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LE SUICIDE, OUVRAGE D’ÉMILE DURKHEIM

Considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie


moderne, Émile Durkheim s'est illustré à la fin du XIXe siècle
par un travail colossal et des sortes de "bibles" de la
sociologie, alors en plein essor, dont "Le Suicide" paru en
1897. Pour quiconque n'a pas étudié la sociologie, le contexte
social de la fin du XIXe siècle où l'on a célébré à la fois la
révolution industrielle, transformant en profondeur les
pratiques, les façons de penser, et les élites intellectuelles
portant haut les arts, les sciences et la recherche dans toutes
les directions. Dans ce contexte de société en pleine mutation
paraît cet ouvrage qui a établi la notoriété de Durkheim. Ce
livre est le résultat d'un énorme travail sur une question qui
peinait à avoir une réponse " pourquoi autant de personnes
se donnent-elles la mort ? " Parce qu'il était particulièrement
troublé par cette croissance exponentielle du nombre de
suicides, dans une Europe pourtant prospère et à la
civilisation florissante, Émile Durkheim s'est engagé dans un
travail de longue haleine en collectant des informations
statistiques pour trouver la réponse au phénomène. Mais,
l'avancée des recherches sociologiques actuelles met une
nuance, voire peut-être plus, à l'idée que Durkheim aurait
percé le secret du suicide. D’une part nous présenterons
l’ouvrage et d’autre part ses limites par Wiktor Stoczkowski.

 PRÉSENTATION DE L’OUVRAGE

Dans cet ouvrage classique de la sociologie, Émile Durkheim


entreprend de démontrer comment le suicide, phénomène
qui ne saurait a priori relever que de la sphère privée, peut
également être appréhendé comme un fait social. Après avoir
examiné puis invalidé tour à tour les explications d’ordre
psychologique ou pathologique (folie, hérédité, climat,
imitation, etc.), Durkheim se tourne vers les données
statistiques qui révèlent de fortes disparités des taux de
suicide selon les pays et les milieux sociaux ainsi qu’une
certaine régularité du nombre de suicides annuels dans une
société donnée. Le suicide est bien un fait social, qui doit
s’expliquer à ce titre par d’autres faits sociaux.

Durkheim propose une typologie des suicides qu’il met en


relation avec le niveau d’intégration et le niveau de
régulation des sociétés. Un excès d’intégration favorise le
suicide altruiste (lorsque l’individu est attaché à la société au
point d’être prêt à se sacrifier pour elle par abnégation)
tandis qu’un excès de régulation peut pousser au suicide
fataliste celui qui ne peut plus supporter le poids trop lourd
de la norme sociale. Ces deux types de suicide,
caractéristiques des sociétés traditionnelles, sont devenus
rares. Dans les sociétés industrielles dominent le suicide
égoïste et le suicide anomique.
Le suicide égoïste est le signe d’une intégration sociale
insuffisante de l’individu. Par exemple, les protestants ont
une plus forte propension au suicide que les catholiques en
raison du degré élevé d’individualisme de leur religion
(pratique du libre examen) et les catholiques se suicident plus
que les juifs chez qui l’intégration au groupe est
particulièrement forte. Ainsi, la religion protège l’individu du
suicide en participant à son intégration sociale, tout comme
le fait la cellule familiale : le taux de suicide est plus fort chez
les hommes célibataires que chez les hommes mariés. Enfin,
les suicides décroissent en temps de guerre, où le sentiment
d’appartenance à la collectivité renforce le groupe.
Le suicide anomique est selon Durkheim la forme dominante
de suicide, celle à laquelle il accorde le plus d’importance. À
travers lui s’expriment les dérèglements sociaux
caractéristiques des sociétés industrielles. Il est le plus
fréquent dans les périodes de mutations profondes (que ce
soit des crises économiques ou des périodes de croissance),
lorsque la société n’exerce plus son influence modératrice sur
les individus dont les aspirations, en augmentation brutale,
ne sont jamais complètement satisfaites (situation d’anomie).

 LES LIMITES DE L’OUVRAGE SELON WIKTOR


STOCZKOWSKI.
Wiktor Stoczkowski, anthropologue, chercheur au laboratoire
d'anthropologie sociale du Collège de France et directeur
d'études à l'École des Hautes Etudes en Sciences Sociales,
consacre son ouvrage "La Science sociale comme vision du
monde". Explique:
L'usage des chiffres est considérable chez Émile Durkheim
même s'il n'est pas le premier à avoir utilisé la science des
statistiques pour expliquer la croissance du taux de suicides,
c'est-à-dire le nombre de suicides par million d'habitants.
Mais il est le premier à synthétiser l'ensemble des données
statistiques qui existaient à l'époque. Le problème est qu'il ne
cherche, dans ces données statistiques, que les faits qui vont
dans le sens de son hypothèse. Dans l'ouvrage du suicide,
Durkheim essaye de confirmer son hypothèse.
La théorie de Durkheim doit être relativisée. Par exemple,
lorsqu'il affirme que "le suicide s'est partout accru", c'est faux
: il suffit de regarder les données statistiques disponibles à
l'époque, pour voir qu'il y avait des pays où le suicide était
même en baisse comme au Danemark, en Norvège, en
Angleterre... Cette augmentation est loin d'être démontrée.
Émile Durkheim était convaincu que la société occidentale
était affectée par des maux multiples, dont le suicide était un
exemple parmi d'autres. Et il essayait de trouver une cause
commune de tous ces maux qui travaillaient les sociétés
occidentales.
 RÉSUMONS L’OUVRAGE.

Le Suicide est un ouvrage pionnier de la sociologie empirique


et Durkheim parvient à y proposer, malgré l’absence de
méthodes quantitatives très élaborées, un modèle causal
particulièrement complexe. Si certaines conclusions sont
aujourd’hui contestées, comme celles qui affirment
l’influence de l’urbanisation sur les taux de suicide — la
situation s’est inversée puisque le nombre de suicides est
aujourd’hui plus élevé en milieu rural —, nombre de ses
observations restent valables et l’on a pu ainsi confirmer
l’importance du rôle de la cellule familiale comme protection
contre le suicide. Les plus fortes critiques sont d’ordre
méthodologique. Elles ont surtout mis en cause la qualité et
la fiabilité des données statistiques utilisées par Durkheim et
les définitions institutionnelles du suicide sur lesquelles elles
s’appuyaient.

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