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Québec français

Camille Bouchard, passeur de multiplicité culturelle


Noëlle Sorin and Suzanne Pouliot

Number 173, 2014


L’enseignement-apprentissage de l’écriture à l’ère du 2.0

URI: https://id.erudit.org/iderudit/72950ac

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Publisher(s)
Les Publications Québec français

ISSN
0316-2052 (print)
1923-5119 (digital)

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Sorin, N. & Pouliot, S. (2014). Camille Bouchard, passeur de multiplicité
culturelle. Québec français, (173), 78–80.

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h o r s d o s s i er

Camille Bouchard, passeur


de multiplicité culturelle
Noëlle Sorin * et Suzanne Pouliot **

L
e Québec étant une terre de forte immigra- leur identité et leur altérité ? Quel rôle peut-elle jouer
tion, l’éducation interculturelle y tient un dans ce savoir-vivre ensemble ? À partir d’une analyse
rôle de premier plan afin de « savoir vivre partielle de l’œuvre que Camille Bouchard a écrit
ensemble dans une société francophone, démo- pour la jeunesse, nous allons tenter de répondre à
cratique et pluraliste1 ». Dès 1998, le gouvernement ces deux questions.
québécois s’est doté d’une Politique d’intégration
scolaire et d’éducation interculturelle, intitulée Une Bouchard, passeur de
école d’avenir2. multiplicité culturelle
L’intégration scolaire est la première dimension Notre choix de Camille Bouchard comme passeur
de cette politique. C’est un processus d’adaptation, de multiplicité culturelle nous vient en partie de sa
multidimensionnel, qui présuppose notamment l’ac- série La bande des cinq continents, destinée aux
ceptation de références à l’identité culturelle d’ori- enfants de la fin du primaire. Dans chacun des cinq
gine. La maitrise de la langue de la société d’accueil tomes de la série, on peut lire le même péritexte
y joue un rôle fondamental. Quant à la notion d’édu- (voir l’encart). L’implication de l’auteur auprès d’un
cation interculturelle, elle désigne « toute démarche lectorat adolescent a également été déterminante
éducative visant à faire prendre conscience de la dans notre choix. Bouchard, auteur engagé, cherche
diversité, interculturelle, qui caractérise le tissu à rejoindre les adolescents en leur présentant diffé-
social et à développer une compétence à commu- rentes facettes de la vie, dans un ailleurs parfois
niquer avec des personnes aux référents divers, de hostile, mais toujours riche d’enseignement.
même que des attitudes d’ouverture, de tolérance Nous avons d’abord analysé la façon dont
et de solidarité3 ». Bouchard représente la médiation culturelle dans
Comme on le constate, cette éducation s’applique la fiction pour la jeunesse. Quels sont les person-
à tous les élèves, qu’ils soient nés au Québec ou qu’ils nages qui font figures de « passeurs culturels », pour
proviennent d’ailleurs, mais aussi à tout le personnel reprendre l’expression de Zakhartchouk ? Lesquels
scolaire. S’appuyant sur ces deux dimensions, la diffusent de l’information sur les pratiques culturelles,
Politique Une école d’avenir procure d’une part des les us et coutumes, les mythes et autres légendes ?
repères favorisant l’intégration des élèves provenant Quels sont les moyens déployés par l’auteur pour
d’ailleurs et, d’autre part, encourage le milieu scolaire faire valoir cet héritage culturel ?
à s’ouvrir à la diversité, au profit de la société toute
entière. Cette Politique est assortie d’un Plan d’ac-
tion en matière d’intégration scolaire et d’éduca-
tion interculturelle4 qui propose aux milieux scolaires
différentes mesures visant à mettre en œuvre les
principes et les orientations de cette Politique misant
sur le rapprochement et les échanges interculturels.
Une des mesures incitatives est notamment de libérer
des fonds pour des projets novateurs.

La littérature québécoise
pour la jeunesse comme espace
*
Noëlle Sorin , professeure
interculturel
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titulaire associée, Université du Il nous semble que la littérature pour la jeunesse


Québec à Trois-Rivières pourrait être un terreau fertile pour favoriser l’ouver-
ture à la diversité et lutter contre la discrimination
**
et le racisme. Quel espace interculturel la littérature
Suzanne Pouliot,
professeure titulaire retraitée, pour la jeunesse offre-t-elle aux jeunes lecteurs nés
Université de Sherbrooke au Québec ou nouvellement arrivés afin de construire
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La série La Bande L’interculturalisme chez Bouchard n’est
des cinq continents pas que simple juxtaposition de différentes
Dans cette série, la bande en question ethnies comme représentation de la diver-
est constituée de cinq élèves, chacun prove- sité culturelle. On y découvre vraiment un
nant d’un des cinq continents. Elle repré- interculturalisme fait de « rapports harmo-
sente à elle seule la diversité culturelle des nieux entre cultures, fondés sur l’échange
élèves québécois. Il y a cinq tomes et chacun intensif et axés sur un mode d’intégration
propose une aventure où chacun des prota- qui ne cherche pas à abolir les différences,
gonistes s’illustre à sa façon, selon ses apti- tout en favorisant la formation d’une iden-
tudes et sa culture. À ce noyau central, se tité commune 5 ». Chaque protagoniste
greffent d’autres enfants venus d’ailleurs, revendique même à un moment donné, et
qui permettent à l’auteur d’introduire à sa façon, son appartenance à part entière
croyances et traditions étrangères, bonnes au Québec.
ou mauvaises, pour mieux dénoncer ces
dernières : Jang-Bou, du Tibet, enlevé pour Six romans pour l’adolescence
satisfaire de vieilles croyances (t. 3) ; Basilio, L’analyse du corpus destiné à l’adoles-
du Pérou, victime de voleurs d’organes (t. 4) ; cence nous a également permis de répondre
Andon, d’Albanie, la proie d’un code d’hon- à nos deux questions en focalisant davan- nelle, amicale, familiale. Elles témoignent
neur ancestral encore en vigueur au sein de tage notre attention sur les stratégies de de la préoccupation de l’auteur d’associer
la vendetta albanaise (t. 5). médiation dont les thèmes abordés, l’alter- des marqueurs péritextuels à l’altérité au
Pour permettre cette rencontre entre nance des points de vue, le péritexte et la service de l’œuvre. Cette présence crée une
le lecteur et d’autres cultures, l’auteur langue. complicité entre l’auteur et son lectorat, et
confie surtout le rôle de passeurs culturels Les thèmes explorés sont certes asso- contribue à nouer des liens interculturels,
aux jeunes protagonistes, avec plusieurs ciés à la découverte de l’Autre mais aussi dès l’entrée dans le roman. L’exergue, par la
variantes. Soit le passeur culturel parle de aux sévices exercés sur les jeunes et l’ex- force de son propos, crée un horizon d’at-
sa propre culture, soit il est stimulé par les ploitation de ces derniers : tourisme sexuel, tente qui donne une orientation de lecture.
autres de la bande pour parler de sa culture, enlèvement et vente de fillettes, vol d’or- Ces divers marqueurs péritextuels relient
soit le passeur culturel est un intermédiaire, ganes, esclavage, mendicité… et, souvent, et tissent le propos interculturel tenu par
mais toujours de leur bande, qui renseigne une combinaison de plusieurs de ces réalités l’auteur, alors que les narrateurs l’incar-
sur la culture de l’Autre. sociales vécues et racontées par des narra- nent dans leurs paroles, leurs actions, leurs
teurs adolescents. Par cette littérature émotions.
engagée, Bouchard cherche à rejoindre les Pour rendre crédible les propos des
adolescents de 13 à 15 ans. Aussi, les protago- personnages impliqués dans la relation
nistes ont tous sensiblement cet âge. interculturelle, la langue de communi-
Pour souligner les différences culturelles, cation des protagonistes étrangers est
Bouchard présente l’alternance des points rapportée avec ses manques, ses hésita-
de vue qui met en perspective les décou- tions, ses accents. La langue peut également
vertes interculturelles réalisées par chacun créer des barrières, des incompréhensions,
des narrateurs. générer de la peur ou du mépris. Elle sert
Le péritexte est parfois précédé d’un de véhicule aux préjugés et aux stéréotypes,
prologue qui traduit le décor émotionnel lorsque l’Autre ne répond pas aux attentes
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du jeune narrateur ou brosse le décor envi- des protagonistes. Les mots étrangers mis
ronnemental dans lequel est plongé le en italique sont fréquemment suivis d’une
protagoniste, et suivi d’un épilogue qui brève explication ou alors le contexte donne
boucle l’aventure ou rend hommage à un le sens. Par différents moyens linguistiques,
personnage. Les dédicaces sont de l’ordre l’auteur traduit la rencontre entre deux indi-
du privé et réfèrent à une relation person-
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vidus ou deux cultures et tente de réduire la sont totalement étrangers, il y a toujours
distance qui les sépare. prise de conscience de la part du narrateur. Notes et références
Pour Bouchard, voyager, c’est explorer Le voyage des jeunes héros est également 1 Ministère de l’Éducation du Québec, Plan
de nouveaux horizons, c’est se confronter intérieur. Ils manifestent tous une intense d’action en matière d’intégration scolaire
à des enjeux éthiques, écologiques ou curiosité concernant la culture de l’autre. Le et d’éducation interculturelle. 1998-2002,
Québec, Gouvernement du Québec, 1998b,
sociaux, c’est apprendre à vivre ensemble. voyage, déroutant, bouleversant, devient p. 7.
Par l’entremise du roman, il offre cette initiatique. 2 Ministère de l’Éducation du Québec, Une
opportunité à ses jeunes lecteurs, en jouant Dans le contexte de l’éducation inter- école d’avenir. Politique d’intégration scolaire
son rôle de passeur de multiplicité cultu- culturelle, la littérature pour la jeunesse, et d’éducation interculturelle, Québec,
relle. Pour les plus jeunes, le voyage se vit introduite en classe, peut mener les jeunes Gouvernement du Québec, 1998a.
de l’intérieur, dans leur communauté de à la rencontre de soi et de l’Autre, en ce 3 MEQ, 1998a, p. 2.
proximité riche de diversité culturelle. Pour qu’elle crée des mondes dans lesquels les 4 Ministère de l’Éducation du Québec, Plan
d’action en matière d’intégration scolaire
les plus vieux, c’est le protagoniste qui part jeunes sont confrontés à d’autres modes de et d’éducation interculturelle. 1998-2002,
à la découverte de lieux inédits, dépaysants vie, d’autres pratiques culturelles, d’autres Québec, Gouvernement du Québec, 1998b.
à souhait, de villes mystérieuses, d’univers croyances. Le personnel enseignant, dans 5 Gérard Bouchard et Charles Taylor,
troublants. Que le lecteur parte en voyage son rôle de passeur culturel, trouve là une Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation,
avec un personnage issu du même milieu alliée de taille pour conduire tous les élèves Commission de consultation sur les
pratiques d’accommodement reliées
que lui ou qu’il découvre des traditions, à cette appropriation culturelle tant néces- aux différences culturelles, Québec,
des croyances et un mode de vie qui lui saire pour vivre ensemble. Z Gouvernement du Québec, 2008, p. 287.

Corpus d’œuvres pour la jeunesse écrites par Camille Bouchard

Pour l’adolescence
• La caravane des 102 lunes, Montréal, Boréal Inter, no 37, 2003. (Mali)
• La déesse noire, Montréal, Boréal Inter, no 41, 2004. (Inde)
• Les crocodiles de Bangkok, Montréal, Hurtubise, coll. « Atout », 2005. (Thaïlande)
• Les tueurs de la déesse noire, Montréal, Boréal Inter, no 44, 2005. (Basse Côte-Nord)
• L’intouchable aux yeux verts, Montréal, Hurtubise, coll. « Atout », 2006. (Inde)
• Trente-neuf, Montréal, Boréal Inter, no 49, 2008. (Amérique du Sud)

La série « La bande des cinq continents »


• La mèche blanche, ill. Louise-Andrée Laliberté, tome 1, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. « Chat de gouttière », 2005.
• Le monstre de la Côte-Nord, ill. Louise-Andrée Laliberté, tome 2, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. « Chat de gouttière », 2006.
• L’étrange monsieur Singh, ill. Louise-Andrée Laliberté, tome 3, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. « Chat de gouttière », 2006.
• Les vampires de la montagne, ill. Louise-Andrée Laliberté, tome 4, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. « Chat de gouttière », 2007.
• Pacte de vengeance, ill. Louise-Andrée Laliberté, tome 5, Saint-Lambert, Soulières éditeur, coll. « Chat de gouttière » 2007.
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