Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
hira
Mohamed Tozy
Résumés
Haut de page
Source : http://sociologies.revues.org/4326
Texte intégral
1Les sciences sociales au Maroc sont très récentes, leur histoire est encore à
faire. Toutefois, les rares écrits qui lui sont consacrés, en dehors des
préoccupations idéologiques de traditionalisation voire même
d’islamisation, octroient une place centrale à Paul Pascon considéré comme
la principale figure de la sociologie postcoloniale.
2Il est né à Fès en 1932, deux ans après la promulgation du dahir berbère
qui va marquer le début d’un mouvement nationaliste de remise en cause
du traité du protectorat français au Maroc. Son père était ingénieur des
travaux publics, alors que le grand-père, plus paysan qu’agriculteur, tenait
une ferme modeste dans la plaine du Saïs à quelques kilomètres du domaine
des Douiyat qui sera le futur domaine royal, une des vitrines de l’agriculture
marocaine moderne, mais aussi une des expressions de la mal-gouvernance
qui a caractérisé le processus de récupération des terres coloniales après
l’indépendance. Ses expériences familiales de la ruralité et sa proximité de
l’injustice coloniale vont modeler son caractère au point d’infléchir le cours
de sa vie et d’en faire avant tout un militant de la cause des « petits ». En
1953, Paul Pascon va décrocher son baccalauréat, il va s’inscrire d’abord à
l’Institut des hautes études marocaines, seul établissement d’études
supérieures au Maroc qui forme les cadres du protectorat. Il espérait y
trouver les moyens de répondre à son besoin de grands espaces et à la
poursuite qui l’avait conduit à effectuer en autodidacte sa première enquête
sociologique sur le système des droits d’eau dans l’oued Drâa et l’oued Ziz. Il
le quitte une année plus tard pour rejoindre la métropole. Entretemps, il a
participé à quelques enquêtes initiées par les services de la Résidence sur
l’émigration des Soussi (Sud du Maroc) vers les mines de Jarrada (Oriental).
En France il opte, en l’absence d’une filière sociologique, pour la biologie et
ce n’est qu’en 1956 qu’il va intégrer le département de sociologie
nouvellement créé à Paris pour suivre les enseignements de George
Gurvitch. C’est dans ce cadre qu’il participe à sa première enquête en France
sur l’attitude des ouvriers de la sidérurgie à l’égard des changements
techniques (1955-57) aux côtés d’Alain Touraine.
7La mise en place du projet Sebou, porté alors par la FAO et faisant figure de
première expérience de modernisation intégrale de l’agriculture dans le
cadre de la grande irrigation intervenant sur un espace vierge de tout
équipement, l’amènera à quitter Marrakech pour le Gharb où il était
question de remembrer et privatiser des milliers d’hectares de terres
collectives appropriés par des tribus et d’ exproprier pour utilité publique
plus de 50 000 ha appartenant à des colons ou à des anciens caïds. Cette
opération d’envergure supposait un engagement sans faille et une prise de
risque envers le pouvoir, qui était en phase de recomposition de ses soutiens
par une redistribution de la rente. La mission de Paul Pascon durera 28
jours marqués par un clash avec les grands intérêts du moment.
9C’est au début des années 1980, après avoir soutenu une thèse en histoire
sur le Haouz de Marrakech (Pascon, 1983), que Paul Pascon va accélérer le
rythme de ses différents chantiers. Il va s’installer au centre du débat
scientifique accaparé par deux questions lancinantes : comment
caractériser la société marocaine et rendre compte de sa singularité
historique tout en restant rattaché aux grands courants théoriques du
moment : le marxisme, le structuralisme et les théories de la
modernisation ? Quel sens donner au fait tribal et à l’approche
segmentaire ?
11Au milieu des années 1970, les facultés de droit de Rabat et de Casablanca
se sont fait l’écho d’un débat violent animé par des militants du Parti
communiste marocain, devenu Parti du progrès et du socialisme après la
levée de son interdiction prononcée au lendemain de l’indépendance. Des
chercheurs marxisants soutenaient que le Maroc relevait du mode de
production féodal dans sa déclinaison asiatique. Driss Benali par exemple
retrouvait dans le mode d’organisation des azibs (des propriétés foncières
appartenant aux chorfas de la confrérie de Ouezzane) la morphologie des
domaines féodaux. Il assimilait les métayers et adeptes de la zaouia aux
serfs du système féodal (Benali, 1969). Paul Pascon, qui venait de soutenir sa
thèse sur le Haouz, entre dans ce débat en proposant un concept
« générique » qualifiant la situation marocaine de mode de production
composite et rejetant par là-même les concepts de société en transition ou de
mode de production féodal voire asiatique. Il va estimer que l’usage de ces
concepts est inapproprié et qu’il ne permet aucune intelligibilité des
rapports sociaux dans les campagnes marocaines.
2 Cité par Hassan Rachik et Rahma Bourqia (Rachik & Bourqia, 2011).
12Il écrira plus tard que la société marocaine « n’est pas purement ceci ou
cela, mais que plusieurs modes de production participent à sa formation
sociale […] : patriarcat, tribalisme, féodalisme, capitalisme. Le socialisme
aussi, mais ce dernier type de formation sociale n’existe qu’au niveau de
l’idéologie et de l’organisation politique » (Pascon, 1983, p. 591). À observer
le paysan au quotidien, on se rend compte, écrit Paul Pascon, que « l’homme
de cette société se caractérise par une démultiplication des registres
comportementaux. Il joue sur tous les claviers, tous les registres » 2. Ce
parti-pris théorique était une invitation directe à prendre en charge la
complexité et l’ambivalence des situations et à renverser les modalités
d’approche de la réalité sociale en privilégiant la description et en évitant de
plaquer des modèles prêts à porter.
20Paul Pascon, qui était assez proche d’Abdallah Hammoudi, s’invite dans
ce débat comme arbitre, il l’aborde par le biais de la stratification sociale,
fidèle à son principe du modèle composite. Il mobilise dans une
combinaison pragmatique les données ethnographiques recueillies lors de
ses différents terrains ou durant sa phase de gestion de l’Office d’irrigation.
Ses arguments sont puisés dans les inégalités qui caractérisent la
distribution de la propriété de l’eau et des terres et une sorte
d’argumentation théorique construite autour des théories de la stratification
sociale. Il aurait pu mobiliser d’autres arguments que ceux qu’il avait
évoqués dans cet article mais en 1979, il n’était pas encore arrivé à sa phase
historiciste qui lui permettait de décrire des processus complexes et surtout
de donner une place de choix à ce qu’il va appeler dans La Maison d’Iligh le
capital symbolique (Pascon, 1984).
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références par Bilbo, l’outil
d’annotation bibliographique d’OpenEdition.
Les utilisateurs des institutions qui sont abonnées à un des programmes
freemium d’OpenEdition peuvent télécharger les références
bibliographiques pour lequelles Bilbo a trouvé un DOI.
Benali D. (1969), Maroc, Tribu, makhzen et colons. Essai d’histoire
économique et sociale, Paris, Éditions L’Harmattan.
Geertz H. (1979), « The Meaning of Family Ties », dans Geertz C., Geertz H. &
L. Rosen, Meaning and Order in a Moroccan Society, Cambridge, Cambridge
University Press, pp. 123-313.
Gellner E. (1973), « The Tribe in Modern Morocco. Two Case Studies », dans
Gellner E. & C. Micaud, Arabs and Berbers, London, Duckworth Editions.
2 Cité par Hassan Rachik et Rahma Bourqia (Rachik & Bourqia, 2011).
Mohamed Tozy