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René Girard

La violence et le sacré (1972)

René Girard est un anthropologue, philosophe et historien français qui consacra l'ensemble de son œuvre sur le sujet du religieux
en fondant une nouvelle anthropologie à partir de travaux sur le concept de violence et de son importance dans la culture humaine.
Il est l'initiateur de la théorie mimétique qui pose le désir comme essentiellement mimétique, à partir d'études sur des textes
littéraires (Proust, Stendhal, Cervantès...), dans son premier livre Mensonge Romantique et Vérité Romanesque(1961). Cette idée
du désir comme imitation du désir d'un autre est le point méthodologique structurant de son anthropologie qui atteindra sa
réalisation dans l'ouvrage la Violence et le Sacré(1972). Ce livre a pour ambition de faire la généalogie de l’ordre culturel des
sociétés humaines en posant la thèse que le religieux est la condition de possibilité de cette paix social car il contient, aux deux
sens du terme, la violence naturelle des Hommes. Il l'a contient car le religieux est violent de part ses rituels, interdits,
prescriptions, sacrifices... mais cette violence sert à contenir, éviter, une violence plus grande qui pourrait mettre en péril la société
entière.

Nous développerons dans un premier temps la mécanique de la théorie de Girard ; puis nous analyserons un chapitre de l'ouvrage
en particulier, “Dionysos” chapitre 5, afin d'exemplifier le propos de l'auteur.

A partir d'Aristote, il est admis que l'imitation est un caractère positif car sa modalité de représentation, par exemple du spectateur
à l'acteur dans le cas du théâtre, permet la catharsis. L'imitation serait à l'origine de la capacité des hommes à modérer, contrôler
leurs passions et leur âme, et donc la paix sociale est possible. Platon au contraire avait plus de réserve, il considérait que
l'imitation pouvait être bénéfique si il est question d'imiter un modèle vertueux. Mais l'art mimétique peut aussi éloigner le peuple
de la réalité, de trois degré par rapport à la Vérité. Nous verrons avec la thèse de Girard que les peurs de Platon sont rationnelles,
elle porte sur la nature humaine. En effet, l'imitation pour Girard est ancrée dans la nature humaine car elle est le propre du désir.
Selon lui, tout désir est l'imitation du désir d'un autre. Loin d’être autonome, notre désir est toujours suscité par le désir qu'un autre,
le modèle, a pour un objet quelconque. Le sujet désirant attribue un prestige particulier au modèle : il croit que le modèle désire
par lui-même. Le rapport n’est pas direct entre le sujet et l’objet : il y a toujours un triangle. À travers l’objet, c’est le modèle, que
Girard appelle médiateur, qui attire ; c'est l'être du modèle qui est recherché. Le rapport à l'objet est donc médiatisé par un modèle
à imiter. En sommes nous pourrions réviser la phrase de Spinoza en disant : ce n'est pas parce qu'une chose est bonne que je la
désir, c'est parce que quelqu'un la désir que je la désir et qu 'elle est bonne. Mais si l'obscur objet du désir est convoité par plusieurs
membre d'une communauté, il peut apparaître une lutte pour cet objet. Pourtant l'objet importe peu, sa valeur dépend de celui qui
le désir déjà. Exemple des traders en bourses : on veut telle action non pas pour elle même mais parce qu'elle est convoitée. On
voit donc que le désir en étant mimétique est source de violence, de lutte au sein d'une même société. Girard évoque alors le
religieux. Le religieux n'est pas pour lui l'expression de la société comme un voile, un tissu d'illusions cachant la réalité concrète de
la suprématie du social comme chez Durkheim. Il est structurant, il est le remède contre la violence qui est donc la particule la plus
élémentaire. Remarquons une chose fondamentale. Girard pense en deçà du symbolique paradigmatique de Durkheim, il pense
dans l'indifférencié. En effet le désir mimétique provoque une abolition des différences car tout le monde désir la même chose
donc il y a une compétition violente. Si tout le monde désir le même objet, le seul destin possible est la rivalité et l'escalade de la
violence. Cette crise sociale que Girard appellera crise sacrificielle, car elle ne peut être contenu que par la violence du sacrifice
comme le verrons, est en fait une crise de l'indifférenciation, qui avait déjà été pensée par Hobbes avec sa théorie de l'état de nature
de tous contre tous. Levi Strauss insiste justement dans la totalité de son œuvre sur les différences car elles empêchent la rivalité au
fond. Le désir mimétique semble alors être le fait de s'accrocher à des fausses différences quand on est semblables, ce que Girard
analyse dans son premier livre avec par exemple le Rouge et le Noir de Stendhal et les personnages de Monsieur de Rênal et
Monsieur Valenod qui se rendent indifférent dans leur querelle pour Julien Sorel. Nous pouvons remarquer des exemples
également chez les sociétés archaïques gardant dans leurs mœurs des structures primitives de la menace de l'indifférenciation.
Chez les Antaimbahoaka, un peuple malgache, la société est structurée par un ensemble de prohibitions et de tabous ancestraux
appelés fady dont l'interdiction d'élever des jumeaux. Cette interdictions viendrait d'une ancienne guerre civile avec une ethnie de
la forêt où une femme aurait été violée et tuée car au lieu de s'enfuir elle serait retournée chercher un de ses deux jumeaux perdu
près du camp de la tribu adverse. La communauté a imputé la faute aux jumeaux et les a bannis de l'organisation sociale par
l'obligation du meurtre ou de l'abandon. Les jumeaux symbolisent la perte de la culture, la perte des différences. Une analyse
girardienne de ce fait ferait des jumeaux de la légende le bouc émissaire de la société. Il y a aussi l'idée très présente chez Girard
de la rivalité fratricide des mythes, comme le mythe biblique d'Abel et Caïn. Le meurtre fondateur d'Abel menace Caïn, donc Dieu
donne la loi qui créer la culture caïnite et pose une marque sur Caïn, qui est un symbole de différenciation. La violence de Caïn
menace de resurgir sur la première ville fondée par lui même (mythe du déluge). De la se forment les prohibitions, interdits,rituels
du religieux.

La rivalité gémellaire est présente dans toutes les mythologies, de manière dissimulée. L'Ancien Testament est pour l'auteur un
effort pour exhumer la victime et nous allons expliquer en quoi il est important. L'anthropologie religieuse avait été remplacée par
l'anthropologie structurale avec Levi Strauss, mais Girard replace le religieux au centre avec la synthèse manquante : le mécanisme
victimaire. Nous l'avons vu, une communauté en crise recentre systématiquement la culpabilité sur une victime afin de projeter la
violence hors de la communauté. Cette première victime fondatrice est appelée victime émissaire. Elle est intérieur au groupe et sa
culpabilité est perçue comme absolue. C'est une substitution de la communauté en crise d'indifférenciation par un mouvement de
physique sociale de désignation. La paix sociale est retrouvée après le sacrifice de ce bouc émissaire. La première victime est donc
vue comme un dieu. Mais la violence étant une puissance latente du désir, elle peut refaire surface et doit être retenue par le rite.
Le rite substitue la victime émissaire avec une victime rituelle de substitution qui est extérieure au groupe et dont la culpabilité est
relative. Girard parle de catharsis mineure dérivée d'une catharsis majeure. La victime rituelle est donc utilisée pendant des
périodes de calmes afin de tuer dans l’œuf tout germe de violence. Le mimétisme est important dans le rite, celui ci est un mime de
la scène première, le meurtre fondateur revient régulièrement. Le mécanisme fondateur de culpabilisation n'est pas inconscient,
l'inconscient freudien est conçu comme pur subjectivité ; il est méconnaissance car soit la victime est coupable absolue ou relative
mais il y a toujours la croyance de la culpabilité. Il y a une croyance intime de sa culpabilité même si elle ne l'est pas. La croyance
de la culpabilité d'Oedipe dans la pièce de Sophocle permet de l'ériger en victime choisie. Mais à la fin, c'est une auto expulsion de
la violence qui rend la paix entre les Hommes de Thèbes. Oedipe est détesté pour ses crimes, détesté comme la victime émissaire
et adoré car il rend la paix. C'est l'ambivalence du sacré. La victime est à la fois maléfique et bénéfique. Cette ambivalence est un
souffle qui traverse le sacré en permanence. Le rituel diffère du mythe en ceci que le mythe parle des dieux qui mettent fin aux
désordres entre les Hommes et le rituel commémore l'émergence du dieu, le dieu premier, la victime émissaire. En rejouant la crise
sacrificielle, le rituel montre que le mythe cache la production du dieu. Les mythes commencent toujours par une crise (conflit
social, monstre, catastrophe naturelle, colère de dieux...). La crise peut venir de la société, qui elle même n'identifie pas la cause
car elle est ignorante des dynamiques du désir mimétique. Plus le désir se répand dans la société, plus l'obsession passe de l'objet
du désir au rival. En revanche quand l'obsession passe sur autrui, alors la communauté peut se réconcilier sous un ennemi commun
(le champs de la politique est une analogie parfaite : haine inexplicable répandue dans toute la communauté). Le choix du bouc
émissaire semble arbitraire. La croyance de la culpabilité dont nous parlions apparaît lors de la réconciliation de la communauté
après la destruction du bouc émissaire car l'impression est que si la paix est restaurée après l'immolation de la victime émissaire,
c'est qu'elle devait bien être coupable. Mais elle s'est en même temps donné pour la communauté en un sens, donc elle possède une
aura salvatrice qui procédera à sa divinisation. Le processus étant fécond, la communauté réitère l'opération lors de nouveaux
moments de crises avec la victime rituelle choisie délibérément et faisant office de sacrifice. Certaine communauté adopte des
animaux pour en faire des victimes mais il y a également des victimes rituelles humaines. Le sacré originaire, donc la violence est
remis dans le lointain, mais à distance raisonnable pour ne pas attirer ses foudres vengeresses (Les Bacchantes). Il faut garder une
certaine proximité avec: les prescriptions rituelles. La méticulosité des rites est telle pour doser la distance avec le sacré. Cette
violence élémentaire et fondatrice est notamment reniée par les Lumières, comme chez Rousseau avec le mythe du bon sauvage.
L'homme est bon par nature et perverti par la société et le religieux.

Nous allons à présent analyser l'étude du cas de la fête faite par Girard dans le chapitre 5 de l'ouvrage.

DIONYSOS

René Girard commence ce chapitre en décrivant les fêtes qui ont un caractère rituel. L’observateur moderne y voit la transgression
des interdits par la promiscuité sexuelle, voire l’inceste généralisé.
Cette transgression des interdits se poursuit d’un effacement général des différences: les hiérarchies familiales et sociales sont
supprimées, les enfants n’obéissent plus à leurs parents. Le thème de la différence abolie est aussi présent dans l'accompagnement
esthétique de la fête puisque les individus ont recours au travesti, et assemblent de nombreuses couleurs.
Cet effacement des différences est associé à la violence. En effet, les citoyens profitent des fêtes pour faire des dénonciations, les
inférieurs insultent leurs supérieurs, et le thème de la rivalité hostile apparaît sous forme de jeux et de compétitions.
La fête est avant tout une commémoration de la crise sacrificielle, elle est une préparation au sacrifice qui marque son paroxysme
et sa conclusion. Cette notion de crise sacrificielle, exclusivement girardienne, permet de résumer le processus mimétique dans son
entier : la rivalité mimétique fabrique des « doubles » et leur violence réciproque est contagieuse comme la peste. Cette crise sert
d’instinct de limitation de la violence pour éviter la guerre de tous contre tous.
Pour Roger Caillois, une théorie de la fête devrait s’articuler autour d’une théorie du sacrifice. Si la crise des différences et la
violence réciproque peuvent faire l’objet d’une commémoration joyeuse, c’est parce qu’elles apparaissent comme l'antécédent
obligatoire de la solution cathartique sur laquelle elle débouche, c’est-à-dire la paix dans la cité.
Nous pouvons retrouver ces actes en dehors du cadre festif. En effet, l’inceste rituel peut être pratiqué par les aristocrates et les
artisans pour porter bonheur et se préparer à quelque entreprise difficile. 
Au moment de la fête, un roi temporaire est désigné. Lui ou son représentant sera immolé. La souveraineté s’enracine toujours
dans une interprétation de la violence fondatrice centrée sur la victime émissaire.
L’auteur reprend la théorie de Durkheim pour valider la sienne: la fonction de la fête, comme celle des autres rites sacrificiels, est
de renouveler et de vivifier l’ordre culturel en reproduisant une origine. ”L’ordre culturel apparaît aux primitifs comme un bien
fragile et précieux qu’il importe de préserver et de fortifier”.
La fête repose sur une interprétation du jeu de la violence. Comme elle est inséparable de son dénouement favorable (le bien être
de la société), la crise elle-même devient matière de réjouissances.
Cependant,  il y a une certaine continuité et une certaine discontinuité entre la crise et la violence fondatrice. Le religieux adopte
une de ces deux solutions et se cramponne à elle.
Concernant la discontinuité entre la crise et  la violence fondatrice, il doit exister une anti-fête: “au lieu d'être précédés d’une
période de licence et de relâchement, les rites d’expulsion sacrificielle couronneront une période d'austérité extrême”. En outre,
certaines sociétés possèdent des rituels très analogues à la fête tels qu’une période précise, une interruption des activités, des rites
d’expulsion sacrificielle, mais où les interdits culturels, au lieu d’être relâchés, sont renforcés. Par exemple, les rites de l’Incala
Swazi sont ce que l’on appellerait une anti fête. Les rapports sexuels les plus légitimes, la grasse matinée, le fait de toucher son
propre corps,  et  les chants et les cris sont prohibés. 
René Girard reprend l’exemple de Frazer dans Le Rameau d’or (anthropologue écossais connu pour être le premier à avoir dressé
un inventaire planétaire des mythes et des rites). Celui-ci donne l’exemple de l’anti-fête de Cap Coast dans la côte de l’or où
pendant 4 semaines, les tambours et les fusils se taisent. Les habitants font tout pour éviter les querelles, et certaines règles sont
instaurées en ce sens. Par exemple, les animaux à l’abandon appartiennent à quiconque les découvre.
Toutes ces mesures sont destinées à prévenir une menace de conflit violent. Concernant ce que dit  Frazer, René Girard parle
d’”intuition d’ethnologue” qui serait supérieure à ses vues théoriques. Selon celle-ci, ce genre de phénomène doit être rangé avec
la fête.
L’auteur remarque que le danger d’une explosion violente grandit à mesure qu’on s’éloigne du premier rite purificateur et qu’on
s’approche du second, les impuretés s’accumulent. Ainsi, la bacchanale est devenue le carême mais le rite n’a pas changé de but.
En deçà de la fête et de l'anti-fête il existe des “mixtes”
Nous méconaissons la véritable nature de la fête car les événements situés derrière le rite deviennent de moins en moins visibles,
l’accessoire prend le pas sur l’essentiel.
Depuis Frazer on sait que certaines fêtes comportaient des sacrifices humains, mais certains rites le remplacent.
Le sage moderne, l’affranchi frazérien constate que la superstition assimile l’esprit malin à quelque grosse bête qui s’enfuira si on
parvient à l’effrayer. Ainsi, on pousse des cris ou agite furieusement les bras pour chasser les mauvais esprits. L’acte d’exorcisme
est une violence perpétrée contre le diable et ses associés. Dans certaines fêtes l’immolation est précédée de conflits plus ou moins
réels entre les sacrificateurs.
Girard cite encore un exemple de Frazer: les jeunes vont de maison en maison pour pratiquer l'exorcisme et commencent par une
querelle sur la maison à visiter en premier: cette querelle préliminaire imite la crise sacrificielle. En effet, la querelle a pour objet le
rite (le choix de la victime à expulser). Pendant la crise il s’agit donc pour chacun de réduire au silence l’antagoniste le plus direct
et de frapper un coup décisif pour servir de modèle au rite.
Concernant le sacrifice humain, les hommes sont d’accord sur l’idée de sacrifice mais ne s’entendent pas sur le choix de la
victime. Le meurtre collectif qui restaure l’ordre projette le désir sauvage de se massacrer les uns les autres. En outre, il s’agit
seulement de répondre à la question: “qui immolera qui”. La querelle au sujet de la première demeure à exorciser dissimule le
processus entier de la crise et de sa résolution violente. L’exorcisme n’est que le dernier maillon d’une chaîne de représailles.
Après s’être livrés à la violence réciproque, les participants frappent tous ensemble dans le vide. En outre, tant qu'ils donneront
TOUS ENSEMBLE des coups que personne ne leur rend, les exorcistes ne recommenceront pas à s’en donner les uns aux autres.
Ainsi, l’unanimité refaite grâce au mécanisme de la victime émissaire ne doit pas se défaire pour que la communauté reste unie
contre les mauvais esprits, contre la violence qui divise et qui détruit.
L'hypothèse générale sur la crise sacrificielle et l’unanimité violente éclaire plusieurs aspects de la fête restés jusqu’ici obscurs.
Pour les observateurs modernes, la fête est un moyen de se détendre. 
Mais la désagrégation des mythes et rituels (du religieux) est provoquée par une nouvelle crise sacrificielle. Derrière les
apparences joyeuses et fraternelles de la fête déritualisée, privée de toute référence à la victime émissaire et à l’unité qu’elle refait,
il n’y a plus d’autre modèle que la crise sacrificielle et la violence réciproque. Mais si les hommes vivent dans un univers de
loisirs, plus les vacances sont fades, plus le monstre affleure. Il s’agit du  thème des vacances qui commencent à mal tourner.
Ainsi, les fêtes dans les sociétés malades ne jouent pas un rôle purificateur en tenant la violence en échec mais amorcent  un
nouveau cycle de vengeance. C’est le cas des kaingang, peuple indigène du sud du Brésil, chez qui sévit une guerre perpétuelle: la
fête a perdu tous ses caractères rituels et elle tourne mal en retournant à ses origines violentes: “on invitait les futures victimes à
une fête, on les faisait boire et ensuite on les massacrait”. Les kaingang associaient l’idée de fête au meutre, ils savent qu’à chaque
fois ils risquent leur vie mais ne refusent jamais une invitation. Pendant la fête la violence était annoncée, au lieu d’être présente
pour être plus tard détruite: “ils rappelaient leurs triomphes passées et annonçaient leurs meurtres à venir, cherchaient querelle à
leurs voisins.”
René Girard développe l’exemple des Bacchantes pour soutenir sa thèse. Les Bacchantes se présentent comme une bacchanale
habituelle, c’est-à-dire une fête assez débridée que les Romains célèbrent en l’honneur de Bacchus, Dieu romain correspondant à
Dionysos dans la mythologie grecque. Les Bacchantes est une tragédie grecque d'Euripide produite en 405 av. J.-C. Cette pièce
prend pour sujet le retour du dieu Dionysos à Thèbes, sa patrie, et la vengeance qu'il tire de ses tantes qui ont insulté sa mère
Sémélé, et du roi Penthée, son cousin, qui refuse de reconnaître son culte. Dionysos est de retour dans sa ville natale sous les traits
d’un jeune disciple qui exerce sur la plupart des hommes et des femmes un étrange pouvoir de séduction. Possédées du Dieu, sa
tante Agavée et sa cousine Ino se jettent hors de leur foyer pour vagabonder sur le Mont Cithéron.Euripide souligne l’effacement
des différences.
L’errance des Bacchantes se transforme en cauchemar sanglant: les femmes se déchaînent indistinctement sur les hommes et les
bêtes. La crise sacrificielle est le mal inattendu qui se propage à une vitesse foudroyante et suggère à ses victimes des actes
insensés. Qu’on se donne à elle de notre plein gré ou qu’on lui résiste, la violence est sûre de triompher.
Tout au long de l’action tragique, l’esprit bachique ne se distingue pas de la contagion maléfique. Penthée repousse son grand-père
qui essaie de l'entraîner dans cette fête. 
En outre, l’éruption dionysiaque c’est la ruine des institutions, l'effondrement de l’ordre culturel signifié à son paroxysme par la
destruction du palais royal. Penthée essaie d’emprisonner Dionysos en vain. René Girard décrit cette scène d’une manière
poétique: “tandis que tout s’écroule dans les flammes, la divinité sort intacte des décombres”. 
La tragédie des Bacchantes, c'est la fête qui tourne mal. Elle ramène la fête à ses origines violentes que nous ne connaissons plus ,
à la violence réciproque, ce qui confirme la lecture de la fête que nous venons de donner.
En effet, la bacchanale comme la crise sacrificielle provoque l’effacement des différences, surtout sexuelles: les femmes se
tournent vers les actions les plus violentes des hommes, et Penthée se déguise en femme pour épier les femmes sur les pentes du
Cithéron.
Il y a également une perte de la différence entre l’homme et l’animal puisque les Bacchantes déchirent de leurs mains un troupeau
de vaches qu’elles prennent pour des hommes.
Différence entre le dieu et l’homme, entre Dionysos et Penthée. Dionysos est double puisqu’il est aux yeux des Ménades le gardien
des lois divines et humaines mais autrement le Dionysos subversif et dissolvant de l’action tragique.
Ce même dédoublement est présent chez Penthée (roi de thèbes). En effet, il est le protecteur de l’ordre traditionnel mais dans les
propos du chœur c’est un transgresseur.
De la même manière, la divinité de Dionysos se trouve doublée d’une humanité en apparaissant sous les traits d’un jeune éphèbe et
l’humanité de penthée se retrouve sous les traits de la divinité, ou du moins d’un désir de devenir dieu. Ainsi dans l’extase
diyonisiaque toute différence entre le dieu et l’homme tend à s’abolir. Mais pour le divin, toute violence est légitime, contrairement
à celle des hommes. À la fin de la pièce la spécificité du divin est aussi réaffirmée: entre la toute puissance de Dionysos et la
faiblesse coupable de Penthée, la partie n’a jamais été égale. La tragédie nous apparaît alors comme une oscillation entre l’audace
et la timidité.
Il y a un postulat des critiques sur la nature du savoir devant lequel le poète tragique recule. Les modernes sont persuadés que
Euripide recule devant le scepticisme, hésite pour des raisons morales à reconnaître que le religieux est une mystification, une
illusion consolante.
René Girard critique ainsi l’intellectuel romantique et moderne “se prend pour le briseur d’idoles le plus irrésistible de l’histoire”.
Mais Euripide parle moins en terme de “foi” qu’en terme d’un savoir redoutable situé au-delà de ces limites. C'est autre chose que
le scepticisme vide au sujet des dieux. Cet autre chose est déchiffrable dans le texte des Bacchantes.

Le meurtre de penthée se présente à la fois comme le paroxysme et la liquidation d’une crise provoquée par le dieu lui-même. Dieu
chasse aussi la famille de Penthée, ce qui a pour conclusion le retour à l’ordre et l’apparition d’une nouvelle divinité à Thèbes. 
Le meurtre apparait à la fois comme le fruit d’une action divine et d’un envhainemenet spontané. En effet, il se déroule
conformément aux passages dionysiaques mais toutes les Bacchantes participent à l’immolation et aucune n’est arme utilisée, la
victime est déchirée à mains nues. Sa mort violente procure à la foule l’exutoire dont elle a besoin pour retrouver le calme. 
L’auteur constate que le choix arbitraire de la victime est dissimulé, au contraire de la violence collective qui est révélée. 
 Le rite n’a rien à voir avec un sacrifice gratuit: il n’est pas orienté vers la violence mais vers l’ordre et la tranquillité. Il cherche à
reproduire le type de violence qui chasse la violence.
Les Bacchantes confirment ainsi la définition du sacrifice par Girard. Ce rituel est confirmé par la tragédie d'Euripide et le culte de
Dionysos.

Le lecteur des Bacchantes peut être frappé par le caractère odieux de Dionysos: tout au long de l’action tragique le Dieu sème la
violence sur son passage, provoque le crime avec l’art d’un séducteur diabolique.
En réalité, le Dieu n’a pas d’essence propre en dehors de la violence. Si Dionysos est rattaché à l'inspiration prophétique c’est
parce qu'elle relève de la crise sacrificielle. S' il apparaît comme le dieu de la vigne et du vin c'est pour adoucir le sens originel du
dieu de l'ivresse redoutable. Selon l’auteur, il n’y a rien dans la tradition dionysiaque ou ancienne qui se rapporte à la culture de la
vigne ou à la fabrication du vin.
Mais si Dionysos incarne la violence la plus abominable il peut paraître surprenant qu'il constitue un objet de vénération. Tirésias,
devin aveugle de Thèbes, définit en Dionysos le dieu des terreurs collectives, des moments de panique qui frappent à l'improviste.
En d’autres termes, Dionysos est le dieu du lynchage réussi. Sa légitimité vient du fait qu’il restaure lui-même la paix qu’il a
troublée.
Dans le mythe des Bacchantes, la menace s’éloigne aussi rapidement qu’elle s’est présentée grace à un lynchage qui réconcilie tout
le monde parce que tout le monde y participe. Dès qu'elle s’est apaisée, la tempête apparaît comme la visitation divine par
excellence.
Le religieux est donc loin d’être inutile. Il soustrait à l’homme sa violence afin de l’en protéger faisant d’elle une menace toujours
présente qui exige d’être apaisée par des rites appropriés. “le religieux libère vraiment l’humanité car il délivre les hommes des
soupçons qui les empoisonneraient s' ils se remémoraient la crise telle qu’elle s’est réellement déroulée.”
Ainsi, penser religieusement c’est penser cette violence comme surhumaine pour la tenir à distance, pour renoncer à elle.
Les hommes ne pourraient pas poser leur violence hors d’eux même s' il n’y avait pas de victime émissaire. Le religieux protège
les hommes tant que son fondement ultime n'est pas dévoilé. “à débusquer le monstre de son ultime repaire, on risque de le
déchaîner à tout jamais.  À dissiper leur ignorance, on prive les hommes d’une protection qui ne fait qu’un avec la
méconnaissance.
L’auteur cite Euripide: “que jamais nos pensées n'imaginent rien qui ne soit supérieur aux lois!”
En outre, René Girard montre à quel point le religieux est important pour que la société se purifie et que les hommes puissent vivre
en paix. Pour Durkheim, la religion c’est “une vérité sous un voile”: un tissu d’illusions recouvre une vérité sociale, ici le fait que les
hommes ne peuvent pas vivre sans violence. Progressivement le tissu d’illusions se dissipe et on a la vérité sociale.

Le rite n’est pas orienté vers la violence mais vers la paix. La démystification  tragique fait apparaître la Bacchanale comme une
pure frénésie, un abandon à la violence.” Mais si la religion combat un certain type de violence, c’est toujours pour en nourrir un
autre, sans doute plus terrible”. A la différence des modernes, Euripide présente cette ambiguïté.  Il apparaît ainsi tantôt comme le
défenseur et tantôt comme le dénonciateur de la bacchanale.
S’il vient de la violence et reste imprégné de la violence, le rite est tourné vers la paix. Il n’y a que lui qui s'emploie à promouvoir
l’harmonie entre les membres de la communauté.
Selon l’auteur, il n’y aurait pas de problème des Bacchantes si Euripide pouvait accéder pleinement à l’origine violente et arracher
leur violence aux hommes et la diviniser complètement.
Par ailleurs, l’univers des bons est des méchants est le seul qui nous soit familier. Mais ce partage manichéen n’est pas plus tôt
esquissé qu’il s’effondre. La tragédie ne peut trouver son équilibre nulle part. En outre, il ne faut pas “résoudre” le problème des
Bacchantes, mais confronter ce problème à toutes les cultures et réaliser qu’il s’agit du problème de l’origine violente jamais
repérée, aujourd'hui repérable dans la désintégration rapide des dernières pratiques sacrificielles de la culture occidentale.
Pour finir, l’auteur s’interroge encore sur la prépondérance des femmes dans le culte de Dionysos.
Les deux protagonistes sont de sexe masculin mais derrière eux il n’y a plus que des femmes et des vieillards. Est-ce parce que ce
sont les hommes, naturellement plus aptes à faire la guerre que les femmes, qui risquent de refaire tomber la communauté dans la
violence réciproque? 
L’établissement des femmes sur le Mont Cithéron nous est présenté comme un enthousiasme dionysiaque: il faut imaginer ici la
fuite éperdue de tous les êtres que leur âge ou leur sexe leur empêche de porter les armes.
L’auteur donne l’exemple des villages sud américains des Bororo aménagés de la façon suivante: les hommes se trouvent au
centre, là où les femmes n’ont jamais le droit d’aller, et les femmes sont autour en cercle. Elles sont ainsi spectatrices du spectacle
violent des hommes auquel elles ne participent jamais, pour éviter les rencontres violentes. Ce cercle fait penser aux attroupements
dans les lieux publics quand il y a une bagarre: les gens qui ne veulent rien perdre du spectacle forment un cercle autour du
combat.
Pour Dionysos, avec la présence des femmes en dehors de la cité on peut supposer un transfert de la violence. Pourtant dans la
crise sacrificielle nous pouvons observer une féminisation des hommes et la masculinisation des femmes. Ainsi, la femme peut
faire l’objet d’une sacralisation partielle, en étant à la fois méprisée et installée sur un piédéstral.

Ainsi, René Girard définit l’importance de la fête rituelle et confirme son hypothèse à travers le mythe des bacchantes. Nous
pouvons constater que ce rituel qui a pour but l’ordre de la société transcende les individus par l’effacement des différences
sociales ou sexuelles, l’effacement de l’ordre et de la raison, et la transgression de tous les interdits, comme nous l’avons vu avec
l’exemple des Bacchantes. En effet, l’homme au milieu de la foule n’est pas celui du quotidien. Freud dans ses Essais de
psychanalyse  parle d’une foule psychologique comme si la définition de la foule était de transformer psychologiquement les
individus. Cela a été le cas lors de la nuit du 4 août 1789, lorsque les aristocrates se sont démis de leurs privilèges. Durkheim dans
Les formes élémentaires de la vie religieuse décrit cette action « une assemblée fut tout à coup portée à un acte de sacrifice et
d’abnégation auquel chacun de ses membres se refusait la veille et dont tous furent surpris le lendemain. » Là on voit la
transformation, l’homme en foule n’est pas celui du quotidien, l’homme individuel. On a parlé de la nuit des dupes, comme si ces
aristocrates avaient été dupés par une puissance obscure. 

Nous avons donc vu comment René Girard à travers sa théorie du désir mimétique, de la crise sacrificielle et du bouc émissaire va
opérer un retournement quant à la vision du religieux. Celui-ci était mis à l'écart des sciences, relégué dans le pire des cas à une
simple superstition qui n'avait pas d'autres intérêts que l'Histoire. Mais Girard montre que le religieux est en fait ce qui permet aux
société de ne pas tomber dans la violence extrême et la désintégration. Le religieux a donc une place structurante fondamentale
dans l'organisation sociale. Sous le voile que Durkheim retire à la religion se trouve la toute puissance du social, mais le voile que
retire Girard montre les bas fonds obscures de l'âme humaine, éminemment portée sur la violence.
Étant donné l'impact et les critiques adressées à l'ouvrage, il aisé de dire que ce livre a déclenché une nouvelle blessure narcissique
de type anthropologique. Les discours optimistes des Lumières sur la nature humaine sont remis en question. Mais Girard nous
offre un nouvel angle d'étude qui peut avoir une certaine importance pour analyser l'essoufflement moderne du religieux et ses
manifestation aux seins des sociétés.

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