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Alice Salomé

NGAH ATEBA

PHILOSOPHE
DU LANGAGE
REFLEXIONS CRITIQUES
DE L’EXTRAVERSION
LINGUISTIQUE

TEXTE INTEGRAL
DE

LANGUES
NATIONALES
ET
MAÎTRISE
DU DEVELOPPEMENT

COLLECTION
VULGARISATION
2015
LANGUES NATIONALES
ET DEVELOPPEMENT

APICA (Association pour la Promotion des Initiatives Communautaires Africaines)


K. BELINGA
E. SADEM BOUO
E. GFELLER (eds)
GROUPE DE RECHERCHE-ACTION 1989

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PRESENTATION

En hommage au Pr Marcien Towa, un atelier pédagogique d’enseignants et d’enseignés de la


philosophie du langage et d’épistémologie des langues maternelles a été organisé au profit des
étudiants de Master I en spécialisation de logique et épistémologie, sous le contrôle
scientifique du Pr Lucien Ayissi, chef de département de philosophie de l’université de
Yaoundé I.

L’objectif didactique de cet atelier de philosophie concrète du langage est la promotion des
applications philosophiques, dans tous les domaines, toutes les disciplines, tous les services,
toutes les formes de cultures et toutes les sociétés.

La pratique philosophique en matière d’usage des langues maternelles est ici explorée et
expérimentée comme une autre manière populaire d’enseigner la philosophie en cours public
d’exercice de l’art oratoire.

Cette belle initiative d’orature est la grande entreprise épistémologique de Dr Alice Salomé
Ngah-Ateba, « femme philosophe camerounaise créatrice »1 , responsable des unités
d’enseignements 422 de philosophie des sciences du langage. Voici la justification qu’elle
donne elle-même à ce propos.

A. S. Ngah Ateba

1
Cf. Dictionnaire international des femmes créatrices, Tome 2, p. (Éloge d’Hubert Mono Ndjana)
3
PREFACE

Prof Marcien TOWA


Chef de département de la Pensée Africaine au
C.R.E.A. (ISH/MESIRES)

Introduction
Voici un ouvrage qui, visiblement, constitue un signe des temps. Depuis une quinzaine
d’années, le monde se débat dans une crise anormalement longue et profonde. Qui dit crise,
dit ébranlements en profondeur, déchirements, remises et question radicales. Par les études
réunies dans cet ouvrage collectif, hommes de terrain et théoriciens entendent établir que le
développement passe par : la réhabilitation et l’usage des langues nationales comme moyen de
communication.

Mine de rien, c’est une volte face d’envergure historique qui est proposée là, un renversement
dont la portée déborde le domaine strictement linguistique. C’est pourquoi il faut y regarder
de plus près de peur se s’engager dans une nouvelle impasse. Une appréciation posée de la
pertinence des solutions proposées ici doit prendre appui sur un rappel des solutions
anciennes et sur une brève analyse de leur échec.

L’extraversion linguistique
Au premier coup d’œil, il apparait que le continent noir est, de loin, le plus extraverti de la
planète. La quasi-totalité des livres et des journaux qui circulent chez nous, qu’ils soient écrits
par les autres ou par nous-mêmes, sont en langues étrangères, généralement les langues des
anciennes puissances coloniales. Il en est de même des émissions radiophoniques. Ceux qui se
exprimer en des langues africaines. La situation est particulièrement compromise dans les
anciennes colonies françaises. Les journalistes y font des efforts surhumains pour s’exprimer
avec un accent très parisien, pour prononcer correctement les mots anglais, arabes, chinois,
mais sont persuadés que les noms africains, y compris les leurs propres, doivent être

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prononcés à la française ! Par malheur, il se trouve que la plupart de nos langues sont des
langues à tons, en sorte que ce traitement rend les noms méconnaissables et leur fait perdre
tout sens

A de rares exceptions près, l’enseignement est donné intégralement en langues européennes,


en ignorant superbement les langues africaines. Un pats comme le Cameroun se dit
‘’Bilingue’’ parce que le français et l’anglais y ont le statut de langues officielles.
L’expression signifie que, officiellement, les langues nationales n’ont aucune existence
reconnue, il s’étend de plus en plus dans le primaire et même dans les écoles maternelles qui,
elles aussi, ignorent les langues maternelles.

Ce système introduit une profonde coupure dans la population ; d’une part, il y a une mince
‘’élite’’ qui n’utilise habituellement, voire exclusivement, que les langues coloniales, d’autres
part, les masses qui s’expriment habituellement ou exclusivement dans les nombreuses
langues africaines. Dans ce domaine au moins nous ne souffrons d’aucune pénurie, bien au
contraire, c’est le grand nombre de nos langues qui fait problème. Nos langues ne souffrent
non plus d’aucun vice intrinsèque et incurable. Pourquoi donc sont-elles victimes du mépris et
de l’ostracisme non seulement du colonisateurs, mais également l’’élite’’africaine elle-
même ?

La réponse à cette question est à chercher dans l’étroite solidarité qui existe entre l’évolution
du sort de nos langues et celle de notre statut politique. Tout comme le négrier imposait son
propre nom à ses esclaves, sous peine des châtiments les plus sévères, le colonisateur avait
simplement décidé, sans autre justification, que sa problématique serait celle de la
linguistique moderne a totalement dicté les pseudo-arguments qui étaient naguère avancés
pour l’infériorisation et l’exclusion des langues africaines de la vie publique et du système
éducatif : les langues africaines, disait-on, seraient pauvres, n’auraient pas de mots abstraits ;
langues ‘’isolantes’’ elles n’auraient même pas de grammaire comparable à celle des langues
‘’flexionnelles’’ de l’Europe qui les rend si propres à l’expression articulée de la pensée la
plus complexe. Comme elles se contentent de juxtaposer des mots monosyllabiques, les
langues africaines ne seraient aptes qu’à juxtaposer des notions concrètes et rudimentaires.
Pierre Alexandre a tourné en dérision ces clichés prétentieux qui ne résistent pas à une

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critique tant soit peu informée2. En fait l’imposition de la langue coloniale assortie de la
marginalisation ou même de l’interdiction des langues africaines, est à prendre pour ce qu’elle
fut historiquement : un pur dictat du vainqueur, sans autre justification.

Le fameux argument de la multiplicité des langues africaines lui-même (qui rendait nécessaire
le recours aux langues coloniales comme moyen de communication entre les ethnies), en dépit
de son apparente évidente, se révèle, à l’examen, un simple prétexte dans consistance aucune.

Imaginons qu’un Chinois vienne tenir aux Suisses le discours suivant : ‘vous êtes un tout petit
pays et vous parlez jusqu’à trois langues officielles différentes, c’est trop et ce n’est pas
commode. Il serait plus simplement plus pratique de ne parler qu’une langue. Je comprends
que les susceptibilités éthiques rendent difficile le choix de l’une de vos trois langues comme
langue commune. C’est pourquoi pour vous tirer d’embarras, je vous propose d’adopter le
chinois comme langue commune et d’abandonner vos trois langues qui vous divisent’’. Un
Suisse sensé ne manquerait pas de répondre à notre chinois : ‘’Ami, nos trois langues ne nous
gênent pas autant que vous le pensez. Toutes les trois nous sont devenues si familières, et
elles sont si proches les unes des autres que beaucoup d’entre nous les parlent ou les
comprennent toutes les trois ou au deux d’entre elles, en sorte que dans la pratique nous
communiquons aisément entre nous. En revanche, votre remède me parait pire que le mal que
vous supposez et que vous voulez guérir. Car personne chez nous ne comprend le chinois,
lequel résonne si étrangement à nos oreilles que l’on peut se demander si nous arriverons
jamais à le maîtriser. Quelques-uns, au prix de longs efforts, y parviendront peut-être, mais la
masse jamais. Tant et si bien que, loin de surmonter notre pluralisme linguistique, nous
l’aurons aggravé en y ajoutant une quatrième langue sans parenté aucune avec les parles de
chez nous. Aussi, votre proposition me semble-t-elle déraisonnable et inadmissible’’.

Quand, par exemple, les Allemands arrivent au Cameroun, aucun Camerounais ne connaissait
l’allemand. Les peuples qui allaient être regroupés sous le nom de Cameroun parlaient certes
de nombreuses langues, mais il ne se posait pas de problèmes insurmontables de
communication entre les diverses communautés linguistiques. Le besoin
d’intercommunication entre ces dernières était satisfaite par le recours au bilinguisme (ou
même au trilinguisme) fort répandu en Afrique traditionnelle, comme l’ont noté les linguistes.

2
Pierre Alexandre : Langues et langage en Afrique Noire, PP. 44-45, Fayot, Paris, 1967.
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Si les colonisateurs avaient voulu résoudre un problème purement linguistique, ils auraient
adopté la solution qui s’offrait d’elle-même et que leurs missionnaires ont adoptée ; en raison
de la nature plus intérieure de leur tâche particulière et du public cible visé, à savoir les
masses, il était impératif pour eux de communiquer directement et durablement avec elles.
Aussi n’ont-ils pas hésité à apprendre les langues de grande extension – cat il y en avait – que
les populations elles-mêmes avaient adoptées pour communiquer entre elles, notamment le
duala – en plaine expansion -, le béti dans deux de ses variantes dialectales : le bulu pour les
protestants et l’awondo pour les catholiques. Le fufuldé fut moins sollicité parce qu’il
couvrait le domaine de l’Islam. Les missionnaires ont utilisé quelques autres langues (y
compris le pidgin) mais en nombre limité.

Si l’administration coloniale allemande n’a pas suivi la voie tracée par les missionnaires en
matière linguistique, ce fut sans doute par fidélité à une logique déjà ancienne du pouvoir,
selon laquelle c’est aux sujets à se plier à la langue et à la culture du conséquent, du détenteur
du pouvoir, et non pas l’inverse. En vertu de cette logique qui allait à contre courant de toute
considération d’efficacité, l’allemand, une langue totalement inconnue des camerounais et fort
éloignes des langues locales, fut imposée comme langue officielle et scolaire. Au bout d’une
vingtaine d’année, seule une infirme minorité en acquit une connaissance acceptable.

Ce qui se passe après la défaite allemande confirme entièrement notre observation selon
laquelle l’imposition de la langue coloniale est à considérer comme un pur dictat du pouvoir
et n’obéit à aucune considération proprement linguistique d’efficacité ou de supériorité. Car
l’idée que l’allemand pût être maintenu comme langue commune d’administration et
d’éducation n’effleura ni l’esprit des Français, ni celui des Anglais. Automatiquement les
Français imposèrent le Français dans la partie orientale, et les Anglais, l’Anglais dans la partie
occidentale, malgré les dispositions de la société des nations qui exigeaient des puissances
tutrices le respect des cultures locales. L’argument de la multiplicité des langues locales que
la France ressassait dans ses rapports à la S.D.N pour se justifier n’avait en réalité joué aucun
rôle dans la décision française qui fut redisons-le, un pur fait du prince. Il n’avait d’ailleurs
aucune valeur, car de toutes les solutions qui s’offraient : suivre la voie des missionnaires en
adoptant les grandes langues locales ou l’une d’entre elles, maintenir la langue allemande déjà
parlée par une petite lite, le choix de la langue française était la solution la moins raisonnable,
car personne au Cameroun, à part les Français eux-mêmes, ne connaissaient la langue de
Molière.

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En revanche ? Ce qui s’est passé après les indépendances politiques des années 1960 a de
quoi surprendre. L’accession des africains au pouvoir aurait dû normalement entraîner la
promotion des grandes langues africaines au rang des langues officielles et d’éducation,
comme la prise du pouvoir par les diverses puissances coloniales avait régulièrement entraîné
l’élévation de leurs langues respectives à un tel statut. Au lieu de cela, tout resta en l’état, rien
ne bougea. Pire, la position des langues africaines, à de rares exceptions près, régressa. Par
souci d’efficacité, l’administration avait dû créer tout un corps d’agents, celui des ‘’écrivains-
interprètes dont la fonction essentielle fut de traduire les discours et les instructions des
colonisateurs aux colonisés et les propos des colonisés aux colonisateurs. Après les
indépendances, ce corps disparut. Il en résulta une aggravation de la coupure entre les
dirigeants et les masses dont la portée ne fut pas mesurée.

Comment comprendre une situation aussi aberrante ? Pourquoi l’extra-version linguistique de


nos pays a-t-elle été maintenue et aggravées par l’Afrique indépendante et Pourquoi la
décolonisation politico-économique n’a-t-elle pas induit une décolonisation linguistique et
culturelle correspondante ? A vrai dire, dans la majorité des cas, la décolonisation politico-
économique a été elle-même truquée : les indépendances furent octroyées à des ‘’modérés’’, à
des ‘’amis’’ eux-mêmes en lutte contre les mouvements anti-colonialistes plus radicaux. Les
puissances coloniales en profitèrent pour faire signer des accords de ‘’coopération’’ et d’
‘’assistance technique’’ demeurés Secrets parce que la contre-partie de l’ ‘’aide et de l’
‘’assistance’’ était la sauvegarde des principaux intérêts coloniaux, au nombre desquels
figurait en bonne place le maintien du statut privilégié de la langue coloniale. Le sort politique
de l’ancienne colonie, tout comme son développement économique, dépendirent de l’aide et
de l’assistance multiforme de l’ancienne métropole. Mais aides et assistance étaient
conditionnelles. Les colonisés restèrent tournés vers l’ancienne métropole.

Bref, l’extra-version linguistique n’est qu’un aspect de l’extra-version politico-économique.

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L’échec de l’extraversion
L’échec des systèmes extra-vertis et dépendants est aujourd’hui patent sur tous les plans.
Politiquement, ils devaient être des modèles de démocratie et par là détourner les masses de la
tentation du communisme dont étaient accusés les mouvements anti-colonialistes
révolutionnaires. Mais au moment de l’accession à l’indépendance, on put lire dans les
colonnes du Figaro ‘et ailleurs), sous la plume d’un Raymond Aron, maître à penser de la
démocratie occidentale, des articles expliquant que les nouveaux Etats ne pouvaient pas
encore se payer le luxe du multipartisme compte tenu du tribalisme qui constituait une grange
menace pour l’unité… La vérité est que les démocraties modernes, tout comme les
démocraties de l’antiquité gréco-romaine, s’accommodent fort bien de ‘esclavage. Et dans les
temps modernes, c’est principalement à la périphérie – on n’y pense pas assez – que les
démocraties occidentales ont puisé – et puisent encore – leur main-d’œuvre servile. Et quand
on fait des esclaves, il faut s’attendre à leur révolte… Mais notre propos actuel n’est pas
politique ; il porte sur les langues nationales et le développement. Limitons-nous donc à
montrer l’échec de l’extraversion dans le domaine économique et dans le domaine
linguistique ainsi que le lien que nombre de contributions de cet ouvrage établissent ou
invitent à établir entre ces deux échecs.

L’échec du développement extraverti


L’échec un système extra-verti et dépendant, le développement est conçu avant tout comme
une affaire de milliards et d’équipements hautement sophistiqués. Il se trouve
malheureusement que les pays sous-développés – c’est le nouveau nom des anciennes
colonies – n’ont ni les uns ni les autres. Par bonheur, les anciennes puissances coloniales et
leurs amis en disposent à profusion. Elles sont prêtes à venir en aide à ces déshérités, à leur
apporter l’assistance technique, à certaines conditions cependant précédemment mentionnées.
C’est dans de grandioses projets qui non seulement flattent la vérité des jeunes pays, mais
aussi qui permettent à la haute technologie de se déployer à coups certaines de milliards, que
les puissances du centre et leurs multinationales peuvent le mieux faire sentir la nécessité de
leur assistance. Les gigantesques usines seront offertes clés en main. Ensuite, étant donné la
haute sophistication des équipements, une assistance technique sera encore nécessaire pour
assurer le fonctionnement de l’usine, la maintenance des machines ; l’intervention des
nationaux est, dans ces conditions, réduite à la plus simple expression. En définitive, ces

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énormes unités de production restent des corps étrangers dans les sociétés où elles sont
implantées et ne produisent pas les effets induits qu’on pouvait en attendre.

Les difficultés ne tardèrent pas à s’accumuler. Nombre d’entreprises géantes furent présentées
comme des gouffres financiers qu’il fallait soutenir à coups de subventions. On parle d’études
de faisabilité bâchées, de projets engagés à la légère, de corruption pour gagner des marchés
fabuleux. Les pays assistés se plaignirent de l’insignifiance de l’aide face à l’énormité des
besoins, de la médiocrité de l’assistance avec des coopérants d’une compétence technique
incertaine. Quand le centre fut secoué par la crise pétrolière, il s’arrangea pour rattraper le
manque à gagner par l’effondrement des coups des autres matières premières, malgré les
accords de Lomé. Résultat : des trous énormes dans les revenus des A.C.P. pendant que la
dette extérieure connaissait une progression foudroyante.

Le charme était rompu. L’idylle de la coopération apparaissait de plus en plus comme un


marché de dupes, le système se lézardait. HOUPHOUET BOIGNY, le sage des sages, parla
de complot et refusa longtemps de brader son cacao. Le récent orage qui a soufflé sur les
relations belgo-Zaïroises a projeté sur la ‘’coopération’’ une lumière crue qui a ouvert les
yeux même aux aveugles.

Le chef d’Etat Zaïrois avait d’une aide financière dans le cadre de l’amitié et de la
coopération. La presse belge s’est déchainée contre lui, l’accusant de corruption, d’être
devenu, par elle, l’un des hommes les plus riches du monde. Il riposta en menaçant de rouvrir
le dossier de la colonisation, de révéler au peuple Zaïrois le pillage dont il a été et dont il est
encore l’objet par le colonisateur. Effrayé, il envoya émissaire sur émissaire auprès de
Mobutu, il fit intervenir des amis pour que l’on calme le jeu et que le dossier colonial et
néocolonial soit refermé. Dans le contexte actuel de crise, les pays africains aux abois qui
s’adressent à leurs amis du centre pour obtenir une aide tant soit peu substantielle reçoivent
invariablement la même réponse : passer par les fourches caudines du FMI. Et celui-ci pose
ses conditions, toujours les mêmes, parmi lesquelles celle d’un droit de regard soupçonneux
sur les fonds prêtés, dans le souci prioritaire de garantir le remboursement de la dette
extérieure. Une telle attitude a de quoi semer le doute dans les esprits les plus candides : est-
on en train de nous assister, de nous développer ou de nous recoloniser ? À la lumière de ce
qui se passe aujourd’hui, la réponse à la question ainsi posée laisse peu de place au doute.
Depuis longtemps déjà, de nombreux économistes, parmi lesquels des économistes

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occidentaux comme TIBOR MENDE, dénonçaient dans l’aide telle qu’elle était conçue un
moyen, non de développement, mais de recolonisation.

L’échec de l’extraversion linguistique


Si l’extraversion linguistique imposée aux peuples africains par les puissances coloniales et
entérinée par les nouveaux Etats du continent Noir, avait pour but l’extension des
communautés linguistiques nationales des diverses puissances coloniales, ou, de la part des
Africains, l’ouverture au monde et à la culture de l’occident, par la maîtrise de ses langues,
quel bilan peut-on, à cet égard, établir aujourd’hui, plus d’un siècle après le début de
l’entreprise ? La réussite semble éclatante. Sans l’Afrique ’’francophone’’ le français
occuperait une place beaucoup plus modeste parmi les grandes langues internationales. Et il
est évident que la France y gagne en influence, en prestige, en rayonnement, sans oublier
l’extension de son marché du livre et des autres produits de son économie. L’élite moderne
africaine de son côté, grâce à l’anglais et au français, communique aussi plus aisément avec la
communauté politique, culturelle et scientifique internationale, pour ne mentionner que ces
aspects. Les deux semblent donc y gagner.

Mais il y a le revers de la médaille. En 1964, P. NGIDJOL NGIDJOL, actuellement


professeur à l’université de Yaoundé, publiait, dans la revue ABBIA, un article remarquable
de lucidité dans lequel il attirait l’attention sur le danger de créolisation comme aboutissement
inévitable du parti-pris d’étouffement des langues nationales au profit des langues coloniales.
En suivant cette voie, seule une infirme minorité (1/20) parviendra à une maîtrise suffisante
de ces langues étrangères. Quant aux autres, l’immense majorité, ils n’en auront qu’une
connaissance rudimentaire ou médiocre, la plupart les ignorant totalement. Le français ou
l’anglais d’un ‘’évolué’’ moyen subit des altérations importantes au niveau de l’intonation, de
la syntaxe et de la sémantique sous l’influence du système des tons et de la syntaxe très
différentes des langues africaines. Le terrain gagné par es efforts et les sacrifices massifs
consentis par nos pays pour remplacer les langues africaines par les langues officielles sera
finalement occupé, non par ces langues européennes, mais par d’’affreux créoles propres à
nous’’. Car, explique l’agrégé de grammaire, « « c’est le peuple et non la portion des
intellectuels bien formés qui fait la langue d’un pays, et cette langue, pour nous a toutes les
chances d’être un affreux créole’’.

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Tout le monde ne partage pas l’aversion de NGIJOL entre le créole ; certains y voient un
moyen de réaliser l’unité linguistique. Mais la position de NGIJOL est celle de nombreux
linguistes qui voient dans le créole un parler encore à l’état inchoatif, avec un structuration
syntaxique flottante et peu consistante, caractéristiques qui en font un outil de communication
rudimentaire. D’autre part et surtout, l’évolution vers la formation de créoles, qu’elle soit
considérée du point de vue européen ou du point de vue africain, constitue un grave revers eu
égard à l’objectif d’étendre les communautés linguistiques des anciennes métropoles ou à
celui des Africains de s’ouvrir au monde.

La formation de créole africains issus de l’anglais ou du français, mais devenus


incompréhensibles pour les anglophones et les francophones, signifie que les locuteurs de ces
nouveaux idiomes ont cessé de faire partie de l’anglophonie et de la francophonie- ce qui était
le but des puissances coloniales- et qu’ils ne peuvent plus s’en servir pour communiquer avec
les monde extérieur – ce qui est le but des Africains : échec des puissances coloniales qui
n’auront réussi qu’à créer de nouveaux parlers africains, échec des Etats africains qui auront
renfermé leurs peuples sur eux-mêmes alors qu’ils voulaient les ouvrir au monde.

La prise de conscience du processus de créolisation actuellement en cours jette une lumière


crue sur les difficultés énormes rencontrées par nos systèmes éducatifs. Le développement des
créoles montre clairement que la plupart de ceux qui passent par nos écoles ne parviennent
pas à maîtriser l’outil linguistique, pourtant indispensable pour l’acquisition de toute autre
connaissance. Dans la presque totalité des autres pays du monde où l’enseignement est
dispensé dans la langue première, l’outil linguistique est maîtrisé dans avant même l’entrée à
l’école. On comprend alors sans peine pourquoi nos systèmes scolaires charrient d’énormes
déchets et pourquoi les élèves (et les maîtres) se rabattent sur le psittacisme, la réalité concrète
demeurant inaccessible faute d’une maîtrise minimale de l’outil linguistique. Ce n’est pas
l’inefficacité, la stérilité des produits d’un tel système qui est étonnante, mais plutôt le fait
qu’ils arrivent malgré tout à une certaine efficacité, si faible soit-elle.

Des populations indifférentes, immobiles


Le constat revient avec une constance obsédante sous la plume des hommes de terrain ou de
ceux qui suivent de près leurs expériences : les masses sont indifférentes, immobiles, parfois
même hostiles à l’égard des entreprises de développement. Il est difficile de les sensibiliser,
de les mettre en mouvement. Analysant l’expérience d’un agent formé par APICA, BILO’O

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KANE Eustache et NSEME Clédor relèvent que son intervention connaît de nombreux échecs
parce qu’il communique mal avec les ruraux qu’il considère comme de simples objets de
développement. ‘’De plus en plus, on se rend compte que nos ruraux ne sont pas informés. Ils
ne le sont pas parce qu’ils ne perlent pas la langue dans laquelle le gouvernement et ceux qui
ont la parole véhiculent leurs idées. De même, beaucoup de ruraux ne suivent pas les
directives de l’ gent de développement communautaire parce que le message
d’animation et de développement est transmis dans une langue qu’ils ne maîtrisent pas.
L’idéal serait que l’A.D.C. apprenne à parler la même langue que les paysans’’.

A la SEMRY (Société d’Expansion et de Modernisation de la Riziculture de Yagoua), le


recouvrement des récoltes se fait difficilement), les paysans sont mécontents et disparaissent
avec la récolte malgré les efforts de ‘’surveillants’’ très dirigistes pour les plier à la nouvelle
discipline. Un expert, Guy BELLONCLE, est sollicité pour conseiller une solution à ces
difficultés. Et voici son ordonnance : ‘’ la structuration des groupements paysans doit
comporter comme condition sine qua non un volet linguistique, car sans cela, le groupement
n’est pas le leur, inséré culturellement. Le conflit riz-mil ou sorgho-pêche a beaucoup de
chances de trouver une solution appropriée quand la recherche de solutions se fait par les
Massa eux-mêmes dans leur langue et à l’intérieur d’une structure à eux’’.

NOAH ZINGUI Jacques et SADEMBOUO Etienne, dans un domaine différent, font le ‘’triste
constat’’ que ‘’le développement socio-sanitaire et économique des Camerounais en général
et de populations rurales en particulier est extrêmement lent, bien que d’énormes moyens
soient constamment mis en œuvre par l’Etat pour le promouvoir’’. Ici encore, la raison en est
que ‘’les messages n’atteignent qu’imparfaitement leur cible que constitue la grande majorité
des masses rurales et une partie des masses urbaines, parce qu’ils sont émis dans une langue
que le public visé ne maîtrise pas’’.

Madame Kathleen L. BELINGA, qui suit la formation des agents d’APICA et qui a
coordonné les contributions du présent ouvrage déplore que ‘’le mimétisme lève trop souvent
sa malheureuse tête lors des suivis d’encadrement où on constate que l’agent n’a pas su
inventer et adapter la formation reçue à Douala en Français une fois devant les populations
rurales (qui ne maîtrisent pas souvent les français)… Les femmes surtout et d’autres groupes
s’exprimant peu ou pas du tout en langue officiel en ne sont pas dans le coup’’. La racine des
difficultés et des échecs essuyés par l’Afrique indépendante se situe à cette profondeur ; vaine
phraséologie, toute explication qui se refuse à creuser jusque-là.

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Le recours aux langues nationales,
condition de développement
Les témoignages convergents des hommes de terrain opérant dans le champ économique
établissent solidement que le développement, avant d’être une affaire d’argent et de machines,
est plus profondément affaire d’hommes ; de leurs désirs, de leur aptitude à s’organiser et à se
discipliner et des autres acquis culturels. Les linguistes notamment MANASSEH NGOME,
de l’Université de Yaoundé, Etienne SADEMBOUO, du CREA, Elisabeth GFELLER, de la
SIL, confirment cette thèse d’une manière difficile à contester. ‘’Puisque le progrès humain
dépend absolument des efforts collectifs des membres de la communauté, souligne NGOME,
tout développement doit rechercher la participation de ceux-ci… Il est facile de démontrer que
l’on peut œuvrer au progrès sans préalablement en connaître et comprendre le sens, les
objectifs et le rôle que chacun es appelé à jouer’’. ‘’Psi’ nsoh na wen si a b&’’ dit un
proverbe fe’efe’e, cité par SADEMBOUO, ce qui veut dire : on ne peut continuer à laver
quelqu’un qui ne prend pas au moins la peine de se frotter’’. Et SADEMBOUO de marteler ce
qui devrait être une évidence : le rôle de l’animateur du développement est de susciter chez
les membres de la communauté ‘’le vouloir-faire et le savoir-faire qui permettront de réaliser
les projets retenus… Il doit se faire comprendre sans ambigüité… D’où la nécessité pour lui
de s’exprimer dans la langue que maîtrise la communauté pour saisir son message dans sa
totalité’’. La maîtrise de la langue de communication entre animateur et populations ne doit
pas se limiter à l’expression orale, précise Elisabeth GFELLER, l’écrit aussi doit être maîtrisé
en vue de l’expression de manière permanente. Le père de GASTINES qui a tant fait pour la
promotion des langues nationales, Maurice TADADJEU, l’infatigable militant de la cause
sacrée, tous les auteurs de cet ouvrage sont animés par la même conviction : une
communication précise, profonde entre tous les partenaires du développement constitue une
condition décisive de la réussite de cette entreprise vitale.
La langue constitue pour l’être humain l’outil essentiel d’acquisition et d’assimilation du
savoir, du savoir-faire, des normes et de tous les éléments culturels accessibles dans la
communauté linguistique. Tous les éléments culturels véhiculés par une langue ne sont pas
créés par les membres de la communauté formée par les locuteurs de cette langue. Une masse
plus ou moins grande de ces éléments provient d’autres communautés linguistiques encore
vivantes ou déjà disparues. Ils ont été introduits dans la communauté considérée par des
traductions, des études, des récits faits par les membres bilingues ou plurilingues de ladite

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communauté. D’une façon générale, la totalité de l’expérience humaine, des acquis de
l’humanité peut, en principe, être exprimés dans chaque langue moyennant naturellement les
efforts appropriés d’enrichissement sémantique et d’assouplissement de celle-ci.

Or ce merveilleux instrument d’appropriation des acquis du groupe et même de l’humanité,


l’enfant le maîtrise très tôt. À trois ou quatre ans l’enfant possède déjà les éléments et les
structures de base de sa langue première. Grâce à elle, dès cet âge, il a déjà absorbé une masse
considérable d’acquis de la culture de son milieu. C’est à travers et au moyen de cette
armature linguistique et culturelle de base qu’il pourra acquérir et assimiler toutes les autres
richesses culturelles et développer sa propre créativité.

Renoncer à cette base linguistique et culturelle pour soumettre l’enfant à un apprentissage


d’une langue tout à fait étrangère, sans parenté aucune avec la langue première, ne peut que
causer à l’enfant, dans une période décisive, un retard presque impossible à rattraper. Et si, en
plus, les méthodes pédagogiques utilisées sont médiocres ou franchement mauvaises, l’enfant
risque de ne jamais maîtriser le nouvel outil linguistique et de devenir culturellement infirme.
C’est précisément la situation qui se rencontre généralement en Afrique où l’école impose à
l’enfant l’apprentissage d’une langue européenne, voire deux, comme au Cameroun. Dans ce
pays, les programmes prévoient l’éducation du français et même de l’anglais dès la
maternelle, à l’exclusion des langues maternelles ! Comme la maîtrise de ces langues
étrangères est déjà bien incertaine chez les maîtresses et les maîtres eux-mêmes et que la
majorité des élèves ne dépassent pas le cycle primaire, on débouche fatalement sur le
phénomène de créolisation déjà mentionné. Quant aux esprits ainsi formés – ou déformés – on
peut craindre qu’ils ne soient aussi flottants et inconsistants que le pidgin ou le petit –nègre
qu’ils parlent. En ce qui concerne le développement, il n’est pas conséquent d’attendre des
miracles de ceux qui sortent d’un tel système d’éducation.

Si l’on prend du recul pour considérer globalement notre situation linguistique, on peut en
brosser le tableau suivant :

Au sommet du tableau se place une mince élite extravertie ayant bénéficié d’une formation
longue et maîtrisant convenablement la culture moderne et au moins une langue européenne.
Elle est essentiellement tournée vers l’extérieur, plus précisément vers l’Europe ou
l’Amérique dont elle attend aide, appui, reconnaissance ou consécration.

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Vient ensuite, en rangs plus serrés, la troupe des victimes de nos systèmes d’éducation
défectueux. Elle est constituée par ceux qui ont été insuffisamment ou médiocrement
scolarisés. Elle flotte quelque peu entre une modernité convoitée mais inaccessible et une
tradition mal connue, mais dans laquelle elle a un pied à son corps défendant. Elle tend à
organiser et à assurer son univers ambigu et son parler baroque, composite, sinon informe.

Enfin, la foule innombrable de ceux qui n’ont pas, ou presque pas, été à l’école. Elle se divise
en un grand volume de communautés linguistique plus ou moins fermées. Les plus petites
d’entre elles sont généralement bilingues (deux langues africaines) et s’intègrent dans des
communautés linguistiques plus vastes.

Entre ces trois étages, la communication passe mal. L’élite, toute à ses luttes pour les places
ou le pouvoir, ne voit dans les autres groupes que des masses de manœuvres. Par souci
d’efficacité, les colons, systématiquement, faisaient traduire leurs volontés aux colonisés et se
faisaient traduire leurs volontés aux systématiquement, faisaient traduire les doléances de
ceux-ci par tout un corps d’agents spécialisés, celui des écrivains – interprètes. Pendant les
luttes pour l’indépendance, la plupart des politiciens s’adressaient aux masses dans les
langues africaines. Aujourd’hui ces traditions sont abandonnées, surtout dans nombre de pays
‘’francophones’’, où l’on assiste parfois à des scènes franchement absurdes. Prenons un seul
exemple. L’ancien Président du Cameroun avait reçu le général GOWON alors chef d’Etat
Nigérian, à Garoua, sa ville natale. GOWON, qui connaissait le fufulde, s’adressa
instinctivement à la population en cette langue comprise par tous au Nord Cameroun. Son
hôte Peul lui répondit… en français ! A croire que certains craignent de déchoir en
s’exprimant publiquement en une langue africaine ! Les médias, presse écrite, télévision,
ignorent carrément les langues nationales. La radio leur consacre peu d’heures d’émissions.
Le personnel qui en est chargé n’y est pas préparé, puisque les écoles de journalisme ne
prévoient pas l’enseignement des langues africaines. Une bonne partie des émissions en
langues africaines est consacrée aux cultes, aux slogans et aux mots d’ordre politiques. Même
les discours politiques les plus importants ne sont pas traduits.

Résultat : les locuteurs des langues africains sont littéralement reclus dans leurs communautés
linguistiques. Du monde extérieur, il ne leur parvient guère que des prêches, des prières et des
slogans.

Les auteurs des textes publiés dans ce volume voient avec une unanimité impressionnante
dans cet oubli du problème de la communication une des causes majeures de l’échec de

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l’effort de développement. Ils soutiennent par conséquent que la restauration de la
communication par le recours aux langues nationales redynamisera le processus de
développement. La position du problème linguistique en relation avec les problèmes de
développement constitue une innovation de taille qu’il convient de souligner. Auparavant, la
question des langues africaines était soulevée en liaison avec la quête de l’identité et le souci
d’affirmer la négritude. Cette ancienne problématique était dominée par la méfiance à l’égard
de la science et de la technique. Et comme un ténor de la négritude, loin d’user de son pouvoir
politique pour promouvoir les langues sénégalaises, s’était fait le protagoniste de la
francophonie, on avait compris qu’il ne fallait pas prendre le discours négritudiniste au pied
de la lettre.

Maintenant, la nécessité de recourir aux langues africaines découle de l’analyse, faite par les
praticiens du développement, des difficultés rencontrées sur le terrain. Et comme aux yeux de
tous, le développement est considéré comme un impératif vital, il y a lieu d’espérer que la
question linguistique bénéficiera désormais de la même priorité.

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Conclusion
Notre optimisme est-il excessif ? Peut-être. Mais il semble bien qu’il existe maintenant des
raisons réelles d’espérer, des chances d’avancer et même d’aboutir. En République
Centrafricains, où le Sango, largement dominant, ne demande qu’à être développé, le
problème est presque résolu. Au Cameroun, où il semble au contraire le plus complexe, le
parti s’est prononcé pour la promotion des langues nationales et leur introduction dans les
programmes scolaires. Le Président de la République, dans son livre-programme ‘’pour le
libéralisme Communautaire’’ lui a aussitôt emboîté le pas. Des équipes de recherche, des
comités de langues dont TADADJEU et SADEMBOUO ont exposé ici les objectifs et le
fonctionnement s’activent depuis des années et accumulent des travaux ; des expériences
d’enseignement de langues nationales se poursuivent de manière concluante.

Apparemment donc, nous sommes sur le point de passer aux actes. Raison de plus pour
redoubler de vigilance de peur que des initiatives désordonnées ne compliquent le problème
au lieu de le résoudre. L’effort de réflexion, qui doit s’intensifier et s’approfondir à cette
phase délicate de l’entreprise, visera à dessiner une politique linguistique à long terme et à
arrêter une stratégie, pour ne pas se perdre dans les détails et les minuties. D’une façon très
générale, notre problème linguistique consiste à assurer efficacement la communication entre
les différentes couches sociales et les différentes ethnies à l’intérieur des frontières nationales,
d’une part, entre les différents pays africains et ave le monde extérieur, d’autre part.

Considéré sous cet angle essentiellement fonctionnel et pratique, le problème linguistique


africain se révèle beaucoup moins redoutable qu’il ne paraît d’abord. En Afrique, la plupart
des petites communautés linguistiques adoptent collectivement comme second idiome une
langue de plus grande extension. Partant de ce bilinguisme traditionnel, P. Alexandre dans
l’ouvrage déjà cité, observe qu’une politique linguistique qui se fonderait avant tout sur ces
langues de grande extension pourrait couvrir le continent entier avec une cinquantaine3de
langues seulement ; ce qui est très raisonnable et très faisable. Si l’on part au contraire du
principe que toutes les unités linguistiques scientifiquement définies méritent un sort
rigoureusement identique, par respect des identités culturelles – coïncidant généralement avec

3
Voir le tableau complet de ces langues dans l’ouvrage de P. Alexandre, ‘’Langues et Langage en Afrique
Noire’’, PP. 16-24, Payot, Paris 1967.
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les identités linguistiques – il sera fort difficile de s’en sortir. Cette voie est impraticable et
aucun grand pays au monde n’a pu l’emprunter. Donc, la communication avec les masses peut
être assurée à un coût raisonnable par l’utilisation prioritaire des langues véhiculaires – sans
pour autant ignorer les autres.

Resterait le problème de la communication entre Etats Africains et avec le monde extérieur.


Pour l’instant et pour longtemps encore, les langues coloniales jouent ici un rôle précieux.
Mais tout un continent ne saurait s’installer dans une telle situation pour l’éternité. Si l’unité
africaine constitue un objectif réel, l’Afrique devra comme le 2ème Congrès des Ecrivains et
Artistes Noirs l’avait recommandé en 1959, promouvoir au niveau panafricain, une langue ou
un petit nombre de langues au rang de langues de l’Union, les langues coloniales étant
maintenues, mais comme langues étrangères.

Travaillant dans une telle perspective, APICA pourrait organiser un système de formation
fondée principalement – mais non exclusivement – sur les 4 ou 5 langues véhiculaires de
notre sous-région.

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PHILOSOPHE
DU LANGAGE

REFLEXIONS CRITIQUES
DE L’EXTRAVERSION
LINGUISTIQUE

TEXTE INTEGRAL
DE

LANGUES
NATIONALES
ET
MAÎTRISE
DU DEVELOPPEMENT

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