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Maurice Fouda
University of Douala
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Valeurs socioculturelles et propension à entreprendre dans un contexte à pluralité ethnique : Une appréciation au sein des entrepreneurs des groupes ethniques au
Cameroun View project
Perception du comportement de l'établissement de crédit et choix d'une source de financement par les entrepreneurs des PME au Cameroun View project
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Résumé de la contribution :
Une enquête cross-culturelle menée auprès de plus 1200 étudiants issus de quinze
groupes ethniques camerounais permet de mettre en évidence les variables
caractéristiques de l'esprit d'entreprise dans le contexte camerounais. Il ressort des
résultats de cette enquête que le développement de l'activité entrepreneuriale au
Cameroun peut s'inspirer du modèle familial chinois et de celui de la solidarité au
mérite des Bamiléké du Cameroun.
Introduction :
1
de découvrir les déterminants historiques, sociologiques et psychologiques de l'activité
entrepreneuriale».
En posant le problème de l'esprit d'entreprise chez les jeunes des différents groupes
ethniques camerounais, nous voulons répondre à certaines préoccupations :
· Ensuite, relever les différences de perception entre les jeunes des autres
groupes camerounais et ceux du groupe bamiléké.
Pour atteindre les objectifs de notre travail, nous avons procédé à une enquête
cross-culturelle dans le contexte camerounais. Les jeunes de quinze aires culturelles
2
issus des universités et grandes écoles du Cameroun ont répondu à questionnaire relatif
aux valeurs culturelles.
L'enquête réalisée dans le contexte camerounais a porté sur plus de 1200 étudiants issus
des différents groupes ethniques camerounais et inscrits dans les grandes écoles de
formations et universités camerounaises. Les variables de l'étude, au nombre de 100
comprenaient les items relevant de deux enquêtes internationales et du contexte
camerounais. L'analyse écologique factorielle des données a permis de relever un
certain nombre de facteurs dont certains mettent en évidence des éléments pouvant aider
à la compréhension de l'activité entrepreneuriale et de l'esprit d'entreprise dans le
contexte camerounais.
Le Cameroun en effet, est le pays des multitudes et des diversités ethniques. Présenter
les grands ensembles ethniques dans ce contexte pose donc de grands problèmes. Mais
au-delà de toutes ces difficultés, et sur la base de certains éléments ethnographiques et
historiques, nous avons essayé de faire la présentation de six ensembles culturels. Ces
ensembles sont sensés refléter les caractéristiques essentielles des différents groupes
ethniques camerounais.
3
Nous avons donc considéré quelques groupes comme références : Les Bantou avec les
groupes pahouins, Bassa'a et les populations Sawa (Bantou du nord-ouest), le groupe
Peul, les Semi-Bantou (Bamiléké ou populations des Grass-field), les populations Kirdis
du Nord Cameroun.
4
régime politico-social où le chef est un personnage religieux et politique. Les Bamiléké
ont une solide organisation sociale. Ce qui caractérise ce peuple de Semi-Bantu écrit
Mveng (1980) «c’est à la fois une ardeur au travail (...), un esprit d’économie et de
prévoyance qui ne va pas sans une âpreté de gain, une intelligence pratique, un
individualisme qui s’allie paradoxalement à une vie communautaire sans fissure ».
Warnier (1990) à ce sujet parle de solidarité au mérite. La civilisation Bamiléké, malgré
l’influence des religions étrangères, est fondée sur une religion : le monothéisme, qui
professe un dieu unique, Si, et un culte ancestral dont la manifestation la plus courante
pour l’étranger est la dévotion aux crânes des parents qu’on ensevelit sous le lit (Mveng,
1982 p.240). Le pays Bamiléké compte plus d'une centaine de chefferies. Compte tenu
du surpeuplement dans la zone des "Grass-fields" du Cameroun, le pays Bamiléké
connaît un fort mouvement migratoire (migration de travail et de peuplement). Les
populations du Nord du Nigeria, plus particulièrement les Yoruba, ont des similitudes
avec les Bamiléké du Cameroun. Le groupe Bamiléké compte plus de 100 chefferies. Le
groupe Bamiléké fait parti du groupe dit Semi-Bantou où on retrouve les Tikar et les
Bamenda/Banso de la province du Nord-ouest (zone anglophone) et les Bamoun
islamisés en majorité.
5
1.1.5- Les peuples Kirdis du Nord-Cameroun
C'est le refus de l'Islam qui leur a valu l'appellation de Kirdis. Le refus de l'Islam est
donc une de leur caractéristique fondamentale. On trouve l'élément Kirdis dans les
départements du Diamaré, du Margui-Wandala, du Mayo-Danaï et de Kaélé.
Les sociétés païennes du Nord-Cameroun sont des sociétés égalitaires «l’homme grandit
sous le signe de la liberté et de la solidarité : liberté à l’égard de tout ce qui serait
autorité extérieure et cadre artificiel, solidarité à l’intérieur du bloc clanique et familial »
(Mveng (1984), p.232).
Des populations ici présentées, deux ont des structures sociales organisées, les Peuls et
le Bamiléké, les sociétés Bantou et Kirdis sont considérées comme acéphales. Dans ces
régions, les influences des religions sont différentes : influence de l’Islam chez les
Peuls, influence très forte de la religion chrétienne chez les Bantou, influence encore
existante du culte des ancêtres chez les Bamiléké. Ces groupes appartiennent à des
groupes linguistiques différents. Si les Bamiléké sont caractérisés par leur esprit
d’entreprise et leur sens de l’épargne, les Peuls, en majorité éleveurs s’illustrent par des
comportements beaucoup plus sobres. Quant aux Bantou et assimilés, ils sont
considérés comme menant une existence beaucoup plus frugale. Voilà donc ainsi
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présentés quelques éléments caractéristiques sur la structure sociale, la religion, le sens
de l’économie des régions culturelles objet de notre étude.
C'est sur la base de ces grands ensembles ethniques que nous avons prélevé des
échantillons équivalents pour la réalisation de notre enquête. Nos échantillons
proviennent donc des groupes facilement accessibles que sont les étudiants des grandes
écoles et des universités camerounaises. Nous avons ainsi constitué quinze groupes
culturels : le groupe Peul (PMN), le groupe Kirdis de l'Extrême-Nord (PKN), le groupe
Kirdis de l'Adamoua (APPA), le groupe Sawa anglophone (BLSA), le groupe Sawa
francophone (BLSF), le groupe Basa (BLB), Les groupes Pahouins [BP1 (Eton et
assimilés), BP2 (Ewondo et assimilés), BP3 (Bulu et assimilés)], les groupes assimilés
aux groupes pahouins [(BEHS (Maka de l'EST et autres Kwassio), BM1 (Bafia et
assimilés), BM2 (Yambassa et assimilés)] ; les groupes Semi-Bantou [BGF (Bamiléké),
BGB (Bamoun), BGA (Bamenda, Tikar)].
- enfin nous avons insisté sur la qualité d’étudiants finissants, ce sont des
étudiants en fin de cycle (DEUG, DUT, BTS, LICENCE, MAITRISE, MASTER,
DESS, DEA...)
En dehors de ces critères, les étudiants des grandes écoles de formations à caractère
professionnel ont été privilégiés par rapport aux étudiants des facultés. Les étudiants en
gestion ont aussi eu nos préférences par rapport aux étudiants d’autres disciplines. Il
était question pour nous d'essayer de se rapprocher autant que faire se peut des
individus ayant quelques connaissances des activités entrepreneuriales.
7
Le nombre minimum de répondants recommandés par groupe est de 20, le maximum
50, mais l’idéal dans ce genre d’étude est d’avoir le maximum d’individus possibles.
1
IRIC : Institute For Research on Intercultural Cooperation.
8
Les variables sont mesurées sur une échelle à cinq points. Les échelles sont de type :
« jamais » à «toujours» ; « pas du tout d’accord » à «tout à fait d’accord» et «pas du tout
important» à «de la plus haute importance».
· Une fois les corrections sur les moyennes faites, on a calculé une nouvelle
moyenne d'ensemble, moyenne arithmétique simple des scores moyens par sexe. Par
cette procédure, on accorde ainsi le même poids tant aux femmes qu'aux hommes.
· Pour corriger certaines tendances dans les réponses aux questions (par
exemple certains groupes pourraient avoir tendance à privilégier les plus grandes
valeurs de l'échelle et d'autres les plus petites) on a calculé les moyennes centrées
réduites ou moyennes standards. Ces moyennes standards indiquent le score moyen par
variable pour un groupe relativement aux autres groupes (score relatif du groupe).
C'est donc cette base des données "standards" qui a fait l'objet d'une analyse écologique
en composantes principales.
Une série d'analyses factorielles nous a ainsi permis de mettre en évidence un certain
nombre de dimensions culturelles et parmi ces dimensions celle de "la négation des
idées anciennes ou adoption des idées nouvelles". C'est sur la base de cette dimension
9
et d'autres aspects relevés au cours de cette enquête que nous allons essayer de parler de
l'esprit d'entreprise dans le contexte camerounais.
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réalité importée, le sens de l’épargne et de l’investissement sont étrangers à la tradition,
l’habitude de calculer, de répartir, de prévoir, manque souvent. Trop souvent, le
gaspillage et la mauvaise gestion traduisent le manque de méthode et de rationalité au
niveau micro-économique de la famille qu’au niveau macro de l’Etat»
Les Africains, on le dit, sont conditionnés par des influences culturelles de diverses
natures imposées par la famille, le clan, l’ethnie, et la caste. Ainsi, dans le contexte
africain, l’existence de l’individu est liée à la vie de la famille et du groupe. Les
conséquences de cette conception des rapports entre individu et groupe sont pour
certains auteurs, contraire aux principes d’une bonne gestion et un frein à l'activité
entrepreneuriale.
L’existence des effectifs pléthoriques (surtout dans les entreprises publiques) par le
recrutement massif des membres de son groupe ethnique ou de sa famille par le chef
d’entreprise de même que l’octroi de larges facilités aux agents par ces mêmes chefs
d’entreprise ont amené DESAUNAY à dire qu’«un des caractères les plus immédiatement
frappants de la gestion de l’entreprise «africaine» est qu’elle est, semble-t-il, plus une
gestion de la redistribution de la richesse qu’une gestion de la production de la richesse»
(DESAUNAY, 1982, P. 97). Or, dans les entreprises occidentales où prime le culte de la
rentabilité, toute redistribution est postérieure à la production. La logique que donne
DESAUNAY à la gestion africaine de l’entreprise est donc contraire à celle qui prévaut en
occident. Cette logique de la «redistribution avant production» qui est liée à la mentalité
communautaire est ainsi une entrave au bon fonctionnement de l’entreprise «africaine».
11
· l’inexistence du concept de responsabilité individuelle. Par ce fait, on va
assister à d’interminables conflits interpersonnels parce que par cette carence, désigner
un responsable équivaut à nommer un chef (ETOUNGA MANGUELLE, op. cit. p. 46) ;
ETOUNGA MANGUELLE note par ailleurs d’autres aspects liés à la sociabilité excessive
des sociétés africaines. Il s’agit principalement de la «convivialité excessive » et le
«refus épidermique de tout conflit direct ».
· d’abord, par sa prodigalité, l’africain est asservi parce que «trop bon = trop
con» comme dit un adage populaire européen ( ETOUNGA, op. cit. p. 56 ) ;
12
particulier parce que contraires aux valeurs libérales que sont : l’accumulation, la
responsabilité individuelle, la confrontation, l’épanouissement individuel ("self
actualization"). On s’aperçoit dans ces circonstances que penser une entreprise en
prenant en compte «le système chaleureux des relations humaines» serait la conduire à
la dérive.
Au regard de ces éléments force est donc de constater que selon les tenants du schéma
"individualisme-progrès", l'Africain possède toutes caractéristiques contraires à l'esprit
d'entreprise. Toutefois, avec de nombreux contacts entre cultures, on note, du moins
dans les intentions, quelques aspects en faveur d'un changement de mentalité. Nous
avons eu à le constater au cours de notre enquête auprès des jeunes des différents
groupes ethniques où une dimension traduit le désir de changement et le détachement
d'avec certaines valeurs anciennes.
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même phénomène. La somme des scores de ces variables peut être prise comme une
mesure synthétique. Ces variables comme on peut le constater sont révélateurs de
nombreux aspects qui font obstacles au développement de l'activité entrepreneuriale en
Afrique. Le tableau ci-après donne les pourcentages des niveaux d'échelles "d'accord" et
"tout à fait d'accord" pour les sept variables qui constituent la dimension "négation des
idées anciennes"
Tableau 1 : Pourcentage des niveaux d'échelle "d'accord" et "tout à fait
d'accord" pour les variables de la dimension "négation des idées anciennes"
APPA BEHS BGA BGB BGF BLB BLSA BLSF BM1 BM2 BP1 BP2 BP3 PKN PMN
Q90 22,1 25,4 32,2 23,0 27,4 27,4 36 29,7 41 26,8 25,5 38,5 30,6 28,0 17,6
Q99 33,3 14,8 21,6 23,2 17,6 16,1 26,2 22,4 13,5 13,4 15,9 17,6 17,6 24,5 26,6
Q97 16,6 12,7 17,1 11,5 11,5 13,2 13,1 08,7 10,2 04,9 08,9 07,8 11,1 18,4 20,8
Q66 60,0 58,2 55,1 65,2 60 55,3 46,4 52,8 53,9 47,6 55,7 59,6 56,5 63;1 58,8
Q88 69,4 72,7 78,7 70,6 67,4 64 72,2 73,3 63,2 56,3 61,8 67,3 72,6 73,8 62,3
Q74 69,5 61,8 69,2 66,7 59,7 60,2 65,3 50 51,3 48,8 60,7 61,5 61,1 68,6 66,4
Q65 63,9 49,1 63,8 53,6 37,5 37,7 47,5 47,7 59,0 45,1 49,5 48,1 45,4 50,6 59,7
Les variables relatives à cette dimension vont ainsi traduire le rejet des idées anciennes
ou traditionnelles, ou encore la tendance vers la modernité des groupes objets de notre
enquête. Un examen de ces différentes variables amène donc à constater que les idées
ci-après sont rejetées :
· "Les vivants sont unis à leurs ancêtres dans la vie quotidienne" : Les
pourcentages des niveaux d'échelle "d'accord" et "pas du tout d'accord" sont très faibles
(voir tableau 1). Or, lors de la présentation de nos aires culturelles nous avons eu à
mentionner l'importance de certains rites et de certaines croyances traditionnelles. Par
exemple la vénération des crânes des ancêtres dans les sociétés bamiléké. On peut donc
noter ici un certain détachement par rapport à la mentalité magico-religieuse condamnée
par Etounga Manguéllé.
· "En cas de conflit au travail, il est plus facile d'arriver à une solution de
compromis si mon chef hiérarchique est du même groupe ethnique que moi" : Ici
encore les pourcentages des niveaux d'échelle "d'accord" et "tout à fait d'accord" sont
faibles (voir tableau 1). Compte tenu du fait de l'importance de la solidarité du groupe
on devrait s'attendre à ce que les membres d'un même groupe s'entendent facilement en
cas de conflit, or tel n'est pas le cas dans les opinions exprimées par les jeunes des
différents groupes ayant fait l'objet de l'enquête. Toutefois, doit-on le relever, cette
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attitude des jeunes camerounais quant aux rapports entre membres d'un même groupe
ethnique sur le lieu de travail semble être en contradiction avec certaines réalités sur le
terrain (Kamdem note par exemple à ce sujet qu'il existe un mode de gestion assez
répandue dans le contexte camerounais fondé la "coalition ethno-tribal"). On note tout
de même par cette attitude des jeunes camerounais un certain recul par rapport à la
mentalité communautaire.
· "Les femmes qui travaillent constituent une menace pour leurs époux" :
Pour cet item les pourcentages des niveaux "d'accord" et "tout à fait d'accord" ne sont
pas faibles (voir tableau 1). Ainsi, la femme ne saurait plus jouer essentiellement un
rôle domestique ou apparaître comme le bien économique par excellence (avoir
beaucoup d'épouses étant synonyme de richesse). Au Cameroun les femmes sont
désormais au devant de la scène en occupant même les secteurs d'activité naguère
réservés aux Hommes. On note aussi avec Kamdem l'avènement du couple
entrepreneur. C'est probablement, de l'avis de cet auteur, dans la dynamique de la
relation homme-femme que l'on observe les innovations les plus significatives dans le
comportement des entrepreneurs camerounais. Or la femme a longtemps été considérée
comme incapable d'exercer certaines fonctions à côté de son mari.
· "C'est un lourd fardeau d'avoir une grande famille" : On se rappelle avec
Laburthe Tolra que chez les Beti la vraie richesse ce sont les hommes2, alors il fallait
avoir une grande progéniture. Mais avec les contraintes de la vie moderne on se rend
compte qu'il faut limiter les naissances, on parle de plus en plus de planning familial et
autres méthodes de contraception. La nécessité d'avoir une petite famille pouvant ainsi
conduire à la réalisation de l'épargne. Cette attitude témoigne aussi une fois de plus un
recul par rapport à la mentalité communautaire.
· "L'entrepreneur est celui qui ne dilapide rien" : Cette idée traduit celle de
l'esprit d'entreprise et de l'importance désormais accordée à l'épargne par tous les
groupes. On a eu à le souligner avec Mveng et Warnier, seuls les groupes des "Grass-
fields" avaient les comportements d'ascétisme. A ce sujet, voici les propos de Warnier:
«sous bénéfice d'enquête, notre opinion est que l'entrepreneur non Bamiléké, en
particulier celui du Sud, si excellent homme d'affaires fut-il, souffrirait, par rapport à
2
A cet effet Tolra a relevé ce dicton Beti "Owog na akuma : vë bod" «Si tu entends dire "richesse",
sache qu'il s'agit de rien d'autre que d'êtres humains» (p.233)
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son concurrent Bamiléké, de deux causes structurelles de désaccumulation :
premièrement la pression parentale, deuxièmement l'obligation de consommation
ostentatoire considérée comme nécessaire à son rang et qui lui permettrait, dans la
tradition du bilaba des anciens décrit par Laburthe-Tolra (1981), de désamorcer de
possibles accusations de sorcellerie. Il s'agit là des facteurs qui tiennent aux systèmes en
présence plus qu'aux stratégies individuelles. Ce serait donc des facteurs déterminants
de l'accumulation différentielle des Bamiléké et des non-Bamiléké». Mais désormais
tous les groupes camerounais tendent à organiser des tontines et essayer de se lancer
dans les affaires. Cette attitude traduit à notre avis un changement de mentalité, la
nécessité d'épargner étant désormais la chose la mieux partagée par tous les groupes
ethniques camerounais.
· "Les subordonnés doivent être surveillés pour que le travail soit bien
fait" : Ici, il y a une évolution sur la conception de la nature de l'homme. Même si cette
tendance est encore moins prononcée. On peut apercevoir ici la nécessité de laisser les
individus prendre les initiatives.
· "On doit toujours dire ce que l'on pense même s'il faut offenser les
autres" : P. d'Iribarne l'avait déjà mentionné, dans le contexte camerounais, "les
manifestations ouvertes d'opposition ne sont pas perçues comme un acte de portée
limitée, en rapport avec l'objectivité des choses, désagréable, certes, mais n'ayant pas de
signification réellement hostile. Elles revêtent un caractère dramatique, car elles sont
ressenties comme une remise en cause radicale de la personne" (d'Iribarne, 1990, p.35).
Or, la position des jeunes camerounais semble plutôt compatible (même si les
pourcentages ne sont pas très élevés) avec celle des sociétés qui tendent à laisser les
manifestations d'opposition s'exprimer de manière ouverte. Dans ces sociétés en effet,
"voir contredire publiquement des positions sur lesquelles on s'est fermement engagé, se
faire critiquer publiquement et ouvertement, être sanctionné aux yeux de tous n'y est pas
considéré comme humiliant, et fait partie du fonctionnement normal de la vie sociale"
(d'Iribarne, 1990, p.32). Cette position des jeunes populations camerounaises semble
aussi corroborer l'idée de la réhabilitation de la parole («la palabre africaine») dans la
gestion des organisations au Cameroun relevée par Kamdem (1996 pp. 262-265). Les
jeunes camerounais par cette attitude semblent un peu remettre en cause l'idée de
consensus.
16
Un score très élevé (proche de 100) sur cette dimension exprime une forte tendance au
rejet des idées anciennes(tendance très prononcée pour l'adoption des idées nouvelles)
et un score faible une tendance moins prononcée pour les nouvelles idées. On va
remarquer ici que les groupes Sawa se retrouvent en tête, ces groupes, au regard de
l'histoire du Cameroun sont les premiers à avoir connu la civilisation occidentale. Les
groupes de l'Ouest enregistrent aussi un score élevé, on peut donner ici deux
explications, la première est que notre échantillon est constitué des jeunes de l'Ouest
qui habitent les grandes métropoles Douala et Yaoundé (donc comportement influencé
par les groupes Sawa et les autres) ; la deuxième explication tient de l'envie des
populations de l'ouest de se moderniser. A ce sujet, Warnier parlant de l'esprit
d'entreprise chez les Bamiléké a noté le désir de modernité lié au succès dans les
affaires. Warnier mentionne entre autres traits, la reproduction ou la domestication de la
modernité ou encore l'importation de la modernité. On peut aussi noter par exemple que
la jeune génération d'entrepreneurs de l'Ouest tient à se détacher par son comportement
de l'ancienne génération.
17
3.1- La persistance des éléments de la mentalité communautaire
Si les jeunes populations considèrent que la famille est un lourd fardeau, ils estiment
aussi que celle-ci ne saurait être un obstacle au progrès de l'individu et de la société
(voir tableau ci-après pour les pourcentages des niveaux d'échelle "d'accord" et "tout à
fait d'accord" à la variable Q49 "La famille est un obstacle au progrès de l'individu et de
la société")
Tous les groupes camerounais objet de notre enquête sont tournés vers le pôle du
collectivisme. Le score le plus faible est celui du groupe BM1 (06) et le score le plus
élevé celui du groupe BEHS (34).
18
3.2- La prise en charge par l'entreprise des besoins matériels et affectifs des
employés.
Un autre aspect qui va conditionner l'activité entrepreneuriale dans le contexte
camerounais est relatif à la prise en charge par l'entreprise des besoins affectifs et
matériels de l'employé. Les items ci-après traduisent la nécessité pour l'entrepreneur de
prendre en compte les besoins affectifs et matériels de ceux avec qui il doit coopérer
pour la réalisation de son objectif et la réussite de son affaire :
· Q48 : "la seule vraie richesse est celle qu'on partage avec les autres" ;
· Q57 : "la richesse est la chose commune qui devrait être mieux répartie" ;
· Q30 : "ceux qui ont du succès dans la vie devraient aider ceux qui en ont
moins" ;
· Q73 : "on devrait donner des jours de congé aux employés pour accomplir
leurs obligations sociales" ;
· Q43 : "l'entreprise est considérée comme une famille et par conséquent tous
les travailleurs doivent être traités comme les membres de cette famille".
· Q42 : "je ne me sens pas bien si je ne vis pas en harmonie avec ceux qui
m'entourent"
Le tableau ci-après donne les pourcentages des niveaux d'échelle "d'accord" et "tout à
fait d'accord" pour ces cinq variables
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Ainsi donc, les jeunes populations camerounaises estiment que : la seule vraie richesse
est celle qu'on partage avec les autres, la richesse est la chose commune qui devrait être
bien répartie et que ceux qui ont du succès dans la vie devraient aider ceux qui en ont
moins. Ces jeunes populations jugent aussi nécessaires le fait de donner des jours de
congés aux employés pour accomplir leurs obligations sociales. Elles insistent sur le
souci d'harmonie, en effet, les gens ne se sentiraient pas bien s'ils ne vivaient pas en
harmonie avec ceux qui les entourent. Les jeunes populations camerounaises
considèrent l'entreprise comme une famille où tous travailleurs doivent être traités
comme des membres.
L'enquête sur les valeurs culturelles africaines réalisée par l'IRIC et dont les résultats ont
l'objet d'une publication par Niels Noorderhaven et Bassirou Tidjani (2001) a révélé
l'existence d'un certain nombre de dimensions dont deux vont particulièrement nous
intéresser en raison de leur corrélation avec certains agrégats macro-économiques. Il
s'agit des dimensions "jalousie" et "collectivisme".
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Tableau 6 : Score des différents groupes camerounais sur les dimensions
"jalousie", "collectivisme" et "contrôle de l'incertitude"
APPA BEHS BGA BGB BGF BLB BLSA BLSF BM1 BM2 BP1 BP2 BP3 PKN PMN
Jeal 71 72 66 76 76 73 59 77 85 79 78 75 78 81 83
Col 85 73 69 77 75 71 70 72 77 70 78 78 78 76 76
Incer 86 84 91 67 89 94 100 104 102 88 97 91 92 98 96
L'importance qu'on accorde à ces deux dimensions provient du fait que la première est
fortement et positivement corrélée à la propension marginale à épargner. Aussi, la peur
d'être rejeté comme force importante de la société expliquerait-elle l'importance
accordée à l'épargne ? Pour la seconde dimension, elle est fortement et positivement
corrélée au taux de croissance du PNB entre 1989 et 1997. Ce dernier résultat met donc
en évidence le fait que l'individualisme ne soit pas la cause, mais plutôt l'effet de la
croissance économique (Hofstede, 1991). On a donc ici la confirmation que les activités
entrepreneuriales doivent pouvoir intégrer ou s'accommoder les éléments d'une
mentalité communautaire.
Pour les groupes camerounais, on note un fort degré de contrôle d'incertitude. Les
scores vont de 67 pour le groupe BGB à 104 pour le groupe BLSF.
Les scores des différents groupes ethniques camerounais sur ces dimensions sont
donnés dans le tableau 6.
Les réponses données par les jeunes camerounais à la variable Q67 "la compétition
entre groupe ethnique peut être un facteur de progrès" amène à penser que la
concurrence entre groupes ethniques peut être un facteur motivant pour prendre des
initiatives allant dans le sens de la création des entreprises (voir tableau 7 : pourcentage
des niveaux d'échelle "d'accord" et "tout à fait d'accord pour la variable Q67). La
communauté ethnique serait ainsi un puissant support pour les créateurs d'entreprise.
21
Tableau 7 : Pourcentage des niveaux d'échelle "d'accord" et "tout à fait
d'accord" pour la variable Q67 "La compétition entre groupe ethnique peut être
un facteur de progrès"
APPA BEHS BGA BGB BGF BLB BLSA BLSF BM1 BM2 BP1 BP2 BP3 PKN PMN
Q67 52,8 69,1 53,8 57,9 58,7 46,1 59,2 52,2 56,4 49,4 62,9 61,5 56 63,2 47,2
Conclusion :
Au vu de l'analyse des différents éléments considérés comme pouvant conditionner les
activités entrepreneuriales chez les jeunes des différents groupes ethniques camerounais,
on doit mentionner, d'une part, qu'il y a une volonté à vouloir se détacher de certaines
valeurs considérées comme faisant obstacle au développement de l'activité
entrepreneuriale, d'autre part, il y a une forte résistance de la mentalité communautaire.
C'est cette mentalité communautaire, qui n'est pas contraire au développement
économique qui va à notre avis sous-tendre le déroulement de l'activité entrepreneuriale
dans le cas du Cameroun. Dès lors, comment concilier les exigences de la mentalité
communautaire avec le développement des activités entrepreneuriales. Ici, deux
modèles culturels peuvent être considérés comme source d'inspiration :
- La propriété jouit d'un grand prestige, alors que le salariat est jugé
dévalorisant ;
- Ce sont les riches qui peuvent réaliser de la façon la plus éclatante l'idéal
moral de la société - le besoin de prendre soin d'autrui - et gagner ainsi le respect de
leurs semblables.
22
2) Le modèle Bamiléké avec le principe de la solidarité au mérite : D'après
Warnier(1993), cette solidarité procède du principe suivant «ne participent aux réseaux
de solidarité que les parents qui ont fourni les preuves de leurs mérites. Les parents se
soutiennent mutuellement. Mais ceux qui, par leur faute, n'ont pas honoré l'aide reçue
sont marginalisés». De l'avis de Warnier, «dans le paysage camerounais, ce parti pris
moralisateur est exceptionnel. Il donne incontestablement un avantage décisif en
affaires au Bamiléké par rapport au Beti, au Bafia ou à tout autre qui doivent partager
avec leurs parents, sans qu'il soit fait grand cas des mérites de ceux-ci. (…) La société
bamiléké a réussi le tour de force de mettre un fond au tonneau de Danaïde de la
solidarité parentale (op. cit. p. 75)». On peut admettre que ce principe peut être
applicable par tous les groupes ethniques camerounais à partir du moment où tous
acceptent que la famille sans être un frein au développement de l'individu et de la
société constitue tout de même un lourd fardeau.
23
Éléments de bibliographie :
1) Berger B. et al (1993), Esprit d'entreprise, cultures et sociétés, Paris,
Éditions Maxima.
2) Bollinger D., Hofstede G. (1982), Les différences culturelles dans le
management, Paris, Éditions des Organisations.
3) Desaunay G. (1982), "Gestion et différences culturelles", Revue Française
d'Administration Publique, n° 124, pp. 95-102.
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