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NGAH ATEBA
PHILOSOPHE
DU LANGAGE
REFLEXIONS CRITIQUES
DE L’EXTRAVERSION
LINGUISTIQUE
TEXTE INTEGRAL
DE
LANGUES
NATIONALES
ET
MAÎTRISE
DU DEVELOPPEMENT
COLLECTION
VULGARISATION
2015
LANGUES NATIONALES
ET DEVELOPPEMENT
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PRESENTATION
L’objectif didactique de cet atelier de philosophie concrète du langage est la promotion des
applications philosophiques, dans tous les domaines, toutes les disciplines, tous les services,
toutes les formes de cultures et toutes les sociétés.
La pratique philosophique en matière d’usage des langues maternelles est ici explorée et
expérimentée comme une autre manière populaire d’enseigner la philosophie en cours public
d’exercice de l’art oratoire.
Cette belle initiative d’orature est la grande entreprise épistémologique de Dr Alice Salomé
Ngah-Ateba, « femme philosophe camerounaise créatrice »1 , responsable des unités
d’enseignements 422 de philosophie des sciences du langage. Voici la justification qu’elle
donne elle-même à ce propos.
A. S. Ngah Ateba
1
Cf. Dictionnaire international des femmes créatrices, Tome 2, p. (Éloge d’Hubert Mono Ndjana)
3
PREFACE
Introduction
Voici un ouvrage qui, visiblement, constitue un signe des temps. Depuis une quinzaine
d’années, le monde se débat dans une crise anormalement longue et profonde. Qui dit crise,
dit ébranlements en profondeur, déchirements, remises et question radicales. Par les études
réunies dans cet ouvrage collectif, hommes de terrain et théoriciens entendent établir que le
développement passe par : la réhabilitation et l’usage des langues nationales comme moyen de
communication.
Mine de rien, c’est une volte face d’envergure historique qui est proposée là, un renversement
dont la portée déborde le domaine strictement linguistique. C’est pourquoi il faut y regarder
de plus près de peur se s’engager dans une nouvelle impasse. Une appréciation posée de la
pertinence des solutions proposées ici doit prendre appui sur un rappel des solutions
anciennes et sur une brève analyse de leur échec.
L’extraversion linguistique
Au premier coup d’œil, il apparait que le continent noir est, de loin, le plus extraverti de la
planète. La quasi-totalité des livres et des journaux qui circulent chez nous, qu’ils soient écrits
par les autres ou par nous-mêmes, sont en langues étrangères, généralement les langues des
anciennes puissances coloniales. Il en est de même des émissions radiophoniques. Ceux qui se
exprimer en des langues africaines. La situation est particulièrement compromise dans les
anciennes colonies françaises. Les journalistes y font des efforts surhumains pour s’exprimer
avec un accent très parisien, pour prononcer correctement les mots anglais, arabes, chinois,
mais sont persuadés que les noms africains, y compris les leurs propres, doivent être
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prononcés à la française ! Par malheur, il se trouve que la plupart de nos langues sont des
langues à tons, en sorte que ce traitement rend les noms méconnaissables et leur fait perdre
tout sens
Ce système introduit une profonde coupure dans la population ; d’une part, il y a une mince
‘’élite’’ qui n’utilise habituellement, voire exclusivement, que les langues coloniales, d’autres
part, les masses qui s’expriment habituellement ou exclusivement dans les nombreuses
langues africaines. Dans ce domaine au moins nous ne souffrons d’aucune pénurie, bien au
contraire, c’est le grand nombre de nos langues qui fait problème. Nos langues ne souffrent
non plus d’aucun vice intrinsèque et incurable. Pourquoi donc sont-elles victimes du mépris et
de l’ostracisme non seulement du colonisateurs, mais également l’’élite’’africaine elle-
même ?
La réponse à cette question est à chercher dans l’étroite solidarité qui existe entre l’évolution
du sort de nos langues et celle de notre statut politique. Tout comme le négrier imposait son
propre nom à ses esclaves, sous peine des châtiments les plus sévères, le colonisateur avait
simplement décidé, sans autre justification, que sa problématique serait celle de la
linguistique moderne a totalement dicté les pseudo-arguments qui étaient naguère avancés
pour l’infériorisation et l’exclusion des langues africaines de la vie publique et du système
éducatif : les langues africaines, disait-on, seraient pauvres, n’auraient pas de mots abstraits ;
langues ‘’isolantes’’ elles n’auraient même pas de grammaire comparable à celle des langues
‘’flexionnelles’’ de l’Europe qui les rend si propres à l’expression articulée de la pensée la
plus complexe. Comme elles se contentent de juxtaposer des mots monosyllabiques, les
langues africaines ne seraient aptes qu’à juxtaposer des notions concrètes et rudimentaires.
Pierre Alexandre a tourné en dérision ces clichés prétentieux qui ne résistent pas à une
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critique tant soit peu informée2. En fait l’imposition de la langue coloniale assortie de la
marginalisation ou même de l’interdiction des langues africaines, est à prendre pour ce qu’elle
fut historiquement : un pur dictat du vainqueur, sans autre justification.
Le fameux argument de la multiplicité des langues africaines lui-même (qui rendait nécessaire
le recours aux langues coloniales comme moyen de communication entre les ethnies), en dépit
de son apparente évidente, se révèle, à l’examen, un simple prétexte dans consistance aucune.
Imaginons qu’un Chinois vienne tenir aux Suisses le discours suivant : ‘vous êtes un tout petit
pays et vous parlez jusqu’à trois langues officielles différentes, c’est trop et ce n’est pas
commode. Il serait plus simplement plus pratique de ne parler qu’une langue. Je comprends
que les susceptibilités éthiques rendent difficile le choix de l’une de vos trois langues comme
langue commune. C’est pourquoi pour vous tirer d’embarras, je vous propose d’adopter le
chinois comme langue commune et d’abandonner vos trois langues qui vous divisent’’. Un
Suisse sensé ne manquerait pas de répondre à notre chinois : ‘’Ami, nos trois langues ne nous
gênent pas autant que vous le pensez. Toutes les trois nous sont devenues si familières, et
elles sont si proches les unes des autres que beaucoup d’entre nous les parlent ou les
comprennent toutes les trois ou au deux d’entre elles, en sorte que dans la pratique nous
communiquons aisément entre nous. En revanche, votre remède me parait pire que le mal que
vous supposez et que vous voulez guérir. Car personne chez nous ne comprend le chinois,
lequel résonne si étrangement à nos oreilles que l’on peut se demander si nous arriverons
jamais à le maîtriser. Quelques-uns, au prix de longs efforts, y parviendront peut-être, mais la
masse jamais. Tant et si bien que, loin de surmonter notre pluralisme linguistique, nous
l’aurons aggravé en y ajoutant une quatrième langue sans parenté aucune avec les parles de
chez nous. Aussi, votre proposition me semble-t-elle déraisonnable et inadmissible’’.
Quand, par exemple, les Allemands arrivent au Cameroun, aucun Camerounais ne connaissait
l’allemand. Les peuples qui allaient être regroupés sous le nom de Cameroun parlaient certes
de nombreuses langues, mais il ne se posait pas de problèmes insurmontables de
communication entre les diverses communautés linguistiques. Le besoin
d’intercommunication entre ces dernières était satisfaite par le recours au bilinguisme (ou
même au trilinguisme) fort répandu en Afrique traditionnelle, comme l’ont noté les linguistes.
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Pierre Alexandre : Langues et langage en Afrique Noire, PP. 44-45, Fayot, Paris, 1967.
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Si les colonisateurs avaient voulu résoudre un problème purement linguistique, ils auraient
adopté la solution qui s’offrait d’elle-même et que leurs missionnaires ont adoptée ; en raison
de la nature plus intérieure de leur tâche particulière et du public cible visé, à savoir les
masses, il était impératif pour eux de communiquer directement et durablement avec elles.
Aussi n’ont-ils pas hésité à apprendre les langues de grande extension – cat il y en avait – que
les populations elles-mêmes avaient adoptées pour communiquer entre elles, notamment le
duala – en plaine expansion -, le béti dans deux de ses variantes dialectales : le bulu pour les
protestants et l’awondo pour les catholiques. Le fufuldé fut moins sollicité parce qu’il
couvrait le domaine de l’Islam. Les missionnaires ont utilisé quelques autres langues (y
compris le pidgin) mais en nombre limité.
Si l’administration coloniale allemande n’a pas suivi la voie tracée par les missionnaires en
matière linguistique, ce fut sans doute par fidélité à une logique déjà ancienne du pouvoir,
selon laquelle c’est aux sujets à se plier à la langue et à la culture du conséquent, du détenteur
du pouvoir, et non pas l’inverse. En vertu de cette logique qui allait à contre courant de toute
considération d’efficacité, l’allemand, une langue totalement inconnue des camerounais et fort
éloignes des langues locales, fut imposée comme langue officielle et scolaire. Au bout d’une
vingtaine d’année, seule une infirme minorité en acquit une connaissance acceptable.
Ce qui se passe après la défaite allemande confirme entièrement notre observation selon
laquelle l’imposition de la langue coloniale est à considérer comme un pur dictat du pouvoir
et n’obéit à aucune considération proprement linguistique d’efficacité ou de supériorité. Car
l’idée que l’allemand pût être maintenu comme langue commune d’administration et
d’éducation n’effleura ni l’esprit des Français, ni celui des Anglais. Automatiquement les
Français imposèrent le Français dans la partie orientale, et les Anglais, l’Anglais dans la partie
occidentale, malgré les dispositions de la société des nations qui exigeaient des puissances
tutrices le respect des cultures locales. L’argument de la multiplicité des langues locales que
la France ressassait dans ses rapports à la S.D.N pour se justifier n’avait en réalité joué aucun
rôle dans la décision française qui fut redisons-le, un pur fait du prince. Il n’avait d’ailleurs
aucune valeur, car de toutes les solutions qui s’offraient : suivre la voie des missionnaires en
adoptant les grandes langues locales ou l’une d’entre elles, maintenir la langue allemande déjà
parlée par une petite lite, le choix de la langue française était la solution la moins raisonnable,
car personne au Cameroun, à part les Français eux-mêmes, ne connaissaient la langue de
Molière.
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En revanche ? Ce qui s’est passé après les indépendances politiques des années 1960 a de
quoi surprendre. L’accession des africains au pouvoir aurait dû normalement entraîner la
promotion des grandes langues africaines au rang des langues officielles et d’éducation,
comme la prise du pouvoir par les diverses puissances coloniales avait régulièrement entraîné
l’élévation de leurs langues respectives à un tel statut. Au lieu de cela, tout resta en l’état, rien
ne bougea. Pire, la position des langues africaines, à de rares exceptions près, régressa. Par
souci d’efficacité, l’administration avait dû créer tout un corps d’agents, celui des ‘’écrivains-
interprètes dont la fonction essentielle fut de traduire les discours et les instructions des
colonisateurs aux colonisés et les propos des colonisés aux colonisateurs. Après les
indépendances, ce corps disparut. Il en résulta une aggravation de la coupure entre les
dirigeants et les masses dont la portée ne fut pas mesurée.
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L’échec de l’extraversion
L’échec des systèmes extra-vertis et dépendants est aujourd’hui patent sur tous les plans.
Politiquement, ils devaient être des modèles de démocratie et par là détourner les masses de la
tentation du communisme dont étaient accusés les mouvements anti-colonialistes
révolutionnaires. Mais au moment de l’accession à l’indépendance, on put lire dans les
colonnes du Figaro ‘et ailleurs), sous la plume d’un Raymond Aron, maître à penser de la
démocratie occidentale, des articles expliquant que les nouveaux Etats ne pouvaient pas
encore se payer le luxe du multipartisme compte tenu du tribalisme qui constituait une grange
menace pour l’unité… La vérité est que les démocraties modernes, tout comme les
démocraties de l’antiquité gréco-romaine, s’accommodent fort bien de ‘esclavage. Et dans les
temps modernes, c’est principalement à la périphérie – on n’y pense pas assez – que les
démocraties occidentales ont puisé – et puisent encore – leur main-d’œuvre servile. Et quand
on fait des esclaves, il faut s’attendre à leur révolte… Mais notre propos actuel n’est pas
politique ; il porte sur les langues nationales et le développement. Limitons-nous donc à
montrer l’échec de l’extraversion dans le domaine économique et dans le domaine
linguistique ainsi que le lien que nombre de contributions de cet ouvrage établissent ou
invitent à établir entre ces deux échecs.
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énormes unités de production restent des corps étrangers dans les sociétés où elles sont
implantées et ne produisent pas les effets induits qu’on pouvait en attendre.
Les difficultés ne tardèrent pas à s’accumuler. Nombre d’entreprises géantes furent présentées
comme des gouffres financiers qu’il fallait soutenir à coups de subventions. On parle d’études
de faisabilité bâchées, de projets engagés à la légère, de corruption pour gagner des marchés
fabuleux. Les pays assistés se plaignirent de l’insignifiance de l’aide face à l’énormité des
besoins, de la médiocrité de l’assistance avec des coopérants d’une compétence technique
incertaine. Quand le centre fut secoué par la crise pétrolière, il s’arrangea pour rattraper le
manque à gagner par l’effondrement des coups des autres matières premières, malgré les
accords de Lomé. Résultat : des trous énormes dans les revenus des A.C.P. pendant que la
dette extérieure connaissait une progression foudroyante.
Le chef d’Etat Zaïrois avait d’une aide financière dans le cadre de l’amitié et de la
coopération. La presse belge s’est déchainée contre lui, l’accusant de corruption, d’être
devenu, par elle, l’un des hommes les plus riches du monde. Il riposta en menaçant de rouvrir
le dossier de la colonisation, de révéler au peuple Zaïrois le pillage dont il a été et dont il est
encore l’objet par le colonisateur. Effrayé, il envoya émissaire sur émissaire auprès de
Mobutu, il fit intervenir des amis pour que l’on calme le jeu et que le dossier colonial et
néocolonial soit refermé. Dans le contexte actuel de crise, les pays africains aux abois qui
s’adressent à leurs amis du centre pour obtenir une aide tant soit peu substantielle reçoivent
invariablement la même réponse : passer par les fourches caudines du FMI. Et celui-ci pose
ses conditions, toujours les mêmes, parmi lesquelles celle d’un droit de regard soupçonneux
sur les fonds prêtés, dans le souci prioritaire de garantir le remboursement de la dette
extérieure. Une telle attitude a de quoi semer le doute dans les esprits les plus candides : est-
on en train de nous assister, de nous développer ou de nous recoloniser ? À la lumière de ce
qui se passe aujourd’hui, la réponse à la question ainsi posée laisse peu de place au doute.
Depuis longtemps déjà, de nombreux économistes, parmi lesquels des économistes
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occidentaux comme TIBOR MENDE, dénonçaient dans l’aide telle qu’elle était conçue un
moyen, non de développement, mais de recolonisation.
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Tout le monde ne partage pas l’aversion de NGIJOL entre le créole ; certains y voient un
moyen de réaliser l’unité linguistique. Mais la position de NGIJOL est celle de nombreux
linguistes qui voient dans le créole un parler encore à l’état inchoatif, avec un structuration
syntaxique flottante et peu consistante, caractéristiques qui en font un outil de communication
rudimentaire. D’autre part et surtout, l’évolution vers la formation de créoles, qu’elle soit
considérée du point de vue européen ou du point de vue africain, constitue un grave revers eu
égard à l’objectif d’étendre les communautés linguistiques des anciennes métropoles ou à
celui des Africains de s’ouvrir au monde.
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KANE Eustache et NSEME Clédor relèvent que son intervention connaît de nombreux échecs
parce qu’il communique mal avec les ruraux qu’il considère comme de simples objets de
développement. ‘’De plus en plus, on se rend compte que nos ruraux ne sont pas informés. Ils
ne le sont pas parce qu’ils ne perlent pas la langue dans laquelle le gouvernement et ceux qui
ont la parole véhiculent leurs idées. De même, beaucoup de ruraux ne suivent pas les
directives de l’ gent de développement communautaire parce que le message
d’animation et de développement est transmis dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas.
L’idéal serait que l’A.D.C. apprenne à parler la même langue que les paysans’’.
NOAH ZINGUI Jacques et SADEMBOUO Etienne, dans un domaine différent, font le ‘’triste
constat’’ que ‘’le développement socio-sanitaire et économique des Camerounais en général
et de populations rurales en particulier est extrêmement lent, bien que d’énormes moyens
soient constamment mis en œuvre par l’Etat pour le promouvoir’’. Ici encore, la raison en est
que ‘’les messages n’atteignent qu’imparfaitement leur cible que constitue la grande majorité
des masses rurales et une partie des masses urbaines, parce qu’ils sont émis dans une langue
que le public visé ne maîtrise pas’’.
Madame Kathleen L. BELINGA, qui suit la formation des agents d’APICA et qui a
coordonné les contributions du présent ouvrage déplore que ‘’le mimétisme lève trop souvent
sa malheureuse tête lors des suivis d’encadrement où on constate que l’agent n’a pas su
inventer et adapter la formation reçue à Douala en Français une fois devant les populations
rurales (qui ne maîtrisent pas souvent les français)… Les femmes surtout et d’autres groupes
s’exprimant peu ou pas du tout en langue officiel en ne sont pas dans le coup’’. La racine des
difficultés et des échecs essuyés par l’Afrique indépendante se situe à cette profondeur ; vaine
phraséologie, toute explication qui se refuse à creuser jusque-là.
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Le recours aux langues nationales,
condition de développement
Les témoignages convergents des hommes de terrain opérant dans le champ économique
établissent solidement que le développement, avant d’être une affaire d’argent et de machines,
est plus profondément affaire d’hommes ; de leurs désirs, de leur aptitude à s’organiser et à se
discipliner et des autres acquis culturels. Les linguistes notamment MANASSEH NGOME,
de l’Université de Yaoundé, Etienne SADEMBOUO, du CREA, Elisabeth GFELLER, de la
SIL, confirment cette thèse d’une manière difficile à contester. ‘’Puisque le progrès humain
dépend absolument des efforts collectifs des membres de la communauté, souligne NGOME,
tout développement doit rechercher la participation de ceux-ci… Il est facile de démontrer que
l’on peut œuvrer au progrès sans préalablement en connaître et comprendre le sens, les
objectifs et le rôle que chacun es appelé à jouer’’. ‘’Psi’ nsoh na wen si a b&’’ dit un
proverbe fe’efe’e, cité par SADEMBOUO, ce qui veut dire : on ne peut continuer à laver
quelqu’un qui ne prend pas au moins la peine de se frotter’’. Et SADEMBOUO de marteler ce
qui devrait être une évidence : le rôle de l’animateur du développement est de susciter chez
les membres de la communauté ‘’le vouloir-faire et le savoir-faire qui permettront de réaliser
les projets retenus… Il doit se faire comprendre sans ambigüité… D’où la nécessité pour lui
de s’exprimer dans la langue que maîtrise la communauté pour saisir son message dans sa
totalité’’. La maîtrise de la langue de communication entre animateur et populations ne doit
pas se limiter à l’expression orale, précise Elisabeth GFELLER, l’écrit aussi doit être maîtrisé
en vue de l’expression de manière permanente. Le père de GASTINES qui a tant fait pour la
promotion des langues nationales, Maurice TADADJEU, l’infatigable militant de la cause
sacrée, tous les auteurs de cet ouvrage sont animés par la même conviction : une
communication précise, profonde entre tous les partenaires du développement constitue une
condition décisive de la réussite de cette entreprise vitale.
La langue constitue pour l’être humain l’outil essentiel d’acquisition et d’assimilation du
savoir, du savoir-faire, des normes et de tous les éléments culturels accessibles dans la
communauté linguistique. Tous les éléments culturels véhiculés par une langue ne sont pas
créés par les membres de la communauté formée par les locuteurs de cette langue. Une masse
plus ou moins grande de ces éléments provient d’autres communautés linguistiques encore
vivantes ou déjà disparues. Ils ont été introduits dans la communauté considérée par des
traductions, des études, des récits faits par les membres bilingues ou plurilingues de ladite
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communauté. D’une façon générale, la totalité de l’expérience humaine, des acquis de
l’humanité peut, en principe, être exprimés dans chaque langue moyennant naturellement les
efforts appropriés d’enrichissement sémantique et d’assouplissement de celle-ci.
Si l’on prend du recul pour considérer globalement notre situation linguistique, on peut en
brosser le tableau suivant :
Au sommet du tableau se place une mince élite extravertie ayant bénéficié d’une formation
longue et maîtrisant convenablement la culture moderne et au moins une langue européenne.
Elle est essentiellement tournée vers l’extérieur, plus précisément vers l’Europe ou
l’Amérique dont elle attend aide, appui, reconnaissance ou consécration.
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Vient ensuite, en rangs plus serrés, la troupe des victimes de nos systèmes d’éducation
défectueux. Elle est constituée par ceux qui ont été insuffisamment ou médiocrement
scolarisés. Elle flotte quelque peu entre une modernité convoitée mais inaccessible et une
tradition mal connue, mais dans laquelle elle a un pied à son corps défendant. Elle tend à
organiser et à assurer son univers ambigu et son parler baroque, composite, sinon informe.
Enfin, la foule innombrable de ceux qui n’ont pas, ou presque pas, été à l’école. Elle se divise
en un grand volume de communautés linguistique plus ou moins fermées. Les plus petites
d’entre elles sont généralement bilingues (deux langues africaines) et s’intègrent dans des
communautés linguistiques plus vastes.
Entre ces trois étages, la communication passe mal. L’élite, toute à ses luttes pour les places
ou le pouvoir, ne voit dans les autres groupes que des masses de manœuvres. Par souci
d’efficacité, les colons, systématiquement, faisaient traduire leurs volontés aux colonisés et se
faisaient traduire leurs volontés aux systématiquement, faisaient traduire les doléances de
ceux-ci par tout un corps d’agents spécialisés, celui des écrivains – interprètes. Pendant les
luttes pour l’indépendance, la plupart des politiciens s’adressaient aux masses dans les
langues africaines. Aujourd’hui ces traditions sont abandonnées, surtout dans nombre de pays
‘’francophones’’, où l’on assiste parfois à des scènes franchement absurdes. Prenons un seul
exemple. L’ancien Président du Cameroun avait reçu le général GOWON alors chef d’Etat
Nigérian, à Garoua, sa ville natale. GOWON, qui connaissait le fufulde, s’adressa
instinctivement à la population en cette langue comprise par tous au Nord Cameroun. Son
hôte Peul lui répondit… en français ! A croire que certains craignent de déchoir en
s’exprimant publiquement en une langue africaine ! Les médias, presse écrite, télévision,
ignorent carrément les langues nationales. La radio leur consacre peu d’heures d’émissions.
Le personnel qui en est chargé n’y est pas préparé, puisque les écoles de journalisme ne
prévoient pas l’enseignement des langues africaines. Une bonne partie des émissions en
langues africaines est consacrée aux cultes, aux slogans et aux mots d’ordre politiques. Même
les discours politiques les plus importants ne sont pas traduits.
Résultat : les locuteurs des langues africains sont littéralement reclus dans leurs communautés
linguistiques. Du monde extérieur, il ne leur parvient guère que des prêches, des prières et des
slogans.
Les auteurs des textes publiés dans ce volume voient avec une unanimité impressionnante
dans cet oubli du problème de la communication une des causes majeures de l’échec de
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l’effort de développement. Ils soutiennent par conséquent que la restauration de la
communication par le recours aux langues nationales redynamisera le processus de
développement. La position du problème linguistique en relation avec les problèmes de
développement constitue une innovation de taille qu’il convient de souligner. Auparavant, la
question des langues africaines était soulevée en liaison avec la quête de l’identité et le souci
d’affirmer la négritude. Cette ancienne problématique était dominée par la méfiance à l’égard
de la science et de la technique. Et comme un ténor de la négritude, loin d’user de son pouvoir
politique pour promouvoir les langues sénégalaises, s’était fait le protagoniste de la
francophonie, on avait compris qu’il ne fallait pas prendre le discours négritudiniste au pied
de la lettre.
Maintenant, la nécessité de recourir aux langues africaines découle de l’analyse, faite par les
praticiens du développement, des difficultés rencontrées sur le terrain. Et comme aux yeux de
tous, le développement est considéré comme un impératif vital, il y a lieu d’espérer que la
question linguistique bénéficiera désormais de la même priorité.
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Conclusion
Notre optimisme est-il excessif ? Peut-être. Mais il semble bien qu’il existe maintenant des
raisons réelles d’espérer, des chances d’avancer et même d’aboutir. En République
Centrafricains, où le Sango, largement dominant, ne demande qu’à être développé, le
problème est presque résolu. Au Cameroun, où il semble au contraire le plus complexe, le
parti s’est prononcé pour la promotion des langues nationales et leur introduction dans les
programmes scolaires. Le Président de la République, dans son livre-programme ‘’pour le
libéralisme Communautaire’’ lui a aussitôt emboîté le pas. Des équipes de recherche, des
comités de langues dont TADADJEU et SADEMBOUO ont exposé ici les objectifs et le
fonctionnement s’activent depuis des années et accumulent des travaux ; des expériences
d’enseignement de langues nationales se poursuivent de manière concluante.
Apparemment donc, nous sommes sur le point de passer aux actes. Raison de plus pour
redoubler de vigilance de peur que des initiatives désordonnées ne compliquent le problème
au lieu de le résoudre. L’effort de réflexion, qui doit s’intensifier et s’approfondir à cette
phase délicate de l’entreprise, visera à dessiner une politique linguistique à long terme et à
arrêter une stratégie, pour ne pas se perdre dans les détails et les minuties. D’une façon très
générale, notre problème linguistique consiste à assurer efficacement la communication entre
les différentes couches sociales et les différentes ethnies à l’intérieur des frontières nationales,
d’une part, entre les différents pays africains et ave le monde extérieur, d’autre part.
3
Voir le tableau complet de ces langues dans l’ouvrage de P. Alexandre, ‘’Langues et Langage en Afrique
Noire’’, PP. 16-24, Payot, Paris 1967.
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les identités linguistiques – il sera fort difficile de s’en sortir. Cette voie est impraticable et
aucun grand pays au monde n’a pu l’emprunter. Donc, la communication avec les masses peut
être assurée à un coût raisonnable par l’utilisation prioritaire des langues véhiculaires – sans
pour autant ignorer les autres.
Travaillant dans une telle perspective, APICA pourrait organiser un système de formation
fondée principalement – mais non exclusivement – sur les 4 ou 5 langues véhiculaires de
notre sous-région.
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