différentes catégories selon leurs
histoires et leurs générations d’immigration seront au centre d’une analyse
qui laissera la parole aux premiers concernés par le phénomène : les migrants.
Choix méthodologiques
et des débats existants quant à sa réalité sur le terrain4. Par conséquent, les
langues parlées par les migrants issues d’autres pays que ceux de l’Union
Européenne seraient tout aussi intéressantes à étudier mais il semble que pour
bien comprendre le phénomène de la migration linguistique et de ses consé-
quences sur les représentations et les attitudes des locuteurs des langues en
question, le point de départ européen d’un ensemble d’analyse de ce type est
peut-être plus prudent.
De plus, et il n’est plus question ici de l’Union Européenne mais du
Conseil de l’Europe, par le biais de sa Charte Européenne des langues régionales
ou minoritaires de 19925 (désormais Charte), la question des langues dites
d’immigration a déjà été posée dans un tel contexte européen, même si cette
Charte excluait a priori les « langues des migrants » pour reprendre la déno-
mination utilisée dans cette dernière, et que par « langues des migrants » était
compris l’ensemble des langues issues de l’immigration, quelles que soient
leurs origines. Néanmoins, la question des langues parlées par les migrants
et d’origine européenne a pu trouver grâce à cette Charte un écho particulier.
En effet, la dénomination « langues historiques de l’Europe », reconnue par
la Charte, a permis à certains États ayant ratifié celle-ci (ce qui n’est pas le cas
de la France, qui l’a néanmoins signée en 1999) d’intégrer à son processus
de protection et de promotion des langues minoritaires des langues issues de
l’immigration intra-européenne, que cette immigration soit ancienne ou plus
récente6. Par exemple, la Roumanie protège au titre de la Charte la langue
grecque parlée dans son pays. La présence grecque dans cet État est certes
historique mais relève avant tout d’une immigration. Ainsi, dans le Rapport
d’évaluation du Comité d’experts de la Charte du 30 Novembre 2011, disponible
sur le site officiel du Conseil de l’Europe, et consacré à la Roumanie, il est clai-
rement stipulé que le grec de Roumanie est issu d’une immigration, en partie
relativement récente, mais qu’il sera tout de même protégé en Roumanie au
titre de « langue historique ».
Pour revenir à l’Union Européenne et au droit communautaire, la
libre circulation des citoyens européens à travers les États membres est un
argument à prendre en compte également. Les conditions d’entrée sur les
différents territoires de l’Union offrent aux citoyens européens certaines faci-
lités pour se déplacer d’un État membre à un autre. Une des hypothèses de
travail initiale de notre thèse a donc été la volonté de vérifier si cette facilité de
7 Par commodité, les informateurs seront catégorisés selon leur nationalité, réelle ou d’origine.
100 Antoine Pascaud
Les enquêtes
Notre titre l’indique, notre choix s’est porté sur une attention directe
de l’avis des migrants sur le sujet de l’école, de l’enseignement et de
la transmission de la langue. De larges extraits issus de nos enquêtes
seront soumis à discussion ; cette dernière se concentrera sur les dires
des Portugais, Espagnols et Grecs de Bordeaux sur les différents sujets
Paroles de migrants 101
8 Pour information, notre réseau d’informateurs, construit au fil des enquêtes et à travers toute
l’agglomération de Bordeaux (voir plus haut), ne nous a pas permis de rencontrer des informa-
teurs issus de la troisième génération en capacité de répondre à nos questions, soit parce qu’ils
étaient encore trop jeunes (mineurs), soit parce que leur pratique du portugais était nulle, l’un des
prérequis dans le choix de nos informateurs étant une pratique, au moins minimale, de la langue.
102 Antoine Pascaud
9 Les éléments importants et repris en dessous ont été mis en évidence (en gras) pour plus de
lisibilité.
10 Lire : informateur(rice) portugais(e) numéro 17, 59 ans, femme, première génération d’immi-
gration.
Paroles de migrants 103
11 Mark Ellis et Jamie Goodwin-White, « 1.5 generation internal migration in the US: dispersion
from states of immigration? », in The International migration, n° 40/4, 2006, p. 899-926.
12 Créé par la Loi n° 66-A/2007 du 11 décembre, le Conseil des Communautés Portugaises (CCP)
est un organisme consultatif du Gouvernement pour les politiques relatives à l’émigration et
aux communautés portugaises à l’étranger.
104 Antoine Pascaud
13 Prénom de l’enfant.
Paroles de migrants 105
Oui. Le portugais est la troisième langue mondiale, mais l’espagnol est devant.
POR7, 46, F, 1,5g, agent technique.
Ses réponses, très pragmatiques, s’appuient sur la faible présence de
Portugais à Bordeaux et sur la concurrence avec d’autres langues qui semblent
plus importantes à ses yeux, comme l’anglais ou l’espagnol. Elle s’inquiète de
la présence du portugais à l’école, dans une hypothétique insertion dans le
programme scolaire, par le surplus de travail que cela engendrerait pour ses
enfants (« Les devoirs, ça ferait beaucoup à la maison »). Cette inquiétude est
mêlée aussi à une volonté de ne pas forcer l’enfant dans l’apprentissage de la
langue des parents ou des grands-parents. Cette langue ne semble donc pas
être perçue comme une matière d’enseignement classique.
Avant de passer aux informateurs de la deuxième génération, il est inté-
ressant d’analyser un autre informateur de la génération « un et demi ». Ce
dernier, s’il ne dénote pas de l’ensemble de l’échantillon sur sa connaissance de
l’enseignement du portugais dans la région de Bordeaux en déclarant qu’il ne
s’y intéresse pas beaucoup et en admettant le faible rayonnement de la langue
en France mais aussi à travers le monde, a néanmoins une réflexion curieuse, ici
poussée à l’extrême, sur la langue portugaise et sur son apprentissage en France :
Est-ce que tu souhaiterais que le portugais soit enseigné à l’école, avec un enseigne-
ment compris dans le temps scolaire ?
Non.
Pourquoi ?
Parce que d’autres personnes qui ne sont pas portugaises iront apprendre
notre langue. Et quand il y aura un problème un jour, par exemple la guerre,
mais c’est un peu trop, pour ne pas qu’ils comprennent comment on réagit.
Pour ne pas qu’on se fasse éliminer. Il faut que ce soit une question de géné-
tique, on n’est pas trop pour le partage. Mais sinon, on est respectueux de la
personne. Ce qui nous appartient reste à nous.
Cela te dérange que des non Portugais apprennent le portugais ?
Oui, enfin ça dépend. Si c’est pour vivre avec quelqu’un de Portugais ou pour
vivre au Portugal, ça ne me dérange pas. Si c’est juste pour apprendre quelques
mots, connaître notre histoire, et savoir pourquoi on a cette mentalité, alors
ça me gêne… Chacun garde ses atouts.
POR9, 22, H, 1,5g, agent de maintenance.
Certes, cette vision de la langue et des Portugais, totalement hors du
temps, est extrêmement minoritaire mais elle est néanmoins remarquable à
analyser. Cet informateur semble penser que l’enseignement du portugais en
France entraînerait un afflux d’apprenants non originaires du Portugal qui,
grâce à cet apprentissage linguistique, comprendraient la façon de penser des
Portugais. Le lien entre langue et pensée est donc ici évoqué ; nous ne le déve-
lopperons pas mais il est tout de même intéressant à prendre en compte dans
le cadre d’une analyse de l’école et de ses représentations auprès de la commu-
106 Antoine Pascaud
Comme nous l’avons précisé plus haut, les Espagnols présentés dans
les extraits qui vont suivre sont relativement âgés, en tout cas retraités, et
ne peuvent être totalement représentatifs de la communauté prise dans son
ensemble, la migration économique des années soixante étant quasiment
absente de notre échantillon. Néanmoins, cette structure sociologique est tout
de même relativement fidèle à la communauté des Espagnols de Bordeaux,
ceux-ci étant, a priori, et d’après nos observations, majoritairement issus de
cette migration républicaine.
L’ensemble de l’échantillon n’est pas satisfait de l’enseignement de la
langue espagnole dans la région bordelaise. Ce mécontentement peut paraître
paradoxal car cette dernière est l’un des choix offert à tous les collégiens de
France à partir, au moins, de la classe de quatrième. En effet, si ces derniers
semblent mieux lotis en matière d’enseignement que les membres des deux
autres communautés de notre étude, il y a pourtant, à leurs yeux, beaucoup
de points qui mériteraient amélioration :
Que pensez-vous de l’enseignement de l’espagnol aujourd’hui dans la région bordelaise ?
Je trouve qu’il n’est pas assez répandu car c’est le pays juste à côté, ça devrait
être la langue principale et c’est l’anglais qu’ils ont mis dans le monde, ici à
Eysines aussi. L’empire anglais, on s’est laissé faire.
ESP14, 1g, F, 83, retraitée (aide-soignante).
Deux déclarations sont donc à mettre en avant dans les propos de cette
informatrice de première génération en rapport avec la problématique de
l’enseignement de l’espagnol : la concurrence avec l’anglais et le rapport de
proximité entre la France, en particulier Bordeaux, et l’Espagne. D’après cette
dernière, il est dommageable que cet enseignement ne soit « pas assez répandu »
au regard de la proximité entre les deux pays. Et, si l’on interprète ses dires,
cette absence d’importance de la langue espagnole dans le paysage éducatif
français viendrait directement de la concurrence de la langue anglaise, langue
mondiale. Par ailleurs, cette concurrence ne serait pas forcément du fait de
la langue en elle-même, mais plutôt de l’empire qui se cache derrière, sous-
entendu les États-Unis. Elle voit dans cette hégémonie linguistique un acte
politique et/ou économique et c’est cela, semble-t-il, qui lui pose le plus gros
problème vis-à-vis de la langue espagnole. À aucun moment, elle n’évoque le
besoin linguistique15 éventuel des migrants et de leurs descendants.
15 Alain Viaut, « La notion de besoin linguistique et les langues minoritaires », in Altérité et identité,
itinéraires croisés. Mélanges offerts à Christian Coulon, Bruylant, Bruxelles, 2010, p. 401-416.
108 Antoine Pascaud
17 Chiffre avancé par le consul honoraire de Grèce à Bordeaux lors d’une entrevue (13 novembre
2011, non enregistrée).
18 Chiffre avancé dans un article du journal Sud-Ouest reprenant un discours du Pope de l’église
orthodoxe de Bordeaux à la mairie de Bordeaux (15 février 2011, http://www.sudouest.
fr/2011/02/15/un-coeur-franco-grec-318967-625.php).
19 Michel Bruneau, « Une immigration de longue durée : la diaspora grecque en France », in
Espace, populations, sociétés, n° 2/3, 1996, p. 485-495.
20 Ces appellations ne sont pas de notre fait mais de celui des « Grecs » de Bordeaux eux-mêmes,
les « Nouveaux » surtout.
110 Antoine Pascaud
Il n’en reste pas moins que deux sous-communautés ont des désaccords
profonds sur de nombreux sujets. L’enseignement du grec en est un. En
effet, jusqu’en 2010, un enseignant fonctionnaire de l’État grec était envoyé
à Bordeaux afin de dispenser des cours de langue et civilisation aux enfants,
mais aussi aux adultes, selon les accords signés entre la France et la Grèce
dans le cadre européen des Enseignements de Langues et Cultures d’Origine
(ELCO)21. La crise économique traversée par la Grèce et le faible nombre de
Grecs présents à Bordeaux a néanmoins obligé l’État grec à rapatrier cet ensei-
gnant. Avec le départ de l’enseignant, la fracture entre les deux communautés
devint plus grande, l’une et l’autre n’arrivant pas à s’accorder sur les stratégies
éducatives liées à la langue, les « Anciens » préférant globalement l’enseigne-
ment du Pope de l’église orthodoxe de Bordeaux alors que les « Nouveaux »
penchaient pour un enseignement plus moderne. Une fois de plus, la réalité
est un peu plus complexe que cela mais ce « schisme » a nettement été mis
en avant lors de nos entretiens avec les membres des deux communautés.
Si certains semblent satisfaits de l’offre éducative en grec, la question de la
connaissance réelle de cette dernière peut se poser au vu de leurs réponses à
nos questions :
Que pensez-vous de l’enseignement du grec sur la région bordelaise ?
Je pense que c’est bien le fait que celui qui le désire puisse apprendre le grec.
Moi, je me suis mis au grec, quand j’ai sympathisé avec le prof de grec (…).
Est-ce que vous êtes au courant des cours qui sont donnés aujourd’hui ?
Non pas du tout. T. donnait des cours, je sais pas s’il en donne toujours… J’y
allais à ses cours, c’était sympa, mais je sais pas s’il en donne toujours. Mais je
regrette de ne pas y être allé plus, ça m’aurait plus perfectionné !
GRE19, 2g, H, 77, retraité (maître d’hôtel).
Au niveau de l’enseignement du grec sur la région bordelaise, est-ce que vous avez
un avis ?
Je suis un peu au courant par mes nièces. Je pense que c’est pas mal ce qui
se fait. Il y a de l’enseignement à la fac, et je crois que ça commence à être
assez riche.
GRE13, 2g, H, 59, éleveur de chiens.
Ces deux informateurs, issus des deux sous-communautés, ne semblent
pas, ou plus, concernés par l’enseignement du grec. En effet, le premier
d’entre eux déclare, outre sa satisfaction à propos des cours de grec qu’il a
connu quand il y assistait (« c’était sympa »), qu’il n’est pas au courant « du
tout » du fonctionnement de cet enseignement aujourd’hui. Il ne sait pas si
l’enseignant qu’il a connu donne toujours des cours (ce qui est le cas). Dans
21 Nous avons, de plus, appris, lors de nos discussions avec les membres des communautés
grecques, qu’à une époque il y avait deux enseignants de grec à Bordeaux, rémunérés par
la Grèce.
Paroles de migrants 111
Les trois communautés étudiées ont donc des avis et des demandes bien
différentes au sujet de l’enseignement de leurs langues d’origine ou d’héri-
tage : les Portugais ne semblent pas privilégier le support de l’école pour l’ap-
prentissage de la langue portugaise à leurs enfants en ne s’intéressant que très
peu à son enseignement, les Espagnols se désolent de la place qu’ils n’estiment
pas assez importante de la langue espagnole dans le panel des langues ensei-
gnées en France et les Grecs, s’ils semblent concernés par l’enseignement de
la langue grecque, sont très partagés sur les dispositifs mis en place à l’heure
actuelle. Néanmoins, et malgré cet état des lieux peu réjouissant sur l’ensei-
gnement de ces langues en situation de migration, la pratique de ces dernières
est réelle et ce, même après plusieurs générations (jusqu’à quatre, pour nos
enquêtes). Des alternatives existent alors pour l’apprentissage linguistique de
ces trois communautés.
Ces alternatives semblent être nettement privilégiées pour les Portugais de
notre échantillon, leur peu d’intérêt et de considération pour l’enseignement
du portugais trouve ici peut-être sa cause. En effet, ils semblent être plus actifs
sur la langue et sa transmission aux jeunes générations par le biais des associa-
tions qui contribuent à sa pratique :
Vous êtes dans une association franco-portugaise, quel rôle joue cette association
pour la langue portugaise ?
Je pense que ça fait une sorte de lien (…) pour ne pas oublier les origines.
C’est vrai qu’on fait beaucoup de bals, avec les musiques portugaises qu’on a
l’habitude d’entendre là-bas. Ça fait un lien et un retour aux sources quand
on est dans ces bals. C’est le moment où on se retrouve et où on se rappelle
un peu notre pays, car dans la vie de tous les jours, on ne pense pas toujours
à notre famille qui est là-bas, à nos coutumes etc… On est en France, on vit
avec le système français. Ça fait un retour aux sources, ça fait du bien. Enfin
pour moi c’est ça.
POR6, 2g, F, 19, étudiante.
Si la langue n’est pas directement mentionnée dans ce témoignage, elle est
néanmoins présente par le biais de l’association et de ses activités culturelles.
Le « retour aux sources » et aux « origines » est un élément important pour les
Portugais et la présence de la langue portugaise, nous en avons été témoin, est
nettement majoritaire lors de ces rencontres.
De même, la transmission intergénérationnelle est très importante à leurs
yeux et représente sans doute le biais le plus utilisé pour l’apprentissage de la
langue :
Est-ce que vous pensez qu’un enfant apprend mieux le portugais à la maison avec
ses parents ou à l’école ?
À la maison.
Pourquoi ?
Parce qu’à la maison on parle tout le temps couramment, alors qu’à l’école,
c’est une fois par semaine.
POR14, 1g, F, 54, employée de maison.
Pour les Espagnols de notre échantillon, les associations semblent égale-
ment être le lieu privilégié pour pratiquer la langue et donc la transmettre, en
même temps que la mémoire collective des immigrés espagnols de France, ici
de Bordeaux :
Est-ce que vous avez un avis sur le rôle que joue les associations sur la langue
espagnole ?
Paroles de migrants 115
(…) Oui c’est très important, il ne faut pas oublier cette langue. Il ne faut pas
que les enfants oublient cette langue et en plus de ça nous avons un besoin de
mémoire car toute la mémoire a été effacée pendant toute la dictature et c’est
à nous de reconstruire tout ça et c’est pour ça que je suis dans cette association
d’Ay Carmela qui fait un gros travail (…).
ESP13, 1,5g, F, 80, retraitée (employée préfecture).
De même, et à l’instar des Portugais, la transmission intergénération-
nelle semble importante à leurs yeux car plus exhaustive en matière d’ap-
prentissage que l’école. Si l’école n’est pas totalement rejetée, elle n’est pas le
meilleur moyen, pour les Espagnols, d’apprendre une langue correctement.
L’immersion familiale est donc un complément absolument nécessaire à la
bonne pratique d’une langue, en particulier d’une langue d’héritage :
Est-ce que vous pensez que les enfants apprennent mieux la langue à l’école ou à
la maison ?
Là, c’est un peu compliqué. Pour moi, c’est la vie quotidienne donc à la
maison. À l’école, c’est les classiques, c’est littéraire. Les littéraires, c’est
bien beau d’apprendre les verbes mais le courant de la vie, on l’apprend à la
maison. Les phrases de tous les jours, c’est à la maison. Je pense qu’à l’école,
on apprend la prononciation, quoi qu’on l’apprend aussi à la maison, écrire
vete avec un v ou un b c’est ça l’école, on t’apprend à écrire correctement.
ESP3, 1g, H, 68, retraité (maçon).
Enfin, nous l’avons vu, les Grecs sont très concernés par l’enseignement
de leur langue dans la métropole bordelaise mais n’en sont pas satisfaits dans
l’ensemble. Ici aussi, à l’image des deux autres communautés, les associations
prennent ce rôle de lieu de pratique de la langue grâce aux activités culturelles
et grâce aux rencontres qu’elles permettent :
On va parler du rôle que jouent les associations grecques, franco-grecques, hellé-
niques sur la langue grecque dans la région de Bordeaux…
(…) Disons que sur la langue grecque, elles n’ont pas un grand pouvoir fédé-
rateur. (…) Par contre, il peut y avoir des soirées cinéma avec des films en grec
donc là, effectivement là, il y a quand même une action sur la langue. Il y a
aussi des échanges avec des familles grecques (…) par le biais de l’église et des
associations. On peut dire que les associations ont quand même une action
sur la langue.
GRE13, 2g, H, 59, éleveur.
Comme nous l’avons vu pour les deux autres communautés, la transmis-
sion intergénérationnelle est un vecteur important pour la pratique et l’ap-
prentissage de la langue :
Est-ce que pour un enfant grec qui vit en France, vous pensez qu’il apprendra
mieux le grec à la maison ou à l’école ?
116 Antoine Pascaud
À la maison. (…) Parce que à la maison, c’est le quotidien, c’est toutes les
petites choses qui font qu’on comprend mieux les langues… parce qu’à
l’école, une fois par semaine, où il y a un texte où on apprend la grammaire…
À la maison, c’est beaucoup mieux je pense.
GRE7, 1g, F, 34, œnologue.
Est-ce que tu penses qu’un enfant apprend mieux le grec à l’école ou alors à la
maison ?
À la maison. Si les parents ont un bon grec, il apprendra tout aussi bien à la
maison puisqu’il aura grandi dedans. Après si les parents n’ont pas un très bon
grec, il apprendra tout autant à l’école.
GRE16, 3g, F, 21, étudiante.
Comme cela a été largement mis en évidence, il semble que l’école en
tant qu’institution, publique ou associative, permettant l’apprentissage de
la langue ne soit pas le moyen préférentiel utilisé par les trois communautés
soumises à nos enquêtes. En effet, soit elles ne s’y intéressent que très peu (les
Portugais), soit elles déplorent sa mauvaise organisation (les Espagnols et les
Grecs). Les trois communautés ont donc mis en place différentes alternatives à
l’institution scolaire en lui préférant nettement l’usage de la pratique familiale
(transmission intergénérationnelle) ou amicale (associations culturelles) dans
la transmission de la langue d’origine, et donc d’héritage, à leurs enfants.
Antoine Pascaud
UMR 5478 IKER
Université Bordeaux Montaigne
antoine.pascaud@u-bordeaux-montaigne.fr
Résumé
À partir d’enquêtes réalisées auprès des communautés portugaise, espagnole et grecque de
Bordeaux, nous proposons d’interroger la place de l’école dans le bilinguisme français/langue
d’origine chez les migrants. Certaines alternatives mises en place par les communautés (asso-
ciations) ou par les migrants eux-mêmes (transmission intergénérationnelle, retour dans le
pays d’origine) seront également examinées.
Mots-clés
Langue d’immigration, école, Portugais, Espagnols, Grecs.
Abstract
From surveys carried out with Portuguese, Spanish and Greek communities of Bordeaux, we propose
to interrogate the role of school in the French/heritage language bilingualism among migrants. Some
alternatives developed by communauties (associations) or by migrants themselves (intergenerational
transmission, return to the country of origin) will also be discussed.
Keywords
Immigration languages, school, Portugueses, Spaniards, Greeks.
Promouvoir l’apprentissage des
langues en Écosse
Exemple d’un projet scolaire qui valorise
les identités plurilingues
Malika Pedley
1 La Charte inclut le mannois dans la liste de langues du Royaume-Uni. Or, l’île de Man est
politiquement indépendante du Royaume-Uni mais toujours sous la souveraineté britannique.
Ici, puisque nous traitons exclusivement du Royaume-Uni, nous nous permettons d’évincer le
cas de cette langue. CONSEIL DE L’EUROPE, Third report of the Committee of Experts in respect of the
United Kingdom, European Charter for Regional or Minority Languages, 4th monitoring cycle,
2014, https://www.coe.int/t/dg4/education/minlang/Report/EvaluationReports/ UKECRML4_
en.pdf, 22/10/2015.
2 OFFICE FOR NATIONAL STATISTICS, http://www.ons.gov.uk/ons/dcp171778_297002.pdf, 2013,
22/10/2015.
3 Pour plus de détails, consulter les publications respectives concernant les recensements de
Promouvoir l’apprentissage des langues en Écosse 119
population de 2011 : Office for National Statistics, 2013; National Records of Scotland, 2013,
http://www.scotlandscensus.gov.uk/documents/censusresults/release2a/StatsBulletin2A.pdf,
22/10/2015 ; Northern Ireland Statistics & Research Agency, 2013, http://www.nisra.gov.uk/
census/detailedcharacteristics_stats_bulletin_2_2011.pdf, 22/10/2015.
4 Vincent Latour, Le Royaume-Uni et la France au test de l’immigration et à l’épreuve de l’intégra-
tion : 1930-2012, Presses Universitaires de Bordeaux, Bordeaux, 2014.
5 Anne Judge, « Linguistiques politiques, langues collatérales et langues différenciées dans le
cadre du Royaume-Uni », in Jean-Michel Éloy(éd.), Des langues collatérales : problèmes linguis-
tiques, sociolinguistiques et glottopolitiques de la proximité linguistique, L’Harmattan, Paris, 2004,
p. 145-160.
6 CONSEIL DE L’EUROPE, Rapport soumis par le Royaume-Uni en vertu de l’article 25, paragraphe 1
de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, 1999, https://www.coe.int/t/
dghl/monitoring/minorities/3_fcnmdocs/PDF_1st_SR_UK_fr.pdf, 22/10/2015.
7 Notion définie en premier lieu dans le texte Race Relations Act, 1976 (dernière édition) luttant
contre la discrimination raciale au Royaume-Uni. Définition extraite de la version française du
texte du Conseil de l’Europe (1999). Race Relations Act, 1976, http://www.legislation.gov.uk/
ukpga/1976/74, 22/10/2015.
120 Malika Pedley
Ainsi, il semble maintenant évident que, malgré des divergences quant à leurs
origines et quant aux rapports entretenus avec le territoire britannique, la
vitalité de ces langues autres que l’anglais est étroitement liée.
D’un point de vue politique, le Royaume-Uni est aujourd’hui un État
formé de quatre nations (l’Angleterre, l’Écosse, le Pays de Galles et l’Irlande
du Nord) dont chacune dispose depuis la dévolution du pouvoir de l’État
en 1998 d’une certaine autonomie politique notamment en ce qui concerne
l’éducation et les questions linguistiques. Chacune des nations possède son
propre système scolaire (avec non équivalence entre les niveaux et différents
examens terminaux). Chaque nation gère aussi ses propres recensements de
population8.
Les quatre nations sont marquées par certains traits communs comme la
suprématie de l’anglais et l’ordre des langues allochtones les plus parlées. En
revanche, l’éventuelle présence de langue(s) régionale(s) ou minoritaire(s) et la
proportion variable d’individus plurilingues ou pour qui l’anglais n’est pas la
langue première confèrent à chacune des nations sa propre identité culturelle
et linguistique. Ainsi, si l’ordre des langues allochtones les plus importantes
semble le même d’une nation à l’autre, la pluralité linguistique ne prend pas
les mêmes proportions : en Écosse, 4,3 % des écoliers utilisent une langue
autre que l’anglais à la maison ; en Angleterre, 16,6 % (école primaire) et
12,5 % (école secondaire) des enfants disposent d’une autre langue que l’an-
glais ; et en Irlande du Nord, pour 3,1 % de la population, l’anglais n’est pas
la langue principale.9 Notons ici l’écart entre les différentes formulations des
résultats (traduites par nos soins) : les nuances qu’elles présentent en termes
de compétences et de pratiques linguistiques, ainsi que les différentes tranches
d’âge évoquées rendent encore plus difficile la comparaison entre nations.
À travers les quatre nations, une inadéquation demeure entre un multilin-
guisme avéré et un enseignement des langues en berne dans l’éducation. Afin
d’inverser cette tendance et conformément aux objectifs de plurilinguisme
européen, différentes stratégies sont mises en place à travers l’État pour
promouvoir l’apprentissage des langues à l’école.
8 Voir note 2.
9 Ibid.
Promouvoir l’apprentissage des langues en Écosse 121
15 Joanna McPake et Teresa Tinsley (éds), Valuing All Languages in Europe, Strasbourg / Graz :
Council of Europe / European Centre for Modern Languages, 2007, http://archive.ecml.at/
mtp2/publications/Valeur-report-E.pdf, 22/10/2015.
16 Philip Baker et John Eversley, Multilingual Capital: the languages of London’s schoolchildren and
their relevance to economic, social and educational policies, Battlebridge publications, London, 2000.
17 Notre traduction : La diversité de Londres contribue à sa compétitivité dans le marché écono-
mique mondial d’aujourd’hui.
18 Voir les derniers résultats concernant l’inclusion des langues dans le système scolaire anglais
(British Council, 2015)
19 Welsh Language Act, 1993, http://www.legislation.gov.uk/ukpga/1993/38, 22/10/2015.
20 Gaelic Language (Scotland) Act, 2005, http://www.legislation.gov.uk/asp/2005/7, 22/10/2015.
21 Jim Anderson et al., op. cit. Équivalentes aux langues vivantes étrangères en France ; il s’agit
principalement du français, de l’espagnol et de l’allemand.
Promouvoir l’apprentissage des langues en Écosse 123
En tout cas, pour ces auteurs, si ce projet doit réussir, il est nécessaire
que l’école adopte une vision sympathisante du multilinguisme, au travers
d’un discours positif envers les langues minoritaires. D’autres stratégies pour
atteindre le plurilinguisme existent, sur critères économiques (langues les plus
demandées sur le marché du travail mondial ; langues les plus parlées dans le
monde), géographiques (renforcement de l’enseignement des langues de pays
limitrophes), mais leur passage en revue n’est pas le propos de cet article. Dans
tous les cas, avant même d’élaborer un plan de stratégie pour le plurilinguisme
sur la base d’un choix de langues, il nous semble que s’impose une étape visant
à changer les mentalités vis-à-vis du plurilinguisme. C’est ce que fait le projet
Mother Tongue Other Tongue dont il est question ci-après.
24 Propos recueillis lors d’une mission à Glasgow en septembre 2015 (détaillée ci-après) : « More
than a competition, it is a celebration of languages ».
25 Inspiré du slogan du SCILT pour Mother Tongue Other Tongue : « Find your voice ».
Promouvoir l’apprentissage des langues en Écosse 125
Dix huit langues ont concourues : l’arabe, le mandarin, des langues nigé-
rio-congolaises (edo, igbo, yoruba, swahili), le sindebele (langue parlée au
Zimbabwe et en Afrique du Sud), des langues du subcontinent indien (cinga-
lais, ourdou), des langues d’Europe de l’Est (polonais, slovaque et géorgien),
des langues d’Europe (français, italien, portugais, castillan et grec) et le scots,
langue régionale ou minoritaire parlée en Écosse. L’ensemble de ces langues
est représentatif de la diversité linguistique et culturelle de la ville de Glasgow,
ville la plus multiculturelle en Écosse (National Records of Scotland, 2011).
Une classe de gaélique avait commencé le projet mais ne l’a pas suivi
jusqu’au bout. Comment expliquer l’absence du gaélique et la présence
marquée du scots, les deux langues régionales ou minoritaires en Écosse ?
D’après les organisateurs26, il est difficile de sensibiliser le public d’apprenants
du gaélique car cette langue bénéficie de soutiens indépendants privilégiés et
les défenseurs de cette langue tendent à s’écarter des mouvements en faveur de
la promotion des langues en général. Les organisateurs aimeraient cependant
voir cette langue s’ajouter au panel de langues représentées.
Le scots, pratiqué sur le territoire de l’Écosse, a longtemps été perçu
de manière négative mais les attitudes envers cette langue sont en train de
changer et l’école l’intègre dans son programme. En revanche, le scots n’est
pas enseigné dans un cours de langue, mais il fait partie des « Scottish studies »,
il est ainsi intégré dans les cours de littérature comme « spécificité régionale »
(Conseil de l’Europe, 2014)27. Les entrées en scots ont donc été motivées par
des enseignants d’anglais (littérature).28
Les autres langues représentées par la catégorie Mother Tongue ne bénéfi-
cient pas d’un enseignement à l’école. Certaines sont cependant enseignées
dans des « community language schools » en marge du système scolaire.
La configuration linguistique et urbaine de Glasgow en fait un terrain
tout à fait intéressant pour nos recherches qui tentent de considérer le multi-
linguisme dans sa globalité : deux langues régionales ou minoritaires, qui
ne bénéficient ni du même statut ni du même degré de promotion et qui
n’ont pas la même image auprès des écossais, sont en contact avec des langues
allochtones d’immigration récente (polonais) ou plus ancienne (ourdou).
29 SCOTLAND’S NATIONAL CENTRE FOR LANGUAGES (SCILT), Mother Tongue Other Tongue 2014-
2015, Anthology, 2015, http://www.scilt.org.uk/Portals/24/Library/MTOT/Celebration %20
event/mtot %20anthology %20final.pdf, 22/10/2015.
Promouvoir l’apprentissage des langues en Écosse 127
Figure 1 : Extrait de l’anthologie de Mother Tongue Other Tongue, (SCILT, 2015, p. 19).
que sa grand-mère lui chantait plus jeune et qu’elle continue de chanter avec
ses parents en polonais : ce choix montre l’importance affective et familiale
qu’occupe la langue maternelle (SCILT, 2015, p. 14).
Certains enfants ont choisi de profiter de cette occasion de s’exprimer
en langue maternelle pour faire connaitre la culture, l’histoire ou l’actualité
marquant leurs origines, tout en reliant ce contexte à leur vie actuelle à Glasgow.
C’est ce qu’ont choisi de faire deux jeunes sœurs Iraqi, en racontant les raisons
pour lesquelles leurs parents ont décidé de fuir le pays (SCILT, 2015, p. 18) :
« We enjoyed writing our poem. We wrote this poem about Iraq. We wanted
people to know how dangerous Baghdad was when we lived there. It is even
more dangerous in Mosul, so my family moved from Mosul to Baghdad. There
is lots of fighting in Mosul and in Baghdad, so we are happy in Glasgow with
our parents and brother, but we miss our other family in Iraq. »30
D’un point de vue linguistique, les poèmes ont mis en avant des compé-
tences variables en langues mais une certaine créativité et ingéniosité à les
utiliser. Le cadre non normatif du concours signifie que l’enfant est libre de
créer un poème à partir d’une langue qu’il maîtrise plus ou moins bien. Les
poèmes créés de toute pièce témoignent de l’inventivité dont font preuve les
enfants, notamment pour gérer certaines lacunes. En lisant le poème en alter-
nance codique (anglais/andou) plus haut, on peut se demander si l’enfant a
utilisé cette technique pour pallier à des difficultés, alliant pour le meilleur
ses compétences dans chacune des deux langues. Or, le texte explicatif nous
indique plutôt qu’il s’agit d’un choix esthétique. On peut d’ailleurs remarquer
la régularité de l’alternance : le poème est construit sur une base syntaxique
de l’anglais, l’enfant insère des éléments lexicaux en ourdou (syntagmes
nominaux). D’autres auteurs qui ont choisi d’écrire en deux langues précisent
leurs difficultés linguistiques et le recours conséquent à une aide familiale,
comme cette auteure qui a écrit le poème bilingue anglais-polonais « Dom » :
« This is the first poem that I made. I wrote a poem in English. I found it hard
to write in Polish. My brother helped me spell the words in Polish. He knows
most of the words. »31.
À travers les propos des textes explicatifs, on note une certaine conscience
métalinguistique de la part de ces enfants plurilingues. La jeune fille, dont
30 Notre traduction : Nous avons aimé écrire notre poème. Nous avons écrit ce poème à propos de
l’Irak. Nous voulions que les gens sachent à quel point c’était dangereux à Bagdad lorsque nous
y vivions. C’est encore plus dangereux à Mossoul, alors ma famille a déménagé de Mossoul à
Bagdad. Il y a beaucoup d’affrontements à Mossoul et Bagdad, nous sommes donc heureuses à
Glasgow avec nos parents et notre frère, mais le reste de notre famille (ou notre autre famille)
nous manque en Irak.
31 Notre traduction : Ceci est le premier poème que j’ai écrit. J’ai écrit un poème en anglais. J’ai
trouvé cela difficile d’écrire en polonais. Mon frère m’a aidé à écrire les mots en polonais. Il
connait la plupart des mots.
Promouvoir l’apprentissage des langues en Écosse 129
le poème fait figure d’illustration plus haut, montre une grande ouverture
d’esprit vis-à-vis des langues, une capacité de réflexion sur les langues : elle
a « aimé » « entendre » un poème en allemand, elle a trouvé l’expérience
globale « amusante » car elle n’a pas l’habitude d’« entendre » des poèmes dans
« d’autres langues » (notre traduction). Son texte met aussi en avant des atti-
tudes extrêmement positives de la part de ses camarades de classe vis-à-vis de
ses compétences linguistiques, ce qui semble être une des réactions souhaitées
de la part des organisateurs pour réaliser le premier objectif du concours.
D’autres enfants déclarent dans leur texte explicatif qu’ils se sentent plus
créatifs, plus libres dans une langue que dans l’autre. C’est le cas de certaines
entrées en scots (rappelons toutefois la forme répétitive de ces entrées qui laisse
penser qu’une sorte de matrice a été imposée dans la rédaction des poèmes et
des textes explicatifs) :
« I don’t think they go well together in English but in Scots they do. Writing in
Scots was fun because you could write about what you wanted. »32
« I used Scots words because I thought it would open up my imagination and
be much more effective to the reader. »33
« I liked writing in Scots because it was much funnier than writing in English.
(…) I wrote more in my Scots poem than I would have in English. »34
En revanche, un poème laisse transparaitre des attitudes encore négatives
vis-à-vis du scots : « It was a bit weird writing in Scots because I don’t normally
speak in Scots. Sometimes my dad uses Scots words and I give him a row! »35 On
peut aussi interpréter cette réaction comme celle de l’enfant en phase de déni-
grement du bilinguisme familial.
Enfin, on note l’importance de l’implication familiale dans ce projet
d’écriture. Les enfants évoquent dans leur texte explicatif la participation
normative d’un parent dans le projet, aidant à combler certaines faiblesses
linguistiques : « My poem is about mothers. My mum helped me to write
it. »36 ; « I wrote the poem and then mum checked it for me »37. Mise à part cette
relecture des parents, aucune lecture à visée normative n’est fournie par le jury
(dont les membres ne présentent pas forcément les compétences linguistiques
adéquates). Le parent participe ainsi à la fois en soutenant l’enfant dans sa
32 Notre traduction : je ne trouve pas que [ces mots] vont bien ensemble en anglais mais en scots,
si. Écrire en scots était amusant parce que l’on pouvait écrire à propos de ce que l’on voulait.
33 Notre traduction : J’ai utilisé des mots scots parce que je pensais que cela pourrait développer
mon imagination et avoir beaucoup plus d’impact sur le lecteur.
34 Notre traduction : J’ai aimé écrire en scots car c’était beaucoup plus drôle qu’écrire en anglais
(…) J’ai écrit plus dans mon poème en scots que je ne l’aurais fait en anglais.
35 Notre traduction : C’était bizarre d’écrire en scots parce que normalement je ne parle pas en
scots. Parfois mon père utilise des mots scots et alors je le fâche !
36 Notre traduction : Mon poème est à propos des mères. Ma mère m’a aidé à l’écrire.
37 Notre traduction : J’ai écrit le poème, puis ma mère l’a corrigé pour moi.
130 Malika Pedley
démarche et en jouant le rôle de jury normalisateur, rôle qu’il n’a pas forcé-
ment l’habitude de jouer, puisqu’aucun renseignement n’est donné quant à
l’apprentissage formel ou informel que l’enfant suit dans sa langue maternelle.
Seule une enquête complémentaire permettra de le déterminer. C’est là l’objet
de notre prochain chapitre.
présentes dans la classe. Pour ce faire, nous les inviterons à expliquer les raisons
ayant motivé leur choix de participation, la façon dont Mother Tongue Other
Tongue s’intègre dans une démarche professionnelle personnelle ; nous leur
demanderons de s’exprimer au sujet d’éventuelles attentes vis-à-vis du projet,
des approches pédagogiques et philosophiques adoptées et de préciser le temps
qu’ils envisagent de consacrer à Mother Tongue Other Tongue. À l’approche du
rendu des poèmes, un autre entretien viendra leur demander de dresser un
bilan de leur expérience ; ils pourront à ce moment évoquer des surprises,
des évolutions dans les comportements ou attitudes des enfants, et il leur sera
demandé ce que l’expérience globale leur a apporté d’un point de vue person-
nel. L’analyse ultérieure des discours produits viendra rendre compte de leurs
représentations et attitudes et des possibles évolutions de celles-ci au cours de
Mother Tongue Other Tongue.
Le guide d’entretien auprès des élèves sera davantage centré sur le poème
choisi par l’enfant. En partant de ce support et toujours de manière semi-
guidée, l’objectif de ces entretiens sera de faire émerger des discours produits
les représentations et attitudes de l’enfant vis-à-vis du multilinguisme envi-
ronnant, de la/des langue(s) dont il dispose dans son répertoire linguistique.
Ainsi, il lui sera demandé de s’exprimer au sujet du processus de création
suivi, de prendre du recul sur le poème produit ou en cours de production,
d’expliquer ce qui relie le poème à son auteur, de s’exprimer au sujet de la
relation entretenue avec la langue utilisée, d’évaluer le rapport entre cette
langue et l’anglais, et entre cette langue et Glasgow. À l’approche du rendu
des poèmes, un deuxième entretien viendra demander à l’enfant de dresser un
bilan de l’expérience, d’expliquer les différentes étapes personnelles traversées
durant ce travail, d’évoquer certaines éventuelles réactions, et de commenter
l’argumentaire accompagnant le poème.
Pour faire émerger des représentations du discours de l’enfant, nous l’inci-
terons à s’exprimer de manière assez libre au sujet de son vécu des langues. En
racontant des expériences personnelles ou l’histoire linguistique de la famille,
l’enfant construit des récits langagiers38. Ces récits sont traités en termes narra-
tifs et à l’aide des outils de l’analyse du discours. Nous nous intéresserons tant
au contenu de ces énoncés pour déceler des représentations qu’à l’organisation
de cet énoncé, témoignant de la façon dont l’élève gère son vécu et reconstruit
sa vision des choses dans le discours et en fait un objet discursif. Plusieurs
entretiens permettront de voir l’évolution des représentations.
La comparaison entre discours de l’enseignant et discours de l’élève, tout
en tenant compte de l’évolution observée pendant les ateliers, nous permettra
d’évaluer l’influence du discours de l’enseignant sur celui de l’élève, ce que
l’analyse seule des poèmes ne peut mesurer entièrement.
38 Sofia Stratilaki, Discours et représentations du plurilinguisme, Peter Lang, Francfort, 2011, 495 p.
132 Malika Pedley
Malika Pedley
IKER UMR 5478
Université Bordeaux Montaigne
malika.pedley@universite-bordeaux-montaigne.fr
Résumé
L’article pose les jalons d’une enquête menée en Écosse entre 2015 et 2016. Mother Tongue
Other Tongue est un concours de poésie multilingue inscrit dans une démarche de promotion
de l’apprentissage des langues à l’école. En exposant et en valorisant la réalité multilingue
locale, toutes langues confondues, nous faisions l’hypothèse que ce concours permet aux
enfants d’adopter une approche plus positive et inclusive des langues en situation minoritaire ;
une vision nécessaire pour l’apprentissage des langues dans un monde où la mobilité est un
phénomène de plus en plus courant et de plus en plus complexe.
Mots-clés
Politiques linguistiques, éducation, plurilinguisme, multilinguisme, écriture créative.
Abstract
This paper precedes fieldwork conducted in Scotland between 2015 and 2016. Mother Tongue
Other Tongue is a multilingual poetry competition which aims to promote language learning at
school. By exposing and valuing local multilingual reality, all languages included, our hypothesis was
that this competition enables children to adopt a more positive and inclusive approach to languages
in a minority situation –a necessary vision for language learning, in step with a world where mobility
as a phenomenon becomes more and more commonplace and more and more complex.
Keywords
Language policies, education, plurilingualism, multilingualism, creative writing.
Pour aller plus loin…
Pour une méthodologie de la
proximité ?
Les enquêtes de terrain en sociolinguistique
et didactique des langues
Étant donné que toute méthodologie est constituée à la fois par la démarche
du recueil de données et par leur analyse, nous situerons nos discours sur ces
deux niveaux. Pour ce faire, nous examinons dans un premier temps deux exemples
tirés d’enquêtes « de terrain » par entretiens : la première est extraite d’une étude
fondée sur des entretiens sociolinguistiques avec des migrants et la seconde est
une recherche-action-formation en didactique des langues où prennent place des
entretiens avec des enseignant.e.s. Dans un second temps, nous nous question-
nerons sur les enjeux de la « proximité » appliquée à nos domaines de recherche,
à savoir la sociolinguistique et la didactique des langues.
7 Notre réflexion sur l’écriture inclusive nous amène à utiliser alternativement le masculin et le
féminin pour désigner dans des cas syntaxiques qui accepteraient les deux.
8 François Laplantine, La description ethnographique, Paris, Nathan, 1996, p. 38.
9 Michel Agier, Anthropologues en danger. L’engagement sur le terrain, Paris, éd. Jean-Michel Place,
1997.
10 Michel Agier, La sagesse de l’ethnologue, Paris, L’œil neuf, 2004, p. 6.
140 Marielle Rispail, Marine Totozani, Valeria Villa-Perez
langue italienne et sur les dialectes en Italie pour questionner leur rôle dans
les dynamiques d’intégration sociale.11 Ces extraits montrent des phénomènes
conversationnels inattendus qui se sont vérifiés lors des entretiens et que nous
analyserons en tenant compte des réflexions théoriques sur la proximité.
Posture du chercheur
11 Les données sur lesquelles nous nous appuyons dans cette contribution sont issues de la thèse
doctorat de Valeria Villa, Les dialectes des migrants. Représentations sociolinguistiques et dynamiques
d’intégration territoriale dans l’Italie contemporaine, Université Bordeaux Montaigne, 2014.
12 Aude Brétegnier, « Sociolinguistique alter réflexive. Du rapport au terrain à la posture du
chercheur », in Didier De Robillard (éd.), Réflexivité, herméneutique. Vers un paradigme de
recherche ? Cahiers de Sociolinguistique, n° 11, Presses Universitaires de Rennes, 2009.
13 Marielle Rispail, « Pouvoir d’agir, intervention », in Marielle Rispail (éd.), Abécédaire de
Sociodidactique. 65 Concepts et notions, Saint-Étienne, PUSE, 2017, p. 102.
14 Louis-Jean Calvet, « Le sociolinguiste et le pouvoir politique », in Romain Colonna (éd.),
Les locuteurs et les langues : pouvoirs, non-pouvoirs et contre-pouvoirs, Limoges, Lambert-Lucas,
2014, p. 25.
Pour une méthodologie de la proximité ? 141
15 Gabriele Iannaccaro, Il dialetto percepito. Sulla reazione di parlanti di fronte al cambio linguis-
tico, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2002, p. 109.
16 Op. cit., p. 107-108.
17 Lorenza Mondada, « Pratiques de transcriptions et effets de catégorisation », in Bruno Bonu
(éd.), Transcrire l’interaction, Cahiers de praxématique, Université Paul Valery Montpellier,
n° 39, 2002, p. 48.
142 Marielle Rispail, Marine Totozani, Valeria Villa-Perez
Mais moi ::: je connais peu le dialecte bolognais::: +++ parce que moi en
réalité je ne suis pas de Bologne::: je suis [des Pouilles
Tak. Sì::]
Oui:::]
Val. Quindi il dialetto che conosco di più è quello della Puglia::: sai del sud
dell’Italia +++ però ho vissuto in questa regione diversi anni +++ ho
studiato qui ma adesso ti ho detto sono in Francia:: lavoro a Bordeaux
ma è per questo che conosco un po’
Donc le dialecte que je connais davantage est celui des Pouilles::: tu sais
celui du sud de l’Italie +++ mais j’ai vécu dans cette région plusieurs
années +++ j’ai étudié ici mais maintenant je suis en France comme je te
disais je travaille à Bordeaux mais c’est pour cela que je connais un peu
Tak. Sì::: sì:::per questo che hai imparato un po’ di dialetto
Oui::: oui::: c’est pour cela que tu as appris un peu de dialecte
Val. Sì capisco [soprattutto
Oui je comprends [surtout
Tak. Ma anche] io::: pure io:::pure io così capisco quando dicono loro ma
io diciamo non so quasi niente:::
Mais moi:: aussi] moi aussi::: moi aussi je comprends comme ça quand eux
ils disent mais disons que je ne sais presque rien::
Dans le premier tour de cet extrait, l’informateur Tak. devient le metteur
en scène de l’interaction en posant d’abord une question pour avoir une
confirmation de la chercheure (« non so questo è dialetto bolognese o no? »),
puis en l’interrogeant sur sa connaissance des dialectes italiens (« ad esempio
lei qualcosa qualche dialetto? »). Durant cette séquence de l’interview, les rôles
s’inversent pendant 6 tours et la « chercheure » est interviewée par « l’infor-
mateur ». Quelques détails soulignent ce renversement de situation comme
l’invitation de Tak. à poursuivre l’explication, le dernier mot du quatrième
tour de Tak. « pugliese (ligne 6) » se chevauche avec la réponse sì (ligne 7) de
Val. Le même phénomène se répète dans les tours suivants (sì::: sì:::per questo
che hai imparato un po’ di dialetto), jusqu’à donner l’impression d’une conver-
sation informelle sur le thème de la compétence dialectale.
langage et l’espace (par exemple « sorbole che mi diceva sempre quando veniva
qui »), les éléments de deixis référés aux lieux professionnels des informateurs
où les échanges en dialecte avec des Italiens se sont vérifiés.
Pendant l’entretien, un positionnement de proximité avec son interlocu-
teur peut aussi favoriser un climat favorable à la prise de parole ; l’échange se
transforme en un récit d’épisodes linguistiques ou de vie vécus dans le pays
d’accueil ou d’origine. Cet aspect est constitutif de la recherche qualitative
puisqu’il permet de faire émerger des singularités, des histoires individuelles,
ce qui ne serait pas visible dans une démarche quantitative et statistique.
En guise d’exemple, une question sur la langue d’origine provoque une
réponse portant sur les conflits linguistiques entre les Moldaves et les Russes, en
Moldavie. Il s’agit de l’entretien avec Rai, une auxiliaire de vie pour personnes
âgées, moldave, interrogée à Bologne :
Extrait 2
Rai.
Da noi sono tanti russi e non vogliono imparare la lingua moldava +++
abitano da cinquanta anni nel nostro paese e no vogliono imparare
Chez nous les Russes sont très nombreux et ils ne veulent pas apprendre la
langue moldave +++ ils habitent depuis cinquante ans dans notre pays et
ils ne veulent pas apprendre
Val. perché?
Pourquoi?
Rai.
perché? Perché sono loro:::: e quando sono andata io a casa l’anno
scorso sono andata al mercato e ho chiesto un paio di scarpe ↓ eh:: ho
provato una scarpa e allora dico::: eh:: mi può dare anche la seconda?
In lingua moldava e ho parlato che lei era una signora di cinquantacin-
que anni russa! E io dico in lingua moldava e lei fa finta che non mi
ha sentito! Io ancora lingua moldava dico:: per piacere mi dai l’altra
scarpa? E lei dice::: +++ non capisco e io dico ma come! A questa età?
Quanti anni ha lei qui? Ma cosa c’è:: quando vai in Russìa::: eh:: Russia
quale lingua parli? In Russia↓ A questa età io dico che non sei venuta da
ieri in Moldavia ++ sei venuta da trenta quaranta anni! Allora è ora↓ per
sapere per la lingua nostra !++ e lei non mi ha voluto dare+ la seconda
scarpa!
Pourquoi? Parce que c’est eux::: et quant moi j’ai été chez moi l’année
dernière je suis allée au marché et j’ai demandé une paire de chaussures ↓
eh :: j’ai essayé une chaussure et alors je dis : eh :: peux-tu me donner la
deuxième ? en langue moldave et j’ai parlé parce qu’elle était une dame de
cinquante cinq ans russe ! et moi je dis en langue moldave ET ELLE FAIT
COMME SI ELLE NE M’AVAIT PAS ENTENDUE ! moi encore langue moldave je
dis :: s’il te plaît peux-tu me donner l’autre chaussure ? et elle dit :: +++
je ne comprends pas et moi je dis mais comment ça ! À ton âge ? ça fait
combien d’années que tu es là ? mais qu’est-ce qu’il y a :: quant tu vas en
Russie ::eh :: Russie quelle langue parles–tu ? EN RUSSIE↓ À cette âge là moi
je dis que tu n’es pas arrivée hier en Moldavie ++ tu es venue depuis trente
ou quarante ans ! alors c’est le moment ↓ pour savoir notre langue !++ et
ELLE n’a pas voulu me donner + l’autre chaussure !
Pour notre second exemple, nous commencerons par nous tourner vers
le domaine des sciences de l’éducation où la recherche-action a été définie
comme une recherche dans laquelle « il faut qu’il y ait à la fois désir de “trans-
former la réalité” “et mise en place d’un dispositif permettant de produire
des connaissances concernant ces transformations” »29. En poursuivant cette
réflexion par rapport à la place et aux objectifs de la recherche-action en didac-
tique des langues et des cultures, Stéphanie Clerc précise :
« La visée […] n’est pas de généraliser la portée des phénomènes observés
mais d’approfondir nos connaissances des effets des pratiques d’enseignement
des langues sur l’apprentissage de celles-ci, de transformer des représentations
(des langues, de l’apprentissage, de l’enseignement) et d’envisager des trans-
positions du terrain vers des savoirs pour nourrir ensuite des réflexions sur
des transpositions possibles des connaissances mises au jour, moyennant des
précautions de recontextualisation incluant les dimensions socio-éducative,
économique, politique, idéologique des nouveaux terrains envisagés.30 »
Cette précision est particulièrement importante dans le cas de la recherche-
action sur laquelle nous nous penchons ici, car elle affiche clairement une visée
formative outre celle de la transformation de la réalité, d’où son appellation de
recherche-action-formation.
Par ailleurs, notre réflexion méthodologique sur la « proximité » nous a
amenées à avancer vers ce qu’on appelle « la nouvelle recherche-action »31 qui
« intègre plus largement l’approche ethnographique et les perspectives des acteurs
sociaux32. »
tique des langues et des cultures. Approches contextualisées, Paris, Les archives contemporaines,
2011, p. 66.
28 Désormais RAF.
29 Jean-François Berthon, « Mode et méthode spécifiques de la recherche en sciences humaines :
sa pertinence dans le domaine de la formation et de l’éducation », document électronique,
in Site des Recherches-Innovations de l’Académie de Lille, 2000. Disponible sur http://www2.
ac-lille.fr/pasi/bibliographie/recherche-action.pdf ).
30 Clerc Stéphanie, Vers une didactique de la pluralité sociolinguistique. Cheminement de la didac-
tique du français langue étrangère à la sociodidactique des langues, Synthèse d’HDR, vol. 1,
Université de Provence, 2011, p. 129.
31 D’après William Carr et Stephen Kemmis, in Georges Lapassade, 1993, Familles de recherche-
action. De l’ethnographie de l’école à la nouvelle recherche-action, Document dactylographié,
Université de Paris 8.
32 Stéphanie Clerc, « La recherche-action : ancrages épistémologique, méthodologique et
éthique », in Philippe Blanchet et Patrick Chardenet (éds), Guide pour la recherche en didac-
tique des langues et des cultures. Approches contextualisées, Paris, Édition des archives contempo-
raines, 2015, p. 115.
Pour une méthodologie de la proximité ? 147
Que faire des langues et des cultures « autres » rencontrées dans nos
classes ? La recherche-action-formation (désormais RAF) L’arc-en-ciel de nos
langues - Jalons pour une école plurilingue dont est issu l’ouvrage éponyme a
réuni pendant près de 3 ans des enseignant-e-s-chercheur-e-s de l’Université
Jean Monnet et des enseignants des 1er et 2nd degrés à Saint-Étienne autour
de cette question. L’objectif de la recherche était de récolter, formaliser puis
diffuser des pratiques enseignantes à succès dans la mobilisation des langues et
des cultures des élèves allophones en classe, afin de mettre ainsi à disposition
des enseignant-e-s le travail fait par d’autres enseignant.e.s.
Terrain et proximité
Ainsi, il n’y aurait pas de rôles dévolus dès le départ du fait du statut social
et professionnel des personnes participant à la recherche. Dans la RAF, L’arc-
en-ciel de nos langues, tout le monde est chercheur.e et acteur/trice du terrain à
la fois. Cette situation peut sembler invraisemblable et trop optimiste, surtout
au début, lorsque les participant.e.s arrivent sur le terrain de la recherche
avec des rôles sentis comme « inévitablement » prédéterminés du fait de leur
statut professionnel. Or, la proximité qui s’établit entre eux/elles au cours de
la recherche contribue à modifier cette perception initiale et par conséquent
à neutraliser cette hiérarchie supposée de leurs rôles. Ce n’est donc pas une
recherche menée sur des personnes, mais avec des personnes, ce qui confère
un caractère foncièrement collaboratif à chaque étape de son déroulement :
« (1) une co-observation-description-compréhension du contexte, sur laquelle
on revient régulièrement (suite par exemple à l’introduction de nouvelles
pratiques) ; (2) une co-construction de l’objet de recherche avec des acteurs
du terrain pour (identification de manques ou problèmes perçus) ; (3) une
co-élaboration d’une ou d’action(s) innovante(s) pour le terrain investi ;
(4) une co-analyse-évaluation des effets de ce qui a été mis en œuvre.34 »
Pour illustrer le travail effectué lors de la « co-observation-description-
compréhension du contexte » pendant la RAF qui s’est déroulée à Saint-
Étienne, penchons-nous sur trois extraits tirés de deux entretiens réalisés vers
la fin de la 1re année : le premier avec un enseignant n’ayant pas participé à
la RAF (désigné par E1), le second avec une enseignante ayant participé à
la RAF (E2). On peut constater que deux discours opposés sur la variation
linguistique émanent de leurs propos :
Extrait 3
E1. y a des Roms qui parlent le langage de la rue comme par exemple j’m’en
fous fiche moi la paix + c’est pas dit méchamment + ils vivent dans la rue ils
ont pas de maison donc ils parlent le langage de la rue + ils sont pas censés le
savoir je leur dis c’est des bêtises tu peux pas parler comme ça.
E1 affiche une vision étriquée de la variation linguistique qui se résume
pour lui à des mots et expressions appartenant à certains registres « extras-
colaires » chez les élèves. De bonne volonté, mais non dépourvu d’idées
préconçues sur l’origine de ses élèves à qui il impute ce langage de la rue, il
34 Ibid.
Pour une méthodologie de la proximité ? 149
Extrait 5
E4. En récré ? … plus ils parlent roumain dans la cour, moins ils ont des
copains français car ça les exclut des autres…
Notons tout de même que si une tendance dévalorisante se dessine à travers
les discours récoltés lors de cette phase, les discours valorisants ne sont pas pour
autant absents de la réflexion des enseignant.e.s. De plus, à la fin de la 2e année
de la RAF, la tendance semble s’inverser comme en témoignent les interactions
enregistrées lors d’une activité portant sur le conte Le Petit Chaperon Rouge en
plusieurs langues (l’élève est désigné par A1, l’enseignante par E) :
Extrait 6
E aujourd’hui nous avons invité D + qui est albanaise comme G et M + qui va
raconter l’histoire du Petit Chaperon rouge + c’est une histoire que vous allez
écouter en albanais + langue de vos deux copains de classe et que vous vous
mettiez du coup à la place de M et G + qui ne comprenaient pas du tout le
français quand ils sont arrivés en classe au début.
E qu’est-ce qu’il y a dans le panier du petit chaperon rouge en albanais.
A1 une galette et du miel.
E en français on met quoi.
La proximité de la langue de l’autre devient ainsi une occasion pour déve-
lopper l’empathie et l’ouverture culturelle dans la classe et un objet d’étude
pour les acteurs de la RAF.
Comme nous avons tenté de le montrer, la proximité a été au cœur des
différentes phases de la recherche : elle a permis de construire un corpus
complexe et qui prenne en compte l’évolution des acteurs, d’aboutir à des
résultats nuancés, d’interroger la place des acteurs/trices dans leur dynamique.
35 Marielle Rispail, « Les langues c’est une souffrance. Les vicissitudes d’une jeune berbère en
France », in Leila Messaoudi, Marielle Rispail (éds), Des langues minoritaires en contexte pluri-
lingue francophone, Mélanges en hommage à Ahmed Boukous, Cahiers de Linguistique, 42-1,
Louvain-La-Neuve, Ème Éditions, 2016, p. 251.
36 Entretien non publié avec François Jullien réalisé par Claude Fintz à Grenoble.
152 Marielle Rispail, Marine Totozani, Valeria Villa-Perez
Mais elle a aussi à voir avec les éclairages, jamais trop divers ou nuancés,
que peut lui apporter le faisceau convergent des Sciences humaines et de leurs
corollaires les plus fins. Ce travail interdisciplinaire n’est pas une des moindres
promesses ouvertes par la proximité.
Marielle Rispail
CELEC (EA 3069) et DIPRALANG (EA739) Montpellier 3
Université Lyon UJM Saint-Étienne
marielle.rispail@univ-st-etienne.fr
Marine Totozani
CELEC (EA 3069)
Université Lyon UJM Saint-Étienne
marine.totozani@univ-st-etienne.fr
Valeria Villa-Perez
CELEC (EA 3069)
Université Lyon UJM Saint-Étienne
valeria.villa@univ-st-etienne.fr
Résumé
Dans cette contribution nous présentons des réflexions sur les manifestations des méthodo-
logies de la proximité en sociolinguistique et en sociodidactique des langues. Ces réflexions
méthodologiques et épistémologiques s’appuient sur deux recherches : une enquête de terrain
réalisée en Italie auprès de migrants adultes et une recherche-action-formation menée dans
différentes écoles de la ville de Saint-Étienne avec des enseignants et des élèves allophones
nouvellement arrivés.
Mots-clés
Proximité, approche qualitative, enquête de terrain, recherche-action-formation, migrants.
Abstract
In this paper we present some considerations on how the “methodologies of proximity” manifest
themselves in languages’ sociolinguistics and sociodidactics. These methodological and epistemologi-
cal considerations are based on two studies: a field survey conducted in Italy with adult immigrants
and an action research carried out in different schools of Saint-Étienne with teachers and allophone
children who had recently arrived in the country.
Keywords
Proximity, qualitative approach, field research, action research, immigrants.
Rencontre
Vieux démons, nouveaux défis
dans l’enseignement des langues
Vers une didactique réticulaire
Pierre Martinez
Langues vivantes :
Les malheurs de la France viennent de ce qu’on n’en
sait pas assez.
Innovation :
Toujours dangereuse.
G. Flaubert, Dictionnaire des idées reçues.
1 Pierre Martinez, La Didactique des Langues Étrangères, Paris, PUF, 1996. Une 8e édition de cet
opuscule, fortement remanié dans ses orientations scientifiques, est parue en novembre 2017,
ainsi que, début 2018, un ouvrage intitulé Un regard sur l’enseignement des langues. Des sciences
du langage aux NBIC, Paris, Éditions des Archives Contemporaines. Le titre lui-même dit assez
quel déplacement épistémologique est opéré dans ce dernier volume : le concept de didactique
réticulaire, esquissé dans le présent article, y est, bien entendu, plus largement explicité.
2 Qu’il me soit permis de remercier particulièrement la Professeure Mariella Causa, respon-
sable au plus haut niveau de ce qui peut faire avancer la connaissance du champ didactique à
l’Université Bordeaux Montaigne et le Professeur Sandro Landi, directeur de l’École Doctorale
Montaigne-Humanités.
158 Pierre Martinez
3 Par exemple : Christian Puren, Histoire des méthodologies de l’enseignement des langues, Paris,
Nathan-CLE international, 1988. Claude Germain, Évolution de l’enseignement des langues :
5000 ans d’histoire, Paris, CLE international, 1993.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 159
lisée (ou, pis encore, atopique, sans contexte) ne fait pas sens. C’est l’ornitho-
logie sans l’air et sans la pesanteur. On le comprendra mieux par la suite, mais
les exemples que l’expérience de terrain peut en fournir ne manquent pas, à
commencer par celui que donnent, à l’heure actuelle, l’Union Européenne et
son texte-phare (pour ne pas dire son mantra), le CECRL.4
Le discours de la DLES reste donc en voie de formation, il n’est ni figé
sur une théorie (fût-elle le nec plus ultra actuel que semble être l’approche
actionnelle), ni passéiste en ce qu’il regretterait la perte de ses fondamentaux
anciens, notamment la relation historique du pédagogue, du maître (magister)
à son élève (discipulus). Il me resterait à expliquer le choix de mon titre, mais
peut-être les mots « vieux démons, nouveaux défis » parleront-ils tout seuls au
long des pages : promesses et dangers, pour et contre, avant et après, contra-
dictions, questions non résolues, difficultés en vue.
Pour en venir à l’organisation de mon propos, j’adopterai très simple-
ment quatre angles d’approche. Ils correspondent au trajet personnel que j’ai
mis en regard de l’évolution du domaine de la DLES.5 À travers quatre types
d’expériences, longues et prenantes, sur le plan des savoirs et, plus encore,
des contacts et des enrichissements culturels et scientifiques, j’entends ainsi
donner l’idée de ce que j’ai pu vivre sur quatre continents, comme enseignant,
chercheur et formateur d’enseignants. Si la diversité des contextes conditionne
l’intervention, il m’appartiendra de mettre en évidence, de donner à sentir, à
partir d’une série d’exemples regroupés thématiquement, comment la didac-
tique s’attache non pas à commander l’humain, mais à organiser les choses.6
Il me semble que le dégagement de la problématique dont j’ai parlé plus
haut sera peut-être utile aux jeunes chercheurs, en master ou en thèse, en ce
qu’il illustre une posture ou une position de recherche qui réunit expertise
(toujours imparfaite) et expériences (toujours à poursuivre). À l’instar de son
objet, le discours tenu dans ce texte, loin de trop grandes certitudes, reste
toujours en évolution, ouvert à un horizon d’attente mais certainement pas à
une quelconque doxa. Il sera, je l’espère en tout cas, une occasion d’approfon-
dir leur réflexion pour ceux qui s’engageront dans cette voie et dans ce métier
(au sens de ministerium, autant une vocation qu’une fonction) aux facettes
variées, leur faisant se souvenir toujours des mots de Dante Alighieri, qui
n’aimait pas moins le doute que les certitudes.7
4 CECRL : Cadre Européen Commun de Référence pour les langues, Conseil de l’Europe, Division
des Politiques Linguistiques, Strasbourg, 2001.
5 La linéarité chronologique est évidemment parfois mise de côté au profit du regroupement
thématique.
6 Pierre Martinez, « Contextualiser, comparer, relativiser : jusqu’où aller ? », in Philippe Blanchet
et Patrick Chardenet (éds), Guide de recherche en didactique des langues et des cultures : une
approche contextualisée, Paris, EAC, édition 2011, p. 509-517.
7 « Che non men che saper, dubbiar m’aggrada. », Enfer, XI.
160 Pierre Martinez
Une permanence des questions s’impose donc. J’en retiens trois. D’abord,
la question théorique, qui pousse à constater l’extension épistémologique
d’un domaine dont les objets, les processus et les méthodes sont en constante
redéfinition au fil des mutations. Ainsi, il y a la DLES avant et après l’appa-
rition du numérique, qui fait que l’apprenant n’est plus tout à fait le même
en face-à-face et dans un dispositif collaboratif ; il y a les interrogations qu’on
éprouvera au vu de sa diversité : il s’agit aussi de savoir par quel bout prendre
les connaissances, les phénomènes, les opérations, avec le sentiment qu’on
a toujours plus d’information mais toujours moins de compréhension ; il y
a, enfin, les problèmes que pose sa transmission, dans la médiation, dans la
formation. En somme, la grande quantité des variables relatives à l’extension,
à la diversité, à la transmission (même si cette quantité de variables est certes
assez commune dans les sciences qui touchent à l’humain) donne bien l’im-
pression d’appréhender – métaphore certes assez policière – les contours d’un
domaine dont la complexité se refuse à l’analyse.
Or le mouvement de complexification s’est accéléré brutalement avec de
récentes transformations qui ne sont pas que de surface, et une offre méthodo-
logique élargie renouvelle ces thèmes de réflexion ou en impose de nouveaux,
naguère insoupçonnés. Ainsi en est-il des interactions dans le processus de
transmission des savoirs et de leur traitement quand il fait intervenir à la fois
le formateur, l’apprenant, la machine, le réseau social (qui fait quoi à quel
moment et pourquoi ?). Ainsi en-est-il également de l’évaluation des perfor-
mances en langue étrangère quand on passe de la copie, de la dissertation ou du
Questionnaire à Choix multiple (QCM) à des productions qui font intervenir
des dispositifs autonomes ou informels, fondés sur la mobilité, la collaboration
ou la pédagogie de projet (comment évaluer un stage ou un travail de groupe ?).8
Penser la DLES…
Avant tout, peut-être convient-il de préciser ce qu’on entend dans ces lignes
par langue étrangère et langue seconde, car cette démarcation est de celles qui
amènent, au premier chef, à distinguer des contextes, des interventions et des
théorisations différentes et contribuent à la complexité évoquée ci-dessus. Le
lecteur bien informé de ces questions me pardonnera cette précaution.
Il faut partir de l’ancrage social des termes pour bien comprendre leur
signification et leurs effets sur le répertoire linguistique des individus et les
contextes d’apprentissage évoqués plus loin dans cet article. Classiquement,
on désigne comme langue première celle qui a été acquise chronologique-
8 J’ose à peine mentionner le rôle que pourraient prendre les métadonnées (analyse du processus
d’apprentissage et des conditions de production de la performance) et les mégadonnées (« big
data » autour de l’apprenant) dans l’évaluation actuelle d’une performance langagière.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 161
9 Référence, bien entendu, à l’ouvrage fondateur de Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire.
Économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982.
10 Sur la notion de langue seconde : Jean-Pierre Cuq, Le français langue seconde. Origine d’une
notion et implications didactiques, Paris, Hachette, 1991. Pierre Martinez (éd.), Français langue
seconde : apprentissage et curriculum, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003.
162 Pierre Martinez
se construisent deux images qui finissent par se confondre. Avec l’humilité qui
convient, c’est ainsi que ma représentation de l’évolution de tout un domaine
scientifique a évolué avec ce qui pouvait m’apparaître, de New York à Pointe-
à-Pitre, d’Alger à Hanoï, de Paris 8 à Djibouti, acteur – parmi d’autres – de
ce domaine.
Par commodité, j’énumère ces ensembles qui seront, successivement :
1) L’Occident, entendu comme intégrant l’Europe et l’Amérique du Nord
et des zones périphériques pour lesquelles l’analogie est possible.
2) Les mondes créoles, limités en l’occurrence, à mon expérience aux
Antilles, à la Réunion, à l’Ile Maurice et à Haïti.
3) L’Afrique, avec le Maghreb, l’Éthiopie, Djibouti et l’Afrique de l’Ouest.
4) Enfin, une partie de l’Asie, celles du Sud-Est et du Nord-Est surtout,
comprenant l’Inde, la Corée, le Japon et le Vietnam.
Au delà des simplifications qu’impliquent ces regroupements (les pays
du Maghreb offrent beaucoup de similitudes mais aussi de différences), la
réflexion portera sur ce qu’ils ont pu m’aider à comprendre après coup, bien
sûr, dans quatre secteurs essentiels, étant entendu que des questions tout aussi
importantes ont dû être mises ici de côté :
1) La conceptualisation d’une épistémologie (l’épistémè est, on le sait, le
processus de fabrication, de construction du savoir d’un domaine :
objets, méthodes, résultats.)
2) L’au-delà des frontières disciplinaires, ensuite, qui autorise à étendre
l’empan de l’observation et à opérer un dessillement du regard, comme
dit Péguy.
3) D ans un troisième temps, les problèmes d’ingénierie éducative de terrain,
sur lesquels j’ai eu particulièrement l’occasion de travailler autour de
projets de développements économiques et culturels internationaux.
4) Enfin, autour de la notion de « contexte », même si le mot met mal en
valeur sa richesse sémantique, trois types de questions s’agrègent : le
géopolitique, le cognitif notamment dans sa dimension ethnologique,
le numérique. J’y reviendrai plus loin.
Il est alors étrange, pour moi, d’éprouver sur le terrain, aux États-Unis,
combien cette approche est minoritaire : la DLES dominante à New York m’y
apparaît empreinte de linguistique bien plus que d’innovation méthodologique
et de recherche de la différence culturelle. Ou du moins, si elle s’intéresse à la
figure de l’autre, c’est sous l’angle des stéréotypes, presque sous l’angle de l’exo-
tisme, l’image de la langue française étant celle du bon goût, d’un « chic » que
je retrouverai en Asie bien des années plus tard. La passion des intellectuels de
l’époque pour la French Theory, la lecture de Roland Barthes, de Jacques Derrida,
de Jean-Michel Foucault et le capital culturel français (Langlois vient parler à
New Paltz de la Cinémathèque et de la Nouvelle Vague) domine la pratique de
la langue elle-même, dans un Département universitaire qui fédère, dans une
heureuse ouverture d’esprit, les études de Romance Languages.14
Parallèlement, en France, on est passé successivement à une méthodolo-
gie audio-visuelle de deuxième génération et, comme au XIXe siècle, où les
méthodes de Berlitz étaient nées quand on put sillonner l’Europe en chemin
de fer, c’est dans les années 75-80 qu’apparaissent des programmes européens
de langues étrangères destinés aux migrants et à la mobilité des travailleurs. La
DLES oblige à aller voir ailleurs, se déporter vers d’autres réalités, du côté, du
sociétal, de la politique et de l’économie.
14 James Simpson (éd.), The Handbook of Applied Linguistics, Abingdon. Routledge, 2011. Voir
spécialement : Scott Thornbury, « Language Teaching methodology », p. 185-199.
15 Daniel Coste et Robert Galisson (éds) publient en 1976 un dictionnaire – fondamental – de
didactique des langues.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 165
16 La Professeure Geneviève Zarate allait y créer l’équipe de recherche multilingue Plidam dont
j’accompagnerais bien plus tard les travaux.
166 Pierre Martinez
celles des aires postcoloniales. Paris 8 est une université-monde où les étudiants
apportent autant qu’ils prennent : diriger des thèses pour le Congo, l’Égypte, la
Palestine ou le Niger est source d’un élargissement scientifique incomparable.
Puis un peu inopinément, survient en 1998 le Processus de Bologne d’har-
monisation des enseignements supérieurs et naît l’ambition européenne du
Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL). Le corpus
théorique de la DLES incline rapidement à s’appuyer alors sur une politique
européenne des langues qui va lui donner de nouveaux outils et de nouvelles
thématiques, et changer partiellement ses objectifs et ses orientations. Les
descripteurs, les échelles de compétences, l’approche nouvelle dite « action-
nelle », faisant l’hypothèse que l’apprenant va employer socialement la langue
apprise, le concept d’apprenant acteur de sa mobilité ont-ils à ce jour provoqué
une véritable révolution ? On en jugera difficilement. La diversité linguistique
passe pour devenir un mode d’être à l’Europe multilingue et multiculturelle.
En tout état de cause, la DLES est vue comme une discipline d’interven-
tion sociale.17 L’esprit qui est celui de l’université Paris 8, ancrée au nord de la
capitale, va bien dans cette direction. Enseigner, didaskein en grec et in-signare
en latin, c’est, très concrètement, signaler, donner du sens, donner un sens.
Non pas lire son manuel devant une classe glacée. Faire de la langue une langue
vivante. Ces années à Paris 8 (qui n’est pas le seul lieu, bien sûr, où les choses se
soient passées ainsi), c’est aussi, avec le Département FLE/Communication,
le temps de relire les précurseurs, Carl Rogers, Célestin Freinet, John Dewey,
la démarche de projet, les pédagogies dites alternatives qui explorent d’autres
voies. Les sciences du langage restent bien présentes, mais l’esprit est ouvert, au
delà des territoires académiques. Dans les bureaux, à côté du mien, des collè-
gues de sciences de l’éducation, un psychanalyste… Molière, à la rescousse :
Laurent, ne serrez pas ma haire avec ma discipline…
17 Pour un point de vue général : Dominique Macaire, Jean-Paul Narcy-Combes et Henri Portine
(éds), Interrogations épistémologiques en DDL, Le français dans le monde, Recherches et Applications,
n° 48, 2010.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 167
24 Pierre Martinez, Langues et société aux Antilles. Saint-Martin, Paris, Maisonneuve et Larose,
1994.
170 Pierre Martinez
25 Voir généralement : Pei-Tseng Jenny Hsieh, Education in East Asia, Londres, Bloomsbury,
2013.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 171
Japon, l’homogénéité
J’ai retrouvé plus tard au Japon cette volonté de voir s’enrichir l’offre de
formation en langues étrangères, de développer une culture éducative ouverte,
qui rompe avec la compétition entre langues européennes dans des pays où elles
ont du mal à se faire une place. En Asie, l’étudiant.e a d’abord un large choix à
faire entre les langues asiatiques elles-mêmes avant de songer à apprendre une
26 Pierre Martinez (éd.), Dynamique des langues, plurilinguisme et francophonie. La Corée, Paris,
Riveneuve, 2013.
172 Pierre Martinez
Vietnam, l’élargissement
27 Yukichi Fukuzawa, Plaidoyer pour la modernité, Paris, CNRS, 2008. On lira plus commodé-
ment : Pierre-François Souyri, Moderne sans être occidental. Aux origines du Japon d’aujourd’hui,
Paris, Gallimard, 2016.
28 CREFAP/OIF : Centre Régional Francophone Asie-Pacifique, Organisation Internationale de
la Francophonie, Ho Chi Minh Ville. http://crefap.org/accueils.html ; AUF régionale Asie-
Pacifique, Bureau de Hanoï. https://www.auf.org/asie-pacifique/.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 173
(cette hominiscence dont parle Michel Serres)31, c’est le soldat augmenté, dont
la mémoire, la vision, la fatigue sont déjà modifiées, transformées, par les
nootropiques, vitamines, molécules de synthèse, puces intradermiques et
entraînement : rêve ou cauchemar ? On n’en jugera pas ici.32
Voici donc, comme les fantômes de Murnau, qui attendaient Nosferatu
de l’autre côté du pont, les vieux démons de la DLES. Regardons-les.
D’abord, une épistémologie « plate », parce qu’elle souffre à mon sens,
de ne pas se frotter à la comparaison avec d’autres mondes. Construire une
théorie générale imposerait qu’on veuille bien se glisser entre énonciation
(conditions de la production, en situation historique et ethnoculturelle) et
cognition (dans un processus multifactoriel : âge, genre, biographie, motiva-
tion, finalités de l’apprentissage, etc.).
La DLES lutte encore contre la monoculture scientifique qui a fait d’elle un
domaine trop longtemps « discipliné ». Heureusement, les choses évoluent, à la
faveur de la troisième révolution qui l’affecte, celle des NBIC après la linguis-
tique et les sciences sociales du XXe siècle. Elle semble avoir admis la complexité,
qu’elle analyse (décompose) pour être capable de résoudre et d’anticiper.
Enfin, la DLES doit se forcer parfois à accepter l’innovation, et l’éduca-
tion en langues n’échappe pas aux résistances qu’avait dévoilées, voici long-
temps, Everett Rogers. Comme une économie de la connaissance ne suffit
pas, il faut savoir, interpréter et diffuser.33 Il resterait à évaluer dans quelle
mesure le présent moment de la vie de la DLES correspond à une de ces
phases du paradigme que Thomas Kuhn appelle la « science extraordinaire »,
où la recomposition du paradigme en crise est en train de s’opérer.34 Je le crois
personnellement, parce qu’il ne me semble pas envisageable que soit prolongé
longtemps le modèle épistémologique que nous avons connu. On peut bien
sûr penser autrement. J’appelle cela se mettre la tête dans le sable.
J’en viens à l’épilogue d’un parcours. De retour à Dante et à son goût pour
le doute plus que pour le savoir, ce parcours amène à se poser des questions,
qui sont autant de défis :
1) Quelle est la valeur actuelle de notre éducation en langue étrangère ?
Qu’apporte-t-elle ? Permet-elle d’entendre l’altérité, de rencontrer l’autre ?
Quel doit être le rôle des éducateurs médiateurs de cette rencontre dans les
31 Michel Serres, Petite Poucette, Paris, Le Pommier, 2013. Michel Serres, Le gaucher boiteux.
Figures de la pensée, Paris, Le Pommier, 2015.
32 Éric Sadin, L’humanité augmentée, Paris, L’Échappée, 2013. Séminaire militaire, Paris, 19 juin
2017 : https://iatranshumanisme.com/2017/06/14/seminaire-sur-le-soldat-augmente/.
33 Everett M. Rogers, Diffusion of Innovations, NYC, Free Press, 1962, 2003. Ouvrage recensé
dans Essais 1/I, 2012. Pierre-Yves Citton, L’avenir des humanités. Économie de la connaissance
ou cultures de l’interprétation ?, Paris, La Découverte, 2010.
34 Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Champs Flammarion, 1962, éd.
fr., 1983.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 175
Les nouveaux défis traînent à leur suite, on le voit, bien des préalables
à l’intervention didactique. Je tirerais de ce programme de travail, qui peut
sembler un peu de l’ordre de l’incantation, un principe dominant : il doit
conduire à développer et articuler toujours plus efficacement la recherche
universitaire, la décision politique et l’action éducative.
Au delà de ces défis – la valeur, les finalités, la transition, la recherche – il
est périlleux de dessiner l’avenir. S’il fallait se risquer à pointer du doigt un
dénominateur commun de la pensée occidentale contemporaine en matière
d’éducation en langues, ce serait, à mon sens, du côté de la construction de
l’individu, de la personne, qu’on pourrait chercher. L’hypothèse me semble
pouvoir être étayée par notre histoire culturelle, la romanitas, qui ne se fonde
pas sur une seule langue, la diversité politique de la France du Traité de Verdun
à l’abbé Grégoire, le goût pour le plurilinguisme, avec latin, français, anglo-
américain successivement érigés en lingua franca, au fil du temps, etc. D’autres
visions humanistes de l’étude des langues étrangères peuvent se rapprocher
de celle-ci à certains égards, mais s’en détachent profondément à d’autres :
traditions de la medersa arabo-islamique, force de l’écrit qui fait le lettré dans
le monde des sinogrammes, esprit confucéen jouant sur les hiérarchies et les
apprentissages. Il me semble avoir côtoyé ces différences, mesuré ces écarts, un
peu compris ces différences.
Parce que l’horizon d’attente de ma réflexion, on l’aura compris, est orienté
non par une méthodologie qui serait la panacée (éternellement) espérée, mais
par une philosophie de l’éducation en langues, l’hypothèse de travail que je
soumets pour la DLES est celle d’une didactique organisée en réseaux. J’ai,
de ce point de vue, le sentiment que les propositions d’un physicien mais
aussi un grand penseur que fut Werner Heisenberg, peuvent nous aider à y
voir clair.38 Cette philosophie fonctionnerait sur la base de réseaux de réalité
analysés comme système. Tel qu’Heisenberg le représente, le monde n’est pas
fait de choses « matérielles » mais seulement de connexions nomologiques,
pas de substances, mais d’objets en relation. Seul l’agencement de ces objets
(les moyens, les concepts) permet de construire une représentation du réel et
cette façon de penser la DLES dans une approche connexionniste, je l’appelle
didactique réticulaire.
Elle renvoie aussi à ce que dit Antoine Compagnon de la théorie, qui ne
doit pas être un système de réponses mais un cadre de questions.39 Si ce texte
peut donc ouvrir sur quelque conclusion, c’est à une constante restructuration
de notre domaine qu’il invite et non à une théorie toute faite. Cette DLES
en mouvement, donnant sens et réalité à ses moyens et à ses concepts en les
38 Werner Heisenberg, Le manuscrit de Nuremberg, 1942, rééd. Paris, Allia, 2010, p. 13-14.
39 Antoine Compagnon, Une question de discipline. Entretiens avec Jean-Baptiste Amadieu, Paris,
Flammarion, 2013, p. 121.
Vieux démons, nouveaux défis dans l’enseignement des langues 177
Pierre Martinez
Professeur émérite Université Paris 8 - Saint-Denis
Sciences du Langage et Didactique des Langues
pierre.martinez@univ-paris8.fr
http://site-pierrealainmartinez.strikingly.com/
Résumé
Ce texte met un trajet personnel, professionnel et scientifique, en regard avec celui qu’a connu
depuis plusieurs décennies la Didactique des Langues Étrangères et Secondes. Dans un même
mouvement, des points de vue – épistémologie, disciplines, ingénierie, contextes – et des
horizons linguistiques et culturels de nature à les éclairer sont présentés. Trois révolutions
ont impacté le domaine : sciences du langage, sciences humaines et sociales, technosciences
cognitives et informatiques. Mon hypothèse actuelle est que seule une didactique de mise en
réseaux (« réticulaire »), appuyée sur le numérique, peut structurer une éducation en langues
intégrative et cohérente.
Mots-clés
Langues étrangères et secondes, paradigme, didactique réticulaire, éducation en langues.
Abstract
This text matches a personal, professional and scientific path with that experienced for several
decades in the Teaching of Foreign and Second Languages. In a same movement, points of view
–epistemology, disciplines, engineering, contexts– and linguistic and cultural horizons that can
enlighten them are presented. Three revolutions impacted the field: language sciences, human and
social sciences, cognitive and computer technosciences. My hypothesis is that only a didactic of
networking (“reticular”), supported by digital means, seems now able to structure an integrative
and coherent TFSL.
Keywords
Foreign and second languages, paradigm, reticular didactics, language education.
Varia
La complexité énonciative et
structurelle dans les romans de
la première moitié du XXe siècle
À travers L’Atlantide de Pierre Benoit
et L’Immoraliste d’André Gide
Imène Djebbar
:ﻣﻠﺧص
وﺑﺎﻟرﺳﺎﻟﺔ ﻋﻧﮫ،ﺑﻣﺎ أن اﻷدب ﻓﻲ اﻟﻧﺻف اﻷول ﻣن اﻟﻘرن اﻟﻌﺷرﯾن ﻛﺎن أﻗل اھﺗﻣﺎﻣﺎ ﺑﺎﻟﻣﺣﺗوى اﻟﺧﯾﺎﻟﻲ ﻣﻧﮫ ﺑﺑﻧﯾﺔ اﻟﻧص
. ﯾﻘﺗرح ھذا اﻟﺑﺣث دراﺳﺔ اﻟﺗﻌﻘﯾد اﻟﻣﺗﻌﻠق ﺑﮭذه اﻷﺧﯾرة و ﻛذا ذﻟك اﻟﻣﺗﻌﻠق ﺑﺑﻧﯾﺔ اﻟرواﯾﺔ ﻓﻲ اﻟﻔﺗرة اﻟﻣذﻛورة،ﺑﺎﻟوﺿﻌﯾﺔ اﻟﺗواﺻﻠﯾﺔ
ﯾﻌﻧﻰ اﻟﻣﻘﺎل اﻟﺗﺎﻟﻲ ﺑدراﺳﺔ اﻟﺻﻠﺔ ﺑﯾن اﻟﺳرد واﻟﺷﻛل واﻟﺑﻧﯾﺔ ﻋﻠﻰ ﻣﺳﺗوى رواﯾﺗﯾن ﻻﻣﻌﺗﯾن ﻣن اﻟﻧﺻف اﻷول ﻣن،ﻣن أﺟل ھذا
. "اطﻠﻧطس" ﻟﺑﯾﺎر ﺑوﻧوا و "ﻟﯾﻣوراﻟﯾﺳت" ﻷﻧدرﯾﮫ ﺟﯾد:اﻟﻘرن اﻟﻌﺷرﯾن
. اﻟﻮﺣﺪة اﻟﻤﺴﺘﻘﺒﻠﺔ، ﺗﻌﺪد اﻻﺣﺘﻮاء اﻟﺘﻮاﺻﻠﻲ، اﻟﺸﻜﻞ، اﻟﺒﻨﯿﺔ، ﻋﺪم اﻟﺘﺠﺎﻧﺲ اﻟﺘﻮاﺻﻠﻲ، اﻟﺒﻮﻟﯿﻔﻮﻧﯿﺎ:اﻟﻜﻠﻤﺎت اﻟﻤﻔﺘﺎﺣﯿﺔ
1 Denis Labouret, Littérature française du XXe siècle, Armand Colin, Paris, 2013.
182 Imène Djebbar
6 Ibid., p. 69.
7 Pierre Benoit, L’Atlantide, ENAG, Jeune, Algérie, 1988, p. 195. (Nous soulignons)
184 Imène Djebbar
propre voix. Nous constatons que le discours de ce roman n’est pas, non plus,
monodique même si « à certains moments il peut y avoir une fusion presque
totale des voix17. »
Aussi, il est important de signaler que le type d’hétérogénéité énonciative
trouvé dans le roman d’André Gide est le même que celui trouvé dans le roman
de Pierre Benoit. Il consiste en l’hétérogénéité montrée marquée. Cela est dû à
l’insertion explicite de chaque voix à l’aide de caractères typographiques (une
section pour chaque voix) : la préface pour la voix extérieure de l’écrivain, la
lettre pour la voix de l’ami de Michel et le récit principal avec ses trois parties
pour Michel (1re partie : voyage de Michel et à sa maladie/guérison, 2e partie :
retour de Michel de son voyage, 3e partie : maladie de Marceline et reprise du
voyage). En outre, l’instance responsable de l’organisation interne du récit in
entenso serait l’ami de Michel car il transcrit un récit oral. Le statut « conteur »
et « narrateur second » de celui qui prend en charge la narration du récit oral
l’empêche de remplir une fonction organisatrice du récit.
Nous remarquons, d’après ces deux romans, que la structure intéressait
tant au début du XXe siècle ; elle intervient dans l’organisation du contenu
et l’aménagement interne du récit. En observant la diversité des outils struc-
turels qu’utilisaient les auteurs de cette période dans la construction de leurs
fictions, nous comprenons qu’ils veillaient à ce que leur récit soit reçu sans la
moindre confusion ou dénaturation. Pour ce faire, ils ne trouvaient pas mieux
que les techniques structurelles pour que le contenu de leurs fictions advienne
à leur lectorat de la manière la plus correcte possible. À cet effet, il convient
de dire que les auteurs de cette partie du siècle s’intéressaient aussi bien à l’ins-
tance réceptive qu’à l’instance narratrice.
17 Cité dans Mikhaïl Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, op. cit., p. 136.
18 Gérard Genette classe les deux fonctions jakobsoniennes « phatique » et « conative » sous
l’appellation générique de fonction communicative étant donné qu’elles concernent les deux
protagonistes de la situation narrative. Figure III, op. cit., p. 262.
19 Lucien Dallenbäch, Le récit spéculaire. Essai sur la mise en abyme, Seuil, Poétique, Paris, 1977,
p. 29.
188 Imène Djebbar
20 Les deux instances (narrataire, lecteur virtuel) sont différentes mais peuvent se confondre dans
le cas d’un narrataire extradiégétique. Gérard Genette le confirme dans Figure III, op. cit., p. 266.
21 Ibid., p. 265.
22 Ferrières occupe le statut de narrataire dans le récit de Saint-Avit (récit principal) et aussi dans
le récit de Châtelain (récit secondaire). Quant à Saint-Avit, il est narrataire dans chacun des
récits suivant : celui de Morhange, celui de M. Le Mesge, celui de l’Hetman de Jitomir, celui
de Rosita et celui de Tanit-Zerga.
23 Gérard Genette, Figure III, op. cit., p. 262.
La complexité énonciative et structurelle dans les romans de la première moitié du XXe siècle 189
Ferrières
(Auditeur puis narrateur)
Châtelain SE11
Grandjean
Saint-Avit
(Auditeur puis conteur)
SE1 SE1
SE1 SE1 SE1 SE1
Morhange / M. Le Mesge / l’Hetman de Jitomir / Rosita / Tanit-Zerga / Cegheïr-ben-Cheïkh
28 Sujets Immédiat et médiat, appellations d’Anne Ubersfeld dans Lire le théâtre I, Belin, Belin
Sup, Paris, 1996, p. 187-188.
29 Nous préférons l’utilisation de ce terme en se basant sur la précision apportée par Tzevetan
Todorov : « … la connotation se ramène alors aux propriétés exprimées par un nom, par oppo-
sition à la dénotation qui désigne la relation entre le nom et ce qu’il dénomme. », in Littérature
et signification, Larousse, Langue et langage, Paris, 1967, p. 29. (Nous soulignons)
192 Imène Djebbar
Pour conclure, il est avant tout important de désigner l’élément majeur qui
se trouve à l’origine de la complexité énonciative et structurelle caractérisant
les deux romans de notre corpus. Ce faisant, nous réussirons à discerner l’une
des raisons qui contribuent à la complexité au niveau structurel de la plupart
Imène Djebbar
Université Bordeaux Montaigne
Oran 2 Mohamed Ben Ahmed
djebbarimene@yahoo.fr
196 Imène Djebbar
Résumé
Puisque la littérature de la première moitié du XXe siècle s’intéressait moins au contenu
fictionnel qu’à la structure de l’œuvre, moins à l’énoncé qu’à la situation d’énonciation, cette
recherche se propose d’étudier la complexité énonciative et structurelle dont faisait preuve le
roman de cette période. Pour cela, il s’agit dans cet article d’interroger le lien existant entre
narration, forme et structure dans deux romans illustres de la première moitié du XXe siècle :
L’Atlantide de Pierre Benoit et L’Immoraliste d’André Gide.
Mots-clés
Polyphonie, hétérogénéité énonciative, structure, forme, mise en abyme énonciative, instance
réceptive.
Abstract
Since the literature of the twentieth century first half was interested to the structure of the novel
more than its fictional content, to the situation of enunciation more than the statement itself, this
research proposes to study the enunciative and structural complexity of early twentieth century novel.
For this purpose, this article examines the relationship between narrative, form and structure in
two illustrious novels of the 20th century first half: L’Atlantide of Pierre Benoit and L’Immoraliste
of André Gide.
Keywords
Polyphony, enunciative heterogeneity, structure, form, enunciative mise en abyme, réceptive
instance.
Comptes rendus
Comptes rendus
La première partie offre quelques éclairages théoriques sur des questions autour
du plurilinguisme que l’on se pose en tant qu’enseignants. Le discours tenu est
volontairement accessible aux non-linguistes curieux, qui pourront s’approprier
avec aisance les quelques concepts clefs du plurilinguisme. Cette première partie
veut faire un tour d’horizon de diverses questions liées à la rencontre des langues
dans la classe : en commençant par un aperçu de quelques préjugés ambiants
pour les déconstruire peu à peu et faire affleurer de nouvelles questions.
La deuxième partie compile des fiches pédagogiques issues d’activités
ponctuelles en classe, qui peuvent servir de base pour travailler concrètement
selon l’âge des enfants mais aussi pour réfléchir en équipe sur les pratiques ou
évitements didactiques liés à la pluralité des langues qui désarçonnent souvent
les enseignants au lieu de les stimuler.
La dernière partie livre quelques projets déroulés dans le temps, mis en place
avec passion et conviction par les participant.e.s à cette recherche. Ils montrent
que tout est possible, qu’on peut tirer parti des contacts des langues et des
cultures de nos élèves, au lieu de les voir comme un obstacle : on débouche sur
de nouvelles compétences, tout est à créer, le champ des possibles est illimité.
La modestie des acteurs de l’ouvrage, qui met en avant le travail de terrain
des enseignant.e.s ne doit pas masquer qu’il s’agit d’une réflexion assumée,
revendicatrice d’une volonté de communication entre les langues et cultures
grâce au développement des compétences plurilingues et métalinguistiques
communes. Réflexion qui semble visionnaire, difficile à partager peut-être
pour celles et ceux qui aspirent à une société basée sur des concepts au singu-
lier, alors que les acteurs et auteur.e.s ici appellent à les mettre au pluriel.
Cet ouvrage n’est pas qu’un engagement idéalisé de chercheur.e.s et
enseignant.e.s prônant un vivre ensemble utopique mais un recueil d’outils
didactiques concrets permettant de mettre en lumières des trésors linguistiques
et culturels enfouis sous des préjugés d’ignorance. Rien n’est plus à l’encontre
des propos tenus dans cette ouvrage que la revendication de l’hégémonie des
cultures dites « fortes » parce qu’isolées les unes des autres. On nous propose
une approche innovante dont il reste sans doute à évaluer les effets, pour en
déterminer l’efficacité sur l’apprentissage d’une nouvelle langue, ici le français
pour des enfants allophones, et leur intégration dans une nouvelle société.
Peut-être que ce n’est pas dans « l’efficacité » didactique que l’on pourra juger,
sur le long temps, la démarche, mais en voyant si elle œuvre pour la construc-
tion d’une société plus juste, plus tolérante et plus fraternelle en dessinant les
contours d’un modèle alternatif qui permettrait à l’école d’être le ferment de
l’intégration sociale, à la fois des enfants, des parents et des familles.
Nicolas Caussé
CELEC (EA 3069)
Université Lyon UJM Saint-Étienne
n.causse.eh@gmail.com
Comptes rendus 201
Nello specifico, una metodologia centrata sul corpo in azione può: a) affian-
care le modalità di insegnamento già in uso da parte dei docenti; b) integrare
e ampliare l’agire didattico; c) rappresentare una modalità alternativa alla
propria metodologia di insegnamento.
2. Obiettivo del progetto “La semplessità del Transmedia Digital Storytelling
per promuovere l’apprendimento della lingua inglese negli studenti disles-
sici” è suggerire eventuali applicazioni semplesse alla pedagogia e alla didat-
tica speciale, nella prospettiva inclusiva adottata dalla scuola italiana. Il focus
del progetto è l’utilizzo delle potenzialità del transmedia digital storytelling
all’interno di una possibile metodologia didattica semplessa per facilitare l’ap-
prendimento della lingua inglese in soggetti con bisogni educativi speciali. Il
progetto si concentra, in particolare, sulla manipolazione dello spazio “perce-
pito, vissuto e concepito” per sostenere la concettualizzazione (che è la base
dell’elaborazione linguistica) e sulle modalità attraverso le quali è possibile
spazializzare gli stessi concetti attraverso media differenti.
3. Il progetto “Acchiappanuvole” mira invece a progettare e sviluppare
un exergame che faciliti lo sviluppo della lateralizzazione, nel contesto dei
disturbi specifici di apprendimento legati all’elaborazione visuo-spaziale e al
deficit motorio-percettivo. L’attuale stato del progetto ha portato alla crea-
zione di un exergame, basato sulla tecnologia Microsoft Kinect, in cui il gioca-
tore controlla i movimenti di un avatar sullo schermo. Il target di riferimento
sono i bambini che frequentano la scuola primaria.
4. Il focus del progetto “Spazialità didattiche: misurare l’empatia nel processo
di insegnamento-apprendimento” è il rapporto tra empatia e Game-Based
Learning, al fine di individuare parametri utlili a misurare l’empathetic embodi-
ment. Seguendo l’approccio fenomenologico, l’empatia è un meccanismo molto
più complesso di simpatia, perché richiede un cambiamento di prospettiva e una
qualche forma di “out of body experience” per separare noi stessi mentalmente
dal nostro corpo e viaggiare nel corpo altrui. Il progetto presenta le linee guida
alla base della concezione e dello sviluppo di un gioco narrativo progettato con
lo scopo di misurare la capacità di assumere una diversa prospettiva.
In definitiva La didattica semplessa auspica percorsi formativi che esercitino
a selezionare tra le azioni possibili quelle maggiormente idonee ad affrontare
le diverse situazioni problematiche. Sul piano metodologico-didattico, Sibilio
immagina l’istituzione di laboratori semplessi della meta-cognizione attorno
all’utilizzo di principi di semplificazione trasferibili ai diversi contesti. La
conquista dell’autonomia personale, evocata dalle Indicazioni nazionali e dai
curricula scolastici, si risolverebbe dunque nella capacità di riconoscere l’im-
portanza di principi semplessi come: rifiutare ed inibire; specializzare e sele-
zionare; anticipare e prevedere in ragione della propria esperienza; deviare da
una soluzione per scegliere un’alternativa; cooperare ed utilizzare le medesime
strategie risolutive in situazioni differenziate.
Comptes rendus 207
Mario Pasquariello
Università Cattolica del Sacro Cuore Milano
Université Bordeaux Montaigne
mario.pasquariello@unicatt.it
Numéros parus
Numéro 1 Varia
Numéro 2 Aux marges de l’humain
Études réunies par Jean-Paul Engélibert
Numéro 3 Narration et lien social
Études réunies par Brice Chamouleau
et Anne-Laure Rebreyend
Hors série L’estrangement
ESSAIS
Études réunies par Nicole Pelletier
et Dominique Picco
Numéro 5 Médias et élites
Études réunies par Laurent Coste
et Dominique Pinsolle
Numéro 6 L’histoire par les lieux
Approche interdisciplinaire des espaces
dédiés à la mémoire
Études réunies par Hélène Camarade
Hors série Création, créolisation, créativité
Études réunies par Hélène Crombet
Numéro 7 Normes communiquées, normes communicantes
Logiques médiatiques et travail idéologique
Études réunies par Laetitia Biscarrat
et Clément Dussarps
Numéro 8 Erreur et création
Études réunies par Myriam Metayer
et François Trahais
Numéro 9 Résister entre les lignes
Arts et langages dissidents dans les pays
hispanophones au XXe siècle
Études réunies par Fanny Blin
et Lucie Dudreuil
Numéro 10 Faire-valoir et seconds couteaux
Sidekicks and Underlings
Études réunies par Nathalie Jaëck
et Jean-Paul Gabilliet
Hors série Usages critiques de Montaigne
Études réunies par Philippe Dessan
et Véronique Ferrer
Numéro 11 Fictions de l’identité
Études réunies par Magali Fourgnaud
Numéro 12 Textes et contextes : entre autonomie
et dépendance
Études réunies par Maria Caterina Manes Gallo
Numéro 13 Écologie et Humanités
Études réunies par Fabien Colombo,
Revue interdisciplinaire d’Humanités