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‫كلية اآلداب والعلوم اإلنسانية‬

ⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜ ⵜ ⵜⵜⵜⵜⵜ ⵜ ⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜ


ⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜⵜ

Faculté des Lettres et des Sciences Humaines


Filière Etudes Françaises

Théories linguistiques
Semestre 5
Groupes: 1 & 2

Pr. Rachid Baalla

Le Programme

I- Introduction
II- La notion de grammaticalité
III- La linguistique historique
IV- La linguistique générale
V- Les universaux fonctionnels
VI- Le fonctionnalisme
VII- Le distributionnalisme
VIII- Glossaire

La bibliographie :
 André Martinet, Eléments de linguistique générale, Armand Colin, Col. Cursus, 4ème
édition, Paris, 2005.
 Georges Molinié, Eléments de stylistique française, Éd. Puf, Paris, 1986.
 J. Dubois et autres, dictionnaire de linguistique, Larousse, Paris, 1973.
 Robert Martin, Comprendre la linguistique, Éd. Puf, Paris, 1ère Éd. 2002.

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Que décrit le linguiste?

Vision traditionnelle :

La vision classique de l’étude du langage consiste à dire que le linguiste a pour objet la
description des langues naturelles, dans l’espace et dans le temps. Dans l’espace, dans la
mesure où son travail consiste non seulement à décrire une langue particulière, par exemple le
français, mais surtout à décrire l’ensemble des variétés de langues qui sont parlées dans le
monde. Dans le temps aussi, car le processus de changement dans la formation des langues, et
dans leurs évolutions, sont fondamentaux pour comprendre en quoi consistent les langues
naturelles.

Vision moderne :

Cette notion n’a pas été retenue telle quelle dans le projet de la science du langage qu’est la
linguistique contemporaine. Celle-ci s’est donnée en effet, un objet plus abstrait, mais de
portée plus générale dont la connaissance devrait nous permettre de savoir en quoi consistent
les langues naturelles. De manière lapidaire, nous dirons que le linguiste ne décrit pas les
langues, mais les connaissances que les sujets parlants ont des langues. Dans cette
perspective, la linguistique est une science qui appartient de plein droit à la psychologie
cognitive, à savoir le domaine de la psychologie qui s’intéresse aux facultés mentales à
l‘origine des comportements, des pensées et des manifestations langagières.

Prenons un exemple pour illustrer cette proposition :

P1. D’incolores idées vertes dorment furieusement.


P2. Sophie est un glaçon.

P1 et P2 sont grammaticales au sens où elles respectent les règles de la grammaire, c’est-à-


dire les règles de construction des phrases. Mais la première est ininterprétable, alors que la
deuxième, considérée comme une métaphore, est interprétable.

Cela dit, il existe un point commun entre ces deux phrases ; chacune viole d’une certaine
façon les règles de la grammaire, à savoir le fait que les prédicats de P1 et P2 sélectionnent
leur sujet. De même que « dormir » impose un sujet grammatical animé « être un glaçon » est
incompatible avec un sujet grammatical humain.

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Cet exemple montre en quoi consiste le domaine de la linguistique qui est l’étude des
connaissances que les sujets parlants ont de la langue, connaissances qui sont à l’origine de
leur capacité à formuler des jugements sur le caractère grammatical ou non grammatical des
phrases, sur leur interprétabilité ou leur ininterprétabilité, leur caractère ambigu ou univoque,
leur unicité ou leur multiplicité de sens.

II- La notion de grammaticalité

Chaque sujet parlant qui, par définition, possède la grammaire de sa langue, peut porter sur
les énoncés émis des jugements de grammaticalité. Le locuteur natif peut dire si une phrase
faite de mots de sa langue est bien formée au regard des règles de la grammaire qu’il a en
commun avec tous les autres sujets parlant cette langue; cette aptitude appartient à la
compétence des sujets parlants, elle ne dépend ni de la culture ni du groupe social du locuteur.

Ainsi, en français, L'enfant aime le chocolat est une phrase grammaticale ; au contraire,
Aimer chocolat enfant est une phrase agrammaticale. Autrement dit, le locuteur constate
l’agrammaticalité ou la grammaticalité de la phrase. S’il y a des différences entre les locuteurs
natifs sur la grammaticalité d’une phrase, c'est que leurs compétences (leurs grammaires) sont
des variantes du même système.

Les jugements de grammaticalité ne se font pas seulement par rejets ou acceptations ; il


existe des degrés de grammaticalité qui peuvent être évalués par la nature de la réglé violée :

 La phrase L'enfant n'a pas du avoir eu de chocolat est une phrase déviante,
grammaticalement douteuse, car sa structure n’est pas entièrement conforme aux
règles de la grammaire.
 La grammaticalité se distingue de la signification : Le vestibule éclaire le néant est
une phrase grammaticale, mais difficilement interprétable, sinon métaphoriquement;
de la vérité ou de la conformité à l’expérience générale de la communauté culturelle.
 La lune est carrée et L'homme mort est vivant sont des phrases grammaticales, mais
fausses ou contradictoires.
 De la probabilité d’un énoncé : Le rhinocéros regarde avec attention le film a peu de
chance d’être fréquemment réalisée.
 de l’acceptabilité ou possibilité de comprendre une phrase grammaticale, mais de
grande complexité : La soirée que le garçon que l'ami que tu as rencontré, connait,
donnait, était une réussite, est inacceptable.
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La grammaticalité ne se fonde pas sur l’emploi d’un mot ou d’une construction mais sur un
jugement. Et ce jugement ne relève pas de l'expérience acquise, mais d’un système de règles
générales intériorisées au cours de l’apprentissage de la langue. Aussi ce sont les jugements
de grammaticalité qui vont servir à établir les règles d’une grammaire et les agrammaticalités
recensées permettent de définir les contraintes qui s'exercent sur les règles générales (règles
dépendantes du contexte).

III- La linguistique historique :

On s’accorde généralement à reconnaitre que le statut de la linguistique comme étude


scientifique du langage est assuré par la publication en 1916 du Cours de linguistique
générale de F. de Saussure.

1. Cependant, si nous considérons la période antérieure, nous constatons que, depuis


l’Antiquité, les hommes se sont penchés sur le langage et ont réuni une somme d'observations
et d’explications considérables. L’héritage est énorme, pensons à cette analyse de la langue
que représente l’écriture, modèle de la double articulation du langage. Dès l'Antiquité, trois
soucis principaux apparaissent qui donnent naissance à trois sortes d’études. Le souci
religieux d’une interprétation correcte des textes anciens, textes révélés ou dépositaires des
rites (les Veda, les textes homériques) met en évidence l’évolution de la langue et, en se
laïcisant, donne naissance a la philologie. La valorisation du texte ancien, sacré ou
respectable, fait de toute évolution une corruption et développe une résistance au changement.
D’ou l'apparition d’une attitude normative qui se fige, à l’occasion, en purisme. Parallèlement,
aux grandes époques de la philosophie, le langage est appréhendé en tant qu'institution
humaine et son étude s’intègre à la philosophie (ainsi les réflexions sur la nature du langage
chez Platon).

2. Mais c'est au sein du courant de la grammaire historique et comparée (1816-1870) que nait
le concept de linguistique (dont la première apparition est attestée dans le dictionnaire de
Boiste en 1800) et qu’apparaissent les premières revendications d’ordre scientifique. En effet,
à partir de l’objet fixé à l'origine : établir une parenté génétique entre les langues pour
atteindre la langue mère (tentation qui peut être qualifiée de philosophique ou de
théologique), la grammaire historique définit un point de vue et une méthode que les
linguistes de la grammaire comparée et les néogrammairiens vont radicaliser. Les langues
doivent être étudiées pour elles-mêmes, comme objets, et non comme moyens de

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connaissance (Bopp). On s’attache alors à des objets réels, tangibles, comparables : les textes
écrits, dont l’observation permet de conclure à l'existence de changements linguistiques à
l’intérieur de la langue étudiée. Ceux-ci sont imputés à une nécessité interne à la langue : celle
des lois phonétiques. La procédure d’analyse est celle qui opère avec succès dans les sciences
de la nature. La « linguistique scientifique », qui vient de naître, méfiante à l'égard des
spéculations, collecte des faits, accumule les observations, exige du linguiste la plus grande
neutralité. Les travaux des comparativistes et des premiers phonéticiens ne permettent
cependant pas d’établir la manière dont fonctionne la langue telle qu'elle se présente à
l’utilisateur : la langue parlée.

Toutes les langues évoluent : entre le français des XIIe ou XIIIe siècles et celui
d'aujourd'hui la différence est si grande qu'il est impossible de comprendre, sans étude
approfondie, le Tristan de Béroul ou le Percerai de Chrétien de Troyes. Seules restent figées
les langues mortes (le sanskrit, le grec, le latin...), enseignées comme des objets intangibles et
parfois devenues la langue de textes sacrés, comme l'hébreu biblique ou l'arabe classique du
Coran. Aussi longtemps qu'une langue est vivante, elle ne cesse de se transformer, de
s'adapter aux besoins d'une communauté qui elle-même évolue et de refléter une vision des
choses qui se renouvelle continûment. Les langues ont une histoire - comme les groupes qui
les manient : ce sont des objets contingents et non pas des objets immuables.

La linguistique a donc forcément une dimension historique. On peut certes se désintéresser


de l'histoire. La linguistique « structuraliste », américaine ou européenne, a considéré que le
bon fonctionnement des langues ne supposait en rien des connaissances historiques : deux
locuteurs qui savent le français peuvent se comprendre parfaitement, même s'ils ignorent tout
de l'histoire du français. Cela est incontestable. Peut-on pour autant négliger l'histoire ? C'est
impossible, pour toutes sortes de raisons.

On n'imagine pas une société qui ferait fi de son histoire : comment comprendre où l'on va
en ignorant d'où l'on vient? La mémoire sociale, l'expérience du passé, l'enracinement dans
l'histoire sont indispensables à la conscience qu'une société peut avoir d'elle-même ; l'histoire
contribue largement à en fonder la cohérence ; elle seule peut créer le sentiment d'une identité.
La culture elle-même est inséparable de l'histoire - y compris la culture scientifique, qui ne va
pas en dehors des étapes qui l'ont construite. Or l'histoire d'une société, de sa culture, de ses
mentalités n'est pas dissociable de l'histoire de sa langue : la vie sociale suppose une langue
partagée, et celle-ci conserve en elle les traces de l'histoire commune. Les historiens le savent,

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qui accordent au contenu exact des mots une importance de plus en plus grande.

Voyez un mot comme nation et les vocables qui en dérivent. Allez enseigner toutes les
nations : la couleur est biblique et les nations sont ici tous les gens, toutes les familles
humaines ; la Nation comme « personne juridique constituée par l'ensemble des individus
constituant l'État » (Sieyès) date de la Révolution ; ainsi conçue, la Nation évoque
l'Assemblée nationale de 1789 ; c'est sous la Révolution aussi que l'on nationalise les biens du
clergé ; il faut attendre le XIXe siècle pour que naisse une conscience internationale, tout
particulièrement, en 1864, par la première Internationale communiste ; quant à la
supranationalité, si elle existe dans le droit dès le début du XXe siècle, la notion politique
qu'elle recouvre est bien plus récente ; l'Europe des Nations suggère une conception de
l'Europe née depuis peu - et inégalement partagée. De quand datent le produit national brut,
les routes nationales, l'Education nationale, le Service national - désormais disparu ? Il
faudrait quelques recherches pour le dire avec précision. Cc qui nous importe ici, c'est que
toutes ces notions fout partie de notre histoire - et qu'il en est ainsi d'une multitude de
vocables, de locutions, de tournures, tous chargés d'histoire et qui sont autant de lieux de
mémoire.

- Toute langue porte en elle une part importante de non-compositionalité. Partir en


vacances est intelligible à qui sait ce que signifie partir et ce que signifie (être) en vacances :
partir en vacances est compositionnel ; le sens de l'ensemble résulte du sens de ses parties.
Rien de tel dans reprendre du poil de la bête: on a beau connaître le sens de tous les mots qui
y entrent (reprendre, poil, bête), impossible d'en déduire le sens de « se ressaisir » que cette
locution véhicule ; reprendre du poil de la bête n'est pas compositionnel. Seule l'histoire peut
éclairer ce contenu. Il se justifie sans doute par la croyance que, pour guérir une morsure, il
faut y mettre quelques poils de la bête qui l'a produite. On se ressaisit donc en reprenant du
poil de la bête. Comment parvenir à ce sens par le seul contenu des vocables ? II y faut une
clé que seul le retour historique peut fournir.

La locutionalité - le figement sémantique, si l'on préfère - tient dans toutes les langues une
place considérable. L'opacité qui en résulte n'est pénétrable que par des voies fort éloignées de
l'explication synchronique : la vision historique s'impose donc, même dans l'approche de la
langue contemporaine.

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IV- La linguistique générale :

On fait généralement remonter aux cartésiens le projet de grammaire universelle : les


termes de grammaire générale, grammaire philosophique et grammaire universelle sont
synonymes en cet emploi. La grammaire universelle formule « des observations qui
conviennent à toutes les langues » (Dumarsais). La grammaire universelle s'assigne donc
pour objet d’étude des mécanismes nécessaires et communs à toutes les langues, les
universaux du langage. Toutefois, le projet des cartésiens reste limité par leur conception du
rapport entre pensée et langue. L’innéisme cartésien amène à la croyance en un « ordre
naturel des pensées » ; des lors, les règles universelles du discours appartiennent non plus à
la linguistique, mais à la logique.

La linguistique a des visées d’un autre ordre : elle se situe par nature dans l’universalité,
au-delà des langues singulières.

1. La typologie génétique :

La typologie peut être génétique ou structurelle. Génétique, elle vise à rassembler les
langues qui viennent d'une langue commune. Ainsi, les langues dites « indo-européennes »
remontent toutes à une langue dont on ne possède aucun texte, mais dont les éléments sont au
moins partiellement reconstructibles par la comparaison des langues qui en sont issues (tout
particulièrement le sanskrit - la langue de l'Inde ancienne -, le grec ancien et le latin) La
famille indo-européenne se ramifie en diverses branches : les langues helléniques (le grec-
ancien et ses variétés, le grec moderne), les langues slaves (le russe, le bulgare, le tchèque, le
polonais, le serbe, le croate, le slovène...), les langues baltes (le lituanien, le letton), les
langues germaniques (l'allemand, l'anglais, le néerlandais, le danois, le suédois...), les langues
celtiques (l'irlandais, le gallois, le breton...), les langues romanes (le français, l'italien,
l'espagnol, le portugais, le roumain...), les langues indo-iraniennes (le hindi, le bengali, le
persan, le kurde...). Beaucoup d'autres familles génétiques sont plus ou moins aisément
reconnaissables : la famille chamito-sémitique (l'arabe, l'hébreu...), l'immense famille bantoue
(le wolof au Sénégal, le bambara au Mali, le dioula en Côte-d'Ivoire, le swahili au Kenya, en
Tanzanie, au Congo...), la famille finno-ougrienne (le finnois, le hongrois...), la famille
altaïque (le turc, le coréen, le japonais...), la famille dravitique (au sud de l'Inde), etc. Dans
l'état actuel des connaissances, il est impossible de fournir une classification génétique qui
ferait une place aux milliers de langues connues, européennes, africaines, malayo-
polynésiennes, asiatiques, amérindiennes (le nahuatl au Mexique, le quechua en Colombie et

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au Pérou...). Même tout près de nous, l'apparentement génétique de telle ou telle langue (le
basque ou l'albanais) peut rester problématique. Au demeurant, la contiguïté géographique et
les influences de langues en contact peuvent créer l'illusion d'un lien de famille qui n'a jamais
existé.

2. La typologie structurelle :

D'autres voies paraissent actuellement plus propices. Ainsi, une grande place est faite à
l'ordre du sujet (S), de l'objet (O) et du verbe (V) : certaines langues privilégient l'ordre SVO
(ainsi le français) ; d'autres, l'ordre SOV (le japonais mais aussi, très largement, le latin et
même l'allemand si l'on considère la proposition subordonnée) ; dans d'autres, plus rares,
prédomine l'ordre VSO (p. ex. en arabe classique) ou VOS (p. ex. en malgache). Ces types
sont en corrélation avec d'autres phénomènes comme l'existence de prépositions ou de
postpositions, la place de l'adjectif ou du complément déterminatif dans le groupe nominal, ou
encore la suffixation ou la préfixation : toutes sortes d'« implications » (f. Greenberg) peuvent
être dégagées (p. ex. les langues de type VSO manifestent une nette prédilection pour les
préfixes ; les langues SOV, pour les suffixes).

II existe sur tous ces points une littérature considérable. Impossible de traiter aucun des
points évoqués. Ce qui nous importe seulement, c'est de voir les finalités que la linguistique
générale se donne. Et au cœur du débat se situent les « universaux ».

V- Les universaux fonctionnels :


On appelle universaux du langage les similarités existant dans toutes les langues du
monde. Certains universaux relèvent de la psycholinguistique, pour autant qu'ils dépendent du
rapport entre langue et pensée humaine ; d’autres relèvent de l’ethnolinguistique, pour autant
qu’ils dépendent du rapport entre langue et culture.

L’idée même de linguistique générale n’a de sens que si les langues fonctionnent de la
même façon. Par-delà le constat de la conversion possible des langues les unes dans les autres,
ce postulat peut s’appuyer sur deux sortes d’homologies : des opérations universelles et des
propriétés communes.

Des opérations universelles :

1- Toutes les langues supposent des opérations qui discriminent dans le pensable des
objets conceptuels. Pour que l’on puisse parler de quelque chose, il faut que ce quelque chose

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soit isolable de la pensée. Les langues se comportent ainsi comme des systèmes symboliques
et dont les signes linguistiques se substituent aux choses ; ils portent en eux l’idée des choses.

2- Toutes les langues organisent les objets discriminés selon un principe de classification
et de hiérarchie. Toutes comportent des catégories qui les structurent, des catégories
grammaticales (notamment des « parties du discours », substantifs, adjectifs, verbes,
adverbes…, là aussi variable de langue à langue), des catégories morphologiques, mais aussi
des catégories sémantiques : les unités se relient par des implications successives : la rose est
une fleur, la fleur est une plante, la plante est un être vivant…

3- Universellement, même si la forme en est très diverse, la syntaxe de base est celle de
la prédication : quelque chose est dit de quelque chose ; un prédicat s’applique à un sujet ;
toutes les langues sont conçues pour fonctionner de la sorte. Dans l’immense majorité des
langues, ce mécanisme fondamental conduit à l’opposition verbo-nominale.

4- Toutes les langues du monde possèdent des procédures pour marquer l’ancrage dans le
réel des entités prédiquées : ces procédures sont dites référentielles :
 Des signes « indexicaux » réfèrent par l’acte même de parole : un mot comme je se
définit par « celui qui dit je » ; je n’a pas de référent en dehors de l’acte de parole ; ici
désigne le lieu où est celui qui dit « ici » ; et maintenant le moment où celui qui parle
dit « maintenant ». Toutes les langues possèdent de tels signes « indexicaux », même
s’ils se présentent sous des formes très variées.
 Des signes « déictiques » (en particuliers des démonstratifs) localisent par proximité
ou par éloignement.
 Des signes « anaphoriques » localisent selon que l’objet est censé identifiable par
l’interlocuteur ou qu’on suppose qu’il ne l’est pas (en français, le livre, c’est le livre
que tu sais ; un livre désigne un objet qui n’est pas encore identifié parmi les livres).
 Toutes permettent de faire le départ entre la référence générique (L’homme est mortel)
et la référence spécifique (L’homme entra) : souvent c’est le contexte seul qui permet
d’en décider (comme en français où le se prête aux deux emplois) ; ailleurs c’est par
des « classificateurs », comme en Tonga (langue bantoue) : mu-ntu « homme » ; ba-
ntu « hommes » ; bu-ntu « humanité ».

5- Toutes les langues ont le même comportement au regard de la véridiction. Un énoncé,


qu’elle qu’en soit la langue, pour peu qu’il soit assertif, prétend dire le vrai. Même un énoncé

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négatif dit universellement le vrai : il dit le vrai en disant ce qui n’est pas. Toutes les langues
autorisent aussi, par des moyens divers, le questionnement : la valeur de vérité de la
proposition mise en débat se trouve alors suspendue, à charge pour l’interlocuteur, s’il en est
capable de la rétablir. C’est du moins le mécanisme de l’interrogation totale, celle qui appelle
la réponse oui ou non (Pierre est-il revenu ? –Oui/Non). Dans l’interrogation dite « partielle »,
la proposition n’a pas de valeur de vérité parce qu’elle comporte une variable que la réponse
doit saturer (- Qui est venu ? -Pierre).

On voit donc dessiner, par-delà les différences, de remarquables homologies. Celles qu’on
a évoquées sont de l’ordre des opérations. Il en est d’autres : ce sont les multiples propriétés
que les langues ont en partage.

Des propriétés universelles :

1- Toutes les langues sont doublement articulées : la chaîne sonore se découpe en


phonèmes, unités minimales sur le plan du signifiant, et chaque langue dispose d’un nombre
fini de phonèmes, vocaliques et consonantiques ; la chaîne sonore se découpe par ailleurs en
morphèmes, unités minimale sur le plan du signifié (un mot comme détournement comporte
trois morphèmes, le préfixe dé-, le radical tourn- du verbe tourner et le suffixe d’action –
ement) ; toutes les langues possèdent des phonèmes et des morphèmes. Cette double
articulation, en phonèmes et en morphèmes, est un universel du langage. Les phonèmes
constituent le domaine de la phonologie ; les morphèmes, le domaine du lexique et de la
grammaire.

2- Toutes les langues comportent, non seulement des structures, mais de règles
« combinatoires », et conséquemment une grammaire opposée au lexique. Pourquoi par
exemple, pour dire strictement la même chose, l’ordre SOV (sujet – objet – verbe) dans telle
langue et l’ordre SVO dans telle autre, si ce n’est en raison de contraintes purement
grammaticales ? L’équivalence sémantique n’est d’aucune façon affectée. La grammaire,
toute grammaire, a pour seule fonction de conduire à des « expressions bien formées » ; elle
est le lieu des règles de bonne formation.

3- Dans toutes les langues, deux tendances s’équilibrent : l’une est dans la liberté
combinatoire, aux potentialités infinies ; l’autre, dans le figement. Toutes les langues
comportent un nombre considérable d’expressions toutes faites et de contraintes
combinatoires. - En français, on se tire d’affaire, en allemand on est « capable de s’aider soi-

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même » (Man weiss sich zu helfen), - d’un côté, on tire les cartes à quelqu’un ; de l’autre, on
le lui pose (jemandem die karten legen) - nous sommes fâchés contre quelqu’un, là où
l’Allemand se fâche « sur » quelqu’un. Les langues sont des systèmes à la fois ouverts et
fortement contraints. C’est une des principales difficultés de leur apprentissage.

4- Une propriété particulièrement importante est l’aptitude des langues à la transition


conceptuelle. Sans doute la démarche est-elle de nature cognitive ; mais les langues s’y
prêtent avec une remarquable aisance. Ainsi, toutes les langues sont ouvertes à la paraphrase.
Je dois le faire / Il faut que je le fasse / Il est nécessaire que je le fasse / Je vais le faire / C’est
indispensable…. Ces énoncés disent à peu près la même chose : ce sont des paraphrases dont
l’idée commune est celle de la nécessité pour moi d’agir. Cette idée abstraite de nécessité est
dans devoir, dans falloir, dans les adjectifs nécessaire et indispensable, elle se dégage par
l’analyse.

VI- Le fonctionnalisme :

La réflexion de l’école de Prague sur la fonction (les fonctions) du langage a donné


naissance à divers courants fonctionnalistes qui ont tendance à privilégier telle ou telle
fonction du langage. Ainsi, de l’œuvre d’André Martinet, on peut dégager les points essentiels
de sa conception selon laquelle deux grandes lois gèrent le langage et la communication
linguistique, à savoir :

- La loi de l’économie dans l’effort,


- La loi de la pertinence ou clarté du message.

Pour Martinet en effet, une langue est un instrument de communication selon lequel
l’expérience humaine s’analyse, différemment dans chaque communauté, en unités douées
d’un contenu sémantique et d’une expression phonique, les monèmes ; cette expression
phonique s’articule à son tour en unités distinctives et successives, les phonèmes, dont la
nature et les rapports diffèrent, eux aussi, d’une langue à une autre.

Le fonctionnalisme met l’accent plutôt sur la notion de fonction de communication de la


langue, tout en se basant sur la grammaire fonctionnelle d’un côté, et de l’autre côté sur la
théorie des doubles articulations qui se manifeste sur deux plans :

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1- Articulations des monèmes / morphèmes :
1-1- Les monèmes :

Dans la terminologie d’André Martinet, le monème est l’unité significative élémentaire. Ce


peut être un mot simple, un radical, un affixe, une désinence. Par l’emploi du terme de
monème, l’auteur cherche à désambigüiser le terme de morphème désignant les unités
significatives de base aussi bien lexicales que proprement morphologiques.
a) Monème autonome : si le rapport de l'unité avec l’énoncé est simplement impliqué dans le
contenu sémantique de l’unité, le monème est dit autonome parce qu’il peut figurer en toute
position. Ex. Aujourd'hui c'est ta fête, C'est aujourd'hui ta fête, C'est ta fête aujourd'hui, où
aujourd'hui a des places variables. Il en va de même pour hier, vite, souvent, etc.
b) Monème fonctionnel : la langue utilise des monèmes fonctionnels pour l’introduction
d’unités qui ne comportent pas en elles-mêmes, dans leur signification, leur rapport au reste
de l’énoncé. Le rapport à l'énoncé est alors spécifique par un ou divers autres monèmes, dont
c’est là le rôle et qu’on appellera monèmes fonctionnels. Ex. : depuis ta fête; depuis, monème
fonctionnel, spécifie le rôle de l’unité syntagmatique ta fête.
c) Monème dépendant : on appelle ainsi tout monème ne comportant pas en soi l’indication
de sa fonction (cas du monème autonome) et n’ayant pas pour rôle d’indiquer la fonction d’un
autre monème (cas du monème fonctionnel), c’est-a-dire l’immense majorité des monèmes de
la langue.
A cette liste essentielle des monèmes, A. Martinet ajoute :
- Les modalités, monèmes et syntagmes qui actualisent, spécifient, complètent un monème
dépendant. Ex. : articles et possessifs, comme son dans soit chien, la dans la voiture.
- Les monèmes prédicatifs, qui ne pourraient disparaitre de l’énoncé sans détruire celui-ci en
tant que tel. C’est l’élément autour duquel s’organise la phrase. Le monème prédicatif peut
constituer la totalité de l’énoncé : merci, ici, sensationnel, etc.

1-2- Les morphèmes :

Le terme de morphème désigne le plus petit élément significatif individualisé dans un


énoncé, que l’on ne peut diviser en unités plus petites sans passer au niveau phonologique.
C’est donc l'unité minimale porteuse de sens que l'on puisse obtenir lors de la segmentation
d'un énoncé sans atteindre le niveau phonologique. A ce titre, il s'oppose au phonème. On dira
donc qu'un énoncé comme Les boxeur souffrent est composé, sur le plan graphique, de sept
morphèmes le + s + box + eur + s + souffr + ent. On distingue les morphèmes lexicaux et les

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morphèmes grammaticaux, les premiers appartenant à une liste ouverte (box-, souffr-) et les
seconds à une liste fermée (le, -eur, -s, -ent).

On distingue, en outre, morphème simple et morphème composé, morphème segmental et


morphème suprasegmental, et on définit certaines unités comme morphèmes uniques. Le
morphème composé résulte de la composition de deux ou de plusieurs morphèmes uniques.
Dans cette terminologie, l’unité travaillons est un morphème composé, formé par la
juxtaposition des morphèmes uniques travaill- et -ons. Le morphème segmental forme tout ou
partie d'un mot, alors que le morphème suprasegmental ne fait pas partie du mot. Enfin, on
parlera de morphèmes uniques pour désigner les unités minimales significatives qui n’entrent
que dans une seule combinaison. Il s’agit en fait d’éléments faisant partie de locutions figées,
provenant d’états de langue antérieurs. On en prendra pour exemple fur dans au fur et à
mesure, for dans son for intérieur.

Dans la terminologie fonctionnaliste, morphème est réservé aux éléments grammaticaux,


comme les désinences verbales et casuelles, les affixes, etc.; par exemple –ons dans
travaillons. Le morphème est ici oppose au lexème : par exemple, travaill- dans travaillons.
Le terme regroupant ces deux ensembles est celui de monème ; travaillons comporte deux
morphèmes. L’opposition entre morphèmes et lexèmes recouvre alors la distinction de la
grammaire traditionnelle entre affixes et radicaux.

2- Articulation des phonèmes :

Il s’agit d’une articulation de son, et qui font la différence lorsqu’on a des mots
similaires. Elle est de ce fait une articulation distinctive. Par exemple « pain » et « bain » la
seule différence concerne les unités -p et –b et qui font la différence de sens.

Un deuxième exemple concerne le son « ui » dans la liste de mots suivante : oui ; puis ;
lui ; nuit ; suit ; cuit. Le phonème est donc défini par sa fonction de distinction dans la
communication.

En résumé, lorsque nous parlons de double articulation du langage, nous parlons de deux
niveaux d’organisation du langage :

a- Première articulation ; les monèmes & morphèmes (qui ont un signifié et un signifiant),
b- Deuxième niveau d’organisation ; les phonèmes (qui n’ont qu’un signifiant).

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VII- Le distributionnalisme :

Simultanément avec l’apparition de l’ouvrage posthume de Saussure, une autre théorie


s’est développée avec Leonard Bloomfield dans son ouvrage connu sous le nom de Language
(1933). Il s’agit de la théorie distributionnelle qui a beaucoup de similitudes avec la théorie
Saussurienne et qui va dominer jusqu’à la fin des années 1950.

C’est une approche formelle qui écarte toute considération relative au sens ; son objet est
de « définir les unités non par leur contenu (en disant par exemple qu’un verbe exprime une
action), mais par leur comportement à l’égard d’autres unités » ; c’est une méthode
descriptive et inductive, son principe est de constater les unités constitutives d’une langue.
Des unités constitutives qui peuvent être caractérisées par les positions qu’elles occupent les
unes par rapport aux autres.

Selon cette théorie, les unités de la langue se répartissent en constituants et formes


linguistiques.

a- Les constituants immédiats :

En linguistique distributionnelle, la phrase est analysée en constituants immédiats


décomposées par étapes successives :

- Les syntagmes,
- Les syntagmes en mots,
- Les mots en morphèmes.

Exemple : ma voisine prépare le repas.

 Structure nominale : ma voisine


 Structure verbale : prépare le repas.

b- Les formes linguistiques :

Les formes linguistiques sont de deux types :


- Les formes lexicales : c’est la combinaison de phonèmes qui possèdent un sens lexical,
c’est le mot.

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- Les formes grammaticales : la classe grammaticale d’un mot, c’est-à-dire la catégorie
de mot à laquelle il appartient. Généralement, on compte neuf classes grammaticales :

 Nom : désigne un objet animé ou objet inanimé ou même une idée (par exemple :
un tableau artistique).
 Déterminant : un mot qui précède un nom et qui permet de former un groupe
nominal (par exemple : mon sac).
 Adjectif : c’est le mot qui dépend toujours d’un autre mot, en général d’un nom
(par exemple : un ciel bleu).
 Pronom : remplace en général un groupe nominal, pour un rôle de substitution (par
exemple : la clé que tu as trouvée est la mienne).
 Verbe : c’est le mot qui indique l’état ou l’action du sujet, c’est autour du verbe
que la phrase s’organise (l’exemple pour l’état du sujet : un jeune homme semblait
curieux, pour l’action du sujet : un homme courrait sur la corniche).
 Adverbe : classé comme mot invariable qui a toujours la même forme, autrement
dit, quoi qu’il soit le contexte dont il est utilisé, il ne change jamais (par exemple :
il écrit rapidement / elle écrit rapidement).
 Préposition : mot invariable qui introduit un complément en lui donnant un
sens (par exemple : je suis à l’école).
 Conjonction : mot invariable qui unit deux mots ou deux phrases entre elles (par
exemple : cette chanson est enfantine mais intéressante).
 Interjection : un mot invariable exprimant un sentiment fort (joie, tristesse,
surprise, colère, doute…, suivi d’un point d’exclamation ou parfois suivi d’un point
d’interrogation). Exemple : comme il est beau !

Grosso modo, le principe de base de l’analyse distributionnelle est de dégager l’identité du


mot, en relevant à chaque niveau les environnements d’un élément ; c’est une approche
formelle qui écarte toute considération relative au sens.

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VIII- Glossaire :

-Anaphore : mot ou syntagme qui, dans un énoncé, assure une reprise sémantique d’un
précédent segment appelé antécédent ou plus simplement, rappelle par un moyen grammatical
une idée déjà exprimée ou un fait qui s’est déjà produit. En grammaire, l'anaphore est un
processus syntaxique consistant à reprendre par un segment, un pronom en particulier, un
autre segment du discours, un syntagme nominal antérieur, par exemple. Ainsi, il y a
anaphore par en dans la phrase : Des vacances, j'en ai vraiment besoin. Il y a anaphore par
tous dans Femmes, enfants, vieillards, tous étaient venus. Le segment représenté est dit
antécédent.

-Déictique : référence basée sur les conditions particulières de l’énonciation comme l’identité
du locuteur, le temps et l’endroit de l’énonciation ; moi, toi, ceci, cela, aujourd’hui, hier ici, là
sont des exemples de deixis.

-Désinence : On appelle désinence l’affixe qui se présente à la finale d'un nom ou d’un
adjectif (désinences casuelles) ou à la finale d’un verbe (désinences personnelles ou verbales)
pour constituer avec la racine, éventuellement pourvue d’un élément thématique, une forme
fléchie. Ainsi, Le pluriel chantons est formé de la racine chant et de la désinence verbale ons.

-Embrayeur : mot dont le sens est déterminé par son contexte d’énonciation et où ce sens
renvoie à ce contexte. La notion sous-jacente inclut donc aussi bien des déictiques, des
pronoms que le temps auquel le verbe est fléchi. Dans un énoncé comme : je respire ici et
maintenant, tous les mots excepté la conjonction et sont des embrayeurs.

-Faux-ami : mot proche, dans sa prononciation ou son orthographe, d’un terme d’une autre
langue mais dont le sens est différent. Class : un cours, une leçon / une classe : classroom.

-Indexicalité : signification d’un mot dépendant entièrement de certaines caractéristiques du


contexte dans lequel il est prononcé.

-Infixe : On appelle infixe l'affixe qui s'insère à l'intérieur d'un mot pour en modifier le sens ;
ainsi, en latin l'infixe nasal « n » s’insère parfois dans la racine du mot pour la constitution du
verbe ; la racine frag- avec infixe n devient frango « briser ».

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-Langues sémitiques : langues qui appartient à un groupe de langues d'Asie occidentale et
d'Afrique, présentant des caractères communs ; racines trilitères, richesse en consonnes, etc.
(l’arabe, l’hébreu…).

-Linguistique comparée : branche de la linguistique qui se propose d’étudier l’évolution des


langues à travers une approche historique. Comme son nom l’indique, l’outil principal de
cette discipline est la comparaison entre les divers états d’une même langue.

-Onomatopée : mot imitatif lui-même, formé grâce à ce procédé ou tournure expressive à


base de syllabes dépourvues de sens ; blabla (discussion), chut (invitation à se taire), youpi
(cri de joie).

-Philologie : science historique qui a pour objet la connaissance des civilisations passées par
les documents écrits qu’elles nous ont laissés : ceux-ci nous permettent de comprendre et
d’expliquer ces sociétés anciennes. Elle est donc d’abord une science auxiliaire de l’histoire
au meme titre que l’épigraphie, la numismatique et la papyrologie. Son objet est d’établir les
règles de les éditer.

-Purisme : (généralement péjoratif) attitude normative visant à défendre la pureté supposée


d’une langue (rejetant par les exemples les emprunts de mots étrangers et les néologismes).

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