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En code rouge (au moins jusqu’à mars), podcast et séance de questions/réponses le 26/02. En code
orange, podcast le lundi et présentiel (avec enregistrement) le vendredi.
Support de cours : syllabus + podcasts + lectures. Syllabus va être dispo sur l’UV, il sera chapitre par
chapitre. Ces syllabus seront matière d’examen. La lecture obligatoire est En quête de respect, Le
crack à New-York, de Philippe Bourgeois. En général, 1/3 des questions portent sur le livre. En lisant,
faire un résumé des concepts, dynamiques, grandes idées, etc et faire le lien avec le cours (quels
paradigmes par exemple).
Plan du cours :
L’examen est un QCM de 30 questions sur le cours et les lectures, avec points négatifs. Voir les
objectifs du cours.
L’anthropologie s’est développée en tant que discipline à la période de la colonisation, pour essayer
de comprendre les peuples soumis. Ici, on va essayer de comprendre à quoi s’attache cette science.
L’objet de l’anthropologie consiste à opérer une traduction entre différents groupes, entre
différentes langues.
De manière générale, l’anthropologie est un discours sur l’être humain (étymologie grecque), et elle
possède deux grandes sous-disciplines : l’anthropologie physique (caractéristiques morphologiques
du corps humain, met en évidence la diversité de l’espèce) et l’anthropologie sociale et culturelle
(s’intéresse à l’universalité de l’existence, aux phénomènes universaux peu importe d’où on vient et
où on habite, concerne la diversité des pratiques humaines, appréhende l’humain en tant qu’être
social). Ex : Claude Lévi-Strauss a étudié l’inceste qui est présent dans toutes les sociétés, et il montre
que les parents proches sont définis de manière différente selon les sociétés. En Egypte,
Toutankhamon a épousé sa demi-sœur, ce qui serait interdit chez nous.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Dans la tradition française, Lévi-Strauss propose une distinction entre les différents niveaux de
généralités dans la comparaison faite par l’anthropologue. On a :
- L’ethnographie : porte sur une ethnie particulière qu’on étudie dans toutes ses composantes
(économie, champ religieux, politique…)
- L’ethnologie : on propose une comparaison entre ethnies (= groupes humains) d’une même
région
- L’anthropologie : propose une réflexion sur les universaux de la vie sociale humaine, elle
compare les différentes ethnies qui viennent d’une région différente.
Tout le monde n’accepte pas ces différentes approches, notamment celle de l’anthropologie.
L’anthropologie appliquée étudie des problèmes sociaux données et essaie d’y apporter des
réponses. Elle est plus proche des intérêts des acteurs car elle répond à des problèmes sociaux, elle
vise à solutionner un problème qui a été définit.
Cette anthropologie appliquée pose des problèmes heuristiques (= qui est utile à la découverte de
faits et de théories, pose question sur la validité des écrits basés sur des études appliquées, quand on
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2020-2021 Clémence Lefèvre
travaille pour une organisation c’est difficile de la critiquer), éthiques et politiques (un anthropologue
doit se poser des questions sur l’utilisation de ses connaissances). Deux approches existent :
l’approche inductive et l’approche déductive (vois syllabus).
La chercheuse s’intéresse au sens du mot « carne » (= viande) au Guatemala. Elle examine la manière
dont le mot est utilisé et pratiqué grâce à 16 mois passées sur le terrain. Ce mot est beaucoup plus
multiforme que ce que sa traduction laisse penser. Il désigne non seulement la viande d’origine
animale mais aussi la chair du soja, du maïs, des animaux. En réalité, ce mot fait référence à tout un
ensemble de choses que l’on ne pourrait pas traduire par « viande » en français. Les catégories ne
varient pas en fonction de l’essence des choses mais sont des catégories construites dans et par
l’action.
Au-delà des systèmes linguistiques, ce sont bien des modèles d’actions et des systèmes de
représentations qui sont comparés et discutés en anthropologie. Ce sont de ces façons de pensée et
de vivre que s’attachent à décrire les anthropologues. Le caractère de la traduction est assez difficile
et imparfait car il est toujours limité. Il faut traduire le langage culturel quand on est anthropologue.
Un autre chercheur, La Cecla, souligne dans son ouvrage que toute rencontre interculturelle est
basée sur un malentendu qui permet la rencontre, car sans lui on ne pourrait pas créer de lien.
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Une auteure, Despret, parle dans son ouvrage de « version ». Elle considère que la tâche d’un
ethnologue est de mettre en dialogue différentes versions d’un fait donné. Elle montre que les
versions impliquent une multiplicité (il en existe plusieurs) et qu’elles se construisent grâce à une
autre version. Ce n’est pas pour autant que toutes les versions sont équivalentes, elles sont en
interaction constante. De plus, les versions sont toujours en construction, en devenir. Chaque
version, pour elle, propose un mode d’émotion particulier. En anthropologie, il s’agit de proposer des
versions sur l’existence, qui sont à la fois proches et lointaines. Etudier ces versions, c’est également
créer un devenir possible. En effet, quand on s’intéresse à d’autres versions que notre version
personnelle, cela permet de cultiver la curiosité et de s’interroger sur soi-même en miroir.
L’histoire de l’homme qui partage son héritage, ses chameaux, entre ses trois fils, montre la richesse
performative du dialogue interculturel. En effet, un élément extérieur (chameau du vieux sage) à
aider à la résolution du problème sans toutefois être réellement utile (le chameau lui est rendu).
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On parle d’un changement dans l’appréhension du savoir sur les autres. L’anthropologie est difficile à
définir sur son objet, donc on la définit par sa méthode (= manière de produire des connaissances).
Cette méthode vise à saisir les rouages de la vie humaine depuis la perspective des personnes
étudiées. Il s’agit de comprendre par le bas comment vivent les personnes qu’on étudie. Cette
méthode est appelée l’ethnographie puisqu’elle se rapporte à une enquête de terrain qui implique
l’immersion du chercheur. Ce travail ethnographique se fonde sur un mode d’observation
participante. Ce terme date des années 1930 et est né à Chicago.
En réalité, cette observation participante qui est liée à l’anthropologie de terrain apparait à la fin du
19ème siècle. Avant, on parlait d’anthropologie de salon : les anthropologues allaient réfléchir depuis
chez eux sur des gens qui n’habitaient pas ici mais dans un autre pays. Ces connaissances étaient
basées sur des rencontres avec des personnes conviées dans leur bureau ou sur des écrits d’auteurs
qui ont voyagé dans un pays particulier. Cette approche a été critiquée car elle minimise les enjeux
de pouvoir lors de la passation des questionnaires et ne prend pas en compte les effets de
traduction.
Bronislaw Malinowski, polonais d’origine, est le premier à théoriser la méthode de recueil d’infos
fondé sur des enquêtes de terrain en anthropologie. Il a un parcours scientifique multidisciplinaire.
En 1910, il rédige une thèse d’anthropologie qui porte sur les échanges dans les îles Trobriand. Il y
fait plusieurs séjours et y passe 30 mois au total (il est en fait exilé là-bas). Cela lui permet d’étudier
la Kula (système de brassard et de colliers en coquillages). En 1922, il publie Les Argonautes du
Pacifique Occidental, ouvrage issu de sa thèse dans lequel il développe les principes de l’observation
participante. Il met en évidence des règles et des principes de terrain qui doivent être réalisés par un
anthropologue pour obtenir des données scientifiques valides. Ces trois principes sont l’immersion, la
participation et la coupure épistémologique. Encore aujourd’hui, ils sont très utilisés et servent de
canon, sorte de référence pour tous les anthropologues. Malinowski devient alors un père fondateur
de l’anthropologie britannique.
2.1.1 Immersion
Malinowski demande que le chercheur s’intègre dans le groupe social qu’il étudie. A cela s’associe
l’apprentissage linguistique de la langue locale.
L’immersion de longue durée doit être associée à une coupure de liens sociaux avec les occidentaux,
pour pouvoir créer de nouvelles relations sociales avec les personnes locales.
« Conditions propres au travail ethnographique. Elles consistent surtout, nous venons de le dire, à se
couper de la société des Blancs et à rester le plus possible en contact étroit avec les indigènes, ce qui
ne peut se faire que si l’on parvient à camper dans leurs villages. [… ] Et par ces relations naturelles
qui se trouvent ainsi créées, vous apprenez à connaître votre entourage, à vous familiariser avec ses
mœurs et ses croyances, cent fois mieux que si vous vous en rapportiez à un informateur rétribué et
dont les comptes rendus manquent souvent d’intérêt » . (Malinowski, 1989 : 63)
Ici, il dit qu’il faut créer une sorte d’amitié avec les locaux, et ces amitiés doivent permettre de
s’intégrer dans le groupe social et d’assister à la vie quotidienne (et à y participer). Cette notion crée
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des débats au niveau éthique, car l’objectif premier de l’anthropologue reste de collecter des
informations, il ne doit donc pas instrumentaliser les personnes avec qui il discute.
2.1.2 Participation
Il s’agit de participer à la vie quotidienne et de ne pas attendre les informations. Par exemple, en
partant chasser, l’anthropologue peut comprendre des règles sociales. L’observation n’est pas
suffisante. C’est comprendre et apprendre les conduites adéquates que la vie quotidienne nécessite.
« Je dus apprendre comment me conduire et, dans une certaine mesure, j’acquis le « sens » des
bonnes et des mauvaises manières propres aux natifs de ce pays. Grâce à cela, et aussi parce que
j’étais arrivé à me plaire en leur compagnie et à partager quelques-uns de leurs jeux et amusements,
je commençai à me sentir vraiment proche d’eux, et c’est certainement la condition préalable de
tout succès dans le travail de prospection ». (Malinowski, 1989 : 64-65)
En participant, on doit mobiliser les logiques des pratiques et on ressent des choses corporellement
(ex : tisser un filet de pêche : on ressent la douleur, on comprend l’habilité que cela requiert). La
compréhension est affective et physique.
C’est donc pour cela qu’on parle d’observation participante.
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l’immersion ne peut se faire qu’avec l’acceptation des locaux sur le terrain. Ce processus nécessite un
travail particulier pour se faire accepter par le groupe social qu’il cherche à intégrer.
Il propose alors un exemple : à la fin des années 1950, il arrive à Bali avec sa femme grâce à une
entente avec le chef du village. Les villageois n’ayant pas été consulté, ils ignorent Geertz et n’ont pas
d’interactions avec lui, jusqu’à un basculement.
Un soir, il fuit la police alors qu’il assiste à un combat de coqs organisé illégalement. Il trouve refuge
dans la maison d’un couple de villageois, dont un prêtre. Avec cette fuite, les Geertz vont alors
s’associer aux locaux face à la puissance dominatrice de l’état. A partir de cet événement, les
villageois vont les accueillir car ils ne sont plus considérés comme les représentants d’une puissance
étatique. Les villageois les ont observés fuir les représentants de l’ordre.
« Pour ce qui était de nos relations avec la communauté, ce fut le moment décisif : littéralement
parlant, nous étions in. Le village entier s’ouvrit à nous, sans doute plus qu’il n’aurait fait en d’autres
circonstances (j’aurais pu n’aller jamais chez ce prêtre ; quant à notre hôte de hasard, il devint l’un de
mes meilleurs informateurs), et assurément beaucoup plus vite. Se faire prendre ou manquer de se
faire prendre dans une descente de la mondaine, ce n’est peut-être pas une recette très
généralisable pour satisfaire à cette mystérieuse nécessité du travail anthropologique sur le terrain :
établir des rapports ; mais, dans notre cas, elle a donné de très bons résultats. […] Et, ce qui est peut-
être le plus important de tout, car le reste aurait pu venir par d’autres circuits, cette affaire m’a mis
promptement en présence d’un composé de débordement affectif, de guerre des conditions sociales
et de drame philosophique, d’une importance cardinale pour la société dont j’aspirais à comprendre
la nature intérieure. (Geertz, 1980 : 4)
Ici, Geertz présente que cet évènement lui a permis de se faire accepter au sein du village. Il souligne
que ce n’est pas qqch facile à reproduire. Il y a plusieurs manières de se faire accepter au sein d’un
groupe (ex : refuser des couverts pour réaliser une pratique quotidienne de la même manière que les
locaux, participer aux évènements importants du groupe…). Souvent, la manière dont on s’intègre au
groupe est elle-même parlante car elle donne des informations sur ce qui est important pour les
interlocuteurs.
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d’un clin d’œil, l’anthropologue doit comprendre la configuration sociale dans laquelle le clin d’œil
est réalisé, qui l’a fait, à qui, quel est l’enjeu…
Pour le combat de coqs, Geertz fait aussi une description dense. Il parle de l’importance de ces
combats dans cette société, il montre comment ce combat l’ai aidé, il souligne que c’est une pratique
sociale interdite (considérée comme cruelle et dilapidatrice) et il décrit les pratiques sociales liées
aux combats de coqs. Il décrit le soin qu’apportent les propriétaires à leur coq, les paris qui sont faits
avant les combats, il étudie les relations sociales sous-jacentes à la compétition… Geertz montre que
ces combats dramatisent une notion « prestige » et parodie l’intégration sociale par le règne animal.
Ils simulent l’affrontement entre les hommes.
« Bali fait largement surface dans une arène à coqs. Car c’est en apparence seulement que des coqs
se battent ici. En réalité, ce sont des hommes [qui s’affrontent]. Pour quiconque a séjourné à Bali, il
n’y a pas d’erreur possible : psychologiquement, les hommes s’identifient profondément à leurs
coqs. […] Bateson et Mead ont même émis l’idée que, conformément à la conception balinaise du
corps –[comme] ensemble de parties animées séparément –, […] les coqs [sont envisagés] comme
des pénis détachables et qui marchent tout seuls, des parties génitales ambulantes, vivant leur
propre vie. Et bien que je n’aie pas à ma disposition les données sur l’inconscient qui permettraient
de confirmer ou d’infirmer cette fascinante notion, le fait que les coqs sont des symboles masculins
par excellence est indubitable, une évidence, à l’instar du ruisseau qui coule vers l’aval. » (1980 : 90)
Ces combats sont rationnels, Geertz montre qu’il y a une vraie logique. Il écrit : « Dans les parties
sérieuses, où il s’agit de fortes sommes, il y va de beaucoup plus que du gain matériel: à savoir, de
l’estime, de l’honneur, de la dignité, du respect ; en un mot, mais en un mot lourd de sens à Bali, de
la position sociale. Enjeu symbolique : à part quelques intoxiqués du jeu, qui s’y sont ruinés, nul ne
voit sa position réellement modifiée par l’issue d’un combat ; il la voit seulement, et
momentanément affirmée ou bafouée. Néanmoins, rien n’est plus délectable pour le Balinais qu’un
affront obliquement adressé, ou plus douloureux qu’un affront obliquement reçu, particulièrement
quand il est exposé aux regards de gens connus des deux adversaires, de gens que les apparences ne
sauraient donc tromper. Aussi ce drame de l’évaluation le touche vraiment et profondément. »
« Ce n’est pas à dire, et je m’empresse de le souligner, que l’argent ne compte pas et que le Balinais
se moque de cinq cents ringgits comme de quinze. Pareille conclusion serait absurde. C’est justement
parce que l’argent compte et compte beaucoup, dans cette société qui n’a certainement rien
d’immatérialiste, que plus on en risque, et plus on risque pas mal d’autres choses qui s’appellent
amour-propre, assurance, sang-froid, fierté masculine. On les risque momentanément, je le répète,
mais aussi fort publiquement. Dans les combats profonds, un propriétaire de coq et ses
collaborateurs, et aussi, nous le verrons, dans une mesure moindre, mais tout à fait sensible, ceux
qui parient pour eux, mettent leur argent là où se trouve leur position dans la hiérarchie sociale. »
(1980 : 108-109)
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C’est ce que fait Tsing car elle se rend sur le terrain. Elle commence par l’Oregon pour aller cueillir le
champignon, elle va ensuite dans les sociétés consommatrices, elle intègre le monde des gourmets
japonais pour comprendre les pratiques des marchands capitalistes. Elle va comprendre les
collaborations inter espèces. On se trouve assez loin de l’enquête dans le village isolé telle qu’elle
avait été mise en place par Malinowski.
Au niveau de la participation, elle n’est jamais aussi aboutie que dans les écrits de Malinowski. Cette
observation n’implique pas tjrs une participation significative.
Finalement, la participation est +/- poussée, elle dépend de trois choses : le caractère de
l’anthropologue, les dimensions éthiques de la recherche et l’objet même qui est étudié. Tout
enquête nécessite de découvrir un milieu social en vertu de laquelle une immersion de Malinowski
reste l’idéal type.
Quant à la coupure épistémologique, elle nécessite de rendre compte du « native point of vue ». Il
faut essayer de mettre à distance les préconceptions du chercheur. Cela pousse les auteurs à prendre
au sérieux les connaissances de leurs interlocuteurs.
Tsing développe une approche multi-espèce dans laquelle elle tient compte de l’imbrication de la vie
humaine avec une autre forme de vie non humaine. Il ne faut pas comprendre uniquement les
interactions entre humains, il faut aussi s’intéresser aux interactions des humains avec les animaux,
les microbes…
Il y a une évolution de la pratique anthropologique qui consiste à s’appuyer sur différentes méthodes
de production des données. L’observation participante reste le canon ultime mais elle est souvent
associée à d’autres méthodes tels que des entretiens semi-directifs (prend plus la forme d’une
conversation), la consultation d’articles, de statistiques…
L’exemple de Tsing présente une palette méthodologique très large, et la créativité de
l’anthropologue compte pour bcp dans la compréhension du monde social qui l’intéresse. Comme
Geertz a pu le montrer, l’anthropologue n’étudie pas un monde social fermé, ce qui ne lui permet
pas de contrôler l’ensemble de l’environnement et qui lui demande de s’adapter à la contingence, à
des choses qui ne peuvent pas être anticipées.
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Epistémologie : réaliser une étude critique des sciences et des connaissances qu’elles produisent.
3.1. Politique du terrain
L’approche est différente selon les pays. En Angleterre, on s’appuie sur des pouvoirs en place avant la
colonisation (« indirect rule »). Il était donc important d’avoir des connaissances sur le peuple pour
assurer un nouvel ordre social. En France, on a une importation des classes dirigeantes depuis la
métropole. La connaissance des populations locales est moins importante car le pays s’est moins
appuyé sur les dirigeants locaux. Il y a une forte école anthropologique aux USA, les anthropologues
vont surtout étudier les autres de l’intérieur. Ils ne voyagent pas mais s’attachent à comprendre le
mode de vie de ces autres, avant l’arrivée des colons.
Face à cette collaboration (France et Angleterre), certains anthropologues émettent des critiques,
comme Michel Leiris. En 1950, dans sa conférence L’ethnologue devant le colonialisme, il appelle la
dénonciation des conflits colonialistes, ou au moins leur prise en compte dans les écrits. De plus, il
appelle les anthropologues à étudier les pratiques et les abus des colons dans leurs analyses, plutôt
que de se limiter à étudier les modes de vie des locaux.
On a encore des questions politiques et éthiques. Même si l’anthropologue n’est plus imposé par un
gouvernement, on peut se poser la question du financement des recherches. Elles sont souvent
financées par des institutions européennes, qui sont souvent élitistes (favorise un certain type de
savoir : celui des élites, auquel les populations étudiées n’ont pas accès).
On a donc une certaine asymétrie politique entre l’anthropologue et les peuples étudiés. Cette
asymétrie est mise en évidence par certains auteurs, ceux du Writing Culture (Clifford et Marcus) par
exemple. Ils critiquent le post-modernisme, courant anthropologique développé pour remettre en
cause les éléments de la modernité. Cad qu’ils interrogent différents éléments qui vont de soi en
Occident (individualisme, dev technologique…). Ce courant propose des alternatives aux modes de
pensées dominants.
Le post-modernisme américain remet en cause la capacité de l’ethnographie à produire en savoir sur
la réalité. Une première critique de ce courant est cette asymétrie politique dont on a parlé. Une
deuxième critique est que cette asymétrie apparait même dans nos sociétés occidentales, les
anthropologues vont étudiés les sociétés qui leur sont proches, dans lesquelles ils vivent.
On note une propension des anthropologues à étudier des populations défavorisées (sur la
migration, sur des groupes racialisés, sur les précaires…). Cela crée une asymétrie relationnelle entre
l’anthropologue et les gens avec qui il travaille puisque que l’anthropologue prend une position
supérieure (statut social et ressources économiques plus élevés).
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A ce sujet, David Berliner souligne qu’il faut faire attention à la compassion de l’anthropologue
envers les populations qu’il étudie. L’anthropologue doit maîtriser sa capacité à devenir un
« homme-caméléon », c’est-à-dire à mimer la vie quotidienne des gens avec qui il passe du temps, à
« jouer à être un autre ». Cette façon de travailler pose des questions éthiques importantes car ce
rôle peut être source d’angoisse, de peur.
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à cette culture : met en évidence la multiplicité des points de vue. Ils relatent les contradictions
partielles au sein d’une culture.
Conclusion
L’anthropologie est un « projet comparatif qui porte sur l’unité et la diversité des formes de
l’expérience sociale des individus et de la vie en société ».
La méthode utilisée par cette discipline est l’étude de terrains ethnographiques. Les auteurs
s’attachent à un petit groupe social. Le savoir ethnologique monte en généralités, et touche des
groupes de plus en plus larges.
L’anthropologie montre aussi la nécessité d’adopter une approche réflexive : réfléchir à la place de
l’anthropologue sur le terrain, à comprendre ses propres à priori pour les dépasser et comprendre
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comment les relations qu’il crée avec les personnes sur le terrain contribuent à la co-construction de
vérités partielles et partiales.
On note des proximités disciplinaires, cad que certaines méthodes peuvent s’appliquer à l’ensemble
du domaine scientifique.
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Il apparait au début du 18ème siècle et s’appuie sur l’existence d’une évolution unilinéaire de
différentes sociétés humaines basées sur des facteurs techniques. Cette évolution est également
basée sur des facteurs sociaux et écologiques.
Cette approche va présenter le déterminisme historique : il y aurait une trajectoire unique de
l’humanité avec différentes étapes, si les sociétés ont des organisations sociales différentes, c’est
parce qu’elles se trouvent à des stades différents. En Occident, on est au dernier stade de l’évolution
humaine. Il y a l’idée d’une hiérarchie entre les peuples à partir de l’évolution technologique de ces
sociétés. Certains chercheurs vont essayer de retracer cette trajectoire à partir des sociétés
primitives (elles sont des témoignages directs des passées des sociétés occidentales).
Les anthropologues vont essayer de mettre en évidence des « survivances » = des traits culturels et
sociaux qui ne seraient pas liés à l’organisation sociale actuelle mais qui auraient survécu à
l’évolution sociale des sociétés (= stades antérieurs de l’évolution).
Avec l’évolutionnisme apparaît l’idée d’une évolution technologique unilinéaire et apparaissent des
ambitions empiriques, cad que les évolutionnistes ont le désir d’appuyer leurs théories sur des
études de cas, des études de terrain. Leur méthodologie va être critiqué mais on note que c’est à
cette époque que la volonté d’observation du réel naît.
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Le passage d’un stade à un autre est déterminé par le progrès technique des différents peuples
(manière dont ils se nourrissent, dont ils réalisent leur nourriture etc.). On voit que la poterie définit
le passage de stade sauvage au stade barbare. Une critique qui apparait est pourquoi la poterie en
particulier, les passages d’un stade à l’autre sont critiqués.
HLM est donc une figure marquante de l’évolutionnisme.
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distincte entre « nous », sociétés modernes et « eux », sociétés traditionnelles. Cette notion
est également importante pour l’ensemble de la société.
On retrouve cependant des traces de ces théories évolutionnistes.
Actualité politique : c’est une présence dans les discours contemporains à identifier et critiquer. On la
voit à travers le discours de Nicolas Sarkozy (2007), il développe une approche a-historique de la
grande Afrique.
Il parle d’abord de l’Afrique de manière générale alors que les pays sont très différents au sein du
continent. La deuxième critique de l’évolutionnisme est que ce continent tout entier n’aurait connu
aucune victoire et serait dans une espèce de répétition sans fin d’éléments traditionnels millénaires.
Il n’y aurait donc pas eu d’histoire en Afrique. Or, on a pu, grâce au travail d’archéologues et
d’historiens, montrer à quel point le continent africain a été traversé par des dynamismes à la fois
politique et économique particulièrement importants. Il y a eu des empires précoloniaux très
importants, on peut penser par exemple à celui des Zoulous qui est probablement l’un des plus
connu. On a aussi pu mettre en évidence l’existence de systèmes esclavagistes avant l’arrivée des
colons, notamment au Bénin.
Tous ces éléments de son discours sont complètement occultés, ils ne sont pas mentionnées et sont
remplacés par un continent unique qui vit en harmonie avec la nature. Ces conceptions sont héritées
de paradigmes intellectuels comme l’évolutionnisme. Tout cela pour montrer qu’il y a toujours une
tendance à revenir à ces visions un peu simples apparues avec ce paradigme.
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Il part ensuite aux USA où il adopte une approche d’ethnographie du détail, ses travaux reposent sur
une observation détaillée des faits qui lui permettent par la suite de faire des comparaisons
régionales. Cette ethnographie fonctionne en équipe, plusieurs anthropologues font des voyages de
courte durée.
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A partir de là, il développe la volonté de réhabiliter les cultures indigènes, il va s’attacher à mettre en
évidence la spécificité des cultures. A travers cette ambition, il prend souvent part à des débats
publics, notamment avec la loi sur l’interdiction d’une pratique cérémonielle, le potlatch.
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que cette idée de culture peut émerger. Enfin, cette définition reconnait le caractère pluriel de la
culture et ces systèmes culturels sont considérés comme stables et cohérents à travers le temps.
Actualité politique : Boas et ses disciples sont politiquement très investis : Boas a critiqué l’esclavage,
Mead entre dans le débat de la libéralisation sexuelle de l’époque. Un autre exemple est celui de Lila
Abu-Lughod, elle utilise ses connaissances anthropologiques pour critiquer les interventions
militaires américaines en Afghanistan. On note alors une grande influence du culturalisme dans les
débats politiques.
Le paradigme du culturalisme pousse les auteurs à rentrer dans des débats de société. Toutefois, il
faut rester vigilant car il peut mener à une position essentialiste, où l’on essentialise les différences
culturelle, cad qu’on les rend inévitables et qu’elles sont liées à l’essence même du peuple, sans
possibilité de les dépasser.
La majorité des discours nationalistes reposent sur des arguments essentialistes, un peuple et sa
culture devraient s’auto-déterminer. Cette idée de groupe culturel irrémédiablement différent sur le
plan culturel peut être instrumentalisé au service de gouvernement violent : on le voit avec l’exemple
de l’Apartheid. C’est un système politique de 1948 d’Afrique du Sud qui reconnait des groupes
raciaux distincts en les séparant. Certains groupes ont alors un accès prioritaire sur certaines
ressources car leur mode de vie requiert cet accès.
De même, Kuper reprend une analyse critique des politiques indigénistes.
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pas être étudié séparément ; il faut nécessairement remettre tous les faits sociaux en relation avec
les traits constitutifs de tout social pour comprendre la fonction d’une pratique ou d’une institution.
Son objectif est de comprendre comment un élément prend sa place dans une société et contribue à
son bon fonctionnement.
b) Fonctionnalisme biopsychologique
Malinowski a une inspiration positiviste. Il prend comme Durkheim les sciences de la nature comme
modèle des sciences sociales. Le rôle des institutions sociales est d’assurer la satisfaction des besoins
humains (alimentation, reproduction, sécurité, etc). Les structures sociales et les perceptions
mentales des locaux sont alors importantes puisqu’il faut comprendre ces structures et la manière
dont elles répondent à la satisfaction des besoins (grâce au native point of vue).
6.2.3 La kula
Malinowski réalise une étude de la Kula. En 1922, il cherche à mettre en évidence les pratiques et les
institutions de la société trobriandaise pour en comprendre l’équilibre sociale. Il montre que la Kula y
participe.
Il observe deux types d’échanges : des trocs de gimwali (produits agricoles qui circulent entre
villages) et des échanges cérémoniels de mwali et de soulava (colliers ou brassard de coquillages qui
circulent d’île en île, donc ces échanges nécessitent des expéditions maritimes). Cette Kula permet la
circulation de biens de prestige, les échanges se font toujours dans le même sens, les mwali et les
soulava ont une histoire, il faut sans cesse les remettre dans le système d’échanges et ils font le tour
des îles. A travers cette généalogie, les biens acquièrent une valeur liée aux personnes qui les ont
possédés. Malinowski veut comprendre les rites magiques dans la perspective des locaux : il
découvre qu’ils servent à combattre l’inquiétude suscitée par les départs en mer.
La rationalité de ce système est au cœur de l’ouvrage. Malinowski montre que les expéditions
maritimes de Kula ont une fonction sociale qui permettent alliances commerciales, hiérarchies entre
îles et hommes et entretien de complicité amicale. La Kula participe à la cohésion et à l’équilibre
sociale de l’ensemble des îles. Les biens prestigieux scellent la paix et l’amitié. L’échange de dons est
le geste fondamental qui forme la société trobriandaise.
Malinowski reçoit des critiques :
- S’intéresser à l’ordre et à la cohésion sociale a tendance à occulter les conflits et les
contradictions internes, le fonctionnalisme les passe sous silence
- Généralisation des comportements des individus
- Critique de la minutie ethnographique (trop ?)
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b) Exemple: Le Potlatch
Ce phénomène a été étudié par Boas, c’est une institution du NO de l’Amérique qui consiste à offrir
des biens de subsistance et des biens de prestiges en grande quantité à un chef de clan rival. Tous
ces biens ne sont pas donnés pour leur utilité mais pour leur signification ; il s’agit de montrer sa
grandeur par rapport aux autres chefs. Après chaque don, il faut donner plus que ce que l’on a reçu
pour garder son statut social.
Pour Mauss, ce système cérémoniel de dons agonistiques représente des faits sociaux totaux car
toutes les caractéristiques sont réunies :
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Le chef du clan ne représente pas uniquement sa propre personne mais son clan et son
lignage
Le Potlatch fait entrer en jeu de nombreuses institutions : institution économique, politique
(lutte pour le prestige et pour le rangs symbolique), sociale (grands rassemblements festifs),
religieuse (instaurer des relations durables avec des êtres non humains) et esthétique (biens
sont évalués avec des critères esthétiques propres à ces groupes)
Le Potlatch est à la fois libre et contraint socialement : c’est une tâche essentielle pour être
reconnu comme chef, c’est obligatoire dans cet ordre social, mais la manière dont il le fait est
libre.
Chez
Durkheim, en se basant sur les forces collectives, les individus se trouvent déterminés, ils sont obligés
de suivre ces normes et on ne prend pas bcp en compte les pratiques individuelles (c’est le
déterminisme) tandis que chez Mauss, on a une dimension volontaire (liberté individuelle est prise
en compte) ainsi qu’une dimension symbolique (prise en compte du point de vue des acteurs et de la
signification des choses et des pratiques).
L’approche symbolique que propose Mauss à travers le fait social total constitue une première
source d’inspiration pour le structuralisme et Lévi-Strauss.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Pour Lévi-Strauss, la linguistique est la discipline la plus scientifique des sciences sociales. Il s’inspire
alors de la méthode des linguistes pour appréhender la culture et l’organisation sociale.
Il s’intéresse à la phonologie et s’inspire de deux auteurs :
- De Saussure : il voulait comprendre comment notre voix pouvait créer du sens et des
messages entre les individus, comprendre comment par l’association de sons distincts on
réussit à communiquer les uns avec les autres. Il met en évidence l’importance de la
structure du langage et des relations entre les sons. Il montre que les sons sont des unités
qui acquièrent du sens grâce à la manière dont ils sont positionnés. Pour lui, il y a l’idée d’un
signifiant (son qui ne signifie rien en tant que tel) qui fait référence à un signifié (sens que
prend le son) associé à un référant (objet réel). Il met en évidence l’arbitraire des signes, il y
a des conventions, une structure codifiée.
- Jakobson : il met au point la théorie des phonèmes. Il s’agit toujours de mettre en évidence la
relation entre le son et le sens avec la notion d’arbitraire des signes, mais il montre que les
phonèmes sont les plus petites unités sonores qui existent. Ce sont eux qui créent la
distinction dans une langue donnée. En associant les phonèmes, on crée des morphèmes (= 2
phonèmes), puis des mots, puis des phrases. Ces phonèmes comportent des variations en
fonction des langues et des régions.
Le sens des phonèmes est lié aux distinctions arbitrairement codifiées.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
binaires entre faits sociaux. Le rôle de l’anthropologue va être de révéler ces structures universelles
qui résultent du fonctionnement binaire de l’esprit humain.
Il fait une comparaison entre le cannibalisme et le don d’organes.
b) Expression sociale des structures binaires
LS montre l’existence d’opposition fondamentales : nature/culture, jour/nuit, homme/femme…
Pour essayer de montrer que ces paires binaires résultent de l’activité neuronale, il commencer à
étudier les mythes. Entre 1962 et 1972, il analyse de nombreux mythes à partir desquels il essaie de
dégager des unités fondamentales. A travers cette étude des mythes, il va essayer de trouver des
mythèmes, cad des choses qui s’opposent (comme l’inceste, le matricide, le déluge…). Ce sont des
motifs narratifs que l’on retrouve dans les différents mythes et qui vont aussi être dans des
structures binaires.
Les mythes comme expression de la structure inconsciente de la société qui les produit et
résolution d’une contradiction. Les mythes sont les solutions d’une contradiction existant au sein de
la société.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
matériaux. De plus, cette approche des structures ne prend pas en compte les rapports de
dominations au sein des sociétés étudiées. Enfin, pour Salhins, on serait arrivé dans « un âge anti-
structurel », de nos jours plein de dynamiques s’opposeraient à l’idée de penser la réalité sociale en
termes de structures.
Chapitre 8 : Le changement social de Gluckman
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2020-2021 Clémence Lefèvre
qqch sur la société en tant que telle. On a aussi l’idée qu’un ordre social est composé d’un ensemble
de relations entre différents groupes et que ces relations ont des effets indéterminés, on retrouve
l’idée du changement social. On ne peut pas être sure de ce que vont produire ces interactions.
Le paradigme du changement social montre que les tensions, les conflits et les incohérences font
parties du changement social, ils doivent être au cœur de l’étude anthropologique.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
groupes s’influencent mutuellement et créent une entité sociale partagée dont ils font tous
parties malgré les conflits qui les opposent.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Le paradigme du changement social permet de remettre en question un certain nombre d’à priori
qu’on a sur la culture.
Conclusion
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2020-2021 Clémence Lefèvre
On va commencer par la parenté et la religion, puis nous verrons la politique et l’économie. Ces 4
champs forment les champs fondateurs de l’anthropologie. Ces différents éléments sont débattus de
façon théorique.
Ces champs se sont produits par la mise en comparaison, et il y avait une tendance à la multi-
dimensionnalité des travaux. A l’heure actuelle, on a une spécialisation des travaux anthropologiques
et donc des auteurs, alors que ce n’était pas forcément le cas dans le passé.
Chaque chapitre va être divisé en 3 : les auteurs fondateurs, les auteurs classiques qui reviennent sur
les théories des auteurs fondateurs et les auteurs contemporains (comment on parle de ces objets,
comment se développe la pensée anthropologique par rapport à ces sous-champs à l’heure actuelle).
Un chapitre sera vu chaque semaine.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
avoir des relations sexuelles. Il se rend compte que chez les Iroquois, le père est appelé avec un
terme particulier et que ce même terme est utilisé pour mentionner les frères du père. Donc Morgan
met en évidence cette assimilation du père et des frères du père à partir de l’utilisation d’un terme
identique pour s’adresser à eux. Il voit dans cette pratique le fait que la mère pouvait avoir des
relations avec eux tous, d’où la promiscuité sexuelle primitive.
Morgan va aussi défendre l’idée selon laquelle les systèmes matrilinéaires (≠ systèmes patrilinéaires,
qu’on connait aujourd’hui, on appartient à la famille de son père, on porte son nom), caractérisés par
une appartenance à la famille de la mère, appartiennent à des stades de civilisation antérieurs. Dans
les systèmes patrilinéaires, on accepterait des mariages polygames (l’homme ou la femme peut avoi
d’autres mariages) et polygéniques (l’homme peut avoir plusieurs femmes).
On a l’idée que la parenté est la mise en forme sociale de relations biologiques. Morgan va faire de la
parenté un des piliers des modes d’organisation sociale. Il fait la distinction entre les sociétés sans
état et les sociétés à état.
Comme cette théorie est évolutionniste, elle a été critiquée par la suite, notamment à cause de
l’opposition systématique et des propos de Morgan sur la promiscuité sexuelle qui ne s’appuient pas
sur des preuves, mais sont des suppositions.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
A et B sont deux sections primaires d’une tribu. On voit comment une tribu se divise en éléments de
plus en plus petits.
« Chaque village Nuer est associé à un lignage, et quoique les membres de ce lignage ne constituent
souvent qu’une petite proportion de la population villageoise, la communauté de village s’identifie
avec eux, à telle enseigne que nous pouvons en parler comme d’un agrégat de personnes
rassemblées autour d’un noyau agnatique. Linguistiquement, l’agrégat s’identifie au noyau, du fait
que l’on désigne couramment la communauté villageoise par le nom du lignage » (1994 : 233).
Au niveau de la parole, on va souvent identifier le village au lignage dominant et la tribu au clan
dominant. Cet idéal est inégalement réalisé dans les différents clans Nuer. Certains clans vont être
bcp plus dispersés.
c) Critiques
Il a été critiqué pour son adhésion quasi-total au fonctionnalisme qui développe une approche très
positiviste avec peu de subjectivité. On lui reproche de surestimer le rôle de la filiation dans
l’organisation sociale et de sous-estimer la place des unités de résidence (place de villages, des
tribus).
EP met de côté les rapports de domination, il ne mentionne pas la situation coloniale et présente peu
les changements sociaux et conflits qui apparaissent. Il oublie les razzia (enlèvement de personnes
qui deviennent des esclaves).
Enfin, on peut reprocher à EP son manque de réflexivité, cad qu’il y a peu de discussion sur sa
position par rapport aux Nuer, sur les conditions de production de son ethnographie et sur sa place
au sein des Nuer sur le terrain.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
LS permet d’étudier l’alliance, c’est l’union de deux personnes qui n’appartiennent pas au même
groupe d’appartenance (=mariage, PACS…). Cette alliance est toujours liée à des interdits sexuels :
l’interdit de l’inceste. Il y a toujours des règles sociales qui interdisent l’union de deux catégories de
personnes. Pour LS, ces interdits sont universels, ils se retrouvent dans l’ensemble des organisations
sociales. L’inceste est à la fois une marque de la nature (car universelle, de l’ordre du biologique, LS
parle l’animalité de l’homme) mais aussi une marque de la culture. Grâce à cette association de la
nature et de la culture par rapport à l’inceste, LS défend l’idée que c’est à partir de l’apparition de
l’interdit de l’inceste que l’homme serait devenu homme. Cela est lié au fait que LS soutient que
l’interdit de l’inceste est la seule règle sociale.
« Car la prohibition de l’inceste présente, sans la moindre équivoque, et indissolublement réunis, les
deux caractères où nous avons reconnu les attributs contradictoires de deux ordres exclusifs : elle
constitue une règle, mais une règle qui, seule entre toutes les règles sociales, possède en même
temps un caractère d’universalité. » (2002 :64)
Une telle position n’est plus du tout d’actualité. La prohibition de l’inceste a été critiquée comme
étant un critère arbitraire et exclusif pour pouvoir marquer le passage de la nature à la culture de
l’homme, il pourrait y avoir d’autres critères qui pourraient expliquer l’humanisation de notre espèce
(ex : pratiques funéraires, artistiques, langage). On note également l’existence de cultures animales.
d) L’atome de la parenté
LS essaie de trouver les petites relations de parenté car ce système est un système de relation où les
liens entre individus sont plus importants que les termes. Il va alors établir une typologie dont
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2020-2021 Clémence Lefèvre
l’objectif est d’identifier le module fondamental, celui qui permet d’illustrer l’ensemble des relations
de parenté : c’est ce qu’il appelle l’atome de parenté. Celui-ci reprend alors 3 rapports de parenté : la
consanguinité, l’alliance et la filiation.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
différentes). Cette polysémie du terme de règle est donc remise en cause par Bourdieu. De plus,
même s’il y a des règles, elles ne déterminent pas à 100% les comportement et les pratiques.
Bourdieu propose alors d’abandonner cette métaphore juridique pour étudier l’improvisation
réglée : il y a bien des règles générales mais elles agissent comme cadre et laissent aux individus la
possibilité d’improviser. Ex : les enfants apprennent tôt à parler mais ne savent pas tout de suite
utiliser les règles de grammaire.
Bourdieu fait donc une double critique par rapport au structuralisme de Lévi-Strauss. Il met en
évidence l’insuffisance des règles de mariage et dit qu’il faut comprendre les stratégies
matrimoniales. De plus, il pense que la parenté est une pratique liée à d’autres enjeux, donc il faut
réinscrire les pratiques matrimoniales dans des contextes plus larges.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Il critique alors la parenté ainsi que d’autres études liées à ce concept. Cependant, la critique qu’il fait
ne fait pas totalement disparaitre la notion de parenté : d’autres auteurs en tiennent compte et
utilisent d’autres outils et méthodes pour l’étudier.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
L’identité et la substance sont susceptibles de mutation, fluides, et étroitement associées. Les idées
[locales] que je décris me conduisent donc à questionner la division […] entre le « biologique » et le
« social », entre d’une part la parenté comme une relation biologique, génétique, instantanée et
permanente, et d’autre part l’identité sociale comme [une réalité] fluide ».
9.3.2 Franklin : biotechnologies
a) Repères biographiques
Sarah Franklin est prof à Cambridge. Elle s’intéresse aux nouvelles technologies qui reconfigurent les
pratiques et les représentations de la parenté. Elle étudie notamment la reproduction in vitro et le
clonage, et interroge la manière dont ces innovations technologiques transforment la façon dont la
parenté est vécue et pensée dans nos sociétés.
Son champ de recherche combine les analyses féministes, les STS, l’anthropologie et la biomédecine.
Elle mobilise aussi des pratiques ethnographiques.
Dolly est le premier mouton (brebis) qui a été cloné. Franklin montre les bouleversements de notre
conception de la généalogie et des liens de parenté de manière générale. Il s’agit de repenser les
limites de la biologie et de la reproduction car Dolly est bien un être qui a été créé par la science et
non plus par un phénomène de reproduction entre moutons.
Franklin invite donc à penser Dolly non pas comme une prouesse technologique mais à partir de sa
généalogie. Elle explique que ça n’est pas si anodin que Dolly soit britannique. En faisant la
généalogie de Dolly, elle montre que les moutons sont arrivés d’Asie il y a 5000 ans. Ils sont des
éléments importants en économie, notamment en économie britannique. Ils sont plutôt résistants,
nécessitent peu d’attention, et leur développement a joué un rôle important dans le développement
de l’économie (notamment pendant l’époque coloniale : importance de la domestication ovine, et
pendant la révolution industrielle).
En mettant cette généalogie ovine en parallèle avec l’histoire de la Grande-Bretagne, on voit que ce
n’est pas si étonnant que le premier animal cloné en Grande-Bretagne soit un mouton. Ce choix est
aussi lié au fait que le mouton est une espèce assez paisible, donc il fait moins peur qu’avec d’autres
animaux.
Franklin parle aussi d’une certaine proximité avec l’espèce humaine, car c’est l’animal qu’on ingère,
c’est un mammifère, donc son clonage pose des questions importantes par rapport à ce qu’on
pourrait faire par la suite à l’espèce humaine.
De manière plus générale, cette étude de cas pousse à interroger les dimensions politiques des
pratiques biologiques car désormais il faudra faire avec ces nouvelles innovations technologiques, la
limite ne sera plus biologique. On passe dans une nouvelle ère du contrôle biologique, ce qui nous
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2020-2021 Clémence Lefèvre
limitait autrefois n’est plus un frein. La biologie est le moyen qui nous donne des capacités illimitées.
Les limites restantes sont donc sociales, culturelles voire juridiques ; c’est donc ici l’importance de la
dimension politique par rapport aux pratiques biologiques.
a) Repères biographiques
Elle crée un nouveau champ d’étude : le multi spécisme, qui s’intéresse à nos relations avec les
organismes non-humains. Elle étudie l’utilisation d’animaux de laboratoire dans une approche
marxiste et féministe.
Aujourd’hui elle est professeure aux USA. Elle s’insurge contre les modes de sociabilité.
« Je suis fatiguée à mort de nouer des liens par la parenté et la « famille », et j’aspire à des modèles
de solidarité et d’unité et différence entre humains fondés sur l’amitié, le travail, les objectifs
partiellement partagés, les douleurs collectives insolubles, la mortalité inéluctable, et l’espoir
persistant. Il est temps de théoriser une « non-familiarité » inconsciente, une scène primordiale
différente, où tout ne découlerait pas du scénario de l’identité et de la reproduction. Bon sang, nous
en avons déjà eu assez des liens par le sang - y compris le sang conjugué en gènes et information. Je
pense qu’il n’y aura pas de paix raciale ou sexuelle, pas de nature viable, jusqu’à ce que nous
apprenions à produire l’humanité par autre chose que les liens de parenté ».
Elle met en évidence une autre manière de penser les relations humaines, il faut dépasser les liens du
sang et la filiation.
b) Espèces compagnes
Haraway se base sur l’étude de sa propre complicité humain-canin. Elle développe une notion de
companion species, qui désigne un partenaire issu d’une autre espèce mais qui, par le partage du
quotidien, devient un partenaire intime unis par une relation instrumentale et affective. Elle
développe une critique de la manière dont on s’unit avec les autres espèces.
Pour Haraway, la dimension affective est trop peu prise en compte, ce qui conduit à un manque de
considération. Elle nous invite à ne pas appréhender les autres espèces comme des éléments passifs
qui reçoivent ce qu’on leur donne mais comme des agents responsables, où l’interaction se construit
des deux côtés, il y a bien une réponse de la part du partenaire. L’industrie capitaliste prend très peu
en compte la responsabilité animale. Quand on prend en compte cette responsabilité animale, on
comprend comment à travers les interactions, des subjectivités se forment (manière dont les espèces
vont interagir vont façonner la manière dont ils sont au monde). Haraway souligne que les
subjectivités humaines ne sont pas seulement le résultat de volontés individuelles et personnelles et
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2020-2021 Clémence Lefèvre
d’interactions sociales entre humains, elles sont formées dans un creuset écologique, dans des
relations inter-espèces.
Haraway pousse sa réflexion plus loin en disant que la parenté n’est pas seulement une parenté
humaine mais le cercle de la parenté embrase l’ensemble des êtres terriens.
Cette parenté est basée sur deux éléments : la pratique de soins et une instrumentalisation associée
a ce fait de se soucier et de prendre soin. Elle écrit : « Parent est une catégorie sauvage que toute
sorte de gens essaient de domestiquer. Faire des parents comme parents étranges au lieu de, ou au
moins en plus de, la famille parrainée, et généalogique, et biogénétique soulève des questions
importantes, telles que qui est en réalité responsable. Qui vit et qui meurt, et comment, dans telle
parenté plutôt que dans telle autre ? Quelle forme prend cette parenté, où et qui trace ses contours,
connecte et déconnecte, et qu’est-ce que cela implique ? Qu’est-ce qui doit être coupé et qu’est-ce
qui doit être uni si une prospérité multi espèce sur terre, incluant des êtres humains et non-humains
dans la parenté, doit avoir une chance [d’exister] ? ».
Pour elle, on a l’idée de faire des parents et non pas des enfants, cad déplacer cette idée de la
filiation comme le socle de la parenté et créer des liens affectifs avec d’autres personnes et d’autres
espèces.
Elle oppose deux ères géologiques : l’anthropocène (marquée par l’apparition de bouleversements
géologiques dont la cause profonde serait l’activité humaine sur Terre à la fin 18 ème siècle, Haraway
n’est pas tout à fait d’accord et apporte des nuances, elle parle notamment de transition) et la
chthulucène (ère géologique de demain selon Haraway, serait caractérisée par la redéfinition des
relations entre les espèces, ère peuplée de créatures diverses, pourrait menée à l’éco-justice multi
espèce).
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Cet auteur s’inscrit dans le courant évolutionniste anglais. Il est né dans une famille quacker, courant
protestant de l’Eglise anglicane qui dit, entre autres, que les prêtres ne sont pas indispensables pour
faire l’expérience personnelle de Dieu, mais il a perdu la foi, ce qui influence sa théorie du
phénomène religieux.
Son approche évolutionniste est un peu différente de celle de Morgan. Il pense que le progrès de la
société humaine n’est pas tant basé sur le développement matériel mais plutôt sur les idées
religieuses. Les différentes s étapes sont alors basées sur le religieux et pas sur le progrès
technologique. Son ouvrage Primitive culture a une grande influence.
Pour Tylor, l’important est de comprendre que la religion est basée sur erreur de jugement. Selon lui,
la religion ne découle pas d’une révélation spirituelle, il s’agit d’un phénomène d’explication qui
découle des efforts que font les hommes pour comprendre le monde qui les entoure. C’est en cela
qu’on peut parler de perspective intellectualiste car un s’agit bien d’un processus intellectuel à
travers lequel les groupes cherchent à rendre le monde intelligible.
Pour Tylor, pour que ces efforts soient qualifiés de religieux, il faut que ces croyances se fassent en
des êtres spirituels. A partir de cet élément, Tylor met en évidence différents types de croyances en
des êtres spirituels :
Les
esprits des défunts formeraient les premiers esprits reconnus par les animistes. Cette religion est la
plus primitive, mais elle va progressivement se transformer et former le polythéisme, puis le
monothéisme.
Pour Tylor, ces trois perspectives sont encrées dans l’erreur, pour lui il n’y a pas de dieux. C’est
pourquoi le monothéisme devrait laisser sa place à la science.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Pour Durkheim, la religion doit être comprise comme un fait social ; c’est ce qu’il développe dans son
célèbre ouvrage Les formes élémentaires de la vie religieuse.
Il se base sur l’analyse des systèmes totémiques des Aborigènes d’Australie. Il ne fait pas de terrain
mais se base sur la description de ces systèmes dans la littérature. Son ouvrage comporte des traces
de l’influence évolutionniste. Etudier les systèmes totémiques ne consiste pas à mettre en évidence
des survivances, il s’agit de système plus simple mais dans lequel on retrouve l’essentiel des
dynamiques qui forment le système religieux.
Durkheim développe donc une perception de la religion comme un fait social qui serait un élément
fondamental et universel de la sociabilité humaine. Donc la religion aurait pour principe principal de
créer du lien entre les individus. C’est en cela que la religion est un fait social et non une erreur au
sens de Tylor.
Ce qui intéresse Durkheim, c’est de voir comment la religion produit des éléments dans la réalité
sociale mais également est le produit de conditions d’existence particulières.
Cette approche avait été développée par Mauss quand il suggérait que les choses que l’on
considérait comme sacrées étaient en fait sociales et donc réelles. L’ouvrage de Durkheim relate
aussi la dimension subjective et symbolique de la vie sociale car son neveu Mauss l’a mise en
évidence ; avant cela, cette notion était évincée par Durkheim.
b) Le sacré et le profane
Pour Durkheim, il s’agit de parler de religion dès lors que l’on fait référence à un domaine du sacré.
Tylor mettait en évidence la croyance dans les esprits spirituels tandis que Durkheim montre les
croyances dans le sacré.
Il écrit : « Mais ce qui est caractéristique du phénomène religieux, c’est qu’il suppose toujours une
division bipartite de l’univers connu et connaissable en deux genres qui comprennent tous ce qui
existe, mais qui s’excluent radicalement. Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et
isolent ; les choses profanes, celles auxquelles ces interdits s’appliquent et qui doivent rester à
distance des premières ».
On voit que pour Durkheim, quand il y a religion, il y a deux domaines distincts qui ne superposent
pas : le sacré et le profane. Les choses sacrées sont celles qui sont isolées du reste par la mise en
place d’interdits particuliers et les choses profanes sont plutôt celles sur lesquelles les interdits vont
s’appliquer (ex : retirer son chapeau dans un église sacré).
En plus de ce premier élément du sacré, une seconde dimension est importante dans la définition de
la religion du Durkheim : la religion a une dimension sociale (fonctionnalisme) car elle permet de
créer des liens entre individus qui permettent de maintenir la communauté ensemble.
On voit aussi la différence avec Tylor car Durkheim met en évidence l’expérience religieuse plutôt
que le simple registre cognitif. Il faut dépasser l’approche qui ne pense qu’en termes de croyances
pour comprendre les pratiques religieuses et ce qu’elles font aux individus. Durkheim souligne que
toute pratique religieuse sert à rendre hommage à la société elle-même à travers le culte.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Il a fait un terrain au Sud Soudan chez les Azandés. Il écrit Sorcellerie, oracles et Magie chez les
Azandés (1937). Dans cet ouvrage, EP cherche à rendre compte des pratiques de sorcellerie
quotidiennes. Il veut montrer que ces discours et ces pratiques ne sont pas infondés ou irrationnels.
Ce n’est pas parce que l’on a un discours sur la sorcellerie que l’on abandonne toute autre causalité
du malheur. Les différentes formes de causalité permettent de comprendre les différents aspects
d’un évènement.
a) Anthropologie interprétative
Geertz est une figure de l’anthropologie interprétative. Il est né en 1926 aux USA et fait de
l’anthropologie à Harvard. Il fait des terrains en Indonésie et au Maroc. Il est fortement influencé par
le culturalisme de Boas. Progressivement, il s’en détache pour développer une approche plus
interprétative.
Il reprend néanmoins de Boas le fait que les différentes cultures sont des mondes en soi, mais là où
Boas pensait qu’il était possible de les observer directement, Geertz utilise la métaphore de la
lecture ; pour lui, les cultures n’existent pas en dehors des significations que leur donnent les acteurs.
Le travail de l’ethnographie est de reconstruire ces significations. Toutefois, pour Geertz, dans cette
lecture que doit faire l’ethnographe, il y a toujours qqch de l’auteur qui va rester.
De manière plus générale, cette anthropologie interprétative s’intéresse à 3 choses : la nature des
descriptions ethnographiques, la nature du savoir et la culture comme « système organisé de
symboles signifiants » (la culture est transmise par socialisation et a une influence sur les
expériences, les pratiques et les émotions dans la société dans laquelle elle a été développée).
Geertz se dit plutôt ethnographe (analyse chaque culture spécifique) qu’anthropologue (ne cherche
pas nécessairement à mettre en évidence des règles ou des pratiques valables pour l’ensemble de
l’humanité).
La religion est un système culturel. Dans un ouvrage, il définit la religion comme : « Un système de
symboles qui agit de manière à établir des états affectifs et des motivations puissants, profonds et
durables en formulant des conceptions d’un ordre général sur l’existence et en revêtant ces
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2020-2021 Clémence Lefèvre
conceptions d’une telle aura de factualité que les états affectifs et les motivations semblent
singulièrement réalistes ».
D’abord, Geertz met en évidence 3 registres différents toujours présents quand on parle de religion :
le registre cognitif, le registre moral et le registre affectif.
Ces registres ont même tendance à se renforcer mutuellement. Pour Geertz, il existe dans la religion
une boucle de renforcement mutuelle qui part des croyances religieuses vers les dispositions
morales, affectives et esthétiques. Cad que les croyances religieuses vont entraîner un ensemble de
dispositions (= ethos, style de vie, manière de faire et de se comporter) qui vont renforcer les
croyances religieuses.
« Un système de symboles qui agit de manière à établir des états affectifs et des motivations
puissants, profonds et durables en formulant des conceptions d’un ordre général sur l’existence et en
revêtant ces conceptions d’une telle aura de factualité que les états affectifs et les motivations
semblent singulièrement réalistes ».
Autrement dit, pour Geertz, la dimension cognitive de la religion permet de donner des vérités
transcendantes sur le monde aux individus qui adhèrent à cette religion. La religion répond à des
interrogations fondamentales sur la manière dont le monde fonctionne. Elle permet de répondre à
une angoisse ou à une anxiété métaphysique de l’homme qui est de ne pas savoir répondre à
certains « pourquoi ». Le surplus de connaissances va permettre de donner un sens au mal ; cad à
tout ce qui est perçu comme mauvais. Chez Geertz, cette rationalité religieuse, cette manière de voir
le monde s’associe avec d’autres formes de savoirs. Il existe un mouvement entre le sens commun et
la religion, ces deux éléments ne sont pas opposés mais ils s’entrecroisent.
a) Favret-Saada (1934-…)
Jeanne Favret-Saada a travaillé sur les croyances dans la sorcellerie et sur l’efficacité sorcière
(efficacité d’un langage dans la sorcellerie). Elle est née en Tunisie dans une communauté juive et est
diplômée de philosophie.
Elle a fait des terrains notamment au Nord de l’Algérie et dans le bocage normand. Elle s’intéresse au
discours sur la sorcellerie dans le bocage normand, ce qui lui permettra de publier un ouvrage en
1977.
Elle s’oppose aux visions traditionnelles de la sorcellerie à son époque. En effet, il y a un ensemble de
discours sur les pratiques de sorcellerie comme croyances irrationnelles qui sont le fait de paysans
pas suffisamment éduqués, de sauvages qui n’ont pas encore accéder à la science. Ces discours sont
issus d’une approche folkloriste et psychiatrique et ont tendance à reléguer la sorcellerie aux marges
de la rationalité.
On peut faire un parallèle entre ces normands et les sociétés primitives, où dans les deux cas, les
individus ne répondent pas aux critères de la rationalité occidentale.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Ces discours et pratiques cohabitent avec d’autres formes de rationalité selon Favret-Saada : « La
sorcellerie est présentée comme une théorie aberrante à laquelle les paysans peuvent s’autoriser
d’adhérer parce que c’est la théorie locale. Le travail du folkloriste consiste alors à marquer la
différence entre sa propre théorie (laquelle par ailleurs est « vraie ») et celle du paysan, laquelle est
seulement une croyance ».
Elle s’attache à montrer l’efficacité des pratiques de sorcellerie, qui sont une sorte d’opération
symbolique et politique.
Pour Favret-Saada, la sorcellerie dans le bocage normand est avant tout une pratique linguistique.
Elle explique qu’elle n’a jamais vraiment pu observer de de sorcellerie avérée car celle-ci passe
toujours par des mots. Parler de sorcellerie c’est déjà la pratiquer. De fait, ces discours ont une aura
de secret.
Elle va apporter un discours sur la méthodologie qui porte sur l’engagement du chercheur sur son
terrain. Pour elle, il ne s’agit par seulement d’occuper une posture extérieure, une observation +/-
participante, mais il faut s’impliquer corps et âme. Sur son terrain, elle devient l’apprenti d’une
désensorceleuse car elle a été ensorcelée.
« Sur le terrain, en effet, l’ethnographe, lui-même engagé dans ce procès de parole, n’est qu’un
parlant parmi d’autres. S’il s’avise ensuite de rédiger un mémoire scientifique sur les sorts, ce ne peut
se faire qu’en revenant sur la manière dont il y a été « pris » ; faisant, de ce mouvement de va-et-
vient entre la « prise » initiale et sa « reprise » théorique, l’objet même de sa réflexion ».
Pour Favret-Saada, la sorcellerie est un relai d’autres formes de rationalité car elle ne s’applique qu’à
certains phénomènes particuliers et leur donne du sens. Elle s’applique toujours à un malheur en
série, à une infortune qui est répétée au sein d’un même foyer (pas d’un malheur ponctuel). De plus,
un proche du foyer annonce toujours l’acte de sorcellerie, et le sorcier est toujours un proche.
L’annonceur va souvent proposer l’identité d’un des ensorceleurs. Le désensorceleur devient par la
suite un support logique.
Prenons l’exemple de Jean Babin. C’est un cas transversal dans l’étude de Favret-Saada, c’est un
paysan normand qui se dit envoûté depuis 10 ans. Lorsqu’il avait 30 ans, il a été accusé d’être un
sorcier et d’avoir lancé un sort à son voisin, voisin qui s’est défait du sort lancé. Jean Babin se
retrouve à devoir à gérer une magie offensive, celle du désensorceleur qui aide le voisin. Il va voir sa
confiance dans les pratiques magiques remise en question, car il se sait innocent et ne comprend pas
cette accusation. Il remet en question l’ensemble du discours sur la magie et sur la sorcellerie. Suite à
cela, il souffre d’un eczéma violent et son alcoolisme s’accentue. Selon ses proches, ces éléments
sont expliqués par la magie dont il est victime. Un prêtre va le guérir de son eczéma. Deux ans après
cette accusation, il rentre en conflit avec un autre voisin qui lui prédit que des années de misère vont
lui arriver. On voit ici une action débutée par des paroles. Un an après cette prédiction, le père de
Jean Babin meurt et il est contraient de reprendre l’exploitation familiale. Une série de maladies
s’abat sur son bétail, un accident de travail le plonge dans le coma après lequel il souffre d’une
impuissance sexuelle à laquelle on ne trouve pas de solution. Il se marie avec la sœur de sa belle-
sœur (mariage de convenance). Plus tard, la mère de Jean Babin le pousse à aller voir une
guérisseuse, à qui il dit qu’il est peut-être victime d’un sort. Un an plus tard, il se brouille avec sa
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2020-2021 Clémence Lefèvre
mère, et il la chasse. A la suite de conflit, il s’enfonce encore dans son alcoolisme et les accidents se
poursuivent. Lui et sa femme vont voir plusieurs désensorceleurs, mais aucun ne parvient à lever le
sort car les malheurs continuent. Finalement, Jean Babin rentre en cure de désintoxication (recours à
la psychiatrie). Après cela, il a réglé ses problèmes d’alcool mais son impuissance et toujours
présente. Un an plus tard, il retourne voir un psychiatre qui refuse le discours de sorcellerie et
rappelle Babin à la raison, à la rationalité psychiatrique. Il fait comprendre à sa femme que son
impuissance est due à son manque d’amour. Favret-Saada leur propose une rencontre avec sa
désensorceleuse, que seule Mme Babin accepte de rencontrer. Il n’y a pas eu de résultats positifs.
Favret-Saada propose que l’explication que l’impuissance est liée au fait que Jean Babin s’est vu
imposer son existence (obligé de reprendre l’activité de son père, obligé d’épouser une femme qu’il
n’aime pas vraiment). C’est une résistance à un destin qui lui a été tracé et qu’il n’a pas choisi. Elle
propose alors d’étudier la sorcellerie comme un système symbolique.
Ce système permet de mettre en mot les violences sociales et les conflits vécus. Favret-Saada
observe la simplicité (ex : piquer des épingles, cuire un cœur de bœuf) et la contingence (peut être
réalisé à n’importe quel moment) des actes réalisés. Elle n’a jamais vraiment pu saisir empiriquement
des faits de sorcellerie, excepté celui de la parole (parler du fait sorcier). Ce système est donc
principalement symbolique, il s’agit de prendre une place dans l’intrigue et de reprendre une partie
du pouvoir car le discours de la sorcellerie est toujours lié à la place de l’interlocuteur. Finalement,
Favret-Saada explique que l’efficacité sorcière tient surtout de la puissance des mots. Autrement dit,
les trames sorcières permettent de mettre en mot des faits autrement indicibles.
Bourdieu montre que les croyances et pratiques « magiques » ne se limitent pas à la sphère du
religieux. Pour ce faire, il étudie le champ de la haute-couture avec la théorie des champs. D’après
cette théorie, les sociétés sont formées de différents champs comme le champs économique,
artistique, politique, sportif… Ce qui définit un champ est le fait que chacun d’entre eux à sa logique
propre et ses enjeux. Le champ est un espace de position des individus en fonction de leur capital
(ressources, atouts) pour se valoriser.
Bourdieu va travailler sur le champ de l’éducation et le champ de l’art, mais ici on se base sur son
article (1975) sur la haute-couture. Il y a des croyances collectives importantes qui soutiennent ce
champ et qui sont liées au fonctionnement de la mode en tant que telle. La haute-couture consiste à
vendre des noms (on achète le nom du couturier à l’origine du vêtement, nom valorisé grâce à sa
réputation). Ce nom va être mis en évidence à partir de la pratique de la griffe signe distinctif qui
se retrouve sur le produit (Gucci = GG). Un surcroit de valeur économique est alors attribué au
vêtement. Cela repose sur la croyance collective de l’importance du nom. Le vêtement n’a de valeur
supplémentaire qu’à partir du moment où la griffe est posée sur le vêtement. C’est alors un acte de
foi selon Bourdieu. La griffe a bien une portée symbolique, elle tient sa valeur du charisme du
producteur.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Le pouvoir symbolique de la griffe repose dans la croyance de la valeur de celle-ci. On met alors de
côté la notion d’arbitraire pour que la croyance collective soit mise en valeur et produise un surplus
de valeur.
« Le pouvoir des mots ne réside pas dans les mots, mais dans les conditions qui donnent pouvoir aux
mots en produisant la croyance collective, c'est-à-dire la méconnaissance collective de l'arbitraire de
la création de valeur qui s'accomplit à travers un usage déterminé des mots ».
Bourdieu montre le fait que le pouvoir symbolique n’est pas réservé au champ religieux mais qu’on le
retrouve un peu partout dans la société.
Le pouvoir symbolique est la capacité d’agir par l’énonciation, par l’utilisation de mot. Il souligne que
le pouvoir symbolique est « de faire voir et de faire croire, de confirmer ou de transformer la vision
du monde et par là, l’action sur le monde, donc le monde. […] Un pouvoir quasi-magique qui permet
d’obtenir l’équivalent de ce qui est obtenu par la force (physique ou économique). Ce pouvoir ne
s’exerce que s’il est reconnu, c’est-à-dire méconnu comme arbitraire ». On voit l’importance des
croyances collectives car ce sont elles qui donnent du pouvoir. Il s’agit d’une force liée à la valeur
qu’on donne à ce mot.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Le degré de confiance en nos croyances est souvent influencé par la charité interprétative = biais de
confirmation, on a tendance à privilégier les éléments qui confirment nos croyances et à mettre de
côté des éléments qui les infirment.
Sperber met en évidence un second aspect : l’effet Gourou, fait que + on dépense d’énergie à
comprendre un énoncé, + on pense que le sens de l’énoncé est complexe. Une certaine confiance en
la capacité des auteurs à formuler leurs idées est présente, si elles ne sont pas formulées clairement,
c’est que les idées en elles-mêmes sont particulièrement complexes, et qu’il n’y a pas moyen de les
transmettre de manière plus simple.
Elle montre que l’injonction de faire son deuil est apparue au 19ème siècle est s’est développée contre
le pouvoir du clergé. Cette idée correspond à la victoire d’une réflexion scientifique, positiviste face à
des croyances religieuses ou superstitieuses. C’est devenu la conception officielle.
« Cette conception officielle est donc devenue ‘la’ conception dominante ou plutôt, devrait-on dire,
la conception « dominatrice » dans la mesure où elle écrase les autres et leur laisse peu de place.
Symptôme de cette domination, la théorie du deuil est devenue une véritable prescription : ‘On doit
faire le travail du deuil ».
Elle va développer une théorie du psycho pouvoir. Elle s’inspire de la notion du biopouvoir
(développée par Michel Foucault) qui est l’intention politique de façonner les corps. Le psycho
pouvoir est l’intention politique de façonner les psychés. Cette obligation de faire le deuil est
considérée comme politique par Despret. Elle s’attache à comprendre les modes de résistance
développés par certaines personnes pour continuer à faire vivre/exister les morts.
- Assurer une permanence aux morts à travers des actions, rituels, paroles, etc.
Ex : une dame qui porte les souliers de sa grand-mère pour lui permettre de continuer à
parcourir la Terre
- Instaurer de nouveaux régimes d’obligations envers les morts. Il s’agit de réaliser ce qu’on
estime être les attentes des défunts.
Ex : des vivants qui cherchent à terminer les projets non terminés des défunts.
- Offrir un surplus de biographie (doute, possibilité, hésitation).
Ex : une dame qui rencontre son père décédé en rêve, il explique être heureux d’avoir appris
que sa fille est enceinte d’un garçon, et cela deux jours après une échographie.
« Amener un être à « plus d’existence » qui lui permette de continuer à influer sur la vie des vivants
demande donc tout un travail ou, plus précisément, une disponibilité, qui n’a pas grand-chose à voir
avec le fameux « travail de deuil ». Les morts demandent à être aidés à nous accompagner ; il y a des
actes à réaliser, des réponses à donner à cette demande. Répondre accomplit non seulement la
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2020-2021 Clémence Lefèvre
demande du mort, mais l’autorise à modifier la vie de ceux qui répondent ». Il y a des dimensions
individuelles mais il peut aussi y avoir des éléments collectifs de résistance.
c) Cultiver le doute
« En revanche, affirmer que les morts ont des « manières d’être » qui en font des êtres bien réels
dans le registre qui est le leur, qu’ils manifestent des modes de présence qui comptent et dont on
peut sentir les effets, c’est s’intéresser au fait qu’il y a eu, à chaque fois, un ‘être à faire’ et un vivant
qui a accueilli cette requête ».
Despret montre cette résistance au psycho pouvoir. On a l’idée qu’il ne faut pas nécessairement
accepter l’absence des morts pour suivre de nouveaux projets de vie, les morts peuvent nous
accompagner d’une certaine manière. On voit comment des croyances peuvent se faire sur le
registre du doute mais qu’elles viennent s’opposer à d’autres manières d’être au monde.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
11.1.1 Evans-Pritchard
Il est l’un des disciples de Malinowski, il est dans une tradition fonctionnaliste propice à l’émergence
de l’anthropologie politique en Angleterre. Cela est dû à la période coloniale : la France à une
administration coloniale directe sur place, tandis qu’en Angleterre, les pouvoirs coloniaux s’appuient
sur les organisations politiques locales (indirect rule). Aux USA, il y a un intérêt pour les indigènes de
l’intérieur, donc pas vraiment de colonies.
Des anthropologues comme EP participent à l’entreprise coloniale de manière +/- forte en créant des
données sur l’organisation politique des populations étudiées. EP fait notamment une étude aux Sud
Soudan pour comprendre la persistance des révoltes dans ces régions.
EP arrive dans les années 1930 chez les Nuer et réalise son terrain principalement à partir de sa tente
car il a du mal à se faire accepter (il est considéré comme appartenant à l’administration coloniale). Il
essaie d’identifier les dirigeants des Nuer. Il se rend progressivement compte qu’il n’y a pas vraiment
de chefs, d’hommes reconnus comme dirigeants, et il n’y a pas d’institutions politiques centralisées.
Il y a néanmoins une organisation politique qui existe mais qui n’est pas telle qu’on l’imagine. Cela
pousse EP à qualifier la société Nuer comme une anarchie ordonnée qui est régulée par les structures
de la parenté. Le système est alors acéphale (pas de tête, cad de dirigeant). Il y a deux niveaux
d’organisation chez les Nuer : organisation territoriale (avec les tribus) et organisation familiale (avec
les lignages). Ces deux unités ont tendance à se superposer en partie.
EP met en évidence que les tribus sont les plus grandes entités qui peuvent être mobilisées en cas de
guerres. Il n’y pas de dirigeant à la tête de la tribu. Il y a des mouvements où différents villages se
rassemblent pour faire la guerre à d’autres (mouvements de fusion) mais aussi des mouvements où
ces groupes vont se diviser pour se faire la guerre (mouvements de fission). Ces mouvements
s’opèrent à différents niveaux en fonction de l’entité sociale qui est engagée dans le conflit.
EP met en évidence dans un écrit le côté segmentaire de la société, il y a des segments au sein de la
tribu. En fonction des groupes sociaux engagés dans un conflit, ces segments fusionnent ou se
séparent. Ces deux mouvements sont des dynamiques qui appartiennent à un même organisation
politique caractéristique des sociétés segmentaires.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Les sociétés n’ont pas véritablement d’états centralisés. Elles sont alors appelés sociétés lignagères.
Une typologie tripartite (3 types) est alors crée, elle repose sur la distinction entre société avec
appareil étatique (existe une forme de gouvernement) ou non.
Cet ouvrage permet à EP de conceptualiser cette idée de société lignagère segmentaire en couvrant
l’anthropologie de la parenté et l’anthropologie de la politique. On voit comment sont liées sont ces
deux dimensions chez les fonctionnalistes.
Cela met en évidence la politique comme un champ de recherche en anthropologie. La politique peut
être étudiée dans des sociétés où il n’y a pas nécessairement d’état nation. En anthropologie, le
terme de politique renvoi à une définition bien plus large qui pourrait être « relations de pouvoir
structurant une configuration sociale ».
11.1.2 Gluckman
Gluckman s’inscrit plutôt dans le paradigme du changement social et a une approche un peu
différente de celle d’EP.
On a très peu d’informations sur la manière dont les sociétés africaines étudiées plus haut s’adaptent
à la colonisation. C’est pour cela que Gluckman s’intéresse aux reconfigurations sociales et politiques
sous la révolution industrielle en Afrique et sous la colonisation. Il se pose la question de la
persistance du tribalisme en zone urbaine. L’idée de tribalisme renvoi à des idées péjoratives et
évolutionnistes, c’est pour cela qu’aujourd’hui on parle d’ethnicité. Comment ce tribalisme se
transforme et persiste néanmoins dans ces zones urbaines qui émergent dans le contexte colonial ?
Le tribalisme repose sur un système politique de travail et sur le partage de la vie domestique avec
les parents (partage de la vie quotidienne avec les parents). Le tribalisme dans les zones rurales fait
l’objet d’une approche pragmatique et est opposé par Gluckman au tribalisme urbain. Dans les villes,
il y a différents individus d’origines différentes, et le tribalisme urbain permet de classifier ces
différents individus. Celui-ci se transforme, on n’a pas de répartition du travail selon des lignes
ethniques, on a des ensembles d’individus qui se regroupent pour s’aider, il y a des sociétés d’aides
mutuelles (par exemple pour les enterrements) qui se développent sur bases ethniques.
Gluckman va continuer cette analyse à travers l’étude de cas de la mine du cuivre Luanshya en
Zambie. La mine a été ouverte en 1930. La gestion de la mine est faite par les européens et les
ouvriers qui font le travail manuel sont des locaux. Les individus sont regroupés sur le site minier,
donc il faut organiser leur logement. Les autorités européennes de la mine développent le principe
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2020-2021 Clémence Lefèvre
de l’indirect rule car ils s’adressent aux représentants locaux des ethnies. Soit des anciens, soit des
proches des familles royales vont être reconnus comme intermédiaire entre les autorités et les
travailleurs.
Tout se passe bien jusqu’en 1935, où de nouvelles revendications émergent. A nouveau, les autorités
se reposent sur les élus pour ramener l’ordre et la production. Les anciens vont finalement échouer
pour deux raisons :
- Ils ont été mis en évidence comme intermédiaire à partir des lignes ethniques qui n’ont plus
de sens pour les travailleurs plus de légitimité des élus, on a une dissociation entre les
ethnies et l’organisation du travail alors que c’est selon lui un des fondements du tribalisme
dans les zones rurales.
- Effet d’association : à force d’être les intermédiaires, les élus vont être assimilés aux
gestionnaires européens et non plus aux travailleurs.
Il y a alors une réorganisation de la mine. A partir de 1940, on a une séparation assez nette entre les
affaires tribales (affiliations tribales) et les affaires minières.
A partir de 1945, l’Angleterre envoie des syndicalistes pour aider les locaux à se mobiliser et à
défendre leurs droits au travail. Le syndicat des mineurs se manifeste comme une institution majeure
sans mobiliser des affiliations tribales et ethniques.
Gluckman conclue que dans les zones urbaines, le tribalisme est moins important que dans les zones
rurales car le domaine du travail va s’en distinguer et créer une organisation qui lui est propre. Ces
affiliations tribales restent importantes dans certaines dimensions de la vie : organisation des Kalela
Dance (performance où les appartenances tribales sont surjouées), endogamie (chercher à trouver
un époux ou une épouse)… Si ces appartenances jouent tjrs un rôle, on a toujours un lien avec le
village d’origine qui reste une zone de confort en cas de période de crise.
Gluckman montre deux registres de tribalisme : celui des zones urbaines et celui des zones rurales.
Les individus parviennent à faire cohabiter ces deux éléments car des liens sont créés avec ces deux
types. Tous ces éléments poussent Gluckman à développer une théorie du tribalisme ou de
l’ethnicité : il s’oppose à l’approche des fonctionnalistes qui pensent l’ethnicité comme une
appartenance fixe, pour lui l’ethnicité est un processus dynamique qui peut être activé ou non en
fonction du contexte. Il rappelle que dans l’identité professionnelle, le rôle des appartenances
ethniques diminue. Cette approche dynamique est développée encore plus par Barth.
a) Repères biographiques
C’est un anthropologue norvégien né en 1928. Il est professeur à Oslo, Boston et Harvard. Il a une
influence assez importante. Il réalise sa thèse à partir d’un terrain chez les Swat au Pakistan.
Barth va d’abord développer des théories interactionnistes : la signification se trouve tjrs dans les
interactions entre individus. Il s’intéresse alors aux contacts entre groupes, entre individus. Il va
passer de cette approche à l’anthropologie interprétative de Geertz. Il développe celle-ci à partir de
terrain en Papouasie.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Barth va en partie reprendre l’approche dynamiques développée par Gluckman. Il va plus loin en
définissant l’ethnie comme la catégorie d’attribution et d’identification opérées par les acteurs eux-
mêmes. C’est dans la rencontre entre les groupes que les frontières entre ethnies apparaissent. C’est
pour cela que la notion d’interaction est très importante pour Barth. Il y a une
essentialisation/objectification des groupes ethniques faites par les culturalistes et les
fonctionnalistes, ce qui est donc en opposition avec les idées de Barth. Le maintien des frontières
entre ethnies se fait grâce à une négociation dans le contact. Les différences culturelles entre
groupes sociaux font alors l’objet d’une codification renouvelée.
Barth montre que les membres du groupe construisent leur identité ethnique en négociant les
limites de cette identité avec les membres des autres groupes sociaux. L’ethnicité n’est alors pas
qqch de fixé au départ qui se transmet de génération en génération, il s’agit de qqch de mouvant, de
dynamique qui apparait dans les interactions entre les groupes et dans les jeux de pouvoirs
intergroupes.
« Les distinctions de catégories ethniques ne dépendent pas d’une absence de mobilité, de contact
ou d’information, mais impliquent des processus sociaux d’exclusion et d’incorporation par lesquels
des catégories discrètes se maintiennent, malgré des changements dans la participation et
l’appartenance au cours des histoires individuelles ».
Cette définition s’oppose fortement aux notions d’ethnies présentes dans les discours populaires et
politiques, voire mêmes chez certains anthropologues : « le terme ethnie désigne un ensemble
linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille, le terme de tribu étant généralement réservé
à des groupes de plus faible dimension » (Taylor, 2010 : 242). Cette approche est très essentialiste et
Barth se bat contre celle-ci.
a) Repères biographiques
Il nait a Paris en 1934. Il est activiste engagé, participe à des luttes communistes et défend des idées
libertaires.
Dans les années 1960, il fait un terrain de longue durée au Paraguay chez les Guayaki et autres
populations amérindiennes. Il publie alors La Société contre l’Etat en 1974.
En 1970, il est chargé de recherches au CNRS, dans un laboratoire de Lévi-Strauss et meurt 5 ans plus
tard.
Il s’oppose au fonctionnalisme qui développe une vision de l’organisation politique assez teintée par
ses idées évolutionnistes qui opposent les sociétés avec et sans état. Il s’oppose également au
structuralisme qui prône une idée d’échange (de femmes, au cœur de certaines sociétés) et une
interprétation des luttes comme échec de cet échange généralisé. Il développe une autre idée des
luttes et des guerres.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Clastres démontre que les sociétés sans état ne vont pas nécessairement progresser vers une société
avec état. Il refuse une rhétorique du manque. Il passe d’une société sans état à une société contre
l’état. Dans certaines sociétés, des institutions sont mises en place afin d’empêcher l’émergence
d’une classe dirigeante, la centralisation du pouvoir et la cristallisation des inégalités économiques et
sociales (ex : refus de production de surplus, qu’on ne trouverait pas dans nos sociétés).
Une des manières d’empêcher cela est de développer un pouvoir non-coercitif : chez les Guyaki, le
pouvoir repose sur une série de devoirs et non pas sur des idées de droits et de privilèges. Les
leaders ne sont pas caractérisés par une capacité à contraindre, ils ont un ensemble de devoirs
envers la communauté et ont un rôle de modérateur entre les groupes. Ce rôle se base
principalement sur les talents d’orateurs.
« La société primitive est le lieu du refus d’un pouvoir séparé, parce qu’elle-même, et non le chef, est
le lieu réel du pouvoir. La société primitive sait par nature que la violence est l’essence du pouvoir.
En ce savoir s’enracine le souci de maintenir constamment à l’écart l’un de l’autre, le pouvoir et
l’institution, le commandement et le chef. Et c’est le champ même de la parole qui assure la
démarcation et trace la ligne de partage. En contraignant le chef à se mouvoir seulement dans
l’élément de la parole, dans l’extrême opposé de la violence, la tribu s’assure que toutes choses
restent à leur place, que l’axe du pouvoir se rabat sur le corps exclusif de la société et que nul
déplacement des forces ne viendra bouleverser l’ordre social ». (1970 : 136)
Ce n’est pas le chef qui a le pouvoir mais bien la société en elle-même. On voit ici les idées libertaires
de Clastres. La fonction du chef est vidée de tout pouvoir coercitif et son pouvoir se repose sur la
parole.
- L’idée d’un pouvoir non-coercitif n’est pas cohérente sur un plan logique, il y a tjrs une
coercition liée au pouvoir. Des pouvoirs sont toujours en partie violents au sein de la société
(groupe d’hommes).
- Il y a une inadéquation significative. Des auteurs soulignent que la manière dont Clastres
représente ces groupes et leur organisation sociale n’est pas retrouvée en réalité. Les
interprétations ne reposent pas sur la réalité empirique.
Néanmoins, deux apports principaux sont à noter : Clastres se détache de la rhétorique du manque
qui étudie les autres sociétés comme le négatif des nôtres. On classait les sociétés en fonction de
l’autorité centralisée telle qu’on la connait et si elle n’existait pas, on disait qu’elle manquait. De plus,
Clastres montre qu’il existe des organisations politiques différentes des nôtres et va donc les
réhabiliter.
a) Repères biographiques
Il est né aux USA en 1936 et est prof de sciences politiques et d’anthropologie à Yale. Il défend des
propositions politiques anarchistes et rend hommage à Clastres.
Il étudie les mécanismes de rébellion des populations subalternes. On voit ici comment l’anarchie
influence ses choix de recherches. Il publie plusieurs ouvrages :
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2020-2021 Clémence Lefèvre
- 1976 : The moral economy of the peasants (Vietnam), il développe une théorie
phénoménologique qui se centre sur les expériences subjectives, Scott montre que les
rebellions paysannes ne sont pas nécessairement le résultat d’un manque de ressources
alimentaires, elles sont liées à un sentiment d’injustice et se rapportent à des « crises de
subsistances ».
- 1985 : Weapons of the weaks (Malaisie), Scott continue ici d’étudier les mécanismes de
rébellion des populations subalternes et il s’intéresse à la résistance infrapolitique =
techniques de résistances non publiques.
- 2017 : Against the grain, il se concentre sur l’art fondamental de ne pas être gouverné, il
reprend l’idée de Clastres qui dit que certaines sociétés s’organisent de manière à éviter
d’être sous le contrôle d’un pouvoir centralisé. Scott s’oppose à l’idée selon laquelle la
domestication agricole est un progrès pour l’humanité et dit que nombreuses sociétés ont
refusé de passer à cette domestication car elle nécessite un travail accru et auraient par
conséquent gardé des pratiques de chasse et de cueillette. Il dit enfin qu’on ne peut pas
toujours opposer ces deux méthodes ( révision de l’opposition systématique).
Cet ouvrage est du type ethnologique, Scott s’intéresse au Zomia, zone qui repose sur 6 états (Chine,
Inde, Laos, Vietnam, Thaïlande, Birmanie). Le Zomia est un région montagneuse caractérisée par une
diversité culturelle forte. Les dialectes reposent sur au moins 5 familles linguistiques.
Scott s’oppose à l’idée que le Zomia serait un état primitif qui devrait être progressivement mené
vers les lumières de la civilisation et de l’état-nation. Il refuse ce récit évolutionniste et met en
évidence 2 éléments pour critiquer cela :
- Les formations étatiques ne sont pas aussi stables que ce que l’on croit, il y a des périodes
impérialistes qui alternent avec des périodes d’éclatement (qui sont très peu documentées).
« Les états n’étaient d’aucune manière des créations accomplies une fois pour toutes.
D’innombrables traces archéologiques de centres étatiques prospérant brièvement et
ensuite éclipsés par la guerre, les épidémies, la famine, ou une catastrophe écologique
dépeignent une longue histoire étatique de constructions et d’effondrements, plutôt que de
permanence. Pour de longues périodes, les gens se sont déplacés dans et hors de l’état, et l’
« étatisation » était, elle-même, souvent cyclique et réversible ».
- Il existe des fuites face à l’impérialisme pour éviter de se soumettre, Scott montre que des
populations fuient l’impérialisme pour ne pas se soumettre à l’autorité centrale, il n’y a donc
plus l’image d’un état bienfaisant mais plutôt l’image d’un empire pilleur. Des stratégies
intentionnelles de souplesse sociale (permettent aux groupes d’éviter d’être gouvernées)
sont alors mises en place.
« La plupart, si pas toutes les caractéristiques qui en sont venues à stigmatiser les
populations des montagnes – leur situation marginale, leur mobilité physique, leur
agriculture sur brûlis, leurs structures sociales flexibles, leurs religions hétérodoxes, leur
égalitarisme, même s cultures orales et illettrées – loin d’être la marque de primitifs laissés
en retrait de la civilisation, sont plus exactement envisagées dans la durée comme des
adaptations conçues pour échapper tant à la capture qu’à la formation étatique. Elles sont,
en d’autres termes, des adaptations politiques de populations non étatiques dans un monde
d’états, qui se présentent comme à la fois attractifs et menaçants ».
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Scott souligne alors les relations de symbiose avec les états centralisés (plaines) qui prennent 3
formes : il y a de larges réseaux d’échanges de biens, des mouvements humains assez importants et
un espace de contention car le Zomia touche à plusieurs pays.
11.3.1 Herzfeld
a) Repères biographiques
Il a étudié le folklore à Athènes, le grec à Birmingham, il a fait une thèse à Oxford et a enseigné à
Harvard.
Il veut étudier les rouages sociaux, ne veut pas étudier l’état comme une entité au-dessus des
citoyens mais comment il se construit au quotidien dans les interactions entre les citoyens.
« Il s’agit d’arrêter de considérer à la fois l’État nation et l’essentialisme comme des ennemis
lointains et hors d’atteinte de l’expérience quotidienne, et, au lieu de cela, de les comprendre
comme faisant intégralement partie de la vie sociale ». Herzfeld veut comprendre en quoi l’état fait
partie de la vie quotidienne des individus.
Pour ce faire, il fait une enquête dans un village de bergers crétois qui vivent donc sur une île assez
reculée et loin du pouvoir central d’Athènes. Les bergers adoptent une posture défiante vis-à-vis de
l’état et de l’élite. Malgré cela, ils participent à la construction et à la reproduction de l’état-nation à
travers des interventions ambivalentes. Ils dénoncent par exemple la corruption de l’état mais font
appel aux institutions étatiques pour trancher des conflits moraux ou de propriétés sur l’île.
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affecte tout ce qui est humain ». Il souligne deux caractéristiques de cette nostalgie
structurelle : elle s’inscrit dans un temps précis (la génération passée critique la génération
future) et ce discours pointe un état de dégénération sociale, d’une réciprocité endommagée
par la montée de l’égoïsme contemporain. Cette nostalgie structurelle fait partie de l’intimité
culturelle car elle est partagée par les différents groupes qui composent l’état-nation.
a) Repères biographiques
Antina Von Schnitzler travaille à NY sur des thématiques telles que la citoyenneté, les droits de
l’homme, les subjectivités politiques, le libéralisme, le colonialisme dans une approche de STS
(science technology and society studies).
Elle publie en 2016 Democracy’s infrastructure. Techno-politics & protest after apartheid.
Elle a fait son terrain en Afrique du Sud à Soweto et développe une méthodologie basée sur
l’observation participante et sur une analyse des archives disponibles. A travers cela, elle propose
d’étudier les paradoxes de la libération/libéralisation sud-africaine.
Son objectif est de comprendre le rôle du compteur d’eau prépayé sur l’expérience quotidienne de
l’état-nation et de la politique.
Elle propose une généalogie car elle explique qu’il a été créé à la fin du 19 ème siècle en Angleterre
avec un objectif éthique et politique, car il devait aider à favoriser une meilleure hygiène chez les
classes ouvrières. Elle montre que le compteur est un outil politique porteur d’un projet politique et
moral, il peut être étudié comme une technopolitique. Il peut avoir un rôle d’infrastructure.
Von Schnitzler explique que les compteurs d’eau ont été adapté en Afrique du Sud à la fin du 20 ème
siècle quand la démocratie multiraciale a été mise en œuvre.
Ces services vont devenir le moyen et l’objet de revendications. Les mouvements de protestation
sont repris par les grands groupes de lutte contre l’apartheid comme la preuve d’une mobilisation
collective de masse. Les résistances vont continuer après 1994, malgré le changement de
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2020-2021 Clémence Lefèvre
gouvernement. Les discours vont alors être dépolitisés et une approche éducative est adoptée. Les
résistances vont être associées à un problème comportemental, à un manque d’éducation, et une
solution technique va être adoptée. On a alors une continuité entre les politiques d’avant et d’après
apartheid, dans les deux cas on mobilise des solutions techniques qui dépolitisent les discours.
Des adaptations matérielles sont faites au niveau des compteurs prépayés, les arguments sont alors
écologiques (utilisation de l’eau) et éducatifs (informer les citoyens va leur permettre de prendre
conscience de la valeur de l’eau et de budgétiser). On va dépolitiser l’utilisation de l’eau via
l’utilisation d’une solution technique, à savoir les compteurs prépayés.
« Tout est prépayé maintenant. On paie à l’avance pour le téléphone, pour l’électricité et maintenant
on doit aussi payer notre eau à l’avance. Qui sait, demain, il faudra peut-être payer à l’avance pour
que le soleil soit allumé et éteint ! »
Idée qu’il faut de plus en plus tout prépayer, Von Schnitzler va plus loin en montrant que
l’introduction de ces compteurs va transformer les subjectivités : une nouvelle temporalité apparait
avec la fin des salaires, et il y a une transformation de la perception du nécessaire et du superflus (il
faut choisir ses priorités, nouvelle manière de trancher entre les deux).
Cela va créer de nouvelles formes de résistances, des personnes vont maintenir le non-paiement
(refus d’avoir le compteur donc plus d’accès à l’eau), d’autres vont utiliser des nombres subversifs
(reproduire les chiffres du compteur pour vérifier les comptes municipaux et l’argent qu’on demande
à la fin du mois).
a) Repères biographiques
Elle a grandi à Lima, travaille en Californie et fait ses recherches dans la région de Cuzco. Ses objets
de recherches portent sur la construction des identités et sur le rôle d’entités non-humaines en
politique.
b) La cosmopolitique
Elle montre en 2006 qu’il y a eu des manifestations à Cuzco contre une exploitation minière qui
devait s’installer sur une montagne inoccupée. Il y a deux rhétoriques sur la montagne :
- Pour les gens proches de la région, la montagne représente une sorte de divinité, un ancêtre
incarné dans l’environnement (= un apu) et a un rôle de protection et suscite la crainte. Il y a
aussi des questions environnementales (polluer les eaux et les terres)
- Pour les acteurs politiques, la montagne est une ressource délaissée, il s’agit d’un
développement économique de la région avec création de nouveaux emplois notamment.
Ici, on voit comment une entité non-humaine joue un rôle politique. En 2008, en Equateur, la
Pachamama (terre mère) a été reconnue comme un agent de droit dans la Constitution. C’est comme
une personne juridique avec un droit.
De la Cadena montre dans ces exemples que l’on a besoin d’explorer de nouvelles manières
d’appréhender le monde.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
a) Contexte ethnographique
Boas est l’un des premiers à faire des études de terrain, notamment au NO de l’Amérique. Il prend
des notes très détaillées. Il montre que l’économie des sociétés dans lesquelles il travaille (sociétés à
Potlatch) est basée sur la chasse, la pêche et la cueillette. Les hommes font la pêche en rivière et en
mer, ainsi que la chasse de mammifères marins et gibiers. Les femmes réalisent la cueillette de
mollusque et de crustacés, mais aussi de baies et de racines ; ainsi, les activités de chaque genre se
complètent.
L’expérience est plutôt saisonnière, les activités ne sont pas les mêmes en été qu’en hiver
(automne/hiver moins de ressources sédentarisation, période de repos et période festive ;
printemps/été période de production).
Les groupes du Potlatch dont ceux organisés avec une organisation sociale totémique, cad avec des
groupes de parenté placés sous l’autorité d’un chef qui détient le blason. Chaque clan est associé à
un totem, à un animal particulier qui apparait sur le blason.
L’organisation sociale est alors marquée par une certaine hiérarchie. Des rivalités entre lignage
apparaissent, et à travers ces rivalités, la hiérarchie peut changer.
Potlatch : quand un chef de groupe donne un ensemble de biens assez conséquents à un autre chef
dans le but de l’humilier et de marquer sa supériorité car l’autre chef va devoir rendre encore plus
que ce qui lui a été donné.
Quand Boas fait ses terrains dans la seconde moitié du 19 ème siècle, on peut observer une
intensification du commerce entre les populations locales (étudiées par Boas) et les colons. On a un
enrôlement des populations locales pour travailler de manière saisonnière pour les colons.
Progressivement, l’économie de chasse, de pêche, de cueillette se monétarise (avant, échanges de
biens de subsistances, maintenant, la monnaie sert de base à l’échange). Cette monétarisation est le
résultat du travail saisonnier (les locaux gagnent de l’argent qu’ils injectent dans l’économie locale).
Donc les populations locales pour avoir la possibilité d’acquérir des richesses plus importantes.
Cette amplification des richesses va exacerber les potlatchs, cad que les biens donnés vont être de
plus en plus nombreux et les cérémonies prennent une ampleur inédite. Face à cela, le
gouvernement interdit les potlatchs à partir de 1884 sous l’influence des missionnaires (gens qui
viennent christianiser les locaux) qui disent que ce sont des cérémonies primitives et irrationnelles
qui auraient pour conséquence la dilapidation des richesses. Malgré cette interdiction, la pratique
des potlatchs se poursuit de manière clandestine.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Cette interdiction dure jusqu’en 1951, les potlatchs redeviennent une cérémonie emblématique et
deviennent le théâtre de nouveaux enjeux politiques. Dans ce cadre, Boas critique le fait que les
autorités stigmatisent ces cérémonies. Il critique le fait qu’ils soient considérés comme des pratiques
irrationnelles (Boas a une approche culturaliste, on peut juger le sens d’une pratique s’un prenant en
compte le point de vue des populations qui la réalise). Boas fait alors une analogie entre ces
cérémonies (richesses circulent) et les prêts à intérêt que font certains banquiers capitalistes. Son
objectif est de souligner que le potlatch n’est pas une pratique irrationnelle ou dilapidatrice.
« Le système économique des Indiens de la Colombie-Britannique est basé sur le crédit, tout comme
celui des sociétés civilisées. Dans toutes ses entreprises, l’Indien compte sur l’aide de ses amis. Il leur
promet de les payer plus tard pour cette aide. Si l’aide apportée consiste en biens matériels, qui sont
mesurés chez l’Indien en couvertures tout comme nous les mesurons en argent, il leur promet de
rembourser la quantité empruntée plus l’intérêt. L’Indien ignore l’écriture. Pour qu’il y ait une
garantie, la transaction est donc accomplie en public. Le fait de contracter des dettes, d’une part, et
de les rembourser, d’autre part, c’est le potlatch. Ce système économique s’est développé à tel point
que le capital détenu par tous les individus associés de la tribu excède de loin la quantité de valeur
existante ; autrement dit, ces conditions sont tout à fait analogues à celles qui prévalent dans notre
société : si nous désirions nous faire rembourser toutes nos créances, nous constaterions qu’il n’y a
guère assez d’argent, en fait, pour les payer ».
Cette analogie doit servir à montrer le caractère rationnel des pratiques de potlatch. Pour ce faire,
Boas le réduit à deux actions : celle d’éponger une dette et la volonté d’investir le fruit de son travail
pour produire un profit. Boas lutte contre l’interdiction du potlatch.
Toutefois, le travail de Boas est critiquable, il oublie certains éléments dans cette comparaison. La
première est l’idée de la norme (obligation à participer au potlatch) VS l’idée de l’acte volontaire (un
prêt à la banque se fait volontairement). Ensuite, Boas ne met pas en évidence le fait que dans le P
certains des biens sont détruits alors que lors d’un prêt on fait usage de l’argent prêté.
Boas fait ici une analyse ethnocentrée, il veut faire comprendre la logique des P à travers des
concepts occidentaux. Les notions de profits, de dette peinent à rendre compte des logiques et
prestations du P car ce sont des notions capitalistes. Malgré cela, il faut rappeler que la comparaison
a tout de même une intention culturaliste, celle de montrer le sens et le rôle important du potlatch.
Malinowski étudie les systèmes d’échanges et à travers sa description de la kula, il insiste sur la
nécessité de comprendre les motivations et logiques locales sans les interpréter. On voit la
distinction avec Boas qui lui cherche à réhabiliter le potlatch en le rendant compréhensible avec des
termes capitalises.
Malinowski montre qu’une approche ethnocentrée ne permet pas de comprendre ce qui est en jeu
car on n’adopte pas la mentalité locale. Il va également étudier un ensemble de pratiques d’échanges
qu’il envisage comme l’expression de besoins biologiques et non pas comme des stratégies de
maximisation de profit.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Afin de rentrer dans les logiques locales, il reprend de nombreux termes locaux dont il propose une
traduction. Il décrit alors le Gimwali (troc intéressé entre deux personnes) et le Mapula (don altruiste
dont on n’attend aucune contrepartie). Il n’oppose pas ces systèmes, il les décrit en continuité l’un de
l’autre.
b) La question du don
Malinowski va, à partir de ses terrains, monter en généralités et identifier le fait que la circulation de
dons permet de tisser des liens sociaux. Quand il y a une création de liens sociaux, il faut un délai du
contre-don. Ex de la kula : plusieurs mois après un premier don, un peuple se rend chez l’autre pour
rendre les dons. Ce délai permet de pérenniser les relations. On n’est pas dans un troc (sans délai),
on ne marchande pas avec la kula, on est obligé d’accepter un don. On retrouve un principe
d’équivalence entre dons.
L’objectif de Malinowski est de montrer qu’il existe d’autres systèmes tout aussi importants qui
reposent sur d’autres logiques, régis par le don et qqch qui s’apparente à la générosité. Ces éléments
lui servent pour réfuter l’idée que les autres peuples seraient irrationnelles qui ne comprennent pas
les logiques capitalistes. Il parle alors d’homo œconomicus comme idéal, qui cherche à maximiser
son intérêt personnel, etc.
Mauss a été fortement influencé par son oncle Durkheim. Il a rédigé un Essai sur le don en 1924. Il se
base sur des descriptions ethnographiques de ses prédécesseurs pour développer une théorie sur le
don.
Il voit dans les échanges élémentaires l’armature de la société non capitaliste. Pour lui, don ≠ troc. Il
voit des dons qui apparaissent libres et gratuits mais qui sont cependant contraints et intéressés. Il
montre que les dons dans les sociétés « archaïques » structurent la sociabilité des sociétés. Son essai
sur le don repose sur une triple obligation : donner, recevoir et rendre. C’est surtout l’obligation de
rendre que Mauss étudie. Il utilise un concept maori de hau : c’est l’esprit de la chose, il représente le
lien entre la chose donnée et le donateur. Il y a tjrs qqch du donateur dans la chose et c’est ce qqch
qui va obliger celui qui a reçu de rendre. Le hau devient alors un concept fondamental en
anthropologie et explique le principe de la réciprocité au-delà de la société maorie.
Mauss voit les dons comme un « contrat primordial », cad l’archaïsme du contrat individuel. C’est le
fondement à partir duquel l’économie moderne va se développer. C’est à partir de là qu’on a une
séparation entre les personnes et les choses.
« Nous vivons dans des sociétés qui distinguent fortement (l'opposition est maintenant critiquée par
les juristes eux-mêmes) les droits réels et les droits personnels, les personnes et les choses. Cette
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2020-2021 Clémence Lefèvre
séparation est fondamentale : elle constitue la condition même d'une partie de notre système de
propriété, d'aliénation et d'échange. Or, elle est étrangère au droit que nous venons d'étudier. De
même, nos civilisations, depuis les civilisations sémitique, grecque et romaine, distinguent fortement
entre l'obligation et la prestation non gratuite, d'une part, et le don, de l'autre ».
Dans les sociétés archaïques, les dons circulent à travers des prestations où générosité et intérêt se
mêlent alors que dans nos sociétés, on a les marchandises impersonnelles à partir desquelles on fait
du profit d’un côté et les dons personnels et désintéresses de l’autre.
Mauss termine son essai en valorisant la morale du don comme un moyen de faire face aux crises
économiques et politiques. Il propose de remplacer l’aumône (humiliant pour le receveur car il ne
peut pas rendre) par la sécurité sociale (qui apparaitra 20 ans plus tard).
Il constate que lorsque les peuples Trobriand ont commencé à faire du commerce avec les colons, il y
a eu une multiplication des circuits kula, cad qu’ils ne se sont pas dégager des systèmes traditionnels
d’échanges, il y a une diffusion des marchandises occidentales qui sont réinjectées dans les circuits
kula. Ainsi, les marchandises des colons sont transformées en dons.
Ces observations montrent des connexions importantes entre les systèmes de dons et les systèmes
de marchandises. Les peuples prennent les ressources du système marchand pour les déplacer dans
leur système. On voit alors que les deux systèmes peuvent cohabiter.
a) Donner et garder
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Weiner va proposer une revisite du terrain de Malinowski 50 ans après. Elle a accès à la sphère
féminine et critique la mise en avant du rôle des hommes dans la Kula proposée par Malinowski. Elle
montre des échanges entre les femmes et s’intéresse aux statuts et aux rôles économiques des
femmes.
En 1985, elle écrit un article : selon elle, la distribution de dons et de contre-dons ne constitue pas
l’entièreté de la vie sociale.
Elle écrit Inalienable possessions en 1992, elle remet l’idée d’échange comme fondement du lien
social, elle ne dit pas qu’il n’y a pas d’échanges mais elle nuance leur importance. Elle montre
l’intérêt de garder des biens pour assurer la permanence de la société. Elle utilise d’autres données
ethnographiques pour faire une comparaison entre sociétés.
Elle parle de possessions inaliénables qui sont des biens assurant l’identité d’un groupe qui sont
extraits des réseaux d’échange. Ils sont du même genre que les objets échangés mais sont plus
beaux, plus précieux, etc.
A partir de cette approche des biens qu’on ne peut pas donner, Weiner développe le Keeping while
moving : objets en circulation en tant que substituts des premiers.
Les biens inaliénables construisent des distinctions identitaires entre communautés. Une hiérarchie
peut alors se construire à partir des biens. On a également des distinctions au sein d’une
communauté : les biens qui représentent le groupe ne sont pas conservés pas n’importe qui.
Dans son ouvrage, Weiner montre aussi le rôle des femmes dans la structure politique. Elle met en
évidence deux dynamiques dans le processus de production et reproduction de la hiérarchie sociale :
- Les dons, que lesquels sont constitués des alliances politiques et qui permettent des
dynamiques sociales
- Les biens gardés, qui permettent la transmission et la reproduction de la société.
Les critiques apportées aux auteurs fondateurs portent sur deux points : Gregory arrête de
s’intéresser seulement aux dons pour permettre de comprendre la différence entre les dynamiques
du don et les dynamiques marchandes, et Weiner dit que certes il y a des objets échangés mais il y a
aussi des objets inaliénables qui représentent la collectivité et qui n’entrent pas dans les systèmes
d’échanges.
Kopytoff propose une 3ème nuance et une approche dynamique qui repose sur la biographie sociale
des biens. Il revient sur le processus de marchandisation : processus qui s’inscrit dans la vie sociale
des choses, qui inclut des phases de singularisation.
Cette approche dynamique de la marchandisation s’oppose à Mauss et Gregory car il n’y a pas une
modalité d’échange unique. Il s’oppose aussi à Mauss et Weiner, chez qui les biens sont soit
aliénables soit inaliénables.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Kopytoff propose d’examiner la biographie des biens en étudiant la création des objets, comment il a
été échangé, comment il peut s’abîmer… Il utilise cette biographie pour étudier l’exemple de
l’esclavage et montre la frontière culturelle et poreuse entre sujet et objet.
Il montre que la valeur des esclaves va osciller entre des phases de marchandisation (objet est dans
cette phase quand il est échangeable) et des phases de singularisation (la marchandise devient un
bien singulier qui a trop de valeur pour être échangé OU l’objet n’a pas assez de valeur).
Kopytoff propose alors une définition de la marchandise : « une chose qui a une valeur d’usage et qui
peut être échangée pour une contrepartie dans une transaction discrète, le moment de l’échange
indique que la contrepartie a, dans le contexte immédiat, une valeur équivalente ».
c) L’exemple du doudou
A la base, le doudou est une marchandise choisie avec amour. L’enfant va progressivement s’y
attacher surcroit affectif de l’enfant. On a alors un processus de délabrement qui fait augmenté la
valeur singulière du doudou mais diminué la valeur marchande. Le doudou se transforme alors peu à
peu en « déchet ».
Tsing montre la mise en place d’un système d’échange et de travail alternatif au capitalisme
industriel. Les champignons sont catégorisés comme des trophées et non pas comme une simple
marchandise.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
A travers son étude du matsuke, elle montre une valeur associée au champignon qui n’est pas
économique mais créée dans des sphères précapitalistes, hors de la logique capitaliste. S’il se vend
aussi cher dans la sphère capitaliste, c’est parce qu’il a une valeur cérémonielle assez importante.
Tsing montre que la capitaliste se nourrit de ce qui est produit dans les sphères précapitalistes.
« Cet article montre […] de quelle manière la valeur capitaliste est partout créée en puisant et
transformant des relations sociales non capitalistes. […] Le contraste anthropologique entre dons et
marchandises – dans sa rigidité artificielle - peut éclairer le processus par lequel des relations sociales
non capitalistes peuvent être extraites des choses, rendant possible la création de valeur marchande
capitaliste »
L’extraction des relations sociales non capitalistes se fait par le processus de standardisation (ce
qu’elle appelle purification des marchandises). Tsing montre la manière dont des valeurs sont crées
en marge du capitalisme.
Le statut de don ou de marchandise sont des attributs construits dans le creuset d’interactions
sociales.
Elle s’intéresse au troc. Elle retrace la manière dont le troc a été appréhendée à travers le temps.
Dans les textes classiques, on retrouve une forte opposition entre le don et les marchandises. Le troc
était un échange marchand non monétaire qui reposait sur des relations entre inconnus, il était
asocial car il ne permettait pas de construire des relations sociales entres individus.
Progressivement (1980’s), cette opposition catégorique va être nuancée. Le troc repose sur les
relations sociales pérennes, les gens qui font du troc privilégient les mêmes partenaires et
construisent des relations sociales de longue durée. Humphrey & Hugh-Jones parle du troc comme
un mode d’échange à part entière. Il y a une éviction de l’argent, on ne peut pas en utiliser.
Pour Angé, le troc vaut la peine de s’y intéresser. Elle pense que le critère le plus important pour
identifier du troc est qu’il ne repose pas sur de l’argent mais sur des échanges de biens de chaque
côté. Puisqu’il n’y a pas d’échelle monétaire qui sert de base à la transaction, il y a la mobilisation
d’échelle de valeur alternative.
Elle fait un terrain dans les Andes argentines où elle réside 5 ans. Elle réalise l’ethnographie du
cambio (= échange en espagnol). Elle se demande comment la valeur des biens est définie sans
monnaie et souligne un autre modèle de valeur. Ce système de mesure se fait via la comparaison
entre des biens sur base des intérêts personnels.
b) Ethnographie du cambio
Le cambio est un grand marché, souvent associé à des cérémonies religieuses, qui dure entre 2 jours
et une semaine. Il rassemble des personnes des hauts plateaux montagneux et des vallées, donc il y a
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2020-2021 Clémence Lefèvre
des marchandises diversifiées qui se concentrent dans des secteurs spécifiques dans le marché. En
fonction de la provenance des marchands, les marchandises ne sont pas identiques. Elles marquent
ainsi une appartenance symbolique.
Pour réaliser les échanges, Angé montre qu’il y a un taux d’échange fixe qui circule entre couple de
produit. Il est qualifié de Médidas de los abuelos, cad qu’il est fixé par les anciens. Les participants au
cambio ont tous en tête ces taux d’échanges, qui sont des points de référence pour engager le
marchandage. Une négociation peut alors avoir lieu.
Angé met en évidence 3 éléments : la majorité des échanges réalisés sont anonymes, mais il existe
tout de même des relations pérennes (favorisées par des relations sans mesquinerie, ou encore par
des présents) et enfin, il y a une reconnaissance d’une appartenance partagée à une communauté
spécifique souvent associée à une parenté partagée.
De manière plus générale, elle montre qu’il faut étudier le troc au-delà de la simple absence de
monnaie. La conséquence de cette absence est la mise en place d’un régime de valeur alternatif.
Ensuite, elle se pose la question de l’intégration du troc dans les liens sociaux. Elle dépasse cela pour
parler d’opérativité sociale, cad d’une modalité d’échange propre au troc. Elle montre qu’il ne faut
pas forcément associé le troc à des liens sociaux : dans le cambio, le troc constitue des groupes
sociaux et participe à la définition des identités culturelles idée de régénération sociale, cad
comment l’organisation sociale se fait de manière plus générale.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Durkheim a une approche qui repose sur l’étude de la cohésion sociale, il mobilise une analogie corps
social/corps biologique. Il veut étudier la religion comme un fait social et comprendre les autres
religions non pas comme une forme antérieure de notre propre pensée mais comme des éléments
plus simples où tous les éléments de la religion sont déjà présents : on voit ici la teinte
évolutionniste.
Pour Durkheim, les émotions sont des faits sociaux, pas uniquement psychologiques ou biologiques.
Il montre que les émotions sont exprimées collectivement. On peut le voir à travers les actes de
deuil.
Il montre que les cérémonies religieuses créent de l’effervescence, une expérience de collectivité qui
repose sur le partage émotionnel. Il dit que les cérémonies religieuses créent un état hors du
commun à travers lequel les individus perçoivent une réalité abstraite, néanmoins tangible puisqu’ils
la vivent. La cohésion de la société est alors entretenue et de manière plus générale, les émotions
ont bien un rôle social et crucial à jouer au sein de la société.
Ici, Durkheim propose une première approche sociologique des sciences humaines qui ne perçoivent
pas les émotions comme seulement naturelles et biologiques mais comme qqch qui peut créer du
lien entre les individus.
a) Repères biographiques
Elle est née en 1887 et décède en 1948. Elle étudie l’anthropologie à l’université de Columbia et est
un disciple de Boas. Elle développe progressivement sa propre approche qu’elle nomme courant
« culture et personnalité » qui combine l’approche culturaliste de Boas et un intérêt pour la
psychologie.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Le processus de socialisation pour Benedict porte aussi sur les émotions : en fonction des valeurs
d’une culture, tous les membres de cette culture sont encouragés à contrôler leurs émotions de
manière spécifique établie selon les idéaux collectifs de la culture.
Dans cet ouvrage, Benedict décrit des modèles émotionnels qui distinguent les groupes sociaux les
uns des autres. Elle s’attache au processus de socialisation par lequel la culture va influencer cette
psyché collective. Culture Socialisation Psyché du groupe. Elle décrit deux types de cultures :
Benedict met en évidence des valeurs particulières qui influencent la psyché collective. Selon elle, il y
a toujours une sélection culturelle qui se fait dans le groupe et qui sélectionne un certain nombre
d’émotions humaines même si Benedict pense qu’il existe une palette finie d’émotions humaines.
Les émotions en elles-mêmes ne sont pas sociales contrairement à leur traitement qui se fait via le
processus de socialisation.
a) Repères biographiques
Elle nait en 1901 et décède en 1978. Elle étudie à l’université de Columbia en partie sous Boas. Elle
est amie avec Benedict. Elle développe le terme d’enculturation qui désigne le processus de
transmission intergénérationnelle du schème culturel.
Mead fait des terrains en Polynésie, en Papouasie Nouvelle Guinée et à Bali (avec G. Bateson).
Elle considère que chaque culture induit des styles de comportement spécifiques. Elle s’attaque à
l’enculturation car elle veut comprendre les pratiques concrètes et les méthodes pédagogiques par
lesquelles les styles culturels sont transmis.
Samoa est une île de l’océan Pacifique. Mead a pour objectif de critiquer l’idée selon laquelle les
souffrances adolescentes seraient universelles. Elle travaille avec des jeunes filles polynésiennes, qui
feraient preuve de grande liberté et adoptent une posture sexuelle très libérée. Elles auraient des
relations affectueuses avec leurs parents.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Des critiques ont été apportées à l’ouvrage de Mead, notamment sur sa méthodologie. Son terrain
ne dure que 4 mois, soit un temps relativement bref. De plus, Mead ne parle pas la langue de la
région, ce qui limite sa capacité à s’intégrer à la vie du village. Elle réalise des entretiens depuis sa
véranda et ne partage pas le quotidien des locaux. Ses entretiens se font uniquement avec des
jeunes filles qui parlent anglais. On note que le fait de ne parler la langue ne lui aurait pas permis de
se rendre compte de si les jeunes filles plaisantaient sur la sexualité car c’est un sujet tabou. Mead
réalise aussi des entretiens avec des hommes, et ne se serait pas forcément rendue compte qu’une
discussion avec une étrangère serait l’occasion pour les hommes de montrer leur virilité. En fait, il y
aurait un fantasme de frivolité en réponse à des normes strictes, ce que Mead n’aurait pas forcément
vu.
Ce second ouvrage reprend le terrain de Mead en Papouasie Nouvelle Guinée. L’objectif est de
comparer trois cultures géographiquement proches. Elle les compare à partir des traits associés à la
masculinité et à la féminité.
a) Repères biographiques
Elle est née en 1929 et est décédée en 2016. Elle enseigne au Canada et fait son doctorat à Harvard.
Elle a fait un terrain de 17 mois au Canada dans une famille d’Inuits chez les Utkuhikhalingmiut. Elle
ne parle pas la langue et doit faire une ethnologie qui se base sur l’expression des sentiments. Briggs
délaisse les modèles généraux et réalise un examen minutieux des relations entre les membres de sa
famille d’accueil. En réalisant son anthropologie de l’expérience, elle s’attache à décrire sa position
dans la famille. Elle réussit à étudier les expériences émotionnelles. La destruction d’un canoë par un
étranger qui s’est rendu dans la communauté est un élément déclencheur, Briggs exprime
franchement sa colère et se trouve ostracisée pendant plusieurs mois comme punition pour avoir
exprimé ses sentiments. Elle comprend avec cette expérience à quel point ils répriment les
manifestations colériques. Elle oriente alors sa recherche sur la manière dont les émotions sont
transmises, exprimées et contrôlées.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Cet ouvrage porte sur la terminologie émotionnelle des Inuits. Elle montre comment on parle des
émotions et montre le système implicite de sanctions informelles appliquées en cas de
manifestations affectives non appropriées. Elle s’intéresse aux techniques de transmission des
normes émotives. Elle dévoile les liens entre les émotions et les significations/institutions culturelles
(politiques, religion, etc).
Pour elle, la société Utku est dans la retenue et la constance. Ils n’expriment pas leurs émotions.
Briggs contraste cette retenue avec une instabilité émotionnelle des Nord-Américains. Elle fait aussi
une comparaison avec la théorie psychanalytique des émotions qui dit qu’il vaut mieux exprimer ses
émotions plutôt que de les retenir et les réprimer. Elle cherche avec son ouvrage à faire comprendre
la manière dont les Utku fonctionnent. Elle permet une identification empathique.
Son ouvrage va être critiqué, il n’a pas de théorie générale ou de modèle abstrait, l’ouvrage est alors
classé comme un rapport de terrain qui ne permet pas de développer une théorie (donc pas de
véritable anthropologie). Par la suite, on a revu cette critique et montrer qu’à l’époque, il y avait une
perspective psychobiologique (émotions sont naturelles) importante et vu que Briggs mettait en
évidence une remise en question de l’universalité des émotions humaines, qui sont façonnées par le
contexte culturel dans lequel elles émergent.
a) Repères biographiques
Elle est née en 1952 aux USA d’un père palestinien et d’une mère américaine. Elle fait son doctorat à
Harvard et devient professeure à Columbia à NY.
Elle fait un terrain dans la communauté Awlad Ali en Egypte. Elle arrive en tant que fille se son père
car il est musulman et homme de lettre arabe, donc il introduit sa fille auprès d’une famille
particulière. Elle va prendre le rôle de fille adoptive du père (polygame) de famille qui l’accueille.
Cette position restreint sa liberté de mouvement, elle a accès à l’intimité de la famille mais son
comportement va influé sur la perception qu’ont les autres de sa famille. Elle ne peut se déplacer
seule et s’adresser aux autres familles. Elle ne peut pas non plus entrer dans la sphère masculine.
Abu-Lughod voulait étudier la configuration des relations interpersonnelles en particulier entre les
hommes et les femmes. Toutefois, la position particulière qu’on lui attribue sur le terrain ne va pas
lui faciliter la tâche. Elle va finalement rediriger son étude sur « la relation entre les sentiments et
expériences Awlad ‘Ali et les deux discours contradictoires qui les expriment et les façonnent : un
genre de poésie lyrique d’amour et de vulnérabilité d’une part, et d’autre part l’idéologie d’honneur
dans les conversations ordinaires et les comportements quotidiens. »
Son ouvrage va alors être structuré autour des deux discours : un sur l’honneur (1) et un plus
poétique tourné vers l’amour et la vulnérabilité (2).
1ère partie : Elle veut comprendre le discours de l’honneur en présentant la vie sociale du camp mais
aussi l’organisation des liens de parenté et les valeurs qui sous-tendent l’organisation sociale et
politique de la communauté. Elle montre comment l’honneur est un principe fondamental de
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l’organisation de la morale et de la sociabilité. Cet honneur n’est pas mis en pratique de la même
manière par tout le monde mais correspond à différentes pratiques liées au statut social des
individus. Les clans sont gérés par une autorité patriarcale. Les sentiments amoureux sont perçus
comme une menace de la reproduction de l’ordre social.
2ème partie : Elle étudie les poèmes présents dans les discours comme les « discours de sentiment ».
« Le fait le plus frappant à propos des poèmes récités par les hommes et femmes Awlad Ali que je
connaissais était la différence radicale entre les sentiments qui y étaient exprimés et ceux exprimés à
propos de la même situation dans les interactions et conversations sociales ordinaires. […] Pour les
personnes confrontées à la perte, aux mauvais traitements ou à la négligence (comptant parmi les
objets de poésie les plus fréquents), le discours de la vie ordinaire est un discours d’hostilité,
d’amertume et de colère ; en ce qui concerne les amours perdus, [...] le discours [quotidien] est celui
d’une indifférence militante et du déni de préoccupation. La poésie, au contraire, est un discours de
vulnérabilité, exprimant des sentiments de tristesse dévastatrice, d’apitoiement et de trahison ou,
dans le cas de l’amour, un discours d’attachement et de sentiments profonds.“
Elle fait le contraste entre des discours quotidiens qui font le déni de l’amour et des poèmes qui
valorisent des sentiments de tristesse dévastatrice, d’amour et de vulnérabilité. Elle présente ces
discours de sentiment comme une micropolitique des émotions, cette expression de sentiments
intenses est généralement réprouvée par l’honneur. Il s’agit alors d’une résistance à l’idéologie de
l’honneur. Les poèmes font office de négociation de valeurs. Les émotions sont gérées d’une certaine
manière dans la vie quotidienne mais d’autres registres peuvent émergés comme non-conformisme
aux règles.
Despret revient sur l’approche biopsychologique des émotions qui a participé à la réception mitigée
de l’ouvrage de Briggs. Elle souligne que cette approche est la conception dominante des émotions
jusque dans les années 1970. Elle est dominante chez les scientifiques, dans le grand public et dit que
les émotions sont naturelles, universelles, irrationnelles mais dans tous les cas elles sont dans le
domaine du biologique ou du physiologique.
Despret débute son étude en retraçant l’histoire de l’approche psychobiologique dans la pensée
occidentale. Elle cherche à comprendre comment notre culture en est venue à cristalliser
l’association des émotions avec les expressions corporelles. Elle identifie le foncement de cette
conceptualisation dans la philosophie de Platon, qui va développer le concept de passion qui est
considéré comme l’inverse de la raison et comme une menace pour l’ordre social. Cette passion est
alors nécessairement impersonnelle. Progressivement, Despret met en évidence que cette approche
va être remise en question. A la fin des années 1970, l’idée que des émotions sont des jugements et
des constructions cognitives se développe. Cette nouvelle approche continue de considérer les
émotions comme des réactions à un contexte externe, aux structures sociales.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Despret va aussi montrer que les émotions ont un caractère transformateur. Elle montre que les
émotions peuvent être des émotions de résistance ou de négociation politique, elles peuvent jouer
un rôle important qui permet de modifier la réalité sociale (ex : manifestations pour George Floyd).
Elle met en évidence le caractère indéterminé des émotions, elles sont imprévisibles. Ce sont des
éléments transformateurs qui participent à la création des différents contextes sociaux.
Nous fabriquons nos émotions mais elles nous fabriquent également. Pour Despret, une émotion est
« une manière par laquelle nous négocions notre rapport à nous-mêmes, aux mondes et aux autres
».
Elle appelle à une approche constructiviste, qui doit être héritière de l’approche de Platon et doit
aussi accepter d’autres versions. « […] il ne s’agit pas de constater sur un mode critique ou désabusé,
que la psychologie intègre passivement une tradition à laquelle elle devrait échapper, mais de
célébrer le fait qu’elle est partie prenante de la culture et de la tradition, qu’elle en est un produit et
un vecteur, et qu’elle peut, en tant que telle, les faire exister sous de nouveaux modes, en ce compris
les modes de résistance à la tradition. Les risques de la science, dès lors, ne se définissent plus
seulement en termes de mensonge ou de vérité, mais dans les termes des risques de l’engagement :
parce qu’elle s’intéresse à la manière dont celui qu’elle définit peut-être modifié par les conditions
mêmes qu’elle lui propose ».
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Boas publie Race and progress en 1905, un article dans lequel il adopte une perspective historique de
la race. Il démontre les erreurs qui apparaissent quand on parle de race. Il reprend la définition du
terme telle qu’elle est développée par le sens commun de son époque.
« Le premier point qui nécessite d’être clarifié est la signification du terme de race. Dans le langage
commun quand nous parlons de race, nous désignons un groupe de personnes qui ont certaines
caractéristiques physiques et peut-être aussi psychologiques communes. »
Il montre des diversités intra-raciales, à l’intérieur d’un même groupe racial, il y a des diversités
corporelles, des traits physiques différents, qui seraient même plus importants qu’entre les races
elles-mêmes.
Il revient sur l’idée du métissage comme dégénérescence. Il s’appuie sur des données biologiques :
nombre et caractéristiques des descendants, et montre qu’en général, le métissage produit une
descendance plus nombreuse et « meilleure » sur le plan évolutif (individus plus grands, plus fertiles,
plus forts…). Les dangers liés à la reproduction humaine ne se situent pas tant dans le métissage mais
dans l’entre-soi, dans la reproduction systématique d’un petit groupe de personnes entre elles. Ex
des Esquimaux : des pathologies émergent car les gènes ne sont pas assez mélangés. Ainsi, le
métissage pose moins de problème.
Il met en évidence l’importance des facteurs environnementaux et des facteurs liés aux conditions de
vie. Il montre que les corps s’adaptent progressivement (au climat, au travail…) et cette diversité est
plus importante que la diversité liée aux facteurs génétiques (héréditaires pour Boas).
Aux USA, il est courant de penser que les Afro-Américains ont un QI inférieur à celui des blancs. A
nouveau, Boas se base montre que ces différences de QI que l’on mesure à travers des tests sont
davantage liés à l’environnement et aux conditions de vie plutôt qu’à la race.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Il montre que des Afro-Américains qui viennent d’arriver en ville ont un QI moins élevé que ceux qui
sont installés en ville depuis longtemps. Boas décale progressivement la discussion de facteurs
biologiques et héréditaires à des facteurs culturels et sociaux.
« Je pense que l’état actuel de nos connaissances justifie notre pensée selon laquelle, même si les
individus diffèrent, les différences biologiques entre les races sont faibles. Il n’y a pas de raison de
penser qu’une race est naturellement tellement plus intelligente, dotée d’une volonté plus
importante ou émotionnellement plus stable qu’une autre, pour que cet état influence
matériellement sa culture. Il n’y a pas non plus de bonne raison de penser que les différences entre
les races seraient tellement importantes que les descendants de mariages mixtes seraient inférieurs
à leurs parents. »
Certes, il existe peut-être des différences biologiques entre les races mais elles sont tellement faibles
qu’elles ne peuvent pas influencer la manière de vivre des individus. Les différences culturelles sont à
chercher dans les facteurs sociaux et environnementaux.
Mauss propose un essai sur les techniques du corps en 1934. C’est le premier essai de théorisation
du corps comme lieu central du social. Il propose une approche interdisciplinaire. Pour lui, les
techniques du corps (manière dont on utilise son corps dans les différentes cultures) seraient des
montages physio-psycho-sociologiques. Il faudrait pouvoir développer un triple point de vue qui
mobiliserait la sociologie, la psychologie et la biologie.
Mauss s’intéresse surtout à la dimension sociale du phénomène. A son époque, il n’y a pas encore
véritablement de science sociale du corps. Il constate que les différentes personnes, en fonction de
leur culture, n’utilisent pas leur corps de la même manière. Ex : les polynésiens ne nagent pas comme
nous, sa génération ne nage pas comme la nouvelle génération, on ne marche pas de la même
manière partout… Tout cela montre que les techniques du corps sont avant tout sociales, apprises
par une socialisation particulière. Cela va produire un habitus spécifique, cad un ensemble de
dispositions incorporées, de choses qui nous prédisposent à agir d’une certaine manière, souvent
inconsciemment.
Quand Mauss fait référence aux techniques du corps, il parle « d’actes traditionnels efficaces », cad
des actions de nature mécanique ou physique qui ont une histoire (elles ont été démontrées comme
efficaces). L’objectif peut être atteint par ces techniques du corps.
Ces techniques du corps sont jugées efficaces au niveau mécanique, physique ou mécano-chimique.
Cette efficacité est ancrée dans les rapports sociaux historisés.
Mauss explique que le corps est le premier objet technique utilisé. Il propose un classement des
techniques du corps à partir de l’action à réaliser. Il distingue par exemple les techniques du sommeil
(on ne s’endort pas pareil dans toutes les sociétés).
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Mauss explique que les techniques du corps ne sont pas apprises n’importe comment. Elles sont
historiques et pas naturelles. Elles ont été apprises via la socialisation, qui repose sur l’imitation des
personnes qui ont de l’autorité et du prestige. Ex : l’enfant imite ses parents qui ont un certain
prestige pour lui.
« Ce qui se passe, c’est une imitation prestigieuse. L’enfant, l’adulte, imite des actes qui ont réussis et
qu’il a vu réussir par des personnes en qui il a confiance et qui ont autorité sur lui. L’acte s’impose du
dehors, d’en haut, fût-il un acte exclusivement biologique, concernant son corps. L’individu
emprunte la série de mouvements dont il est composé à l’acte exécuté devant lui ou avec lui par les
autres. C’est précisément dans cette notion de prestige de la personne qui fait l’acte ordonné,
autorisé, prouvé, par rapport à l’individu imitateur, que se trouve tout l’élément social. »
a) Repères biographiques
Il est né en 1878 en France et il part comme missionnaire en Nouvelle-Calédonie en 1902. Il est alors
avec la population Canaque, considérée comme étant en voie de disparition. Leenhardt, dont
l’objectif était d’évangéliser la population, va porter un véritable intérêt aux Canaques. Il s’intéresse
à leur manière de penser et de vivre et lutte contre leur disparition.
En 1920, il rentre en France et rencontre Lévy-Bruhl qui lui donne envie d’étudier l’anthropologie. En
1947, il publie Do Kamo : La personne et le mythe dans le monde mélanésien. C’est une étude de
terrain, d’observation participante, d’immersion de longue durée. Il va essayer de penser le
phénomène social dans sa globalité comme un tout complexe (il ne parle pas seulement de la
parenté, de la politique…). Il propose également une théorie sur la pensée mythique (influence de
Lévi-Strauss).
On le critique pour ne pas avoir assez pris en compte les dynamiques coloniales auxquelles il a
participé.
Il veut comprendre la manière dont les Canaques pensent leur corps et se représentent le monde et
leur place dans celui-ci. Leenhardt met en évidence que les Canaques n’appréhendent pas les
différences corporelles comme nous, il appelle cela une vue cosmo-morphique. Chez les Canaques, il
y a une identité de substance entre les humains et le reste du vivant. Ils pensent qu’on est constitué
des mêmes éléments que la végétation et les animaux. Il n’est pas rare qu’un Canaque utilise des
termes ou des plantes pour parler d’humains. La majorité de nos organes ont des noms de végétaux.
L’identité de substance se traduit aussi par le terme Kamo : le vivant, qui ne se limite pas à la vie
humaine/animale mais concerne aussi les plantes, végétaux et personnages mythiques. Leenhardt
propose de traduire ce mot par « air d’humanité ». Celui-ci peut se trouver chez des végétaux et
animaux (ex : pêcheur qui relâche un poisson car il a vu le Kamo dans ses yeux). Il y a aussi le Baro : le
mort, le désaffecté, c’est un Kamo qui a perdu son rôle social, il n’a plus de fonction vis-à-vis de la
communauté. Baro et Kamo peuvent se transformer.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
« Le kamo est un personnage vivant qui se reconnaît moins à son contour qu’à sa forme, on pourrait
dire à son air d’humanité. C’est dans cette forme et non dans la ligne extérieure, que le personnage
existe. L’humain dépasse ainsi toutes les représentations physiques de l’homme. Il n’est pas perçu
objectivement, il est senti. Il enferme en lui les données esthétiques et affectives qui sont de
l’homme et que le Canaque éprouve comme telles. C’est cet ensemble vivant et humain qu’il signifie
par Kamo. »
A partir de la vision cosmo-morphique, la personne n’est pas définie à partir de son corps mais à
partir de ses relations sociales. La place qu’elle occupe dans la société le rend pleinement Kamo.
Il n’y a pas de conceptualisation du corps physique, en effet il peut se transformer, le corps n’est
qu’un support. Leenhardt découvre que le corps est, pour les Canaques, une invention des blancs. Ce
sont les colons qui l’ont apporté. Ils ont également apporté l’individualisation du corps.
Il ne va pas tant s’intéresser aux techniques du corps mais va chercher à comprendre comment le
corps va incorporer une partie de la culture.
Bourdieu va faire de l’habitus un élément central de sa sociologie. Il dit que c’est le principe
d’engendrement des pensées et des actions. Ce sont des éléments qui vont produire l’ensemble des
pensées et des actions d’un individu. C’est l’ensemble des schèmes incorporés qui gouvernent les
pratiques.
Cet habitus est le produit d’une socialisation et des expériences passées. Il est acquis à travers la vie,
et n’est pas biologique. Chez Bourdieu, l’habitus est également lié à d’autres conditions d’existence.
Ces schèmes vont être mobilisés pour permettre à l’individu de comprendre ce qu’il se passe autour
de lui. L’habitus va sous-tendre l’improvisation réglée.
Cette approche de l’habitus est considérée comme une approche dispositionnelle, car il va créer des
dispositions chez les individus. Certains vont, de par leur socialisation/habitus/expériences, penser
d’une certaine manière. Les expériences passées vont nous disposer à régir de telle ou telle manière.
L’habitus est le sens pratique lié à des manières de pensée mais aussi à des habitudes corporelles.
Bourdieu divise le concept d’habitus en deux sous-ensembles : l’hexis (ensemble de dispositions
corporelles) et l’ethos (ensemble de dispositions morales). Chez Bourdieu, les habitus sont formés de
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2020-2021 Clémence Lefèvre
manière individuelle mais parfois en groupe, ce qui lui permet de mettre en évidence des classes
sociales.
La socialisation ne débouche pas seulement sur la formation d’habitus mais aussi sur une manière de
tenir son corps, de l’utiliser. C’est une socialisation du biologique ancrée dans les conditions sociales
d’existence.
a) Repères biographiques
Michel Foucault n’est pas vraiment un anthropologue, il n’a jamais fait de recherches de terrain. Il est
né en 1926 à Poitiers. Il est philosophe et historien. Il est décédé en 1984 du SIDA. Il développe une
théorie attachée au poststructuralisme.
Dans la majorité de ses travaux, le corps est le site et le lieu du pouvoir. Il fait une analyse assez
importante de la sexualité. Il fait une étude sur le gouvernement des corps à partir du système
punitif, son ouvrage Surveiller et punir montre que le social s’inscrit dans les corps. Il considère les
régimes politiques comme des systèmes d’administration et de traitement des corps.
Le pouvoir de manière générale, et le pouvoir politique plus particulièrement est rassemblé dans les
mains des politiques.
Il y a eu un changement dans le régime des corps qui s’est fait au tournant du 19 ème siècle. Jusqu’à
l’âge classique, le traitement punitif reposait sur le supplice et après il y a une autre manière de gérer
les corps avec une approche basée sur la discipline.
A l’âge classique, l’idée était de réprimer les corps. On appliquait des châtiments corporels dont le
but était qu’ils soient insupportables, marquants (ex : écartèlement). On a ensuite pendant les
années de Terreur une utilisation forte de la guillotine (18 ème siècle), mais on note tout de même une
certaine évolution puisque l’objectif était de ne plus faire mal.
Par la suite, on a un redressement de l’âme qui se fait. Il y a toujours une approche du corps, mais on
les prive de droits particuliers, de leur liberté, ce qui entraîne le développement des prisons. Le corps
devient un objet de dressage, une manière de transformer l’individu. Foucault met en évidence le fait
que l’espace et le temps sont contrôlés.
a) Repères biographiques
Robert Murphy est né en 1924 à NY dans le Queens, dans une famille irlandaise. Après la 2GM, il
étudie à Columbia. Il a fait des terrains sur les systèmes de parenté au Brésil et au Niger. En 1974, il
est diagnostiqué d’une tumeur à la colonne vertébrale, qui va devenir de plus en plus sévère. Deux
ans plus tard, il devient paraplégique. Cette condition va impacter Murphy et l’entraîner à changer
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2020-2021 Clémence Lefèvre
ses sujets de recherche. En 1987, il publie The body silent. The different world of the disabled, où il
fait une étude du handicap. Cet ouvrage est très personnel, il reprend sa propre situation, son
histoire et ses ressentis. Il se base sur un modèle du handicap développé dans les années 1970 : le
modèle social du handicap.
Ce modèle social du handicap s’oppose au modèle médical qui ne se base que sur la médecine pour
comprendre le handicap. Dans le cas de Murphy, seule l’incapacité physique serait étudiée. Or, le
modèle social propose d’étudier le handicap comme qqch qui tient des normes de la société, du
traitement politique. Pour Murphy, c’est une maladie sociale dont la signification est donnée par une
culture particulière. Il va tenter de comprendre les interactions entre le corporel, le psychologique et
le social.
Au niveau du corporel, Murphy veut montrer qu’il y a une attention soutenue chez les personnes
atteintes de handicap à leur corps. Il va progressivement se dissocier de son corps (ma jambe la
jambe). Cette sorte de désincarnation permet de gérer les pertes de ses fonctionnalités corporelles
et les pertes de l’intimité. Le corps ne fait alors plus partie du soi, c’est qqch qui est devenue
extérieure.
c) Handicap et liminalité
Cette désincarnation est un des 4 changements qu’il associe au changement social, avec la baisse de
l’estime de soi, la colère et la nouvelle identité.
« Un handicap sévère submerge toutes les autres réclamations de statut social, reléguant à une place
secondaire toutes les réalisations de sa vie, tous les autres rôles sociaux, même sexuellement. Ce
n’est pas un rôle ; c’est une identité, une caractéristique dominante à laquelle tous les rôles sociaux
doivent être ajustés. Et comme le paraplégique ne peut effacer le handicap de son esprit, la société
ne le laissera pas oublier ».
« Les personnes atteintes de déficience physique permanente ne sont ni malades ni en bonne santé,
ni mort ni totalement en vie, ni en-dehors de la société ni complètement intégrées. Elles sont des
êtres humains mais leur corps est perverti ou mal-fonctionnant, mettant en doute leur totale
humanité. Elles ne sont pas malades car la maladie est un état transitoire vers la mort ou la
rémission. […] Les personnes malades vivent en état de suspension sociale jusqu’à ce qu’elles se
sentent mieux. Les personnes en situation de handicap passent leur vie dans cet état de suspension
sociale. Elles ne sont ni l’un ni l’autre ; elles existent en isolement partiel de la société en tant
qu’individu indéfini, ambigu ».
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2020-2021 Clémence Lefèvre
a) Repères biographiques
Elle est née en 1944 à NY. Elle a fait son doctorat à Berkeley et a réalisé de nombreux terrain,
notamment au Brésil, en Israël, en Afrique du Sud et aux USA. Sa réflexion porte sur les logiques de la
violence et de l’exploitation. Dans les années 1990, elle débute un travail sur le trafic mondial
d’organes, et établit des relations entre corps et pouvoir dans le monde contemporain.
Elle critique le mythe du consentement éclairé. Les dons d’organes doivent se faire dans une
condition très particulière et avec le consentement du donneur. La personne qui prend la décision
(même pour autrui après un décès) le fait librement et de manière éclairée, cad qu’elle est informée
sur la manière dont va se passer le prélèvement. Scheper-Hughes montre alors que chez la majorité
de ces personnes, ces conditions ne sont pas réunies. Il y a une pauvreté importante alors que
certains dons d’organes peuvent rapporter de l’argent. Il y a alors une contrainte économique. De
plus, certains ayant un niveau d’éducation faible, ils ne comprennent pas vraiment ce que le don
entraîne et ne le font alors pas de manière éclairée.
C’est pour cela qu’elle parle de mythe du consentement éclairé, pour elle il n’existe pas mais est
entretenu par le corps médical. De plus, elle a observé que, notamment dans les pays du Sud,
lorsqu’il s’agit de personnes pauvres et socialement exclues, le corps médical ne respecte pas
toujours la procédure médicale d’identité des corps.
Certaines procédures n’étant pas suivies, les organes ne sont pas donnés de manière aléatoire. SH
révèle qu’il y a un mouvement donneurs pauvres receveurs riches. Les organes vont des pays du
Sud vers les populations du Nord. On a alors des inégalités sociales et économiques flagrantes. On
peut aussi avoir un mouvement au sein d’un même pays des classes inférieures vers les classes
dominantes.
Ex : deux femmes se font opérer pour une intervention mineure et se rendent compte par la suite
qu’on leur a prélevé un rein sans leur consentement et sans les en informer. Quand elles essaient
d’obtenir des réponses, on leur met la pression pour les faire taire.
On voit ici que des organes sont devenus des marchandises, des biens aliénables. C’est une nouvelle
manière d’exploiter les populations pauvres. Cette exploitation est cachée par un discours de
« double-opportunité » : opération profitable pour les deux parties, car l’une peut obtenir de l’argent
et l’autre peut voir sa condition physique s’améliorer.
Il participe aux études de l’ethnie et de la race. Boas niait une différence biologique entre les groupes
raciaux et préférait parler de catégorie sociale. C’est pour cela que les Ethnic and racial studies
questionnent la mobilisation et les effets sociaux des catégories raciales, non pas comme des
catégories biologiquement déterminées mais comme catégories qui reposent sur le concept de race.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
C’est ce qu’Hage propose en 1998 dans son ouvrage White Nation : Fantaisies of White supremacy in
a multi-cultural society. Il met en évidence le lien entre corps/apparence physique et notion de
nationalisme.
b) Race et nationalisme
Il s’intéresse à l’Australie, pays qui s’est basé sur la migration. Les indigènes ont été décimé pendant
la colonisation, et d’autres migrants sont arrivés pendant la 2GM. Il y a alors des origines diverses et
variées. Cette diversité va se ressentir au niveau politique : droite politique australienne (culture
nationale légitime « blanche ») VS multiculturalisme. La notion d’état-nation se lie avec la
citoyenneté.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Ce texte présente tout d’abord un paradoxe, cad l’idée que le fonctionnement du système judicaire
comprend deux dynamiques par rapport à l’expertise psychiatrique : son utilisation croissante et sa
critique/disqualification croissante également.
Une étude des usages de cette expertise en chambre correctionnelle a été faite en 8 mois de terrain,
avec 3 chercheurs dans les tribunaux qui ont couvert 60 procès.
1/ Disqualifier l’expertise
Les auteurs reviennent sur la manière dont les magistrats peuvent critiquer l’expertise psychiatrique.
Selon eux, les éléments de la critique portent sur trois éléments : la pertinence du contenu, les
compétences de l’expert et la discipline en général. On note tout de même une utilité de la
psychiatrie qui permet d’individualiser la peine (on sanctionne une personne à partir d’une situation
précise dans laquelle l’identité de la personne est prise en compte) et d’évaluer la morale. Dans ce
système judiciaire, il y a un besoin d’évaluer le système d’évaluation.
L’expertise psychiatrique ne va pas être reçue de manière passive par les acteurs, cad de manière
vraie, on va se la réapproprier, l’interpréter.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
Il y a une lecture sélective des rapports qui ont été fournis aux magistrats. Celle-ci a une influence sur
l’interprétation que la cour va réaliser. Il y a une sélection des passages des rapport, qui est tout à
fait subjective. Il y a également une manière de lire ces passages qui peut jouer un rôle.
De plus, la non-présence de l’expert permet que des concepts scientifiques soient traduits ou
interprétés comme des notions morales : on a un glissement épistémologique qui contribue à
l’interprétation des rapports.
Enfin, la manière dont les rapports renforcent ou non les arguments des avocats/clients a une
influence. On parle d’adéquation (ou non) avec les intérêts des avocats/clients.
« La grille de lecture actionnée est bien celle de l’opportunité de la parole expertale. Les participants
du droit envisagent le rapport d’expertise comme une ressource stratégique dans un processus
argumentatif ».
Cela va mobiliser des concepts scientifiques dans une approche du sens commun : certains mots ne
vont plus nécessairement désigner les mêmes choses. Le passage par l’expertise va permettre de
légitimer ces concepts, même s’ils ne sont plus définis de la même manière. Ces concepts vont,
comme déjà évoqué, être l’objet d’un glissement épistémologique.
Les auteurs de l’article expliquent que les rapports psychiatriques doivent déterminer la
responsabilité de l’individu ou l’injonction de soin (le psychiatre met ou non en évidence le besoin de
soins particuliers). Ces rapports participent à la construction d’une catégorie particulière, d’une
catégorie déviante qu’est le délinquant sexuel.
4/ Glissement épistémologique
On a bien un rapport écrit qui présente des caractéristiques cliniques et qui fait preuve de prudence
par rapport aux faits reprochés à l’accusé. Cependant, une sélection stratégique et l’interprétation
des rapports conduit à des débats oraux, avec des qualificatifs moraux et des jugements de valeur.
On a donc une construction morale de la déviance sexuelle.
Cette étude se déroule dans un contexte particulier à savoir le procès pour attouchement sexuel
d’une petite fille de 4 ans et demi par son cousin. L’accusé est issu de Côte d’Ivoire, il a subi une
hospitalisation sur demande d’un tiers à son retour et il a vécu le décès de celui qu’il appelle son
frère (= son cousin). Il n’a pas d’antécédents médicaux et judiciaires.
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2020-2021 Clémence Lefèvre
En pratique, il y a une évocation d’antécédents qui peut confirmer l’accusation. Il y a une certaine
distanciation par rapport aux propos de l’accusé lui-même ; l’interprétation est laissée à la justice.
Ensuite, il y a un champ sémantique très particulier dans ce rapport (termes scientifiques) qui laisse
la place à l’interprétation chez les magistrats, qui sont beaucoup moins familiers avec ces termes ;
cela amène à un jugement de valeur. On a un processus d’anticipation des conclusions chez le
psychologue.
L’entretien ne dure que 10 à 15 minutes et l’expert est choisi par le magistrat en charge du procès,
donc il y a une marge de manœuvre de la part du magistrat.
Le psychiatre fait une étude complémentaire suite à l’obtention du dossier médical de l’accusé. Ce
complément lie deux éléments : principe de non-contradiction (en théorie cet élément ne peut pas
venir contredire la première expertise psychiatrique, on veut juste un complément d’information ; en
pratique, il y a des contradictions car l’expert propose un diagnostic particulier) et prévention morale
(le psychiatre refuse l’abolition de la responsabilité, il ne peut pas dire que l’accusé n’est pas
responsable de ses actes, mise en évidence que l’individu doit prendre ses responsabilités, le
dédouaner de ses actes ne serait pas bénéfique).
5/ Au tribunal
Après avoir expliqué le contenu des trois rapports, les auteurs reviennent au tribunal et expliquent
comment les différents acteurs se positionnent par rapport aux éléments contenus dans les rapports.
Ceux-ci vont leur permettre de développer différentes stratégies et interprétations.
« En l’absence de preuve, on voit comment au final, dans une affaire où les faits sont reconnus par
l’accusé, la question de l’évaluation de l’expert sur l’altération ou l’abolition du discernement est
déterminante sur le verdict lui-même. En l’absence d’une expertise venant confirmer une abolition,
les magistrats peuvent-ils prendre la responsabilité de la déclarer ou pour le moins ne pas
condamner à une peine d’incarcération ? » influence des rapports sur le verdict en tant que tel
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2020-2021 Clémence Lefèvre
« Au-delà de l’affaire, et plus précisément ici le procès souligne le jeu de positionnement des
différents acteurs vis-à-vis des éléments de l’expertise. »
La psychiatrie n’est pas considérée comme vraie et inchangeable, c’est une ressource au sein des
procès. Dans ce processus d’interprétation se crée un nouvel espace de légitimation des savoirs. Ceci
permet de construire de nouveaux savoirs psycho-judico-moraux, notamment sur la déviance
sexuelle. On a un recours à la parole pour développer des arguments, soutenir des positions et c’est
pour cela qu’on demande aux accusés d’y recourir. C’est un processus de normalisation, l’accusé doit
pouvoir se positionner par rapport aux faits, les raconter, et on a alors un travail sur soi comme
processus de rectification morale.
De quelle manière ce travail sur soi comme processus de rectification pourrait-être lié à l’idée de
la discipline selon Foucault ?
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