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ISBN : 9782200632472
Avant-propos 13
PARTIE 1
INTRODUCTION À LA LINGUISTIQUE FRANÇAISE
2 Langage et communication 37
1 Communication littérale et communication non littérale 37
2 Pourquoi la communication est-elle non littérale ? 39
3 Modèle du code et modèle de l’inférence 40
Le modèle du code 40
Le modèle de l’inférence 41
4 Signification de la phrase et sens de l’énoncé 43
Phrase et énoncé 43
5 L’enrichissement pragmatique 45
Implicatures et explicatures 46
Spécification et élargissement 48
6 La pertinence 49
Pourquoi la communication est-elle non littérale ? 50
Comment comprenons-nous les énoncés non littéraux ? 51
7 Références de base 51
8 Pour aller plus loin 51
PARTIE 2
LES DOMAINES DE LA LINGUISTIQUE FRANÇAISE
14 Implicatures 221
1 La théorie gricéenne des implicatures 221
Signification non naturelle 221
Coopération et maximes de conversation 223
Implicatures conversationnelles 225
Implicatures conventionnelles 227
Propriétés des implicatures 228
15 Sociolinguistique 237
1 Les variations dans l’usage du langage 238
Les fondements de la sociolinguistique 238
La notion de sociolecte 240
Bibliographie 251
Index 337
Avant-propos
Introduction à la linguistique
française
Chapitre 1
1. Affirmations ordinaires
et questions non ordinaires
sur le langage
Voici un échantillon non exhaustif d’affirmations sur le langage qui
reviennent régulièrement dans les questions posées par nos étudiants :
1. Les langues non écrites ne sont pas de vraies langues et il y a des langues
plus importantes que d’autres.
2. Le français est une langue logique, claire et belle.
3. Les enfants apprennent à parler en imitant leurs parents.
4. Une langue est composée de lettres, de mots et de phrases.
5. Les langues changent sous l’influence des contacts avec d’autres langues.
6. Il faut protéger le français de l’influence des autres langues (anglais,
arabe, etc.) pour le préserver.
7. Les langues actuelles sont menacées par des usages fautifs et erronés
(médias, parler jeune, administration, etc.).
8. Seuls les mots du dictionnaire appartiennent à la langue.
9. Le linguiste s’intéresse à l’origine des mots, car c’est de là que vient leur
signification.
L’acquisition du langage
L’acquisition du langage est l’un des domaines de la linguistique qui nous
permet de mieux comprendre les propriétés des langues naturelles, mais aussi
d’imaginer comment le langage a pu émerger chez l’homme – l’idée étant
que l’ontogénèse, le développement de l’individu, permet de comprendre la
phylogénèse, le développement de l’espèce. Il y a actuellement deux grands
modèles de l’acquisition du langage : le modèle social et le modèle cognitif.
Selon le modèle social, l’acquisition du langage est fondamentalement un
fait d’imitation de la part du jeune enfant. Dans ce modèle, l’acquisition
dépend fortement des stimuli verbaux (données initiales ou inputs) fournis
par l’environnement social et culturel de l’enfant. Selon le modèle cognitif,
l’acquisition du langage n’est pas un fait d’imitation, mais est directement
dépendante d’une faculté cognitive, la faculté de langage. L’idée étant que le
langage est inné et se développe naturellement par l’exposition à une langue
particulière dans les premières années de vie, sans qu’un apprentissage
explicite ne soit nécessaire. L’argument principal qui corrobore le modèle
cognitif est la pauvreté des stimuli, à savoir le fait que les enfants savent
(linguistiquement) beaucoup plus que ce qu’ils entendent.
Par ailleurs, l’hypothèse d’un organe du langage, à l’origine de
l’acquisition du langage, peut être précisée d’un point de vue physiologique.
Certaines aires du cerveau humain, appelées les aires de Broca et de
Wernicke d’après les chirurgiens qui les ont découvertes, sont dévolues au
langage. Le lien entre ces aires cérébrales et le langage a été découvert au
XIXe siècle, lorsque des analyses post-mortem ont révélé qu’elles étaient
systématiquement lésées chez des patients qui avaient souffert de troubles
importants du langage. L’aire de Broca est plus spécifiquement liée à la
production des phrases, comme l’illustre ce fragment de discours, produit par
un patient souffrant d’une lésion à cet endroit (Pinker 1999a : 306).
1. Oui…euh…lundi…euh… Papa et Peter Hogan, et Papa…euh…hôpital… et euh…
mercredi… mercredi neuf heures et euh…jeudi… dix heures euh… docteurs… deux…
deux… et docteurs et… euh…dents…ouais… et un docteur et fille…et gencives…et moi
Enfin, l’argument d’un organe du langage est renforcé par le fait que
l’enfant peut acquérir n’importe quelle langue parlée par les gens de son
environnement. Dans les grandes lignes, l’acquisition du langage chez
l’enfant suit les étapes suivantes. Jusqu’à douze mois, période de babil, le
bébé exerce ses articulateurs sur les sons de son entourage, et cible ainsi la
langue qui fera l’objet de l’acquisition. Dès l’âge d’un an environ, le bébé
produit des mots isolés (nounours, oui, non, bébé, maman, papa), puis à
partir de dix-huit mois, des phrases à deux mots (veux pas, veut ça, donne
nounours). Au cours de la troisième année se produit une véritable explosion
grammaticale, avec l’apparition de l’ensemble des catégories grammaticales
présentes dans la langue maternelle, et l’acquisition de la plupart des
structures complexes comme les phrases relatives, les questions, etc. Dans le
cas du français, la catégorie la plus représentée est d’abord les noms, puis les
verbes et enfin les catégories fonctionnelles (prépositions, articles,
conjonctions, etc.). Vers l’âge de quatre ans déjà, le langage de l’enfant
s’apparente grandement à celui de l’adulte. Ces étapes sont par ailleurs
constantes, quelle que soit la langue à laquelle l’enfant est exposé.
L’évolution du langage
Les langues sont des systèmes qui évoluent. Elles sont des entités vivantes
qui naissent, se transforment et finissent par disparaître. Par exemple, comme
nous le verrons au chapitre 4, le français est né à partir d’une forme de parler
roman lui-même issu du latin vulgaire. Inversement, le latin a fini par
disparaître complètement, en donnant ainsi naissance à toute une famille de
langues romanes comme l’italien, le portugais et le français.
5. Références de base
Les deux fonctions du langage sont résumées dans l’introduction de
l’ouvrage de Reboul & Moeschler (1998a). Pinker (1999a, chapitre 1)
présente la notion d’instinct du langage. Anderson (2004) fournit une
introduction très accessible aux différents modes de communication animale.
Lestel (1995) résume et discute les tentatives réalisées pour apprendre à
parler aux singes. Les différentes pathologies du langage ainsi que les
méthodes utilisées en neurosciences pour les étudier sont présentées de
manière très accessible par Cohen (2004).
Questions de révision
1.1. Quelles sont les deux fonctions envisagées pour le langage ?
1.2. Quels sont les arguments en faveur de chacune d’elles et quels contre-arguments
peut-on y opposer ?
1.3. Qu’est-ce que la théorie de l’esprit et en quoi cette faculté est-elle utile pour
communiquer ?
1.4. La théorie de l’esprit est-elle spécifique à l’être humain ?
1.5. Pourquoi l’acquisition du langage ne peut-elle pas être expliquée par un simple
phénomène d’imitation comme le prévoit le modèle social ?
1.6. Quelles sont les principales étapes de l’acquisition du langage ?
1.7. Quelles sont les aires cérébrales impliquées dans la faculté de langage et à quoi
servent-elles ?
1.8. Citer et expliquer les critères qui permettent de distinguer la communication humaine
de la communication animale.
Chapitre 2
Langage et communication
au chapitre 1 que la fonction du langage est
N OUS AVONS VU
fondamentalement cognitive. Dans ce chapitre, nous allons nous
demander comment expliquer que le langage soit également utilisé pour la
communication verbale. Nous commencerons par constater que la
communication verbale est bien souvent non littérale et expliquerons les
raisons de ce phénomène. Nous montrerons ensuite que la communication
verbale repose sur un double processus : le décodage d’un contenu
linguistique et l’enrichissement de ce contenu par des mécanismes
inférentiels. Enfin, nous verrons par quels processus pragmatiques la
signification de la phrase une fois décodée doit être enrichie pour comprendre
le vouloir dire du locuteur.
1. Communication littérale
et communication non littérale
Le premier fait à mentionner à propos de la communication verbale est
que, la plupart du temps, les locuteurs ne communiquent pas directement
leurs intentions, mais le font de manière indirecte ou implicite. Voici
quelques exemples de communication non littérale :
1. Quel coup de maître ! (en réaction au bris d’un vase ming)
2. Mes assistantes sont des perles.
3. L’Élysée a décidé d’augmenter les impôts.
4. Je suis garé dans le parking de la faculté.
5. Jacques : Axel, va te laver les dents !
Axel : Papa, je n’ai pas sommeil.
Dans le cas de l’ironie (1), le locuteur veut dire le contraire de ce qu’il dit.
En utilisant une métaphore (2), le locuteur veut dire que ses assistantes ont
quelque chose en commun avec les perles. Dans ce contexte, le mot perle
reçoit un sens très précis : « personne sur laquelle on peut compter, qui fait
son travail de manière diligente et efficace ». Dans la métonymie de
l’exemple (3), le lieu désigne le pouvoir (le président de la République
française), alors qu’en (4), le même phénomène (métonymie) permet
d’associer un conducteur à sa voiture. Nous reviendrons en détail sur ces
figures de style au chapitre 13.
Nous nous concentrerons dans ce chapitre sur des exemples comme (5),
qui relèvent d’un mécanisme différent. Dans ce cas, il n’y a plus extension ou
transfert de sens, mais un sens communiqué qui est différent de la
signification des mots. Littéralement, le père d’Axel donne un ordre à son
fils, celui d’aller se laver les dents. Axel répond en lui disant qu’il n’a pas
sommeil. Quelles sont les intentions de ces deux locuteurs ? L’intention de
Jacques est d’ordonner à son fils d’aller se coucher, après s’être lavé les
dents. L’intention d’Axel est de communiquer son refus d’aller se coucher et
d’aller se brosser les dents, en invoquant comme justification le fait qu’il n’a
pas sommeil. Il faut donc comprendre qu’Axel et Jacques ont fait des
inférences, en d’autres termes qu’ils ont tiré des conclusions en raisonnant à
partir de prémisses. Plus concrètement, Jacques attribue les croyances (6) à
Axel et tire les conclusions en (7) pour comprendre son intention de
communication :
6. a. On va se coucher lorsqu’on a sommeil.
b. On se lave les dents avant d’aller se coucher.
7. a. Axel ne veut pas se coucher.
b. Axel refuse d’aller se laver les dents.
Cet exemple montre que la compréhension des énoncés passe par deux
étapes : une étape linguistique, codique, et une étape pragmatique,
inférentielle. Dans le cas de notre exemple, en plus de comprendre le sens des
mots utilisés par son fils (étape linguistique), Jacques doit faire des inférences
pour comprendre le vouloir dire d’Axel (étape pragmatique), et ce qu’Axel
veut lui dire lui est d’autant plus accessible que les hypothèses (le contexte)
de (6) lui sont manifestes.
Dès lors, deux questions se posent pour comprendre la communication
verbale : (i) comment les interlocuteurs s’y prennent-ils pour comprendre le
vouloir dire du locuteur ? (ii) pourquoi la communication verbale est-elle
souvent non littérale ?
Phrase et énoncé
Cette distinction n’est pas seulement terminologique, elle a un contenu
empirique et pratique. En effet, il existe trois différences importantes entre
phrase et énoncé.
Premièrement, certains énoncés ne sont pas des phrases : il y a des
énoncés qui correspondent à des phrases non grammaticales, mal formées, et
des énoncés qui ne peuvent être produits par aucune règle syntaxique (ce sont
des expressions, au sens de Banfield 1995). Les réponses de Pierre en (11)
fournissent des exemples d’énoncés produits par des phrases mal formées. En
(12), nous avons quelques exemples d’expressions.
11. Jean : Qu’est-ce que tu lui as dit ?
Pierre : Je lui ai dit que ben, alors, mon vieux, j’en crois pas
une ligne.
Pierre : Ben oui, mais quand même…
12. a. Aux barricades, avec des pavés !
b. Une bière, et je suis heureux !
c. Joli, le but !
d. Mon Dieu ! Quel gâchis !
Tableau 2.1.
5. L’enrichissement pragmatique
Il faut maintenant expliquer comment le sens d’un énoncé est enrichi à
partir du contexte et de la signification linguistique. Nous appellerons
enrichissement pragmatique le passage de la signification linguistique au
sens de l’énoncé, car le résultat obtenu, le sens, est plus riche que le point de
départ, la signification, qui est sous-spécifiée. Le sens est pragmatique, car
l’enrichissement se fait via l’usage du langage et n’est pas un processus
codique : c’est un processus inférentiel au sens du modèle de l’inférence.
Voici des exemples d’enrichissement qui sont en revanche déclenchés par
l’environnement linguistique : (i) le sujet d’un verbe intransitif comme
marcher spécifie son sens ; (ii) l’objet direct du verbe ouvrir spécifie son
sens ; (iii) le type de nom (concret, abstrait, etc.) sélectionne l’un des sens de
l’adjectif plat :
14. a. Un enfant marche à 12 mois.
b. Ma voiture marche à 100 à l’heure.
c. Ma montre marche.
15. a. Axel a ouvert un compte en Suisse.
b. Abi a ouvert son cadeau.
c. Nath a ouvert la porte.
d. Jacques a ouvert la séance par des mots de bienvenue.
16. a. Abi ne boit que de l’eau plate.
b. Ma voiture a un pneu plat.
c. Anne a trouvé cette histoire plutôt plate.
d. Jacques déteste les paysages plats.
Implicatures et explicatures
L’enrichissement pragmatique ajoute de l’information à la signification
linguistique pour déterminer quatre niveaux de sens : (i) la proposition
communiquée ; (ii) la force illocutionnaire de l’énoncé ; (iii) l’attitude
propositionnelle du locuteur ; (iv) les implicatures de l’énoncé.
Détermination de la proposition communiquée : la proposition
communiquée, ou forme propositionnelle, correspond à l’explicature basique
de l’énoncé, qui est nécessaire à sa compréhension et correspond notamment
à la désambiguïsation et à l’attribution des référents (chapitre 12). À titre
d’exemple, l’explicature basique de l’énoncé (17) est donnée en (18).
17. Je suis garé juste ici devant.
18. La voiture de Jacques est garée juste devant le parking de la faculté
des Lettres de l’Université à la rue de Candolle, Genève.
Le sens d’un énoncé n’est donc pas réductible à une seule information, ni
à un seul niveau : le contenu pragmatique d’un énoncé est formé de cinq
niveaux différents.
Spécification et élargissement
Quel est le niveau de compréhension le plus important ? En d’autres
termes, que faut-il au moins avoir compris pour comprendre, même
partiellement, l’énoncé du locuteur ? Plus nous allons à droite dans le schéma
ci-dessus, plus nous augmentons la complexité du travail de compréhension.
L’accès aux implicatures suppose l’accès aux bonnes prémisses implicitées,
de même que la détermination de la bonne attitude propositionnelle suppose
que la force illocutionnaire soit correctement identifiée. On considère
généralement que c’est la forme propositionnelle qui est le niveau de
compréhension le plus important, car elle suppose la compréhension de
l’ensemble des informations communiquées explicitement par l’énoncé.
On distingue en pragmatique lexicale (Wilson 2007) principalement deux
processus d’enrichissement pragmatique, qui concernent tous les deux la
forme propositionnelle : la spécification et l’élargissement.
La spécification consiste à rendre la proposition exprimée plus spécifique,
plus précise, comme les différents sens de l’adjectif froid en (23) : en (23a)
une température de 15o suffirait pour que le lac soit considéré comme froid,
alors que les hivers canadiens sont froids à – 40° (23b) et que l’air liquide est
à – 200° (23c). Ainsi, dans chaque cas, l’échelle des températures
communiquées à partir d’un même mot est fortement restreinte ou spécifiée
en fonction du contexte.
23. a. Le lac est trop froid pour nager.
b. Au Canada les hivers sont froids.
c. L’air liquide est froid.
L’élargissement est le second type d’enrichissement pragmatique : ici, il
s’agit d’étendre le domaine ou l’extension du concept à des propriétés qui en
sont normalement exclues. En voici quelques exemples :
6. La pertinence
Comme on vient de le voir, le choix lexical – comme le choix de
communiquer une proposition par spécification ou élargissement – est
principalement une question de pertinence. En d’autres termes, les choix
approximatifs, sous-spécifiés, communiquent de manière plus pertinente
l’intention informative du locuteur. Pour montrer la relation entre pertinence
et enrichissement, il faut donner une définition de la pertinence. Selon
Sperber & Wilson (1989), la pertinence est un concept comparatif, qui
dépend de deux paramètres : les effets cognitifs (ajout d’une information
nouvelle, modification d’une information ancienne), d’une part, et les efforts
cognitifs (efforts de traitement), d’autre part. Plus précisément, plus l’énoncé
produit d’effets cognitifs dans un contexte donné, plus il est pertinent dans ce
contexte ; plus il demande d’efforts cognitifs dans un contexte donné, moins il
est pertinent dans ce contexte.
Le fonctionnement de la pertinence dans la communication suit deux
principes, le principe cognitif et le principe communicatif de pertinence.
Selon le premier, la cognition humaine est orientée vers la recherche de
pertinence maximale ; selon le second, l’énoncé présuppose sa propre
pertinence optimale. Ce second principe implique que tout énoncé est
suffisamment pertinent pour qu’il vaille la peine d’être traité, et qu’il est
compatible avec les préférences et les capacités du locuteur. La variation dans
les efforts de traitement que nous sommes enclins à produire pour
comprendre un énoncé dépend de cette dernière clause. De même, cette
clause explique pourquoi, dans certains cas, les locuteurs ne communiquent
pas l’information la plus pertinente à leur disposition, lorsque cela va à
l’encontre de leur intérêt.
7. Références de base
Le chapitre 3 de Reboul & Moeschler (1998a) aborde de manière simple
les modèles du code et de l’inférence et le chapitre 8 traite de l’usage non
littéral du langage. Sperber (1994) aborde de manière accessible les
mécanismes qui sous-tendent la communication. La théorie de la pertinence
est résumée dans Wilson & Sperber (2004). Les questions de pragmatique
lexicale sont discutées dans Wilson (2007).
Questions de révision
2.1. Pourquoi la communication verbale ne peut-elle pas être expliquée de manière
satisfaisante par le modèle du code ?
2.2. Donner un exemple qui illustre le rôle de l’ostension dans la communication verbale.
2.3. Donner un exemple qui illustre le rôle des inférences dans la communication verbale.
2.4. Quels sont les critères qui permettent de définir un énoncé par opposition à une
phrase ? Donner des exemples de phrases et d’énoncés.
2.5. L’énoncé suivant peut avoir différents sens : Il est quatre heures. Donner trois
exemples de contextes qui correspondent à des sens différents et dire quelles sont les
hypothèses contextuelles utilisées dans chaque contexte.
2.6. Comment les énoncés ci-dessous doivent-ils être enrichis pour arriver à la bonne
forme propositionnelle ? (utiliser les notions de spécification et d’élargissement).
– A : J’ai de la température. / B : Alors il faut beaucoup boire.
– La piqûre sera indolore.
– Est-ce que les sauveteurs travaillent toujours avec des chiens ?
– Je ne peux pas boire mon café : il est bouillant.
2.7. Donner les prémisses et les conclusions implicitées des énoncés ci-dessous :
– Jean est Suisse donc il est toujours à l’heure.
– Pierre : Voudrais-tu avoir une Rolex ? Jacques : Je déteste les montres
de luxe.
2.8. Résumer la manière dont la théorie de la pertinence explique la communication non
littérale à l’aide d’un exemple.
Chapitre 3
2. Pidgins et créoles
Il arrive encore de nos jours que des groupes d’humains créent une
nouvelle langue pour répondre à leurs besoins de communication. Ces
langues, que l’on appelle des créoles, représentent donc un témoignage vivant
des étapes par lesquelles une langue se développe. C’est pourquoi elles
constituent une source d’information essentielle pour comprendre l’origine de
la faculté de langage. La première étape de développement des créoles,
correspondant à une forme de proto-langage, s’appelle le pidgin.
Un pidgin est un système de communication linguistique qui s’est
développé parmi des gens qui ne partagent pas une langue commune, mais
qui se trouvent dans la nécessité de parler ensemble, pour des raisons par
exemple commerciales. Les pidgins existant dans le monde ont un
vocabulaire, une syntaxe et des fonctions grammaticales limitées. Si les
pidgins ne sont pas des langues maternelles, ce sont néanmoins des moyens
de communication utilisés par des millions d’individus. En bref, les pidgins
sont des adaptations créatives des langues naturelles. Par exemple, au XVIIIe et
XIXe siècles, des commerçants russes passaient l’été en Norvège à faire du
commerce de poisson et de bois. Pour communiquer avec les locaux, ils
utilisaient un mélange de russe et de norvégien. Ce pidgin était appelé le
russenorsk. De nombreux autres pidgins sont utilisés en Afrique, en
Amérique et en Asie du Sud-Est, comme par exemple le jargon chinook en
Amérique du Nord.
Que se passe-t-il lorsqu’un pidgin devient la langue maternelle d’une
communauté ? C’est ici qu’intervient le passage d’un pidgin à un créole,
aussi appelé créolisation. Une ou deux générations suffisent à la créolisation
(les pidgins ne durent pas plus de cent ans). Les créoles sont caractérisés par
une expansion des ressources linguistiques, au niveau du vocabulaire (plus
grand), de la grammaire (plus complexe) et du style. On dit que les pidgins
sont des langues auxiliaires, qui permettent à des communautés qui ne
partagent pas la même langue de communiquer, alors que les créoles sont des
langues vernaculaires, propres à une communauté. Ainsi, les créoles sont
des langues qui se développent aux dépens des autres langues parlées sur un
territoire.
Les créoles se répartissent principalement sur les côtes des océans et dans
les archipels (Caraïbes, Indonésie). Dans les Caraïbes, on trouve des créoles à
base française comme le créole haïtien et le créole des Antilles, ainsi que des
créoles à base anglaise comme le créole jamaïquain, le créole de Guyane et le
créole de Belize. En Afrique, on trouve le krio à base anglaise et des créoles à
base portugaise comme le créole angolais et le créole cap-verdien. Dans
l’océan Indien, on trouve plusieurs créoles à base française comme le créole
des Seychelles et les créoles de la Réunion et de l’île Maurice.
Contrairement aux pidgins qui sont des moyens de communication limités,
les créoles sont des langues aussi complexes et complètes que les autres à
tous les points de vue. Voici à titre d’exemple comment le verbe manger est
conjugué en créole guinéen (à base française) (voir tableau 3.1).
Tableau 3.2.
Je ne suis pas d’accord avec toi. Toi avec d’accord pas suis ne je.
Veux-tu venir manger à la maison ce soir ? Soir ce maison la à manger venir tu veux ?
Tableau 3.3.
Tableau 3.4.
La répartition des locuteurs entre les langues
Les langues du monde sont également parlées par un nombre très inégal de
locuteurs :
283 langues sur 6 604 sont parlées par plus d’un million de locuteurs ;
616 langues sont parlées par plus de 100 000 locuteurs (mais moins d’un
million) ;
1 364 langues sont parlées par plus de 10 000 locuteurs (mais moins de
100 000) ;
1 631 langues sont parlées par plus de 1 000 locuteurs (mais moins de
10 000) ;
1 040 langues sont parlées par plus de 100 locuteurs (mais moins de
1 000) ;
455 langues sont parlées par moins de 100 locuteurs ;
310 langues sont éteintes ;
915 langues sont non documentées.
Ces données donnent la courbe de Gauss suivante (voir figure 3.1).
Figure 3.1.
Le tableau 3.5 recense les douze langues les plus parlées au monde.
Tableau 3.5.
Il est évident que les langues ne sont pas égales du point de vue de leur
nombre de locuteurs natifs. On constate également de grandes différences
dans le nombre de locuteurs qui les parlent comme langue de communication.
De ce point de vue, l’anglais domine, devant le chinois et le hindi.
L’espagnol, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ne s’est pas encore
développé comme langue de communication, au contraire du français, qui
reste sur un ratio identique à l’anglais (87 % de locuteurs non natifs contre
85 % pour l’anglais).
En conclusion, on assiste actuellement à un phénomène d’émiettement
linguistique, avec quelques langues parlées par beaucoup de locuteurs et un
très grand nombre de langues parlées par très peu de locuteurs. Ce
phénomène n’est pas étranger à un problème que l’on commence à bien
étudier et comprendre : celui des langues en danger.
Tableau 3.5.
romanche
grecque grec
albanaise albanais
anatolienne anatolien
Questions de révision
3.1. Pourquoi la question de l’évolution du langage est-elle si controversée ?
3.2. Quels types de preuves peut-on avancer pour étayer des hypothèses dans ce
domaine ?
3.3. Quelles sont les caractéristiques des pidgins et des créoles ?
3.4. Pourquoi l’étude des créoles nous renseigne-t-elle sur la question de l’évolution du
langage ?
3.5. Le nombre de locuteurs que compte une famille de langues est-il nécessairement
proportionnel à son importance géographique et au nombre de langues qui la
composent ? Que peut-on en conclure ?
3.6. Parmi l’ensemble des langues du globe, combien sont vouées à disparaître d’ici la fin
du siècle ?
3.7. Quels sont les facteurs qui conduisent à la mort d’une langue ?
3.8. D’où viennent les langues européennes ? Que sait-on de cette ancienne langue
commune ?
Chapitre 4
La latinisation de la Gaule
La situation a ensuite changé radicalement en Gaule avec la conquête
romaine, commencée vers – 120 dans la région appelée la Narbonnaise (qui
englobait la Provence, le Languedoc et le Dauphiné). Vers l’an – 50,
l’ensemble de la Gaule est passée en main romaine. Suite à cette invasion, les
Gaulois ont progressivement choisi d’abandonner leur langue pour le latin,
qui était la langue de l’administration et du commerce. Cette latinisation ne
s’est toutefois pas faite rapidement ni de manière uniforme. Dans un premier
temps, le latin a surtout été pratiqué par les notables et les marchands dans les
régions urbaines. À la campagne, l’abandon du gaulois a été nettement plus
graduel, jusqu’au Ve siècle. L’influence du latin n’a pas non plus été la même
sur l’ensemble du territoire gaulois. En effet, l’invasion romaine s’est faite
par le Sud et dans ces régions, la latinisation a été à la fois profonde et
durable. En revanche, l’influence romaine a été nettement plus faible dans les
régions du Nord.
À la chute de l’empire romain d’Occident en 476, diverses tribus barbares
ont envahi la France : les Francs au Nord, les Burgondes puis les Huns au
centre-Est et les Wisigoths au Sud. D’un point de vue linguistique, cette
division est à l’origine des différences dialectales observées entre les langues
d’oïl d’où le français est issu (au Nord), les langues d’oc (au Sud) et les
dialectes franco-provençaux (au centre-Est)2. Ces invasions barbares ont ainsi
contribué à diversifier linguistiquement le territoire. Si le latin est malgré tout
resté la langue principale de la Gaule, c’est à cause de la diffusion du
christianisme, largement répandu sur le territoire dès le IVe siècle. En effet, à
cette époque, le latin était la langue liturgique chrétienne en Occident. La
conversion du roi des Francs Clovis au christianisme, à la fin du Ve siècle, a
encore renforcé la place du latin.
L’affirmation du français
Dès le XIVe siècle, la demande de connaissances rédigées en français est
devenue toujours plus importante. En témoigne notamment la politique de
traduction systématique des grandes œuvres mise en place par Charles V.
Au XVIe siècle, l’utilisation du français comme langue de culture et de
transmission de connaissances s’est intensifiée. François Ier a créé en 1530
une institution concurrente à la Sorbonne, le Collège des trois langues (grec,
hébreu, latin), actuel Collège de France, où les cours étaient donnés en
français. En 1530, la première grammaire française a été écrite en anglais par
Palgrave. Le français commençait également à être utilisé dans des ouvrages
scientifiques : Ambroise Paré a publié tous ses ouvrages de médecine en
français, langue également choisie par Nostradamus pour ses Prophéties.
D’un point de vue de politique linguistique, l’événement le plus important
de cette époque est l’ordonnance de Villers-Cotterêts, prise en 1539 par
François Ier, qui prévoyait que tous les textes administratifs, actes officiels,
décrets et lois seraient désormais rédigés en « langage maternel francoys »,
c’est-à-dire en français. D’un point de vue littéraire, la Défense et illustration
de la langue française par du Bellay est un encouragement à tous les
écrivains et grammairiens de l’époque à promouvoir l’usage du français.
Après une période d’expansion libre, au XVIIe siècle, la langue française est
devenue un instrument de centralisation politique et donc une affaire d’état.
En 1635, Richelieu a fondé l’Académie française, dont les membres ont
réglementé la langue en fonction du bel usage, celui de la Cour. En 1673,
l’Académie adoptait une orthographe unique et normalisée, fondée bien
souvent sur les formes non simplifiées. De nombreux mots jugés populaires
ont ainsi été exclus du dictionnaire de l’Académie. Les académiciens ont
également réglé le son et le sens des mots et, dès la deuxième moitié du
XVIIe siècle, la grammaire de Port-Royal s’est donné pour ambition de
retrouver, sous les formes de la langue, la raison universelle : les
grammairiens étaient devenus l’autorité suprême, au détriment de l’usage.
À cette époque, le français n’était toutefois pas la seule langue parlée en
France. Hors de Paris, la population continuait à parler principalement patois.
Au Sud, les locuteurs pratiquaient une forme d’occitan, au Nord, on parlait le
wallon et le picard, à l’Est, le francique et l’alsacien et à l’Ouest, le breton.
Le problème de la diversité linguistique des Français s’est fait jour au
moment de la Révolution. Plusieurs enquêtes linguistiques ont alors été
réalisées, qui conclurent que les patois étaient bien vivants dans la plupart des
régions et que de très nombreuses personnes n’étaient pas capables de tenir
une conversation en français. Dans l’idéologie révolutionnaire, les patois
étaient associés à la religion et au passé. Le français, au contraire, était perçu
comme un facteur d’égalité : tout Français devait y avoir droit. C’est
pourquoi, dès la fin du XVIIIe siècle, on prit la décision de créer des Écoles
normales, pour former des enseignants qui pourraient à leur tour enseigner le
français dans chaque village. Notons que dès le XVIIIe siècle, le français avait
déjà pris une forme très proche du français actuel, comme on peut s’en rendre
compte par le fait que les textes de cette époque sont largement intelligibles
pour des lecteurs d’aujourd’hui.
Au XIXe siècle, on parlait français à l’école, que la Loi Jules Ferry de 1882
avait rendue obligatoire pour tous les enfants dès 6 ans, mais le patois
persistait dans la vie courante. La situation a changé dès le début du
XXe siècle, lors de la Première Guerre mondiale. En effet, les unités
regroupaient des hommes d’origines différentes qui se retrouvaient dans
l’absolue nécessité de communiquer. Dans cette situation, le dénominateur
commun le plus simple entre les troupes était le français. À leur retour à la
maison, ces hommes ont ensuite continué à parler le français.
Au XXIe siècle, le français, comme toutes les langues vivantes, continue
son évolution. Dans le domaine du lexique, cette évolution reflète l’arrivée
constante de nouveaux concepts : beaucoup de nouveaux mots ont par
exemple été créés dans les domaines de la téléphonie mobile et d’Internet. Du
point de vue de la prononciation (phonologie), certains contrastes tendent à
disparaître (par exemple entre brun et brin), tout comme le caractère
obligatoire ou facultatif de certaines liaisons. La syntaxe des phrases se
modifie également, par exemple dans l’absence d’inversion entre sujet et
verbe pour former des questions à l’oral (il est où ?) ou dans la suppression
du ne dans la négation, toujours à l’oral (je suis pas malade).
Notons pour conclure qu’actuellement les anciens patois parlés en France
sont proches de la disparition, malgré des tentatives parfois très actives pour
les maintenir, notamment dans le cas du breton. Toutes ces langues font
partie du groupe des langues en danger, tel que nous l’avons défini au
chapitre 3.
3. Quelques témoignages
de la naissance du français
Il ne nous reste que très peu d’écrits de la période de transition entre le
latin et le très ancien français, aussi appelé le roman. Voici quelques-uns des
tout premiers textes qui nous sont parvenus.
Les Serments de Strasbourg (842) : ce texte est souvent considéré
comme le premier monument de la langue française. Il contient le premier
texte écrit en roman, et scelle une alliance entre deux petits-fils de
Charlemagne (Charles le Chauve et Louis le Germanique) contre leur frère
Lothaire. Les troupes des deux parties ne comprenant plus le latin, ce texte
commence par un passage en germanique destiné aux soldats de Louis et un
autre en roman pour les soldats de Charles. Le reste du document a été rédigé
en latin. Voici la partie en roman prononcée par Louis le Germanique, ainsi
que sa traduction française.
Pro deo amur et pro christian poblo et nostro commun salvament, d’ist di in avant, in
quant deus savir et podir me dunat, si salvarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in
cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra salvar dist, in o quid il mi altresi fazet, et ab
Ludher nul plaid nunquam prindrai, qui meon vol cist meon fradre Karle in damno sit.
Pour l’amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre salut commun, à partir
d’aujourd’hui, en tant que Dieu me donnera savoir et pouvoir, je secourrai mon frère
Charles par mon aide et en toute chose, comme on doit secourir son frère, selon l’équité,
à condition qu’il fasse de même pour moi, et je ne tiendrai jamais avec Lothaire aucun
plaid qui, de ma volonté, puisse être dommageable à mon frère Charles.
Tableau 4.1.
4. Français et francophonie
En plus de la France, le français est une langue officielle dans 32 autres
pays partout dans le monde. En Europe, le français est notamment parlé en
Belgique (40 % de francophones) et en Suisse (20 % de francophones), mais
on le trouve également au Luxembourg et dans la région italienne du Val
d’Aoste. En Afrique, le français est pratiqué dans de nombreux pays comme
le Cameroun, le Congo, le Mali et le Sénégal. En Amérique, le principal pays
francophone est bien entendu le Canada (25 % de francophones,
essentiellement dans la province du Québec), mais on parle également
français à la Martinique et à la Guadeloupe, en Guyane et à Saint-Pierre-et-
Miquelon ainsi qu’en Haïti. Dans l’océan Indien, en plus de la Réunion, le
français est parlé à l’île Maurice, aux Seychelles, à Madagascar, aux Comores
et à Mayotte. En Océanie, il est parlé en Polynésie, à Wallis-et-Futuna et en
Nouvelle-Calédonie.
Bien entendu, dans tous les pays ou département français cités ci-dessus,
les notions de langue française et de locuteur francophone s’entendent de
manière bien différente. Si en Belgique et en Suisse, on parle un français très
proche du français de France, la situation se présente déjà différemment au
Canada, où le français surtout oral diverge de bien des manières du français
de France (prononciation, lexique, syntaxe). Dans de nombreux autres pays,
le français cohabite officiellement avec d’autres langues locales, et n’est pas
bien maîtrisé par de nombreux locuteurs. Cette dernière remarque souligne
l’importance de différencier les locuteurs natifs des locuteurs occasionnels. Si
l’on s’en tient aux premiers, on compte environ 80 millions de francophones
dans le monde, alors que si l’on inclut les seconds, ce chiffre passe à
220 millions (chiffre de l’OIF), ce qui correspond à environ 2 % de la
population mondiale.
On a actuellement coutume de rassembler les pays qui pratiquent le
français sous le terme de francophonie. Toutefois, comme on l’a vu plus haut,
ce terme regroupe à la fois des pays qui comptent un nombre important de
locuteurs natifs et d’autres où le français n’est pratiqué que comme langue
seconde et par un petit nombre de locuteurs. D’un point de vue politique, la
notion de francophonie s’entend actuellement comme l’ensemble des pays
regroupés dans l’Organisation internationale de la francophonie (OIF), une
organisation qui poursuit notamment des objectifs politiques (maintien de la
paix et droits de l’homme) et de coopération entre ses pays membres. L’OIF
organise des Sommets de la francophonie, durant lesquels les états membres
définissent les grandes lignes des actions futures de l’organisation. Sur le
plan de la langue française, l’Organisation se veut un soutien à la pratique du
français, sur un principe de partenariat plutôt que de remplacement des autres
langues parlées par ses pays membres, appelées langues partenaires.
5. Références de base
L’histoire du français est racontée de manière très concise et accessible
dans Walter (1988) et Rey (2008). Perret (2008) est une introduction
didactique, qui comporte également une analyse linguistique des processus
qui ont marqué l’évolution de la langue. Walter (1998) offre une présentation
synthétique des différentes variétés de français parlées dans le monde. Enfin,
toutes les informations concernant l’Organisation de la francophonie se
trouvent sur le site internet :
www.francophonie.org.
6. Pour aller plus loin
Une introduction détaillée à l’histoire du français se trouve chez Huchon
(2002) et Rey et al. (2007) constitue certainement l’ouvrage de référence le
plus complet sur la question.
Questions de révision
4.1. À quel sous-groupe de la famille des langues indo-européennes appartient le
français ?
4.2. Peut-on situer le français encore plus précisément à l’intérieur de ce groupe ? Sur la
base de quels critères a-t-on établi cette distinction ?
4.3. Quelles sont les raisons historiques pour lesquelles le français s’est différencié des
autres langues du groupe ?
4.4. Comment l’influence du germanique est-elle reflétée dans le français actuel ?
4.5. Quel est le premier texte qui a été écrit en français et de quand date-t-il ?
4.6. Quel est l’intérêt actuel des écrits en très ancien français pour les linguistes ?
4.7. Qu’est-ce que l’ordonnance de Villers-Cotterêts et de quand date-t-elle ?
4.8. À partir de quelle époque le français a-t-il été normalisé et par qui ?
4.9. Comment peut-on définir la notion de francophonie ?
Notes
1. On parle ici de voyelles phonologiques et non pas de lettres de l’alphabet. Voir le chapitre 6 pour une
explication détaillée des notions de voyelle et de consonne en phonologie.
2. Les mots oïl et oc veulent tous deux dire oui. On sépare ainsi les familles de langues selon le mot
utilisé pour dire oui : oïl au Nord et oc au Sud.
La méthode de Saussure
Saussure a été le premier à utiliser une méthode permettant de définir un
objet d’étude précis pour la linguistique, en opérant par distinctions (ou
dichotomies) et en éliminant à chaque fois l’une des branches de l’alternative.
Son approche est de ce point de vue réductionniste, et constitue l’un des
fondements de la méthode scientifique. Dans cette section et les suivantes,
nous allons passer en revue les principales dichotomies proposées par
Saussure, ce qui nous permettra d’aboutir à une vision générale de l’objet de
la linguistique, tel qu’il la percevait au début du XXe siècle.
La première distinction fondamentale opérée par Saussure a consisté à
séparer l’objet d’étude de la linguistique de sa matière. En effet, toute forme
de production langagière, par exemple un discours ou un texte, pourrait a
priori constituer un objet d’étude possible pour le linguiste. Selon Saussure,
l’objet d’étude de la linguistique ne peut toutefois pas inclure l’ensemble des
manifestations du langage, car ces dernières sont à la fois trop hétérogènes et
trop larges pour être saisies dans leur totalité. Pensez par exemple aux
différences entre un texte classique, un courrier électronique et un dialogue
en ligne sur Internet ! Ainsi, selon Saussure, l’objet d’étude de la linguistique
doit être le fruit d’un choix raisonné de la part du linguiste, et correspondre à
une sous-partie structurée de l’immense quantité de matière constituée par
l’ensemble des manifestations du langage.
Une autre distinction importante opérée par Saussure sépare les notions de
linguistique externe et de linguistique interne. Selon Saussure, la
linguistique externe a pour objectif de mettre en rapport la langue avec des
faits qui lui sont extérieurs. Une telle linguistique s’intéresse par exemple aux
rapports entre langue et politique ou encore entre langue et société. La
linguistique interne se concentre en revanche sur des phénomènes inhérents
au système linguistique, comme par exemple les sons qui composent une
langue (phonologie) ou encore l’ensemble des règles qui permettent de
former des phrases correctes dans une langue (syntaxe). Selon Saussure, la
linguistique doit être interne plutôt qu’externe. Il s’agit là encore d’une
grande innovation par rapport aux traditions de son époque. Cette limitation
de la linguistique aux faits internes à la langue a sans aucun doute permis
d’isoler les phénomènes régissant son fonctionnement et donc de mieux les
comprendre. Actuellement, la linguistique intègre à la fois des travaux de
linguistique externe, dans des domaines comme la sociolinguistique
(chapitre 15) par exemple, et des travaux de linguistique interne dans des
domaines comme la syntaxe (chapitres 8 et 9), la morphologie (chapitre 7) et
la phonologie (chapitre 6).
Langue et parole
Saussure a proposé de diviser le langage en deux entités distinctes : la
langue et la parole. La parole peut être définie comme l’action individuelle
d’un locuteur qui utilise le langage pour parler ou rédiger un texte. La parole
correspond donc à des productions concrètes de langage. De par ce fait, elle
est également variable (notamment d’un individu à l’autre) et reste
imprévisible.
La langue peut être définie comme un ensemble de conventions partagées
par l’ensemble d’une communauté linguistique. Par exemple, les locuteurs du
français partagent la règle qui consiste à ajouter la terminaison -ons au radical
de la plupart des verbes pour former la première personne du pluriel. Ces
mêmes locuteurs partagent également l’utilisation du mot chat pour désigner
un petit félin poilu qui miaule et chasse les souris. Ainsi, la langue est
constituée d’un ensemble de règles et de conventions abstraites, qui sont
nécessaires à l’usage du langage, c’est-à-dire à la parole. Bien que chaque
locuteur ait internalisé dans son enfance les règles et conventions de sa
langue maternelle, cette dernière n’appartient dans sa totalité à aucun d’entre
eux. Personne ne pourrait par exemple prétendre connaître à lui tout seul
l’ensemble des règles et conventions du français ! Saussure parle ainsi de la
langue comme d’un trésor déposé dans le cerveau des locuteurs et partagé
par l’ensemble d’une communauté linguistique.
Selon Saussure, c’est la langue et non la parole qui doit faire l’objet
d’études de la part des linguistes. En d’autres termes, Saussure pense qu’il
faut s’intéresser aux conventions qui régissent une langue plutôt qu’à l’usage
qui en est fait par les locuteurs. Toutefois, la parole précède et détermine
également la langue de certains points de vue. Notamment, c’est par son
exposition à la production langagière (parole) des gens qui l’entourent que le
nourrisson va peu à peu accéder au système de sa langue. Ce sont aussi les
changements uniques et imprévisibles qui interviennent dans la parole qui
produisent au fil du temps des changements dans le système de la langue.
C’est notamment par une évolution progressive de l’usage sur plusieurs
siècles que le latin parlé en Gaule est peu à peu devenu le français, comme
nous l’avons vu au chapitre 4.
Une autre grande innovation de Saussure a été d’envisager la langue
comme un système à l’intérieur duquel chaque élément est défini par les
relations qu’il entretient avec les autres éléments. Cette définition de la
langue était révolutionnaire, car cette dernière était auparavant envisagée
comme une nomenclature, c’est-à-dire une liste d’éléments renvoyant
individuellement à des objets du monde. En d’autres termes, à chaque objet
du monde correspondait un nom qui le désignait, et cette relation ne
dépendait en rien des autres éléments de la nomenclature. Dans cette
conception, connaître une langue revenait simplement à connaître les noms
désignant les objets du monde. Pour Saussure, cette vision de la langue est
erronée, car la langue n’est pas un simple répertoire de mots mais forme un
système organisé.
Cette nouvelle conception de la langue comme un système amène
immédiatement une série de questions. Tout d’abord, on peut se demander
comment il est possible de parler de système, alors que la langue est un
phénomène évolutif, comme nous l’avons vu plus haut. Deuxièmement, il
convient de définir de quels éléments le système que constitue la langue
pourrait être composé. Enfin, il est nécessaire de formaliser les rapports que
peuvent entretenir les éléments dont se compose le système linguistique, et
qui servent à l’organiser. Nous allons apporter des éléments de réponse à ces
trois questions dans les trois sections suivantes.
Le signe linguistique
Selon Saussure, l’unité de base qui forme le système de la langue est le
signe. Le signe linguistique peut être défini comme une entité à deux faces,
nommées l’image acoustique et le concept. Plus concrètement, l’image
acoustique est simplement « l’enveloppe linguistique » du mot et le concept
sa signification. Par exemple, l’image acoustique du mot crocodile
correspond aux représentations des sons qui composent ce mot (voir
chapitre 6) ou de ses lettres à l’écrit. Le concept de crocodile correspond à la
représentation mentale que les locuteurs ont de cet animal.
L’une des idées les plus célèbres restées de l’œuvre de Saussure est que la
relation qui existe entre les deux faces d’un signe, à savoir l’image acoustique
et le concept, est arbitraire. Autrement dit, il n’y a pas de raison logique ou
naturelle pour qu’un mot plutôt qu’un autre soit utilisé par une communauté
linguistique pour désigner un certain concept. Il s’agit simplement d’une
convention, suivie par l’ensemble des locuteurs. Par exemple, il n’y a pas de
logique dans le fait que le concept d’ARBRE soit désigné en français par la
suite de sons [aʀbʀ]1 (ou les lettres a-r-b-r-e à l’écrit). D’ailleurs, chaque
langue a adopté sa propre convention pour désigner ce même concept (tree en
anglais, Baum en allemand, etc.).
Saussure a choisi de remplacer les termes d’image acoustique et de
concept, qui s’appliquent spécifiquement à la langue, par ceux de signifiant
et de signifié, à valeur plus générale. En effet, selon Saussure, la langue n’est
qu’un système de signes parmi d’autres et la linguistique s’inscrit en tant que
discipline au sein de la sémiologie, c’est-à-dire l’étude des signes au sein de
la vie sociale. Dans le courant du XXe siècle, la sémiologie a été appliquée à
des domaines aussi divers que la mode (Roland Barthes), le cinéma
(Christian Metz), l’architecture et la littérature (Umberto Eco).
Les rapports entre signes
Comme nous l’avons vu plus haut, la signification d’un signe résulte de la
relation arbitraire qui unit un signifiant et un signifié. Toutefois, le signe ne
tire sa valeur que des relations qu’il entretient avec les autres signes au sein
du système de la langue. En d’autres termes, chaque signe se définit par
opposition aux autres éléments du système. Par exemple, ce qui fait qu’un
tigre est un tigre, c’est qu’il n’est pas un lion, ni une panthère, etc.
Saussure recense deux types de relations entre les signes au sein d’une
langue : les rapports syntagmatiques et paradigmatiques. Les rapports
syntagmatiques se situent au sein même de la chaîne de la parole et unissent
les éléments qui se suivent temporellement le long de cette chaîne. Par
exemple, la suite de sons [pɛʀ] (comme dans le mot père) devient [pʀɛ]
(comme dans le mot près) en intervertissant deux sons le long de la chaîne de
la parole (ʀ et ɛ). De la même manière, des rapports de type syntagmatique
unissent les mots qui forment une phrase. Par exemple, la phrase Jean aime
Marie devient par substitution Marie aime Jean. Dans les deux cas, la
signification du mot ou de la phrase change suite à l’opération de
substitution.
Les relations paradigmatiques ne se situent pas au sein même de la
chaîne parlée mais sont issues des associations évoquées par les signes. Par
exemple, le mot étudiant évoque par association le mot étudier. Cette
association vient à la fois du niveau des signifiants et des signifiés. En effet,
les deux mots appartiennent à une même famille et les concepts qu’ils
désignent sont associés. Dans certains cas, la relation paradigmatique porte
uniquement sur le signifiant, comme entre les mots étudiant et perdant, que
seule la rime en -ant rapproche. Enfin, dans certains cas encore, le lien se
situe uniquement au niveau du signifié, comme entre étudiant et
apprentissage. Les formes linguistiques de ces mots ne sont pas apparentées,
mais leurs concepts sont reliés.
En résumé
Selon Saussure, la linguistique doit distinguer son objet de sa matière. La
linguistique de la langue prime sur la linguistique de la parole et la
linguistique synchronique prime sur la linguistique diachronique. La langue
est définie comme un système de signes, qui est un tout cohérent où chaque
élément est défini par ses rapports aux autres membres du système. Enfin, les
signes linguistiques entretiennent deux types de rapports entre eux :
syntagmatiques sur la chaîne parlée et paradigmatiques ou associatifs.
2. Chomsky et la grammaire
générative
Un nouveau programme pour la linguistique
Dans les années cinquante, Noam Chomsky (1928- ), un jeune linguiste du
Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Boston, révolutionne la
linguistique en proposant un nouveau programme de recherche. Aux États-
Unis, le paradigme dominant en linguistique à cette époque était la
grammaire distributionnelle, un courant qui envisageait la grammaire des
langues par l’élaboration de listes, issues de données de production réelles
par des locuteurs (des corpus). À cette conception empiriste de la
linguistique, Chomsky oppose le modèle rationaliste de la grammaire
générative. Dans cette approche, l’objectif de la linguistique est de
caractériser le savoir linguistique des locuteurs adultes, ce que Chomsky
nomme leur langue interne. Chomsky a par ailleurs bousculé la vision
dominante de son époque en proposant que toutes les langues du monde, bien
que différentes en apparence, sont fondamentalement similaires quant à leurs
mécanismes profonds, et reflètent une grammaire universelle, faculté
biologique et spécifique à l’espèce humaine.
Chomsky a également eu une influence déterminante sur la psychologie,
par sa conception de la manière dont les enfants acquièrent le langage. Au
milieu du XXe siècle, le courant dominant en psychologie était le
comportementalisme (aussi appelé béhaviorisme), qui consistait à expliquer
des phénomènes d’apprentissage uniquement par les comportements
observables (externes) des sujets, en interdisant toute spéculation sur leurs
états mentaux (internes). Dans cette optique, l’acquisition du langage était
envisagée comme un comportement appris, réductible à des phénomènes
d’imitation. Chomsky s’est fortement opposé à cette idée, en insistant sur le
rôle de l’innéisme dans le processus d’acquisition.
En résumé, les idées et méthodes proposées par Chomsky au milieu du
XXe siècle ont contribué à placer la linguistique au cœur du domaine naissant
des sciences cognitives.
La langue interne peut donc être étudiée, par le biais des jugements de
grammaticalité, au niveau de chaque locuteur. Ce concept s’oppose à celui de
langue externe, qui caractérise la langue en tant qu’entité partagée par une
communauté linguistique, par exemple le français ou l’espagnol. Dans sa
conception externe, la langue n’est pas une réalité psychologique ou
neurologique individuelle, mais une entité historique, politique et
sociologique. Elle ne peut donc pas faire l’objet d’une analyse linguistique
dans la conception cognitive défendue par Chomsky.
En résumé
La linguistique générative est définie comme la branche de la psychologie
cognitive dont la tâche est de caractériser le savoir linguistique des locuteurs,
c’est-à-dire leur langue interne. Cette langue interne est riche, complexe et
contraste avec la pauvreté des données linguistiques servant d’entrées à
l’acquisition du langage par l’enfant. La faculté de langage est nommée
grammaire universelle, ou ensemble de propriétés définissant la langue
interne.
3. Références de base
Pour une introduction à l’œuvre de Saussure, on lira nécessairement
Saussure (1955), ainsi que Saussure (2002) pour une mise en regard de la
version établie du Cours avec les notes de l’auteur. La linguistique
saussurienne est également abordée par Gadet (1987) et Amacker (1975).
Une introduction très accessible à la notion de faculté de langage telle que
l’entend Chomsky se trouve dans le chapitre 4 de Pinker (1999a). Le début de
la linguistique en tant que science cognitive est résumé par Gardner (1993,
chapitre 3). Enfin, Smith (1999, chapitres 1 et 2), offre une vision globale et
accessible des différents thèmes linguistiques et cognitifs abordés par
Chomsky.
Questions de révision
5.1. Quel doit être l’objet d’étude de la linguistique selon Ferdinand de Saussure ?
Répondre en utilisant les dichotomies : langue/parole, synchronie/diachronie, linguistique
interne/linguistique externe.
5.2. Expliquer les notions de signifiant et de signifié en les appliquant au mot chat.
5.3. Pourquoi les signes linguistiques sont-ils arbitraires selon Saussure ?
5.4. Quelle est la différence entre la signification et la valeur d’un signe ? Illustrer avec le
mot cheval.
5.5. Selon Saussure, les relations entre signes peuvent être syntagmatiques ou
paradigmatiques. Expliquer ces deux types de relation et donner des exemples pour
chacune d’elles.
5.6. À quels courants de pensée Chomsky s’oppose-t-il dans sa définition de la
linguistique ?
5.7. Pourquoi Chomsky parle-t-il de grammaire générative ?
5.8. Qu’appelle-t-on un jugement de grammaticalité ?
Notes
1. Le système de représentation formelle des sons utilisé ici est introduit au chapitre 6.
Partie 2
Les domaines
de la linguistique française
Chapitre 6
Phonétique et phonologie
du français
de cet ouvrage, nous allons nous intéresser
D ANS LA SECONDE PARTIE
successivement aux différents niveaux d’analyse du langage que sont
notamment les sons, les mots et les phrases. En guise d’introduction, nous
commencerons par montrer dans ce chapitre comment ces différents niveaux
d’analyse sont définis par les linguistes et dans quelles disciplines ils sont
étudiés. Le reste du chapitre sera consacré à la plus petite des unités d’analyse
du langage, le phonème, objet d’étude de la phonologie.
Tout comme les mots, les phrases ne sont pas des unités minimales
d’analyse, car elles sont constituées d’autres éléments qui entretiennent un
rapport particulier entre eux. Par exemple, en (2), les éléments la sœur de
Jeanne forment une unité de sens au sein de la phrase. On le constate
notamment par le fait qu’il est possible de remplacer toute cette unité par le
pronom elle comme en (4) ou d’en faire le sujet d’une question comme en
(5).
4. Elle aime les araignées.
5. Qui aime les araignées ? (réponse : la sœur de Jeanne).
Tableau 6.1.
Dans cette synthèse, nous n’avons pas encore mentionné l’objet d’étude de
la pragmatique, qui est l’énoncé. Comme nous l’avons vu au chapitre 2,
l’énoncé n’est toutefois pas un objet structuralement supérieur à la phrase,
mais correspond à une phrase étudiée en prenant en compte le contexte dans
lequel elle a été prononcée. Nous reparlerons des énoncés dans les
chapitres 11 à 14, qui traitent de différents phénomènes pragmatiques.
3. Éléments de phonétique
articulatoire
Consonnes, voyelles et semi-voyelles
Du point de vue de l’articulation, les consonnes sont des sons caractérisés
par la présence d’un obstacle partiel ou total au passage de l’air. Une
première distinction entre les consonnes peut être établie en fonction de la
manière dont l’air est retenu (ce critère est aussi appelé le mode
d’articulation). Lorsque l’obstruction de l’air est totale, on parle de
consonnes occlusives. C’est le cas par exemple de la prononciation du son [p]
dans le mot parler, où le passage de l’air est totalement bloqué par les lèvres,
avant d’être relâché brusquement. Lorsque l’obstruction de l’air n’est que
partielle, on parle de consonnes constrictives, comme dans la prononciation
du son [f] de frère, où l’air n’est que partiellement retenu par les lèvres. C’est
pour cette raison qu’il est possible de tenir la prononciation d’une consonne
constrictive pendant longtemps alors qu’une consonne occlusive ne peut pas
être tenue.
Un deuxième critère de classification des consonnes s’établit selon leur
lieu d’articulation, c’est-à-dire l’endroit dans la bouche où se fait
l’obstruction de l’air. On distingue cinq lieux d’articulation des consonnes en
français (du plus en avant au plus en arrière) :
1. les lèvres : consonnes labiales comme le son [p] de père
2. les dents : consonnes dentales comme le son [t] de terre
3. le palais dur : consonnes palatales comme le son [ʃ] de cher
4. le palais mou : consonnes vélaires comme le son [k] de car
5. la luette : consonne uvulaire comme le son [ʀ] de rue (lorsqu’il est
prononcé sans le rouler)
Un dernier critère qui permet de classifier les consonnes fait intervenir la
vibration ou la non-vibration des cordes vocales. Certaines consonnes dites
sourdes sont prononcées sans faire vibrer les cordes vocales, par exemple le
[s] de sel alors que d’autres dites sonores les font vibrer, comme le son [g] du
mot gare.
Les voyelles sont des sons caractérisés par la vibration des cordes vocales
(elles sont donc par définition sonores), ainsi que par la non-obstruction de
l’ouverture de la cavité buccale. On distingue habituellement quatre critères
pertinents pour la classification des voyelles.
Le premier est le degré d’ouverture de la bouche, qui peut être fermée,
mi-fermée, mi-ouverte ou encore ouverte. Par exemple, en prononçant à la
suite les mots nid, nez, naît et natte, on constate que la bouche s’ouvre
toujours plus lors de la prononciation des voyelles [i], [e], [ɛ] et [a]. Le
deuxième critère est la position de la langue dans la bouche, qui peut être
placée vers l’avant (voyelle palatale) ou vers l’arrière (voyelle vélaire). Par
exemple, en prononçant les mots mur puis mou, la langue passe de l’avant à
l’arrière de la bouche lors de la prononciation des voyelles [y] et [u]. Le
troisième critère a trait à la position des lèvres, qui peuvent être arrondies ou
non-arrondies. Le changement dans l’arrondissement des lèvres peut être
ressenti en prononçant les mots nez puis nœud. La première voyelle [e] n’est
pas arrondie alors que la seconde [ø] l’est. Un dernier critère de classification
est le lieu de passage de l’air, qui peut être la bouche (voyelle orale) ou le
nez (voyelle nasale). Cette distinction peut être ressentie en prononçant les
mots mode puis monde. Dans le premier cas, l’air passe par la bouche et dans
le second, par le nez.
Une différence importante entre consonnes et voyelles en français se situe
au niveau du rôle joué par ces deux types de sons dans la syllabe. En français,
la syllabe est par nature vocalique. En d’autres termes, un mot contient autant
de syllabes que de voyelles. Les consonnes ne peuvent donc pas former des
syllabes à elles seules. Elles viennent simplement s’ajouter aux voyelles qui
en forment le noyau. Par exemple, le mot liberté se découpe en trois
syllabes (li-ber-té), construites autour des voyelles [i], [ɛ] et [e]. De même, le
mot aéroport contient quatre syllabes (a-é-ro-port) autour des voyelles [a],
[e], [ɔ] et [ɔ].
Enfin, les semi-voyelles sont des sons que l’on trouve dans des mots
comme nuit, abeille et oiseau. Du point de vue de la prononciation, ces sons
correspondent aux caractéristiques des voyelles les plus fermées, lorsque le
degré de fermeture s’accentue encore pour produire une sorte de chuintement.
Ainsi, les semi-voyelles sont assimilées aux voyelles, car elles en sont
proches du point de vue de l’articulation. En revanche, elles se rapprochent
des consonnes du point de vue de leur rôle dans la syllabe, raison pour
laquelle ces sons sont aussi qualifiés de semi-consonnes dans certains
manuels. En effet, la présence de semi-voyelles dans un mot n’influence pas
le découpage syllabique. Ainsi, le mot abeille ne contient que deux syllabes
[a- bɛj], construites autour des voyelles [a] et [ɛ]. En revanche, si la semi-
voyelle [j] est remplacée par une voyelle, par exemple [i] dans le mot abbaye,
le nombre de syllabe passe à trois [a-bɛ-i].
Tableau 6.2.
En plus des 15 voyelles classées ci-dessus, le français comporte également
une seizième voyelle, au statut particulier, car elle a pour propriété de pouvoir
être omise sans provoquer de changement de sens. Cette voyelle s’appelle le
schwa ou e-muet en référence à la lettre qui est utilisée pour le transcrire en
français, et est notée phonétiquement par le symbole [ə]. On la retrouve par
exemple dans le mot petite, où le e final n’est pas prononcé par de nombreux
locuteurs. De même, le fait de dire f(e)nêtr(e) en prononçant les e ou non ne
change pas la signification de ce mot. Lorsqu’il est prononcé, le schwa est un
son central : mi-ouvert et mi-fermé, mi-antérieur et mi-postérieur et même
mi-labialisé. Son rôle consiste principalement à faciliter la prononciation en
évitant la succession de certaines consonnes. C’est pourquoi, il est
généralement prononcé dans le mot contrebasse, afin d’éviter la succession
difficile des trois consonnes [t], [ʀ] et [b].
Tableau 6.3.
4. Éléments de phonologie
La notion de phonème
Jusqu’à présent, nous nous sommes intéressés aux sons, entités concrètes,
objets d’étude de la phonétique. La phonologie s’intéresse quant à elle aux
phonèmes. Un phonème peut être défini comme la plus petite unité discrète
qui permet d’isoler des éléments de la chaîne parlée. En d’autres termes, seuls
les sons qui produisent des différences de signification dans un mot,
également appelées différences fonctionnelles, sont considérés comme des
phonèmes. Ainsi, tous les phonèmes sont des sons, mais tous les sons ne sont
pas des phonèmes dans une langue donnée. Afin de marquer cette distinction,
les sons sont traditionnellement représentés entre crochets et les phonèmes
entre barres obliques.
Prenons un exemple. Le fait de remplacer le son [t] par le son [v] dans le
mot terre suffit à produire un mot différent (verre). Ainsi, /t/ et /v/ sont des
phonèmes du français. En revanche, le fait de prononcer le mot rue en roulant
le r ou non ne produit pas une différence de sens. Ainsi, il s’agit bien de deux
sons différents (une consonne apico-dentale et une consonne uvulaire) mais
d’un seul phonème. En résumé, le phonème est une entité abstraite, pertinente
du point de vue de l’analyse linguistique, et qui peut correspondre à plusieurs
sons.
5. Enchaînement et liaison
En plus de l’unité minimale qu’est le phonème, la phonologie s’intéresse
également à d’autres unités de l’oral. À un niveau supérieur au phonème, on
trouve notamment la syllabe, dont nous avons déjà parlé. À un niveau encore
plus global, la phonologie s’intéresse également au contour mélodique des
phrases, et notamment à leur intonation et leur prosodie. L’ensemble des
études qui portent sur des unités supérieures au phonème entrent dans le
domaine de la phonologie suprasegmentale. À titre d’exemple, nous allons
nous intéresser dans cette section à deux phénomènes suprasegmentaux qui
ont une grande importance en français : l’enchaînement et la liaison.
On parle d’enchaînement lorsque, à l’intérieur d’un même groupe
intonatif, un mot qui se termine par une consonne s’appuie sur la voyelle qui
initie le mot suivant. Il y a par exemple enchaînement entre le /l/ et le /a/ des
mots mal et à de l’exemple (6). Comme le montre cet exemple,
l’enchaînement ne suit pas nécessairement le découpage graphique entre des
mots.
6. Yves est mal à l’aise.
6. Références de base
Pour une introduction à la phonétique du français, on lira Tranel (2003) et
Vaissière (2006). Pinker (1999a) chapitre 6 aborde de manière très accessible
les notions de base de la phonétique et de la phonologie. Enfin, Encrevé
(1988) traite des questions de liaison et d’enchaînement.
Questions de révision
6.1. Donner quelques exemples de chaque niveau d’analyse linguistique à partir du texte
ci-dessous :
Jean pense que le chien de la voisine est monstrueux. Le facteur m’a d’ailleurs dit qu’il
l’avait méchamment mordu à la cheville la semaine dernière.
6.2. Dire à quel(s) domaine(s) d’étude de la linguistique chaque unité identifiée ci-dessus
correspond traditionnellement.
6.3. Qu’est-ce qu’un phonème par opposition à un son ? Donner trois exemples de
phonèmes du français.
6.4. Quelles sont les réalisations graphiques possibles du son [ɛ] en français ?
6.5. Expliquer les notions de trait pertinent et de différence fonctionnelle. Donner des
exemples.
6.6. Quelle est la définition de la consonne, de la voyelle et de la semi-voyelle ?
6.7. À quoi sert la méthode des paires minimales ? Donner un exemple pour la paire de
voyelles orales mi-fermées et mi-ouvertes.
6.8. Quels sont les enchaînements ou les liaisons contenus dans les phrases ci-
dessous ?
– J’ai reçu une boîte à musique.
– J’ai eu un rhume.
– J’ai deux enfants.
– J’ai fort à faire.
Notes
1. L’ensemble des symboles phonétiques utilisés pour représenter les sons du français sont reproduits,
avec des exemples, dans les sections sur les voyelles et les consonnes du français ci-dessous.
Chapitre 7
Morphologie du français
les procédés de formation des mots. L’unité
L A MORPHOLOGIE ÉTUDIE
d’analyse de la morphologie est le morphème, notion que nous allons
définir en ouverture de ce chapitre. Nous verrons ensuite par quels procédés
morphologiques de nouveaux mots sont créés en français. Nous terminerons
en montrant que la morphologie fait intervenir, au même titre que la syntaxe,
la faculté humaine de langage.
1. La notion de morphème
Un morphème peut être défini comme la plus petite unité linguistique qui
possède à la fois une forme et une signification. En effet, le phonème (voir
chapitre 6), unité de rang inférieur au morphème, est un son qui ne porte pas
de signification. Un morphème possède quant à lui toujours une signification,
même s’il ne peut pas toujours former un mot à lui tout seul. Prenons le mot
impensable. Ce mot contient trois morphèmes : im – pens – able (nous
verrons comment faire cette division à la section suivante). Bien qu’aucun de
ces morphèmes ne puisse à lui tout seul former un mot, chacun d’eux possède
un sens qui lui est propre. Le préfixe im- marque la négation, la racine
verbale pens- vient du verbe penser et le suffixe -able signifie « que l’on
peut ». Mis ensemble, ces morphèmes forment le mot impensable, qui
signifie par addition des significations « que l’on ne peut pas penser ». Cet
exemple montre que la morphologie est compositionnelle, c’est-à-dire qu’au
moment de leur formation, le sens des mots construits morphologiquement
est égal au sens des éléments qui le composent. Toutefois, la signification
globale d’un mot évolue au gré de l’usage et bien souvent cette transparence
se perd, comme nous le verrons notamment au sujet des mots composés. On
utilise le terme de démotivation pour qualifier ce processus.
Types de morphèmes
Il faut tout d’abord distinguer les morphèmes libres des morphèmes liés
(on parle parfois aussi de morphèmes autonomes et non autonomes). Les
premiers correspondent à des mots simples, qui peuvent donc être utilisés
seuls, comme par exemple somme, chien, maison, etc. Les seconds n’ont en
revanche pas d’existence autonome, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être utilisés
qu’à l’intérieur d’un mot, en addition d’autres morphèmes. Cette deuxième
catégorie inclut les préfixes comme anti- et dé- et les suffixes comme -able et
-ment. Elle contient également les marques d’accord (désinences), par
exemple le -s du pluriel pour les noms ou le -ons qui marque la première
personne du pluriel des verbes.
Notons encore que les morphèmes peuvent parfois se réaliser sous des
variantes différentes, appelées allomorphes. Par exemple, dans le verbe
aller, le radical all- se réalise en va- au singulier du présent comme dans vais
et va et en ir- au futur comme dans irai et iras. Ce type de variation est dite
conditionnée, car elle dépend du contexte dans lequel un morphème est
utilisé. Par exemple, dans le cas du verbe aller, s’il s’agit du présent ou du
futur. Un autre exemple de variante conditionnée est l’alternance entre je et j’
pour désigner le pronom personnel sujet. Le choix de l’une ou l’autre forme
est en effet conditionné par la première lettre du mot suivant.
Enfin, un autre cas très fréquent qui fait intervenir la notion d’allomorphe
est la modification d’un mot, lorsqu’il devient le radical d’un mot construit
morphologiquement, c’est-à-dire la partie qui reste d’un mot construit
morphologiquement lorsqu’on lui a retiré ses affixes. Par exemple, le mot
africain a donné le radical african- pour former africanisme (plutôt que
africainisme). De même, vénal vient du mot veine, par le radical qui
correspond à la variante allomorphique vén-. Ces modifications
allomorphiques s’expliquent souvent pour des raisons de prononciation. En
effet, la suite de sons -anisme est plus facile à prononcer que -ainisme.
Notons pour conclure que ces variations sont régulières. En d’autres termes,
elles s’appliquent chaque fois qu’une même alternance de sons entre en jeu.
Ainsi, sur le même modèle qu’africain/africanisme on a également
américain/américanisme, vain/vanité, main/manuel, etc.
À l’inverse, certaines variations allomorphiques sont dites libres, car elles
sont interchangeables et ne dépendent que des préférences du locuteur. Un
exemple de variation libre est l’alternance entre les mots yaourt et yogourt.
Le choix entre une de ces variantes ne dépend en effet pas de
l’environnement dans lequel ce mot apparaît mais résulte d’un choix
individuel du locuteur. Autre exemple de variation libre, le choix entre les
deux formes du verbe essayer au présent : essaie ou essaye.
La dérivation
L’un des processus les plus courants pour créer un nouveau mot en
français est de lui ajouter un élément au début ou à la fin, que l’on appelle un
affixe. Plus spécifiquement, on parle de préfixe lorsque l’élément est ajouté
au début du mot et de suffixe lorsque l’élément est ajouté à la fin.
La spécificité des préfixes de dérivation est qu’ils ajoutent un élément de
sens au mot mais ne changent la plupart du temps pas sa catégorie
grammaticale. Par exemple, à partir du verbe faire, on peut créer défaire par
l’ajout du préfixe de privation dé-. Attention, dans certains cas, les préfixes
peuvent être des homophones (c’est-à-dire partager les mêmes sons mais
avoir un sens différent). Par exemple, le préfixe dé- peut également avoir le
sens de renforcement plutôt que de privation, comme dans démultiplier ou
démontrer.
Les suffixes de dérivation ont la propriété de pouvoir changer la catégorie
grammaticale du mot, tout en ajoutant également un élément de sens. Ainsi,
par exemple, le fait d’ajouter le suffixe -able qui signifie « que l’on peut » au
radical verbal mang- donne l’adjectif mangeable, qui signifie « que l’on peut
manger ». Toutefois, dans certains cas, le suffixe dérivationnel ne semble pas
avoir d’autre rôle que celui de changer la catégorie grammaticale. Par
exemple, le suffixe -ment permet de passer d’un adjectif à un adverbe de
manière comme dans la paire simple/simplement, sans autre ajout de sens. De
même, le suffixe -age permet simplement de transformer un verbe en un nom
d’action comme dans démarrer qui donne démarrage. Malgré son faible
apport de sens, l’ajout d’un suffixe dérivationnel contribue à créer un mot
différent de celui dont il est issu, et qui fait l’objet d’un traitement spécifique
dans un dictionnaire. Notons encore qu’inversement, certains suffixes de
dérivation ont pour seul rôle d’apporter un élément de sens sans changer la
catégorie grammaticale. C’est le cas par exemple de -ette dans chambrette ou
-âtre dans brunâtre.
Un mot peut être construit morphologiquement par l’ajout successif de
plusieurs affixes de dérivation. Par exemple, à partir de constituer, on a créé
constitution, constitutionnel, anticonstitutionnel et enfin
anticonstitutionnellement. Notons toutefois que l’ordre de dérivation entre
ces mots reste souvent théorique. Dans certains cas, un adverbe en -ment peut
être attesté sans que l’adjectif intermédiaire le soit. Pour tenter de résoudre ce
problème, les dictionnaires indiquent l’ordre dans lequel les mots sont
apparus dans la langue (approche diachronique).
La composition
Un autre processus morphologique très fréquent en français consiste à
mettre ensemble deux ou plusieurs mots existants, ce qu’on appelle la
composition. Ce processus se distingue de la dérivation principalement par le
fait que tous les mots qui interviennent dans la composition ont une existence
autonome. Par exemple, alors que l’on crée par dérivation asocial à partir de
social, où a- est un préfixe qui n’a pas d’existence autonome, on crée pois
mange-tout en juxtaposant trois mots qui ont par ailleurs une existence
autonome.
Les mots composés rassemblent des mots français, mais également des
formes grecques et latines. Dans le premier cas, on parle de composition
populaire (porte-clés, chou-fleur, etc.) et dans le second, de composition
savante (misogyne, somnambule, etc.). Bien que les éléments des composés
savants n’aient pas d’existence autonome en français, ils conservent une
sémantique de mots pleins, contrairement aux affixes. Comparez par exemple
le sens de gyne (femme) avec celui de -able (que l’on peut). Par ailleurs, ils ne
sont pas spécialisés à gauche ou à droite des mots. On a androgyne mais
aussi gynécologue.
Les exemples de pois mange-tout et de chou-fleur illustrent une première
caractéristique des mots composés : le sens du mot composé est souvent
différent du sens de ses parties. En d’autres termes, il n’est pas
compositionnel et désigne un référent unique. En effet, le mot pois mange-
tout ne désigne pas un pois qui se nourrit de tout. De même, le mot chou-fleur
ne désigne pas un chou, une fleur ou un chou en fleur mais un légume,
différent du chou. Une autre caractéristique des mots composés est qu’ils sont
figés, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de les modifier ou d’insérer d’autres
mots entre eux. Par exemple, on ne peut pas dire le pois mange-rien, ou le
chou de belle fleur.
D’un point de vue formel, rien ne permet d’identifier systématiquement les
mots composés par rapport aux autres syntagmes. En effet, certains comme
portefeuille sont soudés, d’autres comme porte-monnaie sont reliés par un
trait d’union et d’autres encore comme pomme de terre ne sont pas reliés du
tout graphiquement. Quelques règles se dégagent tout de même. Les mots
soudés tendent à être des composés savants (androgyne), des composés
anciens (pourboire) ou des composés dont l’un des mots se présente sous
forme raccourcie ou tronquée (reprographie). Dans le cas des mots reliés par
un trait d’union, la forme la plus fréquente est une séquence de type verbe
+ nom, comme par exemple porte-voix ou faire-part. Toutefois, aucune règle
de soudure n’est systématique, même au sein d’une même famille de mots.
Notons encore que la graphie des mots composé a évolué depuis la dernière
rectification de l’orthographe de 1990. La nouvelle graphie recommandée
consiste à souder des mots composés jusque-là écrits avec un trait d’union.
Par exemple, week-end devient weekend.
Les idiomes comme ficher le camp, prendre la mouche ou mettre la main
à la pâte sont une autre famille de constructions qui partagent les propriétés
principales des mots composés. En effet, leur signification ne correspond pas
au sens des mots qui les composent (prendre la mouche signifie se mettre en
colère et n’a rien à voir avec la présence d’un insecte), et elles ne peuvent pas
être modifiées sans perdre leur sens. Par exemple, l’expression idiomatique
casser sa pipe perd le sens de mourir dès lors qu’on lui applique une
quelconque transformation syntaxique comme la passivation (voir chapitre 8).
La phrase Sa pipe a été cassée par Jean ne peut s’entendre qu’au sens littéral,
et de surcroît sans relation de coréférence (voir chapitre 12) entre sa et Jean.
4. Morphologie et faculté
de langage
Morphologie et lexique
En exploitant les procédés morphologiques de leur langue, les locuteurs
peuvent à tout moment créer un nouveau mot. Par le recours aux mêmes
principes, d’autres locuteurs de cette langue peuvent comprendre le sens de
ces nouveaux mots même s’ils ne les ont jamais entendus auparavant. Ainsi,
par exemple, en connaissant le sens du mot nouveau courriel pour désigner la
messagerie électronique, il est possible de comprendre le sens du verbe
courrieliser dans la phrase je te courrielise cette information. C’est pour cette
raison que les procédés morphologiques permettent un usage créatif du
langage par l’utilisation de règles, au même titre que la syntaxe. Dans un cas,
on crée des mots nouveaux en suivant les règles de combinaison de
morphèmes, dans l’autre, on crée des phrases nouvelles à partir des règles de
combinaison de mots. Toutefois, l’usage des règles de morphologie ne suffit
pas à utiliser le lexique au même titre que l’usage des règles de syntaxe
permet de créer des phrases, principalement pour les raisons suivantes.
Premièrement, tous les mots que l’on peut créer de cette façon ne font pas
partie du lexique du français, c’est-à-dire des mots qui sont répertoriés et
utilisés régulièrement par les locuteurs francophones. Le lexique de chaque
langue comporte ainsi un certain nombre de trous lexicaux, c’est-à-dire de
mots possibles mais non attestés ou dont un mot concurrent a pris la place. Il
n’y a aucune explication qui permette de rendre compte de ces phénomènes
de manière systématique. On rejoint là le caractère arbitraire de la norme.
Par ailleurs, le sens des mots existants évolue avec l’usage et leur
transparence initiale disparaît. Par exemple, peu de locuteurs associent encore
le mot vinaigre à la composition des mots vin et aigre. De même, le mot
bureau est issu du mot bure signifiant un type d’étoffe souvent posée sur la
table qui allait devenir le bureau, mais cette relation a perdu toute pertinence
pour la signification actuelle de ce mot. Dans les faits, le procédé de
construction de la majorité des mots du lexique n’est pas transparent, comme
l’avait déjà montré Saussure par le principe de l’arbitraire du signe (voir
chapitre 5).
Enfin, le fait d’appliquer des règles de morphologie ne permet pas toujours
d’utiliser des mots correctement, à cause de la présence de nombreuses
exceptions, à la fois dans la conjugaison des verbes (on dit vous faites plutôt
que vous faisez comme le prévoit la règle), dans la formation des pluriels
(chevaux plutôt que chevals) et des féminins (bailleur a donné bailleresse
plutôt que bailleuse), etc.
Pour toutes ces raisons, l’utilisation du lexique fait intervenir deux
processus cognitifs fondamentaux pour la faculté de langage : la
mémorisation des mots existants et l’application des règles de morphologie.
5. Références de base
Les processus de formation des mots en français sont décrits par Lehman
& Martin-Berthet (1998, chapitres 6 à 9), ainsi que par Mortureux (2004,
chapitres 2 à 4) et par Huot (2006). Pinker (1999a, chapitre 5) contient
également une introduction générale à la morphologie. La notion de lexique
mental est abordée de manière complète et très accessible par Aitchison
(2003) en anglais, et par Segui & Ferrand (2000) en français.
Catégories et syntagmes
de ce chapitre, nous nous intéresserons aux
D ANS LA PREMIÈRE PARTIE
différents points de vue sur la langue proposés par les grammaires
prescriptives et la syntaxe. Nous aborderons également le purisme, en
expliquant en quoi il ne constitue pas un point de vue scientifique sur la
langue. La seconde partie de ce chapitre est consacrée à la présentation des
catégories syntaxiques de rang inférieur à la phrase. Nous aborderons
notamment la question des catégories grammaticales, appelées
traditionnellement les parties du discours. Nous montrerons également que
les fonctions grammaticales ne sont pas des constituants primitifs de la
syntaxe, mais qu’elles s’expriment à partir des catégories grammaticales.
Enfin, nous expliquerons comment certains mots au sein d’une phrase sont
regroupés syntaxiquement en une unité d’analyse que nous appellerons le
syntagme.
1. Grammaire et syntaxe
À un niveau général, la grammaire se définit comme un ensemble de
règles, conventions et normes, ainsi que leurs exceptions, caractérisant un
certain état de langue. Les règles de grammaire portent sur une version
standard de la langue écrite. Par exemple, les règles de formation du pluriel
des noms en -s ou en -x en français ne sont pas pertinentes à l’oral. Par
ailleurs, les normes sur lesquelles sont fondées les grammaires sont souvent
prises dans la littérature plutôt que dans l’usage courant. La syntaxe d’une
langue correspond quant à elle à l’ensemble des règles qui décrivent les
connaissances que les locuteurs ont de leur langue, ce que nous avons appelé
leur langue interne (cf. chapitre 5). Le principal élément de distinction entre
grammaire et syntaxe porte ainsi sur leur existence même au travers des
langues. Si toutes les langues du monde ont une syntaxe, toutes n’ont pas de
grammaire. En effet, contrairement à la plupart des langues indo-
européennes, la majorité des langues du monde n’ont pas de forme écrite et
n’ont par conséquent pas non plus fait l’objet de normes grammaticales.
Dans le cas du français, la tradition grammaticale s’est principalement
inspirée des grammairiens grecs et latins, mais surtout de la tradition de Port-
Royal (Arnauld et Nicole), dont la caractéristique principale est d’avoir
défendu une thèse très forte, qui structure encore la plupart des grammaires
du français. Cette thèse est le principe du parallélisme logico-grammatical
(PLG), qui stipule que toute différence de forme dans la langue est traduite
par une différence de sens, et inversement. Par exemple, la notion de
concession est réalisée grammaticalement dans des conjonctions comme
quoique, bien que voire mais, cependant, etc. Inversement, les conjonctions
en que illustrent formellement la notion grammaticale de subordination
(alors que, tandis que, bien que, lorsque etc.). Toutefois, l’exigence du PLG
est très forte et pose souvent problème. D’un côté, la notion de subordination
peut être réalisée par d’autres conjonctions qui ne sont pas liées à que comme
si, quand, où, pourquoi. D’un autre côté, l’ensemble des marqueurs de
concession proviennent de catégories grammaticales variées : conjonctions de
subordination (bien que), conjonctions de coordination (mais), adverbes
(pourtant, néanmoins).
Mais le problème principal des approches grammaticales est que leurs
règles ne sont pas suffisamment explicites et peuvent donner lieu à des
phrases agrammaticales. Prenons l’exemple de la formation du superlatif
relatif (en 2b), formé à partir du comparatif (1a). Grevisse (1980) nous donne
la règle suivante : « Le superlatif relatif est formé du comparatif précédé de
l’article défini. » À partir des phrases (1), on peut donc former les phrases
(2).
1. a. Jean est plus aimable.
b. Marie est plus jolie.
2. a. Jean est le garçon le plus aimable.
b. Marie est la plus jolie fille.
Mais ce que la règle ne dit pas, c’est que lorsque le groupe adjectival
précède le nom (2b), l’article ne doit pas être répété. Par exemple, une
application mécanique de la règle produirait à partir de (1b) la phrase
agrammaticale en (3). Notons que par convention, les phrases agrammaticales
sont précédées d’un astérisque.
3. * Marie est la la plus jolie fille.
2. Les puristes
Contrairement aux grammairiens, la position puriste est plus un réflexe
qu’une position raisonnée. Elle est principalement basée sur la
présupposition, erronée, que le français est une langue menacée, tant de
l’intérieur par des usages fautifs, que de l’extérieur par l’influence de langues
périphériques au français comme l’allemand ou par des langues dominantes
mondialement comme l’anglais. Les explications des usages fautifs données
par les puristes sont principalement basées sur le recours à l’étymologie,
c’est-à-dire à l’origine du sens des mots, à la grammaire, principalement la
valence des verbes, et au génie de la langue française.
L’exemple type d’usage erroné, basé sur l’étymologie, est l’adjectif
achalandé, qui vient du nom chaland (client), utilisé pour signifier « avec
beaucoup de marchandises » alors qu’il devrait signifier « avec beaucoup de
clients ». Or la relation entre client et marchandises est compréhensible par
métonymie (cf. chapitre 13), car les clients sont ceux qui achètent des
marchandises.
Les erreurs grammaticales condamnées par les puristes sont en général
liées à la valence des verbes, à savoir le nombre de leurs compléments
(cf. chapitre 10). Par exemple, réussir son examen, ou sortir le chien sont
considérés comme fautifs parce que réussir et sortir sont des verbes
intransitifs. De même, l’expression aller au docteur est fautive, car la
préposition locative pour les noms de professions est chez. Comme on le voit,
ces jugements de valeur ne sont pas basés sur des règles linguistiques, mais
sur une vision prescriptive de la grammaire.
Enfin, le dernier type d’explication est basé sur le génie de la langue : le
français serait une langue claire, logique et belle. On peut cependant contester
cette thèse. Tout d’abord, le français n’est pas une langue plus claire que les
autres, car il est plein d’ambiguïtés. Par exemple, le syntagme le fils du voisin
qui est aveugle signifie-t-il « le fils du voisin aveugle » ou « le fils aveugle du
voisin » ? En second lieu, même si les tautologies (avérer vrai),
contradictions (avérer faux), ou autres pléonasmes (sortir dehors) sont
condamnés par les puristes, ce type d’usages est extrêmement courant. Enfin,
certains choix lexicaux, notamment les néologismes, sont condamnés parce
qu’il existe déjà un verbe répertorié dans le dictionnaire avec un sens
similaire. C’est le cas par exemple des verbes solutionner pour résoudre, ou
encore émotionner pour émouvoir. Mais que dire des créations lexicales
spontanées comme zlataner, hollandiser, voire sadiser, dont certaines
s’installent de manière durable dans la langue ?
3. La syntaxe
Il reste donc une troisième approche de la grammaire des langues, celle du
linguiste, qui propose une démarche à la fois descriptive et explicative. Le
linguiste n’est en effet ni un prescripteur comme le grammairien, ni un
législateur de la langue comme le puriste. Son travail consiste à décrire des
faits de langue et à les expliquer à l’aide d’une théorie. Dans le cadre de la
syntaxe, ce qu’il faut décrire et expliquer est essentiellement notre capacité à
distinguer des phrases grammaticales de phrases agrammaticales (notées *),
ainsi que les phrases sémantiquement interprétables des phrases
ininterprétables (notées #). L’hypothèse est que c’est la compétence des
locuteurs du français qui leur permet de produire ces jugements, qui ne sont
par ailleurs que peu soumis à variation. Prenons l’exemple des phrases
interrogatives formées avec un marqueur interrogatif en qu- (qui, quand,
quoi, etc.). Les différentes variations dans l’ordre des mots, illustrées en (4) et
(5), montrent que les règles du français ne sont pas les mêmes si le sujet est
plein (syntagme nominal) ou pronominal :
4. a. Quand est venu Paul ?
b. Paul est venu quand ?
c. Quand Paul est venu ?
d. Quand Paul est-il venu ?
5. a. Quand est-il venu ?
b. Il est venu quand ?
c. ?? Quand il est venu ?
d. *Quand il est-il venu ?
Alors que (4b-c) sont acceptables mais d’un registre moins soutenu que
(4a et d), la grammaticalité de (5c) est douteuse et (5d) est clairement
agrammatical. Ces différences montrent que la syntaxe du français utilise
deux règles différentes pour former les phrases interrogatives, selon la nature
du sujet. De plus, la copie pronominale du sujet (l’inversion complexe) n’est
possible qu’avec un sujet plein (4d vs 5d). Il s’agit là d’une règle syntaxique,
qui contribue à expliquer la formation des phrases interrogatives en français.
Grâce à leur langue interne, les locuteurs d’une langue peuvent non
seulement distinguer les phrases grammaticales et agrammaticales, mais aussi
les phrases interprétables et ininterprétables. Les exemples en (6) montrent
que ces deux critères sont en outre indépendants. Alors que (6a) et (6b) sont
toutes les deux des phrases grammaticales, seule (6a) est interprétable. En
revanche, (6c) est agrammaticale mais tout de même interprétable, et (6d)
n’est ni grammaticale ni interprétable.
6. a. Quand vient-il ?
b. # D’incolores idées vertes dorment furieusement.
c. *Quand il viendra-t-il ?
d. *Incolores dorment idées de furieusement vertes.
Ainsi, les linguistes décrivent les règles qui permettent la formation de
phrases grammaticales dans une langue. Pour ce faire, ils utilisent des
informations provenant de différents niveaux d’analyse. Au niveau le plus
bas, il s’agit d’établir la liste des catégories grammaticales, à savoir des types
de mots du français. Cette première étape est cruciale : elle est en effet
nécessaire pour établir les règles de syntaxe, comme nous l’avons illustré au
sujet de la différence entre syntagme nominal et pronom pour la formation
des phrases interrogatives. Dans le reste de ce chapitre, nous aborderons les
unités d’analyse de la syntaxe qui se situent en dessous du niveau de la
phrase : à savoir les catégories grammaticales des mots et leur regroupement
en syntagmes.
4. Mots et catégories
grammaticales
D’un point de vue grammatical, les mots se répartissent en différentes
catégories, traditionnellement appelées parties du discours, que sont les
noms, les verbes, les adjectifs, les conjonctions, les prépositions, etc.
L’appartenance d’un mot à une catégorie grammaticale donnée détermine la
manière dont il peut fonctionner dans une phrase. Par exemple, seul un nom
peut en remplacer un autre dans les phrases (7) ci-dessous, comme le montre
l’agrammaticalité des phrases listées en (8).
7. a. L’homme entre dans la pièce.
b. Le vélo entre dans la pièce.
c. Le soleil entre dans la pièce.
8. a. *Le gaiement entre dans la pièce.
b. *Le donc entre dans la pièce.
c. *Le chante entre dans la pièce.
Un autre problème vient du fait que les mots peuvent parfois changer de
catégorie comme dans les phrases (10) ci-dessous, où marron a
alternativement le rôle de nom (10a) et d’adjectif (10b).
10. a. Le marron est un fruit.
b. Ton pull marron me plaît beaucoup.
Il est important de comprendre que ces deux notions ne sont pas reliées,
dans la mesure où une même fonction grammaticale peut être occupée par des
catégories grammaticales distinctes. Par exemple, la fonction de sujet peut
être occupée par un groupe nominal comme en (20) mais également par un
nom propre (21), un verbe à l’infinitif (22) ou encore une phrase entière,
introduite par le complémenteur que (23).
21. Paul est ridicule.
22. Pleurnicher est ridicule.
23. Que tu croies aux horoscopes est ridicule.
5. La notion de syntagme
Dans une phrase, les mots ne sont pas simplement alignés les uns après les
autres. Au contraire, certains groupes de mots fonctionnent comme une sous-
unité de la phrase. Par exemple, en (30), les éléments la sœur de Pierre ou
encore à la campagne fonctionnent comme des unités grammaticales et de
sens. À un niveau plus local, la sœur ou la campagne forment aussi des
unités, alors que sœur de ou à la n’en sont pas.
30. La sœur de Pierre vit à la campagne.
Tableau 8.1.
La tête est l’élément central du syntagme. Elle ne peut en aucun cas être
optionnelle et porte sa signification. Par exemple, le syntagme le chien de la
maison décrit un chien, qui a une particularité, celle d’être de la maison.
Ainsi, le nom chien est la tête de ce syntagme, auquel il donne son nom de
syntagme nominal. Une autre spécificité de la tête est d’être toujours
constituée d’un seul mot plutôt que d’un syntagme, au contraire du
complément.
Le complément est optionnel au sein du syntagme (par exemple les verbes
intransitifs n’en ont pas). En revanche, un syntagme ne peut comprendre
qu’un seul complément. On appelle les autres éléments (non limités) qui
entrent dans la structure d’un syntagme des ajouts. Par exemple, en (31), le
syntagme nominal un os occupe le rôle de complément du syntagme verbal
alors que les syntagmes prépositionnels qui suivent (avec appétit, depuis 10
minutes et devant la maison) sont des ajouts.
31. Le chien mange un os avec appétit depuis dix minutes devant la maison.
En français, le spécifieur correspond à la position la plus à gauche du
syntagme, qui est optionnelle (sauf dans le cas des noms communs pour
lesquels la présence d’un déterminant est obligatoire). Comme dans le cas du
complément, chaque syntagme ne peut comprendre qu’un seul spécifieur.
Généralement, les structures syntaxiques sont représentées sous forme
d’arbre, ce que nous illustrerons au chapitre 9.
6. Références de base
Pinker (1999a, chapitre 2) discute des différences entre règles
syntaxiques et normes grammaticales. Pour un point de vue grammatical sur
la langue, Grevisse (1980) reste une référence. Riegel, Pellat & Rioul (1994)
offre également une description systématique et très abordable des différentes
catégories grammaticales et syntagmatiques du français. Enfin, Leeman-
Bouix (1994) discute de la notion de faute de français en comparant les points
de vue des puristes, grammairiens et linguistes.
Questions de révision
8.1. Pourquoi les puristes condamnent-ils les usages suivants : des dégâts conséquents,
débuter quelque chose, un faux prétexte, indifférer, avoir une opportunité ?
8.2. Les phrases suivantes sont-elles grammaticales et/ou interprétables ?
– Marie promène chien de elle.
– Les flots incandescents rêvent du nuage.
8.3. Qu’est-ce qu’une catégorie grammaticale ? Donner des exemples d’éléments
appartenant aux catégories lexicale, non lexicale et syntagmatique.
8.4. La classification des éléments en catégories est-elle suffisante pour éviter de
produire des phrases agrammaticales ? Pourquoi ?
8.5. Indiquer les catégories grammaticales, les fonctions grammaticales et les fonctions
sémantiques des éléments entre crochets. Que peut-on conclure des résultats obtenus ?
– [Jean] mange [la pomme].
– [La pomme] est mangée par [Jean].
– [La perceuse] a traversé [le mur].
– [Les retraités] touchent [une rente].
– [Manger] est vital.
8.6. Donner deux exemples de computations syntaxiques.
8.7. Expliquer au moyen des tests pour l’identification des syntagmes que les élements
entre crochets forment une unité en (1) mais pas en (2).
– Max [mange une pomme].
– [Max mange] une pomme.
Chapitre 9
1. Règles et normes
La syntaxe d’une langue comme le français est organisée par un certain
nombre de règles. Certaines de ces règles lui sont spécifiques, comme par
exemple la règle d’inversion du clitique sujet dont nous avons parlé au
chapitre 8, alors que d’autres comme celle qui dicte l’ordre entre le
déterminant et le nom au sein du syntagme nominal (le chien, ta montre, etc.)
sont générales et partagées par toutes les langues qui sont structurées dans
l’ordre sujet-verbe-objet (SVO), comme par exemple l’anglais, le chinois et
le russe. Pour des raisons dont nous allons discuter plus bas, ces langues sont
appelées des langues à têtes initiales. Les langues qui structurent le syntagme
nominal dans l’ordre nom suivi de déterminant ont généralement aussi des
postpositions (plutôt que des prépositions), et sont souvent des langues qui
suivent l’ordre sujet-objet-verbe (SOV) comme par exemple le latin et le
japonais, et qui sont appelées des langues à têtes finales.
Les règles de la syntaxe du français sont ainsi propres à un système
général, celui de la syntaxe des langues naturelles (cf. chapitre 5). Elles ne
sont pas des normes, au sens de règles prescriptives, comme par exemple les
règles qui codifient le pluriel des noms à l’écrit (cf. chapitre 8). L’existence
de normes régissant en partie la syntaxe d’une langue comme le français
soulève une question qui n’est pas d’ordre linguistique, mais social. Les
règles dont nous parlerons, et les principes de l’analyse syntaxique du
français, sont propres au système de la langue, et non le résultat de
conventions sociales. Les conventions sociales peuvent certes imposer
certains usages, mais n’ont pas le pouvoir de modifier la structure de la
langue. Par exemple, les contraintes sociales portent sur l’usage prescriptif
d’un certain niveau de vocabulaire (femme vs meuf, voiture vs caisse,
problème vs blème, énervé vs vénère, fête vs teuf, etc.) ou qui indiquent si
une tournure grammaticale correspond à un registre soutenu ou familier du
français, comme la négation en ne…pas vs pas (je ne veux pas vs je veux
pas), l’interrogative avec inversion vs sans inversion (Viens-tu ? vs Tu
viens ?).
En revanche, c’est l’existence de règles syntaxiques plutôt que de normes
qui fait que des jugements de grammaticalité apparaissent clairement pour la
suite de phrases en (1). Plus précisément, (1a-b) sont des phrases
grammaticales, (1c) est douteuse et (1d) clairement agrammaticale. Comment
expliquer ces différences par l’existence de règles syntaxiques ?
1. a. Quel gâteau dit-elle avoir préparé ?
b. Comment dit-elle avoir préparé le gâteau ?
c. ? Quel gâteau ne sait-elle pas comment préparer ?
d. * Comment ne sait-elle pas quel gâteau préparer ?
Ces phrases sont dérivées d’une structure profonde, qui correspond à une
phrase affirmative, par une opération qu’on appelle le mouvement d’un mot
interrogatif. Ainsi, en partant de la structure profonde Elle dit avoir préparé
quel gâteau, on obtient la phrase (1a) par mouvement du syntagme nominal
quel gâteau en tête de phrase (il y aussi l’inversion clitique sujet-verbe). Ce
mouvement laisse derrière une copie, représenté en (2a) par les crochets
<quel gâteau>. La structure profonde de (1b) est Elle dit avoir préparé le
gâteau comment. La structure de surface (1b) est le résultat du mouvement de
l’ajout comment en tête de phrase (et de l’inversion du clitique sujet et du
verbe), représenté en (2b).
En (2a-b), le mouvement est possible (< > indique la position d’origine de
l’élément déplacé). La phrase (2c) représente un cas de mouvement (ou
d’extraction) de l’élément interrogatif quel gâteau de la phrase enchâssée à
travers un autre élément interrogatif, l’ajout comment. Ce mouvement est
licite, mais certains locuteurs le jugent légèrement agrammatical, d’où le ‘?’.
En (2d) en revanche, le mouvement est illicite, car il viole une contrainte de
la syntaxe du français, et, plus généralement, des langues naturelles : seuls les
syntagmes nominaux/mots interrogatifs, éventuellement avec une restriction
lexicale (gâteau) peuvent être extraits ou déplacés d’une question indirecte à
travers un ajout interrogatif (ceci est un cas de ce qu’on appelle en syntaxe
une violation de l’îlot wh/qu-).
2. a. Quel gâteau dit-elle avoir préparé <quel gâteau> ?
b. Comment dit-elle avoir préparé le gâteau <comment> ?
c. ? Quel gâteau ne sait-elle pas comment préparer <quel gâteau> ?
d. * Comment ne sait-elle pas quel gâteau préparer <quel gâteau>
<comment> ?
2. Structure hiérarchique
L’hypothèse principale de la syntaxe est que les phrases ont une
organisation hiérarchique : elles sont formées de constituants qui sont
hiérarchiquement reliés les uns aux autres. La phrase est ainsi constituée de
syntagmes, lesquels sont formés à partir de mots. Certaines phrases, dites
complexes, sont formées de phrases, et certains syntagmes sont formés à
partir de syntagmes. Phrases et syntagmes sont des constituants dits
récursifs, car ils peuvent contenir des constituants de même nature. On dira
en (3) que la phrase subordonnée ou complétive Marie aime Jean est
enchâssée dans la phrase principale ou matrice Paul croit, de même que le
syntagme nominal mon collègue en (4) est enchâssé dans le syntagme
nominal la fille :
3. Paul croit que Marie aime Jean.
4. J’ai vu la fille de mon collègue.
Les structures hiérarchiques des phrases sont représentées par des arbres
ou des structures de parenthèses. Par exemple, la phrase simple (7) est
représentée de manière arborescente par la figure 9.1 et par la structure de
parenthèses (8) :
7. L’enfant déballe son cadeau.
Le syntagme déterminant
Jusqu’à présent, nous avons décrit les arguments des verbes (sujets, objets)
comme des syntagmes nominaux, dont la tête est lexicale. On peut se
demander si cette vision des choses est correcte, car nous pouvons utiliser le
même argument que celui utilisé pour la phrase. Les syntagmes nominaux
sont introduits par des déterminants, qui sont comme les suffixes de flexion et
les auxiliaires des morphèmes grammaticaux, appartenant à la classe des
catégories non lexicales. Par ailleurs, certains déterminants sont le résultat
d’un processus d’incorporation : en français, le déterminant s’incorpore à la
préposition, lorsque le nom est masculin. Ce phénomène est illustré par les
syntagmes en (14). Il ne s’applique pas au féminin singulier, mais aussi au
féminin pluriel, comme l’illustre (15).
14. a. à + le garçon → au garçon
b. de + le garçon → du garçon
c. à + les garçons → aux garçons
d. de + les garçons → des garçons
15. a. à + la fille → à la fille
b. de + la fille → de la fille
c. à + les filles → aux filles
d. de + les filles → des filles
La notion de complémenteur
et la phrase complexe
La syntaxe a pour propriété fondamentale d’être récursive, c’est-à-dire de
permettre l’enchâssement d’une catégorie dans une même catégorie. C’est le
cas par exemple des syntagmes nominaux (NP) comme en (16) mais
également de phrases (S) entières comme en (17). C’est notamment grâce à
cette propriété que le langage humain permet d’exprimer un nombre infini de
significations et de représenter des paroles et des pensées d’autrui. En (17), le
locuteur enchâsse la croyance de Paul (que la fille que son interlocuteur a
rencontrée est norvégienne) dans la représentation de ce qu’il sait :
16. [[NP le hamster] [PP de [NP ma voisine]]]
17. [S1 je sais [S2 que Paul croit [S3 que la fille [S4 que tu as rencontrée]
est norvégienne]]]
Les phrases qui enchâssent d’autres phrases sont appelées des phrases
complexes. Cette catégorie inclut les phrases complétives (18), les phrases
interrogatives indirectes (19), les phrases interrogatives (20) et les phrases
relatives (21).
18. Paul croit que Jean viendra.
19. Paul se demande si Jean viendra.
20. Qui Paul aime-t-il ?
21. L’homme qui est venu est mon ami.
Les mots interrogatifs et les pronoms relatifs ont des fonctions différentes,
mais la plupart ont des formes identiques. Il y a cependant une différence
formelle importante, spécifique au français : la différence entre qui et que est
une différence de trait sémantique pour les interrogatives (qui est [+humain],
que est [-humain]), alors que l’opposition qui/que dans les relatives est
fonctionnelle (qui est sujet, qu’il soit animé ou inanimé, que est objet, animé
ou inanimé).
Dans certaines variétés du français, comme le québécois, le
complémenteur que est compatible avec le pronom relatif, comme illustré en
(32) (Puskas 2013) :
32. Il connaît les gens [CP [SpecCP à qui] [C que] [TP tu parles <à qui>]].
Si l’on compare la structure d’une relative avec pronom sujet avec une
relative avec pronom objet, on comprend que les relatives avec pronom qui
reprend l’objet de la phrase relative sont plus complexes et plus difficiles à
traiter que les relatives dont le pronom reprend le sujet de la relative. On peut
en effet le montrer avec une expansion de la phrase relative, qui ne modifie
pas la relation entre l’élément effacé (sujet) et sa copie relative, alors que la
distance peut augmenter dans le cas des relatives objet :
34. Le chat [qui <le chat> a mangé la souris grise élevée par Abi] dort.
35. La fille [que tu dis à tout le monde [que tu aimes <la fille>]]
a téléphoné.
3. Références de base
Pinker (1999a, chapitre 4) fournit une introduction concise à la syntaxe.
Haegeman (2006) offre une approche originale et très didactique qui permet
de s’initier au raisonnement syntaxique. Moeschler & Auchlin (2018) en
fournissent un court résumé en français aux chapitres 7 à 10. Baker (2001)
comprend une approche comparative de la syntaxe des langues du monde sur
le modèle des principes et paramètres. Smith (1999, chapitre 2) résume les
différentes étapes historiques de la syntaxe générative jusqu’au modèle le
plus actuel : le programme minimaliste. Laenzlinger (2003) est une
introduction à la syntaxe du français.
Questions de révision
9.1. Parmi les deux phrases ci-dessous, laquelle peut être considérée comme fausse
pour des raisons de normes et laquelle est syntaxiquement agrammaticale ?
– Jean allait pas au cinéma.
– Jean ne pas allait au cinéma.
9.2. Expliquer les principes de l’analyse hiérarchique des phrases.
9.3. Faire une analyse en arbre des phrases suivantes :
– Un bon journal annonce les nouvelles à ses lecteurs.
– Jean salue gaiement la petite fille devant sa maison.
9.4. Comment peut-on expliquer la différence de placement de l’adverbe jamais entre ces
deux phrases :
– Émile ne va jamais au concert.
– Émile n’a jamais été au concert.
9.5. Qu’est-ce qu’un complémenteur ?
9.6. Qu’est-ce que le principe de récursivité ?
9.7. Pourquoi le principe de récursivité est-il fondamental pour caractériser le langage
humain ?
9.8. Comment peut-on expliquer l’agrammaticalité des phrases ci-dessous :
– *Qui dis-tu que Pierre aime Marie ?
– *Comment crois-tu que je suis arrivé quand ?
Chapitre 10
Sémantique du français
A SÉMANTIQUE EST L’ÉTUDE de la signification des mots (sémantique
L lexicale) et des phrases (sémantique compositionnelle). Dans ce chapitre,
nous présenterons brièvement les principes de la sémantique
compositionnelle, avant de nous consacrer à l’étude de la sémantique
lexicale, avec la question des relations de sens comme la synonymie et
l’antonymie. Nous décrirons aussi le type de signification communiquée par
l’usage des deux grandes classes lexicales que sont les noms et les verbes.
Enfin, nous aborderons la question des mots qui ont plusieurs significations
reliées (polysémie) et expliquerons comment, grâce à un mécanisme appelé la
coercion, les locuteurs trouvent la signification qui prévaut en contexte. Mais
avant cela, nous commencerons par revenir sur la notion de signification telle
que définie par Saussure et montrerons comment la linguistique actuelle l’a
adaptée et complétée.
1. Signification, concept
et dénotation
Dans l’approche saussurienne, le signe linguistique comprend deux faces :
une image acoustique (les sons ou les lettres du mot) et un concept (la
signification du mot), qui sont indissociables mais dont l’association est par
nature arbitraire. Dans cette approche, ce qui fait la valeur sémantique d’un
signe, ce sont simplement les liens qu’il entretient avec les autres éléments du
système lexical. Ce qui fait qu’un tigre est un tigre, c’est qu’il n’est pas un
lion, ni une girafe, etc. Par conséquent, le système de la langue est
autonome, c’est-à-dire qu’il ne dépend pas d’éléments qui lui sont extérieurs
(le monde). Ainsi, un mot peut être défini uniquement par l’utilisation
d’autres mots, qui font partie du même système1.
Dans l’approche sémiotique, par exemple chez Ogden & Richards
(1923/1989), la signification s’articule non pas comme une entité à deux
faces mais comme un triangle : le mot sert à désigner une entité du monde
appelée référent par l’intermédiaire d’un concept. La valeur sémantique du
signe est donc l’entité du monde qu’il désigne. Ces deux approches sont
résumées dans la figure 10.1.
Figure 10.1.
2. Sémantique compositionnelle
Du point de vue de la signification, une phrase se compose généralement
de deux types d’éléments : un prédicat, la plupart du temps accompagné
d’un ou de plusieurs arguments. Le prédicat est le terme général qui décrit la
propriété ou la relation dont parle la phrase. Les arguments décrivent les
entités reliées par le prédicat. Prenons quelques exemples :
1. Jean dort.
2. Marc mange une pomme.
3. Yves a reçu un livre de ses parents.
4. Il neige.
Dans l’exemple (1), le prédicat de la phrase est le verbe dormir et son
unique argument est Jean. En d’autres termes, cette phrase décrit une action
(DORMIR), réalisée par un individu (Jean). Par convention, on note
généralement le prédicat en majuscules, suivi de ses arguments entre
parenthèses. Cette représentation nous donne ceci pour les exemples ci-
dessus :
1. DORMIR (Jean)
2. MANGER (Marc, une pomme)
3. RECEVOIR (Yves, un livre, ses parents)
4. NEIGER (ø)
L’exemple (4) avec le verbe neiger illustre les cas (rares) où un prédicat ne
prend aucun argument. En effet, dans la phrase il neige, il n’est pas le sujet
sémantique de la phrase (personne ne neige). Toutefois, comme le français
exige qu’un élément occupe la position grammaticale de sujet, un pronom
(dit explétif) est ajouté pour la remplir (voir chapitres 4 et 8).
Dans tous les exemples ci-dessus, le rôle de prédicat est rempli par le
verbe de la phrase. Toutefois, lorsqu’une phrase contient la copule être, il est
plus judicieux de considérer que d’autres éléments prennent le rôle de
prédicat, car cette copule signifie uniquement qu’une certaine relation existe
(est) entre des éléments. Dans ce cas, un adjectif, un nom ou encore une
préposition peut prendre le rôle de prédicat, comme en (5) à (7) ci-dessous.
5. Sarah est petite. PETITE (Sarah)
6. Barry est un saint-bernard. SAINT-BERNARD (Barry)
7. Mon livre est sur la table. SUR (mon livre, la table)
Hyponymie et méronymie
La relation d’hyponymie s’établit entre un mot spécifique appelé
l’hyponyme et un autre mot plus général appelé l’hyperonyme. Par
exemple, rose est l’hyponyme de fleur qui est son hyperonyme. De même,
piller est l’hyponyme de voler et cyan est l’hyponyme de bleu. Bien entendu,
chaque hyperonyme possède plus qu’un seul hyponyme. Ainsi, fleur a
également pour hyponymes primevère, tulipe, pensée, etc. On parle de co-
hyponymes pour désigner la relation que les différents hyponymes
entretiennent entre eux. La relation d’hyponymie est fondamentale pour la
cognition humaine, car c’est sur elle que repose notre faculté à former des
catégories. En effet, l’hyperonyme désigne la catégorie dans laquelle
l’hyponyme est inclus. C’est pour cette même raison que la relation
d’hyponymie est souvent utilisée dans les définitions lexicographiques. On
peut par exemple définir le voilier (hyponyme) comme un navire
(hyperonyme) à voiles.
Bien souvent, la relation entre général et particulier peut s’entendre à
plusieurs niveaux hiérarchiques. Par exemple, sapin est l’hyponyme de
conifère, qui est à son tour l’hyponyme d’arbre, qui est l’hyponyme de
végétal. Le point important est que la relation d’hyponymie est transitive,
c’est-à-dire qu’elle s’applique au travers des niveaux hiérarchiques : ainsi
sapin est aussi l’hyponyme de végétal. Dans la pratique, ces séries n’excèdent
toutefois rarement trois à quatre degrés. Du côté de l’hyperonyme, on arrive
ensuite invariablement à un niveau de généralité maximal du type objet ou
personne. En ce qui concerne l’hyponyme, la description atteint son
maximum de spécificité (par exemple sapin à pois d’Europe centrale).
Ainsi, un même objet peut être désigné par plusieurs termes correspondant
à différents niveaux de spécificité. Pour désigner une même entité du monde,
je peux dire mon chat, mon animal ou encore mon siamois. Parmi ces niveaux
hiérarchiques, les psychologues ont identifié la présence d’un niveau
préférentiel, appelé le niveau de base. C’est à ce niveau que l’on trouve les
mots le plus souvent utilisés par les locuteurs, que les enfants apprennent
leurs premiers mots, et que les mots sont statistiquement les plus courts.
Toutefois, ce niveau de base varie en fonction des catégories : s’il se situe au
niveau de chat dans l’échelle siamois, chat, mammifère, animal, il se situe à
un niveau de généralité supérieur dans l’échelle merlan, poisson, animal. En
effet, dans ce cas, le terme préféré est poisson plutôt que merlan, qui
correspond pourtant au même niveau de spécificité que chat (l’espèce). Bien
que les raisons pour lesquelles le niveau de base varie ne soient pas toujours
claires, il s’établit notamment au niveau de spécificité où les objets se
ressemblent le plus. Or, ce niveau varie bien évidemment selon les catégories.
La relation de méronymie s’établit entre une partie (le méronyme) et un
tout auquel cette partie appartient (l’holonyme). Ainsi, volant est le
méronyme de voiture qui est son holonyme et doigt est le méronyme de main
qui est son holonyme. Tout comme la relation d’hyponymie, la méronymie
s’établit de manière transitive et unilatérale. Si seconde est une partie de
minute qui est une partie d’heure, la seconde est aussi une partie de l’heure.
Toutefois, contrairement à l’hyponymie, dans certains cas, la transitivité
provoque des résultats peu naturels. Si l’aiguille est une partie de la branche
qui est une partie de l’arbre, parler de l’aiguille de l’arbre semble étrange.
Par ailleurs, contrairement aux hyponymes, les méronymes n’héritent pas les
propriétés de leurs holonymes. Si la voiture (holonyme) roule, le volant
(méronyme) ne roule pas. Bien que la méronymie soit une relation plus
spécifique que l’hyponymie et qu’elle ne puisse s’appliquer qu’aux éléments
qui peuvent être divisés en parties, elle est fondamentale pour la définition de
certains mots du lexique. Il est en effet très difficile de définir la notion de
minute, par exemple, sans faire référence au système de division du temps
dont elle fait partie (un total de soixante secondes, une partie d’une heure,
etc.).
Synonymie
La synonymie est une relation d’équivalence sémantique entre des mots
différents comme policier et agent de police, paysan et agriculteur, etc. Les
synonymes sont toujours des mots appartenant à la même catégorie
grammaticale. Ainsi, un nom ne peut pas être le synonyme d’un verbe, par
exemple.
Malgré l’utilité de cette relation de sens, il n’existe pas de synonymes
absolus. En effet, il arrive que deux mots différents servent à désigner un
même référent dans le monde. Toutefois, le sens de ces mots est toujours
partiellement distinct. C’est notamment l’une des raisons qui nous a conduits
plus haut à adopter une approche triangulaire de la signification, qui
différencie le sens (concept) de la référence (entités du monde). C’est aussi la
raison pour laquelle le logicien Gottlob Frege a introduit la distinction entre
sens (Sinn) et dénotation (Bedeutung) (Frege 1971).
Les différences entre synonymes peuvent se situer à plusieurs niveaux.
Dans de nombreux cas, les mots ne sont synonymes que dans une partie de
leurs usages. Cette différence peut se remarquer au niveau sémantique, par
exemple entre les différents sens des mots polysémiques. Si l’adjectif aigu est
synonyme de fort dans l’expression une douleur aiguë, ces deux mots ne sont
pas synonymes lorsque aigu a le sens de haut comme dans un son aigu (on ne
peut pas dire un son fort dans ce cas). Dans d’autres cas, c’est la construction
syntaxique dans laquelle un mot est utilisé qui détermine ses synonymes. Par
exemple, tenir n’est synonyme de ressembler que dans la construction tenir
de (quelqu’un). Enfin, dans de nombreux cas, la différence entre les
synonymes a trait à l’usage (la pragmatique). Par exemple, les mots paysan et
agriculteur, bien que désignant la même profession, n’ont pas la même
coloration affective (ou connotation). Alors qu’agriculteur est neutre, paysan
est parfois perçu négativement. Dans d’autres cas, la différence d’usage porte
sur le niveau de langue, comme entre les mots moto et bécane. Dans d’autres
cas encore, la différence porte sur la distinction entre langue commune et
discours de spécialistes, comme dans la paire céphalée et mal de tête. Pour
bien comprendre que ces paires ne sont pas synonymes, il suffit d’essayer de
les utiliser de manière interchangeable. S’il est normal que des médecins
parlent entre eux de céphalée, personne n’annoncerait à un ami qu’il souffre
de céphalée, car ce terme est inapproprié en contexte.
Notons encore que d’un point de vue cognitif, la relation de synonymie
n’est que peu présente dans l’esprit des locuteurs. Lorsqu’on demande à des
sujets de trouver un mot à partir d’un autre dans une tâche d’association libre,
la relation la plus souvent évoquée est la co-hyponymie (sel appelle poivre),
suivie de l’hyperonymie (sapin appelle arbre). En dernier lieu seulement, les
sujets pensent à citer un synonyme. Par ailleurs, lorsqu’ils acquièrent le
langage, les enfants ont un a priori (inconscient) très fort contre les
synonymes. Lorsqu’ils connaissent déjà un mot pour désigner un objet, ils
refusent d’accepter l’existence d’un second qui ait le même rôle (ce que la
psychologue Eve Clark 1983 appelle le principe de contraste). Ce principe
est tellement fort qu’il s’applique également durant une période aux enfants
bilingues, qui spécialisent le sens des mots dans leurs deux langues, plutôt
que de les accepter comme des équivalents.
Antonymie et complémentarité
L’antonymie est la relation qui sert à opposer deux mots dans le lexique,
elle est donc l’inverse de la synonymie. Comme les synonymes, les
antonymes varient en fonction du contexte et des sens des mots
polysémiques. Si lumineuse est l’antonyme de sombre dans la construction
une pièce lumineuse, cet adjectif est opposé à stupide dans la construction
une idée lumineuse. Le lexique contient à la fois des antonymes
morphologiques, c’est-à-dire construits à partir de préfixes de privation
comme faisable et infaisable et des antonymes purement lexicaux comme la
paire intelligent et stupide. Cette deuxième catégorie est d’ailleurs de loin la
plus fréquente des deux.
On différencie dans le lexique plusieurs types d’opposition entre les mots.
La première catégorie, appelée complémentarité, oppose des mots de
manière absolue. Dans ce cas, la négation d’un terme implique
nécessairement l’affirmation de l’autre dans la paire. C’est le cas de mots
comme vivant et mort ou encore ouvert et fermé. Si une porte n’est pas
ouverte, elle est nécessairement fermée, et inversement.
Le lexique contient par ailleurs des antonymes gradables, pour lesquels
la négation d’un terme n’entraîne pas nécessairement l’affirmation de l’autre.
Par exemple, une personne petite n’est pas grande. En revanche, une
personne qui n’est pas petite n’est pas nécessairement grande non plus. Elle
est peut-être simplement de taille moyenne. C’est la présence de ces degrés
intermédiaires qui donne le nom d’antonymes gradables à cette catégorie. La
possibilité d’avoir des degrés intermédiaires se remarque également dans des
constructions comme il est plutôt petit, assez grand, etc. En revanche, il est
impossible de dire il est plutôt mort ou assez marié, ce qui montre, une fois
encore, la réalité de la distinction entre antonymes gradables et
complémentaires. Enfin, les antonymes gradables sont toujours évalués par
rapport à une norme de référence. Par exemple, Jean peut être petit pour un
joueur de basket mais grand pour un enfant de 12 ans.
Un deuxième test distingue les verbes d’état et d’activité, d’une part, et les
verbes d’accomplissement et d’achèvement, d’autre part. Il s’agit de la
possibilité d’utiliser soit une construction avec pendant soit avec en. Les
verbes d’état et d’activité ne peuvent prendre que la forme avec pendant alors
que les accomplissements et les achèvements ne peuvent prendre que la
forme avec en.
12. Marie a été heureuse pendant /*en ses années de mariage.
13. Max a couru pendant /*en une heure.
14. Jean a construit une maison en /*pendant deux ans.
15. Paul a atteint le sommet en /*pendant une heure.
La télicité est la propriété des verbes d’avoir un telos, c’est-à-dire une fin
intrinsèque, qui fait partie de leur signification. Ce critère permet de
distinguer les accomplissements et les achèvements, qui ont une fin
intrinsèque (on dit qu’ils sont téliques), des états et des activités qui n’en ont
pas (on dit qu’ils sont atéliques). Ainsi, par exemple, l’accomplissement
dessiner un cercle a nécessairement une fin, lorsque le cercle est dessiné. À
l’inverse, l’état d’être marié n’a pas de fin obligatoire.
Enfin, le dernier critère est celui de l’homogénéité. En effet, les états et les
activités sont homogènes, c’est-à-dire qu’ils désignent une situation qui ne
change pas au cours du temps. En revanche, les accomplissements ne sont
pas homogènes. Ils sont constitués de phases ordonnées dans le temps. Par
exemple construire une maison implique des phases comme faire des plans,
acheter un terrain, bâtir des fondations, etc. Enfin, étant donné qu’ils sont
ponctuels, le critère de l’homogénéité ne s’applique pas aux achèvements.
Ainsi, par l’addition de ces critères, résumés dans le tableau ci-dessous, il
est possible de déterminer à quelle classe aspectuelle appartient un verbe.
Attention toutefois, un même verbe peut changer de classe aspectuelle en
fonction de son complément. Par exemple, dessiner décrit une activité dans la
phrase Jean dessine pour le plaisir mais un accomplissement dans Pierre
dessine un chat. Ainsi, plus que le verbe en isolation, c’est l’ensemble du
groupe verbal qui doit être considéré afin de déterminer l’appartenance à une
classe aspectuelle (voir tableau 10.1).
Tableau 10.1.
5. Polysémie et coercion
sémantique
Le terme de polysémie s’emploie lorsque des mots ont plusieurs
significations qui sont reliées entre elles. Lorsqu’un mot a plusieurs
significations non reliées, par exemple le mot bière qui désigne à la fois une
boisson et un cercueil, on parle d’homonymie. Dans certains cas, les mots ne
sont identiques qu’à l’oral, on parle alors d’homophones (vert, vair, ver,
verre, vers, etc.).
Dans le cas des mots polysémiques, la relation entre les différents sens fait
intervenir la notion de changement de type. Un exemple d’un tel
changement a été vu plus haut au sujet des noms massifs et comptables.
D’autres exemples se trouvent entre le contenant et son contenu (21), le
producteur et son produit (22) ou encore un lieu et ses habitants (23).
21. acheter un verre (contenant)/boire un verre (contenu)
22. travailler pour un journal (producteur)/acheter son journal (produit)
23. Genève est une petite ville (lieu)/Genève célèbre l’anniversaire de
Calvin (habitants)
Questions de révision
10.1. À quoi servent les concepts ?
10.2. Indiquer les prédicats et les arguments des propositions suivantes :
– Il pleut.
– Pierre cueille des cerises.
– Jeanne résume le cours à Paul.
– Yves est à la maison.
10.3. Quels sont les différents types de relations d’opposition du lexique ?
10.4. Quels sont les points communs et les différences entre les relations d’hyponymie et
de méronymie ?
10.5. Donner des exemples de noms massifs et comptables.
10.6. À quelle classe aspectuelle appartiennent les constructions verbales suivantes :
manger chinois, écrire une lettre, concrétiser un plan, être heureux ? Justifier au moyen
de tests linguistiques.
10.7. Indiquer par des exemples les changements de type qui peuvent intervenir entre les
divers sens des mots suivants : biberon, kleenex, bière.
10.8. Expliquer le phénomène de la coercion au moyen des phrases suivantes :
– Anne a commencé le pain.
– Paul commence un portrait.
– Marie commence le piano.
Notes
1. Ce modèle a conduit dans la première moitié du XXe siècle à la fameuse hypothèse de Sapir et Whorf
sur le relativisme linguistique, qui a par la suite largement été rejetée par une grande partie des
linguistes, notamment suite aux travaux de Noam Chomsky (cf. chapitre 5). À ce sujet, voir notamment
Pinker (1999a), chapitre 3.
Constatifs et performatifs
Austin a commencé par constater que de nombreuses phrases comme (1) à
(3) ci-dessous, qui ne sont ni interrogatives ni impératives ni exclamatives, ne
servent pas à décrire un état de fait du monde. En revanche, le simple fait de
les prononcer entraîne la réalisation d’une action : ordonner en (1), baptiser
en (2) et promettre en (3).
1. Je t’ordonne de te taire.
2. Je te baptise au nom du père, du fils et du Saint-Esprit.
3. Je te promets que je viendrai demain.
Si tel est bien le cas, alors les constatifs doivent être évalués en termes de
bonheur ou de malheur plutôt que de vérité ou de fausseté, et la distinction
entre le fait d’utiliser le langage pour décrire quelque chose (constatifs) ou
pour faire quelque chose (performatifs) devient caduque. Pour ces raisons,
Austin décide de renoncer à la distinction entre performatifs et constatifs et
de se concentrer sur les différents types d’actes qui peuvent être réalisés par
l’énonciation de n’importe quelle phrase.
Dans un acte de langage indirect comme (17), il n’y a pas un, mais deux
actes de langage qui sont accomplis : un acte primaire, qui correspond à une
requête, accomplie par l’intermédiaire d’un acte secondaire, qui est une
question. Tout le problème, pour une théorie conventionnelle de la
signification telle que l’envisage Searle, est d’expliquer par quelles
conventions l’interlocuteur peut comprendre l’acte primaire à partir de l’acte
secondaire.
Pour le comprendre, il faut savoir que Searle a réalisé une description des
conditions selon lesquelles un acte illocutionnaire est ou n’est pas couronné
de succès, sur la base d’une série de règles qui doivent être respectées lors de
la réalisation d’un acte. Il y a tout d’abord les règles préliminaires, qui portent
sur la situation de communication et sur les croyances d’arrière-plan du
locuteur. Ces règles exigent notamment que les interlocuteurs parlent la
même langue. Ensuite, il y a la règle de contenu propositionnel, qui
détermine le contenu propositionnel de l’acte de langage. Il y a également la
règle de sincérité, qui porte sur l’état mental du locuteur et enfin la règle
essentielle qui spécifie le type d’obligation contractée par l’un ou l’autre des
interlocuteurs. Par exemple, dans le cas de la promesse, acte plus
spécifiquement étudié par Searle dans ce contexte, ces règles prennent la
forme suivante :
1. Règle de contenu propositionnel : prédique un acte futur Q du locuteur
L.
2. Règles préliminaires :
i. l’auditeur A préfère l’accomplissement de Q par L à son non-
accomplissement ;
ii. il n’est évident ni pour L ni pour A que L serait conduit à effectuer
Q.
3. Règle de sincérité : L a l’intention d’effectuer Q.
4. Règle essentielle : L contracte l’obligation d’effectuer Q.
C’est précisément l’existence de ces règles sémantiques qui explique la
transition entre actes de langage la forme linguistique utilisée et l’acte
intentionné. En effet, selon Searle, le fait d’interroger une condition
préliminaire à la réalisation d’un acte illocutionnaire revient à réaliser
indirectement cet acte. Ainsi, pour réaliser une requête indirecte, le locuteur
peut, par exemple, interroger la capacité de l’auditeur à accomplir l’acte
comme en (18). Il peut également mentionner son désir ou sa volonté de voir
l’acte réalisé comme en (19). Une autre possibilité consiste à interroger le
consentement de l’auditeur comme en (20). Enfin, le lien conventionnel peut
également porter sur la raison de faire l’action demandée comme en (21).
18. Peux-tu me passer le sel ?
19. J’aimerais que tu me passes le sel.
20. Veux-tu me passer le sel ?
21. Avec du sel, le plat serait meilleur.
Cette contrainte semble pourtant trop forte. Dans le cas de cet exemple, ce
qui importe, ce n’est pas que l’auditeur comprenne que le locuteur avait
l’intention de réaliser un acte de prédiction mais simplement que l’énoncé
communique quelque chose à propos d’un événement futur. Ainsi,
comprendre la nature exacte de l’acte illocutionnaire n’est pas toujours
indispensable pour comprendre le sens des énoncés.
Une autre critique que l’on peut formuler à l’égard de la théorie des actes
de langage est que tous les actes de langage ne relèvent pas du domaine de la
linguistique ou de la pragmatique. Par exemple, les actes déclaratifs comme
excommunier et baptiser comportent une forte composante institutionnelle et
leur réussite nécessite qu’ils se produisent dans un contexte bien spécifique.
Dans le cas des déclaratifs, il est également nécessaire qu’ils soient le fait de
locuteurs particuliers qui sont institutionnellement habilités à les réaliser.
Ainsi, seuls les actes représentatifs comme asserter et directifs comme
demander ne dépendent pas de contraintes extérieures à l’usage du langage.
Qui plus est, les actes sociaux ou institutionnels comme le baptême et la
promesse varient en fonction du contexte culturel dans lequel ils ont lieu. Or,
une théorie qui vise à décrire l’usage du langage doit tendre vers
l’universalité.
Enfin, la théorie des actes de langage présuppose un rapport conventionnel
entre certains mots ou tournures syntaxiques et le type d’acte de langage qui
peut être accompli. Or, il n’existe pas toujours de rapport entre la forme
linguistique de l’énoncé et le type d’acte réalisé, comme l’illustrent les
exemples ci-dessous.
24. Donne-moi la réponse, puisque tu sais tout !
25. Peut-on nier que le nazisme était un crime ?
5. Références de base
Reboul & Moeschler (1998a, chapitre 1) contient une présentation
succincte de la théorie des actes de langage. Une introduction plus
approfondie se trouve également chez Moeschler & Reboul (1994,
chapitre 1). Sperber & Wilson (1989, pp. 364-381), contient une critique de
la notion d’acte de langage et une révision de cette notion du point de vue de
la pragmatique cognitive.
Questions de révision
11.1. Les énoncés ci-dessous sont-ils des constatifs ou des performatifs selon la
définition d’Austin ?
– Je t’assure que c’est un bon film.
– Mon bureau est situé à la rue de Candolle.
– Pourrais-tu me dire l’heure ?
– Tu vas me le payer.
11.2. Appliquer le test de la performativité aux exemples ci-dessus afin de montrer
pourquoi de tels exemples ont conduit Austin à abandonner sa distinction.
11.3. Quels sont les actes locutionnaires, illocutionnaires et perlocutionnaires réalisés
dans les énoncés ci-dessous ?
– Ferme la porte en sortant !
– Répète si tu oses !
– J’affirme que l’exercice n’est pas clair.
– Je vous condamne à la prison à perpétuité.
– Bougez futé, allez à pied !
11.4. Expliquer la distinction entre le marqueur de force illocutionnaire et le marqueur de
contenu propositionnel à l’aide d’un exemple.
11.5. Dire quels sont les actes de langage primaires et secondaires réalisés par les
énoncés ci-dessous et expliquer comment le locuteur peut comprendre l’acte intentionné
à partir de l’acte réalisé linguistiquement dans chaque cas :
– Sais-tu quelle heure il est ?
– Vous pourriez faire moins de bruit.
– J’aimerais bien que tu m’écoutes quand je te parle.
– Tu devrais être plus poli avec ton père.
11.6. Pourquoi peut-on conclure que les seuls vrais actes de langage sont les actes
représentatifs et directifs ?
11.7. Dire si les exemples ci-dessous sont des actes de dire que, dire de ou demander
si :
– Pardon, quelle heure est-il ?
– Je me demande bien ce que j’ai fait pour mériter un étudiant pareil !
– Reviens ici tout de suite, sac-à-puces !
– Qui a dit que les femmes ne savent pas faire de la linguistique ?
Chapitre 12
Pragmatique lexicale :
expressions référentielles,
temps verbaux et connecteurs
s’intéresse aux mots du lexique qui acquièrent
L A PRAGMATIQUE LEXICALE
une signification en contexte. Contrairement aux mots comme les verbes
et les noms étudiés au chapitre 10, les éléments lexicaux auxquels nous nous
intéresserons dans ce chapitre n’ont pas pour signification un concept mais
une procédure. Plus spécifiquement, leur rôle consiste à donner des
instructions sur la manière de relier les autres éléments dans la phrase. Nous
commencerons par aborder la différence entre signification conceptuelle et
signification procédurale, avant d’étudier plus en détail quelques catégories
d’éléments qui encodent de l’information procédurale : certaines expressions
référentielles comme je ou lui, les temps verbaux et les connecteurs
pragmatiques comme mais, parce que et donc.
1. Signification conceptuelle
et signification procédurale
Au chapitre 10, nous nous sommes intéressés exclusivement à des
éléments lexicaux comme les noms, les verbes et les adjectifs, pour lesquels
nous avons déterminé qu’ils encodaient des informations conceptuelles, et
que leur valeur sémantique était leur référence. Par exemple, le mot arbre
encode le concept ARBRE, qui a pour propriétés encyclopédiques d’être un
végétal, avec un tronc et des feuilles, d’être enraciné dans le sol, etc. Le
concept d’ARBRE permet aux locuteurs de désigner tous les référents du
monde auxquels il s’applique, c’est-à-dire des sapins, des chênes, des hêtres,
etc. De la même manière, connaître la signification du verbe couper permet
aux locuteurs de désigner les actions qu’ils observent et qui entrent dans la
dénotation du concept COUPER. Enfin, connaître la signification du mot
cyan permet d’identifier les nuances de bleu qui entrent dans la dénotation de
cet adjectif.
Toutefois, tous les éléments du lexique ne fonctionnent pas de cette façon.
Par exemple, certains mots comme je, maintenant ou donc n’encodent pas de
concept. Pour bien comprendre la différence entre ces deux types d’éléments
lexicaux, il suffit d’essayer d’expliquer intuitivement ce que des mots comme
jardin, parler, donc ou je veulent dire. Si dans le cas de jardin et de parler
l’exercice est relativement aisé, il est bien plus difficile de faire de même
pour les mots je et donc. Cette différence s’explique par le fait que, dans le
premier cas, il suffit de faire appel à ses connaissances conceptuelles sur les
jardins et l’action de parler. En revanche, dans le second, il n’existe pas
d’informations conceptuelles auxquelles se référer. Ce que le mot je signifie
dépend de la personne qui parle. Selon le locuteur, la référence de je peut être
Paul, Jacques, Jean, etc. Ainsi, la signification de je n’est pas une personne
en particulier. La présence du mot je dans une phrase indique à l’auditeur de
chercher le locuteur de la phrase. Il s’agit là d’une procédure. De même, ce
que les mots maintenant ou demain veulent dire dépend entièrement du
moment auquel se situe l’énonciation : jeudi 12 décembre 2019, samedi 25
juillet 2020, etc. Le rôle de ces mots est donc de donner l’instruction à
l’auditeur de chercher le moment de l’énonciation, afin de se situer soit à ce
moment-là pour le mot maintenant, soit le jour suivant pour le mot demain.
On remarque ainsi que le contexte est primordial pour déterminer la
signification des mots qui encodent de l’information procédurale. C’est
pourquoi, ces mots ont généralement été étudiés dans le cadre de la
pragmatique plutôt qu’en sémantique.
Afin d’illustrer la différence entre signification conceptuelle et
signification procédurale, prenons l’exemple de la phrase (1) ci-dessous.
1. Hier, je me suis promené dans la forêt.
L’anaphore
On parle d’anaphore lorsqu’un terme est utilisé pour reprendre une autre
expression nominale qui le précède et à laquelle il emprunte sa référence. On
parle d’anaphore pronominale lorsque la reprise anaphorique se fait par un
pronom comme en (11). Dans ce cas, le pronom il tire sa référence de la
référence actuelle de Fred. On dit qu’il y a coréférence entre Fred et il. On
parle d’anaphore nominale lorsque l’expression référentielle est reprise par
une autre expression nominale, comme en (12).
11. Fred est saoul. Il a bu du schnaps.
12. Un chien aboie. L’animal est énervé.
Différentes théories ont tenté de fournir une explication au rôle des temps
verbaux dans l’ordre temporel. Nous allons les passer brièvement en revue.
L’approche aspectuelle
Selon l’approche aspectuelle, c’est la classe aspectuelle à laquelle
appartient un verbe (voir chapitre 10) qui définit son rôle dans la
détermination de l’ordre temporel. Plus précisément, seules les phrases
dénotant un achèvement (19) ou un accomplissement (20) font avancer le
temps. Avec les états (21) et les activités (22), le temps n’avance pas.
19. Marie entra dans le bureau. Le président se leva.
20. Marie entra dans le bureau. Le président alla à sa rencontre.
21. Marie entra dans le bureau. Le président était endormi.
22. Marie entra dans le bureau. Le président marchait de long en
large.
L’approche anaphorique
Dans cette approche, ce ne sont plus les classes aspectuelles mais les
temps verbaux qui fixeraient l’ordre temporel. Plus spécifiquement, les
phrases au passé simple (25) font avancer le temps, les phrases à l’imparfait
(26) englobent ou recouvrent temporellement les phrases au passé simple et
les phrases au plus-que-parfait (27) font régresser le temps.
25. Max entra dans le salon. Marie téléphona à sa mère.
26. Max entra dans le salon. Marie téléphonait à sa mère.
27. Max entra dans le salon. Marie avait téléphoné à sa mère.
L’approche pragmatique
Dans l’approche pragmatique, l’ordre temporel n’est pas marqué
linguistiquement par les temps verbaux, mais inféré pragmatiquement. La
question qui se pose pour cette approche est de savoir pourquoi des processus
inférentiels se superposeraient à des indications linguistiques comme les
temps verbaux. L’hypothèse est que les temps verbaux sont des expressions
procédurales qui encodent des procédures sur les relations temporelles.
Cette approche ne se heurte pas aux mêmes difficultés que les deux autres,
car elle ne postule pas que les informations contenues dans les temps verbaux
sont figées. Au contraire, celles-ci peuvent être annulées et leurs propriétés
inférentielles se combinent à d’autres sources d’informations linguistiques et
non linguistiques pour permettre de tirer les bonnes inférences
directionnelles sur le temps : en avant, statique ou en arrière.
L’analyse pragmatique formule les hypothèses suivantes concernant les
inférences tirées sur la base des temps verbaux : pour qu’une inférence
directionnelle soit tirée, il faut que les propriétés ou traits directionnels
soient consistants (co-directionnels). Les traits directionnels des temps
verbaux sont faibles et doivent être validés par un trait fort, donné par un
connecteur ou une hypothèse contextuelle.
Cette analyse permet ainsi d’envisager l’existence de différents types de
discours. Si tous les indices donnés par les marques procédurales concordent,
le discours est optimal, comme en (31). Les informations données par le
passé simple et le connecteur et indiquent toutes deux que le temps avance.
En revanche, le discours en (32) est sous-optimal. En effet, l’information
donnée par le passé simple indique une inférence en avant alors que le
connecteur parce que est associé à une inférence en arrière. C’est ce conflit
dans les marques procédurales qui rend (32) plus difficilement interprétable
que (31).
31. Marie poussa Jean et il tomba.
32. Marie poussa Jean parce qu’il tomba.
Pour bien comprendre la nature des segments reliés dans chacun de ces
exemples, voyons sur quel élément porte la cause dans chaque cas. Dans
l’exemple (43), c’est le fait que Jean ait trop mangé qui cause le fait qu’il soit
malade. C’est pour cette raison que nous avons dit plus haut que le
connecteur parce que relie des faits dans ce cas. Comparons maintenant avec
(44). Dans ce cas, ce n’est pas le fait que je n’aie pas vu Jean ce matin qui
cause sa sortie. C’est le fait que je ne l’aie pas vu qui cause que je crois qu’il
est sorti. C’est pourquoi, dans ce cas, le connecteur agit sur le domaine des
croyances. En (45), c’est le fait que je cherche Jean depuis tout à l’heure qui
cause que je pose la question de savoir où il est. Ici, le connecteur agit donc
au niveau des actes de langage.
Notons encore que, contrairement à parce que, tous les connecteurs ne
peuvent pas être utilisés pour relier chacun de ces types de contenus. Certains
connecteurs sont au contraire spécialisés dans l’un ou l’autre domaine. Par
exemple, le connecteur puisque ne peut agir que sur des croyances et des
actes de langage.
Connecteurs et sous-spécification
Enfin, le rôle du contexte et donc de la pragmatique dans le traitement des
connecteurs se manifeste également par un phénomène appelé la sous-
spécification. L’idée est qu’un connecteur qui contient un contenu procédural
vague peut être utilisé pour communiquer une relation précise dans un
contexte donné. Par exemple, le connecteur et, qui encode une procédure
générale de type « addition entre des contenus » peut servir à marquer une
relation d’ordre temporel dans laquelle il a la signification de ensuite (46), de
contraste dans laquelle il a la signification de par contre (47) ou encore de
causalité, dans laquelle il a la signification de parce que (48). De même, un
connecteur qui encode une information temporelle comme quand peut être
utilisé pour communiquer une relation causale comme en (49).
46. Paul s’est levé et a préparé du café.
47. Abi est une fille. Et toi tu es un garçon.
48. Marie a poussé Jean et il est tombé.
49. Mes ennuis ont commencé quand j’ai rencontré cet escroc.
Ces exemples illustrent une fois encore que dans tout phénomène
pragmatique, les informations linguistiques fournies par les éléments de la
phrase – qu’ils soient de nature conceptuelle ou procédurale – interagissent
avec le contexte pour fournir une interprétation optimalement pertinente.
5. Références de base
Une introduction à la notion de signification procédurale se trouve chez
Reboul & Moeschler (1998a, chapitre 7). Les trois thèmes abordés dans ce
chapitre font chacun l’objet d’un chapitre de Reboul & Moeschler (1998b), à
savoir le chapitre 4 pour les connecteurs, le chapitre 5 pour les temps verbaux
et le chapitre 6 pour la référence.
Questions de révision
12.1. Quelle est la différence entre la signification descriptive et la signification
procédurale ?
12.2. Identifier les marques de signification descriptive et de signification procédurale
dans la phrase suivante : Je me sens ici comme à la maison.
12.3. Chercher un exemple d’expression référentielle autonome et non autonome.
12.4. Chercher des exemples d’anaphores pronominale, nominale et associative.
12.5. Qu’appelle-t-on l’ordre temporel ?
12.6. Comment les temps verbaux influencent-ils l’ordre temporel dans le discours ?
12.7. Qu’est-ce qu’un connecteur pragmatique ?
12.8. Pourquoi les connecteurs sont-ils des marques procédurales ?
Chapitre 13
2. Métaphore et pragmatique
lexicale
Comme nous l’avons vu plus haut, tout énoncé est dans une relation de
ressemblance avec la pensée qu’il sert à communiquer. Ainsi, aucun
processus spécifique n’est à l’œuvre dans le traitement des métaphores.
Comme le démontre l’exemple (1) ci-dessus, la métaphore fait intervenir les
mêmes processus de pragmatique lexicale que ceux que nous avons définis au
chapitre 2, à savoir la spécification et l’élargissement. Plus spécifiquement,
dans l’analyse pragmatique, on dit que la métaphore est un cas extrême
d’élargissement. En revanche, l’ironie requiert un traitement différent,
contrairement à ce que prévoyait l’analyse rhétorique (voir plus bas).
Dans l’exemple (7), la reprise porte sur la cible (les livres), comme le
montre l’absence d’accord avec l’antécédent Marguerite Yourcenar. Dans
l’exemple (8) en revanche, la reprise porte sur le déclencheur (la personne),
comme le montre l’accord. Lorsque la reprise porte sur le déclencheur,
l’absence d’accord conduit à une reprise incorrecte, comme le montre
l’exemple (9).
Un connecteur est dit fermé s’il a pour seul antécédent d’un pronom la
cible, comme c’est le cas du lien qui unit un client et sa commande.
10. L’omelette au jambon est partie sans payer. *Elle était imman-
geable.
11. L’omelette au jambon est partie sans payer. Il s’est jeté dans un
taxi.
12. L’omelette au jambon est partie sans payer. *Elle s’est jetée dans
un taxi.
Dans ce cas, le but de la réponse de Sarah (16b) n’est pas d’informer Max
de ce qu’il vient de lui dire mais de lui communiquer sa propre réaction de
mécontentement vis-à-vis de cette information.
De manière générale, Sperber et Wilson considèrent que l’usage
interprétatif du langage peut servir à communiquer une attitude soit
d’approbation soit de dissociation. Par exemple, si Pierre annonce (17a) à
Cécile, qu’ils sortent ensuite pique-niquer par une belle journée ensoleillée et
que celle-ci commente par (17b), son attitude vis-à-vis de l’énoncé de Pierre
auquel elle fait écho est clairement l’approbation.
17. (a) Pierre : Belle journée pour un pique-nique !
(b) Cécile : Belle journée pour un pique-nique en effet !
5. Références de base
Reboul & Moeschler (1998a, chapitre 8) comporte une introduction
générale aux questions liées à l’usage non littéral du langage. Une synthèse
de la théorie des espaces mentaux est présentée par Moeschler & Reboul
(1994, chapitre 5). Dans le chapitre 15, les auteurs abordent la question de la
métaphore.
Questions de révision
13.1. Donner deux exemples qui illustrent la différence entre métaphore ordinaire et
métaphore créative.
13.2. En quoi la notion de ressemblance interprétative est-elle importante pour
comprendre l’interprétation des métaphores ?
13.3. Quelle est la différence entre une implicature forte et une implicature faible ?
13.4. En quoi la métonymie est-elle différente de la métaphore ?
13.5. Comment peut-on expliquer la possibilité ou l’impossibilité des reprises
anaphoriques ci-dessous selon la théorie des espaces mentaux :
– La coccinelle a encore eu un accident. Elle n’est pas très solide.
– *Le cappuccino demande l’addition. Il était bien mousseux cette fois-ci.
13.6. Donner un exemple qui illustre la différence entre usage descriptif et usage
interprétatif du langage.
13.7. Comment la théorie pragmatique de l’ironie explique-t-elle que seule la réponse (1)
de Luc peut être interprétée comme une marque d’ironie ?
– Pierre : La solution à ce problème est vraiment triviale, je l’ai trouvée
en deux minutes.
– Luc : (1) Alors donne-moi la solution, puisque tu es si malin.
(2) Alors donne-moi la solution, puisque tu l’as déjà trouvée.
(3) Alors donne-moi la solution, parce que tu commences à m’énerver.
Chapitre 14
Implicatures
(2 et 13), nous avons fait référence à la notion
D ANS PLUSIEURS CHAPITRES
d’implicature. Ce concept, avec celui d’acte de langage (chapitre 11),
est certainement le concept le plus important de la pragmatique. Il a été
élaboré dans un article du philosophe oxonien Paul Grice, dans un article
publié en 1975, et reprise dans l’ouvrage regroupant ses articles les plus
importants (Grice 1989), transcription des William James lecture de 1967
(Harvard University). L’article sur les implicatures, intitulé Logique et
conversation (Grice 1979 pour une traduction française), est la poursuite
d’une investigation sur la signification, développée dans plusieurs articles,
dont le point de départ est son article Meaning de 1957 (repris dans Grice
1989, chapitre 14). Dans cet article, Grice introduit une conception nouvelle
de la signification, qu’il appelle non naturelle. C’est en fait ce concept qui
permet de comprendre la notion d’implicature. Nous commencerons donc par
l’introduire, avant de présenter deux éléments fondamentaux qui caractérisent
les conversations et qui sous-tendent chez Grice la notion d’implicature, à
savoir le principe de coopération et les maximes de conversation.
1. La théorie gricéenne
des implicatures
Signification non naturelle
Quelle est la signification du verbe signifier, to mean en anglais ? C’est la
question que se pose Grice, car l’usage de ce verbe lui permet de distinguer
deux types de signification : la signification naturelle d’une part, qui est
factive et qui n’est pas sous le contrôle de la volonté du communicateur, et la
signification non naturelle d’autre part, qui est non factive, mais sous le
contrôle de sa volonté.
Voici deux exemples qui illustrent ces deux types de signification :
1. a. Ces traces de pas signifient que le meurtrier portait des bottes
de pointure 45.
b. La phrase « Sors de ma vue ! » signifie que Paul est mécontent.
Dans ce cas, on dit que la signification est non naturelle, qu’elle n’est pas
factive (elle n’implique pas ce qui est signifié) mais elle est sous le contrôle
de la volonté du locuteur.
Comment définir la signification non naturelle ? Cette question est
centrale, car on voit qu’elle a un rapport avec la communication et surtout
avec le langage. Voici la définition que donne Grice (1989, 219) de la
signification non naturelle, notée dorénavant significationNN : « A signifieNN
quelque chose par x » est à peu près équivalent à « A a énoncé x avec
l’intention d’induire une croyance au moyen de la reconnaissance de cette
intention ». Le point central est que la significationNN requiert la
reconnaissance de deux intentions par l’interlocuteur : l’intention de
communiquer quelque chose par la reconnaissance de son intention de
transmettre de l’information. Par la suite, Sperber & Wilson (1989) les ont
définies respectivement comme l’intention informative et l’intention
communicative du locuteur. En d’autres termes, pour que le destinataire
d’un énoncé le traite et le comprenne, il faut d’abord qu’il comprenne que le
locuteur s’adresse à lui, en d’autres termes qu’il reconnaisse que le locuteur a
l’intention de lui communiquer quelque chose. C’est cette reconnaissance qui
autorise, pour la Théorie de la Pertinence, que le processus de compréhension
de l’énoncé soit automatique et obligatoire. En effet, dès lors qu’un auditeur
comprend qu’un locuteur s’adresse à lui, il traite par défaut cet énoncé. Une
fois l’intention communicative comprise, la question est donc de savoir
comment l’auditeur comprend l’intention informative du locuteur, ce que l’on
appelle aussi le sens du locuteur. C’est ici qu’interviennent le principe de
coopération et les maximes de conversation.
Implicatures conversationnelles
Pour Grice, il y a deux types d’implicatures conversationnelles selon que
le déclencheur est une expression linguistique ou une hypothèse contextuelle.
Les premières sont appelées généralisées et les secondes particulières. Par
exemple, si un menu contient Fromage ou dessert et un autre Fromage et
dessert, le client est invité à comprendre qu’avec le menu Fromage ou
dessert, il ne peut pas avoir les deux. En d’autres termes, lorsqu’un locuteur
choisit ou à la place de et, c’est qu’il ne peut pas affirmer les deux. De même,
si Jacques annonce que quelques étudiants ont réussi l’examen de
pragmatique, l’auditeur est invité à comprendre quelques étudiants seulement
ont réussi, mais pas tous. Dans les deux cas, le choix d’un terme faible (ou,
quelques), dans une échelle quantitative, respectivement les échelles <et, ou>
et <tous, quelques>, suppose que le terme fort (et, tous) ne peut pas être
affirmé. On dira donc que le choix d’un terme faible dans une échelle
implicite la négation du terme fort.
Les implicatures conversationnelles généralisées font généralement
intervenir des échelles quantitatives liées au lexique, comme <tiède, chaud,
bouillant>, <adorer, aimer>, à savoir des prédicats qui correspondent à des
points différents sur une échelle quantitative. À noter que les prédicats
antonymes, comme <aimer, détester>, <chaud, froid>, <intelligent, stupide>
ne constituent pas des échelles quantitatives. Nous y reviendrons, car elles
donnent lieu à un autre type d’implicatures.
D’un autre côté, certaines implicatures dites particulières ne sont
compréhensibles que si une information contextuelle est accessible. L’un des
exemples célèbres de Grice est le suivant : John est anglais, il est courageux.
Ce que le locuteur dit est que, d’une part, John est anglais, et que, d’autre
part, il est courageux, mais il implicite que son courage découle de sa
nationalité. Les implicatures scalaires dont nous avons parlé plus haut sont
aussi parfois des implicatures particulières. Par exemple, si une locutrice
demande à sa collègue qui a deux enfants, un garçon et une fille, avec qui elle
viendra à la soirée de Noël et que sa collègue répond « avec ma fille ». Ici,
une échelle de quantité est créée sur laquelle fille est un terme plus faible que
fille et garçon. Toutefois, cette échelle n’est pas lexicalisée. Pour un locuteur
qui n’a qu’un enfant, la réponse « avec ma fille » ne déclencherait pas la
même implicature. En revanche, le mot tiède exclut toujours
pragmatiquement le mot plus fort chaud, indépendamment du contexte, c’est
pourquoi cette implicature est dite généralisée.
Un dernier exemple illustre un cas d’implicature non intentionnée, mais
tirée quand même par les interlocuteurs. Dans la série Friends, une jeune
fille, manifestement récemment arrivée à New York, est interrogée sur son
lieu d’origine. Elle répond : Milwaukee. Sa réponse est suivie d’un éclat de
rire. La raison est simple : Milwaukee est pour les New-Yorkais le prototype
de la ville de province où rien ne se passe. La locutrice a implicité, malgré
elle, qu’elle vient d’une ville où aucun New-Yorkais ne voudrait vivre.
Les implicatures particulières sont les plus difficiles à détecter, car elles
requièrent un partage d’information contextuelle, à savoir un ensemble
d’informations mutuellement manifestes entre les interlocuteurs.
Implicatures conventionnelles
Grice fait intervenir un troisième type d’implicature, qu’il appelle
conventionnelle. Les implicatures conventionnelles sont déclenchées par la
signification conventionnelle d’une expression particulière. Par exemple,
pour reprendre l’exemple de John, si le locuteur dit maintenant John est
anglais, il est donc courageux, l’implicature les Anglais sont courageux est
cette fois déclenchée par le connecteur donc. Dans la version gricéenne, les
connecteurs pragmatiques comme donc et mais déclenchent des implicatures
conventionnelles. Mais contrairement aux implicatures conversationnelles,
les implicatures conventionnelles ne peuvent pas être annulées. En effet, alors
qu’une implicature conversationnelle est annulable, comme en (7), une
implicature conventionnelle (8) ne peut pas l’être.
7. Quelques étudiants, en fait tous, ont participé à mon dernier cours.
8. # John est anglais, il est donc courageux ; mais son courage n’est
pas la conséquence de sa nationalité.
Cela veut dire que l’ajout de même ne contribue pas à la vérité de la phrase
énoncée : en d’autres termes, la vérité de la proposition Bill aime Marie
dépend du fait que Bill appartient bien à l’ensemble des personnes qui aiment
Marie, mais ne dépend pas du fait que d’autres personnes aiment Marie, voire
que ce fait est surprenant.
De même, la proposition tous les étudiants n’ont pas réussi ne détermine
pas les conditions de vérité de la proposition quelques étudiants ont réussi.
Cela peut être montré par le fait que l’implicature peut être annulée, comme
en (12), et que quelques est compatible avec tous.
12. Quelques étudiants ont réussi, et même tous ont réussi.
conventionnellement conversationnellement
généralisée particulière
Cette distinction entre ce qui est dit et ce qui est implicité est actuellement
largement acceptées en pragmatique. Elle a cependant été modifiée à la fois
dans les approches néo-gricéennes, dont les représentants les plus connus
sont Horn et Levinson, et dans les approches post-gricéennes, représentées
par la Théorie de la Pertinence. Nous allons maintenant passer brièvement en
revue ces deux approches.
2. L’approche néo-gricéenne
des implicatures
L’approche néo-gricéenne est représentée par les travaux de Laurence
Horn et Stephen Levinson, qui arrivent aux mêmes conclusions. L’idée est de
réduire le nombre des maximes de conversation, et de les transformer en
principes.
Principes-Q, -I et -M
Ces principes éclairent des propriétés attribuées aux langues naturelles : le
principe-Q (pour quantité) permet de faire l’hypothèse que le locuteur a
donné l’information la plus forte, alors que le principe-I (pour informativité)
autorise l’interlocuteur à amplifier le contenu, sous-spécifié, de la phrase
énoncée ; ces deux principes ont déjà été illustrés plus haut. Enfin, le
principe-M (pour manière) suppose que si un locuteur n’exprime pas un
énoncé de manière attendue ou normale, il communique une implicature-M –
cf. la différence entre causer l’arrêt et arrêter (voir plus loin).
Les principes-Q et -I se contrebalancent : le principe-Q fait intervenir les
maximes de quantité, alors que le principe-I est directement lié aux maximes
de pertinence et de manière (appelé Principe-R/M chez Horn 1984).
Le principe-Q est responsable des implicatures scalaires et suppose que les
expressions en jeu constituent des échelles quantitatives : dans une échelle
quantitative, le terme fort implique le terme faible et le terme faibles implicite
la négation du terme fort. On peut représenter les relations logiques et
pragmatiques des quantificateurs logiques par le carré logique, dit
aristotélicien (figure 14.2).
contraires
contradictoires
subcontraires
contradictoires
subcontraires
Dans ces situations, il est difficile de revenir sur le contenu impliqué par
l’affirmation et sa négation, simplement parce que les contenus (15-16c) sont
des informations d’arrière-plan, appartenant au fond commun de la
conversation (common ground).
Les présuppositions partagent les deux propriétés des implicatures
conventionnelles : (i) elles ne sont pas vériconditionnelles – elles ne
dépendent pas de la vérité de la phrase énoncée et sont donc pragmatiques –
et elles sont conventionnelles, donc sémantiques. Mais d’un autre côté, les
implicatures conventionnelles ne sont pas des informations appartenant au
common ground : au contraire, elles participent directement à sa construction.
Revenons à l’exemple de même : le locuteur de (17a) a pour intention de
communiquer les deux informations (17b-c), qui peuvent être nouvelles pour
son interlocuteur :
17. a. Même Bill aime Marie.
b. Il est surprenant que Bill aime Marie.
c. D’autres personnes que Bill aiment Marie.
Mais les implicatures conventionnelles ont une autre fonction que les
présuppositions : elles sont ce qu’on appelle anti-arrière-plan
(antibackgrounding, Potts 2005). En d’autres termes, elles permettant soit de
rappeler une information qui pourrait être connue mais sans la présenter
comme telle, comme avec les relatives explicatives (18a), qui implicite la
proposition relative (18b), ou les suppléments (19a), qui implicitent la
proposition mise en parenthèse (19b), ou encore les expressifs, comme (20a),
qui implicitent l’état émotionnel du locuteur (20b) :
18. a. Paul, qui vient d’être nommé à Paris, va acheter un apparte-
ment.
b. Pauli vient d’être nommé à Paris.
19. a. La Suède pourrait exporter de l’urine de loup synthétique –
dispersé le long des routes pour éloigner des élans – au Koweït
pour un usage contre les chameaux.
b. L’urine synthétique de loup est utilisée en Suède le long des
routes pour éloigner les élans.
20. a. Je dois tondre cette fichue pelouse.
b. Le locuteur n’a pas envie de tondre la pelouse.
3. Implicatures et implications
contextuelles
Dans la Théorie de la Pertinence, les concepts d’implicature
conversationnelle généralisée et d’implicature conventionnelle en tant que
variétés spécifiques d’implicatures ont été abandonnés. Dans cette théorie, il
existe une seule variété d’implicature, appelée implication contextuelle. Une
implication contextuelle est simplement le résultat de la combinaison du
contenu d’un énoncé et d’un ensemble d’hypothèses contextuelles, telles que
ni le contenu explicite de l’énoncé seul, ni les hypothèses contextuelles seules
ne peuvent produire l’implication. Cette analyse permet de comprendre
pourquoi (23) peut donner lieu à deux implications contextuelles différentes
(24), basées sur deux ensembles d’hypothèses contextuelles, respectivement
(25) et (26) :
23. Pierre : Voudrais-tu du café ? Marie : Le café m’empêche de
dormir.
24. a. Marie ne veut pas de café.
b. Marie veut du café.
25. a. Le café est une substance excitante.
b. Si on veut dormir, on ne consommera pas de substance existante
le soir.
c. Marie veut dormir.
26. a. Le café est une substance excitante.
b. Si on veut travailler le soir, on consommera une substance
existante.
c. Marie veut travailler.
4. Références de base
On lira pour une introduction simple à Grice le chapitres 3 de Reboul &
Moeschler (1998a), ainsi que les chapitres 7 et 9 de Moeschler & Reboul
(1994). Les chapitres 18 et 19 de Moeschler & Auchlin (2018) sont aussi des
présentations accessibles à la théorie de Grice et à la Théorie de la Pertinence.
Les chapitres 6 à 8 de Zufferey & Moeschler (2012) constituent un
complément plus actualisé à ces lectures de base. Une traduction française de
l’article Logic and conversation est donnée dans Grice (1979).
Sociolinguistique
LA SOCIOLINGUISTIQUE ÉTUDIE l’ensemble des rapports qui existent entre une
langue et la société qui la parle. Cette discipline couvre ainsi des questions
variées, comme l’impact des politiques linguistiques menées par les États sur
l’évolution des langues, dont nous avons vu des exemples pour le français au
chapitre 4 (l’ordonnance de Villers-Cotterêts, la création de l’Académie
française, etc.). Elle s’intéresse également au multilinguisme sociétal et au
statut accordé à différentes langues dans une société donnée. Nous avons
aussi abordé très brièvement la question du statut des langues régionales
comme le breton en France au chapitre 4. Dans ce chapitre, nous
commencerons par expliquer pourquoi la notion de variation est au cœur du
programme de recherche de la sociolinguistique. Nous montrerons que de
nombreuses variations existent dans l’usage d’une langue, à la fois dans le
temps et dans l’espace, mais aussi en fonction de certaines caractéristiques
sociales des locuteurs. Nous définirons ensuite la notion de sociolecte, qui
désigne la manière de parler d’un groupe de locuteurs. Dans un deuxième
temps, nous présenterons quelques aspects des variations régionales du
français, et montrerons leurs liens avec certaines variables sociales comme
l’âge, le genre et niveau d’éducation des locuteurs. Pour terminer, nous
introduirons la notion de dialectologie perceptuelle, et présenterons des
études qui montrent comment les locuteurs francophones perçoivent leur
variété de français et celles des autres locuteurs.
La notion de sociolecte
Un sociolecte caractérise le type de langage utilisé par un groupe de
locuteurs, qui se définit selon une certaine variable sociale comme le genre,
l’âge, le niveau socioéconomique, l’appartenance ethnique, etc. Ainsi, par
exemple, il existe dans certaines langues des traits linguistiques qui sont
spécifiques aux hommes et aux femmes. Dans une langue amérindienne
appelée l’atsina ainsi que dans une langue du Nord-Est asiatique appelée le
youkaguir, les femmes et les jeunes enfants utilisent certains phonèmes
spécifiques qui les différencient des hommes. Lorsque les jeunes garçons
grandissent, ils abandonnent ces phonèmes en faveur de la prononciation des
hommes. Pour prendre un exemple plus proche linguistiquement, en français
canadien, il a été observé que les hommes éliminent les [l] finaux des mots
beaucoup plus souvent que les femmes. Ces différences entre hommes et
femmes ne touchent d’ailleurs pas que la phonologie. Dans certaines langues
caribéennes, les hommes et les femmes assignent un genre grammatical
différent aux noms génériques, masculin pour les hommes et féminin pour les
femmes.
Les sociolinguistes ont aussi observé que la différence entre les genres
joue un rôle dans l’évolution des langues. Les hommes tendent à utiliser des
formes non standard plus souvent que les femmes, et ce dans toutes les
classes sociales. Chez les hommes, l’usage de formes non-standard sert à
mettre en avant l’appartenance à un groupe. Cette différence entre hommes et
femmes reflète par ailleurs un trait acquis socialement, car lorsqu’on leur
demande d’évaluer leurs usages du langage, les femmes pensent en général
qu’elles utilisent une langue plus standard qu’elles ne le font en réalité, et
vice versa pour les hommes. Cette volonté d’adaptation et de se conformer à
la norme chez les femmes est aussi visible dans le fait qu’en changeant
d’environnement, elles tendent à perdre leur accent plus rapidement que les
hommes.
La notion de sociolecte est toutefois plus difficile à établir lorsqu’elle
repose sur des traits moins évidents que la notion de genre (laquelle est
d’ailleurs de moins en moins définie comme un trait binaire mais plutôt
comme un continuum). En effet, souvent, plusieurs dimensions de la
variation sociale sont corrélées, en d’autres termes elles varient ensemble.
C’est pourquoi, les sociolectes se définissent la plupart du temps sur la base
d’un ensemble de traits sociaux plutôt que sur un seul. Ainsi par exemple, le
niveau socioéconomique des locuteurs a tendance à augmenter avec l’âge. De
même, les variations géographiques sont aussi corrélées avec des variations
de niveau socioéconomique. Par exemple, le français dit des banlieues en
France désigne des zones géographiques qui ont pour caractéristique de
regrouper des locuteurs à faible niveau socioéconomique.
Le cas du français des banlieues est en outre intéressant pour illustrer la
fonction des sociolectes. À l’intérieur du groupe, les sociolectes ont
généralement pour fonction de marquer l’appartenance au groupe et de se
distinguer des autres groupes de locuteurs. Lorsqu’une création du français
des banlieues est reprise par d’autres groupes de locuteurs, comme c’est
arrivé régulièrement avec des mots comme wesh, ouf, rebeu, etc., ces formes
sont remplacées par d’autres mots à l’intérieur du groupe. À l’extérieur du
groupe, l’usage d’un sociolecte peut aussi être un facteur d’exclusion, lorsque
les locuteurs ne sont pas capables de s’adapter à d’autres normes que la leur.
Ainsi, les jeunes des banlieues qui ne maîtrisent pas la variété standard du
français sont désavantagés dans le monde professionnel, raison pour laquelle
ce parler est régulièrement vilipendé dans les médias. Notons encore que les
caractéristiques et fonctions que nous avons décrites pour le sociolecte des
banlieues françaises ainsi que sa perception dans la société se retrouvent dans
de nombreux autres sociolectes de différentes langues du monde, comme l’a
observé Labov (1976 : 418-419) dans son ouvrage pionnier de
sociolinguistique : « Tout groupe de locuteurs d’une langue X qui se
considère comme une unité sociale fermée tend à exprimer sa solidarité
interne en favorisant les innovations linguistiques qui le distinguent de tous
ceux qui n’appartiennent pas au groupe. »
3. Références de base
De nombreuses introductions à la sociolinguistique existent en anglais.
Parmi celles-là, nous recommandons particulièrement Bell (2013) et
Meyerhoff (2019). En français, Gadet (2007) fournit une introduction
succincte à certains aspects de la variation sociale et Gadet (2003) présente de
manière accessible les différentes dimensions de la variation linguistique. De
nombreuses spécificités des français régionaux dont nous avons évoqué les
résultats dans ce chapitre sont présentées par Avanzi (2017, 2019) sur la base
d’enquêtes réalisées en ligne. Ces ouvrages contiennent de nombreuses cartes
illustrant les aires de diffusions de régionalismes lexicaux, phonologiques et
grammaticaux. Walter (1999) ainsi que Avanzi & Horiot (2017) sont aussi
des introductions très accessibles aux français régionaux.
Questions de révision
15.1. Pourquoi la notion de variation est-elle centrale en sociolinguistique ?
15.2. Qu’appelle-t-on un changement en cours et en quoi cette notion est-elle liée à celle
de variation ?
15.3. Quelles sont les dimensions du langage qui varient le plus entre les régions ?
15.4. Quelles sont les principales sources des différences régionales ?
15.5. Qu’appelle-t-on la dialectologie perceptuelle ?
15.6. Qu’appelle-t-on l’insécurité linguistique et en quoi cette notion est-elle liée à la
notion de variation ?
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Corrigé des questions
de révision
1. Chapitre 1 :
Introduction à l’étude du langage
1.1.
Quelles sont les deux fonctions envisagées pour
le langage ?
Le langage peut avoir une fonction sociale ou une fonction cognitive. En
d’autres termes, le langage peut être utilisé pour communiquer de
l’information aux autres (fonction sociale) et pour former des pensées
organisées et structurées (fonction cognitive).
1.2.
Quels sont les arguments en faveur de chacune
d’elles et quels contre-arguments peut-on y
opposer ?
La question de la fonction du langage est intimement liée à celle de son
évolution. Le problème est de savoir quel est l’avantage évolutif de
l’apparition du langage pour l’homme.
1.3.
Qu’est-ce que la théorie de l’esprit et en quoi
cette faculté est-elle utile pour communiquer ?
Avoir une théorie de l’esprit, c’est être capable d’attribuer des états
mentaux comme des désirs ou des croyances à soi-même et à autrui et de
raisonner à partir de ces informations. Avoir une théorie de l’esprit est un
prérequis fondamental afin de pouvoir mener à bien toute interaction sociale.
Dans la communication, l’attribution d’états mentaux est fortement liée à la
composante pragmatique du langage. En effet, utiliser le langage de manière
appropriée en contexte nécessite la faculté de s’adapter en fonction de ce que
son interlocuteur sait ou croit.
1.4.
La théorie de l’esprit est-elle spécifique à l’être
humain ?
Oui et certains chercheurs pensent même que c’est cette faculté qui
distingue l’être humain du reste du règne animal. Toutefois, une certaine
forme plus rudimentaire de théorie de l’esprit est également présente chez
certains primates. Notons encore que certaines pathologies comme l’autisme
se caractérisent par une théorie de l’esprit déficiente.
1.5.
Pourquoi l’acquisition du langage ne peut‑elle
pas être expliquée par un simple phénomène
d’imitation comme le prévoit le modèle social ?
Apprendre une langue est un processus très complexe. Songez notamment
aux efforts nécessaires pour apprendre une deuxième langue (règles de
grammaire, vocabulaire, etc.). Pourtant, à l’âge de quatre ans environ,
l’enfant possède un langage qui s’apparente à celui de l’adulte. Cette
incroyable facilité serait inexplicable si l’enfant se contentait d’imiter et
n’avait aucune prédisposition innée pour le langage à la naissance.
Cette facilité est d’autant plus surprenante que l’enfant ne reçoit que des
indices très partiels et inexacts en écoutant parler les adultes. En effet, le
langage oral est caractérisé par des faux départs, des répétitions, des phrases
parfois grammaticalement incorrectes ou du moins incomplètes, etc. Dans la
littérature, ce second argument est appelé la pauvreté du stimulus. Ainsi, si
l’apprentissage se faisait par imitation, l’enfant enregistrerait des données
incorrectes à partir de ce qu’il entend. Or, l’enfant ne répète jamais ce type
d’erreur.
L’argument le plus décisif qui contredit la théorie de l’imitation est le
suivant : dès qu’il commence à parler, l’enfant est capable de produire des
phrases qu’il n’a jamais entendues auparavant. Il est donc impossible qu’il
puisse les imiter.
1.6.
Quelles sont les principales étapes de
l’acquisition du langage ?
Durant sa première année, le bébé apprivoise les sons de sa langue
maternelle en gazouillant puis en babillant, dès six mois environ. Vers son
premier anniversaire, l’enfant produit ses premiers mots, et lorsque son
vocabulaire atteint une cinquantaine de mots, vers dix-huit mois, il se met à
produire des phrases à deux mots. Entre deux et trois ans, les progrès de
l’enfant sont très rapides : il commence à utiliser toutes les catégories
grammaticales et à former des phrases complexes. Bien qu’il existe des
variations importantes entre les enfants dans le rythme d’acquisition, ces
étapes sont universelles pour tous les enfants du monde qui se développent
normalement.
1.7.
Quelles sont les aires cérébrales impliquées
dans la faculté de langage et à quoi servent-
elles ?
L’aire de Broca (du nom du chirurgien français Paul Broca [1824-1880],
qui l’a localisée en 1865) est située dans l’hémisphère gauche, plus
précisément au pied de la troisième circonvolution frontale gauche. Son rôle
dans le langage a pu être identifié en étudiant les troubles de langage
rencontrés par des patients souffrant de lésions à cet endroit. On parle
maintenant d’aphasie de Broca pour caractériser ces troubles. Les patients
souffrant d’aphasie de Broca ont des difficultés à produire des phrases. Leurs
énoncés sont courts, en moyenne moins de quatre mots. Ces patients ont
également des problèmes d’accès au lexique : ils ont de la difficulté à trouver
le mot qu’ils veulent utiliser. En revanche, ils n’ont pas de problème de
compréhension du langage et conservent souvent la faculté de lire. Ils sont
par contre incapables d’écrire.
L’aire de Wernicke (du nom du neurologue allemand Carl Wernicke
[1848-1905]) est une aire corticale située dans l’hémisphère gauche, plus
précisément dans le cortex associatif spécifique auditif. Les patients souffrant
d’une aphasie de Wernicke présentent des troubles inverses à ceux souffrant
de l’aphasie de Broca. Ils éprouvent des difficultés importantes à comprendre
ce qui est dit et ce qui est écrit mais parlent facilement ou même
abondamment. Toutefois, leur production n’est pas intacte pour autant. Ils
emploient souvent des mots inexacts ou même inexistants, ce qui fait parfois
dire qu’ils jargonnent.
1.8.
Citer et expliquer les critères qui permettent de
distinguer la communication humaine de la
communication animale.
La créativité : les signaux employés par les animaux sont très limités
(quelques cris différents selon le prédateur pour les singes vervet) alors que
l’être humain est capable d’exprimer un nombre de significations quasi
illimité. L’être humain utilise le langage pour raconter, décrire, enseigner,
légiférer, etc.
La compositionnalité : le langage humain est constitué d’une double
articulation. Les sons (phonèmes) peuvent être associés pour créer des mots
différents. Ensuite, les mots peuvent être associés pour créer des phrases
différentes. La communication animale ne comprend pas cette flexibilité. Les
signaux ne sont pas combinés entre eux. En d’autres termes, la syntaxe est
toujours absente des modes de communication chez les animaux.
La représentation : les mots employés par les humains se distinguent des
signaux comme les cris des singes vervet, qui servent uniquement à avertir
d’un danger et ne sont produits qu’en présence de ce danger. Le langage
humain est constitué de signes arbitraires qui renvoient à des représentations
du monde. En effet, il n’y a aucune relation naturelle entre le mot chat et
l’animal qu’il désigne, il ne s’agit que d’une convention suivie par
l’ensemble des locuteurs. Par ailleurs, le langage humain permet de parler de
choses même en leur absence ce qui n’est pas le cas des signaux d’alerte.
2. Chapitre 2 :
Langage et communication
2.1.
Pourquoi la communication verbale ne peut-elle
être expliquée de manière satisfaisante par le
modèle du code ?
Dans le modèle du code, communiquer consiste à transmettre un message
d’une source à une destination via un canal de communication. Plus
précisément, dans le domaine de la communication verbale, le locuteur, qui
représente la source, encode un message et le transmet à un destinataire en
émettant un signal transmis par un canal (oral ou écrit). Ce modèle explique
de manière efficace comment une suite de sons est véhiculée pour transmettre
un sens. Toutefois, il ne permet pas de comprendre l’ensemble du processus
de la communication verbale. Dans la plupart des cas, les locuteurs
prononcent des phrases pour communiquer plus d’informations que celle
contenues explicitement dans les mots qu’ils utilisent. Par exemple, si je dis :
« il est tard » à mes hôtes, ce n’est pas pour leur signaler un fait mais pour
leur demander implicitement de partir. Ainsi, la communication verbale
comporte presque toujours une part d’implicite, que le modèle du code ne
permet pas d’expliquer.
Par ailleurs, le modèle du code pose également un autre problème. Dans
une situation où le code lui-même ne souffre d’aucune déficience, par
exemple un bruit qui empêcherait la bonne réception du signal, tout acte de
communication doit forcément être couronné de succès. Or, tel n’est pas le
cas, comme en témoignent les exemples fréquents de malentendus qui se
produisent dans la communication. Ces problèmes peuvent être dépassés si
l’on admet qu’au premier niveau de décodage des informations linguistiques
vient s’ajouter un autre traitement, de type inférentiel.
2.2.
Donner un exemple qui illustre le rôle de
l’ostension dans la communication verbale.
L’ostension est l’acte de montrer ouvertement son intention de
communication. Si la communication comporte nécessairement une part
d’ostension, c’est parce que de nombreux stimuli sont présents
simultanément dans un contexte donné. Ainsi, le locuteur doit montrer
ouvertement à son auditeur ce qu’il a l’intention de lui communiquer afin de
l’inciter à prêter attention à ce stimulus particulier. Par exemple, si je veux
demander à boire à quelqu’un en agitant mon verre vide, je dois faire ce geste
en regardant explicitement dans la direction de cette personne.
2.3.
Donner un exemple qui illustre le rôle des
inférences dans la communication verbale.
L’inférence est une déduction que l’on tire à partir de prémisses tenues
pour vraies. Il est souvent indispensable que l’auditeur tire des inférences
pour comprendre le message communiqué par le locuteur, car ce dernier
comporte presque toujours une part d’implicite. Par exemple, pour
comprendre que l’énoncé il fait froid est une requête pour demander de
fermer une fenêtre, l’auditeur doit tirer des inférences sur la motivation de la
personne qui lui parle, d’où l’importance d’avoir une théorie de l’esprit (voir
chapitre 1).
2.4.
Quels sont les critères qui permettent de définir
un énoncé par opposition à une phrase ?
Donner des exemples de phrases et d’énoncés.
L’énoncé est la réalisation concrète d’une phrase, qui apparaît lorsqu’elle
est effectivement prononcée par un locuteur dans un contexte particulier. La
phrase est une construction abstraite du linguiste. Comme une phrase n’est
pas interprétée dans un contexte précis, elle est souvent ambiguë. En
revanche, un énoncé a toujours une seule signification dans un contexte
donné. Dans la plupart des cas, les énoncés sont des objets matériellement
identiques aux phrases. Certains énoncés ne sont toutefois pas des phrases
bien formées avec un sujet, un verbe, etc. comme on le voit ci-dessous.
[Contexte : Julie vient de casser le vase de sa grand-mère].
Anouk : « Ben bravo ! »
2.5.
L’énoncé suivant peut avoir différents sens : Il
est quatre heures. Donner trois exemples de
contextes qui correspondent à des sens
différents et dire quelles sont les hypothèses
contextuelles utilisées dans chaque contexte.
2.6.
Comment les énoncés ci-dessous doivent‑ils
être enrichis pour arriver à la bonne forme
propositionnelle ? (Utiliser les notions de
spécification et d’élargissement)
1. A : J’ai de la température. / B : Alors il faut beaucoup boire.
Forme propositionnelle : Je ne peux pas boire mon café il est trop chaud
pour être buvable.
Il s’agit d’un exemple d’élargissement, par l’usage d’une hyperbole. En
effet, le mot bouillant dénote littéralement une température proche du point
d’ébullition. Or, dans l’usage ci-dessus, cet intervalle est élargi pour inclure
toute température trop élevée pour qu’un liquide puisse être bu, même s’il
s’agit de 50 degrés et non pas de 100 degrés.
2.7.
Donner les prémisses et les conclusions
implicitées des énoncés ci-dessous.
Jean est Suisse donc il est toujours à l’heure.
2.8.
Résumer la manière dont la théorie de la
pertinence explique la communication non
littérale à l’aide d’un exemple.
Dans la théorie de la pertinence, le locuteur communique toujours
l’information la plus pertinente en fonction de ses compétences et de ses
intérêts. De son côté, l’auditeur cherche toujours l’interprétation la plus
pertinente. La pertinence intègre également une notion de coût de traitement.
L’auditeur applique la loi du moindre effort et son interprétation s’arrête dès
qu’il trouve une interprétation compatible avec ses attentes de pertinence.
Cette théorie permet d’expliquer la communication non littérale de
manière satisfaisante dans la mesure où cette dernière représente souvent le
moyen le plus économique de transmettre une information. Par exemple, il
est plus économique de dire il fait froid que ferme la fenêtre car cette réponse
comprend à la fois une requête indirecte et la cause de cette requête.
3. Chapitre 3 :
Le langage et les langues
3.1.
Pourquoi la question de l’évolution du langage
est-elle si controversée ?
Cette question est particulièrement controversée parce qu’il est impossible
de donner des preuves irréfutables dans ce domaine : le langage ne se
fossilise pas ! C’est pourquoi, nous n’avons aucune trace concrète qui
permette d’affirmer quel type de langage existait chez nos ancêtres ni même à
partir de quelle époque exactement la faculté de langage est apparue. Les
premières traces concrètes du langage que nous possédons sont les écrits des
Sumériens, qui datent de 4 000 ans AEC. Ainsi, si la Société de linguistique
de Paris décide en 1866 de refuser toute communication portant sur les
origines du langage, c’est pour faire face à une profusion de théories plus
spéculatives les unes que les autres qu’aucune donnée expérimentale ne
pouvait corroborer ou infirmer.
3.2.
Quels types de preuves peut-on avancer pour
étayer des hypothèses dans ce domaine ?
Malgré la difficulté d’avancer des preuves scientifiques dans ce domaine,
les spéculations concernant l’origine du langage sont fondées sur une série de
découvertes scientifiques :
1. La théorie de l’évolution des espèces : le fait de savoir quels sont les
ancêtres de l’être humain a permis, en comparant les changements évolutifs
entre les espèces, de faire des hypothèses sur la période à laquelle le langage
est apparu et chez quelles espèces il aurait pu être présent.
2. La paléontologie : c’est-à-dire la science des êtres vivants ayant existé
au cours des temps géologiques, et qui est fondée sur l’étude des fossiles. Au
fur et à mesure que les paléontologues ont découvert de nouveaux fossiles
ainsi que de nouvelles techniques pour les étudier, il a été possible de
formuler des hypothèses sur la probabilité que telle ou telle espèce possédait
déjà une forme de langage. Par exemple, on a pu estimer la taille de leur
cerveau, la disposition de leur appareil phonatoire, etc.
3. L’éthologie et la primatologie : l’éthologie est la science qui étudie le
comportement des espèces animales dans leur milieu naturel. L’étude de
l’anatomie et des capacités cognitives des primates, ainsi que leur
comparaison avec celles de l’être humain, a permis de faire des hypothèses
sur les causes de l’absence de langage chez ces espèces. Ces comparaisons
ont permis de mieux comprendre quelles sont les facultés qui sont uniques
chez l’être humain et qui pourraient avoir contribué au développement du
langage.
4. Les sciences cognitives et les neurosciences : les connaissances sur le
fonctionnement du cerveau humain nous donnent la possibilité de déterminer
quelles sont les parties du cerveau qui ont un lien avec le langage. Ces mêmes
zones ont ensuite pu être analysées chez les primates. Les aires de Broca et de
Wernicke (voir plus bas) sont notamment présentes chez les chimpanzés, ce
qui explique leur aptitude à apprendre certains éléments du langage. Chez nos
ancêtres, aucune trace de ces aires n’a pu être identifiée en étudiant la boîte
crânienne des paranthropes. En revanche, elles sont clairement marquées
chez leurs contemporains homo habilis et homo rudolfensis.
5. La linguistique : le développement des connaissances en linguistique a
rendu possible la compréhension du fonctionnement du langage : de quels
éléments il se compose (phonèmes, morphèmes, etc.) et comment ces
derniers interagissent entre eux. Ces connaissances permettent de définir plus
précisément ce qui compose la faculté de langage, à savoir la capacité des
êtres humains à apprendre naturellement une langue, à l’utiliser et à la
comprendre.
3.3.
Quelles sont les caractéristiques des pidgins et
des créoles ?
Les pidgins sont des langues émergentes de contact, qui se développent
lorsque des adultes de langues et de cultures différentes se retrouvent dans la
nécessité de communiquer. La principale caractéristique des pidgins est qu’ils
ne sont la langue maternelle d’aucun locuteur.
D’un point de vue formel, les pidgins sont très limités, à la fois au niveau
du vocabulaire, des structures syntaxiques, des fonctions grammaticales et de
la phonologie (les sons). Les pidgins ne sont toutefois pas dépourvus de
règles ou de structures, ces dernières sont simplement des adaptations
créatives de langues existantes. Étant donné que les pidgins sont parlés par
des gens de langues maternelles différentes, ces structures varient parfois en
fonction de la langue maternelle du locuteur. Par exemple, l’ordre des mots
dans la variété de pidgin à base anglaise parlée à Hawaï est variable. Les
locuteurs japonais placent le verbe à la fin de la phrase alors que les
Philippins le placent avant le sujet, chacun suivant les règles de sa propre
langue.
À cause de leur caractère limité, les pidgins ne survivent en général pas
longtemps (pas au-delà de cent ans). Certains s’éteignent et d’autres se
transforment pour devenir des créoles.
Le créole peut être défini comme un pidgin qui est devenu la langue
maternelle d’une communauté. D’un point de vue formel, les créoles se
caractérisent par une expansion des ressources linguistiques du pidgin, tant au
niveau du vocabulaire que de la grammaire. Avec le temps, les créoles
deviennent des langues aussi complètes que les autres à tous les niveaux.
3.4.
Pourquoi l’étude des créoles nous renseigne-t-
elle sur la question de l’évolution du langage ?
Une caractéristique fascinante des créoles est que tous les créoles du
monde présentent des structures remarquablement similaires. En d’autres
termes, ils se ressemblent plus entre eux qu’avec aucune autre langue, bien
qu’ils se soient développés de manière totalement séparée, à la fois
chronologiquement et géographiquement. Bickerton a fait l’hypothèse que les
créoles reflètent la grammaire innée que possèdent les enfants à la naissance.
L’idée est que ces enfants, n’étant pas influencés par les données
contraignantes d’une langue complète, recréent tous une langue similaire à
partir des indices partiels fournis par les pidgins. Ainsi, les créoles sont une
sorte de laboratoire vivant qui nous permet d’observer la naissance d’une
langue et d’en tirer des conclusions sur l’origine de toutes les langues du
monde.
3.5.
Le nombre de locuteurs que compte une famille
de langues est-il nécessairement proportionnel
à son importance géographique et au nombre
de langues qui la composent ? Que peut-on en
conclure ?
Non, un tel rapport ne peut pas être établi. Tout d’abord, on constate que le
nombre de locuteurs que compte une famille de langues ne dépend pas de son
étendue géographique. Par exemple, la famille des langues amérindiennes
couvre l’ensemble des Amériques, pourtant elle ne compte que 25 millions de
locuteurs environ, ce qui la place loin dernière bon nombre d’autres familles
qui couvrent un territoire nettement plus restreint, par exemple la famille
altaïque. Par ailleurs, la famille des langues amérindiennes est aussi l’une de
celles qui compte le plus de langues, environ 900 (200 en Amérique du Nord
et 700 en Amérique du Sud).
En fait, moins de la moitié des langues du monde (2 700) concentrent à
elles seules 96 % des locuteurs de la planète ! Fait encore plus remarquable :
la famille indo-européenne inclut à elle seule la moitié des locuteurs de la
planète. D’ailleurs, 12 des 20 langues les plus parlées au monde sont des
langues indo-européennes. On constate ainsi que la répartition des locuteurs
par langue est extrêmement inégale. Par exemple, plus de 450 langues
comptent moins de 500 locuteurs. C’est pourquoi, un nombre important de
langues est voué à disparaître.
3.6.
Parmi l’ensemble des langues du globe,
combien sont vouées à disparaître d’ici la fin
du siècle ?
Selon les estimations actuelles, entre 70 % et 90 % des langues du globe
auront disparu d’ici la fin du siècle, soit entre 4600 et 5900 langues environ.
3.7.
Quels sont les facteurs qui conduisent à la mort
d’une langue ?
Les causes de la mort des langues sont souvent multiples et complexes.
Toutefois, il est possible d’isoler les facteurs suivants :
1. Le génocide des populations : une langue peut cesser d’exister par
l’élimination pure et simple de la population qui la parle. Même un génocide
partiel peut initier le déclin d’une langue et entraîner sa mort. Ce génocide
peut aussi être indirect. Par exemple, la déforestation d’hectares entiers de
forêt amazonienne prive certaines tribus de ressources, ce qui entraîne leur
disparition.
2. La domination socio-économique : le déclin d’une langue est également
lié à l’image que les locuteurs s’en font. Certaines langues associées au
pouvoir attirent des locuteurs d’autres langues mal considérées, dont les
locuteurs choisissent volontairement de les abandonner pour une autre, jugée
plus rentable.
3. L’évolution des modes de communication : la généralisation des médias
électroniques et l’apparition de la télévision ont contribué à la propagation de
certaines langues (souvent associées au pouvoir économique).
4. La scolarisation des enfants : la transmission d’une langue à des enfants
est le seul moyen d’assurer sa survie. Toutefois, même si une langue est
transmise comme langue maternelle à un enfant, il faut également que cette
langue soit jugée utile comme moyen de communication et continue à être
utilisée plus tard par l’enfant. Un des critères déterminants à ce sujet est la
scolarisation. Lorsqu’une langue n’est plus pratiquée à l’école, sa disparition
est presque certaine. Rappelons également que la grande majorité des langues
du monde ne sont pas écrites. Leur risque de disparition est donc nettement
plus important pour les mêmes raisons. Parmi celles qui sont écrites, certaines
ne sont ni normalisées ni codifiées, ce qui les rend également vulnérables.
5. L’augmentation de la mobilité : même une langue qui compte un petit
nombre de locuteurs peut survivre longtemps si la communauté linguistique
qui la parle vit isolée et concentrée, par exemple, dans des forêts, des
montagnes ou des îles, à l’abri d’une langue dominante. Cet isolement n’est
plus possible actuellement, à cause de la progression des moyens de
transport.
3.8.
D’où viennent les langues européennes ? Que
sait-on de cette ancienne langue commune ?
Les langues européennes font partie de la famille des langues indo-
européennes qui ont pour ancêtre commun le proto-indo-européen. Notons
toutefois que certaines langues d’Europe ne font pas partie de la famille indo-
européenne. Le finnois, le hongrois et l’estonien font partie de la famille
finno-ougrienne (aussi appelée ouralienne) et le turc fait partie de la famille
altaïque.
La langue proto-indo-européenne était parlée au sud du Caucase, en
Anatolie, il y a environ 6 500 ans. Il est possible de situer géographiquement
l’origine de cette langue notamment en comparant les mots de son
vocabulaire avec l’environnement local (faune et flore présentes). Le proto-
indo-européen s’est ensuite modifié au cours de sa propagation, dans un
premier temps vers l’Est, puis vers l’Ouest. Cette propagation est associée au
développement de l’agriculture.
4. Chapitre 4 :
Histoire et variétés du français
4.1.
À quel sous-groupe de la famille des langues
indo-européennes appartient le français ?
Le français appartient au groupe des langues romanes. Ces langues
partagent la propriété de descendre du latin, raison pour laquelle on les
appelle parfois également les langues latines.
4.2.
Peut-on situer le français encore plus
précisément à l’intérieur de ce groupe ? Sur la
base de quels critères a-t-on établi cette
distinction ?
Oui, on sépare notamment le groupe rattaché au roman occidental, auquel
appartiennent le français, l’espagnol et le portugais, et le groupe qui descend
du roman oriental, qui comprend notamment l’italien et le roumain. Cette
distinction a été établie sur la base de ressemblances formelles entre ces
langues, notamment dans la manière de former le pluriel (la morphosyntaxe)
et dans le système des sons (la phonologie).
4.3.
Quelles sont les raisons historiques pour
lesquelles le français s’est différencié des
autres langues du groupe ?
Le français est la langue romane qui s’est le plus distancée du latin. D’un
point de vue historique, l’origine latine du français remonte à la conquête
romaine de la Gaule. Vers l’an 50 AEC l’ensemble de la Gaule passe en main
romaine avec pour conséquence un abandon par les Gallo-Romains de leur
langue celtique pour le latin, langue associée au pouvoir. À cette époque, le
latin pratiqué par les Romains et qui s’est imposé en Gaule était un latin dit
vulgaire, c’est-à-dire une forme plus tardive que le latin classique. Cette
variété de latin se caractérise notamment par la disparition de la déclinaison,
la création des articles, la généralisation des prépositions, l’extension des
auxiliaires au verbe et l’apparition de nouvelles formes du futur. Ces
caractéristiques du latin vulgaire se retrouvent en français moderne.
La formation du français a ensuite été fortement influencée par une autre
langue, le germanique, suite aux invasions des Francs qui s’étendront sur tout
le territoire au VIe siècle. Malgré cette nouvelle donne, le latin n’a pas été
abandonné pour autant en Gaule et c’est une situation de bilinguisme qui
s’est installée, aussi bien pour les envahisseurs francs que pour les Gallo-
Romains. L’événement qui a été déterminant pour la conservation du latin en
Gaule a été la conversion de Clovis au catholicisme, suivie de celle du reste
de Francs car, à cette époque, le latin était la langue liturgique de l’église
catholique occidentale. Ainsi, la langue parlée en Gaule est restée à base
latine avec l’ajout de propriétés héritées du germanique. C’est pour cette
raison que le français est encore actuellement la plus germanique des langues
romanes.
4.4.
Comment l’influence du germanique est-elle
reflétée dans le français actuel ?
La cohabitation des Gallo-Romains avec les Francs a entraîné l’adoption
de vocabulaire d’origine francique (et donc germanique) : on dénombre
actuellement environ quatre cents mots d’origine francique en français. Par
ailleurs, la situation de bilinguisme décrite plus haut est à l’origine de la
création d’une double terminologie dans certains domaines et qui persiste
dans le français actuel. Par exemple, le mot épée vient du gallo-roman, en
revanche, le mot brandir vient du mot francique brand qui signifiait épée.
Une conséquence nettement plus importante de l’influence du germanique
sur le français est la forte évolution phonétique, qui fait la spécificité du
français par rapport aux autres langues romanes. Cette évolution s’est
caractérisée notamment par une réduction des mots suite à la réduction
systématique de certaines consonnes et certaines voyelles. Au point de vue
morphologique (la construction des mots, voir chapitre 7), les suffixes -and, -
ard, -aud, -ais, -er et -ier sont d’origine francique, tout comme un assez
grand nombre de verbes en -ir comme choisir, jaillir, blanchir, etc.
4.5.
Quel est le premier texte qui a été écrit en
français et de quand date-t-il ?
Il s’agit des Serments de Strasbourg, qui datent de l’an 842. Ces écrits
constituent un traité de paix entre Charles le Chauve et Louis le Germanique
au moment du partage de l’Empire de Charlemagne.
4.6.
Quel est l’intérêt actuel des écrits en très ancien
français pour les linguistes ?
Très peu de textes en très ancien français nous sont parvenus. Pour les
linguistes, ces écrits sont donc des témoignages extrêmement précieux de
l’époque de transition entre le latin et le français.
Les Serments de Strasbourg nous renseignent notamment sur certaines
prononciations et certaines formes grammaticales de l’époque. Par exemple,
le copiste semble avoir hésité sur la forme écrite à donner aux voyelles non
accentuées. Ces hésitations indiquent qu’à cette époque, la prononciation de
ces voyelles était encore incertaine et difficilement audible. D’un point de
vue grammatical, le texte des Serments de Strasbourg montre que le
changement qui s’est opéré dans la formation du futur entre le latin (radical
+ désinence -bo / -bis etc.) et le français (infinitif + formes conjuguées du
verbe avoir) avait déjà eu lieu à cette époque.
Du point de vue du vocabulaire ainsi que des processus de formation des
mots, les Gloses sont des sources de renseignement inestimables. Par
exemple, en comparant le mot latin singulariter (individuellement) et sa
traduction en roman solamente, qui est devenu seulement en français, on
constate que le processus de formation des adverbes de manière par la
combinaison d’une périphrase avec le suffixe -mente existait déjà à l’époque.
Ce processus reste actuellement l’un des plus productifs en français, car il
sert à former tous les adverbes en -ment. De manière générale, tous les mots
glosés, c’est-à-dire traduits et expliqués, appartiennent au vocabulaire de la
vie quotidienne, ce qui nous montre que c’est dans ce domaine que le roman
s’était le plus éloigné du latin.
4.7.
Qu’est-ce que l’ordonnance de Villers-Cotterêts
et de quand date-t-elle ?
Cette ordonnance, signée par François Ier en 1539, prévoit que tous les
documents administratifs, les actes officiels et les décrets de loi devront
désormais être rédigés en français. Jusque-là, c’est le latin qui était utilisé.
4.8.
À partir de quelle époque le français a-t-il été
normalisé et par qui ?
L’événement qui a marqué le début de la normalisation du français est la
création de l’Académie française par Richelieu en 1635. L’Académie est sous
contrôle direct de l’État qui l’a créée dans le but de renforcer la centralisation
politique. Dans ses statuts, l’Académie donne pour mission à ses quarante
membres de « travailler avec tout le soin et toute la diligence possible à
donner des règles certaines à notre langue, et à la rendre pure, éloquente et
capable de traiter les arts et les sciences » (art. 24). L’Académie a
notamment pour but de produire une grammaire et un dictionnaire du
français. Le dictionnaire de l’Académie a été mis en chantier dès 1639 mais
sa première édition n’est parue qu’en 1694, soit plus de cinquante ans plus
tard. L’orthographe actuelle du français a été fixée à partir de 1835, dans la
6e édition du dictionnaire de l’Académie.
4.9.
Comment peut-on définir la notion de
francophonie ?
Le terme de francophonie est utilisé pour désigner l’ensemble des pays
francophones. Toutefois, cette notion ne représente par un tout unifié et
cohérent. À l’intérieur de la francophonie, on trouve à la fois des pays à forte
proportion de locuteurs natifs comme la France et dans une moindre mesure
la Suisse et la Belgique, et des pays où le français est une langue officielle de
l’administration mais où de nombreux locuteurs ne le parlent que comme
langue étrangère, par exemple en Haïti.
5. Chapitre 5 :
Une brève histoire de la linguistique
contemporaine :
de Saussure à Chomsky
5.1.
Quel doit être l’objet d’étude de la linguistique
selon Ferdinand de Saussure ?
La grande innovation de Ferdinand de Saussure a été de séparer l’objet
d’étude de la linguistique de sa matière. Cette dernière inclut toute forme de
langage sans aucune distinction, ce qui la rend impossible à étudier dans son
ensemble. En revanche, l’objet de la linguistique se limite à un sous-
ensemble de cette matière. Il constitue un tout structuré qui résulte de
décisions prises par le linguiste, notamment en fonction de l’aspect de la
matière que ce dernier souhaite étudier. L’objet ainsi défini doit permettre de
classifier la matière afin de mieux la comprendre.
Saussure a établi des distinctions importantes pour définir l’objet d’étude
de la linguistique. Tout d’abord celle entre langue et parole. La langue est un
code commun partagé par l’ensemble des membres d’une communauté
linguistique, mais qui n’est représenté dans sa totalité chez aucun d’entre eux.
La parole comprend les manifestations uniques et imprévisibles du langage
qui sont propres à un locuteur. Saussure a posé le primat de la langue sur la
parole, seul objet d’étude possible pour le linguiste.
Il a également distingué l’étude de l’évolution du langage dans le temps
(diachronique) à celle de l’état du langage tel qu’il est partagé par l’ensemble
des locuteurs à un moment donné, qui n’est pas nécessairement l’époque
actuelle (synchronique). Saussure privilégie l’étude synchronique du langage.
Enfin, il a distingué la linguistique interne et la linguistique externe. Selon
Saussure, l’étude de la langue doit être interne, c’est-à-dire limitée à ce qui
est inhérent au système, comme par exemple les différents sons qui
composent une langue ou la manière dont ils se combinent pour former des
mots. La linguistique n’inclut donc pas la mise en rapport du système de la
langue avec des faits qui lui sont extérieurs (externes), comme sa relation
avec l’histoire, la politique ou la société.
5.2.
Expliquer les notions de signifiant et de signifié.
Illustrez avec le mot chat.
Chez Saussure, le signe linguistique comprend deux éléments
indissociables (deux faces) : l’image acoustique et le concept. Ce sont des
entités psychiques (donc non matérielles) qui ne peuvent exister l’une sans
l’autre. Selon Saussure, la notion de signe ne s’applique pas uniquement au
système linguistique mais potentiellement à tous les autres systèmes de
signes. C’est pourquoi, il remplacera le terme d’image acoustique par celui
de signifiant et celui de concept par celui de signifié, jugés plus généraux.
Dans le domaine de la linguistique, le signifiant correspond à l’enveloppe
linguistique du mot et le signifié à son sens. Par exemple, le signifiant de chat
est (en français) le mot composé de quatre lettres (ou de deux sons à l’oral)
chat et son signifié correspond au concept encodé par ce mot, c’est-à-dire le
fait que le chat est un félin, qu’il a des moustaches, qu’il miaule et mange des
souris, etc.
5.3.
Pourquoi les signes linguistiques sont-ils
arbitraires selon Saussure ?
Lorsque Saussure énonce le principe de l’arbitraire du signe, il veut
souligner le fait qu’il n’existe aucun lien naturel ou logique entre les deux
faces du signe : le signifiant et le signifié. En d’autres termes, on dit que cette
relation est immotivée. Par exemple, la relation entre le mot chat et le concept
qu’il désigne n’a aucune raison d’être en soi, si ce n’est que la communauté
linguistique francophone a adopté conventionnellement cette étiquette
linguistique pour désigner le concept de chat. Cette caractéristique du signe
apparaît de manière évidente lorsque l’on compare les différentes étiquettes
linguistiques utilisées dans différentes langues pour désigner des concepts
très proches. Dans le cas de notre exemple, le mot chat devient cat en anglais,
Katz en allemand, gato en espagnol, etc. De par son caractère arbitraire, le
signe linguistique se différencie des autres types de signes comme les
symboles, qui reposent sur un rapport d’analogie entre signifié et signifiant.
Par exemple, les panneaux de circulation routière reproduisent visuellement
la situation qu’ils décrivent.
5.4.
Quelle est la différence entre la signification et
la valeur d’un signe ? Illustrez à l’aide du mot
cheval.
Le lien entre un signifiant et un signifié produit la signification d’un signe.
Toutefois, pour Saussure, chaque signe appartient avant tout au système
général de la langue. Il tire donc sa valeur de ses rapports avec les autres
signes de la langue et non de lui-même. Par exemple, ce qui fait la valeur du
signifié cheval en français est qu’il s’oppose à d’autres signes comme jument,
étalon, poulain, mulet, etc. Le même principe s’applique également aux
signifiants. Par exemple, le signifiant cheval tient son identité de ses
différences avec d’autres signifiants comme chenal. Ainsi, la valeur des
signes se définit de manière différentielle et oppositive. Selon les termes de
Saussure, la caractéristique principale des signes linguistiques est d’être ce
que les autres ne sont pas.
5.5.
Selon Saussure, les relations entre signes
peuvent être syntagmatiques ou
paradigmatiques. Expliquer ces deux types de
relation et donner des exemples pour chacune
d’elles.
Ces relations peuvent être représentées sur deux axes distincts : d’un côté,
l’axe syntagmatique, horizontal et de l’autre, l’axe paradigmatique, vertical.
Les rapports syntagmatiques entre des signes peuvent être définis comme
des rapports de successivité et de contiguïté. En effet, les signes se suivent
temporellement sur une ligne. Ce rapport régit le lien entre les signes à tous
les niveaux d’organisation du système linguistique. Au niveau phonologique,
il permet de distinguer une suite comme [b-ʁ-a] d’une autre comme [b-a-ʁ].
Il conditionne également la relation qu’entretiennent les mots dans la phrase.
En effet, Anne voit Pierre n’est pas identique à Pierre voit Anne. Ce type de
relation intervient linéairement dans la chaîne parlée.
Les rapports paradigmatiques se situent hors de la chaîne parlée et incluent
des relations de types très divers. Il s’agit de rapports associatifs qui peuvent
se situer entre signifiant et signifié (manger, mangeable), entre signifiés
(mangeable, comestible), entre signifiants (manger, changer) et au niveau de
la formation du mot (mangeable, buvable).
5.6.
À quels courants de pensée Chomsky s’oppose-
t-il dans sa définition de la linguistique ?
Noam Chomsky a proposé une théorie syntaxique révolutionnaire par
rapport au modèle dominant dans les années cinquante en linguistique, la
grammaire distributionnelle, qui consistait à construire des règles de manière
empirique, à partir de grands corpus de textes. Chomsky lui oppose une
méthode rationaliste, fondée sur des jugements introspectifs.
Chomsky a également fait des hypothèses fondamentales sur la faculté de
langage que possèdent les êtres humains, en proposant notamment une thèse
innéiste (voir chapitre 1). Sur ce point, il s’est fortement opposé au courant
dominant en psychologie, le comportementalisme (ou béhaviorisme). Les
psychologues béhavioristes expliquaient l’acquisition du langage par un
processus de stimuli-réponses, et sans faire intervenir les capacités cognitives
de l’être humain.
5.7.
Pourquoi Chomsky parle-t-il de grammaire
générative ?
Le terme générative vient du fait que la grammaire telle que la conçoit
Chomsky permet de générer un nombre infini de phrase à partir d’un nombre
fini d’éléments. Par exemple, la règle selon laquelle un groupe verbal peut
contenir (en français) un verbe et un groupe nominal permet de générer une
série infinie de séquences correctes comme manger la pomme, voir le chien,
caresser le chat, etc. Ainsi, à partir du nombre fini de mots que contient une
langue, la capacité générative du langage nous permet de générer un nombre
infini de phrases différentes.
6. Chapitre 6 :
Phonétique et phonologie
du français
6.1.
Donner quelques exemples de chaque niveau
d’analyse linguistique à partir du texte ci-
dessous.
Jean pense que le chien de la voisine est monstrueux. Le facteur m’a
d’ailleurs dit qu’il l’avait méchamment mordu à la cheville la semaine
dernière.
Phrases : [Jean pense que le chien de la voisine est monstrueux] / [le chien
de la voisine est monstrueux], [il l’avait méchamment mordu], etc.
Syntagmes : [le chien] [le chien de la voisine] [la semaine dernière] [à la
cheville] [la cheville], etc.
Morphèmes : [Jean] [pens-] [-e] [voisin] [méchant] [-ment] [mor-] [-du],
[monstr-] [-ueux], etc.
Phonèmes : [ʒ], [ã], [p], [s], [k], [l], [œ], [ʃ], [i], [ɛ̃ ], [d], [v], [w], [n], etc.
6.2.
Dire à quel(s) domaine(s) d’étude de la
linguistique chaque unité identifiée ci-dessus
correspond traditionnellement.
Les phrases sont l’objet d’étude à la fois de la sémantique et de la syntaxe.
La sémantique étudie la signification de la phrase alors que la syntaxe a pour
objectif de comprendre comment les mots sont organisés pour fournir une
phrase grammaticalement correcte. Les syntagmes sont l’objet d’étude de la
syntaxe (cf. chapitre 8). Les morphèmes sont l’objet d’étude de la
morphologie (cf. chapitre 7). Les phonèmes sont l’objet d’étude de la
phonologie (cf. ci-dessous).
Les disciplines linguistiques étudient également d’autres types d’unités
comme la syllabe en phonologie ou le mot en sémantique et en morphologie.
Toutefois, tout comme la phrase, ces dernières ne sont pas des unités
minimales d’analyse.
6.3.
Qu’est-ce qu’un phonème par opposition à un
son ? Donner trois exemples de phonèmes du
français.
Le phonème constitue l’objet d’étude la phonologie. Il s’agit de la plus
petite unité linguistique pertinente pour la communication. Bien que les
phonèmes ne soient pas en eux-mêmes porteurs de signification, le
remplacement d’un phonème par un autre produit une différence de
signification. En effet, le phonème /t/ ne veut rien dire. En revanche, le fait de
remplacer [t] par [m] dans tasse et masse produit un changement radical de
sens ! On peut donc dire que les sons [t] et [m] sont des phonèmes du
français, tout comme [g], [m], [n], etc. Attention : le phonème ne doit pas être
confondu avec la syllabe. Par exemple, le mot la comporte une seule syllabe
mais deux phonèmes distincts : /l/ et /a/.
Les phonèmes ne doivent pas non plus être confondus avec les lettres de
l’alphabet. Par exemple, le français compte 6 voyelles écrites (a, e, i, o, u, y)
mais 15 phonèmes vocaliques qui incluent des sons comme le [ɛ̃] dans fin et
le [ɔ̃] dans bond, par exemple. De manière plus générale, le français compte
26 lettres de l’alphabet mais 33 phonèmes et 34 sons ! C’est pour cette raison
que les lettres de l’alphabet ne suffisent pas à représenter les phonèmes et
qu’il faut avoir recours à des signes supplémentaires. Par ailleurs, l’utilisation
de certaines lettres de l’alphabet serait équivoque car une même lettre peut
produire un son différent dans certains cas.
Le système qui tend à être universellement utilisé pour représenter
graphiquement les sons est celui créé par l’Association phonétique
internationale en 1888. Ce système préconise une transcription en caractères
d’imprimerie, sans lien entre les signes, sans séparation entre les mots, et
encadrées par des crochets droits ([ ]). En revanche, les phonèmes sont
représentés entre barres obliques (/ /). En d’autres termes, on parle du son [m]
mais du phonème /m/.
6.4.
Quelles sont les réalisations graphiques
possibles du son [Ɛ] en français ?
Il est courant qu’en français, un même son soit représenté par une panoplie
de graphies différentes. Dans le cas du son [ɛ], on a notamment : e (ouvert), ê
(tête), è (mètre), é (événement), ë (Noël), ei (verveine), ai (chaise), aî
(maître), ey (poney).
6.5.
Expliquer les notions de trait pertinent et de
différence fonctionnelle. Donner des exemples.
Comme nous l’avons vu plus haut, la différence fonctionnelle entre les
sons [t] et [m] est porteuse de sens. Il s’agit donc d’un contraste phonétique
pertinent en français. En revanche, prononcer le o dans le mot abricot (avec
un [o] fermé en français de France et un [ɔ] ouvert en Suisse romande)
constituent une simple variante dialectale qui n’est pas porteuse de
signification, ce n’est donc pas une différence fonctionnelle. C’est pourquoi,
il s’agit de deux manières de prononcer un seul phonème et non pas de deux
phonèmes différents. À l’inverse, une même lettre ou suite de lettres peut
correspondre à plusieurs phonèmes. C’est le cas des deux lettres g de garage
ou de la suite ch de champ ou chronomètre. Ces exemples illustrent encore
une fois la nécessité de dissocier les lettres de l’alphabet et les phonèmes.
Nous verrons plus bas que les sons diffèrent en fonction de la manière
dont les différents organes phonatoires sont placés. Ainsi, une différence dans
la position de la langue dans le palais constitue un trait pertinent, car elle
permet de distinguer deux sons proches.
6.6.
Quelle est la définition de la consonne, de la
voyelle et de la semi-voyelle ?
D’un point de vue articulatoire, la principale différence entre les
consonnes et les voyelles est que les premières impliquent un obstacle partiel
ou total au passage de l’air alors que les secondes sont caractérisées par une
vibration des cordes vocales sans obstruction de l’ouverture de la cavité
buccale. Les semi-voyelles sont associées aux voyelles qui sont
articulatoirement ou spectralement proches. Par exemple, d’un point de vue
articulatoire, la semi-voyelle [j] et associée à la voyelle [i] comme par
exemple dans la paire abeille-abbaye. Attention : le mot abeille comporte la
semi-voyelle [j] et abbaye la voyelle [i], contrairement à ce que l’orthographe
pourrait laisser penser. En revanche, d’un point de vue de leur rôle dans la
syllabe, les semi-voyelles s’apparentent aux consonnes et non pas aux
voyelles. En effet, seules les voyelles peuvent créer un noyau syllabique.
6.7.
À quoi sert la méthode des paires minimales ?
Donner un exemple pour la paire de voyelles
orales mi-fermées et mi-ouvertes.
Nous avons vu plus haut que la phonétique articulatoire a pour but de
classifier les divers sons que peut produire l’être humain en parlant. Or, ce
classement passe par la distinction entre les divers organes utilisés et leur
position. La méthode des paires minimales consiste à faire varier un seul trait
pertinent et d’observer les paires possibles. C’est par ce système d’opposition
qu’on établit quels sont les phonèmes d’une langue. Les sons [e] et [ɛ] des
mots pré et près forment par exemple une paire minimale. Il s’agit de deux
voyelles orales, palatales et non-arrondies. La seule différence entre ces
phonèmes se situe dans l’ouverture de la bouche, qui est mi-fermée pour [e]
et mi-ouverte pour [ɛ]. C’est pourquoi les sons [e] et [ɛ] sont des phonèmes
du français.
6.8.
Quels sont les enchaînements ou les liaisons
contenus dans les phrases ci-dessous ?
L’enchaînement consiste à lier à l’oral deux mots qui se suivent dans la
chaîne parlée en joignant le dernier phonème prononcé du premier mot à la
voyelle initiant le mot suivant. Lorsqu’il s’agit d’une consonne,
l’enchaînement modifie le contour syllabique des deux mots, qui sont
prononcés d’un seul groupe de souffle. Dans ce cas, le découpage graphique
ne correspond pas au découpage syllabique, comme l’illustre l’exemple (1)
ci-dessous. Lorsqu’il s’agit de deux voyelles, l’enchaînement est également
prononcé en un seul groupe de souffle mais cette fois-ci la structure
syllabique correspond à la structure graphique, comme le montre l’exemple
(2).
1. J’ai reçu une boîte à musique. [ʒe-ʁə-sy-yn-bwa-ta-my-zik]
2. J’ai eu un rhume. [ʒe-y-ɶ̃-ʁym]
7. Chapitre 7 :
Morphologie du français
7.1.
Chercher les allomorphes des verbes suivants :
pouvoir / payer. S’agit-il de variantes
conditionnées ou libres ?
Le terme allomorphe désigne les variantes formelles d’un même
morphème.
pouvoir : /peu/ {peux, peut} /pouv/ {pouvons, pouvais, pouvant}, /pourr/
{pourrai} /pui/ {puisse}, /p/ {pus, pûmes}
payer : /pai/ {paie, paierai} /pay/ {paye, payais, payai}
Ces verbes se réalisent en plusieurs allomorphes en fonction de leur
conjugaison. Toutefois, toutes ces formes correspondent toujours au même
verbe, conjugué à des temps ou à des formes différentes. Par exemple, le
verbe payer au passé prend nécessairement la lettre -y et le verbe pouvoir au
futur le morphème pourr-. Il s’agit dans ces cas de variantes conditionnées
(par l’environnement du morphe), elles sont obligatoires. Attention : les
variations entre les morphèmes grammaticaux de conjugaison (-ai, -as, -a) ne
sont bien évidemment pas des allomorphes, car il ne s’agit pas de variantes
formelles d’un même morphème mais bien de morphèmes distincts. En
revanche, des variantes comme je m’assieds ou je m’assois ou encore paye ou
paie sont des variantes libres, elles sont interchangeables et dépendent
uniquement des préférences du locuteur, au même titre que la réalisation de
certains sons dépend de l’accent régional.
7.2.
Faire une décomposition en morphèmes des
mots rechargeables, intrigante, antilopes.
rechargeables : re-charg-able-s
Par substitution on retrouve re- dans : retrouvable, réutilisable. On
retrouve charg- dans charger, chargement. Quant à -able, on le retrouve dans
mangeable, réparable.
intrigante : intrigu-ant-e
On retrouve la racine intrigu- dans les mots intrigue et intriguer. Le
suffixe de dérivation -ant permet de former un adjectif à partir d’une racine
verbale. On le retrouve dans de très nombreux mots comme épuisant,
motivant, lassant, etc. Enfin, le -e final est un affixe flexionnel qui marque le
féminin.
antilopes : antilope-s
Cet exemple rappelle que tout ce qui ressemble à un morphème n’en est
pas un. Dans le mot antilope, anti- n’a évidemment pas le même sens que
dans antibiotique ou antioxydant.
7.4.
Quelles sont les caractéristiques des suffixes
flexionnels ? Donnez trois exemples de suffixes
flexionnels du français.
Les suffixes flexionnels ont pour propriété de marquer les traits
grammaticaux de la catégorie, comme le genre, le nombre, la personne, le
temps ou encore le mode. Contrairement aux suffixes dérivationnels, ils ne
peuvent pas modifier la catégorie de la racine. Par exemple, le mot pommes
contient le morphème pomme ainsi qu’un suffixe flexionnel -s, qui marque le
nombre, en l’occurrence le pluriel. Mais avec ou sans adjonction du suffixe,
le mot pomme reste un nom. Prenons un autre exemple. Les mots mange et
mangeait contiennent tous deux la racine mang(e)- mais des suffixes
flexionnels différents. Le premier -e marque la troisième personne du
singulier au présent de l’indicatif. Le second marque la première ou la
deuxième personne du singulier de l’imparfait de l’indicatif. Toutefois, dans
les deux cas, le mot dans lequel ils interviennent reste un verbe.
7.7.
Qu’est-ce qui différencie les mots composés
des autres syntagmes ?
Le mot syntagme fait référence à un groupe de mots qui forme une unité
syntaxique. Par exemple le petit chien forme un syntagme nominal
(cf. chapitre 8). Ainsi, sur le plan strictement formel, les mots composés sont
des syntagmes, ils forment une unité. À l’inverse, tous les syntagmes
nominaux ne sont pas des mots composés. Ces derniers possèdent en effet des
caractéristiques fondamentales qui les distinguent des autres syntagmes.
D’un point de vue interne tout d’abord, la formation des mots composés ne
respecte pas les règles de la syntaxe. Par exemple, dans le mot bleu ciel,
l’adjectif est antéposé au nom, ce qui ne serait pas le cas d’un syntagme libre
où l’on devrait dire le ciel bleu.
Par ailleurs, contrairement aux syntagmes, les mots composés possèdent
une cohérence interne. Ainsi, il n’est pas possible d’intercaler un élément à
l’intérieur d’un mot composé. On ne peut pas dire, par exemple, les pommes
jaunes de terre. En revanche, il est tout à fait possible d’ajouter un élément à
l’intérieur d’un syntagme, par exemple, le joli petit chien.
La dernière caractéristique distinctive des mots composés par rapport aux
syntagmes est que leur signification n’est pas compositionnelle. En d’autres
termes, le sens d’un mot composé dépasse celui des éléments qui le
composent, lorsqu’ils sont pris isolément. En effet, le mot pomme de terre ne
signifie pas littéralement une pomme qui se trouve sous terre mais désigne un
type de tubercule comestible. En revanche, le syntagme le petit chien ne
signifie rien d’autre qu’un chien de petite taille. La signification des
syntagmes est par nature compositionnelle.
7.8.
Comment peut-on adapter le test du wug
pour le rendre utilisable en français ?
Le test du wug tel que présenté dans le chapitre ne peut pas être utilisé en
français, car le -s du pluriel ne s’entend pas à l’oral. Il faut donc trouver un
cas où l’application d’une règle de morphologie entraîne un changement
régulier et audible. Une idée consiste à inventer un verbe sur le modèle des
verbes en -er et de le faire conjuguer au passé. Par exemple, on peut montrer
une vignette d’un personnage réalisant une action en indiquant à l’enfant
qu’il moute, et en lui disant qu’hier il le faisait aussi. Hier il ______. On
s’attend à ce que l’enfant applique par défaut la règle de conjugaison des
verbes en -er au passé.
8. Chapitre 8 :
Catégories et syntagmes
8.1.
Pourquoi les puristes condamnent-ils les usages
suivants : des dégâts conséquents, débuter
quelque chose, un faux prétexte, indifférer,
avoir une opportunité ?
Les puristes sont des gens qui défendent une certaine idée du bon usage de
la langue française. Ils condamnent certains usages pourtant courants dans la
langue mais qu’ils jugent erronés pour des raisons liées à l’étymologie, à la
grammaire et au génie de la langue. Cette dernière notion implique que la
langue française est par nature claire et logique.
Des dégâts conséquents : usage critiqué pour des raisons liées à
l’étymologie de l’adjectif conséquent qui implique obligatoirement l’idée
de conséquence, de continuité (être conséquent avec ses idées) mais pas
celle d’importance.
Débuter quelque chose : emploi critiqué pour des raisons liées à la
grammaire. En effet, le verbe débuter est intransitif, il ne peut donc pas
prendre de complément direct.
Un faux prétexte : emploi critiqué car il s’agit d’un pléonasme, puisque
tout prétexte implique nécessairement une fausse raison.
Indifférer : critiqué comme un « néologisme inutile » qui fait double
emploi avec l’expression laisser indifférent.
Avoir une opportunité : une opportunité dans le sens d’une chance à saisir
est un anglicisme.
Notons que les trois derniers exemples sont des usages critiqués pour des
raisons liées au génie de la langue, c’est-à-dire la clarté et la pureté du
français.
Note : les exemples présentés à l’exception du dernier sont tirés de
l’ouvrage Le français écorché, de Pierre Valentin Berthier et Jean-Pierre
Colignon (1987).
8.2.
Les phrases suivantes sont-elles grammaticales
et/ou interprétables ?
Marie promène chien de elle. Phrase agrammaticale mais interprétable.
Les flots incandescents rêvent du nuage. Phrase grammaticale mais
ininterprétable.
Nous pouvons donc conclure que ces deux notions sont indépendantes
l’une de l’autre. L’étude de la syntaxe s’intéresse au phénomène de la
grammaticalité uniquement, indépendamment du sens des phrases.
8.3.
Qu’est-ce qu’une catégorie grammaticale ?
Donner des exemples d’éléments appartenant
aux catégories lexicale, non lexicale
et syntagmatique.
Les catégories grammaticales sont des classes qui regroupent les mots
ayant des propriétés grammaticales communes. Par exemple, les verbes
partagent la propriété de se conjuguer et les noms celle de porter des marques
de genre et de nombre. C’est ce regroupement qui permet d’atteindre un
niveau d’abstraction suffisant pour la formulation de règles générales de
grammaire.
La grammaire générative prévoit une distinction entre trois types de
catégories. Premièrement, la catégorie lexicale inclut les verbes, les noms, les
adjectifs et les adverbes. Deuxièmement, la catégorie non lexicale comporte
les déterminants, les pronoms, les complémenteurs, etc. Enfin, la catégorie
syntagmatique inclut les syntagmes nominaux, verbaux, adjectivaux,
prépositionnels, etc. On remarque que la dernière catégorie ne se situe pas au
même niveau que les deux autres dans la représentation de la phrase. En effet,
les catégories lexicales et non lexicales regroupent des mots du lexique alors
que la catégorie syntagmatique contient des groupes d’éléments
intermédiaires dans la construction de la phrase, organisés autour d’une tête,
qui est éventuellement précédée d’un spécifieur et suivie d’un complément.
Prenons un exemple : la fille aime le chocolat.
Éléments lexicaux : noms (fille, chocolat), verbe (aime)
Éléments non lexicaux : déterminants (le, la)
Groupes syntagmatiques : nominaux (la fille, le chocolat) et verbal (aime
le chocolat)
8.4.
La classification des éléments en catégories
est-elle suffisante pour éviter de produire
des phrases agrammaticales ? Pourquoi ?
Non, la classification en catégories ne suffit pas pour éviter d’avoir une
grammaire qui produise des phrases agrammaticales. Par exemple, la
catégorie générale verbe a pour propriété de pouvoir être suivie par un
complément. Mais cette règle générale ne permet pas d’expliquer pourquoi
une phrase comme Jean dort la pomme est agrammaticale. Pour cela, il faut
diviser la catégorie des verbes entre les verbes transitifs et intransitifs et
préciser que seuls les verbes transitifs peuvent être suivis d’un complément.
De la même manière, il convient de distinguer les noms propres des noms
communs pour éviter d’obtenir des phrases comme La Marie mange la
pomme ou Fille mange la pomme.
8.5.
Indiquer les catégories grammaticales,
les fonctions grammaticales et les fonctions
sémantiques des éléments entre crochets.
Que peut-on conclure des résultats obtenus ?
Conclusions :
1. Les fonctions sémantiques sont constantes alors que les fonctions
grammaticales sont variables. Par exemple, si on transforme la phrase Jean
mange la pomme au passif, elle devient La pomme est mangée par Jean.
Dans ce second cas de figure, Jean conserve la fonction sémantique d’agent
et la pomme de thème. En revanche, la pomme occupe la fonction
grammaticale de sujet et Jean d’objet.
2. Les fonctions grammaticales et sémantiques ne sont pas nécessairement
liées. En effet, une même fonction grammaticale peut avoir plusieurs
fonctions sémantiques différentes. Par exemple, la fonction grammaticale de
sujet peut être occupée par des éléments qui ont la fonction sémantique
d’agent (Jean mange la pomme), d’instrument (la perceuse a traversé le
mur), de bénéficiaire (les retraités touchent une rente), etc.
3. Une même fonction grammaticale peut être réalisée par différentes
catégories grammaticales. Par exemple, le sujet d’une phrase peut être un
nom propre (Jean mange), un syntagme nominal (la fille mange), un verbe
(Manger est vital), etc.
8.6.
Donner deux exemples de computations
syntaxiques et expliquer pourquoi ces
opérations sont utiles pour le linguiste.
Les computations syntaxiques sont des opérations par lesquelles des
constituants syntaxiques d’une phrase, c’est-à-dire les syntagmes, subissent
certaines transformations, qui conduisent à les déplacer ou à les modifier au
sein de la phrase. Les computations syntaxiques pour la phrase (1) et
appliquées au syntagme nominal Pierre incluent le clivage (2), l’interrogation
(3), la passivation (4) et le remplacement (5).
1. Pierre a mangé une pomme.
2. C’est Pierre qui a mangé une pomme.
3. Qui a mangé une pomme ? Pierre.
4. La pomme a été mangée par Pierre.
5. Il a mangé la pomme.
8.7.
Expliquer au moyen des tests pour
l’identification des syntagmes que les éléments
entre crochets forment une unité en (1) mais
pas en (2).
1. Max [mange une pomme].
2. [Max mange] une pomme.
9. Chapitre 9 :
Syntaxe de la phrase simple
et complexe
9.1.
Parmi les deux phrases ci-dessous, laquelle
peut être considérée comme fausse pour des
raisons de normes et laquelle est
syntactiquement agrammaticale ?
–Jean allait pas au cinéma.
Cette phrase n’est pas acceptée selon les normes du français standard qui
dictent que la négation doit s’exprimer par ne…pas. Elle est toutefois
grammaticale pour le linguiste.
–Jean ne pas allait au cinéma.
9.2.
Expliquer les principes de l’analyse hiérarchique
des phrases.
Le principe de l’analyse hiérarchique veut que chaque élément de rang n
peut être analysé en unités de rang immédiatement inférieur, n-1. C’est
pourquoi cette analyse se représente sous forme d’arbre, dans lequel chaque
nœud correspond à un niveau de la hiérarchie.
9.3.
Faire une analyse en arbre des phrases
suivantes.
Ces deux arbres montrent la différence de structure argumentale entre les
verbes donner et saluer. En effet, le verbe donner requiert deux arguments en
position objet : un syntagme nominal et un syntagme prépositionnel.
L’attachement de ces deux syntagmes au verbe est indiqué par leur placement
sous le syntagme verbal. En revanche, dans le cas du verbe saluer, seul le
syntagme nominal qui suit le verbe entre dans sa structure argumentale. Le
syntagme prépositionnel est optionnel (c’est un ajout) et vient donc se
rattacher plus haut dans la structure.
9.4.
Comment peut-on expliquer la différence de
placement de l’adverbe jamais entre ces deux
phrases :
1. Émile ne va jamais au concert.
2. Émile n’a jamais été au concert.
9.5.
Qu’est-ce qu’un complémenteur ?
Le complémenteur est l’élément qui est à la tête des phrases complexes et
qui sert à introduire des phrases enchâssées. La position de complémenteur
peut être occupée par des mots comme que, qui et si, comme nous le
monterons dans l’exercice suivant.
9.6.
Qu’est-ce que le principe de récursivité ?
On parle de récursivité lorsqu’une catégorie est dominée par la même
catégorie, par exemple lorsqu’un groupe nominal contient un autre groupe
nominal. Ainsi, le groupe nominal le chien de mon frère contient un autre
groupe nominal : mon frère. À un niveau plus général, les phrases peuvent
contenir d’autres phrases. On a alors une proposition principale, dans laquelle
est enchâssée une autre proposition (dite subordonnée), qui peut être,
complétive (1), interrogative (2) ou relative (3) comme l’illustrent les
exemples ci-dessous :
1. Jean pense que la bille est dans la boîte.
2. Jean se demande si la bille est dans la boîte (interrogative indirecte).
3. La bille qui est dans la boîte est à moi.
9.7.
Pourquoi ce principe est-il fondamental
pour caractériser le langage humain ?
La récursivité est l’une des propriétés qui permet de distinguer le langage
humain de la communication animale. Cette propriété est fondamentale, car
elle rend le langage humain créatif : grâce à l’enchâssement, on peut sans
cesse créer de nouveaux énoncés. L’enchâssement ne se retrouve en revanche
pas dans les systèmes de communication animale.
9.8.
Comment peut-on expliquer l’agrammaticalité
des phrases ci-dessous :
– (a) Qui dis-tu que Pierre aime Marie ?
– (b) Comment crois-tu que je suis arrivé quand ?
Ces deux phrases sont des questions qui ont donc pour tête un
complémenteur. Dans le cas de la phrase (a), le complémenteur qui
correspond à la position objet déplacée en tête de phrase. Toutefois, malgré
son déplacement, cet élément laisse ce qu’on appelle une trace de sa
présence, qui se traduit par le fait que sa position initiale ne peut pas être
occupée une seconde fois par un autre complément. La phrase déclarative
initiale est représentée ci-dessous avec le mouvement opéré par le
complémenteur :
Le cas de la phrase (b) illustre le fait qu’une phrase ne peut pas contenir
deux complémenteurs, en l’occurrence quand et comment, pour les mêmes
raisons que celles évoquées ci-dessus.
10. Chapitre 10 :
Sémantique du français
10.1.
À quoi servent les concepts ?
Les concepts sont le lieu de stockage des informations encyclopédiques au
sujet des référents. Par exemple, le fait d’avoir un concept de CHAT permet à
un locuteur de savoir qu’il s’agit d’un animal à poils et à moustaches, qu’il
peut parfois mordre et griffer, etc. Ainsi, lorsqu’il se retrouvera confronté à
un nouveau référent (un chat qu’il n’a encore jamais vu), il saura comment
l’appréhender grâce aux informations encyclopédiques que contient son
concept de CHAT. À chaque fois qu’ils font une expérience nouvelle, les
locuteurs enrichissent leurs concepts.
10.2.
Indiquer les prédicats et les arguments
des propositions suivantes :
–Il pleut : PLEUVOIR (ø)
–Pierre cueille des cerises : CUEILLIR (PIERRE, CERISES) [SN1_SN2]
–Jeanne résume le cours à Paul : RÉSUMER (JEANNE, LE COURS, PAUL)
[SN1_SN2_à SN3]
–Yves est à la maison : À (YVES, LA MAISON) [SN1_SN2]
10.3.
Quels sont les différents types de relations
d’opposition du lexique ?
Le lexique contient premièrement des antonymes, lorsque l’affirmation
d’un terme entraîne la négation d’un autre, mais pas inversement. Par
exemple, riche est l’antonyme de pauvre. En effet, une personne qui est riche
n’est pas pauvre, mais une personne qui n’est pas riche n’est pas
nécessairement pauvre non plus, mais peut être simplement de classe
moyenne. On nomme parfois ces termes des antonymes gradables ou
scalaires, car il existe de nombreux degrés intermédiaires sur l’échelle
d’opposition. Une conséquence directe de ce caractère gradable est que
l’échelle de valeur (plus ou moins importante) dépend du contexte. En effet,
ce qui compte comme un grand appartement n’est pas pareil à la campagne
ou dans une grande ville.
Un autre type d’opposition se trouve dans les termes complémentaires.
Dans ce cas, l’opposition est absolue et réciproque : l’affirmation de l’un
entraîne la négation de l’autre et inversement. Un homme vivant n’est pas
mort et un homme mort ne peut pas être vivant.
10.4.
Quels sont les points communs
et les différences entre les relations
d’hyponymie et de méronymie ?
Les relations d’hyponymie et de méronymie se situent toutes deux entre un
terme général et un terme spécifique. Elles s’établissent par ailleurs toutes
deux sur plusieurs degrés successifs et sont de nature transitive (bien que
dans certains cas, la transitivité produise des résultats étranges pour la
méronymie).
La principale spécificité de la méronymie est de s’établir uniquement entre
des référents divisibles en parties. Cette relation est donc plus spécifique que
la relation d’hyponymie. Par ailleurs, dans la relation d’hyponymie,
l’hyponyme hérite de toutes les caractéristiques de son hyperonyme, ce qui
n’est pas le cas du méronyme par rapport à son holonyme.
10.5.
Donner des exemples de noms massifs
et comptables.
Dans la catégorie des noms, on distingue les noms comptables comme
arbre, maison, lampe qui ont la propriété de pouvoir être additionnés, donc
de pouvoir être mis au pluriel. En revanche, les noms massifs comme
couscous, sable, eau ne peuvent pas être comptés sans être précédés d’un
déterminant partitif, comme par exemple un grain de sable ou une poignée de
riz. Les noms massifs n’ont par ailleurs pas de pluriel. Il est par exemple
impossible de dire des riz, sauf dans des constructions particulières où ils sont
considérés comme des entités discrètes (je vends des riz de plusieurs
provenances).
10.6.
À quelle classe aspectuelle appartiennent
les constructions verbales suivantes : manger
chinois, écrire une lettre, concrétiser un plan,
être heureux ? Justifier au moyen de tests
linguistiques.
Manger chinois est une activité, qui a pour propriété (comme tous les
verbes d’événement) de pouvoir prendre une forme progressive comme dans
je suis en train de manger chinois au resto du coin. Une activité peut être
décrite en utilisant l’adverbe pendant (j’ai mangé chinois pendant 15 jours
lors de mon dernier voyage). Les verbes d’activité réalisent par ailleurs le
paradoxe de l’imperfectif, c’est-à-dire le fait d’avoir déjà fait une activité au
moment où on est en train de la réaliser. Ainsi, quand je suis en train de
manger chinois, j’ai déjà mangé chinois. Les verbes d’activité ne sont en
outre pas bornés sans la présence d’une expression linguistique qui indique le
début et la fin de l’activité comme dans j’ai mangé chinois entre 12 h 00 et
13 h 00. Une conséquence logique de ce qui précède est que les activités
n’ont pas de fin intrinsèque (elles sont atéliques). Ainsi, dans la phrase je
mange chinois, cette activité n’est pas limitée dans le temps. Enfin, les
activités sont constituées de phases homogènes. Ainsi, il n’y a pas d’étapes
logiques dans la construction manger chinois.
Écrire une lettre est un accomplissement, qui a pour propriété de pouvoir
prendre une forme progressive comme dans je suis en train d’écrire une
lettre à ma sœur. Un accomplissement peut être décrit en utilisant en comme
dans j’ai écrit une lettre en 10 minutes. Par ailleurs, il ne réalise pas le
paradoxe de l’imperfectif : celui qui est en train d’écrire une lettre n’a pas
encore écrit une lettre. Les accomplissements sont en outre bornés par nature,
c’est-à-dire qu’ils ont un début et une fin intrinsèque, sans qu’il faille
l’indiquer linguistiquement. Il en découle logiquement que les
accomplissements sont également téliques par nature. Enfin, les
accomplissements ne sont pas homogènes. Par exemple, le processus d’écrire
une lettre implique des phases comme sortir du papier, écrire, mettre dans
une enveloppe, etc.
Concrétiser un plan est un achèvement, qui a pour propriété de pouvoir
prendre une forme progressive comme dans je suis en train de concrétiser
mon plan de carrière. Un achèvement peut être décrit en utilisant en comme
dans j’ai concrétisé mon plan de carrière en trois ans. Par ailleurs, il ne
réalise pas le paradoxe de l’imperfectif : celui qui est en train de concrétiser
un plan ne l’a pas encore concrétisé. Les achèvements sont par nature
ponctuels et donc ne peuvent pas être bornés ou téliques. Le critère de
l’homogénéité ne s’applique pas à non plus à eux, pour les mêmes raisons.
Être heureux est un état, qui ne peut donc pas prendre une forme
progressive, comme l’atteste le caractère incongru de la phrase je suis en
train d’être heureux. Un état peut être décrit en utilisant pendant (j’ai été très
heureux pendant les dix ans de mon mariage). Par ailleurs, les états ne sont
pas intrinsèquement bornés, sauf si le contexte linguistique le précise comme
dans j’ai été heureux quand j’étais au lycée entre 16 et 18 ans. Les états
n’ont en outre pas de fin intrinsèque, ils sont atéliques. Dans la phrase je suis
heureux, rien n’indique que cet état doive prendre fin. Enfin, les états sont
homogènes, c’est-à-dire qu’ils ne nécessitent pas le passage par des phases
distinctes, contrairement aux accomplissements.
10.7.
Indiquer par des exemples les changements
de type qui peuvent intervenir entre les divers
sens des mots suivants : biberon, kleenex,
bière.
On appelle changement de type une opération qui consiste à passer d’une
signification d’un mot à une autre de ses significations. Cette opération agit
donc sur les mots polysémiques.
1. Le bébé boit goulûment son biberon (contenu)
Marie rince le biberon du bébé (contenant)
2. Marie travaille chez Kleenex depuis deux ans (producteur)
Passe-moi un kleenex, j’ai le nez qui coule (produit)
3. Jean boit une bière tous les soirs (comptable)
Arroser le poulet avec de la bière le rend plus juteux (massif)
10.8.
Expliquer le phénomène de la coercion au
moyen des phrases suivantes :
–Anne a commencé le pain.
–Paul commence un portrait.
–Marie commence le piano.
11. Chapitre 11 :
Langage et action :
les actes de langage
11.1.
Dire si les énoncés ci-dessous sont
des constatifs ou des performatifs
selon la définition d’Austin.
1. Je t’assure que c’est un bon film.
2. Mon bureau est situé à la rue de Candolle.
3. Pourrais-tu me dire l’heure ?
4. Tu vas me le payer.
11.2.
Appliquer le test de la performativité
aux exemples ci-dessus afin de montrer
pourquoi de tels exemples ont conduit Austin
à abandonner sa distinction.
La définition restrictive des performatifs ci-dessus pose un problème à
Austin, car les énoncés (2) et (4) ne peuvent pas entrer ni dans la catégorie
des constatifs ni dans celle des performatifs. Pour résoudre ce problème,
Austin propose un test de performativité, qui peut être résumé comme suit :
un énoncé performatif doit se ramener à un énoncé comportant un verbe à la
première personne du singulier de l’indicatif présent, voix active. En d’autres
termes, les performatifs doivent pouvoir être reformulés à la première
personne du singulier voix active, même s’ils ne sont pas prononcés de cette
manière par le locuteur. Ainsi, il existerait des performatifs explicites et des
performatifs implicites (ou primaires).
Selon le test de la performativité, les énoncés (3) et (4) sont bien des
performatifs. Ils peuvent en effet être reformulés comme suit :
5. Pourrais-tu me dire l’heure ? → Je te demande de me dire l’heure.
6. Tu vas me le payer. → Je te promets que tu vas me le payer.
11.3.
Quels sont les actes locutionnaires,
illocutionnaires et perlocutionnaires réalisés
dans les énoncés ci-dessous ?
Un acte locutionnaire est accompli par le simple fait de dire quelque
chose, l’acte illocutionnaire est un acte accompli en disant quelque chose et
l’acte perlocutionnaire est un acte accompli par le fait de dire quelque chose.
Ainsi, l’acte locutionnaire correspond simplement au fait d’énoncer une
phrase dotée d’une signification. L’acte illocutionnaire correspond au type
d’acte de langage réalisé en prononçant une phrase (par exemple une
assertion, une offre, une promesse, etc.) en vertu de la force associée
conventionnellement à l’énoncé (contenue dans la reformulation explicite du
performatif). Enfin, l’acte perlocutionnaire décrit l’effet éventuel de cet acte
sur le destinataire. Tous les énoncés ont donc une valeur locutionnaire et
illocutionnaire déterminées, en revanche la valeur perlocutionnaire dépend
des circonstances d’énonciation et de l’auditeur, elle ne peut donc pas être
déterminée avec certitude.
a. Ferme la porte en sortant !
acte locutionnaire : le locuteur dit de fermer la fenêtre en sortant.
acte illocutionnaire exercitif : le locuteur ordonne de fermer la fenêtre.
acte perlocutionnaire possible : le locuteur persuade l’auditeur de fermer la
fenêtre.
b. Répète si tu oses !
acte locutionnaire : le locuteur dit à l’auditeur de répéter s’il ose.
acte illocutionnaire comportatif : le locuteur menace le destinataire.
acte perlocutionnaire possible : le locuteur effraie l’auditeur.
c. J’affirme que l’exercice n’est pas clair.
acte locutionnaire : le locuteur dit qu’il affirme que l’exercice n’est pas clair.
acte illocutionnaire expositif : le locuteur affirme que l’exercice n’est pas
clair.
acte perlocutionnaire possible : le locuteur conduit l’auditeur à clarifier
l’exercice.
d. Je vous condamne à la prison à perpétuité.
acte locutionnaire : le locuteur dit qu’il condamne l’auditeur à la prison à
perpétuité.
acte illocutionnaire verdictif : le locuteur produit un acte juridique de
condamnation.
acte perlocutionnaire possible : le locuteur plonge l’auditeur dans le
désespoir.
e. Bougez futé, allez à pied !
acte locutionnaire : le locuteur dit de bouger futé en allant à pied.
acte illocutionnaire exercitif : le locuteur conseille à l’auditeur de bouger futé
en allant à pied.
acte perlocutionnaire possible : le locuteur convainc l’auditeur de bouger futé
en allant à pied.
11.4.
Expliquer la distinction entre le marqueur de
force illocutionnaire et le marqueur de contenu
propositionnel à l’aide d’un exemple.
Selon Searle, les actes de langage sont composés par deux types de
constituants différents. Il y a d’une part le marqueur de contenu
propositionnel qui porte sur la proposition exprimée et d’autre part le
marqueur de force illocutionnaire qui sert à indiquer le type d’acte qui est
accompli. Comparons deux énoncés :
1. Je te promets de venir demain.
2. Je t’ordonne de venir demain.
Ces deux énoncés ont des contenus propositionnels proches, car ils
partagent le même acte de prédication (venir demain) mais avec des actes de
référence différents (locuteur vs auditeur). Leur contenu propositionnel est
donc respectivement « le locuteur vient demain » et « l’auditeur vient
demain ». En revanche, les marques de force illocutionnaire sont différentes.
Il s’agit dans un cas d’une promesse et dans l’autre d’un ordre (je te promets /
je t’ordonne). La distinction entre ces deux types de marques n’est visible que
dans les cas de performatifs explicites. En effet, dans le cas des performatifs
implicites, le marqueur de force illocutionnaire n’est pas exprimé
linguistiquement.
11.5.
Dire quels sont les actes de langage primaires
et secondaires réalisés par les énoncés ci-
dessous et expliquer comment le locuteur peut
comprendre l’acte primaire à partir de l’acte
secondaire dans chaque cas.
L’acte primaire est l’acte réalisé par l’énoncé et l’acte secondaire est l’acte
« de surface », qui permet de le véhiculer de manière indirecte. La transition
entre les deux se fait par référence à l’une des règles sémantiques
(préliminaire, essentielle, etc.) qui conditionne la réalisation de l’acte.
a. Sais-tu quelle heure il est ?
acte primaire : requête (Donne-moi l’heure)
acte secondaire : question
transition : interrogation de la capacité de l’auditeur à accomplir l’acte
b. Vous pourriez faire moins de bruit.
acte primaire : requête (Faites moins de bruit)
acte secondaire : assertion
transition : affirme la capacité de l’auditeur
c. J’aimerais bien que tu m’écoutes quand je te parle.
acte primaire : requête (Écoute-moi quand je te parle)
acte secondaire : assertion
transition : déclaration explicite de la volonté du locuteur
d. Tu devrais être plus poli avec ton père.
acte primaire : requête (Sois poli avec ton père)
acte secondaire : assertion
transition : indique l’opinion du locuteur, donc la raison d’accomplir l’acte
11.6.
Pourquoi peut-on conclure que les seuls vrais
actes de langage sont les actes représentatifs et
directifs ?
Les actes représentatifs et directifs sont les seuls vrais actes de langage,
car ils sont les seuls à dépendre uniquement de l’usage du langage (donc de la
pragmatique). Les actes déclaratifs (verdictifs chez Austin) et commissifs
(promissifs chez Austin) comportent une forte composante institutionnelle.
En effet, ils regroupent des actes tels que acquitter, condamner, prononcer,
décréter, pour les déclaratifs et promettre, faire vœu, garantir, jurer, etc.,
pour les promissifs. La réussite de ces actes nécessite qu’ils se produisent
dans un contexte bien spécifique et, dans le cas des déclaratifs, soient le fait
de locuteurs particuliers institutionnellement habilités à les réaliser. En ce qui
concerne la catégorie des expressifs (comportatifs chez Austin), ils intègrent
une forte composante sociale. En effet, il s’agit d’actes tels que s’excuser,
remercier, déplorer, critiquer, etc. Dans ce cas également, la réussite de
l’acte dépend de critères autres que strictement contextuels (par exemple
culturels).
11.7.
Dire si les exemples ci-dessous sont des actes
de dire que, dire de ou demander si.
a. Pardon, quelle heure est-il ? : il s’agit d’un acte de demander si, qui
véhicule une demande d’information.
b. Je me demande bien ce que j’ai fait pour mériter un étudiant pareil ! : il
s’agit d’un acte de dire que. Malgré la présence du verbe se demander, il ne
s’agit pas d’une question, au sens d’une demande d’information. La forme
impérative de la phrase n’en fait pas un ordre non plus. Il s’agit d’une
question rhétorique qui n’appelle pas de réponse.
c. Reviens ici tout de suite, sac-à-puces ! : Il s’agit d’un acte de dire de,
qui véhicule un ordre.
d. Qui a dit que les femmes ne savent pas faire de la linguistique ? : il
s’agit d’un acte de dire que, qui véhicule une fois encore une question
rhétorique plutôt qu’une demande d’information.
12. Chapitre 12 :
Pragmatique lexicale : expressions
référentielles, temps verbaux
et connecteurs
12.1.
Quelle est la différence entre la signification
descriptive et la signification procédurale ?
La notion de signification descriptive caractérise le type de signification
contenue dans les éléments du lexique qui servent à communiquer un concept
et dont la valeur sémantique est leur référence. Par exemple, le mot chat sert
à communiquer le concept CHAT, qui contient un certain nombre de
propriétés, comme celle d’avoir des moustaches et de chasser les souris. Le
mot chat dénote par ailleurs l’ensemble des chats du monde. De manière
générale, tous les mots qui appartiennent aux classes ouvertes du lexique
(cf. chapitre 10) encodent de l’information conceptuelle.
La signification procédurale est contenue dans les éléments du lexique qui
ne sont pas dotés d’une signification descriptive. Ces éléments appartiennent
typiquement aux classes fermées que sont les pronoms, les déterminants et
les connecteurs. Par exemple, le mot mais n’encode pas de concept, et il
serait certainement très difficile pour un locuteur de dire précisément ce que
ce mot signifie sans recourir à des exemples. Son rôle dans la phrase est
d’indiquer que les deux éléments qu’il relie sont en relation de contraste. De
même, le mot je ne signifie pas une personne en particulier mais désigne la
personne qui l’utilise. Ainsi, son rôle est d’indiquer à l’auditeur une
information qui pourrait être paraphrasée par : chercher le locuteur de la
phrase. Ce type d’information est appelée une procédure, car elle donne des
instructions sur la manière de traiter les éléments de la phrase. La
signification procédurale se retrouve également dans des contenus non
lexicaux comme les temps verbaux.
12.2.
Identifier les expressions lexicales et non
lexicales dans la phrase suivante : Je me sens
ici comme à la maison.
Signification lexicale : sentir, maison
Signification non lexicale : je, me, indicatif présent du verbe sentir, ici,
comme, à, la
12.3.
Chercher un exemple d’expression référentielle
autonome et non autonome.
Les expressions référentielles sont dites autonomes si leur signification
suffit, en contexte, à déterminer le référent qu’elles dénotent dans le monde.
Ainsi, des descriptions définies comme cet étudiant, des descriptions
indéfinies comme un arbre ainsi que des noms propres comme Pierre ou
Paris sont des expressions référentielles autonomes.
Les expressions référentielles sont dites non autonomes si leur
signification lexicale ne suffit pas pour déterminer le référent qu’elles
dénotent dans le monde. Ainsi, des pronoms déictiques comme tu, des
pronoms anaphoriques comme il dans Mon père est là, il va vous recevoir et
des termes vagues comme la blonde, le petit sont des exemples d’expressions
non autonomes.
12.4.
Chercher des exemples d’anaphore
pronominale, nominale et associative.
On parle d’anaphore lorsqu’un terme est utilisé pour reprendre une autre
expression nominale qui le précède et à laquelle il emprunte sa référence.
L’anaphore est pronominale lorsqu’une expression nominale est reprise
par un pronom comme dans l’exemple (1) ci-dessous. L’anaphore est
nominale lorsque l’expression nominale est reprise par une autre expression
nominale, comme en (2) ci-dessous. Enfin, l’anaphore est dite associative
lorsqu’il n’y a pas de coréférence entre les expressions mais une relation de
type partie-tout, comme en (3) ci-dessous.
1. Jean aime chanter. Il s’est inscrit à une chorale.
2. Le fils du voisin pleure tous les soirs. Cet enfant me rendra folle.
3. J’arrivais à la maison, la porte était ouverte.
Le fait de suivre l’ordre temporel comme en (1) crée une narration. Le fait
d’inverser l’ordre temporel crée un discours où le locuteur ne se contente pas
de relater une suite ordonnée d’événements mais fournit une explication de la
relation qui existe entre eux (causalité).
12.6.
Comment les temps verbaux influencent-ils
l’ordre temporel dans le discours ?
Dans une approche pragmatique, les temps verbaux encodent des
procédures qui donnent des indications sur la manière dont les événements
sont reliés dans le discours. On parle d’inférence en avant si le temps avance,
d’inférence en arrière si les événements sont présentés dans l’ordre inverse à
l’ordre temporel (le temps recule en quelque sorte) et d’inférence statique si
le temps n’avance pas. Par défaut, le passé simple implique une inférence en
avant, le plus-que-parfait une inférence en arrière et l’imparfait une inférence
statique.
Toutefois, la grande différence entre l’approche pragmatique et les autres
approches (aspectuelle et anaphorique) tient au fait que l’information fournie
par les temps verbaux ne représente qu’un indice qui doit être complété par
d’autres informations linguistiques et contextuelles pour déterminer la
direction du discours. Qui plus est, les temps verbaux sont des marques dites
faibles. En effet, si les informations qu’ils donnent sont contredites par
d’autres informations, ce sont ces informations qui déterminent au final
l’ordre du discours. Par exemple, on remarque qu’en (1) ci-dessous,
l’information donnée par le connecteur l’emporte sur celle fournie par les
temps verbaux.
1. Max fut malade parce qu’il mangea trop.
Dans cet exemple, le passé simple tend à indiquer que le temps avance
(inférence en avant), mais le connecteur parce que est associé à une inversion
temporelle (inférence en arrière).
L’analyse pragmatique a également pour avantage d’expliquer pourquoi
certains discours semblent plus efficaces (ou optimaux) que d’autres. Dans le
cas où les indices concordent, le discours est optimal. Lorsqu’il y a
contradiction entre les différentes marques temporelles comme en (1), le
discours devient sous-optimal.
12.8.
Pourquoi les connecteurs sont-ils des marques
procédurales ?
L’hypothèse faite par les approches pragmatiques de la signification est
que les connecteurs pragmatiques, à l’instar des expressions référentielles
non autonomes et des temps verbaux, encodent de l’information procédurale.
Ainsi, leur signification est une procédure qui indique à l’auditeur comment
relier les segments discursifs.
Par exemple, la procédure encodée par parce que pourrait être paraphrasée
comme suit : chercher une relation de causalité entre les segments reliés.
Dans le cas de mais, la procédure tiendrait en plusieurs étapes : (i) chercher
une conclusion inférable à partir du segment qui précède le connecteur, (ii)
chercher une conclusion inverse à la première à partir du segment qui suit le
connecteur, (iii) choisir cette dernière conclusion au détriment de la première.
13. Chapitre 13 :
Questions de style : métaphore,
métonymie et ironie
13.1.
Donner deux exemples qui illustrent
la différence entre métaphore ordinaire
et métaphore créative.
La métaphore ordinaire est une métaphore utilisée de manière tellement
récurrente que sa signification s’est pratiquement lexicalisée, si bien que son
caractère métaphorique n’apparaît plus toujours de manière évidente pour les
locuteurs. C’est le cas de métaphores comme Jeanne est une perle ou la
Bourse a coulé depuis hier. Par ailleurs, ces métaphores ont la propriété
d’être facilement paraphrasables. Par exemple, Jeanne est une perle peut être
paraphrasé par Jeanne est une personne qui allie de très nombreuses qualités.
La métaphore créative sert au contraire à exploiter le principe de la
métaphore (l’attribution d’une propriété saillante d’un concept à un référent
qui n’entre pas habituellement dans sa dénotation) pour créer une
signification totalement inédite. Par exemple, une métaphore comme cette
thèse est mon mont Everest est créative, car la comparaison implicite qu’elle
introduit n’est pas lexicalisée. Toutefois, cette absence de lexicalisation
n’empêche pas l’auditeur d’en tirer une série d’implicatures (on parle dans ce
cas d’implicatures faibles, cf. ci-dessous). Contrairement aux métaphores
ordinaires, ce deuxième type de métaphores n’est pas aisément paraphrasable.
Elles sont très fréquentes dans les œuvres littéraires, car elles permettent de
surprendre le lecteur et de créer du plaisir.
13.2.
En quoi la notion de ressemblance interprétative
est-elle importante pour comprendre
l’interprétation des métaphores ?
La notion de ressemblance interprétative est fondamentale pour
comprendre l’interprétation des métaphores, car elle permet d’inclure ces
dernières dans le processus général d’interprétation de tout énoncé (littéral et
non littéral). En effet, dans le cadre d’une théorie pragmatique, tout énoncé se
trouve dans une relation de ressemblance avec la pensée que le locuteur
souhaite communiquer. En d’autres termes, elle est une représentation plus au
moins fidèle de cette dernière. Étant donné que cette ressemblance n’est que
rarement totale, on comprend dès lors pourquoi la communication est en
grande partie non littérale plutôt que littérale.
Dans cette optique, la métaphore ne représente qu’un degré particulier de
ressemblance interprétative, qui est moins grande que dans le cas d’une
approximation, par exemple. Toutefois, cette ressemblance n’est pas nulle,
raison pour laquelle il est tout de même possible pour l’auditeur de
comprendre le vouloir dire du locuteur. Notons encore que dans une théorie
pragmatique, il n’existe pas de différence qualitative entre l’interprétation
d’une métaphore, d’une hyperbole ou d’une approximation. Il s’agit de
l’application d’un même processus, mais à des degrés divers.
13.3.
Quelle est la différence entre une implicature
forte et une implicature faible ?
De nombreux énoncés communiquent fortement un seul contenu implicite.
Par exemple, l’énoncé (1) adressé à quelqu’un qui se trouve devant une
fenêtre ouverte implicite fortement (2). L’auditeur peut ainsi légitimement
attribuer le sens de (2) au locuteur qui lui a communiqué (1).
1. Il fait froid ici.
2. J’aimerais que tu fermes la fenêtre.
13.4.
En quoi la métonymie est-elle différente
de la métaphore ?
La métaphore consiste à utiliser une propriété d’un concept saillante en
contexte et à appliquer cette propriété à un autre référent, qui n’entre pas dans
la dénotation encodée linguistiquement dans le mot. Par exemple, dans la
métaphore Sarah est un glaçon, la propriété être froid est appliquée à un
référent (Sarah) qui n’entre pas dans la dénotation du mot glaçon. En effet,
les autres propriétés du concept GLAÇON (constitué d’eau, sert à refroidir
une boisson) ne s’appliquent pas à Sarah. C’est cette extension du concept à
un nombre plus important de référents que ceux qui entrent dans la
dénotation du concept encodé linguistiquement qui permet de traiter la
métaphore comme un cas d’enrichissement pragmatique par élargissement
(cf. chapitre 2).
Dans la métonymie, ce n’est pas une propriété d’un concept qui est
appliquée à un autre référent que ceux qui entrent dans sa dénotation mais le
nom d’un référent qui est utilisé pour désigner un autre référent, en vertu du
lien qui connecte leurs espaces mentaux respectifs. Par exemple, il existe un
lien entre le propriétaire d’un objet et cet objet. C’est pourquoi, le nom du
propriétaire peut être utilisé pour faire référence à l’objet, comme dans le
quatre-quatre m’a encore fait une queue de poisson.
13.5.
Comment peut-on expliquer la possibilité
ou l’impossibilité des reprises anaphoriques
ci‑dessous selon la théorie des espaces
mentaux ?
1. La coccinelle a encore eu un accident. Elle n’est pas très solide.
2. *Le cappuccino demande l’addition. Il était bien mousseux cette
fois-ci.
13.6.
Donner un exemple qui illustre la différence
entre usage descriptif et usage interprétatif
du langage.
L’usage descriptif du langage sert à décrire un état de choses dans le
monde comme en (1). L’usage interprétatif sert à reproduire un énoncé ou
une pensée comme en (2).
1. Regarde le ciel, il va pleuvoir demain.
2. Selon le journal, il va pleuvoir demain.
13.7.
Comment la théorie pragmatique de l’ironie
explique-t-elle que seule la réponse (1) peut
être interprétée comme une marque d’ironie ?
Pierre : La solution à ce problème est vraiment triviale, je l’ai trouvée en
deux minutes.
Luc : (1) Alors donne-moi la solution, puisque tu es si malin.
(2) Alors donne-moi la solution, puisque tu l’as déjà trouvée.
(3) Alors donne-moi la solution, parce que tu commences à
m’énerver.
Pour qu’un énoncé soit interprété comme une marque d’ironie, il doit
remplir deux conditions. Premièrement, il doit pouvoir être interprété comme
une forme d’écho. Deuxièmement, il doit véhiculer une attitude tacitement
dissociative du locuteur vis-à-vis de la proposition à laquelle il fait écho.
Seule la réponse en (1) remplit ces deux conditions. En effet, Luc attribue
à Pierre la pensée selon laquelle il est plus malin que les autres et montre son
désaccord tacite face à cette affirmation. La réponse (2) peut également être
interprétée de manière échoïque. En effet, Luc fait écho à l’énoncé de Pierre,
qui affirme avoir trouvé la solution du problème en deux minutes. Toutefois,
Luc ne montre pas une attitude dissociative vis-à-vis de cette information, il
l’accepte de manière neutre. Quant à la réponse (3), Luc montre bien une
attitude de désapprobation, mais son énoncé ne fait pas écho à un énoncé ou
une pensée de Pierre. Il indique sa propre évaluation de l’attitude de Pierre.
C’est pour cette raison que la réponse (3) peut être comprise comme une
critique, mais pas comme une marque d’ironie.
14. Chapitre 14 :
Implicatures
14.1.
Quels sont les différents types d’implicatures
selon Grice ?
Grice a tout d’abord fait une distinction entre les implicatures
conventionnelles et les implicatures conversationnelles. Les implicatures
conversationnelles sont ainsi nommées parce qu’elles sont liées à l’utilisation
ou à la transgression manifeste des maximes de la conversation, comme le
fait de donner autant d’informations que nécessaire, de ne pas donner
d’informations inutiles, etc. Par exemple, si un étudiant travaille dans une
salle de cours vide et qu’un professeur entre et lui dit : « mon cours
commence dans cinq minutes », l’étudiant en conclura que cette phrase
contient une information pertinente pour lui, notamment le fait que le cours
aura lieu dans la salle où il travaille et qu’il est donc prié de sortir. Les
implicatures conventionnelles sont liées à l’usage de certains mots
particuliers comme les connecteurs pragmatiques mais, donc, etc. Ainsi,
l’énoncé « il est tard, donc je vais me coucher » déclenche l’implicature
conventionnelle selon laquelle le fait qu’il est tard est la raison d’aller se
coucher.
Parmi les implicatures conversationnelles, Grice a opéré une deuxième
distinction entre les implicatures généralisées et les implicatures particulières.
Les premières sont dérivées quel que soit le contexte de communication,
alors que l’interprétation des secondes dépend crucialement du contexte. Par
exemple, si un professeur annonce : « certains des étudiants ont passé
l’examen », les étudiants pourront en conclure que tous n’ont pas réussi. Il
s’agit d’une implicature généralisée liée à l’usage du quantifieur certains.
Cette implicature est donc toujours déclenchée, quel que soit le contexte de
communication. En revanche, l’implicature déclenchée par l’énoncé du
professeur qui annonce que son cours commence dans cinq minutes dépend
crucialement du contexte. En effet, ce même énoncé prononcé par le même
professeur à l’adresse d’un collègue croisé à la cafétéria provoquerait une
implicature différente, par exemple le fait qu’il n’a pas le temps de s’arrêter
pour discuter.
14.2.
Quel est le critère permettant de différencier les
implicatures des implications et des
présuppositions ?
Rappelons pour commencer que les présuppositions sont des informations
d’arrière-plan, qui ne peuvent pas être questionnées ou niées. Par exemple,
dire que Jean a arrêté de fumer présuppose que Jean a fumé par le passé. Si
cette assertion est transformée en question, par exemple « Pourquoi Jean a-t-il
arrêté de fumer ? » ou niée « Jean n’a pas arrêté de fumer », la présupposition
est conservée dans les deux cas. Les présuppositions sont déclenchées par des
expressions linguistiques, par exemple ici le verbe arrêter. Les implicatures
conventionnelles se rapprochent des présuppositions, car elles sont aussi
attachées à l’usage de mots spécifiques. Toutefois, contrairement aux
présuppositions, les implicatures conventionnelles ne contiennent pas
d’informations d’arrière-plan mais des informations qui font partie du
contenu asserté et qui peuvent être nouvelles pour l’interlocuteur. Par
exemple, ces implicatures peuvent être liées à l’usage d’une proposition
relative explicative, comme : « Jean, qui est un grand fan de foot, a pris un
abonnement saison pour tous les matchs ». L’information selon laquelle Jean
est un fan de foot, qui est une implicature conventionnelle, est annoncée à
l’interlocuteur, ce qui n’est jamais le cas d’une présupposition.
14.3.
Quel est le rôle des maximes de conversation
dans le calcul des implicatures ?
Pour Grice, si les conversations réussissent, c’est parce que les locuteurs
respectent le principe de coopération. Ce principe veut que les locuteurs
fassent de leur mieux pour aider leurs interlocuteurs à comprendre leur
message. Grice précise la manière dont les locuteurs coopèrent en déclinant
neuf maximes de la conversation, qui sont suivies lors de la communication.
Ces maximes indiquent que les locuteurs donnent suffisamment
d’informations pour être compris mais pas trop, qu’ils disent la vérité, disent
des choses pertinentes et sont clairs. Par exemple, un locuteur qui indique une
personne par l’expression « la fille au pull rose » donnerait suffisamment
d’informations s’il n’y avait qu’une personne avec un pull rose dans
l’environnement immédiat de la conversation. Dans cette même situation,
ajouter « la fille au pull rose avec trois petits traits mauves en bas » serait
moins approprié car cette information supplémentaire n’est pas justifiée par
les besoins de la communication. La maxime de pertinence peut être illustrée
par l’exemple du professeur qui demande à un étudiant de sortir en lui
disant : « mon cours commence dans cinq minutes », comme nous l’avons vu
plus haut. Pour dériver l’implicature lui permettant de comprendre que le
professeur lui demande de sortir, l’étudiant doit partir du principe que ce
dernier lui dit quelque chose de pertinent pour lui. Enfin, la maxime de clarté
implique de dire les choses de manière aussi claire et logique que possible.
Par exemple, si une femme annonce : « l’homme au chapeau gris arrive »,
son interlocuteur pourra en conclure qu’il ne s’agit pas de son mari, car cette
expression serait un moyen très bizarre de se référer à lui.
14.4.
Pourquoi Grice prévoit-il aussi la possibilité que
les maximes puissent être transgressées de
manière manifeste ?
Dans certains contextes de communication, un locuteur peut transgresser
volontairement une maxime pour produire certains effets. Notamment, la
maxime de vérité se remarque particulièrement lorsqu’elle n’est pas suivie
mais transgressée de manière très évidente. Par exemple, si un locuteur
s’écrie : « félicitations ! » lorsque quelqu’un s’est manifestement mal
comporté, l’effet produit est ironique. Toutefois, il ne s’agit clairement pas
d’un cas de mensonge, car l’intention du locuteur est que son interlocuteur
reconnaissance la fausseté de son énoncé.
14.5.
Quels sont les critères permettant de distinguer
les implicatures conversationnelles des
implicatures conventionnelles ?
L’une des principales différences entre ces deux types d’implicatures est
que les implicatures conversationnelles peuvent être annulées alors que les
implicatures conventionnelles, de par leur ancrage dans certains mots, ne le
peuvent pas. Par exemple, le professeur de notre exemple aurait pu continuer
sa phrase en disant « le cours commence dans cinq minutes mais vous êtes le
bienvenu si vous voulez rester ». En revanche, il n’est pas possible de
continuer l’autre exemple en disant « il est tard donc je vais me coucher, mais
ce n’est pas la raison pour laquelle je vais me coucher ». Une deuxième
différence tient au fait que la dérivation des implicatures conversationnelles
fait intervenir les étapes définies par Grice (le locuteur a dit que P, etc.) la
dérivation des implicatures conventionnelles n’est pas obtenue par un tel
raisonnement mais de par leur signification. En effet, ces implicatures ont une
signification conventionnelle ancrée dans la langue, et elles dépendent de la
signification des phrases. En revanche, les implicatures conversationnelles
dépendent de l’énonciation d’une phrase par un locuteur dans un contexte
particulier. Ce dernier point amène une autre distinction : du fait de leur
dépendance au contexte, les implicatures conversationnelles sont
indéterminées, alors que les implicatures conventionnelles sont déterminées
par la signification des mots qui les véhiculent.
14.6.
Quelles sont les propriétés des implicatures
conventionnelles selon Potts ?
Potts a repris et étendu la définition des implicatures conventionnelles de
Grice. Dans cette approche, les implicatures conventionnelles possèdent deux
propriétés fondamentales. Premièrement, elles sont « anti-arrière-plan » ce
qui signifie qu’elles présentent des informations nouvelles et qui font partie
du contenu asserté et pris en charge par le locuteur. Qui plus est, elles sont
orientées sujet, ce qui signifie qu’elles contiennent des informations
subjectives qui dénotent par exemple l’état d’esprit du locuteur.
15. Chapitre 15 :
Sociolinguistique
15.1.
Pourquoi la notion de variation est-elle centrale
en sociolinguistique ?
La notion de variation est centrale pour la sociolinguistique, car cette
discipline rejette l’idée de norme unique qui régirait l’usage du langage. La
sociolinguistique s’est formée sur l’observation que différents groupes de
locuteurs utilisent différentes normes linguistiques pour communiquer entre
eux. Du fait qu’un locuteur appartient dans les faits à différents groupes
(professionnels, familiaux, etc.), les normes utilisées sont aussi variables pour
une même personne selon les situations de communication.
15.2.
Qu’appelle-t-on un changement en cours et en
quoi cette notion est-elle liée à celle de
variation ?
La notion de changement en cours vient de l’observation selon laquelle les
langues vivantes ne sont jamais totalement stables, à aucun moment de leur
histoire. Il existe toujours certains éléments qui sont en cours de changement
à un moment donné. Les changements en cours prennent la forme de
variantes stylistiques d’une forme déjà existante dans la langue. Ces
nouvelles formes, qui apparaissent en général dans des discours oraux et
informels, finissent par se transmettre à d’autres situations de communication
puis à remplacer complètement l’ancienne norme. C’est pourquoi, l’étude des
variations permet aussi de détecter d’éventuels changements en cours de
réalisation.
15.3.
Quelles sont les dimensions du langage qui
varient le plus entre les régions ?
De manière générale, le lexique est la composante du langage qui connaît
le plus de variations entre les régions. Comme nous l’avons vu dans ce
chapitre, il existe de nombreux mots régionaux pour désigner des objets et
situations du quotidien. C’est aussi le lexique d’une langue qui se renouvelle
le plus rapidement, au gré des modes et des évolutions sociales et
technologiques. Les changements phonologiques et syntaxiques, qui touchent
la structure même de la langue, sont plus limités et lents à se réaliser.
Toutefois, comme nous l’avons vu, ces changements se produisent également
dans une certaine mesure. Il arrive même qu’une langue connaisse un
changement syntaxique radical, comme l’ordre canonique des mots, qui peut
par exemple passer de la forme Sujet-Objet-Verbe à Sujet-Verbe-Objet. Les
changements dans la structure d’une langue sont d’autant plus lents et
modérés qu’il s’agit d’une langue normée et à forte tradition écrite comme le
français. Dans les langues orales, les changements se produisent beaucoup
plus rapidement.
15.4.
Quelles sont les principales sources des
différences régionales ?
Les différences régionales proviennent principalement de deux sources.
D’une part, il s’agit souvent de normes qui ont été partagées par la
communauté linguistique, puis qu’une partie de la communauté a
abandonnées alors qu’une autre les a conservées. Bien souvent, les
innovations viennent des régions où est parlée la variété considérée comme
standard. Les régions périphériques tendent à être plus conservatrices avec la
langue. L’autre grande source de variations régionales vient des contacts qui
touchent une partie seulement de la communauté linguistique. Ces contacts
donnent en effet lieu à des emprunts qui sont utilisés localement. Dans le cas
du français, nous avons notamment vu que selon les régions, ces contacts
peuvent venir du néerlandais (en Belgique), de l’Allemand (en Suisse mais
aussi dans les régions françaises voisines de l’Allemagne), du Breton ou
encore un Catalan. Au Canada, le français connaît de nombreux emprunts à
l’anglais, contre lesquels des commissions locales de terminologie tentent de
lutter en proposant des équivalents français.
15.5.
Qu’appelle-t-on la dialectologie perceptuelle ?
La dialectologie perceptuelle est une branche de la dialectologie qui vise à
étudier les représentations qu’ont les locuteurs d’une variété linguistique
plutôt que d’étudier les propriétés linguistiques (phonologiques, lexicales,
etc.) de cette variété. Par exemple, la dialectologie perceptuelle s’intéresse à
la manière dont les locuteurs perçoivent différents accents ou caractéristiques
régionales. Ces représentations ne correspondent pas toujours à une réalité
scientifique, car parfois les locuteurs ont des appréciations différentes de
variétés qu’ils ne sont pas capables de différencier lorsqu’on leur en fait
écouter des extraits. Ces études sont toutefois très utiles pour comprendre les
stéréotypes qui sont associés à différentes variétés, car ces derniers sont
souvent partagés par les locuteurs eux-mêmes d’une variété, et influencent
leur manière d’utiliser la langue.
15.6.
Qu’appelle-t-on l’insécurité linguistique et en
quoi cette notion est-elle liée à la notion de
variation ?
La notion d’insécurité linguistique désigne le sentiment qu’ont certains
locuteurs que la variété de langue qu’ils parlent s’éloigne de la norme
standard de leur langue et n’est de ce fait pas correcte. Souvent, les locuteurs
des régions périphériques savent que leur variété est considérée comme
moins correcte que la variété standard par les locuteurs de cette dernière, ce
qui crée un sentiment d’insécurité linguistique les empêchant d’innover.
C’est pourquoi, de nombreux régionalismes sont des normes vieillies qui
perdurent dans les régions périphériques. Ainsi, l’insécurité linguistique est
motivée par l’existence de variations dans les normes utilisées par différents
groupes de locuteurs et la manière dont ces variations sont perçues par les
locuteurs de la variété standard.
Index
A
Académie française, 79
acquisition du langage, 26, 125, 170
acte de langage, 47, 182
illocutionnaire, 182
locutionnaire, 181
perlocutionnaire, 182
primaire, 186
propositionnel, 184
secondaire, 186
acte illocutionnaire, 182
affixe, 119
allomorphe, 117
alphabet phonétique international, 104
amorçage (paradigme de l’), 126
anaphore, 197
antonymie, 170
arbitraire du signe, 31, 90
argument (de la phrase), 165
aspect lexical, 172
attitude propositionnelle, 47
autisme, 24
B
basque, 75
C
Cantilène de Sainte Eulalie, 82
carré logique, 230
catégorie grammaticale, 134
lexicale, 136
non lexicale, 136
catégorie sémantique, 165
changement en cours, 239
classe aspectuelle, 172
coercion, 176
communication,
animale, 29, 54
non littérale, 37
ostensive-inférentielle, 42, 93, 132
compétence, 93
complément, 140
complémentarité (relation de), 171
complémenteur, 156
comportementalisme, 92
composition, 121
populaire, 121
savante, 121
computation syntaxique, 142
concept, 90
connecteur pragmatique, 202, 227
consonne, 106
constrictive, 106
du français, 74, 109
occlusive, 106
sonore, 107
sourde, 107
constatif, 180
conversion, 123
créole, 56
D
dérivation, 119
désinence, 119
déterminant (syntagme), 154
dialectologie, 242
dialectologie perceptuelle, 247
diversification linguistique, 58
E
effet cognitif, 50, 50
effet poétique, 212
effort cognitif, 50, 50
élargissement, 49, 210
enchaînement, 113
énoncé, 104
enrichissement pragmatique, 45
espaces mentaux, 212
évolution des langues, 240
explicitation,
basique, 46
d’ordre supérieur, 47
expression référentielle, 195, 233
F
faculté de langage, 26, 95
famille de langues, 59, 61
flexion, 119
fonction grammaticale, 138
fonction sémantique, 139
force illocutionnaire, 46
forme propositionnelle, 48
français des banlieues, 241
franco-provençal, 76
francophonie, 83
G
gaulois, 76
Gloses, 81
grammaire générative, 92, 96
grammaire universelle, 95
H
holonyme, 168
homonymie, 175
hyperonyme, 167
hyponymie, 167
I
idiome, 122
image acoustique, 90
implication, 227
contextuelle, 235
implicature, 47, 221
conventionnelle, 227
conversationnelle, 224
faible, 235
généralisée, 225
particulière, 225
indice (de communication), 29
inférence, 38
directionnelle, 201
information d’arrière-plan, 233
insécurité linguistique, 248
intention communicative, 42, 223
intention informative, 42, 223
ironie, 38, 215
J
jugement de grammaticalité, 94
L
langue auxiliaire, 56
langue des signes, 25, 31, 55
langue externe (Chomsky), 94
langue interne (Chomsky), 92, 94
langue régionale, 237
langue (Saussure), 87
langue vernaculaire, 56
langues d’oc, 76
langues d’oïl, 76
langues en danger, 64
langues indo-européennes, 65
langues romanes, 71
latin vulgaire, 77
lemme, 119
lexique, 123
liaison, 113
lieu d’articulation, 107
linguistique diachronique, 89
linguistique externe (Saussure), 87
linguistique interne (Saussure), 87
linguistique synchronique, 89
M
maxime de conversation, 221
maximes de conversation,
manière, 223
méronymie, 168
métaphore, 38, 210
métonymie, 38, 212
mode d’articulation, 106
modèle de l’inférence, 41
modèle du code, 40
morphème, 115
libre, 117
lié, 117
morphologie, 115
mot composé, 121
mot valise, 122
mots logiques, 231
mouvement (syntaxique), 152
multilinguisme, 237
N
niveau de base (des catégories), 168
nom,
comptable, 172
massif, 172
normes (grammaticales), 129, 145
O
ordonnance de Villers-Cotterêts, 78
ordre temporel, 198
P
paradoxe de l’imperfectif, 173
parallélisme logico-grammatical, 130
parole (Saussure), 87
performance, 93
performatif, 180
pertinence, 39
principe cognitif, 50
principe communicatif, 50
théorie de la −, 49
phonème, 103, 110
commutation de −, 111
paires minimales, 111
permutation de −, 111
phonétique articulatoire, 106
phonologie, 28, 110
suprasegmentale, 112
phrase, 43, 102
complexe, 156
simple, 150
phylogénèse, 26
pidgin, 56
politique linguistique, 237
polysémie, 169, 175
pragmatique, 179
prédicat, 165
préfixe, 119
de dérivation, 120
présomption de littéralité, 209
présupposition, 233
principe de coopération, 223
principe d’exprimabilité, 184
principes et paramètres, 96
proto-langage, 54
purisme, 131
Q
qualité, 223
quantité, 223
R
radical, 117
référence, 195
actuelle, 196
virtuelle, 196
référent, 169
régionalisme, 246
registre (de langue), 239
relation, 223
relation paradigmatique, 91
relation syntagmatique, 91
relatives (phrases), 159
rhétorique, 207
S
sémantique, 28
compositionnelle, 165
lexicale, 167
semi-voyelle, 108
du français, 108
sémiologie, 90
Serments de Strasbourg, 80
signal (de communication), 29
signe (de communication), 30
signe (linguistique), 90
signifiant, 90
signification naturelle, 221
signification non naturelle, 222
signification procédurale, 194, 235
signifié, 90
singes vervet, 29
sociolecte, 240
sociolinguistique, 237
spécification, 48
spécifieur, 140
structuralisme, 86
structure argumentale, 137
suffixe, 119
de dérivation, 120
de flexion, 119
syllabe, 108
synonymie, 169
syntagme, 103, 140
syntaxe, 28
système (de la langue), 88
T
télicité, 174
test de la performativité, 181
Théorie de la Pertinence, 223
théorie de l’esprit, 24
transcatégorisation, 123
troncation, 122
trou lexical, 124
U
universaux du langage, 95
usage descriptif du langage, 217
usage interprétatif du langage, 217
V
valence, 137
valeur (d’un signe), 91
variation, 240
vériconditionalité,
vériconditionnel, 227
voyelle, 107, 244
à double timbre, 244
du français, 74, 108
nasale, 107
orale, 107