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Histoire de la pensée sociologique

Contents
1 Naissance et institutionnalisation de la sociologie en France 2
1.1 L’émergence de la sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.1.1 Les considérations sociologiques à partir du XVIIIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.1.1.1 La remise en cause de l’ordre social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
1.1.1.2 La question sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.2 La sociologie comme discipline universitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.2.1 L’institutionnalisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.2.2 Les thèmes initiaux de la sociologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2 L’apport de E. Durkheim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2.1 Qu’est-ce qu’un fait social ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2.1.1 L’objectif de E. Durkheim . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.2.1.2 Un cas d’école, le suicide . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2.2 Solidarités, division du travail, et anomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2.2.1 Solidarité mécanique et solidarité organique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
1.2.2.2 L’anomie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

2 Les classiques allemands et américains 5


2.1 Les classiques allemands . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2.1.1 Les fondements de la sociologie allemande : F. Tönnies et G. Simmel . . . . . . . . . . 5
2.1.1.1 La querelle des méthodes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
2.1.1.2 La typologie de F. Tönnies : communauté et société . . . . . . . . . . . . . . 6
2.1.1.3 La sociologie des formes de G. Simmel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
2.1.2 M. Weber, le père fondateur de la sociologie allemande . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
2.1.2.1 La conception sociologique de M. Weber . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
2.1.2.2 Représentation, désenchantement et religion . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2.2 Les principales écoles américaines . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
2.2.1 Le culturalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
2.2.1.1 Une influence de la psychanalyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
2.2.1.2 Une influence de l’anthropologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

1
2.2.1.3 Communautés et sous-cultures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8
2.2.1.4 Limites de l’analyse culturaliste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.2.2 Le fonctionnalisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.2.2.1 Le fonctionnalisme au sens de T. Parsons . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.2.2.2 Le fonctionnalisme au sens de R. K. Merton . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
2.2.3 L’interactionnisme symbolique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.2.3.1 L’École de Chicago . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.2.3.2 Une analyse de la désorganisation sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
2.2.3.3 Sociologie de la délinquance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
2.2.3.4 La sociologie interactionniste de la déviance d’Howard Becker . . . . . . . . . 11
2.2.3.5 L’interactionnisme symbolique d’E. Goffman . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
2.2.4 L’ethnométhodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
2.2.4.1 Les faits sociaux comme « comme accomplissements pratiques » . . . . . . . 13

3 La sociologie française depuis les années 1960 14


3.1 Individualisme méthodologique, et structuralisme constructiviste . . . . . . . . . . . . . . . . 14
3.1.1 L’individualisme méthodologique de Raymond Boudon . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
3.1.1.1 Une sociologie de l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14
3.1.1.2 Une sociologie des croyances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3.1.2 Le structuralisme constructiviste de Pierre Bourdieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3.1.2.1 Représenter l’espace social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
3.1.2.2 La hiérarchisation des pratiques sociales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
3.1.2.3 Des univers sociaux différenciés : les champs . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
3.1.2.4 Une théorie générale de l’ordre social et de la pratique . . . . . . . . . . . . . 17
3.1.2.5 Les critiques de P. Bourdieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18

1 Naissance et institutionnalisation de la sociologie en France

1.1 L’émergence de la sociologie

1.1.1 Les considérations sociologiques à partir du XVIIIe siècle

1.1.1.1 La remise en cause de l’ordre social

A partir du XVIIIe siècle, les « Lumières » remettent en cause les fondements de l’ordre social. Montesquieu
(Lettres persanes, 1721) adopte une perspective comparative sur la société monarchiste française : les mœurs,
les normes et les valeurs, d’apparence naturelle, sont le résultat de conventions et d’arbitraires et sont
susceptibles d’évoluer dans l’espace (d’un pays à l’autre, dans le livre, il prend le point de comparaison fictif
avec la Perse) et dans le temps. Plus largement, après la Révolution française, et la révolution industrielle,
l’ordre social n’est plus vu comme un ordre naturel voulu par Dieu, mais comme un ordre mouvant et
potentiellement remis en cause. La mobilité sociale existante (aristocrates déclassés et désargentés par

2
exemple) nourrit la réflexion sociologique. Pour R. Nisbet, la réflexion sociologique recherche les fondements
de l’ordre social, et il voit la sociologie comme une science de cet ordre.
A. Comte est la figure de proue du « positivisme ». Cette doctrine consiste à dire que les sciences positives
(qu’on appelle plus couramment les sciences dures aujourd’hui) sont amenées à fonder la philosophie. Il
définit la sociologie comme une physique sociale (établir les relations de cause à effet entre les phénomènes
sociaux). Pour lui, les sociétés suivent trois états successifs : l’état théologique (croyances surnaturelles,
encadrement féodal et militaire de la société), l’état métaphysique (gouvernance de l’abstraction, transition
vers le monde industriel), et l’état scientifique (âge de la maturité, épanouissement de la société industrielle,
domination de la science).

1.1.1.2 La question sociale

Le désencastrement, défini par Polanyi comme l’automatisation progressive de la sphère économique, doré-
navant soumise à ses propres lois, et qui commence avec la suppression des Poor Laws (aides sociales de
l’époque) en 1846 en Angleterre, a des conséquences sociales néfastes. L. Villermé (Tableau de l’état physique
et moral des ouvriers dans les fabriques de coton, de laine et de soie, 1840) souligne les conditions de travail
extrêmement difficiles des ouvriers, des problèmes d’hygiène et de logement, et de la montée des troubles
divers à l’ordre public (alcoolisme, délinquance, etc.)
La sociologie est vue alors comme un outil d’analyse à ce bouleversement social.

1.1.2 La sociologie comme discipline universitaire

1.1.2.1 L’institutionnalisation

En France, différents courants de pensée contribuent à l’émergence de la sociologie comme nouvelle discipline
universitaire. En 1868, l’École Pratique des Hautes Études est créé. R. Worms fonde la Revue Internationale
de Sociologie en 1893, et l’Institut International de sociologie en 1894.
Certains sociologues s’imposent comme des références majeures à la fin du XIXe siècle comme G. Tarde (Les
lois de l’imitation, 1890). Pour lui, la vie sociale est régie par deux phénomènes : l’invention (les classes
supérieures commencent par être des modèles pour le reste de la société) et l’imitation (le processus qui
établit la communication entre les différents groupes de la société). La diffusion des pratiques des classes
supérieures en cascade assure l’ordre social. Il intègre une dimension psychologique aux comportements
individuels : il faut comprendre les actions des individus à l’aune de leurs propres perceptions et de leurs
interactions avec les autres.

1.1.2.2 Les thèmes initiaux de la sociologie

Il y a une double réflexion initiale de la sociologie. La première porte sur l’ordre social (comment est-ce que
la société tient ? ) et la seconde porte sur la stratification sociale (l’ensemble des systèmes de différentiation
sociale basées sur la distribution inégale des ressources et des positions dans une société). Ce faisant, une
des questions centrales de la sociologie porte sur l’origine de la hiérarchie sociale, et ce qui la fonde.

1.2 L’apport de E. Durkheim

1.2.1 Qu’est-ce qu’un fait social ?

1.2.1.1 L’objectif de E. Durkheim

3
Dans Les règles de la méthode sociologique (1895), E. Durkheim explique que le but de l’analyse soci-
ologique est d’expliquer le social par le social, c’est-à-dire analyser un phénomène social à l’aide d’un autre
phénomène social qui en serait la cause, sans se référer explicitement ou implicitement à des explications
extra-sociologiques.
La perspective de E. Durkehim est holiste, c’est-à-dire que la société a une influence structurante sur les
comportements individuels. Ce faisant, Durkheim définit un fait social comme étant : « toute manière
de faire, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte extérieure; ou bien encore, qui est
générale dans l’étendue d’une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses diverses
manifestations au niveau individuel ». Un fait social peut être appréhendé comme une régularité statistique
au sein d’une société (taux de suicide, taux de criminalité, . . . ). Dès lors, la démarche sociologique vise à
analyser l’influence produite par la société.
Le sociologue, pour E. Durkheim, doit « considérer les faits sociaux comme des choses ». Cela signifie que
le sociologue, à l’instar du physicien, doit se tenir à distance du phénomène qu’il observe afin d’éviter d’y
importer des prénotions (des fausses croyances sur un phénomène donné), et d’écarter les autres hypothèses
extra-sociologiques susceptibles d’expliquer le phénomène. Comme il n’est pas possible de répliquer le fonc-
tionnement de la société en laboratoire, le sociologue doit procéder en définissant précisément son objet
d’étude, et utiliser des méthodes comparatives (utilisation de données statistiques pour comparer différents
groupes ou différentes sociétés).

1.2.1.2 Un cas d’école, le suicide

E. Durkheim applique sa méthode dans le livre Le Suicide en 1897. Il constate que le suicide est un phénomène
observé dans presque toutes les sociétés, et que les taux de suicide évoluent très peu dans le temps pour une
société donnée. Il distingue quatre types de suicide : le suicide égoïste (dû au manque d’intégration dans
la société), le suicide altruiste (dû à un excès d’intégration dans un groupe, comme les suicides sacrificiels
dans les sectes), le suicide anomique (l’individu est intégré à la société, mais les règles ne sont pas assez forte
pour lui permettre de cadrer sa vie) et le suicide fataliste (l’individu est intégré, mais les règles qui lui sont
imposées sont excessivement contraignantes).
Il remarque que les taux de suicide au sein d’une société varient en fonction des différents groupes (religion
et sexe notamment). Ainsi, le taux de suicide chez les protestants est plus élevé que chez les catholiques
en raison d’un individualisme plus prononcé chez les premiers (et donc une plus forte chance d’anomie).
Il établit que le suicide varie en raison inverse du degré d’intégration des groupes sociaux dont fait partie
l’individu. Ce faisant, le mariage est une forme d’intégration sociale qui protège du suicide davantage que le
célibat. Par ailleurs, les hommes se suicident beaucoup plus que les femmes.
M. Halbwachs (Les causes du suicide, 1930) contredit E. Durkheim en mettant en évidence l’absence de
relation entre suicide et religion.

1.2.2 Solidarités, division du travail, et anomie

Pour E. Durkheim, la sociologie est à la fois morale et scientifique. En effe,t la dimension morale de la
sociologie vient que la société de son époque est en pleine mutation et le lien social tend à se relâcher. Ce
faisant, le sociologue est à l’image d’un médecin : il analyse la racine du problème et propose des remèdes.

1.2.2.1 Solidarité mécanique et solidarité organique

E. Durkheim distingue deux types de solidarité :

• La solidarité mécanique caractérise les sociétés primitives marquées par la proximité des consciences in-
dividuelles avec la conscience collective (l’ensemble des croyances et sentiments communs à la moyenne

4
des membres d’une même société). Le lien social est fondé sur la ressemblance entre les individus. Le
droit répressif est prédominant dans ce type d’organisation sociale, et sanctionne tout comportement
déviant, considéré comme menaçant pour l’existence du groupe.
• La solidarité organique caractérise les sociétés modernes, où l’individualisme croissant tend à faire
disparaître la conscience collective. La division du travail accentue ce phénomène en raison de la
spécialisation des individus. En matière de droit, on valorise la réparation plutôt que la répression :
on cherche à réparer le dommage de la victime que de châtier le coupable. La solidarité naît dans la
complémentarité des fonctions sociales, à l’image d’un organisme. Cependant, la complexification de
la société fragilise le lien social.

E. Durkheim essaie d’expliquer comment on passe de l’un à l’autre :

• Augmentation de la densité matérielle (hausse de la densité de la population qui pousse à la division


du travail pour augmenter la productivité)
• Augmentation de la densité morale (les relations sociales sont en interdépendance croissance et facilitent
l’effacement de la société fragmentaire)
• Hausse de la mobilité géographique (détachement plus fort de l’individu de son lieu natal, ce qui
participe à l’affaiblissement de la conscience collective)
• Émergence des grandes villes où les liens sociaux traditionnels ont tendance à disparaître où l’on est
anonyme parmi la foule

1.2.2.2 L’anomie

E. Durkheim note que dans certains cas la division du travail peut se traduire par l’anomie, définie comme
l’affaiblissement du système de normes en vigueur où l’individu se retrouve sans repères. L’anomie s’explique
par la transition problématique entre les deux types de solidarité : il faut du temps pour que de nouvelles
normes s’établissent. De fait, dans la sphère industrielle, la division du travail n’est pas encore assez inclusive
et les normes ne sont pas encore fixées. Le manque de régulation sociale explique donc les troubles (conflits,
tensions) et l’anomie dans la société. Pour lui, le développement de groupes intermédiaires (associations
professionnelles notamment) permet de palier cette absence sans recourir à un État centralisé encadrant
toute la régulation tout en permettant aux individus de se détacher de l’influence familiale (ce qu’il voit
comme une bonne chose).

2 Les classiques allemands et américains

2.1 Les classiques allemands

2.1.1 Les fondements de la sociologie allemande : F. Tönnies et G. Simmel

2.1.1.1 La querelle des méthodes

Le développement de la sociologie en Allemagne est marqué par la querelle des méthodes à partir des
années 1880. D’une part, on distingue les sciences naturelles des sciences de l’homme. D’autre part, on
oppose l’explication à la compréhension. Pour des auteurs comme W. Dilthey (Introduction aux sciences
de l’esprit, 1883), la connaissance des phénomènes humains ne saurait être atteinte de l’extérieur, à l’instar
des phénomènes physiques, mais seulement de l’intérieur par l’interprétation subjective. Le sociologue doit
faire preuve d’empathie pour se mettre à la place de l’individu ou du groupe étudié. Cette approche ouvre
la voie à un questionnement des motivations de l’agent social et rejoint ainsi certaines préoccupations de la
sociologie contemporaine. Cependant, cette approche a aussi le risque de tomber dans le « psychologisme »
des individus et de s’éloigner de l’analyse proprement sociologique.

5
2.1.1.2 La typologie de F. Tönnies : communauté et société

F. Tönnies (Communauté et société, 1887) distingue deux formes de vie sociale. D’une part, il y a la
communauté qui a pour fondement l’instinct, l’affectivité, l’esprit de groupe. A l’opposé, la société repose
sur la volonté libre, le calcul et l’intérêt individuel. Pour F. Tönnies, le comportement humain est fortement
affecté par le changement social : la vie sociale réglée par les institutions traditionnelles de la communauté
(familles, village, coutumes, traditions) est remplacée par la société (ville, activité industrielle) où règnent
les relations impersonnelles et concurrentielles comme dans l’activité économique.

2.1.1.3 La sociologie des formes de G. Simmel

Pour G. Simmel, la société est une réalité construite par les interactions réciproques entre les individus. Il
distingue deux dimensions :

• la dimension microsociale : les individus se déterminent les uns par rapport aux autres, les uns avec
les autres, les uns contre les autres.
• la dimension macrosociale : la société est le résultat d’une coproduction qui découle de la coopération
volontaire (ou non) des comportements individuels qui finissent par produire un cadre structurant et
déterminant pour l’action.

Ce faisant, la sociologie doit aussi bien s’intéresser à la société (niveau macro, ordre social) mais aussi au
x interactions de la vie quotidienne. Pour G. Simmel, l’ordre social résulte d’une multitude d’interactions
mettant aux prises des individus qui élaborent ensemble et continûment les règles du jeu social. Le fondement
de l’ordre social repose ainsi en grande partie sur l’apprentissage et la maîtrise de règles sociales ordinaires,
telles que le savoir-vivre ou la courtoisie.

2.1.2 M. Weber, le père fondateur de la sociologie allemande

2.1.2.1 La conception sociologique de M. Weber

Pour M. Weber, la sociologie relève de la connaissance scientifique. C’est une science dont la connaissance
est empirique, et qui cherche à mettre en évidence des relations causales entre les phénomènes de société. Il
définit la sociologie comme une science qui se propose de comprendre par interprétation l’activité sociale et
par là d’expliquer causalement son déroulement et ses effets.
Pour M. Weber, la sociologie est avant tout une sociologie compréhensive des actions des individus. En
effet, l’action est au fondement des activités sociales. Or, pour comprendre les actions des individus, il faut
envisager leurs intentions, leurs motivations et leurs intérêts. Ce faisant, toute proposition sociologique doit
être comprise sous le prisme de l’individu. Weber distingue quatre types d’actions :

• l’action traditionnelle, guidée par la routine et la force des habitudes (l’obéissance au père de famille
dans les sociétés traditionnelles par exemple)

-l’action affective, inspirée par les sentiments et les émotions

• l’action rationnelle en valeur, qui conduit l’individu à agir conformément à un ensemble de principes
qui lui autorisent ou interdisent certains comportements
• l’action rationnelle en finalité, consiste à adopter un comportement après avoir évalué les moyens et les
fins envisagés et ses conséquences éventuelles. (un ingénieur qui construit un pont rationnellement)

6
Comme le dit Weber, « il n’est pas besoin d’être César pour comprendre César ».
Par ailleurs, il met en avant la notion d’idéal-type.Un idéal-type est un type abstrait, une catégorie, qui
aide à comprendre ou théoriser certains phénomènes, sans prétendre que les caractéristiques de ce type se
retrouvent toujours et parfaitement dans les phénomènes observés. Un idéal-type vise ainsi à bâtir un modèle
d’un phénomène social et reflète donc aussi une perspective liée au but de ce modèle. La typologie des actions
ci-dessus est un idéal type. Pour Weber, les modèles, en particulier en économie, doivent servir à confronter
la réalité (on a un idéal et on voit à quel point la réalité diffère de cet idéal), mais ne doit pas s’y substituer
(à la façon des néoclassiques qui font des hypothèses de la microéconomie une loi générale qui s’applique
réellement).
Dans son Essai sur le sens de la neutralité axiologique (1917), il veut distinguer une proposition scientifique
d’un jugement de valeurs. Il critique sévèrement les intellectuels qui utilisent leur position académique pour
diffuser leur vision du monde, et que cette pratique est un obstacle à la vision scientifique. Le sociologue
doit interroger les motivations qui conduisent l’individu à adopter tel ou tel comportement y compris lorsque
ce dernier lui déplaît en tant que personne. In fine, pour M. Weber, « Une science empirique ne saurait
enseigner à qui que ce soit ce qu’il doit faire, mais seulement ce qu’il peut et le cas échéant ce qu’il veut faire
». Il s’oppose donc à Durkheim sur l’idée qu’il faille prescrire quoi que ce soit politiquement parlant.

2.1.2.2 Représentation, désenchantement et religion

Un des questionnements principaux de Weber est de comprendre comment certaines représentations du


monde, forgées par la croyance religieuse conduisent l’individu à modifier sa conduite dans l’ensemble de ses
activités, et en particulier dans la sphère économique.
Une de ses œuvres majeures est L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1901). Il montre que le
développement du capitalisme a été plus affirmé dans les régions protestantes que dans les régions catholiques.
L’ascétisme est préconisé par le calvinisme puisque le travail s’apparente à une vocation, une réalisation de
soi d’autant plus essentielle qu’elle est perçue comme un signe d’élection divin. L’entrepreneur calviniste
n’œuvre donc pas pour son profit personnel immédiat, mais pour son salut, ce qui l’incite à la prudence dans
l’usage des richesses et le prédispose à épargner et accumuler pour assurer le succès de son entreprise. L’esprit
du capitalisme est caractérisé par l’emploi de méthodes rationnelles à des fins d’accumulation : l’épargne
comme l’investissement sont particulièrement nécessaires à la pérennité de l’entreprise capitaliste. Weber
identifie alors une « affinité élective » entre ces deux ethos. L’un des effets majeurs produits par l’ascétisme
calviniste est d’avoir contribué au vaste processus de rationalisation des activités sociales.
M. Weber parle de désenchantement du monde en Occident pour décrire l’élimination progressive des ressorts
magiques pour expliquer des phénomènes naturels et/ou sociaux désormais considérés comme prévisibles,
notamment par la diffusion de l’esprit scientifique. Le recours à la raison relève d’un processus historique qui
rend possible la réflexivité et l’individuation, mais prive en contrepartie l’individu d’un sens transcendantal.
Le capitalisme est la transposition du désenchantement du monde dans la sphère économique. La spécificité
de l’entreprise capitaliste repose sur l’usage de procédés rationnels tels que la comptabilité qui autorise
le calcul prévisionnel et garantit la durée à l’activité économique. Or, pour que de telles entreprises se
développent, il faut des individus dont l’ordre de vie corresponde à cet esprit, d’où l’importance des ascètes
calvinistes. « Le puritain voulait être un homme besogneux, et nous sommes forcés de l’être ».
Dans L’éthique économique des religions universelles (1920), M. Weber analyse les « incitations pratiques à
l’action fondée sur les systèmes psychologiques et pragmatiques des religions ». Pour M. Weber, certaines
formes de rationalité ont pu apparaître historiquement hors de l’Occident. Ainsi, dans la Chine impériale, des
conditions favorables au développement capitaliste étaient réunies puisque la domination exercée par la classe
des lettrés qui entretenait des liens privilégiés avec l’Empereur a eu pour effet d’assurer la primauté sociale
aux mandarins, fonctionnaires maîtres de l’écriture et de la culture classique. Cependant, le confucianisme
tend à hiérarchiser les positions sociales d’après le niveau d’éducation valorisé particulièrement la soumission
à l’ordre social existant, et par là renforce le traditionalisme tout en condamnant l’apprêté au gain et par
conséquent l’enrichissement personnel. L’importance du culte eds ancêtres dans la religion confucéenne a
ainsidéfavorisé l’émancipation de l’activité économique hors de son cadre tribal et a compromis l’apparition

7
de la mentalité économique capitaliste. Si le puritain a comme projet de dominer le monde, le confucéen se
contente de s’y adapter.

2.2 Les principales écoles américaines

2.2.1 Le culturalisme

Courant issu de la recherche ethnologique, l’idée générale est de dire que les comportements individuels sont
déterminés par la culture, au sens sociologique (culture nationale, culture de classe).

2.2.1.1 Une influence de la psychanalyse

La personnalité de base, pour A. Kardiner (L’individu dans sa société, 1939) renvoie à la tripartition faite
dans la psychanalyse faite entre le moi (système médiateur entre le ça et le surmoi), le ça (réservoir de
pulsions plus ou moins instinctives) et le surmoi (le lieu d’intériorisation de la morale, qui vient contrôler
les pulsions instinctives). La personnalité de base correspond au moi, c’est-à-dire l’encadrement des pulsions
instinctives (ça) par le surmoi (contraintes morales exercées par des institutions), surmoi qui sera spécifique
aux différentes cultures.
A. Kardiner distingue alors : - les institutions primaires : tout ce qui participe au contrôle des instincts et qui
contribue directement à la production de la personnalité de base (structure familiale, mode d’alimentation,
rapport à la propreté, interdits sexuels) - les institutions secondaires : toutes les institutions qui produisent
des frustrations et la répression des instincts primaires engendrées par les institutions primaires (la religion,
les grands mythes, l’organisation du système politique et économique)

2.2.1.2 Une influence de l’anthropologie

M. Mead (Moeurs et sexualité en Océanie, 1928-1935) montre, sur la base d’une enquête auprès de peuples
dits primitifs dans les îles du Pacifique, que les traits de personnalité que l’on associe aux hommes et aux
femmes ne sont pas naturels mais spécifiques à une culture. En effet, la culture va modeler les normes,
mais également les caractéristiques propres aux individus. Ainsi, les différences de tempérament entre sexes
n’ont rien de naturel, mais sont déterminées culturellement. M. Mead adopte une perspective holiste : les
individus sont conditionnés socialement, avec un très fort poids de la culture sur l’individuel. « La nature
humaine est malléable obéit fidèlement aux impulsions que lui communique le corps social ».
La socialisation va jouer un rôle important dans la transmission des valeurs. La socialisation, est définie par
E. Durkheim comme : « la transmission contraignante par les institutions et les groupes sociaux de valeurs,
croyances et pratiques aux individus ».

2.2.1.3 Communautés et sous-cultures

L’étude de référence culturaliste en sociologie est celle de Robert et Helen Lynd (Middletown, 1929-1935).
Ces auteurs ont analysé une ville moyenne de l’Indiana et ont disséqué le mode de vie typique. Ils mettent
en avance que les habitants ont un ensemble de normes, de valeurs et d’opinions partagées par l’ensemble
de la population américaine, en particulier : la croyance dans les vertus du progrès, le caractère sacré de la
famille et du travail, la supériorité du christianisme et de la démocratie, le rôle déterminant des entreprises
américaines dans le monde, etc.
D’autres études ont critiqué le concept de personnalité de base, et ont mis en avance les différences culturelles
selon les classes sociales. On peut parler de « sous culture » dans la mesure où ce sont des sous-groupes
qui appartiennent à un groupe totalisant, la culture. L. Warner (Yankee City, 1941-1949) insiste sur la

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stratification sociale au sein d’une communauté urbaine. Une classe sociale existe dès lors qu’il y a une
inégalité (au sens d’une différence qui se matérialise par un avantage ou désavantage, économique, juridique
ou social), et que chaque groupe est identifiable. Pour lui, il existe des personnalités de base propres à
chaque classe sociale, qu’il nomme « personnalités statutaires de classe ». R. Hoggart (La culture du pauvre,
1957) met particulièrement en avant l’existence d’une culture populaire relativement autonome par rapport
à la culture dominante, diffusée par les médias de masse. Cependant, les classes populaires ne sont pas
totalement manipulées par les médias. Pour lui, il y a une interaction entre culture et média, et non une
transmission d’un sens envers l’autre.
Certains auteurs mettent en évidence une sous-culture délinquante. A. K. Cohen (Delinquance Boy. The
culture of the Gang, 1955) interpète la délinquance comme un choc entre les valeurs des jeunes de milieux
populaires et celles de classes dominantes (la culture scolaire). En réponse à ce conflit culturel, les jeunes se
réfugient dans une sous-culture délinquante faite de violence et de refus.

2.2.1.4 Limites de l’analyse culturaliste

Ce courant en tant que tel n’existe plus aujourd’hui. Il a été très critiqué pour son aspect simplificateur
et caricatural. Des conceptions plus modernes voient la socialisation comme un processus moins mécanique
et absolu, comme P. Berger et T. Luckmann (La construction sociale de la réalité, 1966). Ils définissent la
socialisation comme un « processus actif de construction, de déconstruction et de reconstruction d’identités
liées aux différentes sphères d’activité ». Cette conception domine aujourd’hui, contre celle de la définition
durkheimienne. L’individu n’est pas un réceptacle passif de croyances et de normes, mais un acteur à part
entière de sa propre socialisation. Cette perspective moderne insiste sur le fait qu’il y a plusieurs instances
de socialisation. Ils distinguent une socialisation primaire et une socialisation secondaire, avec une pluralité
de milieux de socialisation (famille, école, travail, associations,. . . )

2.2.2 Le fonctionnalisme

2.2.2.1 Le fonctionnalisme au sens de T. Parsons

T. Parsons (Éléments pour une sociologie de l’action, 1955) revalorise une approche théorique de la société,
et de l’action sociale. Il définit une action sociale comme toute conduite humaine motivée ou guidée par les
significations que l’acteur découvre dans une situation, signification dont il tient compte auxquelles il répond
et dont l’orientation est structurée par des normes, des modèles collectifs ». Pour T. Parsons, l’action
sociale ne peut avoir lieu de manière efficace seulement si un certain nombre de codes sociaux communs
existent de sorte que les individus peuissent interagir de manière fonctionnelle (l’action peut se dérouler sans
incompréhension).
Ce faisant, chacun doit connaître son rôle et être capable de l’interpréter conformément aux attentes d’autrui.
Le rôle social est défini comme un modèle de comportement à adopter en fonction de la position occupée.
À chaque statut social (position occupée par un individu dans la société) est associé à un certain nombre
de rôles prédéterminés par la société. La société est alors un réseau de rôles sociaux organisés en un ordre
cohérent à travers des institutions. Chaque individu sera finalement défini comme la somme de ses rôles
sociaux.
La socialisation permet l’apprentissage des rôles sociaux et la coordination est possible entre différents
individus dans la mesure où ils partagent une même culture. Une société fonctionnelle est une société dans
laquelle il y a une cohérence entre les différents rôles sociaux, la valeur commune de la culture et la disposition
de la personnalité acquise.

2.2.2.2 Le fonctionnalisme au sens de R. K. Merton

R. K.. Merton (Éléments de théories et de méthodes sociologiques, 1953) distingue deux types de fonctions :

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• les fonctions manifestes, comprises et voulues par les participants du système
• les fonctions latentes, ni comprises ou voulues.

R. Merton prend l’exemple des danses de la pluie dans les communautés amérindiennes. La fonction manifeste
est d’appeler les dieux de la pluie, mais la fonction latente est de rassembler dans un même lieu les membres
de la tribu, et de renforcer la cohésion du groupe.
Il est possible que certains éléments de la société soient a-fonctionnels ou dysfonctionnels. Cependant, une
des limites de l’analyse est la définition arbitraire de ce qui est ou ce qui n’est pas fonctionnel.
R. Merton distingue le groupe d’appartenance et le groupe de référence. Par un procédé de socialisation an-
ticipatrice, on va chercher à adopter les normes et les valeurs d’un groupe de référence auquel on souhaiterait
appartenir. Il existe une frustration relative, elle correspond au décalage entre les attentes et les réalisations
de l’individu. Par exemple, S. A. Stouffer (The American Soldier, 949) montre que les soldats de l’armée de
l’air étaient déçus de ne pas faire aussi vite carrière qu’ils l’auraient souhaité, quand les soldats de l’armée
terre sont relativement satisfaits de leur progression. Or, dans les faits, la progression est plus rapide au sein
de l’armée de l’air. L’insatisfaction s’explique par la frustration relative.
Pour R. Merton, l’anomie survient lorsqu’il y a une discordance entre les objectifs fixés par la société et les
moyens légitimes disponibles (l’individu ne dispose pas des moyens nécessaires, ou rejette les moyens légitimes
car trop concentré sur la fin – comme la réussite matérielle). Ce faisant, les individus ne se reportent pas
des moyens illégitimes comme la délinquance, le trafic ou la corruption. La délinquance provient alors d’une
survalorisation de fins, que l’individu ne peut pas toujours atteindre par des moyens légitimes.
Pour W. Thomas a théorisé la prédiction créatrice par la formule suivante : « Quand les hommes considèrent
certaines situations comme réelles, elles sont réelles dans leurs conséquences » (équivalent d’un prophétie
auto-réalistrice en économie). R. Merton montre que les travailleurs noirs dans certains états américains
étaient exclus des syndicats car ils avaient la réputation de casseurs de grèves. Or, comme les noirs n’avaient
pas accès aux syndicats, ils ne pouvaient pas entrer dans les entreprises requérant l’adhésion obligatoire aux
syndicats (closed-shop), et passent par des moyens alternatifs d’accès au travail, devenant ainsi des casseurs
de grèves (travaillent quand les autres protestent).

2.2.3 L’interactionnisme symbolique

2.2.3.1 L’École de Chicago

L’École de Chicago (fin du XIXe, début XXe) en sociologie est école de pensée basée sur la réalisation
d’enquêtes de terrains, avec la volonté de mener des recherches empiriques sur la réalité qui les entoure,
des objectifs pragmatiques qui visent à produire des connaissances utiles pour traiter des problèmes sociaux
concrets (la délinquance, les ghettos, l’intégration des immigrants). Pour Blumer, seules les enquêtes de
terrain permettent de saisir la réalité sociale.

2.2.3.2 Une analyse de la désorganisation sociale

La désorganisation sociale est définie comme une situation d’affaiblissement de l’influence des valeurs collec-
tives sur les individus. A l’inverse, une situation d’organisation sociale est définie comme une situation où
les normes et le valeurs collectives l’emportent sur les intérêts individuels. T. Thomas et F. Znaniecki (Le
paysan polonais, 1918) montrent que les immigrés polonais sont confrontés à de nouvelles situations et à des
univers sociaux différents qui les amènent à remettre en question les normes traditionnelles qu’imposaient
leurs communautés d’appartenance. La désorganisation sociale frappe alors la famille et les communautés
formées par les migrants. L’individualisme, le désir de possession matérielles, et de reconnaissance affectent
la solidarité du groupe familial et provoque un conflit entre les générations. Il y a une adaptation différente
également selon le genre (cf. le film West Side Story et la chanson America, où les femmes portoricaines

10
s’adaptent bien mieux à la société de consommation américaine que les hommes classés à la marge). La
communauté n’est plus en mesure d’imposer les normes nécessaires à son unité, et devient un moyen inapte
à permettre l’adaptation sociale.
Cependant, cette désorganisation est temporaire. Il y a une réorganisation du groupe d’immigrés qui permet
de s’adapter à leur nouvel univers (ici Chicago) avec notamment le rôle des valeurs religieuses qui rétablissent
les règles et les pratiques traditionnelles. Il y aussi un rôle des pratiques d’entraide entre immigrés, et de la
presse locale en langue nationale qui participe au rétablissement des valeurs collectives et à la réorganisation
du groupe.
Pour R. Park et E. Burgees (The City, 1925), malgré les efforts de planification et de rationalisation, la ville
reste un espace de concurrence et d’instabilité (forte mobilité résidentielle, ségrégation ethnique, anonymat
de la vie) ce qui favorise la désorganisation sociale. Pour autant, W. Whyte (Street corner society, 1943)
montre que les quartiers de villes ont une organisation sociale spécifique et sont loin d’être désorganisés.

2.2.3.3 Sociologie de la délinquance

Dans la perspective de l’Ecole de Chicago, la délinquance est le produit de la désorganisation sociale. Pour
F. Trasher (The Gang, 1927), la structuration de l’habitat urbain à Chicago est en cercles concentriques :
plus on s’éloigne du centre, plus les habitants sont défavorisés. Entre le centre et les quartiers résidentiels, il
y a un espace « interstitiel » où habitent les migrants récents (polonais, italiens, africains). La délinquance
se développe dans cette ceinture de pauvreté : habité dégradé, cohabitation de plusieurs ethnies, etc.
Pour C. Shaw et H. McKay (Juvenile Delinquency and Urban Areas, 1942), la délinquance juvénile s’explique
par des facteurs sociaux. La délinquance est associée à la structure physique de la ville : dans les quartiers
où il y a une importante pauvreté, de forts taux de chômage, des familles dissociées, et une population
hétérogène, le contrôle social s’affaiblit. Ils montrent que le lien principal n’est pas entre immigration
ou origine sociale et délinquance, mais plutôt entre quartier, lieu et type d’habitant et délinquance. La
délinquance est vue comme une forme alternative d’organisation sociale. Dans les quartiers où la délinquance
est fortement valorisée (elle apporte un statut social et un avantage économique), des normes spécifiques
vont se développer. Pour F. Trasher, le gang peut être vu comme un groupe social qui se constitue dans
l’action collective et qui offre une structure que les cadres traditionnels ne proposent pas. La délinquance
devient alors un lieu d’expression et de réalisation de soi, avec des gratifications psychologiques symboliques.
E. Suntherland (The professional thief, 1937) montre que la délinquance est une carrière, qui nécessite à la
fois un apprentissage technique et social. « La profession de voleur ne consiste pas en une série d’actions
isolées accomplies avec habileté, c’est une vie de groupe en même temps qu’une institution sociale qui possède
sa technique, ses codes, ses statuts, sa tradition et son organisation ». Il est nécessaire d’être reconnu par
ses pairs. On ne naît pas déviant ou délinquant,on le devient par « association différentielle » du fait de
l’exposition à un milieu criminel, qui considère l’activité criminelle comme naturelle et qui va inculquer des
représentations qui différent de la société usuelle.

2.2.3.4 La sociologie interactionniste de la déviance d’Howard Becker

H. Becker (Outsiders, 1963) redéfinit la déviance. Traditionnellement, on considère comme déviant un


individu qui transgresse les normes. Pour Becker, la déviance n’est pas le fait de transgresser les normes, mais
d’être qualifié de déviant par autrui. La déviance est une construction sociale produit d’une représentation
par autrui. « Le déviant est celui auquel cette étiquette a été appliquée avec succès, et le comportement
déviant est celui auquel la communauté attache cette étiquette ».
Il faut distinguer déviance et transgression des normes, en posant deux questions :

• est-ce que l’individu transgresse ou obéit ?


• est-ce que l’individu est perçu comme déviant ?

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Il existe alors d’autres cas de figures: les accusés à tort (obéis, mais déviant) ou les secrètement déviants
(transgresse, mais pas déviant).
Il y a une relativité sociale et historique des normes. Elles peuvent différer selon les groupes sociaux et
selon l’époque (prohibition de l’alcool aux US dans les années 1920 par exemple). Ce faisant, il existe des
entrepreneurs de morale qui vont imposer des normes. Par exemple, aux États-Unis, ce n’est que sous
l’influence d’un petit groupe de puritains dans les années 1930 que la consommation de cannabis est perçu
comme une pratique mauvaise et déviante. Ainsi, la déviance est toujours un produit de l’interaction sociale
et non une propriété de la personne. Par ailleurs, chacun a des aspects qui pourraient être qualifiés de
déviants.
On peut parler de « carrière déviante », c’est-à-dire une série d’étapes qui vont passer par l’apprentissage de
la transgression de la norme et l’adhésion à groupe de déviants qui facilitera la pratique. H. Becker donne
l’exemple de la carrière sociale du fumeur de marijuana, qui par l’insertion dans un groupe de fumeurs va
apprendre la pratique, à ressentir le plaisir de fumer et d’exprimer les sensations au travers d’interactions
sociales. La désignation publique de déviant peut conduire à l’abandon de la pratique. Cependant, l’adhésion
au groupe peut également compenser cet effet, et réduire l’impact d’un certain nombre de contrôles sociaux
et fournir des représentations alternatives.

2.2.3.5 L’interactionnisme symbolique d’E. Goffman

Pour E. Goffman, l’interaction est un objet spécifique de la sociologie, sur lequel le social tout entier repose.
Comprendre les actions sociales revient à comprendre le sens des interactions des individus.
Dans La mise en scène de la vie quotidienne (1956), il montre que la vie sociale est comme une scène où
les agents se comportent comme des acteurs. Les interactions quotidiennes peuvent être ainsi vues comme
un jeu de rôle, cadré et normé. Lors de ces scènes innombrables, les acteurs définissent la situation sociale
: lorsque la représentation est réussie, les acteurs ont été appréciés et finalement confortés dans leurs rôles.
Par extension, la confirmation des acteurs et des rôles vaut pour tout le groupe qui était représenté par
l’acteur.
Dans Les rites d’interaction (1967), il distingue le « moi » (la personnalité de l’individu) et la « face »
c’est-à-dire l’image que l’individu souhaite renvoyer à autrui. Pour E. Goffman, l’enjeu des interactions est
toujours de garder la face, c’est-à-dire correspondre dans l’interaction à l’image sociale attendue, et qu’in fine
aucun des deux participants ne soit dévalorisé socialement. Pour E. Goffman, il existe un certain nombre de
rituels et de règles pour chacun puisse renvoyer une image sociale de lui-même. Parmi ces règles, on note :
-la règle de l’amour propre : elle implique que l’individu conserve son image tout au long de l’interaction

• la règle de la déférence : elle implique que l’individu fasse tout son possible pour conserver la face de
son interlocuteur.

• la règle de la félicité cherche à assurer la compréhension par son interlocuteur du rôle qu’il incarne.
• la règle de la figuration vise à assurer que le comportement adopté (langage, gestes) corresponde au
rôle que l’on joue.

Par exemple, si un étudiant fond en larmes devant un jury de concours, cela perturbe l’interaction, car cela
ne correspond pas aux attentes d’une interaction de ce type. Alors le jury va mettre en place un « échange
réparateur » qui vise à rétablir l’interaction.
Relativement à la sociologie de la déviance, il montre, dans Asiles (1961), comment les institutions totales
(prisons, hôpitaux psychiatriques) détruisent et reconstruisent l’identité des individus en les coupant du
monde extérieur, en réglementant leurs besoins, en imposant une surveillance permanente exercée par un
personnel spécialisé. L’une des armes habituelles consiste à déposséder les individus de leurs ressources
à l’intérieur de l’institution (on peut penser au film Vol au-dessus d’un nid de coucou). Les individus

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ont toutefois une marge de liberté qui leur permettra de maintenir leur personnalité (existence d’une vie
clandestine par exemple).
E. Goffman, dans Stigmates. Les usages sociaux des handicaps (1963), considèrent qu’un stigmate est perçu
comme une amputation de l’identité humaine de l’individu qui le porte, et il va susciter consciemment ou
inconsciemment de multiples discriminations.

2.2.4 L’ethnométhodologie

2.2.4.1 Les faits sociaux comme « comme accomplissements pratiques »

A l’inverse de la conception de Durkheim, les faits sociaux sont des « accomplissements pratiques des acteurs
du quotidien ». La stabilité du fait social s’explique par l’activité permanente des membres de la société. Pour
H. Garfinkel (Studies in Ethnomethodology, 1967), les « acteurs sociaux ne sont pas des idiots culturels ». Ils
sont munis d’un sens commun et d’un certain nombre de savoirs pratiques pour interagir et communiquer
de façon relativement routinière et habituelle. Il insiste sur le sens commun et les savoirs pratiques des
individus qui leur permet d’échapper en partie au poids des normes et à la culture dominante. Il qualifie
ces savoirs pratiques d’ethnométhodes. L’ethnométhodologie ne désigne pas une méthodologie spécifique,
mais le fait d’étudier des ethnométhodes (des raisonnements sociologiques pratiques). Par exemple, dans les
délibérations de jury populaires, l’auteur remarque la capacité des non spécialistes à puiser dans un réservoir
de savoir et de sens commun pour juger et déterminer la validité des arguments et des pièces à conviction.
Ce faisant, il n’y a pas vraiment de rupture entre la sociologie professionnelle et la sociologie profane : tous
les acteurs sociaux sont plus ou moins des sociologues dans la mesure où ils peuvent rapporter une situation
sociale, la décrire et voir si elle est conforme à certaines règles. La différence entre le sociologue professionnel
et le sociologue profane est l’utilisation d’un discours plus « savant ». En pratique, la démarche du sociologue
consistera à se faire membre du groupe, pour comprendre ce qui se joue au cours des activités ordinaires et
à transcrire les méthodes pratiques que les membres mettent en œuvre dans leurs actions.
Pour H. Garfinkel, le langage rend compte du social et le fait exister (le monde existe à travers des opérations
langagières). Il insiste sur trois propriétés du langage :

• l’indexicalité : les mots doivent être indexés à une situation locale pour produire du sens (de même
que pour les pratiques sociales). Les mots « ici » et « maintenant » permettent d’ancrer un discours
dans un contexte par exemple.

• la réflexivité : le langage est une pratique qui non seulement permet de décrire, mais également de
construire un sens (la description d’une situation sociale participe de l’institution de cette situation.)
• Descriptibilité : grâce au langage, toutes les actions sont descriptibles, rapportables et analysables.
Par le langage, les individus donnent du sens à leus actions.

Pour A. Cicourel (La sociologie cognitive, 1972) mets en avant le rôle des procédés interprétatifs dans les
interactions sociales. Les procédés interprétatifs sont les propriétés invariables qui gouvernent une interac-
tion qui vont indiquer les conditions minimales permettant à l’acteur et à l’observateur si l’interaction est
convenable, et garantissent le bon déroulement d’une interaction.
On peut citer comme procédés :

• la sous-routine : capacité d’un acteur à comprendre des termes lexicaux ambigus

• la réflexivité du discours : la capacité de comprendre le contexte qui n’est pas forcément exprimé dans
le discours, mais par les sous-entendus, les hésitations et toute la communication non-verbale.

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H. Mehan (Learning Lessons, 1979) s’intéresse aux interactions entre professeurs et élèves. Il montre que les
enseignants indiquent un certain nombre de règles explicites mais très générales, sans précision de contexte
et de circonstances. Les élèves doivent découvrir en interaction le champ d’application précis de ces règles.
L’élève compétent sera celui qui saura faire la synthèse entre le discours explicite et ce qui émerge des
interactions pour saisir ce qui est attendu. De fait, les compétences pour saisir l’implicite dans les interactions
est différente selon les milieux et les classes sociales, ce qui pourrait expliquer in fine les différences de réussite
scolaire.

3 La sociologie française depuis les années 1960

3.1 Individualisme méthodologique, et structuralisme constructiviste

3.1.1 L’individualisme méthodologique de Raymond Boudon

3.1.1.1 Une sociologie de l’action

R. Boudon s’oppose à la vision holiste de la société (l’individu est déterminé par la société). Sans renier
l’influence de la société et de facteurs extérieurs, il fonde l’individualisme méthodologique sur deux fonde-
ments principaux :

• d’une part que, comme tout phénomène social est le résultat d’actions individuelles, un moment essen-
tiel de toute analyse sociologique consiste à comprendre ces actions
• d’autre part que ce moment de la compréhension étant essentiel, la validité d’une théorie sociologique
ne saurait être supérieur à celle des propositions psychologiques qu’elle contient.

Il définit concrètement son paradigme dans La logique du social (1979) : il faut étudier les phénomènes
sociaux à partir des actions individuelles, même si celles-ci se déploient dans des environnements sociaux
plus globaux.
Il postule que l’acteur sociologique (homo sociologicus) est un acteur rationnel même s’il n’est pas toujours à
même de distinguer le meilleur choix, et peut agir selon des normes, des valeurs et préférences intériorisées,
dépendant de son histoire et de son environnement. Ainsi, l’action sociale ne se résume pas à une rationalité
en finalité.
Il souligne l’importance des effets d’agrégation (somme ou effet cumulatif des actions individuelles). Par
exemple, pour reprendre M. Weber, le capitalisme est le résultat du regroupement d’actions individuelles
issues de l’éthique protestante (alors même que la finalité de l’éthique protestante n’est pas en soi le profit
capitaliste). Il souligne également les effets de compensation : on peut croire à une stabilité collective d’un
phénomène social quand en fait il y a des variations qui se compensent entre les individus.
Enfin, il met en évidence les effets pervers, lorsque la somme des actions individuelles produit un résultat
non-intentionnel et qui va à l’encontre des intentions initiales des agents. On peut donner plusieurs exemples
(qui sont développés dans d’autres chapitres) :

• la baisse tendancielle du taux de profit chez K. Marx


• le paradoxe de l’action collective chez M. Olson
• le paradoxe d’Andersen

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3.1.1.2 Une sociologie des croyances

Il complète sa sociologie de l’action avec une sociologie des croyances. Les motivations des individus ex-
pliquent les raisons d’agir, et celles-ci reposent sur des croyances qui sont source de l’action. On peut
expliquer, traditionnellement, les croyances de deux façons :

• par les raisons que l’acteur a d’y croire

• par les causes extérieures à la raison (éléments inconscients, déterminismes extérieurs)

Pour R. Boudon, c’est la première explication qui est la plus juste. Il distingue au sein des croyances les
raisons « objectivement bonnes » des raisons « subjectivement bonnes » (L’art de se persuader des idées
douteuses, fragiles ou fausses, 1990). Dans le premier cas, la définition des raisons par l’acteur renvoie à
des propositions logiquement correctes et empiriquement validées. Dans le second cas, les propositions sont
considérées comme bonnes, car elles sont socialement validées – même si elles sont fausses empiriquement
(la danse de la pluie ne sert pas à faire tomber la pluie en réalité). Ces propositions fausses ont un intérêt
dans la mesure où la sociologie doit parvenir à expliquer pour l’agent y croît.

3.1.2 Le structuralisme constructiviste de Pierre Bourdieu

« Par structuralisme, j’entends qu’il existe dans le monde social lui-même des structures objectives indépen-
dantes de la conscience et de la volonté des agents qui sont capables d’orienter ou de contraindre leurs
pratiques ou leurs représentations. Par constructivisme, je veux dire qu’il y a une genèse sociale d’une part
des schèmes de perception, de pensée et d’action qui sont constitutifs de ce que j’appelle l’habitus ; et d’autre
part des structures sociales et en particulier de ce que j’appelle des champs et des groupes, que l’on nomme
d’ordinaire les classes sociales ».
Cette citation de P. Bourdieu résume assez bien son approche de la sociologie, et en la décortiquant, on peut
comprendre sa théorie.

3.1.2.1 Représenter l’espace social

Dans La distinction (1979), il considère que l’espace social est le lieu de rapports de force et de lutte en
vue d’acquérir tant des avantages matériels que les moyens symboliques légitimant leur détention. L’espace
social est donc fondamentalement hiérarchisé et inégal. De plus, pour Bourdieu, on ne peut comprendre les
actions des individus qu’en les mettant en relief de leur position sociale. Par exemple, comment expliquer
les différences en matière d’alimentation entre les classes populaires (alimentation roborative et un idéal de
corps fort) et les classes favorisées (alimentation fine et idéal de corps sain).
Pour représenter l’espace social, Bourdieu va distinguer plusieurs types de capitaux et de principes
d’opposition. Pour lui, il y a plusieurs types de capitaux :

• le capital économique (facteurs de production, ensemble des biens économiques possédés)


• le capital culturel (l’ensemble des qualifications intellectuelles, transmises par la famille ou produites par
le système scolaire). Le capital culturel peut exister sous trois formes : à l’état incorporé (disposition
durable du corps comme l’aisance de l’expression en public), à l’état objectif (biens culturels possédés
comme des tableaux ou des livres), et à l’état institutionnalisé (socialement validé par les institutions
comme la possession de diplômes).
• le capital social (l’étendue du réseau social, qui peut accroître le rendement des autres capitaux)
• le capital symbolique (toute forme de capital ayant une reconnaissance particulière au sein de la société,
cela peut renvoyer aux diplômes, mais aussi être un nom de famille prestigieux par exemple ou la
réputation)

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On peut représenter la société selon deux axes d’opposition : le volume global du capital, et la composition
du capital. La position d’un individu dans l’espace social dépend de ces deux paramètres. Plus précisément,
la position de chacun dépend de la comparaison avec les autres.
Comment à partir de ces différents capitaux se constituent des groupes sociaux réels, qui émergent en tant
qu’identité et développent une conscience de classe ? Pour P. Bourdieu, il faut distinguer : - classe sur le pa-
pier, un groupe créé par le sociologue ou qui existe théoriquement du fait de la proximité du positionnement
des individus dans l’espace social - classes réelles, c’est-à-dire des groupe qui se reconnaissent en tant que
groupe et agissent en commun (porte-paroles, identité commune, organisation syndicale, attachement poli-
tique). A la différence de Marx, il n’y a pas forcément un dualisme dans la société. Par exemple, les cadres
forment un groupe social comme le montre L. Boltanski (cf. cours sur les transformations des structures
sociales)

3.1.2.2 La hiérarchisation des pratiques sociales

P. Bourdieu définit l’habitus comme un système de dispositions intériorisées durables et transposables. Par
disposition, il entend des attitudes, des façons de percevoir, de sentir et d’agir. Ces dispositions sont intérior-
isées du fait de conditions objectives d’existence (niveau de vie, conditions de logement, éducation, rapport
au travail). Lorsque ces dispositions sont intériorisées, elles structurent inconsciemment les attitudes, les
pratiques, les prises de position, les goûts culturels et alimentaires.
P. Bourdieu distingue deux composantes de l’habitus, produites par la position et la trajectoire sociale
: - l’Ethos, c’est-à-dire des schémas d’actions inconscients (principes, valeurs qui vont régler notre vie
quotidienne, mais de manière inconsciente, à la différence de l’Éthique) - l’Hexis, ensemble de postures, de
façon de e mouvoir, gestuelle, tenue élégance
L’habitus primaire, c’est-à-dire celui acquis dans le milieu familial est le plus important sans pour autant
être figé une fois pour toutes, au vu des expériences possibles au cours de la vie.
En conséquence, l’habitus va s’extérioriser à travers les choix de consommation et les modes de vie qu’un
individu va adopter. Les individus d’une même classe sociale vont développer des habitus proches, et ce,
faisant auront des styles de vie similaires. On entend par style de vie l’ensemble des goûts, des croyances et
des pratiques systématiques, caractéristiques d’une classe ou d’une fraction de classe.
P. Bourdieu distingue trois catégories sociales auxquelles correspondent trois types d’habitus : - les classes
populaires - , unifiées par des conditions d’existence où la nécessité économique domine - les classes moyennes
ont un habitus structuré sur la volonté d’ascension sociale et cherchent à imiter les pratiques des classes
dominantes mais avec un temps de retard (« bonne volonté culturelle ») - les classes dominantes unies par
le sens de la distinction. Elles cherchent sans arrêter de maintenir leur position et se distinguent à travers
pratique qui ne sont pas accessibles au commun (dès qu’une pratique se vulgarise, elle est abandonnée)
Au sein de chaque classe, il faut également prendre en compte la composition du capital pour établir des
catégories plus précises. Par exemple, les classes dominantes avec un plus fort capital culturel ont des loisirs
plus austères (« classes dominantes ascétiques »), et celles avec un capital économique dominant des pratiques
plus ostentatoires (golf, grands restaurants).
Or, les styles de vie sont hiérarchisés (le mode de vie du beauf est considéré inférieur à celui de l’homme
cultivé). La valorisation de certaines pratiques vient des classes dominantes, qui détiennent le monopole
de la création de la légitimité culturelle. Pour autant, la hiérarchie n’est pas nécessairement fondée sur
des éléments objectifs. Les médias ou l’éducation par exemple contribuent à légitimer certaines pratiques
sociales. P. Bourdieu explique ainsi la meilleure réussite des enfants des classes dominantes par une culture
conforme à la culture scolaire, mais aussi une meilleure compréhension des attendus de l’institution. In fine,
l’école n’accroît pas les inégalités, mais les légitime en traitant des inégaux en égaux. La méritocratie est
par conséquent illusoire.
Pour P. Bourdieu, la sociologie doit décrire les relations de domination entre individus. En effet, la domination
est inscrite dans les structures sociales, et l’espace des positions sociales reflète l’espace des styles de vie.

16
P. Coulangeon (Les métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui,
2011) constate le maintien du lien entre catégories sociales et pratiques culturelles (les riches iront toujours
plus au musée que les pauvres). Les pratiques des classes dominantes sont plus ostentatoire qu’auparavant.
Par ailleurs, la contrainte économique joue plus fortement pour les ménages populaires (poids du logement
et de l’énergie dans le budget).
Pour P. Coualngeon, la massification scolaire a relativement homogénéisé les bancs des écoles, et à conduit
à une pénétration plus forte de la culture de masse dans les milieux supérieurs. R. A. Peterson (Le passage
à des goûts omnivores, 1997), un signe de la distinction aujourd’hui pour les milieux supérieurs est le fait
de dominer y compris les références culturelles des milieux supérieurs que des milieux populaires (on parlera
aussi bien de Mozart que de Booba).

3.1.2.3 Des univers sociaux différenciés : les champs

P. Bourdieu définit un champ social comme un microcosme social, relativement autonome, où il y a un espace
de relations objectives qui sont le lieu d’une logique et d’une nécessité spécifique et irréductibles à celles qui
régissent les autres champs. La position d’un individu dans le champ va déterminer son comportement et ses
visions. Les champs se sont de plus en plus différenciés au cours de l’histoire (le champ politique, économique
et artistiques fonctionnent de façon très distincte les uns des autres, et ont des logiques spécifiques).
Dans Les règles de l’art (1992), la différenciation des champ est due aux volontés individuelles. Par xemple,
le champ littéraire s’est autonomisé à partir de la fin du XIXe siècle (on fait de « L’art pour l’art » pour
reprendre G. Flaubert). Et la hiérarchisation des individus au sein de ce champ va se faire selon une logique
strictement interne. Une des caractéristiques de l’autonomisation du champ littéraire est la création de prix
littéraires, et la création d’associations professionnelles.
Dans chaque champ, les règles du jeu, les enjeux et les intérêts sont spécifiques. On se bat pour des choses
qui n’ont aucun sens au sein des autres champs (prestige académique dans le champ scientifique, querelles
littéraires dans le champ artistique, . . . ). Le champ économique est par exemple relativement au champ
social, politique ou religieux, comme l’a montré K. Polanyii (La Grande Transformation, 1945) Cependant,
l’autonomie de chaque champ est relative, et il peut y avoir des intersections. Par exemple, la logique
néolibérale a conduit à la pénétration du champ économique dans d’autres champs (marché de l’art et
spéculation pour le champ artistique par exemple).
Un champ est structuré en fonction de la distribution d’un capital spécifique, et ce, en particulier pour
les champs autonomes. En effet, ce ne sont pas les mêmes ressources qui vont permettre d’accéder aux
positions dominantes dans le champ artistique (capital culturel) et dans le champ politique (capital social
et économique).
E. Panofsky (Architecture gothique et pensée scolastique, 1967) montre qu’à un certain moment, il y avait une
homologie entre différents champs : dans la pensée scolastique, les pensées devaient être très structurées (on
annonce le plan au début.), et dans l’architecture gothique, on voit apparaître la structure des constructions.
De la même façon, P. Bourdieu parle d’homologie structurales : si deux individus ont des positions équivalents
et appartiennent à deux champ distincts, alors ils auront les mêmes stratégies pour évoluer dans leur champ.
Pourquoi les agents adoptent des stratégies dans le champ ? Le champ est un espace de lutte, et l’un des
enjeux est l’attribution du pouvoir. La compétition n’est pas nécessaire équitable au sein d’un champ, car
certains individus ont un habitus plus conforme au champ que d’autres.

3.1.2.4 Une théorie générale de l’ordre social et de la pratique

Comment l’ordre social est-il construit dans les interactions ordinaires, et comment ces interactions sont
influencée par des contraintes sociales qui donnent l’impression d’être naturelles ?
Les individus des mêmes catégories sociales auront des habitus similaires, et donc des pratiques, des goûts
et des choix de vie tout aussi similaires. Il n’y a pas un processus d’imitation, mais une structure sociale qui

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conduit les individus à être similaires. Ce faisant, on peut expliquer le choix du conjoint ou des amis par
l’habitus.
Pour P. Bourdieu, l’ordre social se reproduit par un double mouvement : - intériorisation de l’extériorité :
on intériorise inconsciemment des goûts et des pratiques. - extériorisation de l’intériorité : l’habitus génère
des pratiques qui reproduisent l’ordre social et donne l’impression d’être la conséquence d’un choix. Cela
crée une impression de naturalité au point où l’on ignore les déterminants sociaux. P. Bourdieu parle de «
sens pratique » pour caractérisé le fait que nos actions nous paraissent évidentes et naturelles en raison de
notre habitus. Le « sens pratique » n’est pas un processus intellectuel, mais une intuition guidant l’individu,
lui indiquant par exemple s’il est à l’aise ou non dans un environnement social donné.

3.1.2.5 Les critiques de P. Bourdieu

Pour A. Caille (Don, intérêt et désintéressement, 1994), P. Bourdieu a une vision excessivement matérialiste
: les agents recherchent toujours un intérêt économique ou du pouvoir. In fine, il est plus proche de
l’individualisme méthodologique (représenté par R. Boudon) dans la mesure où il adhère à une logique
utilitariste. Ce faisant, il néglige les rapports de coopérations, les rapports de compassion, et les pratiques
fondées sur le don.
Pour B. Lahire (Le travail sociologique de P. Bourdieu, 1999), si le concept d’habitus a de l’intérêt, on peut
l’envisager soit du point de vue de l’homogénéité (les habitus des individus au sein de leurs classes sociales
se ressemblent), soit du point de vue l’hétérogénéité (les habitus des individus sont uniques du fait de la
spécificité de leur socialisation, indépendamment de leur classe). Par ailleurs, pour B. Lahire, P. Bourdieu
fait de l’habitus une boîte noire, il n’explique pas comment celui-ci se forme pour un individu.
Dans La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi (2004), il souligne non seulement
la spécificité de l’habitus de chaque individu, mais également qu’il n’y a pas forcément de cohérence dans les
pratiques sociales des individus, en particulier chez les classes supérieures. La plupart des individus ont des
goûts pour une pratique culturelle disqualifiée par leur milieu (Booba et Mozart). Cela renvoie à la thèse de
R. Peterson sur les omnivores culturelles, qui est la nouvelle forme de distinction pour les classes supérieures.

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