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Repenser l’éducation

Alternatives
pédagogiques du Sud
L’UNESCO : chef de file pour l’éducation L’agenda mondial Éducation 2030
L’éducation est la priorité absolue de l’UNESCO car En tant qu’institution des Nations Unies spécialisée
c’est un droit humain fondamental qui constitue la pour l’éducation, l’UNESCO est chargée de diriger et de
pierre angulaire de la paix et du développement coordonner l’agenda Éducation 2030, qui fait partie
durable. L’UNESCO est l’agence des Nations Unies d’un mouvement mondial visant à éradiquer la
spécialisée pour l’éducation. Elle assure un rôle pauvreté, d’ici à 2030, à travers 17 Objectifs de
moteur aux niveaux mondial et régional pour développement durable. Essentielle pour atteindre
renforcer le développement, la résilience et la chacun de ces objectifs, l’éducation est au coeur de
capacité des systèmes nationaux d’éducation au l’Objectif 4 qui vise à « assurer l’accès de tous à une
service de tous les apprenants. L’UNESCO dirige éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et
également les efforts pour répondre aux défis promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au
mondiaux actuels par le biais de l’apprentissage long de la vie ». Le Cadre d’action Éducation 2030
transformateur, en mettant particulièrement définit des orientations pour la mise en œuvre de cet
l’accent dans toutes ses actions sur l’égalité des objectif et de ces engagements ambitieux.
genres et l’Afrique.

Publié en 2021 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07 SP, France
© UNESCO 2021
ISBN 978-92-3-200234-1

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quant au tracé de leurs frontières ou limites.
Les idées et les opinions exprimées dans cette publication sont celles des auteurs ; elles ne reflètent pas nécessairement les
points de vue de l’UNESCO et n’engagent en aucune façon l’Organisation.

Auteurs: Abdeljalil Akkari et Magdalena Fuentes


Photo de couverture : SantiPhotoSS/Shutterstock.com
Mise en page et impression dans les ateliers de l’UNESCO
Imprimé en France
RÉSUMÉ

Les orientations pédagogiques et éducatives voyagent dans le monde depuis longtemps.


Néanmoins, la contribution des différentes régions et peuples du monde à cette circulation
globale des savoirs sur l’éducation n’est pas équitable. La colonisation, l’omniprésence des
auteurs et des universités du Nord, les orientations dominantes de la coopération internationale
et la marginalisation de nombreuses langues et cultures du Sud appellent à un renversement
salutaire de ce processus. En effet, pour être pertinentes, les orientations éducatives et
pédagogiques contemporaines doivent être ancrées dans le contexte culturel et local.
Cet ouvrage propose aux responsables de l’éducation, aux éducateurs,
aux enseignants, aux chercheurs et à toute personne intéressée par le
pour
domaine des Sciences de l’éducation une décentration par rapport
être pertinentes, les
aux orientations dominantes de l’éducation et de la pédagogie. Il
orientations
les invite à explorer des pédagogies et des pédagogues alternatifs
en pénétrant dans leurs fondements historiques ou spirituels,
éducatives et
leurs concepts ou méthodes. Sont analysées les potentialités pédagogiques
dont regorgent les pédagogies alternatives du Sud, capables de contemporaines
contribuer à créer des solutions durables face aux crises actuelles doivent être ancrées dans
le contexte culturel
des systèmes éducatifs. Il ne s’agit pas d’une démarche visant à
et local
découvrir une altérité pédagogique exotique mais d’une remise en
question des fondements de la forme scolaire traditionnelle en interrogeant
certains de ses dogmes comme : la compétition individuelle sur des savoirs fragmentés, la
séparation entre différents types de savoirs, le monolinguisme et monoculturalité, etc.

À un moment où des menaces existentielles sérieuses pèsent sur l’avenir de la planète


(réchauffement climatique, pandémie, pauvreté, extrémismes), découvrir les fondements qui
caractérisent la transmission des savoirs, les relations humaines et les rapports avec la nature
des peuples composant le « Monde majoritaire » est une mission capitale si l’on veut repenser
l’éducation sur des bases réellement universelles.

« Les guerres prenant naissance


dans l’esprit des hommes, c’est dans
l’esprit des hommes que doivent
être élevées les défenses de la paix »
Remerciements
L’UNESCO se réjouit que la publication du présent ouvrage intervienne, à un moment où des
menaces existentielles sérieuses pèsent sur l’avenir de la planète (réchauffement climatique,
inégalités, fractures sociales et extrémisme) et où la communauté internationale de l’éducation
travaille à trouver des solutions innovantes et durables face à l’impact de la crise sans précédent
que représente la pandémie du COVID-19 mais également, face à un monde marqué par
des incertitudes, une complexité et une précarité croissantes. Nous remercions pour cela, les
auteurs M. Abdeljalil Akkari, professeur ordinaire en Dimensions internationales de l’éducation et
président de la section des sciences de l’éducation à l’Université de Genève et Mme Magdalena
Fuentes, doctorante à l’université de Genève au sein de l’équipe de Dimensions Internationales
de l’Education (ERDIE), pour cet ouvrage qui propose aux spécialistes des Sciences de
l’éducation, des pédagogies alternatives par rapport aux orientations dominantes de l’éducation
actuelle.

Cette publication a été préparée au sein de l’équipe pour Les futurs de l’éducation et
l’innovation. Elle a été coordonnée par Aïda Alhabshi sous la direction de Sobhi Tawil. L’équipe
souhaite remercier Abdel Rahmane Baba-Moussa (Conférence des ministres de l’Éducation
des États et Gouvernements de la Francophonie) et Pierre Guidi (Institut de recherche pour
le développement) pour la relecture du manuscrit. Merci également à Hilaire Mputu (Bureau
UNESCO, Yaoundé), Bernard Combes (Section de l’éducation pour le développement durable),
Anna Maria Majlöf (Section de l’inclusion et des droits de l’homme), Nigel Thomas Crawhall
(Section sur les petites îles et les savoirs autochtones) à l’UNESCO Paris pour leurs commentaires
et contributions et Nadine Touzet pour la révision de l’ouvrage.
Avant-propos
À l’heure où le monde de l’éducation fait face à l’impact de la crise sans précédent que représente
la pandémie de COVID-19, le défi de repenser le modèle scolaire, les espaces éducatifs, le contenu
et les méthodes pédagogiques se pose avec d’autant plus d’acuité.
Même avant l’apparition de la pandémie actuelle, et de ses conséquences économiques et
sociales, l’institution scolaire traversait une crise multidimensionnelle. Celle-ci se manifeste au
travers des inégalités persistantes d’accès et de participation sur la base de multiples facteurs de
discrimination liés au niveau de revenu, au lieu de résidence, et à l’appartenance à des groupes
politiquement minoritaires. C’est également une crise de qualité en dépit de l’élargissement de
l’accès à l’école ces dernières décennies, avec plus de la moitié des enfants, d’adolescents et de
jeunes ne maitrisant pas les compétences de base en lecture et en mathématiques. Au-delà de
paramètres connus de « la crise de l’apprentissage » au niveau mondial, la crise du modèle scolaire
se manifeste également par la faible pertinence des contenus et des méthodes d’apprentissage
perçue par de nombreux jeunes par rapport à leurs réalités surtout à l’ère où les technologies
numériques transforment notre rapport aux savoirs, au travail et à la culture.
Cet ouvrage offre donc une source d’inspiration et des pistes pour repenser la forme scolaire sur la
base de la richesse et la diversité des philosophies et des pratiques pédagogiques. En partant de
l’émergence et la diffusion de la forme scolaire, l’ouvrage examine la pertinence d’une sélection
de pensées éducatives du Sud, de savoirs autochtones, et de pédagogies dans la transmission des
savoirs et la socialisation.
Les savoirs autochtones, comme les traditions éducatives africaines, coraniques, ou bouddhistes,
ainsi que les visions de penseurs tels que Cheikh Anta Diop, Cheikh Hamidou Kane, Joseph Ki-
Zerbo, Julius Nyerere, Paulo Freire, ou encore Jiddu Krishnamurti, représentent autant d’alternatives
pédagogiques du Sud. La reconnaissance de la pluralité des visions du monde, des conceptions
du bien-être, et la diversité des systèmes de savoirs découle d’une approche humaniste du
développement et de l’éducation, approche qui a toujours été portée par l’UNESCO, et qui est à la
base de l’initiative actuelle sur Les futurs de l’éducation. Ces alternatives pédagogiques du Sud ne
sont que le reflet de la diversité des savoirs qui composent notre humanité commune.
Si les sciences de l’éducation prétendent à l’universalité, elles se doivent d’intégrer le patrimoine
pédagogique de toutes les régions et cultures du monde. Il va de notre engagement collectif en
vue d’assurer des opportunités éducatives inclusives et pertinentes pour tous. Cet ouvrage est une
contribution à cet effort.

Stefania Giannini
Sous-Directrice générale de l’UNESCO pour l’éducation
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Table des matières


Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2

Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

Introduction générale : un nouveau point de vue sur la pédagogie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Partie I
Chapitre 1 Caractéristiques de la forme scolaire et alternatives pédagogiques du Sud. . . . . . 16

Chapitre 2 Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Chapitre 3 Les éducations autochtones africaines collectives et créatrices de lien social. . . . 52

Chapitre 4 L’école coranique : entre permanence et transformations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68

Chapitre 5 L’éducation bouddhiste : la méditation en tant que principe pédagogique. . . . . . 81

Partie II 
Chapitre 6 Krishnamurti et sa philosophie éducative : le bien-être de l’individu en tant que
valeur centrale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 92

Chapitre 7 Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale


en Afrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

Chapitre 8 Paulo Freire : l’éducation au service de la transformation sociale et de


l’émancipation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

Chapitre 9 Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud. . . . . . . . . 127

Références bibliographiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 145

Vidéographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 161

4
Liste des tableaux, figures et graphique
Tableau 1 : Les savoirs qui ont précédé la forme scolaire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Tableau 2 : Caractéristiques contrastées des propositions cosmopolitiques du bien vivir /
buen vivir et du développement durable. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

Tableau 3 : Principaux principes pédagogiques autochtones africains. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59


Tableau 4 : Techniques autochtones de transmission des savoirs en Afrique. . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Tableau 5 : Pourcentage des filles par situation éducative. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Tableau 6 :  Caractéristiques de trois types d’éducation arabo-islamique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Tableau 7 : Les deux voies d’apprentissage au Bhoutan. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Tableau 8 : Évolution de la réflexion pédagogique de Paulo Freire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Figure 1 : La transformation radicale de l’école. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36


Figure 2 : Continuum d’évolution des écoles islamiques au Ghana. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Figure 4 : Les processus médiateurs de la démarche praxéologique émancipatrice. . . . . . . . . 124
Figure 5 :  Pédagogie culturellement appropriée. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141

Graphique 1 : Pourcentage des enfants en âge d’être scolarisés dans l’enseignement primaire,
selon leur situation éducative . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

5
Introduction générale : un nouveau point de vue sur la pédagogie

PARTIE I : Pédagogies


Introduction générale 
Un nouveau point
de vue sur la pédagogie

7
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

L’objet du présent ouvrage est d’offrir aux spécialistes de l’éducation un aperçu synthétique
de pédagogies et de pédagogues du Sud afin de les amener à prendre leurs distances avec
la littérature habituelle sur l’éducation ou la pédagogie, son histoire, et avec les auteurs qui
animent régulièrement les débats sur l’éducation. Si les sciences de l’éducation souhaitent
prétendre à l’universalité, elles ont l’obligation d’intégrer le patrimoine pédagogique de toutes
les régions et cultures du monde et de s’éloigner de leur ethnocentrisme historique (Akkari,
2000). Comme le suggère De Sousa Santos (2014), les épistémologies du Sud nous permettent
de porter un regard différent sur le monde conduisant à une décentration salutaire :

 Premièrement, la compréhension du monde dépasse largement la compréhension


occidentale du monde. Deuxièmement, il n’y a pas de justice sociale globale sans justice
cognitive globale. Troisièmement, les transformations émancipatrices intervenant dans
le monde peuvent suivre des rhétoriques et des scénarios différents de ceux développés
par la théorie critique occidentalo-centrique, et cette diversité doit être valorisée. 
 
(De Sousa Santos, 2014, p. viii)1

Entre 1993 et 2006, le Bureau International d’Éducation (UNESCO) a publié une série de
monographies sur 100 personnalités réputées qui ont été des penseurs de l’éducation2
(philosophes, hommes d’État, politiciens, journalistes, psychologues, poètes, hommes de
religion) issus de différentes régions du monde et qui ont laissé l’empreinte de leur réflexion
pédagogique sur la pensée éducative. Cet ambitieux projet a permis de décloisonner la pensée
pédagogique internationale en l’ouvrant à toutes les régions du monde, même si l’on note dans
cette série une sous-représentation des pédagogues femmes, des Africains, des Asiatiques et
des Latino-américains puisque l’on n’y retrouve que 30 pédagogues du « Sud »3, sans parler du
fait que les pédagogies des peuples autochtones sont absentes des 100 monographies. Il existe
donc une relative hégémonie eurocentrique et occidentale dans les cadres de pensée mobilisés
autour de l’éducation, de l’école et des politiques éducatives.

De par son objectif de faire connaître et de diffuser les pédagogies du Sud, le présent ouvrage
rejoint d’autres publications récentes (De Sousa Santos, 2011 ; Sanogo, 2002 ; Bin Mussallam
& Jobin, 2018 ; Akkari & Dasen, 2004 ; Reagan, 2004 ; Dasen & Akkari, 2008 ; Zhao et al., 2010 ;
Nsamenang & Tchombé, 2011 ; Paris & Alim, 2017 ; Baba-Moussa, Moussa & Rakotozafy, 2014 ;
De Ketele, 2018) qui proposent des pistes nouvelles aux éducateurs, aux chercheurs et aux

1 Traduction de l’anglais par les auteurs.


2 http://www.ibe.unesco.org/fr/document/penseurs-sur-l%C3%A9ducation
3 Liste des 30 pédagogues : Malcolm Adiseshiah ; Sri Aurobindo ; Avicenne ; Andrés Bello ; Boutros al-Boustani ;
Cai Yuanpei ; Confucius ; Aliu Babtunde Fafunwa ; Paulo Freire ; Mohandas Karamchand ; Gandhi ; al-Farabi ; al-
Ghazali ; Ibn Khaldun ; Joseph Ki-Zerbo ; Krishnamurti ; Juana Manso ; Mao Zedong ; José Martí ;
Mencius ; Miskawayh ; Julius Kambarage Nyerere ; Isma’il al-Qabbani ; Sun Yat-Sen ; Rifa’a al-Tahtawi ; Anísio Teixeira ;
José P. Varela ; José Vasconcelos.

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Introduction générale : un nouveau point de vue sur la pédagogie

décideurs politiques, dans une perspective de réelle décentration de l’éducation comparée.


En effet, sans pour autant nier l’apport majeur de la forme scolaire d’origine occidentale aux
sociétés contemporaines, bon nombre d’observateurs s’accordent pour insister sur le fait que
l’institution scolaire actuelle, héritière de la scolarisation obligatoire qui a émergé en Europe
dans la deuxième moitié du 19ème siècle, traverse une crise multidimensionnelle.

La première dimension de cette crise concerne la désillusion que suscite une institution qui,
ayant promis l’égalité des opportunités éducatives pour tous, a le plus souvent reproduit les
inégalités tenant à l’origine socioculturelle des apprenants (Niang, 2014 ; Duru-Bellat & Kieffer,
2000). Effectivement, il n’y a pas eu de réduction des écarts entre les différentes catégories
sociales car l’amélioration de l’accès et la massification scolaire ne sont pas synonymes d’une
véritable démocratisation de la forme scolaire (Caplan, 2018). Selon Dubet, la tension issue de
la rencontre d’une forme scolaire forgée voici plus d’un siècle avec une massification scolaire
et avec les changements socioculturels et technologiques engendre un sentiment de crise
perpétuelle. Cette tension se manifeste à plusieurs niveaux : résultats de l’apprentissage des
élèves, discipline, violence, baisse de respect à l’égard de l’école, inflation des diplômes et
incapacité de ceux-ci à assurer une insertion professionnelle et sociale. Elle est aussi à l’origine
d’une déception permanente puisque « la large ouverture de l’école n’a guère réduit les
inégalités scolaires et laisse de côté une part non négligeable des élèves » (Dubet, 2003).

Alors même que nous avons assisté ces dernières décennies au développement de l’accès à
l’école dans de nombreux pays du Nord comme du Sud, la recherche suggère que la qualité de
l’éducation n’a pas suivi. Malgré la hausse notable du nombre d’années de scolarisation à travers
le monde, il existe toujours un très large fossé en matière d’apprentissage entre pays riches et
pays pauvres, et entre enfants riches et enfants pauvres dans un même pays (Draselants, 2019 ;
Gertz & Khar, 2019).

La deuxième dimension de la crise de l’école a trait à la proportion importante d’élèves qui


n’apprennent pas ou ne veulent pas apprendre, y compris dans les pays les plus développés sur
le plan économique. Les résultats de l’étude internationale PISA montrent qu’une proportion
non négligeable des jeunes de 15 ans a du mal à lire des phrases simples après neuf années
de scolarisation obligatoire de qualité. Pour de nombreux jeunes, l’école est synonyme d’ennui,
elle représente une corvée, leur apparaissant comme relativement abstraite et éloignée de leur
réalité sociale et de leur environnement direct. Pour beaucoup de jeunes, les savoirs auxquels
est consacrée la majorité du temps scolaire semblent « inutiles » et peu pertinents au quotidien.
Cet aspect forme un contraste important avec les alternatives pédagogiques du Sud qui seront
développées tout au long de cet ouvrage et qui sont en lien direct avec l’environnement
socioculturel dans lequel les savoirs sont transmis.

La troisième dimension de la crise a trait à l’échec relatif de l’école dans sa volonté de


transformer la diversité culturelle des élèves en une dynamique pédagogique positive (Akkari
& Radhouane, 2019). Dans de nombreux systèmes éducatifs, la présence d’élèves minoritaires,
migrants ou réfugiés est vue comme un problème auquel il faut apporter une solution. Or, aussi
longtemps que nous considérerons la différence-diversité culturelle des apprenants comme

9
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

uniquement un obstacle à l’apprentissage, nous perpétuerons une école qui discrimine, qui
agresse et qui limite les potentialités de nombreux apprenants. Lorsque nous examinons
les pratiques d’enseignement et de formation dans nos écoles, nous devons toujours nous
demander si elles accueillent de façon positive la diversité culturelle ou si elles donnent la
priorité à la conformité aux normes culturelles eurocentriques. Ces questions portent non
seulement sur les curricula que nous choisissons, mais aussi sur les processus pédagogiques, les
politiques scolaires et les intentions cachées auxquels nos apprenants sont confrontés.

La quatrième dimension de la crise de l’école est liée aux évolutions technologiques et


environnementales actuelles. Les Technologies de l’information et de la communication (TIC)
transforment nos sociétés et leur rapport au travail, aux savoirs, à la culture et à l’apprentissage
(Coen, 2018). Le numérique offre des moyens qui n’existaient pas auparavant d’accéder à une
multitude de connaissances en peu de temps, souvent dans notre propre langue grâce à la
traduction automatique. La culture joue ainsi un rôle important dans le choix des contenus
numériques, dans la compréhension réelle des approches pédagogiques et dans le respect
des valeurs véhiculées par les offres d’apprentissage et de compétences (Gastinel, 2019). Nous
sommes également confrontés à une hégémonie anglophone et occidentale dans les contenus
présents et disponibles en ligne et les modes de conception des dispositifs en ligne laissent peu
de place à la culture des apprenants.

Tout en prétendant à l’universalité, les éléments inhérents à la révolution numérique peuvent


s’avérer totalement déconnectés des réalités culturelles (rôle de l’enseignant, des pairs,
de l’âge ou des facteurs sociaux, appartenance ethnique, etc.). C’est pour cette raison que
l’apprentissage numérique doit être considéré comme une des composantes d’un système
plus large, plutôt que comme un simple moyen technique de mettre à disposition des
connaissances homologuées et standardisées. L’appropriation d’une pédagogie est un acte
culturel, au même titre que la reconnaissance de sa pertinence et que son acceptation par une
société humaine. Il convient de ne pas négliger les différences culturelles si nous voulons éviter
que les contenus proposés soient mal compris ou même rejetés (Gastinel, 2019).

Venant contester le monopole de l’école sur la transmission des savoirs et remettre en


question les pédagogies habituellement utilisées par la forme scolaire, dans certains contextes,
le numérique était encore vécu jusqu’à récemment comme une intrusion dans le monde
scolaire (Devauchelle, 2015). Une partie du corps enseignant estime que les élèves n’ont plus
la même capacité à se concentrer suffisamment sur les tâches scolaires, qu’ils sont formatés
pour exécuter différentes tâches de façon superficielle et simultanée. La mobilisation sur les
apprentissages scolaires paraît éloignée de la vie scolaire et par conséquent, l’école peine à se
réinventer pour répondre à ces transformations radicales.

Qui plus est, le changement climatique et les impératifs du développement durable exigent
l’avènement d’une « autre école » qui peine tout autant à émerger. Cette « autre école »

10
Introduction générale : un nouveau point de vue sur la pédagogie

capable de s’engager dans la socialisation des élèves aux enjeux du développement durable
est indispensable. La jeune activiste suédoise Greta Thunberg en est un excellent exemple :
les jeunes sont de plus en plus nombreux à vouloir s’engager dans une action concrète
pour conserver et préserver la planète. Greta Thunberg milite pour un changement radical
de notre société et elle soulève cette question majeure : « Pourquoi se former lorsqu’il n’y
a plus d’avenir ? ». Force est de constater que l’école, qui devrait être le lieu privilégié pour
traiter et débattre de ces questions de manière approfondie et transversale, ne propose
pas encore d’espace fécond pour traiter les problématiques complexes liées aux questions
environnementales.

En somme, deux évolutions majeures poussent à la remise en cause de la forme scolaire. D’une
part, la mondialisation remet en question la raison d’être historique de l’école, c’est-à-dire la
formation des citoyens de la nation ; d’autre part, l’explosion des technologies numériques
entraîne la fin du monopole des institutions scolaires sur la transmission des savoirs, par la
mondialisation et la circulation facilitée des informations et des connaissances (Durpaire &
Mabilon-Bonfils, 2014).

Si la crise multidimensionnelle de la forme scolaire annonce un changement de paradigme


qui sonne la fin d’une époque, elle doit aussi être vue comme une opportunité permettant
de s’ouvrir à l’altérité pédagogique et de repenser l’éducation (Develay, 2018). De ce point de
vue, il est alors pertinent de se tourner vers le concept chinois positif du mot « crise », formé de
deux idéogrammes, l’un signifiant « danger », et l’autre « opportunité ». La remise en question
des approches dominantes et l’inclusion des alternatives pédagogiques du Sud représentent
une possibilité d’imaginer et de construire de nouvelles pistes d’avenir pour l’éducation par
l’avènement d’une coexistence pacifique de sociétés culturellement pluralistes, y compris au
plan cognitif. Plonger le lecteur dans la découverte de l’œuvre du pédagogue brésilien Paulo
Freire ou l’aider à explorer les processus d’apprentissage des peuples autochtones offrira la
possibilité de repenser l’éducation, partout dans le monde, à la lumière des pédagogues et
des pédagogies du Sud. Même si les réflexions pédagogiques abordées dans cet ouvrage sont
principalement issues des sociétés de pays du Sud, le but n’est pas de donner dans un exotisme
de pacotille, mais bien d’engager également – et surtout – une réflexion sur nos sociétés
mondialisées et sur les institutions éducatives, avec du recul et en suivant la perspective
nouvelle qu’autorise le détour par l’altérité et une pédagogie culturellement sensible (Dasen,
2002 ; Pence & Harvell, 2019).

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Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Salaün (2013) estime à juste titre que la périphérie pédagogique permet de repenser le centre :

Nous avons beaucoup à apprendre des marges, ne serait-ce que parce qu’elles
permettent, en miroir, de reconsidérer le centre. La prise en compte des langues
et cultures autochtones, considérée tant du point de vue de l’histoire dont elle est
l’aboutissement que des difficultés contemporaines de sa mise en œuvre, me paraît être
un angle intéressant pour interroger ce moment postcolonial, parce l’école est de fait
un lieu privilégié de compréhension de l’hétérogénéité des référents contemporains qui
inspirent les modèles éducatifs.

(Salaün, 2013, p. 10)

Il ne fait guère de doute que la prise en compte des cultures pédagogiques alternatives dans les
systèmes éducatifs formels demeure une question marginale car si leur plus-value en matière
d’éducation n’est plus à démontrer, il nous reste encore à repenser la manière d’en faire des
axes essentiels du domaine des sciences de l’éducation. À cet égard, Comaroff et Comaroff
(2015) plaident en faveur d’un changement de perspective. Au lieu de regarder le monde à
travers le prisme d’un eurocentrisme omniprésent, il serait temps de réfléchir aux questions qui
préoccupent nos sociétés contemporaines, notamment éducatives, à partir de nouveaux points
de vue situés dans le Sud. L’expression « pays du Sud » a remplacé des qualificatifs plus péjoratifs
comme « pays pauvres », « pays sous-développés », « pays en développement » ou encore
« pays émergents ». Elle est inspirée du nécessaire détour par le « monde majoritaire » (Dasen
et Akkari, 2008) par sa démographie, pour repenser la transformation de la forme scolaire et des
savoirs (Jankowski & Lewandowski, 2017 ; Farrell et al., 2017).

Le changement de point de vue sur la pédagogie, qui est l’objet du présent ouvrage, constitue
une modeste contribution au projet plus ambitieux d’une « pédagogie culturellement
pertinente » (ou « durable » – de l’anglais : Culturally Sustaining Pedagogy). Proposé par Paris
et Alim (2017), ce concept fécond renvoie à une pédagogie alternative crédible, face à la
violence symbolique de la forme scolaire. Dans de nombreuses situations, l’école décrit la
culture de certains élèves comme éloignée des standards de la civilisation et de la modernité.
L’enseignement développé par l’État-nation visait à faire avancer le projet impérial blanc,
principalement assimilationniste et souvent violent, qui exigeait que les élèves et les familles
perdent ou renient leur langue, leur littérature, leur culture et leur histoire pour obtenir de bons
résultats scolaires. Aux États-Unis, mais ailleurs aussi, cet assaut culturel et linguistique a eu et
continue d’avoir, selon Paris et Alim (2017), des effets dévastateurs sur l’accès, les performances
scolaires et le bien-être des élèves de culture différente. La pédagogie culturellement pertinente
s’efforce de perpétuer et d’encourager le maintien du pluralisme linguistique et culturel en
tant qu’élément de scolarisation, dans un but de transformation sociale positive. Elle considère
la dextérité culturelle dynamique comme un bien nécessaire et estime que le résultat des
apprentissages est additif plutôt que soustractif, demeurant holistique plutôt que structuré et
fracturé, enrichissant par une critique constructive plutôt que remplaçant un déficit. On trouvera

12
Introduction générale : un nouveau point de vue sur la pédagogie

cette pédagogie partout où l’éducation vient appuyer le mode de vie de communautés


culturelles qui ont été et continuent d’être blessées et effacées du fait de la scolarisation (Paris &
Alim, 2017).

Dans le même sens de contestation de la maltraitance de certains groupes par la forme


scolaire, De Lissovoy (2019) estime que questionner l’architecture eurocentrique d’un point
de vue décolonial implique nécessairement un projet d’inversion bouleversant l’imaginaire
développementaliste et moderniste et rétablissant le pouvoir historique aux marginalisés. Ce
projet d’inversion conteste à la fois les narrations liées au capitalisme mondialisé mais aussi à la
théorie critique occidentale.

L’analyse qu’a effectuée Deng (2011) sur la modernisation de l’éducation en Chine est
révélatrice du dialogue et des tensions qui existent entre différentes traditions pédagogiques
à travers le monde, même dans un contexte de développement économique et scolaire
semble réussi. Deng (2011) suggère l’existence d’une contestation vieille d’un siècle et demi
et qui se perpétue entre la modernité pédagogique occidentale et la tradition chinoise
(confucéenne). Dans le cadre de ce processus, les théories et les valeurs occidentales ont été
sélectionnées, interprétées et adaptées à la situation et au contexte de la Chine et elles ont été
nécessairement transformées par le mode de pensée éducatif traditionnel chinois. De même,
la tradition confucéenne a été interprétée, transformée et réinventée dans le cadre de ses
interactions avec la culture moderne occidentale. Plus la Chine s’impose comme le moteur de
l’économie mondiale, plus ce débat prend un nouveau sens, car le pays continue d’importer
différentes théories et techniques éducatives occidentales. Cela étant, les éducateurs chinois
contemporains s’interrogent sur la légitimité et la pertinence de la théorie pédagogique
occidentale, puisque leur pays possède sa propre culture et des traditions uniques. Ils appellent
donc au développement de théories éducatives alternatives spécifiquement chinoises
(Deng, 2011). La résurgence du confucianisme pédagogique se poursuivra au 21ème siècle,
accompagnée d’un vif intérêt pour la redécouverte de la tradition et de l’histoire de la Chine.

Comme le suggère l’UNESCO (2015), les changements qui surviennent dans le monde actuel,
interconnecté et interdépendant, créent des niveaux inédits de complexité, de tension et de
paradoxe et, dans le domaine du savoir, ils ouvrent de nouveaux horizons que nous devons
prendre en compte. En somme, le nouveau projet éducatif, scolaire et pédagogique du
21ème siècle sera le résultat des orientations pédagogiques qu’adopteront toutes les parties
prenantes de l’école, des décideurs politiques jusqu’aux enseignants dans les classes : un projet
pédagogique de « domestication » basé uniquement sur des tests standardisés, au service d’une
mondialisation sauvage, ou un projet d’humanisation et d’émancipation construit autour de
récits et de synergies interculturelles pour un monde plus éduqué et alphabétisé, plus solidaire,
plus juste et moins inégalitaire. Bien que la circulation des idées pédagogiques dans le monde
ne soit pas un phénomène nouveau (Alexander, 2001, 2013), elle continue de s’effectuer
essentiellement entre le Nord et le Sud. Le présent ouvrage vise à rééquilibrer ce flux par
l’exploration des pédagogies et des réflexions des pédagogues du Sud.

13
Introduction générale : un nouveau point de vue sur la pédagogie

PARTIE I : Pédagogies


Partie I
Pédagogies
La première partie de l’ouvrage vise à analyser différentes
pédagogies et formes d’éducation afin d’identifier leurs
caractéristiques et parvenir à une vision comparative. En raison
de son hégémonie et de sa diffusion mondiale, il est important
dans un premier temps d’analyser l’émergence de la forme
scolaire. Ensuite, seront explorés les savoirs autochtones, leur
logique et pertinence. Dans les chapitres suivants, l’ouvrage
aborde successivement les pédagogies africaine, coranique
et bouddhiste. Même si la colonisation a mis ces pédagogies
autochtones en contact et en compétition avec la forme
scolaire occidentale, elles maintiennent leur caractéristiques
spécifiques et jouent encore un rôle important dans la
transmission des savoirs et la socialisation.

15
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Chapitre 1
Caractéristiques de
la forme scolaire
et alternatives
pédagogiques du Sud

16
Chapitre 1 - Caractéristiques de la forme scolaire et alternatives pédagogiques du Sud

Ce chapitre, présente dans un premier temps, les formes

PARTIE I : Pédagogies


d’apprentissage qui ont précédé la forme scolaire avant
qu’elle ne devienne dominante. Dans un deuxième temps,
il retrace l’émergence de la forme scolaire en analysant
ses caractéristiques, avant d’examiner la pertinence des
alternatives pédagogiques du Sud.

1. Les formes d’apprentissage qui ont précédé la domination


de la forme scolaire
Si l’enseignement obligatoire est une invention relativement récente, l’acte d’apprendre
ou d’éduquer accompagne l’histoire de l’humanité depuis toujours. Dans les sociétés
préindustrielles4, l’apprentissage a de multiples caractéristiques. Avant l’avènement de la forme
scolaire, l’éducation de l’humain se faisait par une socialisation collective, sans qu’il y ait, pour la
majorité des individus, une séparation manifeste entre l’éducation et la socialisation. Toutes les
générations apprenaient ainsi ensemble, à chaque instant de la vie communautaire.

On peut également affirmer que les apprentissages étaient le plus souvent informels et
quotidiens, en lien avec les savoirs et les activités communautaires qui déterminaient la survie et
la reproduction des premières collectivités humaines, d’où l’absence de séparation nette ou de
hiérarchisation entre « faire », « travailler », « savoir », « apprendre » et « transmettre ».

Pour schématiser, deux formes de savoirs et de rapports aux savoirs se distinguent dans les
sociétés traditionnelles, c’est-à-dire avant la révolution industrielle : (1) les savoirs informels et
quotidiens et (2) les savoirs spirituels et sacrés. Le Tableau 1 ci-dessous fournit une comparaison
de ces deux formes bien distinctes.

4 L’histoire économique fait remonter la première révolution industrielle à l’invention de la machine à vapeur à la fin
du 18ème siècle, point de départ de l’ère de la mécanisation. C’est le début de l’industrialisation car la puissance
des machines à vapeur n’était plus limitée par la force musculaire animale ou humaine. Les moyens de transport de
masse (chemins de fers, bateaux à vapeur) font ensuite leur apparition et révolutionnent les échanges économiques
et humains.

17
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Tableau 1 : Les savoirs qui ont précédé la forme scolaire

Savoirs informels et quotidiens Savoirs spirituels et sacrés


Partagés par l’ensemble de la communauté Maîtrisés par certains membres de la
communauté qui les partagent avec d’autres à
des moments spécifiques

Apprentissage informel par imitation, essais et Mobilisés à des moments spécifiques : rites,
erreurs, confirmation récoltes, cérémonies, changements de saison, etc.

Tradition orale de transmission des savoirs Émergence progressive d’une tradition écrite de
transmission des savoirs

Pas de fonction spécifique ou permanente de Existence de détenteurs de connaissances sacrées


formateur ou d’instructeur
Source :  Auteurs

L’éducation informelle a fait l’objet de nombreux travaux de recherche portant sur les enfants
de sociétés traditionnelles. C’est un apprentissage dit « informel » car il a lieu dans le cadre
d’activités quotidiennes, auxquelles les adultes, les jeunes et les enfants participent en fonction
de leur âge et de leurs capacités. Aucune activité spécifique n’est destinée uniquement à la
transmission du savoir. Les processus sociaux et les institutions sont structurés de manière
à permettre à l’enfant d’acquérir les compétences de base, les valeurs, les attitudes et les
coutumes qui définissent le comportement approprié des adultes dans sa culture (Scribner &
Cole, 1973). L’accent est donc mis sur la valeur sociale, utilitaire et pratique des savoirs et des
compétences transmises.

Pour Ngakoutou (2004), l’éducation originelle et informelle africaine possède les quatre
spécificités suivantes :
1. Une empreinte fondamentalement collective et sociale
2. Un lien intime avec la vie sociale
3. Un caractère polyvalent
4. Une grande flexibilité

De ce fait, « le champ pédagogique n’est pas l’institution scolaire, c’est la société, les lieux de
production (les champs, les forges, la forêt, la rivière, etc.). Le matériel didactique, ce sont les
instruments traditionnels faisant partie de la culture matérielle du peuple africain. » (Gouda,
1986, p. 300). Il s’agit d’une éducation autochtone qui se fait dans le cadre de structures
communautaires et sociales. Le proverbe africain « pour qu’un enfant grandisse, il faut tout un
village » le dit très clairement : l’éducation est une responsabilité collective de tous.

Le mode de transmission du savoir dit « autochtone » se distingue de celui de la forme scolaire,


en particulier par une différence de logique et de formalisation ; en effet, « les parcours et
curricula scolaires sont consignés sous forme de documents écrits, tandis que ceux du système

18
Chapitre 1 - Caractéristiques de la forme scolaire et alternatives pédagogiques du Sud

éducatif traditionnel africain ont comme support et mode de conservation « la parole » 

PARTIE I : Pédagogies


(Baba-Moussa et al., 2014, p.61).

Il est donc incontestable que la forme scolaire contemporaine a marqué l’avènement d’un
monde intellectuel et cognitif différent, car dominé par l’écrit. Thành Khôi (1995) a parfaitement
mis en exergue les différences entre l’oral et l’écrit, ainsi que les avantages qu’offre ce dernier :

L’oralité intègre, l’écrit différencie l’éducation des autres activités sociales.


Dans le premier cas, toute action éducative est en même temps une action
économique, religieuse, politique, etc., puisque c’est par l’observation, l’imitation, la
parole, que le jeune s’instruit auprès des anciens. Dans le second cas, l’écrit consignant
l’information dans des textes, la rend autonome et par là rend autonome l’apprentissage
qui n’est plus lié à une action et à la présence d’un instructeur. Ce détachement ou
cette distanciation peut être un inconvénient si l’individu ne se fonde plus sur la
pratique, mais aussi un avantage puisqu’il permet de s’abstraire et de conceptualiser.
Or l’abstraction stimule l’esprit critique. (…) Il est plus difficile de déceler les failles d’un
verbe éloquent que celles d’un texte écrit sur lequel on peut réfléchir. L’écrit favorise
également l’esprit critique en mettant à sa disposition les opinions d’un grand nombre
d’auteurs sur le même sujet.
 
(Lê Thành Khôi, 1995 ; pp. 118-119)

Selon Garnier (2008), les ressorts des apprentissages informels sont devenus incontournables
dans la conception des parcours de formation actuellement, et cela de la petite enfance à l’âge
scolaire et tout au long de la vie. L’appréhension de la complexité des savoirs indispensables pour
comprendre le monde contemporain paraît de moins en moins à la portée exclusive de la forme
scolaire et de l’éducation formelle. Les apprentissages et la socialisation se font de plus en plus au
travers d’expérimentations entre pairs, par l’utilisation de l’internet et des réseaux sociaux,
c’est-à-dire par une éducation informelle brouillant les frontières entre espace privé et
professionnel. Dès lors, se pose la question de savoir si le salut de la forme scolaire, aujourd’hui en
crise mais toujours dominatrice en termes d’enjeux et de financement, ne reposerait pas sur une
meilleure prise en compte des apprentissages non formels ou informels (Garnier, 2018). Partout
dans le monde, les jeunes générations apprennent à l’école mais aussi en dehors, souvent dans le
cadre de relations sociales complexes et avec l’aide des paires et des réseaux sociaux.

2. Émergence de la forme scolaire


La forme scolaire peut aussi être définie comme l’accueil massif d’enfants dans des institutions
spécialisées où ils sont instruits selon des modalités spécifiques et systématiques. Elle émerge
dans les sociétés européennes marquées par la philosophie des Lumières, l’invention de
l’imprimerie et la révolution industrielle. Il faut donc situer son émergence et sa consolidation

19
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

tout au long du 19ème siècle, sur un fond de transformations économiques et sociopolitiques


majeures telles que l’avancée de la participation politique des citoyens et le recul de
l’omniprésence de la religion chrétienne dans la vie politique et sociale.

La forme scolaire se caractérise historiquement par une double séparation : (a) une séparation
entre « socialisation familiale » et « instruction scolaire » et (b) une séparation entre le monde
de l’enseignement et celui de la production (économie), avec un renforcement progressif de
l’impératif d’obtenir les qualifications du premier pour prétendre accéder au second. Les enfants
et les jeunes sont séparés de leur famille, ils sont disciplinés dans des institutions spécialement
conçues, au sein de groupes d’âge définis. Le curriculum et l’évaluation, bien que variables,
structurent le jour et l’année scolaire et stratifient les futurs emplois. La pédagogie scolaire
oscille entre un modèle transmissif et un autre plus progressif (Baker, 2014). Pour autant, la
forme scolaire s’est efforcée au cours du siècle dernier de réduire cette double séparation. D’une
part, elle a mis en place la pédagogie de l’alternance illustrée par l’expérience des maisons
familiales rurales en France ou de l’apprentissage professionnel dual en Suisse. D’autre part, la
place des parents à l’école a gagné en légitimité à travers les nombreux projets de partenariat
école-famille.

Concernant les contenus de l’enseignement, la forme scolaire a connu plusieurs évolutions.


Dans un premier temps, les institutions d’instruction scolaire étaient principalement
d’inspiration chrétienne et leur objectif essentiel était d’apprendre aux jeunes les textes
religieux et de les alphabétiser. Ces institutions scolaires confessionnelles ont ensuite incorporé
l’enseignement des disciplines profanes et scolaires/scientifiques (mathématiques, langues,
etc.). Une troisième étape a vu l’État-nation, principalement durant la deuxième moitié du
19ème siècle, reprendre complètement à son compte le projet de scolarisation sans pour autant
évincer partout les institutions scolaires confessionnelles. Cette étape a vu l’enseignement se
standardiser, culminant avec l’instauration de l’obligation scolaire durant la deuxième moitié du
19ème. La standardisation est passée en particulier par l’instauration d’un contrôle de l’État sur
le contenu de l’enseignement, la formation des enseignants dans des institutions spécialisées et
l’octroi et la reconnaissance des diplômes.

À son avènement, la forme scolaire a donc représenté une évolution spécifique des sociétés
européennes (Europe de l’Ouest et du Nord, en particulier dans les régions conquises par le
protestantisme). Mais elle allait connaître rapidement une diffusion mondiale (Ramirez & Boli,
1987), par un engouement qui a d’abord touché l’Amérique du Nord et du Sud, puis l’Asie et
enfin l’Afrique, en particulier depuis les Indépendances. Comme l’ont montré Meyer, Ramirez et
Soysal (1992), la construction mondiale de l’éducation de masse s’est fortement accélérée dans
la deuxième moitié du 20ème siècle.

La diffusion mondiale de la forme scolaire est aussi liée à l’expansion coloniale de l’Europe
occidentale et à sa supériorité technologique et militaire consolidée aux 18ème, 19ème et 20ème
siècles. Les autres régions du monde ont adopté le même modèle scolaire afin de rattraper leur
retard technologique par rapport à l’Occident. Par exemple, le Japon a fortement investi dans la

20
Chapitre 1 - Caractéristiques de la forme scolaire et alternatives pédagogiques du Sud

scolarisation de masse durant l’ère Meiji pour se développer rapidement sur le plan économique

PARTIE I : Pédagogies


et technologique. Les répercussions de la forme scolaire n’ont pas été ressenties seulement sur
l’enseignement et la formation, mais aussi sur la société dans son ensemble :

Considérée dans une perspective temporelle large, l’expansion de la scolarisation


constitue l’une des évolutions majeures qui ont marqué les pays capitalistes développés : une
proportion de plus en plus importante de la population a passé un nombre d’années
de plus en plus élevé dans l’institution scolaire, et ce passage a eu une incidence sur
de nombreux aspects de la vie sociale, même si les effets attribués a posteriori ne
correspondent que très partiellement aux objectifs poursuivis par les partisans de la
scolarisation.

(Briand & Chapoulie, 1993, p. 4)

L’essor de la forme scolaire s’insère donc également dans le cadre de l’expansion capitaliste
et de l’industrialisation du monde. Assurément, l’école est devenue la principale source de
main-d’œuvre qualifiée.

3. Caractéristiques de la forme scolaire


L’expansion de l’éducation de masse est l’une des caractéristiques du monde moderne. La forme
scolaire s’est rapidement diffusée au cours des deux derniers siècles, devenant obligatoire et
institutionnalisée. Elle a même progressé plus rapidement dans les pays les plus pauvres (Boli,
Ramirez et Meyer, 1985).

Selon Vincent, Lahire et Thin (1994), la forme scolaire est un ensemble cohérent de
caractéristiques, au premier rang desquelles figurent la constitution d’un univers séparé pour
l’enfance, l’importance des règles dans l’apprentissage, l’organisation rationnelle du temps,
la multiplication et la répétition d’exercices n’ayant d’autres fonctions que d’apprendre et
d’apprendre selon les règles ou, autrement dit, ayant pour finalité leur propre finalité. Ce
nouveau mode de socialisation, le mode scolaire, n’a cessé de s’étendre et de se généraliser
pour en devenir le mode dominant. Il est vrai que la forme scolaire contemporaine, notamment
sous l’influence des théories socioconstructivistes, a connu des changements par rapport à ce
modèle de référence.

Les caractéristiques de la forme scolaire des relations sociales peuvent être résumées en cinq
points :

1. L’école est un lieu/espace spécifique séparé des autres pratiques sociales, où se


transmettent des savoirs objectivés (scientifiques).

21
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

2. La pédagogisation des relations sociales d’apprentissage sont liées à la constitution


de savoirs écrits formalisés, délimités, codifiés tant en ce qui concerne ce qui est
enseigné que la manière de l’enseigner, les pratiques de l’élève autant que celles du
maître.

3. La codification des pratiques pédagogiques rend possible une systématisation de


l’enseignement et, par la même occasion, autorise la production d’effets durables sur
la socialisation des futures générations.

4. L’école, en tant qu’institution où se jouent des formes de relations sociales, repose sur
un énorme travail d’objectivisation et de codification. Elle est le lieu d’apprentissage
des formes d’exercice du pouvoir.

5. Pour accéder à n’importe quel type de savoir scolaire, la maîtrise de la « langue


écrite » est nécessaire (Vincent, Lahire & Thin, 1994)

Il est également important de souligner deux avantages majeurs de la forme scolaire. Tout
d’abord, sa standardisation (durée, organisation de l’espace scolaire, curriculum, formation des
enseignants, diplômes) rend possible sa généralisation sur l’ensemble d’un territoire national et
son usage au service de l’État-nation pour façonner les futurs citoyens dans un même moule
culturel et politique. Ensuite, grâce aux savoirs diffusés à l’école, il est possible d’envisager
des changements sociaux, technologiques et scientifiques majeurs. Par exemple, la transition
démographique et l’amélioration de l’hygiène sont des phénomènes sociaux en lien étroit avec
la scolarisation. Ainsi, l’école est l’une des institutions clefs nécessaires à l’amélioration du
niveau de vie et au développement socioéconomique.

Cependant, il est utile d’observer que des savoirs peuvent s’acquérir en dehors de la forme
scolaire, dans des contextes très variés. Nunes, Schliemann et Carraher (1993) ont par exemple
observé que des petits vendeurs de fruits sur les marchés du Brésil avaient plus de facilité
à résoudre des problèmes de calcul (du type : combien coûtent dix ananas à 35 cruzeiros)
dans une situation naturelle qu’au sein de la forme scolaire plus artificielle. Alors que 98 % des
calculs des enfants étaient justes au marché, ils ne réussissaient qu’à 73 % quand les calculs
étaient présentés sous forme de problème à résoudre, et seulement à 37 % quand ils devaient
faire l’opération hors contexte, dans le modèle scolaire traditionnel. Il est donc salutaire de
s’interroger sur l’efficacité pédagogique de la forme scolaire et de reconnaître la légitimité des
savoirs acquis à l’école et en dehors (Resnick, 1987).

La construction figée du modèle scolaire de socialisation de l’enfant avec ses cinq éléments
(univers séparé, pédagogisation des relations sociales d’apprentissage, codification des
pratiques pédagogiques, exercice du pouvoir, langue écrite) constitue un puissant frein aux
transformations actuelles de notre société :

22
Chapitre 1 - Caractéristiques de la forme scolaire et alternatives pédagogiques du Sud

PARTIE I : Pédagogies


Il est grand temps de réinterroger une école dont la forme a été principalement
construite au 19ème siècle lors de la révolution industrielle. Nous vivons une nouvelle
forme d’industrialisation qui touche non plus seulement les biens matériels, mais
aussi les biens intellectuels et culturels, et qui s’accompagne d’une marchandisation
de l’éducation. Le système scolaire que nous connaissons est issu d’une volonté
de « professionnaliser la transmission » dans le cadre d’une massification et d’une
industrialisation. Aujourd’hui, dans une société de compétition individualiste, les
particularismes vont à l’encontre d’un rêve d’homogénéité de l’action éducative. La
déferlante des usages du numérique dans toutes les couches de la société risque, si l’on
n’y prend garde, de marginaliser progressivement les institutions éducatives locales,
nationales, au profit d’un système déréglementé et marchandisé. Chacun se retrouverait
ainsi de plus en plus isolé face aux besoins d’accès aux savoirs.

(Devauchelle, 2015, p. 15)

La forme scolaire se caractérise par « la création d’un espace-temps spécifiquement consacré à
l’apprentissage, séparé des pratiques sociales auxquelles il est censé préparer ». Sous cet angle,
l’école représente un mode artificiel qui distingue le moment de l’action « authentique » et celui
de la « formation ». Comme le mentionnent (Maulini & Perrenoud, 2005) « la forme scolaire
anticipe, codifie et planifie les apprentissages visés tout en imposant des contraintes et des
règles de fonctionnement basées sur l’asymétrie entre l’instructeur et l’instruit » (Maulini &
Perrenoud, 2005, p. 147). Par ailleurs, dans ce mode d’enseignement, l’apprentissage devient un
élément d’une organisation méthodique, créant un rapport de force car il confère à l’enseignant
une autorité de contrôle et de sanction qui transforment l’éducation en un « jeu conflictuel »
(Maulini & Perrenoud, 2005). Dans bien des cas, la forme scolaire protège également certains
enfants soumis dans leur milieu familial à des conditions de vie difficiles.

Par le biais de la forme scolaire, l’enseignement devient un processus de transmission d’un


corpus d’informations, de connaissances et de compétences prédéfinies, contrôlé par un
système d’évaluation et d’examens. Ce modèle s’est imposé par rapport aux traditions
éducatives anciennes des cultures confucéenne, bouddhiste, hindoue, chrétienne islamique et
bien d’autres, dont la principale préoccupation était une éducation éthique et morale fondée
sur la lecture et la discussion de textes classiques. Cette évolution signale aussi le triomphe de
la tradition de l’enseignement libéral occidental axé sur la transmission aux élèves de diverses
formes de savoirs issues des disciplines scolaires. Cependant, la « modernisation » de l’éducation
par le biais de la forme scolaire ne constitue en aucun cas un processus progressif, linéaire et
cohérent (Deng, 2011). La forme scolaire, déjà contestée par Illich (1971) ou Rogers (1970) et
remise en question par l’actuelle révolution numérique, est familière des soubresauts qu’elle
connaît actuellement.

23
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

S’il est indispensable de reconnaître les multiples bienfaits de la forme scolaire, qui découlent
entre autres de l’universalisation de son caractère obligatoire dans le monde, il n’en demeure
pas moins utile de chercher à la rénover et à la repenser à la lumière des pédagogies et des
pédagogues du Sud qui ont été longtemps passés sous silence par les sciences de l’éducation.

4. Alternatives pédagogiques du Sud


Dans l’histoire de l’éducation, la scolarisation est une invention relativement récente. Pendant la
période prémoderne et préindustrielle, l’éducation se faisait à travers de nombreuses pratiques
sociales, autour d’un tuteur, d’un colloque, d’un livre, d’un monastère, d’une madrassa, d’une
chaire (Sefton-Green & Erstad, 2018). L’anthropologue Lancy (2016) affirme que l’enseignement
n’est pas un moyen naturel pour favoriser l’apprentissage, il était même extrêmement rare et
ne semblait pas adapté à l’inventaire des compétences essentielles à la survie des cultures.
Dans les ethnothéories parentales sur la « bonne » éducation des enfants, l’enseignement était
spécifiquement interdit – il était même réputé nuisible. Tandis que les normes occidentales
contemporaines prônent un apprentissage organisé de haut en bas, censé être réalisé par
le transfert de connaissances d’experts (enseignants) à des novices (élèves), l’observation
ethnographique montre une tendance ascendante inverse, avec un apprentissage auto-initié et
autodirigé, fondé sur l’observation et la participation progressive à la pratique communautaire.

L’anthropologie montre ainsi depuis longtemps que chaque société humaine met en œuvre ses
propres processus locaux de production de la personne éduquée. Elle distingue les individus
selon leur maîtrise des différents savoirs jugés utiles pour la communauté. Le développement
de la forme scolaire et son institutionnalisation ont cependant placé l’apprenant face à une
série de contradictions et d’ambiguïtés. D’une part, l’école est utilisée par l’État et par les classes
dominantes comme moyen de domestiquer les esprits et de produire des effets désirables
chez les citoyens. D’autre part, l’apprenant peut se trouver tiraillé entre les valeurs, les finalités
et les instruments promus par l’école, et ceux de son milieu familial et socioculturel d’origine
(Levinson, 1996). Il est par conséquent important de réfléchir sur les alternatives pédagogiques
externes et parallèles à la forme scolaire historique et occidentale.

Contrairement à Paulo Freire (Freire, 1969) qui estime que toute forme scolaire a pour objectif
une domestication ou une émancipation, il semble important de souligner qu’alors même que
l’intention des promoteurs de la forme scolaire dans un contexte colonial était de domestiquer
les apprenants locaux et de les dominer, ce projet n’a pas toujours été couronné de succès. Si
l’on se réfère au continent africain et aux auteurs présentés dans cet ouvrage, des personnalités
engagées qui ont joué un rôle important dans le processus des Indépendances (par exemple :
Julius Nyerere, Cheik Anta Diop, Joseph Ki-Zerbo) avaient été exposées à la fois à une éducation
autochtone familiale et coutumière, et à une éducation dispensée par l’ancienne puissance
coloniale. C’est cette dernière qui leur a permis, dans une certaine mesure, d’accéder à une sorte
d’émancipation sitôt qu’ils ont été à même de se l’approprier.

24
Chapitre 1 - Caractéristiques de la forme scolaire et alternatives pédagogiques du Sud

L’ expression « pédagogies et pédagogues du Sud » ou « alternatives pédagogiques du Sud »

PARTIE I : Pédagogies


est utilisée pour désigner des approches pédagogiques et des pédagogues dont la forme
scolaire contemporaine dominante (occidentale) et le champ des sciences de l’éducation n’ont
guère connaissance5. Dans le titre d’un ouvrage consacré à ce thème, le terme provocateur de
« monde majoritaire » a été volontairement utilisé pour mettre en évidence le fait que l’Europe
et l’Amérique du Nord constituent dans le monde actuel une minorité démographique (Dasen
& Akkari, 2008). Le terme « Sud » renvoie aux pays du Tiers-Monde, aux pays du Sud, aux pays en
développement, aux pays émergents, aux contextes postcoloniaux et autochtones, etc.

L’idée du « Sud Global » qui a remplacé le terme « Tiers-Monde » exprime l’effondrement


de la division tripartite de l’ère de la guerre froide, dans laquelle il y avait deux paradigmes
idéologiques majeurs (Est-Ouest) pour configurer l’économie politique de la modernité, chacun
avec ses autres espaces « moins développés » (Tiers-Monde) (Comaroff & Comaroff, 2015). À l’ère
du capitalisme néolibéral globalisé, la mesure de la modernisation, y compris éducative, est plus
complexe. Comaroff et Comaroff (2015) estiment à juste titre que le dénominateur commun
parmi les pays faisant partie du Sud Global très diversifié est probablement leur statut ancien de
colonies ou de protectorats de certains pays du « North Global ».

Aussi bien au Nord qu’au Sud, la pédagogie peut se définir comme étant l’acte d’éduquer
et d’enseigner un discours, mais aussi les connaissances, les idées et les valeurs qui
l’accompagnent. L’analyse de ce discours nécessite à la fois que l’on s’intéresse à la culture, aux
valeurs et aux idées aux niveaux de la classe, de l’école et du système (Alexander, 2009). L’idée
qu’il est temps de s’intéresser sérieusement aux pédagogies du Sud se fonde sur le constat que
les cultures influencent nos orientations éducatives et pédagogiques. Houssaye (1988) estime
ainsi que :

La situation pédagogique peut être définie comme un triangle composé de trois


éléments, le savoir, le professeur et les élèves, dont deux se constituent comme sujets
tandis que le troisième doit accepter la place du mort ou, à défaut,
se mettre à faire le fou. (...) Toute pédagogie est articulée sur la relation privilégiée entre
deux des trois éléments et l’exclusion du troisième avec qui cependant chaque élément
doit maintenir des contacts. Changer de pédagogie revient à changer de relation de
base, soit de processus. 
 
(Jean Houssaye, p. 102)

5 Tout en reconnaissant l’intérêt des pédagogies non directives et alternatives expérimentées essentiellement
dans les pays du Nord, les auteurs de cet ouvrage ne les abordent pas et renvoient le lecteur aux nombreuses
publications qui leur ont été consacrées (Avanzini, 1975 ; Fournier, 2007 ; Ottavi, 2007 ; Reuter, 2007)

25
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

La culture est au cœur de ces trois éléments constitutifs de toute situation pédagogique. En
effet, le savoir, de la même manière que l’apprenant ou l’éducateur, est ancré dans un héritage
culturel. La manière d’organiser les processus « d’enseignement », « d’apprentissage » et
« de formation » est également culturellement située. C’est une approche intraculturelle de la
pédagogie qui permet non seulement de mieux comprendre sa propre histoire culturelle et
pédagogique, mais aussi de « dévoiler sa propre dette envers les autres cultures et civilisations »
(Bin Mussallam &. Jobin, 2018). Comparativement à la forme scolaire qui isole l’enfant de sa
famille et de sa communauté pour le placer dans un espace scolaire fermé sur l’extérieur,
les pédagogies du Sud peuvent être considérées comme des pédagogies privilégiant des
contextes authentiques d’apprentissage où la cognition est située dans le cadre de relations
sociales et interculturelles.

En conclusion de ce chapitre, il paraît important de soustraire à l’hégémonie de la forme


scolaire la réflexion sur l’éducation et la pédagogie. À ce propos, les pédagogies alternatives du
Sud réhabilitent tout à la fois l’approche socioculturelle de l’apprentissage et l’apprentissage
informel et non formel. L’approche socioculturelle suggère une conception de l’apprentissage
évoluant dans le cadre de processus culturels et historiques, tels que définis par Cole (1996)
dans son ouvrage sur la psychologie culturelle. D’autres auteurs utilisent la notion de « cognition
quotidienne » (Rogoff & Lave 1984) et de communautés de pratique (Lave & Wenger 1991).
L’apprentissage informel n’est pas clairement défini dans la littérature scientifique qui le
caractérise comme représentant des méthodes d’apprentissage qui ne sont pas formelles
(Rogoff et al. 2016). La principale difficulté, face à cette définition de l’apprentissage informel,
tient au fait qu’il est souvent considéré comme acquis et que les individus ne semblent pas
devoir déployer de grands efforts pour apprendre dans ce contexte, comme par exemple
lorsqu’un enfant apprend sa langue maternelle. Dans le cadre d’un apprentissage informel,
Rogoff et al. (2016) estiment que la manière dont l’apprentissage est organisé et accompagné
a plus d’importance que le lieu de l’apprentissage : les écoles peuvent être organisées de
manière informelle et de nombreuses institutions autres que scolaires appliquent un modèle
d’enseignement standardisé inspiré de la forme scolaire. L’apprentissage informel présente
certaines caractéristiques communes dans différents contextes, puisqu’il est non didactique,
intégré dans une activité significative, s’appuie sur les connaissances, l’intérêt, le choix et
l’initiative de l’apprenant (plutôt que résultant d’exigences externes) et ne donne pas lieu à une
évaluation externe à l’activité d’apprentissage (Rogoff et al. 2016).
Les alternatives pédagogiques du Sud rappellent donc la nécessité d’établir une connexion
entre apprentissage et culture dans une perspective comparée et décoloniale (Panait, 2018).
Comme l’observe Sternberg (2007), les liens entre apprentissage et culture sont multiples :

3 L’évaluation même des performances cognitives et éducatives affecte ces


performances de manière différenciée selon les cultures.

3 Les individus de différentes cultures peuvent penser les concepts et les problèmes de
différentes manières.

26
Chapitre 1 - Caractéristiques de la forme scolaire et alternatives pédagogiques du Sud

3 Un comportement considéré comme désirable (intelligent) dans une culture peut

PARTIE I : Pédagogies


être considéré comme moins intelligent, ou même déplacé dans une autre.

3 Les élèves réussissent mieux les évaluations lorsque le matériel servant à leur
évaluation leur est familier et porteur de sens.

3 Les enfants peuvent développer des compétences contextuellement importantes


aux dépens des compétences académiques. Ainsi, ils ont peut-être développé des
compétences d’adaptation qui sont importantes dans leur environnement, mais
que les enseignants ne considèrent pas comme faisant partie de « l’intelligence » (ou
comme un élément important de l’apprentissage).

3 Lorsque les enfants apprennent de manière culturellement pertinente, leurs


performances augmentent.

Enfin, il est important de clarifier notre positionnement par rapport à la forme scolaire analysée
dans ce chapitre. Notre critique de la forme scolaire ne signifie pas que nous la rejetons ou que
nous appelons à son abolition. Au contraire, nous estimons qu’elle a globalement fait progresser
la plupart des habitants de la planète en termes de littératie, de citoyenneté, d’ouverture
d’esprit et de compétences utiles pour le monde de travail. Nous ne nous situons pas dans la
mouvance d’auteurs tels qu’Illich ou même Freire, pour affirmer qu’elle ne sert à rien ou qu’elle
n’est que le reflet d’une société inégalitaire. La critique de la forme scolaire vise à la rendre plus
pertinente, par l’incorporation d’alternatives pédagogiques différentes de la pédagogie scolaire
habituelle. Les alternatives pédagogiques du Sud ne sont pas mises en valeur dans cet ouvrage,
dans le but d’en faire une alternative totale et radicale à la forme scolaire, mais pour permettre
à cette dernière de réfléchir sur le rôle qu’elle a joué dans la colonisation de certains peuples,
de se rénover sur le plan pédagogique, de repenser ses certitudes et de proposer une aventure
intellectuelle attractive pour les nouvelles générations de jeunes attirés par d’autres activités
significatives.

27
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Chapitre 2
Savoirs autochtones :
sagesses ancestrales
et actualité

28
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

Les savoirs autochtones représentent un héritage

PARTIE I : Pédagogies


pédagogique riche de possibilités pour repenser la pédagogie
et l’éducation au 21ème siècle. La première partie du chapitre
est consacrée à la définition des savoirs autochtones. La
deuxième et la troisième parties portent sur l’examen de leurs
caractéristiques et de leur pertinence actuelle. La quatrième
partie offre des pistes pour la prise en compte des savoirs
autochtones à l’école. Dans la cinquième partie, sera présenté
le concept de « bien vivir » issu de la renaissance pédagogique
des peuples autochtones d’Amérique latine, qui est une
illustration de la richesse épistémologique et de la valeur
actuelle des alternatives pédagogiques du Sud. La sixième
partie analyse les liens conflictuels entre la forme scolaire et
certains peuples autochtones.

1. Définir les savoirs autochtones


Avant de définir la notion de savoir autochtone, il est utile de problématiser les différents termes
qui sont utilisés pour les appréhender dans la littérature et dans les politiques éducatives.
Observons d’emblée que le terme couramment utilisé en anglais, indigenous (indigène) est
porteur de connotations très différentes selon les régions du monde. Il est revendiqué en
tant que tel en Amérique latine dans le contexte de la renaissance politique des cultures
amérindiennes. Il est aussi largement utilisé en Amérique du Nord et en Australie. En Afrique, par
contre, il est moins utilisé, notamment du fait de l’acception qu’il a prise à l’époque coloniale.
L’indigène était synonyme de dominé, d’individu jouissant de droits limités et parfois astreint au
travail forcé (Bayart, 2008). Les savoirs autochtones, aborigènes, endogènes, traditionnels ou locaux
sont des expressions également utilisées dans la littérature et dans les politiques publiques.

Il convient de préciser que dans certains contextes, notamment en Afrique, la notion de savoirs
traditionnels est porteuse d’une connotation négative et que certains spécialistes de l’éducation
proposent comme alternative la notion de savoirs endogènes (Devisch, 2003). Hountondji (1994)
les définit comme « une connaissance vécue par une société comme partie intégrante de son
héritage, par opposition aux savoirs exogènes qui sont encore perçus, à ce stade au moins,
comme des éléments d’un autre système de valeurs » (p. 15).

29
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

En Australie, c’est le terme savoirs aborigènes qui est le plus connu. En Amérique du Nord et
plus particulièrement au Canada, le terme savoirs autochtones est le plus utilisé. Ces savoirs
englobent les connaissances, les savoir-faire et les philosophies développés par des sociétés
ayant une interaction de longue date avec leur environnement naturel et une connaissance
approfondie de leur espace territorial. L’utilisation de termes tels que peuples premiers ou
Premières Nations nous rappelle qu’à l’origine, nous avons tous été (quel que soit le niveau
d’avancement technique ou scientifique actuel) des peuples autochtones et animistes.

Afin d’utiliser un terme susceptible d’être recevable dans différentes régions du monde, nous
optons dans ce chapitre pour le terme « savoirs autochtones » même si nous reconnaissons
que dans le contexte de l’Amérique Latine, les peuples indignes réclament l’usage intensif du
mot indigène dans le cadre de leur combat pour retrouver le respect, la dignité et leur identité
nationale.

Les savoirs autochtones sont donc à l’origine des savoirs marqués et façonnés par l’expérience
ancestrale et la proximité avec la terre et la nature. Les communautés qui ont enduré la
colonisation et l’oppression ont une relation particulière avec leur environnement naturel et
social (McCoy, Tuck & McKenzie, 2017). Ce sont aussi des savoirs qui sont portés à la fois par les
individus et par la communauté, cette dernière mettant généralement en œuvre une pédagogie
fondée sur le partage de pratiques communautaires autour de savoirs porteurs de sens qui
assurent la survie et la prospérité du groupe. L’idée d’un individu pédagogue ou d’un maître
détenteur de savoirs n’est pas réellement présente chez les peuples autochtones et c’est pour
cette raison qu’il faut plutôt parler de pédagogies autochtones que de pédagogues autochtones.
Ce point illustré par des exemples dans le développement de ce chapitre.

2. Caractéristiques des savoirs autochtones


Il convient en premier lieu d’expliciter les savoirs autochtones par la compréhension des
épistémologies autochtones (comment la connaissance peut être construite ?) et des
pédagogies autochtones (comment transmettre la connaissance ?). Même s’il l’on dénombre sur
la planète une grande diversité de peuples autochtones, les spécialistes de la question ont noté,
entre les sociétés autochtones du monde entier, des similitudes notables dans leur manière de
concevoir l’éducation et la pédagogie (Asma-na-hi, Mason, Palahicky et Rodriguez de France,
2018 ; Augustus, 2015).

Les aspects clés des épistémologies autochtones sont (1) la relationnalité, (2) l’interconnexion
entre le sacré et le profane et (3) l’holisme.

La relationnalité est le concept selon lequel nous sommes tous liés les uns aux autres, à notre
milieu naturel et au monde spirituel dans le cadre de relations génératrices d’interdépendances.
Les concepteurs de programmes éducatifs peuvent appliquer le concept de relationnalité en
créant des opportunités d’apprentissage qui mettent l’accent sur un apprentissage s’effectuant
sur un mode relationnel avec les autres apprenants, les enseignants, les familles, les membres
de la communauté et les terres locales. Les pédagogies autochtones sont avant tout des
pédagogies de la relation et de l’action concrète :
30
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

PARTIE I : Pédagogies


En nouant des relations respectueuses avec les gardiens du savoir, nous aurons
un point de départ, car ils représentent une ressource précieuse pour valider notre
apprentissage. En nous engageant dans ce voyage d’apprentissage, nous devons inclure
les communautés locales et les gardiens du savoir dans l’élaboration de la vision, la mise
en œuvre et l’évaluation du travail éducatif autochtone. C’est une relation, et il faudra du
temps pour la cultiver et la développer (…) Il est important d’intégrer l’établissement de
relations dans le processus, et pas seulement en tant que précurseur.
 
(Restoule & Chaw-win-is., 2017, p. 11)

En tant que concept majeur des savoirs autochtones, la relationnalité a nécessairement des
conséquences concrètes sur le rapport pédagogique. C’est ainsi que dans l’organisation des
dispositifs d’apprentissage, la concurrence entre les individus est remplacée par la collaboration.
La forme scolaire inclut aussi des relations, mais celles-ci ne possèdent pas le même statut que
dans la pédagogie autochtone. En effet, à l’école, ce sont les notes et la concurrence entre les
individus qui sont déterminantes, les relations n’ayant qu’une valeur transitionnelle.

Par ailleurs, les épistémologies autochtones sont enracinées dans des visions du monde qui
intègrent le sacré et le profane. Dans cette conception, le monde existe dans une réalité
composée d’un maillage indissociable de dimensions profanes et sacrées (Hoffman, 2013).
Dans les approches éducatives occidentales, la spiritualité est souvent considérée comme
un sujet tabou en classe, ou relevant de la sphère privée. Dans une approche autochtone, les
dimensions spirituelles ne peuvent être séparées des dimensions séculières et la spiritualité est
une composante nécessaire de l’apprentissage (Asma-na-hi, Mason, Palahicky & Rodriguez de
France, 2018).

Enfin, le principe d’holisme constitue le troisième élément central des épistémologies


autochtones, mettant en avant la nécessité d’une vision globale et contextualisée du savoir
autochtone. Blackstock (2007) Haut du formulairea identifié quatre dimensions interconnectées
du savoir que l’on retrouve couramment dans les épistémologies autochtones (émotionnelle,
spirituelle, cognitive et physique) et qui sont informées par le savoir ancestral transmis aux
générations suivantes. Ces dimensions recouvrent partiellement celles qui ont été retenues,
par exemple par l’UNESCO (2015) dans la définition de l’éducation à la citoyenneté mondiale :
cognitive, socio-affective et comportementale. Le holisme des populations autochtones intègre
dans une même équation la compréhension de soi et la relation de l’individu à la communauté,
aux autres êtres vivants, à la Terre et au divin (Morcom, 2017).

Selon Asma-na-hi et al. (2018), les pédagogies autochtones présentent les caractéristiques
suivantes : personnelles et holistiques, expérientielles, situées et intergénérationnelles. À
son tour, Tunison (2007) estime que l’esprit d’apprentissage est un concept qui émerge de
l’exploration des relations complexes existant entre l’apprenant et son parcours d’apprentissage.
Par conséquent, le manque d’identité, l’absence de possibilité de s’exprimer et la faible estime
de soi peuvent nuire à l’esprit d’apprentissage. Dans le cas des pédagogies autochtones,

31
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

celles-ci utilisent des savoirs provenant de sources multiples : savoir personnel, savoir collectif
(communautaire), savoir oral, savoir artistique, savoir mystique etc. favorisant ainsi un esprit
d’apprentissage positif.

Il a donc été tenté d’identifier les caractéristiques des savoirs autochtones, lesquels peuvent
être considérés comme relevant d’un système relationnel intégré dans la vie sociale et la nature.
Leur transmission s’effectue entre les générations, sur un mode oral. C’est ainsi que les adultes
détenteurs des savoirs les partagent avec les jeunes générations, par le biais du tutorat et d’un
accompagnement. Ces savoirs contribuent à la résilience des sociétés autochtones et des
communautés locales partout dans le monde (UNESCO, 2014).

3. Pertinence actuelle des savoirs autochtones


Plusieurs raisons nous incitent à nous intéresser aux savoirs et aux pédagogies autochtones au
21ème siècle.

En premier lieu, il est intéressant d’opérer une décentration par rapport aux savoirs qui nous
sont familiers. Nos savoirs dits modernes, scientifiques, rationnels, cartésiens ou logiques
se distinguent des savoirs autochtones selon les axes de contrastes mis en évidence par
Peat (1996). A l’expérimentation, la causalité et l’uniformité omniprésentes dans l’approche
occidentale de la science, les peuples autochtones proposent la spiritualité, le rôle de l’humain
et l’importance des esprits visibles et invisibles. :

La science (ou la connaissance) peut ainsi être considérée comme représentant le travail
d’élaboration, de conceptualisation, de diffusion et de construction des savoirs qu’une société
(communauté) met en œuvre pour trouver des solutions à ses problèmes économiques et
socioculturels.

En second lieu, malgré le dédain dont ils ont fait l’objet jusqu’à ces dernières décennies, les
savoirs autochtones de différents domaines intéressent maintenant de nombreux acteurs
et ils sont désormais respectés dans des secteurs aussi divers que la médecine, l’écologie, la
botanique, l’agriculture et bien d’autres (Koocheki, 2003 ; Nyong et al., 2007 ; Sheng-Ji, 2001 ;
Mihale et al., 2009). Il n’y a qu’en matière de pédagogie et d’éducation qu’ils restent relativement
marginalisés. Chez les peuples autochtones, les usages des plantes et des animaux ont des
niveaux élevés de sophistication fondés sur des siècles d’observation et de systématisation. Il est
intéressant de contraster l’ampleur de ces savoirs écologiques avec les connaissances limitées
de leur environnement naturel que possèdent les jeunes générations d’aujourd’hui.

Dans son livre La Pensée sauvage, l’anthropologue Lévi-Strauss (1962) parle des savoirs indigènes
qu’il qualifie également de pensée mythique. Il met en évidence l’étendue du savoir local :

3 Un seul informateur Séminole (population amérindienne) est capable d’identifier


deux cent cinquante espèces et variétés végétales

3 Les indiens Hopi connaissent trois cent cinquante plantes,

32
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

3 Les Navaho en connaissent plus de cinq cents,

PARTIE I : Pédagogies


3 Les Subanun des Philippines ont à leur disposition un lexique de plus de mille termes
botaniques,

3 Les Hanunóo, près de deux mille.

La problématique environnementale, cruciale pour l’avenir de l’humanité, a sûrement joué un


rôle majeur dans ce regain de crédibilité des savoirs autochtones. En effet, ces savoirs qui sont
fondés sur un mode de vie respectueux de l’environnement sont l’une des clefs de l’avenir de
l’humanité et ils méritent donc qu’on leur fasse une place dans toutes les institutions éducatives.
Les Amérindiens considèrent la terre comme la « Pachamama », c’est-à-dire la « Terre-mère »,
une conception du monde qui les encourage à vivre en harmonie et en symbiose avec la
nature. À l’inverse, la vision économique néo-libérale que partage un nombre croissant de
sociétés à cause de l’expérience de la colonisation, de la modernisation et du développement
économique, considère que le monde est un espace à conquérir, même au prix d’une
consommation intensive et irréfléchie des ressources naturelles ou humaines, puisque l’espace
marchand ou technologique doit subvenir aux besoins d’accumulation individuelle de richesse
plutôt qu’à ceux de la collectivité ou de l’humanité.

En matière de santé, Jared Diamond (2016) observe que la plupart des décès enregistrés en
Occident sont maintenant dus à des maladies non transmissibles telles que le diabète, le cancer,
la maladie d’Alzheimer ou les maladies cardio-vasculaires, des pathologies dont la prévalence
est extrêmement faible en Nouvelle-Guinée, un phénomène qu’il attribue au mode de vie
local. Pour ce qui est d’Alzheimer, son attention a été attirée par la publication d’une étude
canadienne « affirmant que l’apparition des symptômes de cette pathologie neurodégénérative
est retardée de cinq ans chez les bilingues. En effet, la Nouvelle-Guinée est riche de plusieurs
milliers de langues et du fait de leurs interactions sociales, les habitants de ces sociétés
traditionnelles parlent de cinq à 15 langues ». Pour Jared Diamond, « les processus cérébraux
à l’œuvre dans un contexte multilingue équivaudraient à un renforcement neurologique »
capable de prévenir des maladies comme Alzheimer. Dans nos modes de vie modernes, il existe
probablement d’autres mécanismes de renforcement neurologique.

En troisième lieu, la crise des institutions scolaires contemporaines et les rapports distanciés
qu’ont les jeunes générations avec l’école doivent nous inciter à explorer d’autres manières
d’apprendre et de transmettre. Il ne s’agit pas de plaider en faveur d’une adoption intégrale
de la philosophie des savoirs autochtones dans la transmission de nos savoirs scolaires
ou universitaires, mais de nous inspirer de certaines de leurs caractéristiques, tels que la
relationnalité, les liens entre savoirs et apprenants, les liens entre l’affectif et le cognitif, le
partage des savoirs, pour repenser les curricula et les systèmes éducatifs contemporains (Michie,
1999). En somme, il s’agit de réfléchir à propos des savoirs autochtones, et de concert avec eux,
pour poser un regard neuf sur nos institutions éducatives contemporaines.

Nakata (2007) nous met cependant en garde contre la tentation de présenter les savoirs
autochtones d’une manière qui les désincarne et les dissocie des individus qui en sont porteurs.

33
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Lorsque les « connaisseurs » de ces savoirs sont dissociés de ce qui devient « le savoir », les
savoirs autochtones se trouvent coupés de leur environnement et des institutions sociales qui
sous-tendent leur autorité. Les savoirs autochtones et leurs significations sont ancrés dans l’ici et
maintenant, ce qui en fait un savoir contextuel par excellence.

La tension entre la connaissance occidentale et la connaissance autochtone trouve son


origine dans la forme scolaire historique et dans ses principes univoques de « raison » et de
« rationalité » qui contrastent fortement avec le savoir autochtone, holistique, contextuel et
spirituel, où les apprentissages s’effectuent dans des conditions de réciprocité, d’interconnexion
entre les individus, la nature et la terre (Brown, 2010 ; Acton, Salter, Lenoy et Stevenson, 2017 ;
Dreamson, 2019).

La même tension entre la connaissance occidentale et les savoirs locaux a pu être constatée en
Afrique. En particulier avec la venue de l’école coloniale, l’éducation autochtone s’est doublée en
Afrique d’une autre source de savoir qui présente l’avantage supplémentaire de s’appuyer sur la
puissance de la culture de l’écrit. C’est ainsi que sont apparus au sein des sociétés africaines des
rapports antagonistes qui opposent l’éducation « ancienne » et la scolarisation et la formation
« modernes », qui perdurent jusqu’à ce jour (Moumouni, 1964 ; Sawadogo, 2003).

Ganeri (2017) analyse la structure de la connaissance produite dans les sociétés européennes
et propose une alternative originale amenant à un pluralisme épistémique. Dans les sociétés
européennes, la connaissance est souvent représentée comme un arbre avec seul tronc (le
centre) avec des branches se déployant vers l’extérieur, vers des périphéries éloignées. L’image
de cet arbre de la connaissance est profondément ancrée dans les schémas de pensée
européens et a pour conséquence que chaque forme de savoir a été organisée en un modèle
« centre-périphérie ». Ganeri (2017) propose une métaphore alternative. Plutôt que l’arbre
fruitier européen avec son tronc unique, la connaissance devrait être représentée comme un
figuier des banians, dans lequel une multiplicité de racines aériennes soutient un système
organique sans centre. L’arbre de la connaissance a une pluralité de racines et les structures de
la connaissance sont multipliées par la terre. Le corps de la connaissance est un tout organique
unique, dont aucune partie n’est plus ou moins dispensable que toute autre. L’image de la
connaissance comme « banian » encourage un modèle épistémique alternatif et pluriel.

4. Comment prendre en compte les savoirs autochtones à l’école


Il est utile de s’interroger sur les possibilités d’une prise en compte des savoirs autochtones
dans le contexte de l’école contemporaine. Deux cas de figure peuvent se présenter. Dans
certains contextes, les peuples autochtones sont encore présents sur des territoires plus ou
moins protégés dans le cadre d’un État-nation qui, le plus souvent, s’efforce de les intégrer de
gré ou de force au sein de la communauté nationale par le biais de la scolarisation et de la mise
en valeur économique de leur environnement. Dans d’autres contextes, il n’y a pas de peuples
autochtones représentés à l’école et dans leur environnement socioculturel. Il n’en demeure
pas moins possible de prendre en compte les savoirs autochtones, du fait de leur haute valeur

34
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

ajoutée dans les domaines de la pédagogie, de la philosophie et de l’écologie.

PARTIE I : Pédagogies


Dans le premier cas de figure, on peut tenter d’intégrer les savoirs autochtones dans le
curriculum. Selon Allen (1997), trois modèles sont alors envisageables. Le premier modèle
(culturellement sensible) consiste à modifier le curriculum standard national pour y incorporer
certains savoirs locaux, en tenant compte des savoirs préalables des élèves, l’idée centrale de ce
modèle étant d’éviter les conflits culturels et de permettre à la communauté locale d’adopter
le curriculum officiel national moyennant quelques ajustements. Le deuxième modèle
(culturellement enrichi) consiste à compléter le curriculum standard par des éléments culturels
locaux (arts, histoire, littérature). Certains membres de la communauté viennent par exemple
faire des exposés à l’école. Le troisième modèle (culturellement immergé) consiste à construire
la totalité du curriculum scolaire au niveau local, en y incorporant des éléments exogènes, et
ce modèle implique la communauté locale à tous les niveaux de l’instruction et du curriculum.
En cas de transition du modèle 1 au modèle 3, l’enseignant n’a plus le rôle du planificateur qui
est le seul à guider l’essentiel de l’instruction, il assume alors un rôle de co-apprenant et de co-
constructeur des savoirs scolaires, avec ses élèves et avec la communauté locale.

Au Pérou, l’élaboration et la mise en place par les enseignants d’un calendrier communal
(Calendario Communal) a permis d’établir un lien entre les activités et les célébrations des
communautés Quechua, et les apprentissages réalisés en classe, rendant ainsi possible un
enseignement culturellement adapté (Valdiviezo, 2010). Dans une optique plus engagée,
Trinidad (2014) préconise une pédagogie autochtone, critique et située, autour de trois
composantes : (a) la communauté, qui permet de bâtir des relations sociales et de constituer
un capital social pour la mise en œuvre d’un partenariat, d’assurer la sécurité et la durabilité, (b)
l’individu, pour faciliter l’engagement avec des personnes diverses et la volonté d’améliorer sa
propre vie et (c) la famille (ohana), assurant les liens intergénérationnels.

Engeström, Engeström et Suntio (2002) décrivent la transformation radicale de l’école telle que


cela est décrit dans la Figure 1 ci-dessous. La flèche verticale indique le contraste entre les
problèmes complexes (en haut) et les problèmes spécifiques (en bas). La flèche horizontale
exprime la priorité donnée à l’individu (gauche) et à la communauté (droite).

35
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Figure 1 : La transformation radicale de l’école

4. École de la
2. École axée sur
communauté en
l’élève
développement
(apprentissage
(apprendre en résolvant
individuel à l’intérieur
des problèmes essentiels
de l’école)
de la communauté

3. École basée dans la


1. École traditionnelle
communauté
(apprentissage basé sur
(apprendre à partir du
des textes isolés)
savoir communautaire)


Source : Adapté de Engeström et Suntio (2002), pp.318-324

Il est capital de choisir l’école culturellement adaptée aux peuples autochtones, notamment
en ce qui concerne la langue, les méthodes pédagogiques, les curricula et les savoirs transmis.
L’identité culturelle des enseignants est également essentielle, dans la mesure où ceux-ci
peuvent jouer un rôle de passerelle entre les cultures autochtones et la culture nationale
et scolaire. L’histoire de la pénétration de l’école dans les communautés autochtones va
déterminer leur rapport à l’école, à la classe, aux méthodes pédagogiques, mais il ne faudrait
pas non plus négliger l’indépendance économique et l’autonomie politique des peuples
autochtones. En effet, plus ils disposeront de droits garantis dans ces domaines, plus ils seront
aptes à choisir les savoirs et le type d’école les plus appropriés à leur situation. Il est remarquable
d’observer que dans de nombreux contextes, malgré l’ancienneté de la forme scolaire dans
leur pays, les peuples autochtones continuent de l’appeler « l’école des blancs », « l’école des
colons » et qu’ils l’identifient rarement comme étant leur propre institution.

Revenons maintenant au deuxième cas de figure, celui où les savoirs autochtones sont
enseignés sans que des élèves autochtones soient présents, une solution qui semble malgré
tout réalisable grâce à la créativité de l’enseignant, car les pédagogies autochtones ont leur
utilité dans toutes les écoles (Restoule & Chaw-win-is, 2017). On peut en effet envisager un
projet interdisciplinaire qui mobilise les savoirs locaux. Ce projet d’école peut se combiner
à la visite d’un musée d’arts autochtones ou à la préparation d’un voyage d’étude dans une
communauté autochtone ou ayant les mêmes caractéristiques.

36
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

Pour aller plus loin, les enseignants peuvent adapter la salle de classe à un mode de

PARTIE I : Pédagogies


transmission autochtone, même en l’absence d’élèves autochtones. Cela passe par la mise
en œuvre de méthodes autochtones d’enseignement et d’apprentissage comme la narration
de récits6, la création de cercles de discussion et un apprentissage axé sur le territoire et la
réciprocité. Par exemple, la narration est une méthode d’enseignement très appréciée des
populations autochtones, qui confère à l’apprenant l’autonomie et l’indépendance nécessaires
pour donner tout leur sens aux histoires individuelles et familiales, aux contes et aux récits.
Dans une culture orale, le recours au récit en tant qu’outil permet de mettre en œuvre plusieurs
types de savoirs. Les récits stimulent l’imagination, l’humour et la créativité. Cette méthode
« d’indigénisation pédagogique » de la classe permet aussi le recours à un style d’enseignement
plus axé sur les élèves, leur offrant un espace pour s’exprimer en toute liberté, faire respecter leur
silence ou les encourager à une écoute effective et mutuelle (Restoule & Chaw-win-is., 2017).

Comme l’a mis en évidence Kim (2015), en dépit de la volonté affichée dans les politiques
publiques, les savoirs autochtones peinent à apparaître dans le curriculum scolaire en Ontario
(Canada). Sur ce plan, Kim (2015) propose que l’on distingue 5 stades pour la prise en compte
de ces savoirs :

1. Colonisation : les savoirs autochtones ne sont pas reconnus comme étant des
connaissances valables.
2. Décolonisation : la prise de conscience de la valeur des connaissances autochtones
commence à prendre place dans les débats sur les choix curriculaires.
3. Néo-colonisation : les savoirs autochtones sont intégrés dans les contenus, mais
selon un processus qui mine les valeurs culturelles autochtones (par exemple en
étayant la science occidentale par des savoirs autochtones considérés comme une
ressource).
4. Renaissance : les chercheurs et les éducateurs interrogent les objectifs pour lesquels
les savoirs autochtones sont communiqués, plaident en faveur de leur inclusion et
remettent en question le choix des savoirs autochtones qui ont été inclus ou intégrés
à l’école.

5. Théorisation : les chercheurs et les éducateurs sont plus soucieux de justifier la


revendication de la coexistence de différents discours/savoirs dans les programmes
scolaires et cherchent à résoudre les problèmes ontologiques, axiologiques et
épistémologiques.

Kim (2015) démontre que la situation en Ontario relève du stade 3) Néo-colonisation. Nous
avons donc un long chemin à parcourir avant de parvenir à une véritable reconnaissance
des savoirs autochtones. À ce propos, Acton, Salter, Lenoy et Stevenson (2017) proposent de
valoriser ces savoirs de manière à :

6 La vidéo suivante présente la manière dont un enseignant utilise le comte oral comme outil pédagogique dans sa
classe en France : https://videotheque.cnrs.fr/doc=4095

37
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

3 Expliciter les épistémologies autochtones définies comme des cadres de


connaissance, des valeurs, des manières de connaître et des philosophies distinctes
des éléments concrets de la culture autochtone.

3 Fournir des exemples de pédagogies et de méthodologies d’enseignement


autochtones afin de déterminer comment elles peuvent favoriser la participation des
apprenants aux épistémologies autochtones.

3 Reconnaître qu’il existe des différences, des similitudes et des tensions entre les
cadres de connaissance, les valeurs et les philosophies occidentales et autochtones.

La mise en avant des savoirs autochtones et leur prise en compte dans les systèmes éducatifs
contemporains, allant des politiques publiques à la salle de classe, permettra d’améliorer
la qualité de l’éducation. Cela ne sera possible que si nous faisons en sorte de prendre en
compte les questions sociales, économiques et environnementales locales pour concevoir
des approches pédagogiques appropriées. L’un des fondements premiers d’une éducation de
qualité est son ancrage local et sa capacité à générer un fort sentiment d’appartenance chez les
apprenants. Il est donc essentiel d’associer à ce processus la communauté, les enseignants, les
parents, les leadeurs locaux, c’est-à-dire toutes les parties prenantes.

5. Un concept pédagogique autochtone :


bien vivir/buen vivir/Pachamama
Pour illustrer la fécondité pédagogique des savoirs autochtones, nous allons examiner en
détail le concept du bien vivir (traduit également dans certaines publications par buen vivir
ou Pachamama). Ce concept a un large champ d’application puisque cela peut aller d’une
gestion de la salle de classe axée sur le bien vivir jusqu’à l’examen de l’ensemble d’une politique
éducative ou sociale pour déterminer si elle respecte les orientations promues par ce concept.

Le bien vivir est un concept issu de la résistance anticoloniale des mouvements autochtones


d’Amérique latine. Il représente une tentative de remettre en question le modèle social et
éducatif imposé depuis plus de cinq siècles par la colonialité du pouvoir (Colonialidade do poder)
(Quijano, 2012). Même s’il est plus connu par sa traduction espagnole, le bien vivir est ancré dans
différentes populations autochtones d’Amérique latine.

Chaque culture autochtone apporte sa propre nuance sémantique. Dans le quechua du Nord
du Pérou et de l’Équateur, on s’appelle Allin Kghaway (bien vivir) ou Allin Kghawana (buena
manera de vivir). Dans le quechua du sud de la Bolivie, c’est le Sumac Kawsay (buen vivir) (Quijano,
2012). Le concept est connu sous le nom de Suma Qamaña en aymara et de ñandereqo en
guarani. (Huanacuni, 2010). Le concept du bien vivir donne lieu à des interrogations sur les
alternatives politiques, économiques ou encore éducatives qui permettraient de former la
base d’une société multiculturelle plus juste et plus équitable, dans laquelle la différence
culturelle serait vécue sur un pied d’égalité et dans la dignité (Villagomez et Campos, 2014).
La philosophie du bien vivir est basée sur la conception autochtone de la vie, dans laquelle

38
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

la nature, la communauté et les individus partagent tous la même matière et les mêmes

PARTIE I : Pédagogies


dimensions spirituelles et relationnelles (Guardiola et García-Quero, 2014).

Dans le paradigme du bien vivir, la nature (Terre-mère ou Pachamama) est vue comme un tout
dans lequel les êtres humains et l’environnement sont indissociables, ce qui signifie que tout
dommage fait à l’environnement a un impact négatif sur la vie humaine. La nature a des droits
et une valeur intrinsèque, indépendamment des avantages qu’elle peut procurer aux êtres
humains (Guardiola & García-Quero, 2014 ; Huanacuni, 2010).

Dans cette conception autochtone du monde, ce sont les humains qui appartiennent à la
nature et non l’inverse. Une conception de l’avenir de l’humanité vue comme conforme au bien
vivir implique une révision radicale de nos conceptions de civilisation, de développement et de
modernité. Toute réflexion sur ce concept revient à méditer sur toutes les facettes de la vie :

L’analyse de la racine du concept de vie en guarani, teko, est éclairante. Tekove est la
vie biologique. Le territoire se dit tekoha : le lieu où la vie se réalise. La notion de territoire
est intimement liée à celle de vie. Tekohàra signifie la maison, le lieu où la vie naît, le lieu
où la vie est. De même, pour l’égalité, tekoja, littéralement, la vie qui est égale ; pour la
justice : tekojoja, la vie qui s’égalise, l’absence d’asymétrie. Enfin, le concept de « bien vivre
» se dit teko pora. Cette sémantique est assez semblable chez les Guarani,
les Quechua et les Sumakaori. Ce concept de vie idéale renvoie à une relation complexe
au tout, mais aussi à l’idée de dignité. 

(Lopez, 2015, p. 19)

Les conquêtes coloniales ont déterminé de façon extrêmement puissante l’accès aux
ressources et à l’espace en Amérique latine. Dans les sociétés autochtones qui ont précédé
la colonisation, la terre constituait « un espace collectif inaliénable, composé non seulement
de parcelles défrichées pour l’agriculture, mais aussi d’un terroir indivisible dont les membres
de la communauté tiraient leur subsistance » (Pinton & Grenand, 2007, p. 176). Étant donné
que le modèle colonial ne reconnaissait pas la propriété collective et que toute terre était
susceptible d’être privatisée, le processus colonial a eu concrètement pour effet de déposséder
les autochtones de leur territoire, ainsi que de leur spiritualité et de l’esprit de leurs ancêtres.
L’adoption récente par certains pays d’Amérique latine de Constitutions reconnaissant le
caractère pluriethnique de leur population (Brésil, Colombie, Mexique, Bolivie, Équateur)
constitue une avancée importante dans le sens d’une décolonisation, même si la réalité de
terrain est toujours porteuse de modernité postcoloniale et d’archaïsmes destructeurs de
l’environnement autochtone (Pinton & Grenand, 2007).
Au 21ème siècle, le bien vivir se réfère à l’équité et à l’égalité aussi bien dans les relations
sociales que dans la distribution des ressources, mais c’est aussi la confrontation du critère
d’accumulation capitaliste à celui de distribution, avec une focalisation sur le bien-être et le
bien-agir entre les individus, et sur leurs relations avec la nature (Tapia, 2013). En effet, selon le

39
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

bien vivir, les humains ne sont pas propriétaires de la terre et de ses ressources, ils n’en sont que
des administrateurs provisoires et c’est la raison pour laquelle le bien vivir prône la consommation
collaborative et l’économie de partage fondée sur la solidarité.
La philosophie qui le sous-tend a une double fonction : elle critique la modernité et le
développement, mais elle propose aussi une refondation éthique sur la base des principes
de respect, de réciprocité, de solidarité et de complémentarité entre les individus et les
communautés et avec la « Terre-mère » ou la « Terre nourricière », un concept connu aussi sous
son nom andin de Pachamama, qui peut se définir comme une vie harmonieuse entre les êtres
humains d’une part et d’autre part entre ces derniers et la nature (Audubert, 2017). La défense
de l’environnement est au cœur du concept du bien vivir, l’idée centrale étant de concevoir la
vie de manière : « complémentaire et partager sans concurrence, vivre en harmonie avec les
personnes et avec la nature. C’est la base pour la défense de la nature, de la vie même et de
toute l’humanité. » (Huanacuni Mamani, 2010, p. 21).
Le bien vivir est la revanche des peuples autochtones et la possibilité d’une voie qu’ils ont
ouverte afin de retrouver leurs racines culturelles ancestrales :

 Vivre bien, c’est retrouver le vécu de nos peuples, retrouver la Culture de la Vie et
retrouver notre vie en parfaite harmonie et dans un respect mutuel avec notre terre
mère, avec Pachamama, où tout est VIE, où nous sommes tous uywas, serviteurs de la
nature et du cosmos, où nous faisons tous partie de la nature et il n’y a rien de séparé, où
le vent, les étoiles, les plantes, la pierre, la rosée, les collines, les oiseaux, le puma, sont nos
frères, où la terre est la vie elle-même et la demeure de tous les êtres vivants. 7 

(Choquehuanca, 2011, p.1)

Le Quang (2017) suggère l’existence de trois interprétations différentes en rapport avec le


concept du bien vivir en Amérique latine. La première s’incarne dans le courant « culturaliste
et indigéniste » qui émet une critique radicale de la modernité et de la « colonisation du savoir ».
Ce courant, qui milite en faveur d’un processus de décolonisation totale et d’indépendance
des peuples autochtones par rapport aux États-nations, est parfaitement illustré par le
mouvement zapatiste au Mexique. La deuxième interprétation est celle du courant « écologiste
et post-développementaliste », qui critique la notion de développement et préconise un
développement alternatif pour tous, autochtones comme non- autochtones. La troisième se
rapporte au courant « éco-marxiste et étatiste » qui tente d’actualiser l’utopie socialiste en y
intégrant la problématique de la protection de la nature et de la reconnaissance des droits
ancestraux des peuples autochtones. Les orientations des présidents Morales en Bolivie et
Correa en Équateur incarnent ce troisième courant. Ces trois variantes sont plus ou moins
présentes dans les différents pays latino-américains.

7 Traduction de l’espagnol par les auteurs.

40
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

L’origine « anti-occidentale » et « anti-moderne » du bien vivir est nuancée par certains

PARTIE I : Pédagogies


observateurs, dans la mesure où cette notion a été vulgarisée par des initiatives soutenues par
les organisations internationales de coopération et des ONG européennes (Audubert, 2017).
Même si des liens peuvent être établis entre le concept du bien vivir et le développement
durable, promu notamment par les Objectifs de développement durable pour 2030, leur
comparaison proposée par Sauvé et Orellana (2014) dans le tableau ci-dessous fait apparaître
des divergences importantes au niveau des projets politiques et des conceptions de l’éducation.

Tableau 2 : Caractéristiques contrastées des propositions cosmopolitiques du bien vivir / buen


vivir et du développement durable

Vivir Bien / Buen Vivir Développement durable

Visée Vivre bien : harmonie, vie noble et Vivre mieux


digne

Conception de Communauté de vie Ressource à exploiter


la nature Services à préserver, à valoriser

Temporalité Une écologie du temps, valorisant le Une projection dans l’avenir


rapport entre le passé, le présent et le
futur

Épistémologie Un dialogue de savoirs intégrant Un savoir pragmatique


le savoir traditionnel et le savoir Rôle prédominant des experts
collectivement construit dans Valorisation du savoir scientifique et
l’expérience technologique

Éthique Cosmocentrisme Anthropocentisme

Paradigme Paradigme symbiosynergique Paradigme industriel (centré sur la


sociétal8 (centré sur le réseau personne groupe gestion des ressources et la maîtrise
social nature) des risques)

Rôle de la Principe de pluralisme culturel La culture comme filtre


culture La culture comme mode de rapport au d’interprétation du développement
monde durable, comme condition et contexte
du développement durable

Projet politique Écosocialisme, démocratie Néolibéralisme mondialisé


communautaire, où la nature est Reconnaissance des droits de
également « sujet de droit » l’Homme et recours au droit
international

8 Selon Bertrand et Valois (1992))

41
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Conception de Une éducation communautaire, inscrite Une éducation au service du


l’éducation dans la communauté de vie développement durable
Une responsabilité collective pour Une rationalité pragmatique
favoriser un apprentissage du bien vivre et économique autour du
ensemble huma ins et a utres vivants développement de compétences en
résolution de problèmes et gestion
des ressources

Source : Sauvé, L. & Orellana, I. (2014), pp. 239-258.

La pédagogie du bien vivir peut trouver un ancrage dans différents courants pédagogiques
comme l’éducation interculturelle, les pédagogies visant la transformation sociale, les
pédagogies de la pertinence culturelle et de l’autonomie, ou encore de l’autonomisation, de
la résistance ou de la libération. Comme le mentionnent Villagomez et Campos (2014), ces
pédagogies alternatives nécessitent des pratiques éducatives créatives et innovantes, avec
comme condition indispensable la participation active de toute la communauté éducative, de
la sphère familiale à la sphère politique, en passant par les communautés.
Dans la mesure où le bien vivir souhaite l’émergence et la construction d’une société nouvelle,
le rôle de l’éducation revêt une importance déterminante caractérisée par la centralité de
l’aspect interculturel de l’éducation. D’après Luna (2012), l’éducation basée sur le bien vivir doit
se focaliser sur l’acceptation et la valorisation de la diversité, la pluriculturalité, la multinationalité
et la pratique de l’interculturalité.
L’interculturalité implique un dialogue, un échange et une interaction entre les cultures qui
forment une société donnée, ces cultures se reconnaissant et s’influençant mutuellement tout
en conservant leur autonomie, leur assise et leur légitimité (Tapia, 2010). D’après Bardonnet
(2009), l’interculturalité en éducation répond à une logique de négociation interne entre ce
qui est culturellement endogène et ce qui demeure exogène. L’interculturalité est toujours une
tentative d’articulation sous tension.

C’est ainsi que l’éducation et le bien vivir peuvent agir de manière interdépendante. D’une
part, le droit à l’éducation est une composante essentielle du bien vivir, car elle autorise le
développement des potentialités de chaque individu et favorise l’égalité des chances. D’autre
part, le bien vivir doit constituer un axe central du processus éducatif dans la préparation de
citoyens soucieux de créer une société plus juste fondée sur ses principes (Villagomez et
Campos, 2014).

En somme, cette philosophie ne conçoit pas les programmes d’éducation comme des formes
d’investissement dans le capital humain mais plutôt comme un moyen d’encourager chez les
individus la capacité d’autodétermination, d’émancipation et donc l’accès à la liberté. Nous
montrerons dans la suite de cet ouvrage que cela atteste d’un lien avec la pensée pédagogique
de Paulo Freire.

42
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

Le bien vivir décrit par conséquent un mode de vie et une forme de développement

PARTIE I : Pédagogies


dans lesquels les facteurs sociaux, culturels, environnementaux et économiques sont en
interdépendance, fonctionnent ensemble dans le respect d’un équilibre, et non séparément
et de manière hiérarchique comme c’est le cas actuellement. Plutôt que de considérer le bien
vivir comme un modèle strict de changement, Gudynas (2011) suggère d’y voir un tremplin
vers de nouvelles idées et de nouvelles perspectives : « Cela nous aide à voir les limites des
modèles de développement actuels et nous permet de rêver des alternatives jusqu’ici difficiles
à accomplir » (p. 13). L’idée est donc de s’inspirer de cette philosophie ancestrale pour répondre
aux problématiques actuelles pour lesquelles il n’existe jusqu’à présent aucune solution viable.

Certains pays introduisent dans leurs systèmes éducatifs les concepts prônés par la philosophie
du bien vivir. La Bolivie, par exemple, a voulu appliquer ce concept dans le cadre d’une réforme
éducative ambitieuse, par la promulgation en 2010 de la loi Avelino Siñani et Elizardo Perez
(loi n° 70, 2010) qui porte le nom des fondateurs de la « première » école autochtone du pays
à Warisata (1931-1939). Cette école prône l’ouverture « sur la communauté avec laquelle les
décisions sont prises en consensus dans un parlement de sages » (Lewandowski, 2015).

Selon Lewandowski, cette loi inspirée du modèle du bien vivir, propose une refonte complète
du système éducatif et du curriculum bolivien. Cependant, une étude réalisée en milieu urbain
a montré que tout le personnel enseignant ne partageait pas uniformément les paradigmes du
bien vivir et de la Pachamama qui sous-tendent les curricula. « Certains y adhèrent pleinement,
d’autres se disent heurtés dans leurs convictions (scientifiques, religieuses ou écologiques)
et beaucoup les comprennent de façon partielle et hybridée. Reste ainsi à savoir si les
rapports de force, le degré d’application et la longévité de la réforme orienteront à terme ces
métissages dans le sens d’un rapprochement ou d’un éloignement des curricula mondialisés »
(Lewandowski, 2015, p. 85).

À l’instar de la Bolivie, l’Équateur a mis en place en 2008 un « Plan national du bien vivir »,
dans la mesure où la Constitution reconnaît les idées de cette philosophie comme pouvant
favoriser les changements sociaux. Le contenu est fortement influencé par les différentes luttes
et résistances sociales qui expriment la volonté de différents groupes tels que les peuples
autochtones, les enseignants, les paysans, les femmes, les jeunes, les anciens (Acosta, 2010).
Comme le soulignent Acosta et Gudynas (2011), on y retrouve la revendication de plusieurs
droits, tels que les droits collectifs et individuels, les droits à la nature et le droit à l’éducation. À
ce sujet, Villagomez et Campos (2014) affirment qu’il n’est pas possible de concevoir une société
fondée sur le bien vivir sans remettre en question les phénomènes actuels d’exclusion et de
racisme que l’on observe dans la société, ainsi que « le rôle joué par le système éducatif dans la
légitimation de cette exclusion » 9 (p. 38). Ajoutons par ailleurs le nombre important d’enfants et
de jeunes qui abandonnent l’école ou ne reçoivent qu’une éducation « au rabais ». De ce fait, les
revendications qui questionnent l’ordre établi sont de plus en plus pressantes.

9 Traduction de l’espagnol par les auteurs

43
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

La Constitution équatorienne10 mentionne à 18 reprises le concept du bien vivir. Il s’agit de


faire naître une « nouvelle forme de coexistence citoyenne, dans la diversité et l’harmonie
avec la nature, afin d’atteindre le bien vivir, le sumak kawsay » (Constitución Política del Ecuador,
2008). À titre d’exemple, l’Article 14 de la Constitution reconnaît le droit du peuple à vivre dans
un environnement sain et écologiquement équilibré qui garantit la durabilité et le bien vivir.
Aux termes de l’Article 74, les individus, les communautés, les peuples et les nationalités sont
en droit de bénéficier des richesses naturelles qui favorisent leur bien vivir. Il existe donc une
volonté politique qui pousse à s’interroger sur les possibles évolutions du système social, afin
que soit pris en compte l’intérêt de tous, et non pas d’une poignée de personnes. Le rôle de
l’éducation et de la pédagogie dans cette quête est fondamental.

En Équateur, plusieurs formes d’éducation s’inspirent du concept du bien vivir. Par exemple, le
système d’écoles autochtones de Cotopaxi qui implique fortement les parents, les enfants et les
chefs des communautés et des provinces dans les projets éducatifs qui leur sont destinés, dans
le but de définir la finalité poursuivie par l’école (Ramirez, 2007). Le Programme académique
Cotopaxi forme le personnel éducatif affecté aux programmes d’éducation bilingue
interculturelle (Granda & Iza, 2012), ainsi que les leaders issus des communautés autochtones
qui sont ensuite intégrés dans les gouvernements locaux (Farfan, 2008) pour favoriser
l’autonomisation des communautés autochtones. L’Université interculturelle des nationalités
et des peuples autochtones place la philosophie du Sumak Kawsay au cœur de son action,
proposant des cursus de niveau Licence en Agroécologie, Architecture ancestrale, Sciences de
l’éducation axées sur la pédagogie interculturelle, et Tourisme communautaire. Les formations
de niveau Master portent quant à elles sur la recherche interculturelle et les Droits des peuples
autochtones. L’objectif et la philosophie de l’université Amawtay Wasi est de « contribuer à la
formation de talents humains qui privilégient une relation harmonieuse entre la Mère Nature
et les êtres humains, privilégiant le bien-être de la communauté en tant que fondement de la
construction de l’État plurinational et de la société interculturelle » (Sarango, 2004, p. 193). Au
travers de l’université se construit peu à peu un espace académique interculturel, issu de la
vision autochtone et destiné à l’ensemble de la société équatorienne. Son impact est de taille,
car il en émergera une nouvelle génération d’enseignants et d’étudiants engagés dans le bien
vivir et pour en faire profiter la société.

Toutefois, Tapia-Aviles (2013) observe que bien que l’Équateur se soit doté d’un cadre
respectueux du bien vivir, le pays ne dispose pas des ressources et des moyens nécessaires pour
accomplir ses objectifs et parvenir à une société du bien vivir.

En conclusion, il apparaît important de rappeler que la pensée critique est la compétence


centrale de la pédagogie contemporaine du bien vivir. Les nouvelles générations doivent
impérativement cultiver cette attitude pédagogique qui autorise la remise en question de
l’ordre social et éducatif inégalitaire qui s’est instauré. Un autre aspect important à développer
est la construction d’une conscience interculturelle qui pense l’éducation comme étant

10 https://www.cec-epn.edu.ec/wp-content/uploads/2016/03/Constitucion.pdf

44
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

l’éducation à une coexistence harmonieuse qui accepte et reconnaisse les différentes cultures,

PARTIE I : Pédagogies


origines, philosophies et visions du monde. Finalement, ce sont les aspects liés au respect de
l’environnement et à l’éducation au développement durable qui, en raison de leur caractère
d’urgence, devraient être placés au cœur des pratiques éducatives contemporaines. Le bien vivir
offre à ce sujet de vastes potentialités.

L’héritage pédagogique des peuples autochtones d’Amérique latine représente une composante
à part entière du patrimoine de l’humanité, qu’il est indispensable de découvrir et d’utiliser :

Avec son histoire unique et sa richesse culturelle remarquable, l’Amérique latine


peut fournir des indices importants pour l’établissement d’une
éducation humaniste et diversifiée qui favorise le développement durable, la dignité
et le bien-être de tous, dans un contexte mondial de changement et de complexité.
L’engagement humaniste en faveur de l’éducation exige l’instauration d’un dialogue
horizontal avec les savoirs et traditions autochtones, de sorte qu’ils ne soient pas des
éléments d’une politique unique visant un groupe ethnique spécifique, mais soient
pris en compte par la société dans son ensemble, en reconnaissant leur contribution
épistémologique, pratique et conceptuelle.11
 
(OREALC/UNESCO, 2017, p. 16)

Les politiques engagées au 20ème siècle par les États d’Amérique latine ont échoué dans leurs
tentatives de désindianiser l’Indien, de façonner l’Indien à l’image du métis européanisé, d’en
faire un sujet à incorporer, à intégrer et à assimiler à la culture occidentale. Cet échec démontre
la force et la vitalité des cultures autochtones qui, à travers leurs résistances ethniques, ont non
seulement empêché la concrétisation des politiques d’ethnocide culturel, mais ont également
renforcé leurs propres projets ethniques, y compris la lutte pour leurs droits en tant que peuples
autochtones (Sandoval-Forero, 2009). En tant que concept pédagogique, le bien vivir offre la
possibilité de repenser notre modèle de développement capitaliste destructeur de la planète,
de mettre en œuvre une éducation respectueuse de l’environnement et de renouer avec notre
héritage autochtone commun des origines.

Afin d’assurer une présence durable dans l’éducation en Amérique Latine, le concept de
bien vivir, en tant que projet social et culturel autochtone, doit s’engager dans un dialogue
interculturel avec la pensée occidentale dominante et son projet culturel basé sur la conviction
de sa supériorité par rapport à « l’Autre indigène ou noir » et sa longue histoire de réticence à
s’engager en dehors de ses propres règles. En outre, ce concept intègre la Terre Mère comme
sujet des droits alors que modernité occidentale a toujours considéré la nature comme
ressources à exploiter au profit de certains groupes. Historiquement, Les systèmes juridiques

11 Traduit de l’anglais par les auteurs.

45
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

occidentaux n’ont jamais considéré la nature comme un système sacré et vivant (Dolhare &
Rojas-Lizana, 2018). Néanmoins, les reculs démocratiques constatés récemment en Amérique
Latine, en particulier au Brésil et en Bolivie, par rapport au droit des peuples autochtones
incitent à la vigilance et à la mobilisation.

6. Rapport des peuples autochtones avec la forme scolaire


Nous clôturerons ce chapitre par quelques exemples illustrant les rapports ambigus et
conflictuels des peuples autochtones avec la forme scolaire. Nous aborderons d’abord la
philosophie éducative des Kogi, peuple autochtone de Colombie. Nous évoquerons ensuite la
thématique de la scolarisation des communautés sioux aux Etats-Unis, pour décrire finalement
le rapport à l’école du peuple kanak autochtone de Nouvelle-Calédonie.

Les Kogis
Les Kogis sont les descendants directs des Tayronas qui ont été l’une des plus grandes sociétés
précolombiennes du continent sud-américain. Ils vivent dans la Sierra Nevada, au nord de
la Colombie, sur le plus haut massif côtier du monde (il culmine à 5 800 mètres d’altitude, à
42 kilomètres de distance de la mer des Caraïbes). Cette zone géographique offre une variété
unique de climats et d’écosystèmes. Le massif recouvre 2 % du territoire colombien, mais il
abrite 35 % des espèces d’oiseaux du pays et 7 % des espèces de la planète. À l’arrivée des
Conquistadors au 16ème siècle, quatre peuples, dont on estime à 500 000 le nombre d’individus,
vivaient sur les terres de la Sierra Nevada. Aujourd’hui les Kogis ne sont plus que 12 000 environ.
La communauté a mis en place un système social qui a résisté à l’adversité et aux agressions,
depuis l’époque des colons jusqu’à l’époque moderne où ils sont confrontés à d’autres défis
comme les guérillas, le narcotrafic ou le tourisme de masse (Julien & Fifils, 2009).

Les Kogis ont une conception du temps très spécifique qui nous éclaire sur leur philosophie
éducative, car ils distinguent trois types de temps :

3 Le temps que l’on passe : le père passe du temps avec son fils, la mère avec sa fille,
les parents avec leurs enfants, les anciens avec les plus jeunes et tous se retrouvent
régulièrement à l’occasion de moments festifs de partage.

3 Le temps présentiel : le moment vécu et partagé physiquement avec une personne


ou un groupe de personnes.

3 Le temps circulaire : un temps circulaire que connaissent bien ceux qui vivent
de et par la nature, moins axé sur l’avenir et plus orienté vers le perpétuel
recommencement des cycles, des saisons et des chemins de conscience (Julien &
Fifils, 2009).

46
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

Pour les Kogis, le développement des enfants s’organise en trois stades :

PARTIE I : Pédagogies


3 Avant la naissance : c’est une période très importante, car si la mère a de
« mauvaises » pensées, des pensées agressives ou qui ne sont pas justes, le fœtus
peut capter les émotions et il risque de les reproduire aux différentes étapes de son
développement.

3 De 0 à 4 ans : éducation par l’exemple (adultes et enfants plus âgés), pas de punition
durant cette période.

3 À partir de 4 ans : l’enfant est amené à prendre ses responsabilités, à s’engager en


fonction de son âge et de ses capacités. Seul un adulte ou un enfant plus âgé peut
être tenu pour responsable d’une action qui ne serait pas correctement réalisée et
ce, jusqu’à ce qu’aluna (l’âme) permette à l’enfant de développer sa propre seiwa
(conscience), sa façon à lui d’être au monde (Julien & Fifils, 2009).

L’éducation des Indiens kogis n’est pas envisagée comme un processus linéaire qui partirait d’un
point pour tendre vers un autre, mais plutôt de façon circulaire : on apprend à être père pour
être enfant et enfant pour être père. Éduquer, c’est entretenir et faire vivre un système collectif
qui permet à chaque membre de la communauté d’y trouver sa juste place. Un tel système
doit toujours être en mesure de comparer un événement donné avec un événement similaire
inscrit dans la mémoire collective du groupe pour en déduire collectivement la réponse la
plus juste, et d’établir des liens entre les conséquences de cet événement et la façon dont la
communauté est à même de les assumer (Julien, 2014).

Dans le cadre d’un tel processus, il n’y a pas de maître ni d’école, au sens de nos sociétés
modernes. L’éducation se fait au travers des temps individuels et des expériences partagées
avec les parents, les enfants plus âgés, les membres de la communauté, les mamus12 et
la nature.

Il n’y a pas de maître chez nous, ce sont les parents qui sont en charge de
l’éducation. Un jeune va apprendre à bâtir une maison, un autre va être formé à l’entretien
des chemins, un autre sera formé à la protection des rivières et des animaux…
 
Mamu Kogi

Selon Julien (2014), les savoirs sont acquis par les Kogis de différentes manières :

3 Au sein de la famille : au travers de la transmission des codes et des valeurs afin que
l’individu s’intègre à la communauté.
3 À travers les Mamus : ils transmettent les savoirs religieux en lien avec la cosmogonie,
la sagesse, la mythologie, les légendes et les contes autochtones.

12 Guide spirituel
47
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

3 Par la Nikuma : l’autorité civile de la communauté qui enseigne les lois et les normes
qui orientent le vivre-ensemble pacifique et harmonieux avec la nature.
3 À travers la Nature : porteuse de tous les savoirs.
Bien que situés sur le territoire des Kogis, les dispensaires et les écoles sont considérés comme
des territoires étrangers. On sait que les Kogis envoient deux à trois enfants de la communauté
à l’école pour qu’ils y apprennent à lire et à écrire en espagnol et servent ensuite de médiateurs
avec le reste des Colombiens. L’école n’est d’ailleurs pas vue comme un lieu approprié pour
enseigner la langue kogi d’après la tradition kogi : « l’écriture rend la tête paresseuse » et « celui
qui écrit, perd la mémoire ». De ce fait, les enfants kogis sont parfois tiraillés entre l’école qui
valorise l’espagnol et la communauté qui valorise la langue kogi (Julien, 2014).

Cette situation suscite une tension entre la résistance des Kogis depuis des millénaires et la
dévalorisation de leur langue et de leur culture au sein de l’école contemporaine en Colombie.
Cet ouvrage s’interroge sur la possibilité de renouer ce lien.

La scolarisation des Sioux


Aux États-Unis, selon le chercheur Murray L. Wax, les peuples sioux avaient un profond respect
pour l’autonomie de l’individu, même pour des questions de vie ou de mort, de maladie ou
encore du choix d’une profession. Quand les parents allaient inscrire un enfant à l’école, le
représentant de l’école avait pour habitude de leur demander : « Souhaitez-vous que votre
enfant soit vacciné contre la variole ? ». Invariablement, les parents se tournaient vers l’enfant,
âgé de six ans environ, et répétaient la demande, généralement en lakota : « Souhaites-tu être
vacciné ? ». Dans cette culture autochtone, l’impératif en tant que mode de communication est
d’ailleurs absent de la langue lakota. Si un Sioux ressent la nécessité d’exprimer son autorité sur
un de ses compatriotes, il utilise l’anglais (Wax, 2002).

La scolarisation obligatoire de masse pendant l’adolescence est un phénomène relativement


récent qui explique que pour la plupart des enfants amérindiens du 19e siècle, la scolarisation
a été vécue comme une agression (Wax, 2002). Les enfants étaient littéralement enlevés
et emprisonnés dans des pensionnats, punis s’ils parlaient leur langue maternelle ou s’ils
adoptaient des comportements conformes aux normes de leur communauté. Les enfants
ont résisté autant que possible, mais ces expériences ont laissé de profondes cicatrices dans
les communautés amérindiennes. L’expérience des Sioux n’est pas sans rappeler celle des
Amérindiens du Canada dans les écoles résidentielles (Sbarrato, 2005).

Selon Wax (2000), quand la maîtresse d’école appelait un élève pour qu’il récite une leçon et que
celui-ci était tenté de répondre, ses camarades le menaçaient dans sa langue maternelle pour le
dissuader de participer au bon déroulement de la classe. Ils pouvaient faire des commentaires
désobligeants et obscènes à propos de sa famille ou encore le menacer de représailles physiques
dans la cour de récréation. Comme ces remarques étaient prononcées en lakota ou dans la
langue des signes propre aux Sioux, l’enseignante ne comprenait pas la situation. Menacés, la

48
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

plupart des élèves feignaient l’idiotie ou la distraction pour éviter d’être interrogés. Par le biais des

PARTIE I : Pédagogies


menaces, le clan consolide son pouvoir sur ses membres à travers une opposition silencieuse,
parce que résolue, à l’autorité de la maîtresse et de l’administration de l’école.

Pour certains élèves, la scolarisation obligatoire continue aujourd’hui d’être vécue comme une
agression et un emprisonnement. Contraindre les enfants à rester sagement assis et exiger qu’ils
acceptent d’être gavés – comme des oies – de connaissances auxquelles ils ne reconnaissent
aucune utilité, est le meilleur moyen d’engendrer des difficultés, en particulier chaque fois que
les enseignants ne savent rien de leurs élèves et n’imaginent pas ce qui pourrait réellement les
aider à mener une existence plus satisfaisante. La réponse des élèves est alors la fuite chaque
fois qu’ils le peuvent ou des tentatives pour s’organiser et prendre le contrôle de la vie scolaire
ou encore des violences (Willis, 1977).

Peuple animé par l’esprit de liberté et le respect de l’autonomie d’autrui, y compris des enfants,
les Sioux ont vécu l’arrivée de l’école comme une agression et comme une menace culturelle.
Ils ont développé de multiples stratégies de résistance pour préserver autant que possible leur
héritage culturel.

L’école chez les Kanaks


À l’instar d’autres peuples autochtones, les Kanaks ont vu arriver l’école en même temps que la
colonisation européenne et les Églises catholique et protestante. Malgré sa longue expérience
de cette institution exogène, le peuple kanak continue d’entretenir avec elle un rapport ambigu.
Le processus qui préside au choix de l’emplacement des écoles s’avère un bon moyen d’analyser
la place que les notables kanaks ont assignée aux savoirs de l’école des blancs : des objets non
nécessaires (du moins dans les débuts), mais des objets à la fois attirants – par leur nouveauté – et
dangereux – à cause de la menace qu’ils font peser sur des équilibres coutumiers toujours fragiles.

Cette ambivalence vis-à-vis de la forme scolaire se traduit dans la localisation des écoles dans les
communautés kanak (Wadrawane, 2008). L’école occupe généralement une position excentrée
ou isolée par rapport à la communauté ou à la tribu. Une forêt peut ainsi séparer l’espace scolaire
de l’espace communautaire. Un cimetière séparant l’école de la communauté peut signifier
que la communauté se protège de l’école. Dans d’autres cas, l’école sera située dans un espace
conflictuel séparant les communautés religieuses protestante et catholique. Cette analyse
territoriale permet de comprendre la pratique kanake vis-à-vis de cet objet culturel appelé
« école », qui apparaît dans un milieu déjà saturé de culture et d’histoire (Wadrawane, 2008).

Un siècle plus tard, ce rapport ambigu aux savoirs occidentaux et à leur mode de diffusion pèse
encore lourdement. Il se reflète dans l’échec scolaire des élèves kanaks, car personne ne prend
pas la peine de s’informer sur la façon dont les savoirs occidentaux sont perçus et mis en place
par les acteurs du système éducatif (Wadrawane, 2008).

Ce chapitre a mis en évidence la pertinence actuelle des savoirs autochtones dans différents
domaines scientifiques. Selon Goldfarb (2018), les scientifiques manifestent un intérêt, partout

49
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

dans le monde, pour une collaboration avec les peuples autochtones. Ils se sont ainsi « associés
aux Aborigènes australiens pour étudier les populations de tortues marines ; ils ont fait
confiance aux chasseurs kaxinawá d’Amazonie pour analyser l’abondance des espèces animales
chassées, comme les singes et les cervidés ; enfin ils se sont informés auprès des Yupiks de
l’Alaska sur la migration des morses ».

Il reste aux sciences de l’éducation à tirer parti elles aussi de la sagesse des peuples
autochtones : « le pouvoir des pédagogies indigènes et la reconnaissance du fait que l›on se
nourrit de son esprit est ce qui les rend attrayantes pour les élèves et les enseignants qui ont la
chance d›y être exposés dans toute leur plénitude » (Restoule & Chaw-win-is., 2017, p.7).

Marginalisés pendant plusieurs siècles et exclus des grands projets modernisateurs du 20ème siècle,
les savoirs autochtones sont maintenant emportés dans les processus d’intégration aux objectifs du
développement durable. On leur assigne de potentielles solutions à la famine, aux changements
climatiques et à la pollution. L’analyse de ces processus d’intégration […] révèle leurs effets sur les
acteurs et met au jour la construction de nouvelles normes : […] tandis que d’un côté les savoirs
experts requalifient les savoirs autochtones, de l’autre les premiers se voient relocalisés par les
seconds. Les savoirs autochtones se révèlent alors comme des visions plurielles des savoirs légitimes
dans un monde contemporain de plus en plus complexe et instable (Kleiche Dray et al., 2017).

Pour conclure ce chapitre consacré aux savoirs autochtones, il est important de souligner qu’ils
ont une pertinence particulière dans un monde marqué par la globalisation, la complexité et
l’incertitude. En effet, les fondements de ces savoirs peuvent contribuer de façon essentielle
à l’éducation et au bien-vivre ensemble et, s’ils requièrent une éducation communautaire, ils
impliquent aussi l’application de pédagogies autochtones, soucieuses d’un développement
holistique des individus et intégrant à la fois le contexte local et mondial. Le fait que les
pédagogies autochtones soient reconnues à l’échelle mondiale est la parfaite illustration de la
contribution de ces peuples à l’éducation mondiale (Sumida Huaman & Valdiviezo, 2012).

Les pédagogies autochtones sont intimement liées à la terre, le lieu et l’espace. L’éducation
basée sur la terre, en ressuscitant et en préservant la vie et le savoir autochtones, constitue
une contestation directe du colonialisme et de sa volonté d’éliminer le mode de vie des
autochtones et de négation de leurs revendications territoriales (Wildcat, McDonald, Irlbacher-
Fox & Coulthard, 2014). Les cultures, les langues et les croyances autochtones ont pour origine
le lieu/place. Les cosmologies autochtones reconnaissent un univers vivant, où tout a un esprit.
Décoloniser les programmes scolaires implique de se reconnecter avec la terre et d’apprendre
des lieux de vie et de partage (Fellner, 2018, Johnston & Aftandilian, 2018).

Quel bilan pouvons-nous faire aujourd’hui de la scolarisation des peuples autochtones. Les
recherches effectuées à ce propos montrent que le bilan est mitigé et la forme scolaire autochtone
demeure une aventure ambigüe même si elle ouvre des possibilités de revitalisation culturelle.

Macedo (2016) montre comment la scolarisation constitue pour les amérindiens wayãpi

50
Chapitre 2 - Savoirs autochtones : sagesses ancestrales et actualité

d’Amazonie comme l’a déclaré à l’auteure un enseignant wayãpi « deux façons » d’exister, deux

PARTIE I : Pédagogies


styles de vie parallèles qu’il doit associer dans un exercice continu assez ardu. Il est fatigant
de devoir répondre à des demandes distinctes même si le jonglage avec les codes et les
possibilités de ces « deux mondes » est intéressante :

 ...le projet d’enseignement scolaire wayãpi tente de conjuguer les principes de


l’école publique brésilienne non-amérindienne avec les innovations pédagogiques
et curriculaires produites par l’école wayãpi, une école pour et par les Amérindiens,
fondée sur une démarche qui veut faire dialoguer les connaissances autochtones et
les savoirs exogènes “des Blancs”, considérés à parts égales comme fondamentales par
les Amérindiens. Comme en Guyane, les Wayãpiau Brésil réclament un enseignement
de la langue nationale – le portugais –, des mathématiques et des contenus qui sont
ceux des écoles brésiliennes non-amérindiennes. Mais dans le même temps, cette école
est pensée comme un lieu où les savoirs autochtones sont transmis en langue wayãpi,
et où les contenus et modalités d’enseignement suivent les principes amérindiens,
principes qui ne sont pas définis a priori mais le seront au fur et à mesure que le projet
avancera. Il s’agit donc d’un projet de longue haleine dont la mise en place constitue un
défi important.
 
(Macedo, 2016, pp. 135-136)

Corntassel et Hardbarger (2019) estiment que les jeunes autochtones se trouvent aujourd’hui
dans une situation difficile. Les aînés qui avaient guidé leurs parents et grands-parents ont
souvent souffert d’un racisme systématique et d’un éloignement de leurs pratiques culturelles,
territoires, systèmes de guérison, langues, connaissances et modes de vie traditionnels. Les
réseaux familiaux et de parenté communautaire, garants d’un soutien émotionnel, spirituel
et physique, ont été brutalement et systématiquement démantelés. La préservation des
connaissances autochtones s’accomplit souvent sous forme d’actions effectuées dans des
cadres intimes tels que foyers, cérémonies et communautés. L’examen des actes quotidiens de
renaissance autochtone déplace l’analyse des manifestations coloniales de pouvoir centrées sur
l’État vers la nature relationnelle, expérientielle et dynamique de l’héritage culturel autochtone.

En définitive, l’intérêt des sciences de l’éducation pour les savoirs autochtones est un acte qui
rend justice à des peuples dont le contact avec les peuples colonisateurs de la planète a été une
expérience traumatisante. Ces savoirs pédagogiques nous font également prendre conscience
de la nécessité de replacer la pédagogie et l’éducation dans un cadre plus global, celui du mode
de développement et de vie contemporain qui fait peser des menaces sans précédent sur
l’avenir de l’humanité.

51
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Chapitre 3 
Les éducations
autochtones africaines
collectives et
créatrices de lien social

52
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

Étant donné la richesse de la diversité du patrimoine culturel

PARTIE I : Pédagogies


africain, il est impossible de prétendre à l’exhaustivité de
toute présentation des éducations autochtones africaines. Ce
chapitre tente de synthétiser des réalités fort diverses qui ne
sont pas systématiquement généralisables à l’ensemble du
continent africain, ce continent qui a le plus souffert de formes
souvent violentes de colonisation, mais aussi de l’esclavage, de
l’apartheid et du pillage continu de ses ressources naturelles.
Cette expérience s’est traduite par une inclusion tardive de
la forme scolaire et par une forte résilience de l’éducation
autochtone africaine, notamment en milieu rural.

Les éducations autochtones africaines correspondent à des formes éducatives préexistantes à


l’arrivée de l’Islam sur le continent, ainsi qu’à l’éducation importée et héritée de l’ère coloniale,
marquée par le Christianisme. Comme l’affirme Nsamenang (2002), les éducations endogènes
africaines ont été mises à mal par les différentes forces exogènes cherchant à imposer leur vision
de l’éducation et de l’enfance. Nsamenang (2002) fait référence à l’arrivée de l’Islam en Afrique
du Nord au 10ème siècle, à la colonisation française et britannique et aux missions religieuses.
De nos jours, c’est la vision de l’enfance fondée principalement sur les études en psychologie
réalisées dans le monde occidental et véhiculée par les grandes agences de coopération
au développement opérant en Afrique qui peut faire l’objet de controverses. Comme le
signalent Baba-Moussa et al. (2014), le contact de ce continent avec le monde extérieur s’est
fait par la confrontation avec d’autres modèles culturels tentant de dominer les modèles
culturels africains.

Il convient de préciser qu’il existe dans la littérature différentes manières de se référer aux
éducations autochtones africaines : éducation coutumière, communautaire, informelle ou encore
authentique. Nous n’utilisons pas le terme « éducation autochtone » dans le but d’opposer
frontalement la tradition et la modernité. La tradition englobe « un ensemble d’idées, de
doctrines, de mœurs, de pratiques, de connaissances, de techniques, d’habitudes et d’attitudes,
transmis de génération en génération aux membres d’une communauté humaine » (Mungala,
1982). La notion de tradition renvoie au maintien d’un ensemble de valeurs à la fois religieuses,
culturelles et sociales, qui demeurent encore aujourd’hui très ancrées (Balandier, 1985).

53
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Dans cet ouvrage, nous nous référerons donc à une éducation autochtone fondée sur le socle
des cultures purement africaines, fortement enracinées dans les croyances animistes que l’on
peut qualifier à la fois de philosophie de vie et de religion. En effet, les cultures africaines sont
marquées dans une large mesure par la croyance en deux mondes, le visible et l’invisible. Le
culte des forces divines que les humains portent en eux, la croyance en la réincarnation, la
pratique de sacrifices ou de rites de transe et de possession sont caractéristiques de ce type
de religion (Beier, 1962) et c’est ainsi que les croyances dans les ancêtres, les esprits, la force de
la nature et la magie sont largement répandues et exercent une influence indubitable sur les
modes de transmission et d’utilisation des savoirs. Le terreau africain possède en abondance
des richesses pédagogiques qui méritent d’être mises à profit dans l’éducation des jeunes
générations et qui, malgré les hostilités, perdurent jusqu’à aujourd’hui dans l’éducation familiale
informelle et la socialisation des enfants africains (Marah, 2006).

Nous nous intéresserons d’abord aux conceptions et aux ethnothéories de l’enfance en Afrique.
Nous examinerons ensuite les principales caractéristiques des éducations africaines et nous
expliciterons quelques-unes des techniques autochtones utilisées pour transmettre le savoir. En
dernier lieu, nous illustrerons notre propos en prenant le cas des Massaï au Kenya ou encore des
Kabyès au Togo.

1. Conception du développement de l’enfant africain et


ethnothéories parentales
Intéressons-nous plus spécifiquement aux ethnothéories de l’enfance utilisées par les Wolofs
du Sénégal, pour qui l’enfant est intégré dans la société avant même sa naissance. Lorsqu’une
femme est enceinte, son bébé fait l’objet de protections mystiques destinées à le préserver des
maladies et même de la mort. C’est ainsi que seuls les proches sont informés de sa naissance,
car d’après les croyances mystiques, il faut cacher l’arrivée du bébé pendant trois jours pour
lui permettre « d’échapper aux esprits maléfiques et anthropophages, qui sont friands du petit
humain de cet âge » (Bâ et al., 2016, p. 33). Au huitième jour a lieu la cérémonie du prénom.
Celle-ci est marquée par le sacrifice du « mouton de nomination ». Bien souvent, le prénom
qui est donné à l’enfant fait honneur à ses ancêtres. L’éveil affectif et cognitif du tout-petit est
quant à lui assuré par les soins que lui prodiguent sa mère, tel que l’allaitement, les massages,
le portage au dos, etc. L’autonomie de l’enfant est progressivement encouragée. Ainsi que
cela a été signalé par Bâ et al. (2016), « en milieu africain, l’âge de l’enfant est moins évalué en
mois et en années que par son acquisition de la position assise, de la marche, du langage, de la
propreté, etc. » (p. 34). C’est donc le passage par ces différents paliers qui est déterminant pour
évaluer le développement des jeunes enfants.

Dans les sociétés africaines, l’ensemble de la communauté est impliqué dans


l’accompagnement du jeune enfant dans son développement vers l’âge adulte (Bâ, Faye et
Thiam, 2016). Selon l’ethnologue de l’éducation Pierre Erny, l’un des meilleurs connaisseurs de
l’éducation autochtone africaine, la famille nucléaire n’est pas une valeur reconnue en Afrique, la
mère, les tantes, les grands-mères, les amies, les sœurs aînées, de même que le père, les oncles,

54
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

les amis de passage, les frères aînés, contribuant à l’éducation des plus jeunes. Cela signifie que

PARTIE I : Pédagogies


le groupe élargi, les aînés de la communauté, veillent sur les plus jeunes en leur transmettant
des connaissances ainsi que des savoir-faire et un savoir-être. La « classe d’âge » revêt une
importance cruciale dans la tradition africaine, parfois même plus que les liens familiaux directs
de l’individu. En effet, « la dimension didactique et pédagogique des classes d’âge se décline
a la fois dans le contenu des savoirs transmis et dans les modes particuliers de transmission ».
(Baba-Moussa et al., 2014, p. 65).

De manière schématique, la structure du système d’éducation et de socialisation africain peut-


être divisé en trois grandes étapes : la première enfance ; le début de la socialisation et l’entrée
dans la vie adulte (Mungala, 1982).

3 La première enfance, de 0 à 6 ans : l’enfant entretient des liens privilégiés avec


sa mère qui adopte envers le tout-petit une attitude de grande permissivité.
L’existence de la mère se focalise sur le bien-être et les besoins de son enfant.
L’éducation est encore diffuse et constitue plutôt une appropriation progressive par
l’enfant des actions des adultes. Après son sevrage, l’enfant est traité avec moins de
complaisance, il est confronté par exemple « au refus de sa mère et développe ainsi
une expérience double et contradictoire d’indulgence et de rejet. Il s’agit donc là d’un
revirement affectif à la fois sévère et brutal qui marque la première rupture de l’enfant
avec sa mère » (Mungala, 1982, p. 60).

3 Le début de la socialisation, entre 7 et 14 ans : pendant cette période, l’action


éducative est un peu plus formelle et explicite. L’enfant est corrigé, stimulé,
encouragé et sensibilisé à la conduite acceptée et validée par le groupe social. Les
comportements des adultes de son entourage (agissements, pensées, attitudes)
forgent sa personnalité. Au travers de la socialisation à son milieu, il endosse le rôle
qui est attendu de lui par son clan ou sa communauté. Le renforcement positif est
utilisé pour encourager les bons comportements, tandis que les corrections se font
au moyen de sanctions. Les apprentissages sont utilitaires et les enfants sont appelés
à agir sur-le-champ. Entre 7 et 10 ans, la séparation entre les sexes débute : le garçon
prendra exemple sur son père (travaux de champ, chasse, pêche) et la fille sur sa
mère (travaux domestiques, préparation des repas, gestion des cadets). Les parents
sont des modèles et des guides pour les plus jeunes, ils favorisent leur autonomie et
leur responsabilisation progressive.

3 L’entrée dans la vie adulte : la transition doit se faire par l’endurcissement des
jeunes et l’accomplissement de certaines épreuves dont ils doivent faire l’expérience
pour pouvoir accéder au statut d’adulte. Comme l’expose Mungala (1982), « les jeux
et les cérémonies initiatiques (...) créent des liens d’amitié et de solidarité aussi bien
avec les pairs, les initiés et les aînés qu’avec les autres membres du groupe » (p. 67).
Ce sont des moments qui permettent de créer et de solidifier les liens sociaux intra-
groupe et qui donnent aux jeunes une vision claire de ce que la société attend d’eux.

55
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

L’éducation est un « processus continu qui se déroule tout au long de la vie, un continuum qui
va de l’enfance à l’âge adulte, et qui est assuré de manière collective par les acteurs sociaux »
(Baba-Moussa et al., 2014, p. 61)

Dans la section suivante, nous développerons cinq aspects caractéristiques de l’éducation


autochtone africaine.

2. Caractéristiques principales des éducations


autochtones africaines
Ainsi que nous l’avons mentionné, les éducations autochtones sont ancrées dans la richesse
profonde du milieu africain. Elles se fondent généralement sur la parole accompagnée de
l’observation et de l’imitation, ainsi que sur la cohésion, la solidarité et la primauté du groupe. Dans
ce chapitre, nous évoquerons les grands principes qui caractérisent les éducations autochtones
africaines (Lê Thành Khôi, 1995 ; Moumouni, 1998). Nous développerons les aspects constitutifs
suivants de ce type d’éducation : en premier lieu l’oralité et la collectivité, puis leur caractère
holistique, pragmatique et actif, et enfin leur aspect démocratique, homogène et uniforme.

Orales
Le premier aspect constitutif est l’oralité qui confère à l’éducation autochtone un attribut
d’informalité. À ce titre, l’éducation n’est pas institutionnalisée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas
systématisée car elle se réalise de manière occasionnelle (Mungala, 1982). C’est ce que certains
peuvent qualifier d’éducation sur mesure qui s’adapte à chaque apprenant (Bâ et al., 2016).

Ancrées dans le collectif


L’éducation présente un caractère collectif prononcé qui transcende le cercle familial restreint,
c’est donc une pluralité d’acteurs qui en a la responsabilité. C’est ainsi que la société tout entière
joue un rôle éducatif, dans un cadre d’action servant à façonner les nouvelles générations. Cela
étant, même si l’ensemble de la communauté est partie prenante dans l’éducation, une place
particulière est réservée aux parents ainsi qu’aux personnes qualifiées pour des tâches spéciales,
notamment au moment des rites d’initiation ou lors de l’apprentissage de métiers spécifiques.
Il n’en demeure pas moins que certaines compétences spécialisées, par exemple en lien avec
la médecine, la musique ou encore la spiritualité, sont transmises au travers d’un apprentissage
plus formel dispensé par des individus spécialisés.

L’individu se définit principalement par rapport à la collectivité et c’est donc dans le groupe
social que l’enfant réalise ses apprentissages, en se pliant à la discipline collective. Alors qu’il est
exposé à une multitude d’influences, c’est la cohésion du groupe qui assure la convergence
des résultats. La cohésion est par conséquent l’une des valeurs fondamentales, si ce n’est la
plus essentielle, de l’éducation autochtone africaine. Chaque individu joue un rôle social très
important dans le groupe et l’éducation doit lui permettre de trouver sa place par rapport à son

56
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

groupe, d’apprendre à en respecter les règles et les valeurs, le but final étant d’assurer la sécurité

PARTIE I : Pédagogies


et la perpétuation du groupe et de permettre à l’enfant d’acquérir l’identité du groupe, l’esprit
communautaire et le sens des responsabilités envers les autres. En somme, l’intérêt collectif
prime sur les intérêts individuels.

Holistiques et pragmatiques
L’éducation autochtone n’a pas de limites strictes : elle est présente en tous lieux et en
toutes occasions dans le contexte habituel du travail et des loisirs, ce qui signifie que les
enseignements ne sont pas dissociés de la vie quotidienne. Seule l’initiation échappe à cette
règle, puisqu’elle intervient généralement dans un lieu sacré et concentre dans un temps
déterminé toutes les connaissances qui permettent aux jeunes d’assumer leurs responsabilités
dans la société (Kasongo, 2013).
L’éducation autochtones est parfaitement adaptée au milieu. L’un des buts étant d’intégrer
rapidement l’enfant dans le circuit de production, sa participation répond à un double objectif,
d’une part d’offrir une valeur didactique théorique et d’autre part, d’assurer le bien-être de la
famille et de la communauté. L’éducation autochtone africaine est une formation holistique
de l’individu qui intègre les plans physique, moral, intellectuel et esthétique (Lê Thành Khôi,
1995). Ainsi que l’a explicité Mungala (1982) : « l’action éducative est continue et graduelle,
c’est-à-dire sans fossé ni coupures entre les différentes étapes du développement de l’enfant,
entre la famille, le clan et la société, entre la théorie et la pratique » (p. 55). Le niveau de difficulté
des enseignements est progressif, du plus simple au plus complexe, en passant par des paliers
adaptés à chaque catégorie d’âge. Permettre la participation du jeune enfant aux activités et à la
vie du groupe, en fonction de ses possibilités, autorise son enculturation sociale et culturelle.
Selon les principes d’adaptation, d’intégration et de cohésion, l’enfant intègre progressivement
les valeurs culturelles de son groupe en se conformant aux manières d’agir et d’être qui y sont
valorisées. L’intention suprême de l’éducation autochtone est de permettre à l’individu de
trouver sa place dans la société et d’être ainsi un membre intégré et accepté par le groupe.

Actives et démocratiques 
On dit de l’éducation autochtone africaine qu’elle est active, dans ce sens qu’elle ne fait pas de
séparation entre la théorie et la pratique : l’acquisition des savoirs s’effectue par l’expérimentation
de la vie concrète et l’exemple des anciens et des personnes plus expérimentées représente un
facteur central dans la transmission des savoirs. Le processus éducatif est ainsi très fortement
marqué par l’expérience vécue, l’apprentissage informel, l’apprentissage sur le tas, par imitation,
ou encore l’apprentissage expérientiel (Baba-Moussa et al., 2014).
Par ailleurs, cette éducation est démocratique car elle est gratuite et populaire. En effet, elle ne
connaît pas de déperditions puisque c’est la langue de tous les jours qui est employée (et non une
langue académique ou étrangère) et elle est fondée sur l’observation et l’imitation qui sont, en
principe, accessibles à tous. De même, les modalités souvent ludiques permettent de s’instruire

57
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

en s’amusant, ce qui permet à toutes les catégories d’âge de participer aux apprentissages et ainsi
de nouer des liens intergénérationnels. Il convient de rappeler que les savoirs de type ésotérique
ou spirituel ne sont pas transmis à tous. Ils sont détenus par le marabout (autorité religieuse de la
communauté) et sont parfois transmis dans un même lignage.

Mystiques
Croyance spirituelle largement répandue en Afrique, l’animisme est caractérisé par le culte des
ancêtres, la croyance en la réincarnation, un aspect initiatique ou encore le totémisme. En règle
générale, les Africains épousent la pensée et la sagesse axées sur la spiritualité. Cette spiritualité
est d’ailleurs un concept assez vaste, porteur de significations diverses y compris au sein d’un
même groupe culturel. Elle englobe les relations entre les âmes vivantes et les morts-vivants,
l’autonomisation de soi et de la collectivité, l’humilité, les pouvoirs métaphysiques et psychiques,
la guérison et l’intégrité. La spiritualité définit les interactions entre le corps, l’esprit et l’âme, en
relation avec « les valeurs, les croyances et les idées d’intégrité et de dignité qui façonnent la
conscience individuelle et collective en une existence unifiée » (Dei, 2002 ; Asante,1987).

L’éducation autochtone est profondément ancrée dans la conception animiste et les croyances
religieuses africaines. Ces croyances sont marquées par des interdits qui déterminent dans
une large mesure les relations que l’homme établit avec la nature, la communauté humaine
et le monde de l’invisible. Par ailleurs, les relations avec le monde de l’invisible se caractérisent
par des échanges entre les vivants et les morts, les derniers jouant le rôle d’intermédiaires
entre les divinités et les hommes. Ceci explique que la famille africaine ne soit pas composée
uniquement de vivants, « elle s’étend jusqu’aux morts, aux invisibles » (Mungala, 1982, p. 58).
Dans cette vision du monde, il faut respecter et craindre la nature et les forces naturelles, telles
que la foudre, le fleuve, les animaux ou les arbres sacrés, qui protègent le clan, font l’objet
d’une profonde vénération. La crainte des forces naturelles, de leur puissance face à l’homme
inoffensif, favorise les interactions et une cohabitation harmonieuse avec l’environnement.

Homogènes
À l’origine, l’éducation autochtone africaine soumettait tous les enfants à un même type
d’éducation qui poursuivait le même idéal :

Faire de l’enfant l’homme de la famille, du clan, de l’ethnie ; l’homme


qui devra travailler dur pour fonder la famille et lui assurer le bonheur ; l’homme qui
obéit à ses parents et aux aînés, qui se soumet à la réglementation sociale du groupe,
qui aide les vieillards, les faibles et les étrangers ; l’homme qui connaît son milieu, sa
société et s’y harmonise ; l’homme qui pourra perpétuer les traditions de son clan,
de son ethnie, etc. 
(Mungala, 1982, p. 65)

58
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

Les tâches sont donc divisées selon le genre : le petit garçon suit l’exemple des hommes et la

PARTIE I : Pédagogies


petite fille, l’exemple des femmes. Tels des partenaires à la poursuite d’un même but, l’homme
doit subvenir aux besoins de sa famille et la femme prendre soin de son foyer. Les adultes
servent donc d’exemple et de modèles pour les jeunes.

Comme nous venons de l’exposer, les apprentissages se réalisent par immersion et


imprégnation. Le Tableau 3 expose trois grands principes pédagogiques autochtones africains :

Tableau 3 : Principaux principes pédagogiques autochtones africains

Caractéristique Explication
Caractère méritocratique La connaissance ne se transmet pas à tous. Plus elle est profonde, plus
il est important de mettre le candidat à l’épreuve pour savoir s’il est
capable de recevoir les enseignements sans les déformer, s’il maîtrise la
parole, ou encore s’il sait garder un secret.
La motivation de l’élève et son engagement dans les apprentissages se
mesurent à l’effort qu’il est prêt à fournir : « la peine ne doit pas lui être
ménagée » (Erny, 2001, p. 286)
C’est à l’apprenant de rechercher son maître et non le contraire.
L’enseignement doit être la réponse à une quête, une demande à
laquelle l’apprenant a déjà cherché à répondre par lui-même.

Valeur pédagogique de Fonction positive de la peine et de la douleur volontairement acceptées,


la souffrance car « ce qui s’inscrit dans le corps ne s’oublie jamais » (Erny, 2001, p. 286).
Dans la formation du jeune, il est important de lui faire vivre des
choses intenses, fortes et parfois dangereuses, dans le but de l’arracher
au confort de la vie quotidienne et de le rendre capable « d’unir par
d’indissolubles liens de fraternité ceux qui ont surmonté ensemble les
épreuves » (Erny, 2001, p. 286).

La symbolique comme Importance de la symbolique dans les rites de passage ou d’initiation


marqueur d’une pour « structurer le temps, orchestrer les grands passages, montrer la
transition force et la permanence du groupe et de la tradition qui le fonde, jalonner
la vie et lui donner ainsi une orientation, un sens. » (Erny, 2001, p. 286).

Source : Essai sur l’éducation en afrique noire, Pierre Erny, Collection Études africaines, © Editions l’Harmattan, 2001

Ainsi que nous l’avons mentionné, l’éducation autochtone africaine a pour but principal
l’insertion et l’intégration de l’individu dans sa société, ce qui confère une importance majeure
aux devoirs et responsabilités de chacun vis-à-vis de sa communauté. Le sens du respect pour
les anciens, l’esprit d’entraide, la solidarité, l’hospitalité sont des valeurs fondamentales qu’il est
nécessaire que chaque membre possède et maîtrise (Mungala, 1982).

59
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Dans l’éducation autochtone africaine, l’entraide est illustrée par l’importance du confiage
d’enfants à d’autres membres de la famille élargie pour assurer leur éducation. Bien que cette
pratique ne soit pas généralisée dans toutes les sociétés africaines, elle est particulièrement
répandue en Afrique de l’Ouest (Fall & Cissé, 2018). On observe ainsi des stratégies
contemporaines de scolarisation qui utilisent le confiage pour permettre à certains enfants
d’aller à l’école (Pilon, 2005).

Isimat-Mirin (2015) résume bien les caractéristiques de l’éducation autochtone en Afrique :

 L’éducation traditionnelle est obligatoire, collective et commune (famille, clan,


village et ethnie), pragmatique (pédagogie du vécu et de l’exemple), progressive (classes
d’âge et initiation), immuable et mystique. Ce dernier caractère s’avère essentiel car,
dans tous les peuples et toutes les ethnies, l’accent est mis avec force sur les rites et les
croyances religieuses ; ceux-ci sont accompagnés d’une foule d’interdits alimentaires,
sociaux et culturels, soutenus par les contes, les récits mythiques, les chants et les
veillées ; ils visent à entretenir la mémoire du passé, à cultiver la peur des forces naturelles
que sont la foudre, l’eau et les rivières, les animaux, les arbres sacrés et les génies. 
 
(Isimat-Mirin, 2015, p.45)

En dépit des formes multiples et très diverses qu’elle peut prendre, l’éducation autochtone
africaine présente, ainsi que nous l’avons évoqué, certaines caractéristiques inaltérables, l’aspect
le plus prégnant étant l’adéquation des savoirs transmis au contexte dans lequel ils s’insèrent.

3. Techniques de transmission des savoirs


Nous allons présenter et détailler cinq techniques de transmission des savoirs utilisées dans
l’éducation autochtone africaine. Les acteurs de la transmission détiennent la connaissance, d’où
l’importance de la prise en compte des acteurs locaux porteurs de savoirs tels que les « chefs,
anciens, juges, prêtres, conteurs, artistes, musiciens, artisans, guérisseurs, chasseurs, griots,
initiateurs, herboristes, etc. » (Erny, 2001, p. 285).

C’est principalement au travers de la culture orale, suivant des règles rigoureuses, que les savoirs
sont transmis. Les récits éveillent à l’observation et à la connaissance du monde environnant. Ils
deviennent des supports à l’enseignement de la morale sociale (Erny, 2001).

60
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

Tableau 4 : Techniques autochtones de transmission des savoirs en Afrique

PARTIE I : Pédagogies


Technique utilisée Savoirs visés
Le conte Transmission des connaissances portant sur l’environnement physique,
social et moralisateur, montrant à l’enfant comment le mal est puni et le bien
récompensé.

Permet d’apprendre la généalogie, la géographie, l’histoire, la cosmogonie, etc.


Les légendes Acquisition de connaissances relatives à l’histoire de la famille, du clan, de
l’ethnie, à la localisation spatiale de celle-ci, aux itinéraires suivis lors des
migrations, aux cours d’eaux et aux fleuves traversés, etc.
Les devinettes Rendent l’enfant actif et en font l’acteur principal de l’enseignement. Seul, il
doit chercher et trouver la bonne réponse.

Par l’émulation, les enfants sont amenés à se surpasser. C’est un concours


ouvert à tous les enfants de la communauté, sans discrimination.

Ont trait à une large connaissance du milieu : nom de personnages illustres,


parties du corps humain, animaux, plantes, phénomènes naturels.

Font appel à la mémoire, à l’imagination, à l’esprit d’observation.


Les proverbes Utilisés pour guider un enfant.

Rôle didactique : forment l’enfant en lui inculquant une ligne de conduite telle
qu’attendue par la société (prudence, méfiance, modestie).

Rôle juridique : les anciens s’en servent pour trancher lors de débats ou de
palabres.
Les rites d’initiation L’action éducative se poursuit par des rites à l’âge de la puberté. Valeur et
force des rites d’initiation et de passage, en tant que facteur d’intégration,
d’insertion sociale, d’institution à la culture, garants de la santé morale
et physique. Ces rites sont des facteurs puissants contre la déviance et la
délinquance sociale par leur pouvoir d’explicitation des références et des
repères socioculturels. (Erny, 2001, p. 34).

Source : Adapté de Kasongo, 2013 & Erny, 2001

61
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Pour prendre l’exemple du conte, c’est à travers celui-ci que l’enfant sera amené à apprendre :

 La langue (vocabulaire et phraséologie), l’art de conter (langage et rhétorique), les


caractéristiques des animaux (zoologie), les comportements humains ou la conduite des
hommes à travers celle des animaux (psychologie), le chant, le savoir-vivre en société
(morale, civisme).
 
(Kasongo, 2013, p.28)

C’est donc un type d’éducation qui, dans la majorité des situations, emploie des méthodes
d’éducation attractives, naturelles et non contraignantes (Mungala, 1982)
Les devinettes peuvent être décrites comme un jeu de l’esprit qui suscite une compétition
entre celui qui pose la question et celui qui doit trouver la réponse. Bon nombre d’entre elles
n’ont de sens que dans la culture qui leur a donné naissance. Comme le mentionne Erny (2001),
ce sont des activités ludico-pédagogiques codifiées et régies par des règles strictes et dont le
contenu et les règles reflètent les valeurs morales du groupe social. Elles exigent par ailleurs une
bonne connaissance du milieu naturel ainsi que la maîtrise des difficultés inhérentes à la langue,
permettant ainsi de stimuler l’exercice de la mémoire et les facultés de compréhension. Une
autre compétence développée par ce type d’exercice est la prise de parole devant un groupe,
lorsque le répondant exprime et justifie son point de vue et son raisonnement. Les devinettes
ont également un rôle socialisateur, car elles mettent l’enfant « en situation de communication
et lui demandent de se tailler une place au sein du groupe » (Erny, 2001, p. 312). Finalement, leur
fonction symbolique est également majeure car elles se nourrissent de symboles propres à une
société et contribuent à la perpétuer (Erny, 2001).
En passant en revue les multiples techniques utilisées pour la transmission du savoir, nous avons
pu démontrer que l’éducation autochtone africaine est parfaitement adaptée à son milieu et
répond aux besoins spécifiques des communautés. Les modes préférés sont de type ludico-
pédagogique et tous les enfants du groupe sont encouragés à y participer. La pertinence des
savoirs favorise l’engagement des apprenants qui sont alors fortement mobilisés et engagés
dans leur apprentissage, en particulier par le puissant sentiment d’appartenance que ce type
d’éducation éveille en eux. Par ailleurs, l’analyse des caractéristiques des éducations autochtones
africaines fait ressortir leur similitude avec la dynamique des savoirs autochtones abordés dans
le précédent chapitre.

4. Les rites de passage


La transformation opérée par l’initiation est communément symbolisée par une mort et une
renaissance. Les rites initiatiques auxquels sont généralement soumis les individus d’une
même catégorie d’âge représentent des occasions privilégiées pour la transmission de savoirs
spécifiques (Baba-Moussa et al., 2014). Les initiations sont habituellement divisées en cinq
étapes (Erny, 2011, p. 325) :

62
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

1. Une rupture

PARTIE I : Pédagogies


2. Un temps de réclusion en marge de la société mais à proximité des invisibles, marqué
par un ensemble de prohibitions

3. Une ou plusieurs épreuves souvent douloureuses donnant l’occasion de démontrer


son courage et son endurance

4. Un enseignement essentiellement d’ordre moral et la révélation d’un secret

5. Un retour des jeunes au sein du groupe en tant que porteurs d’un nouveau statut

Parmi les rites de passage, ceux qui officialisent le passage de l’état culturel de l’enfance à l’état
culturel de l’adulte sont très importants, car ils s’accompagnent de l’acquisition de nouveaux
pouvoirs sociaux et de nouvelles responsabilités. En effet :

 Le but est d’amener le jeune à prendre conscience, d’une part de la rupture avec
la période de l’enfance ou de la jeunesse insouciante et heureuse dans la famille ou le
village, et d’autre part de l’honneur qui va lui être fait d’entrer dans l’âge adulte.
 
(Baba-Moussa et al., 2014, p. 61)

Ces rites de puberté ou d’initiation sont en effet des formes particulières de rites de passage.
Dans beaucoup de sociétés préindustrielles africaines, l’initiation à l’âge de la puberté et les rites
de passage associés jouaient un rôle social majeur et la participation collective à ces rites de
passage était obligatoire pour tous les jeunes.

Par exemple, dans le cas de la circoncision réalisée dans les communautés Massaï du Kenya,
le caractère irréversible de ce rite mutilant induit de facto (1) l’état de séparation du novice
vis-à-vis du groupe social indifférencié des femmes et des enfants et (2) son incorporation
automatique dans le groupe des sujets circoncis. Il s’agit d’un état de différenciation permanent,
acquis et collectif, qui peut être accompagné de marques de différenciation temporaires
(masques, peintures corporelles, sistres, etc.). On constate que partout où elle est de coutume,
la circoncision est réclamée par les jeunes parce qu’ils ne veulent pas être ridicules aux yeux
de leurs camarades et des filles, et plus profondément parce qu’elle représente pour eux une
occasion de prouver qu’ils sont capables de surmonter sans faiblesse la douleur physique. Elle
demeure donc une étape capitale de l’intégration sociale.
Les évolutions contemporaines conduisent les initiations africaines à se modifier par rapport à
leur forme ancienne, mais on retrouve leur esprit et leur inspiration profonde à d’autres niveaux
et dans d’autres institutions (Erny, 2001). Nous pouvons par exemple citer le cas de l’excision
au Kenya, qui tend à diminuer, voire à disparaître, dans certaines communautés. En effet, à la
suite d’un travail de sensibilisation mené par des femmes issues de communautés Massaï, de
nouveaux rites de passage de substitution sont en train d’apparaître ; notamment, des cours

63
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

sur la féminité suivis auprès d’anciennes par les jeunes filles des communautés remplacent
les rites impliquant des mutilations par une bénédiction donnée par les chefs de village. Il
convient d’attirer l’attention du lecteur sur le fait que la pratique de l’excision reste cependant
un problème majeur dans certains contextes et que la mobilisation de tous les acteurs est
nécessaire pour son éradication (Sylla & Palmieri, 2010).
Un autre exemple de rite de passage a lieu au Togo dans les communautés kabyè. Au cours
du rite appelé Evala, les jeunes hommes de la communauté s’affrontent dans des combats de
lutte, puis ils partent seuls à la chasse. Le rite d’initiation des jeunes filles est appelé Akpema.
Celles-ci doivent d’abord sacrifier une chèvre, puis leurs cheveux sont rasés pour symboliser une
renaissance. Elles reçoivent ensuite la bénédiction du chef du village et trouvent leur place au
sein de la communauté en tant qu’adultes respectées.
Il convient de préciser que l’initiation et le passage d’un statut à un autre est commun à toutes
les sociétés. Comme l’indique Mircea Eliade, citée par Erny :

L’initiation n’est pas le seul apanage des civilisations traditionnelles,


elle est universelle, elle coexiste à la condition humaine, toute existence se constituant
par une suite ininterrompue d’épreuves, « de morts » et de « résurrections », quels que
soient les termes dont se sert le langage pour traduire ces expériences.
 
(Erny, 2001, p. 329)

Nous avons montré tout au long de ce chapitre que la pédagogie autochtone africaine se
caractérise à la fois par la ritualisation, mais aussi par la vertu de la parole. Les cérémonies de
sortie de l’enfance, la circoncision, l’entrée et la sortie du couvent (hundidé et hundéton), le
mariage, les cérémonies mortuaires, etc. Chacune de ces cérémonies constitue une occasion
de manifester la forme éducative que l’Africain veut imprimer à la génération montante.
L’enrichissement de l’être éducable se fait par la parole que la société lui transmet, « les
vestiges du passé et les secrets de la société mouvante. La parole sert donc à transmettre le
message de l’éducation. Elle tient lieu de moyen par lequel les incitations, la stimulation, les
conseils, les explications, les propositions ouvertes de modèles, les sanctions sont données »
(Gbechoevi, 2018).

En définitive, sans pour autant viser à l’exhaustivité, nous avons présenté un bref aperçu des
principales caractéristiques et techniques utilisées dans les éducations autochtones africaines,
fondées essentiellement sur les croyances animistes. Nous observons des similitudes avec les
peuples autochtones, en particulier la responsabilité collective de l’éducation et l’amalgame
entre savoirs sacrés et profanes. Il serait donc intéressant de prendre en compte ces éléments
et de les valoriser davantage dans les systèmes d’éducation formels africains qui peinent bien
souvent à intéresser les apprenants aux apprentissages, parce que, trop souvent exogènes,

64
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

les enseignements sont éloignés de leur réalité locale. Comme l’affirme très justement Ng’asike

PARTIE I : Pédagogies


J.T. (2014) :

Le savoir traditionnel autochtone, riche de contes populaires, de chants, de danses,


de mythes, de croyances, de savoirs sur la nature, l’environnement, l’univers, le sol, l’eau,
les plantes et autres ne sont mentionnés sous aucune forme dans l’enseignement
dispensé aux enfants africains. Cette connaissance culturelle est invisible dans les
institutions éducatives africaines, comme si elle n’existait pas. L’ironie, c’est que les
enfants (…) continuent d’apprendre aux portes de leur propre culture (…) à partir de
programmes basés sur l’idéologie occidentale, dans la mesure où les connaissances des
familles des villages sont ignorées par le système éducatif oppressif.
 
(Ng’asike, J. T. p. 46)

Il est dès lors essentiel de développer en Afrique « une pédagogie de la fierté par laquelle on
permet aux jeunes d’un pays d’apprécier dans toutes ses composantes et à sa juste valeur
la culture dans laquelle ils grandissent, et pour cela de la connaître aussi dans ce qu’elle a
de particulier et d’unique. » (Erny, 2001, p. 289). En somme, le meilleur moyen de préserver
l’éducation autochtone serait probablement de l’intégrer dans les programmes scolaires. Dans
la plupart des sociétés africaines, les peuples autochtones ont accumulé au cours des siècles
d’énormes masses de connaissances sur différents sujets. C’est un système holistique, dans
lequel récits, proverbes et mythes jouent un rôle central (Omolewa, 2007).

Serpell et Adamson-Holley (2015) ont procédé à une intéressante comparaison entre certaines
pratiques éducatives en Afrique et ce que l’on appelle maintenant les compétences du 21ème
siècle. La pratique africaine ancienne qui consiste à assigner une responsabilité sociale aux
jeunes, dès leur plus jeune âge, est parfaitement compatible avec les objectifs actuels de
l’éducation en Afrique et ailleurs. Cela peut former le contexte de l’acquisition de connaissances
en matière de santé ou de nutrition, ainsi que pour la promotion des valeurs de coopération et
de soutien aux autres, contribuant ainsi à l’avènement de sociétés pacifiques. La participation
précoce des enfants au travail familial est interprétée dans de nombreuses sociétés africaines
comme un élément fondamental de la responsabilité sociale et une dimension importante de la
conception africaine de l’intelligence.

L’Afrique peut aussi puiser dans un héritage pédagogique susceptible d’intéresser le reste du
monde. Nous pensons en particulier au concept d’Ubuntu selon lequel « une personne existe
en tant que personne à travers ses relations avec les autres et son respect pour eux. C’est une
philosophie du vivre-ensemble sur la base de l’attention et du respect, qui se construit grâce à
la conviction que les actions d’un individu ont un impact sur les autres, et inversement, ce qui
conduit à la notion de responsabilité mutuelle » (UNESCO, 2018, p. 3).

65
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Selon Oviawe :

Bien que le terme spécifique d’Ubuntu trouve son origine en Afrique australe, il
appartient aux traditions humanistes et plus largement aux systèmes de croyances
africains. Ubuntu est une philosophie de l’être qui situe l’identité et la création de sens
dans une approche collective, par opposition à une approche individualiste. Il s’ensuit
que l’individu n’est pas indépendant du collectif ; la relation entre la personne et sa
communauté est plutôt de nature réciproque, interdépendante et mutuellement
bénéfique.
 
(Oviawe, 2016, p. 3)

La manière dont cette approche est utilisée aujourd’hui constitue une piste intéressante pour
l’éducation, suggérant une perspective moins instrumentale, positiviste, euro-centrique et
individualiste. Dans le contexte africain, il ne s’agit pas d’argumenter en faveur de l’élimination
du modèle éducatif occidental en tant que tel, mais plutôt de suggérer que la combinaison
d’attributs utiles des systèmes de connaissances organiques positivistes et des systèmes
non linéaires pourrait créer un cadre approprié pour une expérience éducative holistique,
transformatrice et émancipatrice pour tous (Oviawe, 2016).

Enfin, les éducations africaines autochtones permettent de créer des liens entre les Africains
et leur histoire, dans le but de mieux préparer le présent et le futur. Étant donné l’urbanisation
accélérée du continent, de nombreux jeunes ne sont plus en contact avec les pratiques
éducatives autochtones, alors qu’il est important de les sensibiliser à la sagesse traditionnelle et
à ses multiples facettes.

Pour conclure ce chapitre, nous réaffirmons qu’il paraît capital de prendre en considération
l’apport des éducations autochtones africaines dans les systèmes éducatifs formels. Cette
orientation permettra ainsi d’adapter l’école formelle aux réalités socioculturelles africaines.
Comme l’écrivait déjà en 1954 Cheik Anta Diop, cela suppose que « l’Afrique se débarrasse du
complexe d’infériorité généré par sa longue domination et qui conduit à penser son avenir à
travers des modèles exogènes empruntés d’Occident ». Il ne s’agit pas d’une attitude passéiste
considérant avec naïveté que l’Afrique animiste ne connaît que le calme et la sérénité. Mais c’est
un effort nécessaire pour permettre aux Africains de s’approprier la forme scolaire.

Malheureusement, dans l’éducation scolaire africaine, la marginalisation systématique des


épistémologies autochtones africaines est presque la condition préalable à la modernité
éducative. La prévalence hégémonique de l’éducation moderne existe dans le contexte
des inégalités mondiales. Les connaissances et compétences autochtones sont jugées
non pertinentes et incompatibles avec la mondialisation et ses paradigmes (Manthalu &
Waghid, 2019).

66
Chapitre 3 - Les éducations autochtones africaines : collectives et créatrices de lien social

Les réflexions à mener dans ce domaine doivent composer avec les tensions induites par

PARTIE I : Pédagogies


l’entrée des jeunes africains dans l’ère de la modernité, avec la mentalité scientifique et
technologique qui la caractérise, sans pour autant les couper des spécificités inhérentes à leurs
cultures (Baba-Moussa et al., 2014). Qu’il s’agisse des décideurs, des enseignants, des élèves ou
des parents, la greffe de la forme scolaire ne peut pas prendre sur du néant, mais sur le vaste
héritage pédagogique autochtone africain, notamment en redonnant aux langues et aux
savoirs endogènes une place influente et centrale dans le processus éducatif formel. En effet,
une éducation adaptée et endogène, respectant « la spécificité africaine, mais ouverte sur le
monde, est un préalable important pour le développement de l’Afrique » (Baba-Moussa et al.,
2014, p. 127). Pour en finir avec les discours récurrents sur l’inadaptation de la forme scolaire au
contexte africain et sur l’incapacité de l’Afrique à entrer dans l’histoire, il nous paraît crucial de
ne pas couper les futures générations d’Africains des bases de leur éducation autochtone : « les
Africains doivent construire leur modernité à partir de leurs propres références culturelles »
(Sy, 2009, p. 139).

67
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Chapitre 4
L’école coranique :
entre permanence
et transformations

68
Chapitre 4 - L’école coranique entre permanence et transformations

Dans les pays et les régions du monde à forte population

PARTIE I : Pédagogies


musulmane, l’école coranique accueille depuis des siècles
un grand nombre d’enfants et de jeunes qui y reçoivent une
instruction religieuse et accèdent à la culture de l’écrit. Ce
chapitre analyse les caractéristiques de l’école coranique
contemporaine, les avantages et les limites de cette institution,
avant d’aborder les transformations contemporaines dans
différentes régions du monde.

1. Les caractéristiques de l’école coranique


Le monde arabo-musulman s’intéresse depuis longtemps à la production de savoirs, aussi bien
profanes que religieux, comme l’atteste l’héritage de penseurs tels que Al-Fârâbî ou Ibn Khaldûn
(Günther,2006 ; Arfa Mensia, 2018) et celui des universités islamiques. L’école coranique a été la
première étape de cette quête des savoirs. Institution présente dans de nombreuses régions du
monde, l’école coranique possède des caractéristiques semblables malgré sa grande diversité et
sa capacité d’adaptation à son milieu d’implantation (Akkari, 2005 ; Haviz, 2017). L’enseignement
islamique assume donc un rôle premier dans la socialisation. On y retrouve les dynamiques
éducatives qui fondent l’éducation autochtone africaine, c’est-à-dire la transmission, par les
aînés, des codes et des formes de sociabilité qui permettent au jeune de comprendre et
d’intégrer le fonctionnement du groupe, d’y trouver sa place et d’y jouer son rôle. L’école
coranique est le lieu où les enfants et les adolescents acquièrent traditionnellement les bases
de leur éducation religieuse et spirituelle, en apprenant à lire, à écrire et à mémoriser le texte
coranique (Lozneanu & Humeau, 2014). Les enfants y sont inscrits le plus souvent dès leur jeune
âge (entre quatre et cinq ans). Dans les écoles coraniques traditionnelles et anciennes, ils sont
généralement assis sur des nattes, ils répètent après le maître coranique les versets du Coran
qu’ils prononcent la plupart du temps sans les comprendre. Plus tard, ils apprennent l’alphabet
arabe transcrit sur une planche en bois couverte de glaise. Après avoir acquis l’alphabet, l’enfant
transcrit à l’aide d’une plume de roseau et en se servant d’une encre naturelle les versets que
lui dicte le maître : il apprend d’abord les petites sourates et passe graduellement aux sourates
les plus longues. Toutefois, de nombreuses écoles coraniques ont pris leurs distances avec ce
modèle traditionnel immuable en adoptant un mode d’organisation plus proche de la forme
scolaire. Les bancs ont remplacé les nattes et les ardoises, le tableau noir a remplacé la planche
de bois. Elles ont également transformé leur curricula en introduisant des disciplines profanes et
d’autres langues que l’arabe.

69
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

La première caractéristique de l’école coranique concerne son accès ouvert à tous, puisque
la seule condition à remplir par l’enfant est d’être de père musulman. Il n’y a pas de restrictions
liées à l’âge, au genre, au niveau intellectuel, à l’origine sociale ou à un handicap physique.
L’école coranique offre une socialisation-instruction religieuse à tous les enfants, quelle que
soit leur origine sociale. Cette ouverture ne permet pas à l’école coranique de jouer un rôle
important dans la différentiation, la distinction et la stratification sociale.

La deuxième caractéristique est la ritualisation de l’approche pédagogique. Les rythmes


d’apprentissage sont marqués par des incantations, des récitations et des répétitions. La
méthode d’écriture privilégie la démarche analytique (apprentissage des lettres, puis des mots,
puis des phrases, etc.). Ce traditionalisme pédagogique correspond à ce que Paulo Freire aurait
qualifié d’éducation bancaire (métaphore du dépôt), basée sur la transmission et l’imposition
de contraintes par la soumission ou l’adhésion religieuse.

La troisième caractéristique est la mémorisation. Dans la tradition islamique, la mémorisation


du Coran, en tant que livre sacré pour les musulmans, est considérée comme une première
étape appropriée du processus d’apprentissage, de compréhension et de développement de
la raison et de la discipline, ces compétences de mémorisation étant destinées à leur tour à
conduire finalement l’élève à une plus grande connaissance de Dieu et du monde (Boyle, 2006).
Il ne faudrait cependant pas réduire ces écoles à un enseignement religieux porté uniquement
par la mémorisation d’un texte sacré, car elles servent des fins complexes. Ainsi que nous l’avons
mentionné plus haut, elles assurent aussi l’enculturation dans la société ainsi que la socialisation
des jeunes générations aux normes et valeurs partagées par le groupe.

La quatrième caractéristique est la résilience et la résistance à la forme scolaire dans les


espaces culturellement investis par l’école coranique (Yacouba, 1995), alors même que la
colonisation européenne et les politiques de modernisation mises en œuvre dans certains
États-nations à majorité musulmane ont, dès le 19ème siècle et pour la première fois de son
histoire, relégué l’école coranique dans une position de marginalisation et de domination
culturelle. Les enfants des notables se sont trouvés soumis à des influences culturelles
contradictoires, d’un côté l’école coranique gardienne de la tradition et de l’autre, l’attraction
des écoles coloniales modernes. Ces tensions ont installé une dualité culturelle dans les sociétés
d’Afrique du Nord et de l’Ouest, entre d’une part l’école coranique censée préserver la tradition
et d’autre part la spiritualité et l’école moderne (occidentale) qui permet l’entrée dans la
modernité, les sciences et la technologie.

La cinquième caractéristique concerne la malléabilité et la diversité (infrastructure, espace,


temps, langue, curriculum, finalités). La diversité de l’école coranique est instantanément
détectable dans ses nombreuses dénominations : kuttâb (Tunisie, Algérie), madrasa (Afrique de
l’Ouest), M’sid (Maroc), daara (Sénégal), mahadara (Mauritanie), Pesantren (Indonésie), etc.

70
Chapitre 4 - L’école coranique entre permanence et transformations

En ce qui concerne la gestion de l’espace–classe, l’école coranique peut fonctionner dans une

PARTIE I : Pédagogies


école adjacente à une mosquée à la riche architecture, dans une maison particulière, sous une
tente, dans un hangar, sous une paillotte, sous un arbre, en plein air, etc.

Quant à la gestion du temps-classe, l’organisation du temps ne coupe pas l’enfant des activités
économiques et sociales de la communauté, car le calendrier de l’école coranique s’adapte le
plus souvent à la vie sociale et économique locale, ce qui signifie que son rythme s’adapte à
celui de la communauté, et non l’inverse.

Dans certains contextes, l’école coranique est mixte (filles et garçons). Dans d’autres, on
trouve des écoles coraniques séparées pour les filles et les garçons. Mais, comme le montre le
Tableau 5 ci-dessous, et contrairement à une idée reçue, les filles ne sont pas systématiquement
sous-représentées dans les écoles coraniques comparativement aux écoles formelles.

Tableau 5 : Pourcentage des filles par situation éducative

% de filles Côte Tchad Comores Mauritanie Nigéria Somalie Burkina Gambie* Sénégal*
d’Ivoire (2004) (2004) (2011) (2012) (2011) Faso* (2013) (2011)
(2008) (2009)
Absence de
structures 44 58 57 53 49 53 51 49 49
éducatives
Uniquement
éducation
arabo- 48 28 46 46 64 49
islamique
non-formelle
Éducation
arabo-
50 26 50 34 42 59
islamique
formelle
Autres
structures
42 38 47 52 45 45 48 51 51
éducatives
formelles

*L’enquête ne collecte que l’éducation arabo-islamique formelle


Source : D’Aiglepierre R, Hamidou D., Hugon C. (2017), « Peut-on ignorer l’éducation arabo-islamique en Afrique
subsaharienne ? », Question de développement no 36, Agence française de développement.

71
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Pour ce qui est des langues utilisées, l’arabe standard est en principe la langue d’enseignement
des écoles coraniques. Les langues locales sont toutefois utilisées en combinant subtilement
l’oral et l’écrit.

L’école coranique réussit en général la symbiose avec le système culturel d’accueil et permet
une articulation entre le local (langues locales, patrimoine local) et le mondial lié à l’islam
(religion universelle, langue arabe, mobilité des enseignants-maîtres, participation à une
religion transnationale). Toutefois, du fait de ses finalités spécifiques et de son curriculum axé
sur le religieux, l’école coranique s’insère difficilement dans un système national d’éducation.
Elle représente en effet une forme pédagogique décentralisée et le maître coranique est
habituellement recruté et payé par les communautés locales (Akkari, 2005).

2. Avantages et limites
Contrairement à l’école moderne ou étatique qui est le plus souvent située à la lisière des
villages, notamment en Afrique, l’école coranique est généralement implantée au cœur des
communautés locales, en symbiose avec elles, habituellement dans un lieu central attenant à la
mosquée ou proche de celle-ci. L’importance de la formation spirituelle motive les parents à y
amener spontanément leurs enfants.

Un autre avantage majeur de l’école coranique est son faible coût, qui est généralement
supporté par l’ensemble des membres de la communauté en fonction de leurs possibilités.
L’école coranique propose un enseignement gratuit, individualisé et basé sur le volontariat
(Ould Mouloud, 2017). Ces caractéristiques autorisent son expansion rapide et même des
possibilités de généralisation. Contrairement au Christianisme, l’absence de clergé hiérarchisé
dans l’Islam offre une grande souplesse dans la nomination des maîtres coraniques, déterminée
essentiellement par la communauté locale et en fonction de la disponibilité et de la réputation
de ces maîtres.

Il convient cependant de noter que les écoles coraniques présentent des nombreuses
limitations, liées en particulier au fait que certaines peuvent être utilisées par des mouvements
intégristes pour mettre en œuvre des stratégies d’embrigadement, d’enfermement et
d’endoctrinement religieux. Waghid (2011) affirme toutefois que l’éducation islamique ne
peut pas être tenue pour seule responsable de la montée de l’extrémisme religieux, car elle
a de multiples facettes et elle tend vers trois objectifs : tarbiyyah – qui vise à éduquer les
enfants, ta’lim – plus lié à l’instruction formelle et structurée et ta’dib qui met l’accent sur la
bonne conduite.

L’étude de Nazar, Österman & Björkqvist (2017) a exploré les différences entre des élèves
pakistanais fréquentant trois types d’école différents (écoles de langue anglaise, écoles
publiques, écoles coraniques (appelées madrassas au Pakistan), sur les critères de la tolérance
religieuse, du point de vue sur l’égalité des sexes et de l’attitude belliqueuse à l’égard de
l’Inde. Des différences significatives ont été constatées : les élèves fréquentant les écoles
de langue anglaise se sont plus distingués que les autres élèves, obtenant les scores les plus

72
Chapitre 4 - L’école coranique entre permanence et transformations

élevés en matière de tolérance religieuse et d’égalité des sexes, et les plus faibles en termes

PARTIE I : Pédagogies


d’attitude belliqueuse à l’égard de l’Inde, tandis que les élèves des madrassas ont obtenu les
résultats les plus faibles en matière d’égalité des sexes. Les filles des madrassas ont obtenu
des scores inférieurs à ceux de tous les autres élèves en matière de tolérance religieuse et plus
élevés en attitude belliqueuse. Pour nuancer les résultats de cette étude, on peut aussi avancer
que les différences dans l’origine socioculturelle des élèves des trois types d’école expliquent en
partie les résultats obtenus.

La place de l’éducation des filles dans les écoles coraniques est souvent remise en question
par certains religieux radicaux. Au Sénégal, l’éducation arabo-islamique a pu s’ouvrir
progressivement et s’adapter à un public féminin de plus en plus nombreux. Cette ouverture
est néanmoins ambiguë, car elle est prise en étau entre le conservatisme religieux et le désir des
femmes d’être actives au sein de l’élite (Sène, 2016). Par ailleurs, malgré l’ouverture de certaines
écoles coraniques à des apprentissages non-religieux (soutien scolaire, langues étrangères,
mathématiques, etc.), la surreprésentation de l’enseignement religieux interpelle à un moment
où les sociétés dans lesquelles l’école coranique a trouvé une place ont besoin de savoirs
scientifiques et technologiques pour apporter des solutions concrètes à leurs problèmes
aigus de sous-développement socioéconomique et aux défis environnementaux.
En outre, certaines écoles coraniques, en particulier en Afrique de l’Ouest, sont utilisées pour
enrôler de jeunes enfants dans des circuits de mendicité. Les talibés sont ainsi confiés par leurs
familles à un marabout qui les oblige à arpenter les rues des grandes villes pour demander
l’aumône. Sévices et châtiments corporels sont monnaie courante dans ce contexte (Boutin,
2019 ; Ballet et al, 2019).

Il faut cependant garder à l’esprit le fait que les écoles coraniques sont traversées par des
courants spirituels extrêmement diversifiés. Elles peuvent donc jouer un rôle très contrasté dans
l’apaisement ou l’exacerbation des tensions entre l’Islam et les cultures locales (Zainal Arifin,
2010 ; Charlier et al., 2017).

3. Les transformations contemporaines de l’école coranique


Dans les pays à forte population musulmane, l’école coranique s’est transformée durant les
dernières décennies. Il est donc nécessaire d’analyser cette transformation en référence à l’école
moderne aussi bien publique que privée.

Dans l’ensemble, nous pouvons identifier quatre logiques de transformation :

1. Distinction par rapport à l’école publique : il s’agit de fournir une offre spécifique
axée sur le développement des compétences et la connaissance de la religion. Cette
logique émerge dans des pays où le système scolaire étatique est fort et généralisé
(Indonésie, Tunisie, Turquie). Le système coranique répond à des besoins spécifiques
dans un contexte marqué par un renouveau du sentiment religieux et par l’activisme
de la société civile.

73
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

2. Complémentarité avec l’école publique : l’école coranique peut prospérer dans les
contextes où il est nécessaire de répondre aux besoins de groupes socioculturels
marginalisés comme les populations pauvres, nomades et rurales (Gambie, Kenya, Mali,
Nigéria, Sénégal). Ainsi, lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’offrir l’accès au préscolaire
à la plupart des enfants pauvres, de nombreux pays d’Afrique délèguent à l’école
coranique cette tâche jugée importante par les spécialistes de la petite enfance.
3. Incorporation dans le système public : l’école coranique peut dans certains contextes
trouver une place dans le système étatique, avec le financement de l’État (Égypte,
Ghana, Indonésie, Iran, Maroc, Pakistan, etc.).
4. Substitution à l’école publique : lorsque le système scolaire étatique est défaillant
ou quasiment absent (Afghanistan, Somalie), l’école coranique peut être la seule
alternative locale offrant une instruction religieuse et profane.
Notons qu’un même pays peut faire cohabiter ces quatre logiques et que se pose partout la
question du contrôle et de la supervision de l’école coranique par les autorités publiques. Il est
courant d’observer dans certains pays un manque de connaissance statistique flagrant à propos
de l’école coranique et de son fonctionnement.

Dans une étude réalisée au Ghana par USAID, Boyle, Seebaway, Lansah et Abdenour Boukamhi
(2006) mettent en évidence le processus d’évolution continue des écoles coraniques, passant
du modèle traditionnel à un modèle intégré au système éducatif national (cf. Figure 2 ci-
dessous). Alors que de nombreuses structures débutent en tant que makaranta ou école
coranique traditionnelle, certaines évoluent vers des écoles arabes intégrant l’apprentissage
de la langue arabe en plus du Coran, tandis que d’autres se transforment en écoles anglo-
arabes utilisant à la fois l’arabe et l’anglais et intégrant des contenus non religieux comme les
mathématiques et les sciences. La dernière étape pour certaines écoles consiste à fonctionner
sous l’auspice des pouvoirs publics. Ces processus de transformation se reflètent également
dans la diversité des sources de financement des écoles coraniques qui sont financées par l’État
pour 62,5 %, par les frais d’écolage payés par les parents pour 31,25 % et par des fonds venant
de l’étranger pour les 6,25 % restants.

Figure 2 : Continuum d’évolution des écoles islamiques au Ghana

Écoles publiques
Écoles arabes
intégrées

Modèle Modèle
traditionnel intégré

Écoles islamiques Écoles


traditionnelles angloarabes

Source : Adapté de Boyle, Seebaway, Lansah & Abdenour Boukamhi (2006), p.22

74
Chapitre 4 - L’école coranique entre permanence et transformations

PARTIE I : Pédagogies


L’étude effectuée par Tawil (2006) dans la région de Chefchaouen au Nord du Maroc a mis
en évidence la nécessité d’examiner les formes coraniques d’éducation en lien avec l’effort
déployé par l’État national pour développer la scolarisation. D’une part, la demande parentale
de préscolarisation et l’incapacité de l’État à y répondre a fait émerger une école coranique
pré-primaire modernisée et privée qui se distingue de l’école coranique traditionnelle et
communautaire par ses finalités, par son mode d’organisation pédagogique et par le profil des
éducateurs. D’autre part, en dépit des avancées du projet de scolarisation massive de l’État
marocain, les formes coraniques d’apprentissage résistent, car elles semblent mieux adaptées
à l’identité et à l’héritage culturel de certaines régions. Au début des années 1990, 6,6 % en
moyenne de la population alphabétisée au Maroc et plus de 16 % des hommes alphabétisés
dans les zones rurales apprenaient encore à lire et à écrire par les formes traditionnelles
de l’apprentissage islamique et non par le biais des écoles publiques ou des programmes
d’alphabétisation pour adultes.

En Afrique de l’Est, les recherches démontrent l’effet bénéfique de la fréquentation des écoles
coraniques préscolaires de type Madrasa Resource Center sur les gains cognitifs des enfants, en
comparaison avec des types d’écoles préscolaires ne prenant pas en compte le facteur culturel
et religieux, ou encore avec l’absence de préscolarisation (Mwaura, Sylva & Malmberg, 2008 ;
Malmberg, Mwaura & Sylva, 2011). Ce type d’enseignement préscolaire se situe dans un modèle
de type anglo-arabe (cf. Figure 2 ci-dessus).

Lozneanu et Humeau (2014) suggèrent une typologie des écoles coraniques proche de celle
du Ghana, objet de l’analyse déjà mentionnée. Qu’elles soient traditionnelles ou modernes, les
écoles coraniques axent leur enseignement sur la mémorisation du Coran et sur l’acquisition
des rudiments de sciences islamiques. Les écoles dites modernes proposent souvent un cadre
d’accueil plus formel, ainsi que des horaires d’enseignement le matin et l’après-midi, adaptés à la
fréquentation de l’école conventionnelle durant la journée. Les écoles franco-arabes13, publiques
ou privées, sont des écoles « mixtes » où la langue arabe, le Coran et les sciences islamiques
sont enseignés aux côtés de matières scolaires en français, depuis le cycle fondamental jusqu’au
secondaire. Il existe également des médersas « arabo-islamiques », souvent portées par le
courant « réformiste » de l’islam, qui privilégient les sciences islamiques et la langue arabe. Elles
peuvent parfois être rapprochées de la catégorie des écoles franco-arabes car certaines d’entre
elles tendent peu à peu à intégrer quelques enseignements non-religieux.

La forme d’apprentissage proposée par l’école coranique cadre difficilement avec les catégories
habituellement utilisées pour définir les formes alternatives d’éducation. Garnier (2018)
propose une clarification conceptuelle permettant de distinguer entre éducation informelle,

Le terme « école franco-arabe » apparaît sous l’impulsion du Français Louis Machuel (1848-1922) qui fut le premier
13

Directeur de l’Enseignement public en Tunisie (1883-1908) sous le Protectorat. Le principe de cette école bilingue
(français et arabe) était de développer la francisation des Tunisiens tout en assurant le maintien de leur langue
(arabe) et de leur culture (musulmane). Ce modèle d’école a été par la suite transféré en Afrique (Noriyuki, 2006 ;
Sugiyama, 2003).

75
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

enseignement formel et éducation non formelle. L’éducation informelle est un processus par
lequel une personne acquiert et accumule durant sa vie des connaissances, des compétences,
des attitudes et des notions, par l’expérience quotidienne et dans le cadre de ses relations
sociales avec son milieu. À l’opposé, l’enseignement formel (forme scolaire) est un système
d’enseignement institutionnalisé, chronologiquement gradué et hiérarchiquement structuré
qui va de l’enseignement pré-primaire à l’enseignement supérieur. L’éducation non formelle
représente toute activité éducative et systématique conduite en dehors du système formel,
destinée à fournir différents types d’apprentissage à des groupes particuliers de la population,
adultes aussi bien qu’enfants. Si l’on se réfère à la typologie de Garnier (2018), l’école coranique
relève de l’éducation non formelle. Toutefois, quand l’État prend en charge l’école coranique,
elle peut alors représenter un maillon du système éducatif formel, comme c’est le cas des écoles
franco-arabes dans certains pays d’Afrique de l’Ouest.

4. L’engouement actuel pour l’école coranique en


Afrique de l’Ouest
L’éducation arabo-islamique est apparue en Afrique subsaharienne avec la diffusion de l’Islam
au 10ème siècle. Première forme d’éducation collective formalisée, elle a été initiée par des
commerçants arabo-berbères en Afrique de l’Ouest, puis propagée par des confréries religieuses
locales à partir du 19ème siècle, où elle a d’abord pris la forme d’écoles coraniques de type soufi. On
y enseignait alors essentiellement la mémorisation du Coran (Dia, Hugon & d’Aiglepierre, 2017).

Le visiteur d’un village ouest-africain est souvent frappé par l’omniprésence de l’école coranique
et par l’adhésion manifeste qu’elle emporte auprès des communautés locales. Initialement
de nature exogène au même titre que l’école moderne introduite par la colonisation,
l’école coranique a réussi le tour de force de s’intégrer dans le paysage culturel, tout en
fondant principalement son enseignement sur l’usage d’une langue étrangère (arabe). Cet
engouement s’explique par plusieurs raisons, en tout premier lieu par le fait que de nombreuses
communautés pauvres ont été délaissées par l’État et l’école coranique représente pour elles
le seul moyen d’alphabétiser leurs enfants, puisque les frais encourus sont pris en charge par
la communauté. Ensuite, il ne faut pas sous-estimer les flux financiers internes et externes
qui permettent à de multiples ONG d’ouvrir des écoles coraniques. Ces flux proviennent de
commerçants et de notables locaux soucieux d’aider les populations les plus défavorisées.
Les fonds peuvent aussi provenir des riches monarchies du Golfe arabo-persique cherchant à
développer leur influence religieuse en Afrique. Par ailleurs, la malléabilité de l’école coranique,
mentionnée précédemment dans ce chapitre, a fait ses preuves dans la région (Bah-Lalya,
2015). Il suffit de mentionner le cas des écoles franco-arabes, qui allient instruction religieuse,
apprentissage de l’arabe et du français et disciplines scolaires. Autrement dit, l’engouement
pour l’école coranique profite du développement de la privatisation de l’enseignement et de la
prise en compte des stratégies familiales en matière de scolarisation.

Un véritable marché de l’éducation arabo-islamique a émergé au cours des années 1970-


1980 grâce à l’initiative de ces entrepreneurs de l’éducation, appuyés et soutenus par des

76
Chapitre 4 - L’école coranique entre permanence et transformations

financements extérieurs en provenance des pays du Maghreb, de l’Égypte et plus récemment

PARTIE I : Pédagogies


des pays du Golfe arabo-persique. Observant le dynamisme de l’éducation arabo-islamique et
voulant intégrer celle-ci dans leur système éducatif formel, certains États d’Afrique de l’Ouest ont
progressivement développé, dès les années 2000, de nouvelles structures éducatives intégrées
(écoles coraniques intégrées ou modernisées et écoles franco-arabes publiques) dans leurs
systèmes éducatifs nationaux (d’Aiglepierre et Bauer, 2017).

Comme le montre le Graphique 1 ci-dessous, les enquêtes auprès des ménages fournissent un
ordre d’idée du pourcentage des enfants en âge d’être scolarisés dans l’enseignement primaire,
pris en charge exclusivement dans des écoles coraniques : faible en Côte d’Ivoire (1,5 %) et au
Nigeria (3,5 %), il est plus important au Tchad (6,8 %), aux Comores (15,4 %), en Mauritanie (23,1
%) et en Somalie (33,5 %) (d’Aiglepierre et Bauer, 2017).

Graphique 1 : Pourcentage des enfants en âge d’être scolarisés dans l’enseignement primaire,
selon leur situation éducative
100%

90%
27,9
39,4 58,8
80%
44,8
69,8 53,9 53,1
70% 6,8
91,6
60%
74,3 1,8
50%
3,4
0,4 10,9
40% 33,5
30% 0,5 23,2
3,5 53,1
20%
26,2 65,3
26,9 15,4 35,1 43,5
10% 1,7
1,5 17,6
10,3
0% 5,2
Nigéria Côte Somalie Mauritanie Tchad Comores Burkina Gambie* Sénégal*
(2012) d’Ivoire (2011) (2011) (2004) (2004) Faso* (2013) (2011)
(2008) (2009)
*l’enquête ne collecte que l’éducation arabo-islamique formelle.
� Autre éducation formelle � Education arabo-islamique formelle
� Éducation arabo-islamique nonformelle � Absence de structures éducatives uniquement

Source : D’Aiglepierre R, Hamidou D., Hugon C. (2017), « Peut-on ignorer l’éducation arabo-islamique en Afrique
subsaharienne ? », Question de développement no 36, Agence française de développement.

77
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, trois types de scolarisation arabo-islamique sont
proposés aux enfants, chaque type possédant ses caractéristiques propres.

Tableau 6 : Caractéristiques de trois types d’éducation arabo-islamique

Éducation arabo- Éducation arabo-islamique Éducation formelle


islamique non-formelle formelle (madrasahs, non arabo-
(écoles coraniques mahadras, médersas, écoles islamique (publique
classiques) coraniques intégrées, écoles ou privée)
franco-arabes
Inspection Aucun contrôle ou tutelle. Tutelle théorique du ministère Tutelle du ministère
de l’Éducation. de l’Éducation.

Objectif Mémorisation du Coran, Enseignements de la langue Enseignements


éducatif apprentissage basique de arabe, du Coran et des scolaires élémentaires.
la langue arabe (alphabet) ; sciences islamiques, mais
apprentissage de la pratique aussi enseignements scolaires
rituelle et acquisition des élémentaires. Une partie de
sciences islamiques; savoir- l’enseignement se fait en
être ; savoir-faire relationnel. langue arabe et l’autre partie en
langue française.
Horaires Temps plein (l’élève dort chez Horaries et calendrier scolaires. Horaires et calendrier
le maître coranique ou un scolaires.
lieu dédié) ou partagé avec
l‘éducation formelle.
Organisation L’école coranique peut Les classes sont formées selon Les classes sont
des classes accueillir des élèves âgés de 5 les âges et niveaux des élèves. formées selon les âges
à 18 ans, voire plus. et niveaux des élèves.

Rôle de L’enseignement est L’enseignement est destiné à L’enseignement est


l’enseignant interpersonnel, en fonction l’ensemble de la classe. destiné à l’ensemble
des moments pédagogiques, de la classe.
entre l’élève et le maître
coranique.
Organisation Les élèvess ont assis en cercle Les élèves sont en général, assis Les élèves sont assis
dans classe autour du maître coranique, sur des tables-bancs face au sur des tables-bancs
ou encore en carré ou tableau et à l’enseignant. face au tableau et à
rectangle devant lui. l’enseignant.
Matériel Les élèves mémorisent le Les élèves écrivent avec des Les élèves écrivent
pédagogique Coran sur une tablette en stylos, sur des cahiers. avec des stylos, sur des
bois, appelée lawh. cahiers.
Évaluatione Deux niveaux d ‘évaluation : Les élèves sont évalués à la fin Les élèves sont évalués
diplôme en fonction des versets et de chaque année scolaire pour à la fin de chaque
des chapitres puis après passer au niveau supérieur avec année scolaire pour
mémorisation de la totalité le CEP en fin de cycle. La langue passer au niveau
des 114 chapitres du Coran arabe fait partie de l’évaluation. supérieur avec le CEP
(ijaza). en fin de cycle.
Source : D’Aiglepierre R, Hamidou D., Hugon C. (2017), « Peut-on ignorer l’éducation arabo-islamique en Afrique
subsaharienne ? », Question de développement no 36, Agence française de développement.

78
Chapitre 4 - L’école coranique entre permanence et transformations

Dans le contexte de Djibouti, bien que l’école publique apparaisse suspecte à certains, de bien

PARTIE I : Pédagogies


des points de vue, la pression exercée par les principes normatifs du discours mondialisé sur
l’éducation vient à bout des résistances les plus tenaces. À l’inverse, lorsque l’école s’éloigne de
ses ambitions de démocratisation scolaire et de justice sociale et qu’elle sert trop visiblement
les intérêts économiques, sociaux et culturels d’une infime partie de la population (qui
plus est, d’une « nouvelle » élite fondée sur la connaissance et non plus sur les hiérarchies
traditionnelles), la madrasa et l’ensemble des normes du système-monde moyen-oriental
s’imposent, traduisant un refus du discours universaliste sur l’éducation. La revendication
de cette appartenance au système-monde moyen-oriental, posé comme antinomique au
système-monde occidental, fait problème dans la mesure où elle est liée à des espoirs déçus
préalablement entretenus par l’école officielle (Tsehaye, 2015).

Au Niger, l’enseignement général public demeure une référence pour la plupart des familles
qui espèrent assurer une ascension sociale à leurs enfants, mais il est aussi critiqué pour son
inefficacité. Quant à l’enseignement coranique et arabo-islamique, il a largement profité de la
transformation de la sphère islamique dans les années 1990 pour se développer. Les méthodes
pédagogiques traditionnelles font l’objet de réformes qui émanent d’abord des acteurs religieux
dits réformistes prônant un enseignement islamique plus élaboré et de l’État qui tente de faire
entrer certaines écoles coraniques dans le giron de l’enseignement formel (Malam Sani, 2017).

Il est difficile de faire perdurer la dichotomie traditionnelle entre l’école « moderne » héritée
de la colonisation et l’école coranique, dans la mesure où celle-ci évolue en intégrant certains
instruments de la modernité pédagogique, sans oublier que les évolutions de la forme
coranique varient en fonction de son contexte national africain, en particulier lorsqu’elle est
régulée ou récupérée par l’État (Launay, 2016). La possibilité de concilier les deux formes
d’éducation présentes en Afrique (école coranique et école moderne) fait l’objet de réflexions et
des actions sont entreprises par les acteurs occidentaux et ouest-africains de l’éducation, mais
les États se trouvent dans une situation ambiguë car, fondés sur des Constitutions laïques, ils
gouvernent des populations profondément religieuses. Par ailleurs, des différences importantes
distinguent les objectifs éducatifs islamiques de ceux de l’instruction laïque, d’où les difficultés
de rapprochement entre les deux secteurs (Lozneanu & Humeau, 2014). En somme, la
construction d’une politique publique de l’éducation arabo-islamique fait face, en Afrique
comme ailleurs dans le monde, à une diversité de modèles d’interprétation qui placent l’État au
cœur des tensions. Sous l’influence extérieure des organisations internationales, l’État est poussé
à proposer un nouveau modèle, alliant dans le même temps des éléments religieux et une
éducation intégrant les compétences de base en lecture, écriture et mathématiques
(Dia et al., 2016).

En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que l’école coranique représente dans de
nombreux pays du monde arabo-musulman un élément majeur du système éducatif, obligeant
de ce fait le planificateur de l’éducation à s’atteler à la tâche essentielle d’envisager la possibilité
d’une complémentarité entre les deux types d’éducation (Bah-Lalya, 2015), complémentarité
qui peut être pensée à la fois en termes de niveaux d’enseignement, mais aussi de publics
spécifiques. Ainsi, l’incapacité de nombreux pays à offrir une éducation préscolaire accessible

79
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

à un plus grand nombre d’enfants pauvres rend le recours à l’école coranique incontournable
pour répondre à la volonté de préscolarisation de ces familles. Il est également crucial d’analyser
le fonctionnement pédagogique des écoles coraniques et de garantir leur régulation par
les pouvoirs publics, afin de s’assurer que ces écoles respectent les normes nationales et
internationales en matière de protection de la petite enfance. Par ailleurs, il est indispensable
d’explorer de nouvelles formes d’école coranique, intégrant à la fois l’héritage religieux islamique
et des éléments de la forme scolaire. Le renouveau de l’école coranique bénéficie d’un courant
plus vaste, celui de la privatisation et de la marchandisation de l’école en Afrique et ailleurs dans
le monde.

80
Chapitre 5 - L’éducation bouddhiste : la méditation en tant que principe pédagogique

PARTIE I : Pédagogies


Chapitre 5
L’éducation bouddhiste :
la méditation en tant que
principe pédagogique

81
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Le bouddhisme est à la fois une religion et une philosophie de


vie avec des dimensions pédagogiques et éducatives. Traversant
l’Asie de part en part, du Myanmar à la Chine en passant
par le Cambodge et l’Inde, le bouddhisme a subi l’influence
de différents courants spirituels comme le taoïsme ou le
confucianisme.

Ce chapitre met en lumière quelques éléments saillants qui caractérisent la pédagogie


bouddhiste, avant de se focaliser sur la méditation et ses vertus éducatives. En conclusion, ce
chapitre illustre l’éducation bouddhiste au travers l’exemple concret du Bhoutan.

1. L’éducation bouddhiste
L’éducation bouddhiste repose essentiellement sur le dharma, l’ensemble des grands
enseignements de Bouddha qui est considéré comme l’éducateur des hommes et des
Dieux. Cette éducation repose sur les trois grands piliers suivants : (1) éviter les actions non
vertueuses ; (2) accomplir les actions vertueuses et (3) dompter l’esprit. Elle est profondément
ancrée dans le contexte où elle naît et auquel elle est adaptée. Axée sur le développement
personnel et spirituel de l’individu, l’éducation bouddhiste est particulièrement soucieuse de
la non-dualité de l’être humain et elle estime indispensable de considérer l’être humain dans
sa globalité. Ce caractère holistique rappelle les caractéristiques des éducations autochtones
africaines, en particulier Ubuntu. En effet, la croyance bouddhiste affirme que l’univers tout
entier est constitué d’éléments et d’êtres interdépendants. Dans sa cosmologie, les êtres sont
tous reliés les uns aux autres, car ils font tous partie de la même force cosmique.

Devenir plus humain implique de travailler sur la totalité de notre être, c’est-à-dire à la
fois sur notre ouverture aux autres et sur notre emprisonnement dans les concepts et les
comportements que nous utilisons pour éviter la douleur et le mal. La psychologie bouddhiste
affirme que même si nous sommes tous conditionnés par notre société et notre culture, la
nature fondamentale de l’humain le dote d’une compassion inconditionnelle, d’une intelligence
curieuse et d’une ouverture d’esprit à la réalité (Beck, 1993).

À propos de l’éducation bouddhiste, il est donc pertinent de s’intéresser au fonctionnement


de la relation maître-disciple, qui se déploie de la manière suivante : le disciple montre de
l’affection au maître, ce dernier le forme en vertu, l’instruit, lui transmet la sagesse des anciens,
parle de lui en bien, le protège du danger, c’est donc une attitude de bienveillance qui est
prônée de part et d’autre. L’empathie, l’altruisme et la compassion sont des valeurs centrales
véhiculées par l’éducation bouddhiste.

82
Chapitre 5 - L’éducation bouddhiste : la méditation en tant que principe pédagogique

Il est donc intéressant de se rapporter à l’analyse de Ricard (2013), car il met en lien la vertu

PARTIE I : Pédagogies


de l’altruisme avec la problématique de la dégradation de la planète engendrée par l’Homme
ainsi que celle des inégalités sociales. Moine bouddhiste, il estime qu’il faut conduire au niveau
mondial « une révolution altruiste » basée sur les quatre axes principaux suivants (Ricard, 2013) : 

3 Encouragement de l’apprentissage et du travail coopératif à large échelle

3 Développement de l’harmonie durable en opposition à la croissance durable, dans


le but de réduire les inégalités, de faire plus avec moins et de favoriser ainsi une
croissance qualitative et non quantitative

3 Mise en place d’une économie bienveillante envers les humains et la planète

3 Engagement local et responsabilité globale

 La spiritualité et les enseignements bouddhistes accordent une valeur très importante à
l’altruisme. Ainsi que l’enseigne Matthieu Ricard, si nous cultivons cette valeur au sein de
l’éducation et plus largement au sein de la société, nous pouvons aboutir à des changements
importants qui auront un impact bénéfique sur le bien-être de tous les êtres humains et de la
planète.

2. La méditation et ses vertus éducatives


La pratique bouddhiste accorde une place centrale à la méditation.

 Par la méditation, la personne cherche à réveiller la puissance spirituelle […] et


à développer une potentialité intérieure de façon silencieuse ou en psalmodiant un
mantra… [Elle] commence souvent de façon très simple : le méditant s’assied dans
une position stable, sur un siège ou à même le sol, dans un lieu paisible. L’Illumination
requiert l’apaisement de l’esprit (shamatha) et la clairvoyance (vipashyanâ). Pour parvenir
à un état de totale tranquillité mentale, le méditant psalmodie des mantras ou se
concentre sur le rythme de sa respiration dont il se sert comme d’un point de repère vers
lequel il ramène ses pensées dès qu’elles se mettent à vagabonder. Pour atteindre l’état
de compréhension de la vraie nature de l’existence, le méditant sonde les émotions et
les pensées enfouies au plus profond de lui-même, dans son inconscient, sans chercher à
agir sur elles. 

(Caporossi, nd, p. 15)

Contrairement à ce que l’on croit être une activité purement spéculative, la méditation implique
de faire taire le mental et d’enraciner l’esprit dans le corps. Le silence intérieur devient la
condition sine qua non de la connaissance propre à la méditation (Filliot, 2010).

83
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Profondément ancrée dans la culture religieuse bouddhiste, la méditation se caractérise par la


diversité des approches qui la préconisent. Nous pouvons « regrouper les différentes méthodes
de méditation en deux grandes approches, soit les méthodes axées sur la concentration
(samatha) ou les méthodes axées sur l’attention (vipassana). C’est particulièrement au sein
de la tradition bouddhique, et plus spécifiquement dans le bouddhisme de la « tradition des
anciens » (theravada) que la méthode de l’attention a été perfectionnée » (Thibert, 2001).

On en déduit qu’il est possible d’identifier dans la psychologie bouddhiste des éléments qui
pourraient inspirer l’élaboration de stratégies d’enseignement et d’apprentissage propres à
faciliter chez les apprenants la prise de conscience de leurs processus mentaux. Thibert (2001) a
recensé quelques-unes de ces stratégies :

1. Le développement de la concentration : habituellement basé sur le fait de porter


attention à la respiration, plutôt que la fixation sur un objet visuel (par imagerie) ou
sonore (par exemple, un mantra).
2. La nomination de ses propres processus mentaux : il s’agit en quelque sorte de
développer une conscience plus aiguë, tout comme si l’on devenait témoin de ses
pensées. Cette stratégie peut s’appliquer autant à des gestes moteurs, comme dans
la marche, qu’à des émotions ou à des raisonnements. Ainsi on peut décrire, en les
nommant mentalement, l’intention de faire quelque chose, la décision de la faire, le
geste fait, et ainsi de suite.
3. La décomposition des processus mentaux : une autre stratégie, complémentaire à
la précédente, consiste à décomposer, fractionner jusqu’au plus simple le processus
mental sur lequel on centre son attention. C’est de parvenir à le voir et à l’observer
comme une séquence de petites étapes. Dans le cas de la marche, par exemple,
cette séquence, pour l’observation d’un seul pas, pourrait aller jusqu’à une douzaine
d’étapes, depuis l’intention de lever le talon, jusqu’au geste de poser le pied sur le sol.
4. Le ralentissement du processus mental : on suggère en plus, en particulier dans
l’enseignement de Mahasi Sayadaw, de ralentir le phénomène sur lequel on porte
attention.
5. La modélisation et l’étiquetage des processus mentaux : pour faciliter l’habitude de
noter les processus mentaux, on propose également, dans chacune des méthodes, un
modèle descriptif du processus sur lequel on demande de fixer plus spécifiquement
son attention. On propose en quelque sorte une interprétation et des concepts à
utiliser comme un guide dans la pratique. L’enseignant suggère délibérément des
mots (des étiquettes) pour décrire tels ou tels aspects du processus observé.
6. La métaphore : les enseignants de la méditation Vipassana utilisent fréquemment
des métaphores pour appuyer la prise de conscience d’un aspect particulier de tel ou
tel processus mental. Ainsi, dans la méthode de Goenka, on suggère aux méditants
qui essaient d’être attentifs aux sensations provenant de l’intérieur de leur corps,
d’imaginer qu’ils traversent leur corps à l’aide d’une flèche ou d’un rayon lumineux.

84
Chapitre 5 - L’éducation bouddhiste : la méditation en tant que principe pédagogique

La méditation peut aider les élèves et les enseignants à prendre du recul par rapport à leur

PARTIE I : Pédagogies


quotidien, mais elle implique un entraînement régulier selon différentes modalités : méditation
assise, méditation marchée, body scan ou balayage corporel, hatha yoga. Un autre élément clé
de la méditation est sa pertinence pour aider les apprenants à être davantage à l’écoute d’eux-
mêmes et à nourrir leur intériorité :

 Une autre expérience remettant en question la rationalité scientiste par le recours


à une sensibilité holistique, non conceptuelle, sans être pour autant irrationnelle. Une
autre forme de connaissance qui prend sa source dans le fond « transpersonnel » de
soi et qui ouvre à un non-savoir fécond. Un autre rapport au monde, qui passe par
l’harmonisation au processus de la vie et par l’acceptation du vide, et qui devient le lieu
par excellence de l’apprendre. La reconnaissance de la méditation silencieuse comme
une autre modalité de la pensée, au-delà de l’intellect, qui permet d’accéder à l’éveil. De
nouvelles modalités d’agir qui abandonnent la toute-puissance de l’action laissant place
à une passivité active, créative. L’effet de sens de cette série d’altérations est de redonner
à penser radicalement l’acte éducatif. 

(Filliot, 2010, p.136)

Plusieurs études, réalisées principalement dans des pays anglo-saxons, se sont penchées sur les
bienfaits de la méditation, de la pratique de la pleine conscience et du yoga en milieu éducatif,
notamment pour la gestion du stress et l’adaptation sociale des enfants et des jeunes exposés
à ce type de pratique (Schonert-Reichl & Roeser, 2016 ; Chadwick & Gelbar, 2016). Theurel et al.
(2018) évoquent les effets positifs de la pleine conscience et de la pratique du yoga sur plusieurs
aspects, notamment :

 « Les capacités des enfants et adolescents à réguler leurs émotions et leur capacité à éviter
l’utilisation de stratégies de coping inadaptées. Les stratégies de coping renvoient aux stratégies
cognitives ou comportementales utilisées par les individus pour faire face à des évènements
négatifs et/ou stressants. » (Theurel, Gimbert & Gentaz, 2018, p. 9)

Dans une autre étude, conduite dans la région de Baltimore par Dariotis et al. (2016) et portant
sur l’analyse des effets de la pratique du yoga et de la pleine conscience en milieu scolaire
urbain, les adolescents qui ont participé à ce programme affirment avoir acquis une meilleure
gestion du stress. En effet, ils apprennent à diriger et maintenir leur attention et à relativiser
ainsi leurs émotions négatives. Ce programme s’est également avéré avoir un impact positif sur
les comportements prosociaux des jeunes qui y ont participé : ceux-ci se sentent davantage
en mesure de se désengager de situations tendues sans avoir recours à des actes violents,
notamment par des stratégies d’apaisement passant par la respiration et favorisant un « étant
calme » lors de situations conflictuelles. Des effets sur les capacités attentionnelles et sur
les fonctions exécutives telles que la flexibilité ou l’inhibition ont également été démontrés
(Theurel et al., 2018). Toujours dans la ville de Baltimore, une école primaire a mis en place un

85
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

programme de pleine conscience visant à remplacer les retenues et punitions par des moments
de pratique du yoga et de la méditation14. Les enfants ayant des problèmes de comportement
doivent se rendre dans cette « salle de présence attentive » (Mindful Moment Room), où ils
sont encouragés à participer à des exercices de respiration et de méditation qui les aident à
se calmer et à se recentrer. Les effets positifs suivants ont été constatés : réduction du stress,
amélioration de la santé, meilleure autodiscipline et autorégulation.

Ces types de pratique ont apporté la preuve de leur impact positif et bénéfique sur plusieurs
dimensions : bien-être des élèves et relations apaisées entre les élèves, mais aussi d’un effet
sur leurs résultats scolaires. Nous avons donc tout intérêt à envisager d’inclure sérieusement et
de façon systématique ce type de programme dans tous les degrés du système éducatif, du
préscolaire jusqu’au niveau universitaire.

3. Éducation bouddhiste au Bhoutan


Jusqu’en 1959, l’éducation au Bhoutan était avant tout un système monastique bouddhiste
qui réservait l’enseignement à quelques privilégiés (Dorji, 2008). Les jeunes aristocrates avaient
également accès à l’alphabétisation auprès de maîtres venant principalement du Tibet. Mais
à l’époque, l’alphabétisation n’était pas considérée comme une compétence importante à
acquérir et elle avait peu d’impact sur le quotidien de la plupart des habitants du pays. « Le
plus important était de savoir cultiver la terre, de fabriquer des matériaux pour se loger et
d’avoir de bonnes relations avec le reste de la communauté locale. Ce sont des compétences
qui sont acquises à travers l’interaction et la transmission culturelle et qui ne nécessitent pas
l’institutionnalisation de la scolarisation » (Schuelka, 2012 ; Denman & Namgyel, 2008).

À partir de la fin des années 1950, en optant pour une entrée rapide dans la modernité, le
Bhoutan a mis en œuvre une politique volontariste d’expansion de la scolarisation. Ainsi, le
taux d’alphabétisation des adultes est passé de 17 % en 1959 à 58 % en 2000 et le taux de
scolarisation est passé de 5 % en 1959 à 74 % en 2000 (Phuntsho, 2000). Ce changement radical
n’a pas estompé les divergences entre l’éducation autochtone bouddhiste et l’école moderne,
ainsi que l’illustre le tableau 7 ci-après qui rend compte des visions contrastées véhiculées par
ces deux types d’éducation :

14 Pour plus d’informations, consulter : https://hlfinc.org/programs-services/mindful-moment-program/

86
Chapitre 5 - L’éducation bouddhiste : la méditation en tant que principe pédagogique

Tableau 7 : Les deux voies d’apprentissage au Bhoutan

PARTIE I : Pédagogies


Formation autochtone Enseignement moderne
Finalité Formation spirituelle principalement Principalement des compétences
introvertie aboutissant à extraverties pour le développement
l’omniscience humain

Contenu Religion ou axé sur la religion, libéral Laïque, scientifique et technique

Approche Réception principalement passive, Principalement innovation active,


statique, conservatrice création progressive

Perspective Foi, révérence, sainteté, pour Intérêt, curiosité, rationalité pour


l’édification religieuse l’acquisition de connaissances et de
compétences

Moyen Chökey/Dzongkha Anglais


d’instruction

Méthodologie Méthodes monastiques bouddhistes Techniques éducatives occidentales


de mémorisation, débats, systématiques d’examen critique,
contemplation, exposition, etc. statistiques, expériences, etc.

Source : Phuntsho (2000), p. 100

Penjore (2005) a analysé les livres utilisés par l’école formelle au Bhoutan pour transmettre aux
élèves les valeurs de l’éducation de base. Il a identifié de nombreuses valeurs, telles que l’amour
pour la famille, les amis et les animaux, l’obéissance, la gratitude, la convivialité, la ponctualité,
la responsabilité, l’honnêteté et la loyauté, l’hygiène personnelle (propreté), l’obéissance aux
parents et aux enseignants, la reconnaissance envers les parents et les enseignants, l’amour des
plantes, le respect des enseignants, la gentillesse, la générosité. Il est apparu que sur la liste des
20 contes choisis pour « montrer le vrai mode de vie bhoutanais » et enseigner les valeurs, ne
figurait aucun conte folklorique bhoutanais : tous les contes ou récits étaient soit en provenance
de l’Occident, soit dans une moindre mesure, de l’Inde. Les fables et les histoires choisies se
référaient au lion, à la tortue et à l’hippopotame, animaux que les petits enfants bhoutanais
n’ont jamais vus. Du point de vue pédagogique, il aurait été plus efficace de montrer des
animaux communs au Bhoutan et il existe de nombreux contes bhoutanais représentant des
animaux familiers.

Au vu de la grande richesse culturelle du Bhoutan, il est envisageable et souhaitable de mettre


l’accent au niveau national sur les traditions locales orales. Le pays a récemment développé
le concept du Bonheur national brut (BNB). Le BNB est un indice alternatif au produit national
brut (PNB) utilisé par le gouvernement du Bhoutan pour mesurer le bonheur et le bien-être de
la population du pays. Viveret, Van Willenswaard et Merckaert (2012) estiment que « l’initiative
du Bhoutan est intéressante dans le cadre de la déconstruction de la représentation dominante
de la mesure de la richesse, c’est-à-dire le PIB » (p. 45). Inscrit dans la Constitution promulguée
le 18 juillet 2008, le BNB se veut une définition du niveau de vie plus large que celle du PNB.

87
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Préconisé par le roi du Bhoutan, Jigme Singye Wangchuck, au début des années 1970, cet indice
a pour objectif de guider la définition des plans économiques et de développement nationaux,
dans le respect des valeurs spirituelles autochtones bouddhistes. En dzongkha, la langue du
Bhoutan, le BNB signifie « le bonheur tous ensemble ». Avant d’être un indicateur, c’est une
vision de la société ancrée dans les traditions, les valeurs et la culture du pays. En d’autres
termes, le BNB donne une lisibilité à une philosophie de vie destinée à se substituer à celle qui
est exclusivement basée sur le développement et la croissance économique. À la fin des années
1990, ce concept a été transformé en indicateur pour en faire un outil de planification de
l’action du gouvernement. En 2008, il est repris dans la Constitution (Whitaker, 2018).

L’indicateur du BNB est construit à partir d’enquêtes de terrain réalisées sur des échantillons
représentatifs de la population des différentes régions du Bhoutan. Le bonheur y est envisagé
à la fois dans sa dimension collective et personnelle, le but étant de créer les conditions d’un
bien-être national améliorant la situation des moins bien lotis. Selon cette enquête, 41 % des
Bhoutanais se disent « heureux » (Viveret et al., 2012). Il est toutefois important de signaler que
le BNB a fait l’objet de critiques, notamment lorsque plus de 80 000 Lhotsampa ont été poussés
à l’exil dans les années 1990, sur décision de l’ancien roi du Bhoutan qui a été le promoteur de
cet indice.

L’expression « bonheur national brut » prend sa source dans les enseignements bouddhistes
selon lesquels le mérite se gagne par la prière et l’action juste. Dans la mesure où il s’agit
d’un principe fondamental de la philosophie du développement au Bhoutan, toute activité
gouvernementale (sociale, économique, politique ou religieuse) est conçue de manière à
maximiser le bonheur de la population en renforçant la résilience, en garantissant l’équité et
la durabilité. Le principe clé du développement durable vise une utilisation des ressources
disponibles pour le bénéfice et le bien-être des générations futures. À l’inverse d’une vision
anthropocentrique qui fait de la nature notre « environnement » et la met à notre service, elle
est considérée à travers le prisme de l’effet de l’action humaine (problèmes urbains, conscience
écologique et responsabilité envers l’environnement, problèmes environnementaux). La science
nous permet de « nous [en] rendre maîtres et possesseurs », mais le bouddhisme, à l’instar de la
philosophie amérindienne du bien vivir, offre une vision alternative du monde où l’homme fait
partie intégrante de la nature sans en être le centre ou le bénéficiaire (Whitaker, 2018).

Il convient toutefois de s’interroger quant à l’intérêt de créer un indicateur basé sur le BNB qui
est un vaste concept multidimensionnel. Est-il réellement possible de quantifier le bonheur
et de lui appliquer une échelle de mesure ? Néanmoins la prise en compte du concept dans
le cadre du système éducatif s’avère très intéressante. Le Bhoutan a un riche héritage culturel
de contes folkloriques et de danses masquées qui peuvent servir de base à la promotion du «
bonheur national brut » et d’une éducation appropriée, fondée sur les traditions ancestrales de
la communication orale (Evans, 2006).

Les valeurs et les principes du « bonheur national brut » ont été introduits dans le système
éducatif bhoutanais dans le but de promouvoir l’idée de durabilité. Depuis lors, les écoles ont
été invitées à intégrer explicitement ces valeurs et ces principes aussi bien dans le curriculum

88
Chapitre 5 - L’éducation bouddhiste : la méditation en tant que principe pédagogique

que dans les activités parascolaires. Le ministère de l’Éducation du Bhoutan vise à réformer

PARTIE I : Pédagogies


l’ensemble des écoles en mettant l’accent sur l’innovation et la transformation sur plusieurs
plans :

1. Pratiques de direction et de gestion des écoles


2. Écoles vertes pour le Bhoutan vert (ambiance physique et psychosociale)
3. Curriculum : renforcement des pratiques d’enseignement et de gestion de la classe
4. Évaluations continues et globales des élèves (sommatives et formatives)
5. Activités parascolaires pour un développement sain
6. Relation école-communauté
7. Résultats chiffrés (notes) des élèves diplômés
(Ministère de l’Education, 2010, pp. 37–44).
Ce concept peut être exploité et décliné à travers une variété de composantes de la sphère
éducative, mais il est également vrai que son opérationnalisation doit faire l’objet d’études
complémentaires afin de déterminer dans quelle mesure cette philosophie s’intègre dans le
fonctionnement des écoles et à quel point les acteurs de l’école, les enseignants comme les
apprenants, se les approprient concrètement. Viveret et al. (2012) mettent en garde contre l’idée
de dresser un bilan prématuré de cet indicateur, récent et difficile à évaluer.

En conclusion de ce chapitre, il est intéressant d’établir un parallèle entre l’école coranique et


l’éducation bouddhiste. Confrontée au même titre que l’école coranique à la vive concurrence
de la forme scolaire, l’éducation bouddhiste est un élément important du système éducatif
des pays marqués par le bouddhisme. Dans de nombreux pays asiatiques comme le Laos ou la
Thaïlande, les écoles bouddhistes jouent un rôle éducatif important (Fry, 2018).

En dépit de son profond ancrage religieux, l’éducation bouddhiste intéresse les politiques
éducatives contemporaines, notamment par la place importante qu’elle accorde à la méditation.
Pour de nombreuses écoles à travers le monde confrontées à la violence, au stress des élèves
et des enseignants, la méditation peut constituer une pratique utile, propice à l’instauration
d’un contexte scolaire plus serein et plus sain. Ma Rhea (2018) plaide pour que l’on repense
l’éducation et la pédagogie en s’appuyant sur la philosophie bouddhiste et ce, en appliquant
une multitude d’approches différentes. Dans l’ancien royaume de Siam, aujourd’hui la Thaïlande,
il existe une approche pédagogique bouddhiste (pavīėaupāya) capable de conduire à la culture
de la sagesse. Les moines et les moniales l’ont appliquée comme un moyen habile de guider
les apprenants dans le développement de trois domaines : la moralité, la concentration et la
compréhension interne (siinsamaadipanjaa).

Tout en affirmant l’apport pédagogique potentiel de la pédagogie bouddhiste, il nous paraît


important de faire deux observations. La première concerne la difficulté d’introduire dans des
systèmes scolaires qui se pensent comme laïcs des pratiques fortement teintées de religion.

89
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

On passe généralement sous silence le caractère religieux de la méditation bouddhiste, mais


il apparaît nécessaire de mener une réelle réflexion sur l’intégration d’une pratique spirituelle
dans l’enseignement public laïc. Il convient en particulier de savoir quelles sont les finalités
recherchées par la pratique de la méditation : simple relaxation, exercices de respiration,
développement de l’attention pour favoriser les apprentissages, réduction des violences
scolaires, émancipation personnelle ou employabilité renforcée pour un futur salarié (Wagnon,
2019). La seconde observation concerne les dérives fanatiques possibles de la pensée religieuse
bouddhiste. En effet, au cours des dernières années, les communautés minoritaires musulmanes
vivant dans des États d’Asie à majorité bouddhiste ont subi un nombre croissant d’attaques
contre leur vie et leurs biens. Des violences contre les minorités musulmanes ont eu lieu en
particulier en Birmanie, à la suite d’intenses campagnes antimusulmanes articulées par des
groupes de moines bouddhistes qui, dans des sermons et des discours publics, mettaient en
garde contre les dangers de l’Islam. Ces campagnes agressives et militantes se fondent sur
l’existence supposée d’un complot islamique mondial cherchant à éliminer le bouddhisme
(Frydenlund, 2018).

En définitive, ce chapitre montre les apports de la pédagogie bouddhiste à l’éducation et il


remet en question la rationalité scientiste en proposant le recours à une sensibilité holistique,
non conceptuelle, sans être pour autant irrationnelle ; une autre forme de connaissance qui
prend sa source dans le fond « transpersonnel » du soi et qui ouvre à un non-savoir fécond ;
un autre rapport au monde, qui passe par l’harmonisation avec le processus de la vie et par
l’acceptation du vide et qui devient le lieu par excellence de l’apprendre ; la reconnaissance de
la méditation silencieuse comme une autre modalité de la pensée, au-delà de l’intellect, qui
permet d’accéder à l’éveil (Filliot, 2010).

La méditation comme activité au cœur de la pédagogie bouddhiste nous semble constituer


un moyen de réhabiliter le silence dans nos sociétés contemporaines constamment
branchées et envahies par le bruit, y compris à l’école. Avec l’omniprésence des appareils
numériques (smartphones, tablettes, ordinateurs, etc.), « nous sommes désormais immergés
dans la continuité du bruit. Le monde résonne sans relâche des instruments techniques de
communication dont l’usage accompagne la vie quotidienne personnelle et collective…
Internet, les réseaux sociaux, les portables, les tablettes sont une interruption permanente
du silence de la vie, leur bruit prend la place des anciennes conversations… L’hémorragie du
discours naît de l’impossible suture d’un silence désormais transformé en temps d’angoisse,
dénué de signification propice » (Le Breton, 2015).

90
Chapitre 5 - L’éducation bouddhiste : la méditation en tant que principe pédagogique

PARTIE I : Pédagogies


Partie II 
Pédagogues
La seconde partie de cet ouvrage est consacrée principalement
aux figures qui ont défendu des visions alternatives et
culturellement situées de l’éducation telles que Jiddu
Krishnamurti, Cheik Anta Diop, C. Hamidou Kane, Joseph Ki-
Zerbo, Julius Nyerere et Paulo Freire. Leurs réflexions ont été
fortement marquées par leurs contextes sociétaux et par leurs
parcours de vie respectifs. Néanmoins, de manière générale,
les principes et les valeurs qu’ils défendent et mettent en
lumière peuvent intéresser tous les acteurs de l’éducation.

91
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Chapitre 6
Krishnamurti et sa
philosophie éducative :
le bien-être de
l’individu en tant
que valeur centrale

92
Chapitre 6 - Krishnamurti et sa philosophie éducative : le bien-être de l’individu en tant que valeur centrale

Ce chapitre, décrit brièvement le parcours de vie et les

Pédagogies
I : Pédagogies
principes de la vision philosophique de Krishnamurti. Il évoque
ensuite les principales critiques que Krishnamurti a adressées

PARTIE II :
PARTIE
à la forme scolaire originale et décrit la vision éducative et
pédagogique prônée par ce « philosophe-pédagogue ».

1. Krishnamurti : le philosophe de l’éducation


Jiddu Krishnamurti est né en 1895 à Madanapalle, petite ville de l’Est de l’Inde, dans une fratrie
de cinq enfants. Son père, de la caste des Brahmanes, appartenait à une famille modeste de
fonctionnaires instruits. Très tôt, Krishnamurti s’est associé à la Société Théosophique (ST)15
dont son père était membre. Par son intermédiaire, il fut envoyé en Angleterre afin d’y recevoir
une instruction privée sous l’autorité des membres de la Société. Au fil du temps, Krishnamurti
prit ses distances par rapport à l’organisation car, d’après sa philosophie, la « vérité » ne peut être
recherchée que par soi-même et pour ce faire, il est impératif de se libérer de toute autorité,
y compris de celle des grands maîtres. Il estimait en effet que les croyances établies sont le
principal obstacle à l’accomplissement profond de chacun, divisant les hommes entre eux et
brouillant leur intelligence. L’individu doit donc s’en libérer et opérer une révolution intérieure
profonde. Krishnamurti affirmait que « tout doit partir de l’individu : il est vain de vouloir
changer les choses si l’individu n’a pas d’abord accompli sa transformation intérieure »
(p. 253). Cette révolution intérieure doit viser l’accomplissement de la complétude ou la
liberté totale de la conscience, qui ne peut être obtenue que par l’élimination de tout ce qui
conditionne et empêche d’être pleinement libre, comme par exemple : l’appétit de pouvoir,
l’avidité, l’envie, la vanité, la peur… (Trouvé, 2014). Krishnamurti était convaincu que ce n’est
qu’à partir de cette profonde révolution intérieure, capable de modifier toutes nos valeurs,
qu’il sera possible de créer un milieu nouveau et par conséquent une structure sociale éclairée
(Krishnamurti, 1965). Dans cette conception de la vie, le changement émane de soi-même
et non des autres. Par conséquent, la réflexion sur soi et la connaissance de soi sont les clés
qui permettent l’accomplissement de cette révolution intérieure et Krishnamurti affirme que
chaque jour doit être vécu comme une renaissance. Il faut donc se délester du poids de la
mémoire car celle-ci « fait obstacle à la bonne observation du présent » (Trouvé, 2014). La
vérité consiste d’abord à se libérer du fardeau des représentations qui encombrent la mémoire
(Lutyens, 1989) et ainsi à s’émerveiller continuellement sans conditionnement préalable.

Comme il l’a déclaré lors de ses nombreuses conférences à travers le monde, Krishnamurti
(1965) était convaincu que « si nous voulons changer les conditions existantes, nous devons

15 La Société Théosophique se présente comme une organisation non sectaire, non politique et non dogmatique.
Elle se fixe les trois buts suivants : (1) Former un noyau de la Fraternité universelle de l’Humanité, sans distinction
de race, de credo, de sexe, de caste ou de couleur. (2) Encourager l’étude comparée des Religions, des Philosophies
et des Sciences. (3) Étudier les lois inexpliquées de la Nature et les pouvoirs latents dans l’Homme. Pour plus
d’informations, consulter : https://theosophiesuisse.org/
93
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

d’abord nous transformer nous-mêmes, c’est-à-dire devenir conscients de nos actions, de nos
pensées et de nos sentiments dans notre vie quotidienne » (p. 86). Sa philosophie accorde
un rôle central à l’individu en tant qu’agent du changement, ce qui constitue un contraste
saisissant avec la pensée de Paulo Freire pour qui le pouvoir des opprimés est essentiellement
collectif. Krishnamurti croit en l’individu et il se focalise sur la capacité de celui-ci à se libérer de
ses conditionnements pour permettre une modification du système, tandis que d’après Freire,
cette transformation du système ne peut se faire qu’à travers des changements collectifs.

L’un des conditionnements majeurs que subissent les individus est le concept de peur qui est
très présent dans les réflexions conduites par Krishnamurti à propos de l’éducation. Selon sa
vision de l’homme, il ne peut pas y avoir d’épanouissement et d’apprentissage s’il existe de la
peur. Il affirme d’ailleurs que « l’un des traits majeurs de la peur provient de la non-acceptation
de ce que nous sommes, l’inaptitude à faire face à soi-même » (Lutyens, 1984, p. 172). Par
ailleurs, Krishnamurti est très critique face à la figure de l’autorité ; de son point de vue, personne
ne peut se prévaloir d’être le dépositaire de quelque vérité que ce soit. Pour lui, le rapport
maître/disciple perpétue les rapports de dépendance, le maître devient une béquille qui
« même si elle apporte une aide certaine (…), génère de la dépendance, dans la mesure où l’on
s’accoutume, comme si elle était devenue une seconde nature » (Trouvé, 2014, p. 260). Ici, nous
pouvons amorcer un rapprochement entre la conception de l’éducateur-facilitateur prônée par
Freire et la vision de l’éducateur-médiateur défendue par Krishnamurti. Sur ce point, les deux
penseurs s’accordent.

En somme, Krishnamurti critique la forme scolaire qui conditionne les individus par différents
moyens. Il la qualifie d’instrument de domination assimilationniste dont le but est de faire entrer
les jeunes générations dans un cadre rigide, immuable et malsain. Nous verrons dans la section
suivante quels sont les éléments constitutifs de l’éducation dite « moderne », ou de la forme
scolaire, que condamne Krishnamurti. Le philosophe, comme le dit Carl Rogers, devient plus
compréhensible lorsque qu’on aborde son œuvre sous l’angle du sens de l’éducation et des
finalités de la vie humaine (Barbier & de Peretti, 1999 ; Bianu, 2015).

2. L’éducation partielle, assimilationniste et « conditionnante »


Comme nous l’avons mentionné, l’éducation occupe une place centrale dans la conception
du monde développée par Krishnamurti. Tout au long de sa vie, il est revenu sur le rôle clef
de l’éducation comme moteur du renouveau intérieur, mais aussi du changement social.
L’éducation est conçue comme la pierre angulaire sur laquelle s’édifiera une société « bonne ».
Krishnamurti a toujours proclamé la responsabilité de l’individu face à l’ordre social : « le monde,
c’est vous. » (Thapan, 2001).

Le philosophe-pédagogue s’insurge car il constate qu’en général l’éducation inculque aux


enfants « quoi » penser au lieu de leur apprendre « comment » penser ! Il s’interroge sur le
sens même de l’éducation. Ainsi, il se demande pourquoi est-ce que nous allons à l’école ?
Pourquoi est-ce que nous passons des examens ? Est-ce seulement pour nous lancer dans une

94
Chapitre 6 - Krishnamurti et sa philosophie éducative : le bien-être de l’individu en tant que valeur centrale

compétition féroce aux meilleures notes ? Est-ce que le but ultime est d’obtenir un diplôme,

Pédagogies
I : Pédagogies
puis un emploi ? À aucun moment de sa vie, Krishnamurti n’a épousé de système de pensée,
de religion et il n’a suggéré aucune pratique indispensable pour atteindre l’Illumination.

PARTIE II :
Néanmoins, il évoquait souvent le conditionnement des individus et la nécessité de prendre

PARTIE
conscience de ce conditionnement (McAuley, 2018).

Il était convaincu que dans notre civilisation actuelle la vie est séparée en une infinité de
compartiments et que l’instruction n’a pas beaucoup de sens, si ce n’est celui d’enseigner une
technique particulière ou une profession (Krishnamurti, 1965). Dans sa réflexion, l’éducation ne
devrait pas uniquement nous préparer à aborder une partie spécifique de la vie ni se réduire au
choix d’une profession et à l’acquisition d’une position sociale. Il écrivait :

L’éducation, de nos jours, est une faillite complète parce qu’elle accorde la primauté
à la technique. En lui accordant cette importance excessive, nous détruisons l’homme.
Cultiver la capacité et l’efficience sans comprendre la vie, sans avoir une perception
compréhensive des démarches de la pensée et des désirs, c’est développer notre
brutalité, provoquer des guerres, et, en fin de compte, mettre en péril notre sécurité
physique (…) Notre progrès matériel est prodigieux, mais il n’a fait qu’augmenter le
pouvoir de nous détruire l’un l’autre, et la famine et la misère existent sur toutes les terres
du monde. 

(Krishnamurti, 1965, pp. 19-21)

Pour le philosophe-pédagogue, l’accumulation de savoirs et de techniques ne résoudra pas


les problèmes de l’humanité : il faut cesser d’avoir une vision réductrice de l’éducation et
s’interroger sur les buts qu’elle doit poursuivre réellement.

La notion de peur ou de crainte, évoquée précédemment, était considérée par Krishnamurti


comme la plus néfaste et délétère pour l’humanité. Pour lui, les jeunes générations sont
éduquées et instruites dans la peur, aussi bien dans les écoles qu’au sein de leurs foyers. Par
manque de patience, de temps ou de sagesse, les parents et les maîtres ne prennent pas
le temps d’identifier et de déconstruire avec les enfants les origines et les raisons de leurs
craintes (Krishnamurti, 1965). De ce fait, l’éducation, de manière générale, n’encourage pas
la prise de conscience par les individus des « tendances héréditaires et des influences du
milieu qui conditionnent le cœur, l’esprit, et entretiennent la peur » (Krishnamurti, 1965,
p.32). Les individus ne sont pas encouragés à amorcer une prise de conscience de leur état
de dépendance et d’assujettissement vis-à-vis de tous ces conditionnements. Nous pouvons
relever ici un contraste frappant avec la notion de peur telle que mobilisée dans les éducations
autochtones africaines en tant que principe pédagogique bénéfique. Pour Krishnamurti, utiliser
la peur comme principe pédagogique pour instruire et transmettre des apprentissages était
inconcevable.

95
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Un autre aspect de la forme scolaire, vivement décrié par Krishnamurti, est l’esprit de
compétition généralisé : « dans une société établie sur l’esprit de compétition, il ne peut
y avoir de fraternité ; et aucune réforme, aucune dictature, aucune méthode éducative ne
l’engendrera » (Krishnamurti, 1965, p. 95). La compétition est ici conçue comme une source
de souffrance et elle ne fait qu’accroître les rapports malsains et nocifs entre les individus.
L’éducation basée sur la compétition ne peut espérer aboutir à la création d’une société
bienveillante et pacifique. Par ailleurs, avec une telle orientation, elle sera nécessairement au
service d’une vision politique particulière. Par ailleurs, Krishnamurti qualifiait de calamité le
contrôle de l’enseignement par l’État, allant jusqu’à affirmer qu’il « n’y a aucun espoir d’établir
la paix et l’ordre dans le monde » tant que l’éducation est au service des États et des Églises
(Krishnamurti, 1965, p. 95). Il s’opposait ainsi à l’instruction de masse car, dans sa conception,
elle ne permet pas « d’étudier et de comprendre les difficultés, les tendances et les capacités
de chaque enfant » (Krishnamurti, 1965, p.110). Il prônait donc une éducation sur mesure pour
chaque enfant. Cette idée qui paraîtrait utopique ne l’était pas dans l’esprit de son auteur, qui
surprend parfois son lecteur lorsqu’il émet des idées qui lui semblent tout à fait réalisables, mais
qui peuvent être complexes à mettre en place à large échelle, par exemple lorsqu’il écrit :

« Si les parents aimaient réellement leurs enfants, ils s’emploieraient à obtenir une législation
leur permettant de fonder de petites écoles ayant un personnel adéquat ; et ils ne se laisseront
pas décourager par le fait que les petites écoles sont chères et les vrais éducateurs difficiles à
trouver. Ils devront toutefois savoir d’avance qu’ils rencontreront une forte opposition provenant
des puissances d’argent, des États et des Églises, car de telles écoles ne manqueront pas d’être
profondément révolutionnaires. » (Krishnamurti, 1965, p.110)

Dans cette affirmation, il fait peser une lourde responsabilité sur les épaules des parents qui
n’ont pas forcément les outils et les capacités, quand bien même en auraient-ils la volonté, de
créer ce type de petites institutions alternatives.

Nous retiendrons principalement que Krishnamurti dénonçait les conditionnements auxquels


l’école soumet les enfants pour adapter leur esprit à une idéologie particulière, politique ou
religieuse, ce qui ne fait que cultiver inimitié entre l’Homme et l’Homme (Krishnamurti, 1965).
Mais qu’est-ce que l’éducation véritable dans la pensée de Krishnamurti ? C’est ce que nous
développerons dans la section suivante.

3. L’éducation holistique et émancipatrice


L’éducation doit certes viser l’acquisition de connaissances, mais aussi, et en priorité, l’éveil
de l’intelligence qui fera ensuite usage de ces connaissances (Krishnamurti, 2006). Dans la
forme scolaire, les enfants sont très vite confrontés à la résolution de problèmes intellectuels
compliqués et ils reçoivent une instruction généralement très abstraite : « on impose à leur
cerveau diverses formes de savoirs et on les conditionne ainsi dès l’enfance » (Krishnamurti,
2006, p. 138). Selon Krishnamurti, la véritable éducation doit préparer les jeunes à comprendre
le processus global de l’existence, à découvrir leur vocation véritable (Lutyens, 1984). C’est ainsi

96
Chapitre 6 - Krishnamurti et sa philosophie éducative : le bien-être de l’individu en tant que valeur centrale

qu’il confère à l’éducation un objectif holistique unique : l’émergence d’un homme nouveau. De

Pédagogies
I : Pédagogies
son point de vue, l’éducation ne doit pas être un processus purement mécanique et adaptatif,
elle doit aussi solliciter l’intériorité de l’individu. Krishnamurti (1965) écrivait à propos de la
véritable éducation : « le but de l’éducation n’est pas de produire des érudits, (…) des quêteurs

PARTIE II :
PARTIE
d’emplois, mais des hommes et des femmes intégrés et libérés de la peur, car ce n’est qu’entre
de tels êtres que la paix pourra s’instaurer » (p. 15). L’éducation n’est pas conçue ici comme
ayant une visée utilitaire et mercantile, mais plutôt comme un processus de développement
intérieur permettant d’aboutir à une relation apaisée de l’individu à soi-même et aux autres.
Pour Krishnamurti, l’éducation « ne consiste pas simplement à passer des examens, à obtenir
une situation (…) mais encore à savoir comment écouter les oiseaux, comment voir le ciel,
l’étonnante beauté d’un arbre, le dessin des collines, comment les sentir, comment vraiment
être en contact avec toutes ces choses » (Krishnamurti, 1965, p. 39).

L’idée de tolérance et de bienveillance vis-à-vis d’autrui et de soi-même est également un


facteur central de cette perspective éducative qui doit proposer « aux enfants une chance de
grandir sans préjugés nationaux, raciaux, religieux, de classe ou de culture » (Lutyens, 1982, p.
324). Le but étant « d’aider l’individu à mûrir librement, à s’épanouir en amour et en humanité
(…) et non pas façonner l’enfant conformément à un modèle idéal » (Krishnamurti, 1965, p. 25).
Le but de l’école, selon les principes de Krishnamurti (2006), est « d’aider les jeunes enfants à ne
pas avoir de problèmes psychologiques, à n’avoir ni peurs, ni anxiété, ni cruauté, à être attentifs,
généreux, affectueux » (p. 138). Dans cette vision du monde, un individu libre est un individu
affranchi de la peur et « ceci est le commencement de la sagesse, et une éducation digne de ce
nom provoque en nous cette libération qui seule peut éveiller une intelligence assez profonde
pour être créatrice » (p. 39).

En somme, d’après cette philosophie éducative, le rôle véritable de l’éducation est de cultiver en


nous l’intelligence. Mais comment Krishnamurti définissait-il l’intelligence ? C’est la capacité de
penser librement, sans conditionnement, ni craintes, ni a priori. L’éducation doit stimuler l’esprit
critique et éveiller la contemplation de la nature. L’éducation ne consiste pas à imiter, mais à
découvrir, car il est facile de se conformer aux injonctions de ses parents, de ses enseignants,
de la société, mais ce mode d’existence est sans risque et il porte en germe la peur. L’éducation
véritable, telle que dépeinte ici, signifie que l’esprit humain doit être capable de résister et de
ne pas « se laisser absorber par le courant de la société » (p. 16). Toute la question est donc
de savoir « comment mettre en œuvre une éducation juste, permettant à l’esprit de résister à
toutes les tentations, toutes les influences, toute la bestialité de cette civilisation » (p. 16).

Il est évident que les enfants doivent acquérir les notions d’écriture, de lecture et de calcul, mais
Krishnamurti considère qu’il est plus important de mettre l’accent sur la liberté psychologique
que sur l’acquisition du savoir. L’éducation doit aider l’enfant à découvrir ce qu’il aime faire,
de sorte qu’il puisse consacrer sa vie à un domaine qu’il estime digne d’intérêt et qui ait une
valeur profonde à ses yeux. Dans le cas contraire, il sera malheureux pour le restant de ses jours.
D’après lui, dans l’ignorance de ce que nous aimons vraiment faire, notre esprit tombe dans une
routine où règnent l’ennui, le pourrissement et la mort.

97
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Dans cette philosophie, il faut moins se soucier de l’extérieur que de l’intérieur. L’éducation
doit susciter une harmonie entre l’extérieur et l’intérieur et « cela ne peut se faire si nous
tenons uniquement nos yeux fixés sur l’extérieur » (Krishnamurti, 2006, p. 156). Lorsque que
Krishnamurti se réfère à « l’intérieur », il se rapporte à tout mouvement de la pensée, à nos
sentiments, à ce que nous imaginons, à nos croyances et à nos attachements, nos désirs, nos
contradictions, nos expériences, etc. D’après lui, l’éducation doit viser :

3 La liberté individuelle

3 La connaissance de soi

3 La découverte de ses propres obstacles psychologiques

3 La coopération entre l’individu et la collectivité

3 La compréhension créatrice (Krishnamurti, 1965, p. 105).

Pour synthétiser la réflexion de Krishnamurti sur l’éducation, il est essentiel de noter qu’elle
se fonde sur le fait que l’individu, et non le système ou les institutions, doit en être le cœur et
que c’est en prenant conscience de leurs propres conditionnements (personnels, héréditaires,
sociaux, religieux, politiques, etc.) que les individus feront émerger un homme nouveau,
libéré de la peur par laquelle il est tenu en esclave. Ainsi que nous l’avons déjà mentionné,
Krishnamurti critiquait « l’éducation de masse » parce que l’unicité de chaque enfant fait
qu’il faut du temps et de la patience pour le comprendre dans sa globalité et lui proposer un
enseignement sur mesure qui tienne compte de son être global. C’est pour cela que se pose la
question centrale du rôle joué par le maître et par sa propre formation.

Comme le relève Trouvé (2014), n’est-il pas contradictoire de proposer un enseignement sans
pédagogie et sans maître ? Krishnamurti estimait qu’il faut reconsidérer la conception de
l’enseignement fondée sur la dyade maître/disciple. Pour le philosophe, l’enseignement est un
échange, une recherche, une progression commune entre deux êtres humains (Trouvé, 2014).
Il affirme que le concept enseignant/enseigné est fondamentalement erroné, car l’objectif est
de partager plutôt que de recevoir un enseignement, de participer plutôt que de donner et
recevoir (Jayakar, 2010). Ainsi, le meilleur maître :

3 Prend à cœur la liberté de l’individu et non ses propres préjugés

3 Encourage l’observation

3 Aide l’enfant à faire des découvertes et à comprendre son milieu, son propre


tempérament et toutes les influences qui peuvent l’affecter et agir sur lui (familiales,
héréditaires, religieuses, politiques, etc.)

98
Chapitre 6 - Krishnamurti et sa philosophie éducative : le bien-être de l’individu en tant que valeur centrale

3 Tient compte des besoins spécifiques de l’enfant et lui propose des méthodes

Pédagogies
I : Pédagogies
adaptées (Krishnamurti, 1965, p. 136).

Nous constatons dans son propos que le bon maître ne doit pas porter de jugement, qu’il doit

PARTIE II :
manifester l’acceptation et un amour inconditionnel pour réussir sa mission. L’enseignement

PARTIE
n’est donc plus vu comme une technique, mais comme un mode de vie. Dans cette optique,
les enseignants, plutôt que d’être des professionnels, sont être avant tout des êtres humains
qui voient dans l’éducation un moyen réel d’aider l’être humain à accéder à un esprit de vision
globale (Krishnamurti, 1965). Par ailleurs, l’éducateur assume un rôle d’une immense portée et
d’un poids exceptionnel, car « la tâche de donner naissance à une société pacifique et éclairée
repose principalement sur lui » ((Krishnamurti, 1965, p. 123).

Il est également important que l’éducateur soit à l’écoute de l’ambiance de sa classe. Est-
elle tendue ou détendue ? L’enseignant doit s’attacher à créer un environnement calme et
serein pour encourager les échanges et les apprentissages mutuels. Selon Krishnamurti, cette
ambiance est la qualité essentielle, nécessaire, pour enseigner et pour apprendre dans un esprit
de liberté et de coopération. Dans la conception éducative qu’il préconise, ce ne sont pas les
savoirs et les idéaux en tant que tels qui stimulent la curiosité et motivent l’apprentissage,
mais plutôt l’esprit d’ouverture et de tolérance dans lequel ils s’inscrivent. Comme nous l’avons
vu, il recommande vivement de bannir la comparaison et la compétition, dont l’effet est
particulièrement néfaste pour les apprentissages.

Le rôle de l’éducateur est donc d’établir avec son élève une relation constructive qui ne soit
pas de nature hiérarchique ou autoritaire, mais plutôt une relation mutuelle d’investigation, de
recherche, d’étude, de communication. Pour ce faire, il est nécessaire de faire disparaître l’aspect
autoritaire de la relation, de faire régner un sentiment de parfaite égalité entre toutes les parties
prenantes car il ne peut y avoir de réelle coopération tant qu’existe un sentiment de supériorité
et d’infériorité : « s’il y a confiance réciproque, les difficultés et les malentendus ne seront
pas étouffés mais affrontés, et l’entente rétablie » (Krishnamurti, 1965, p. 113).
Barbier (2010a) met en évidence la dimension holistique et émancipatrice de Krishnamurti.

Pour résumer, la pensée éducative de Krishnamurti est basée sur les éléments suivants :

3 Altérité (Otherness)
3 Imprévu
3 Refus de tout enfermement institué (proximité avec I. Illich)
3 Reconnaissance d’une sensibilité naturelle de chaque être humain
3 Prise de conscience de notre existence

« L’otherness », cet « état autre », considéré non comme une illusion mais comme un fait
absolu par Krishnamurti et qui nous baigne dès que nous savons nous rendre réceptifs par
un processus de méditation sans contrainte et sans effort, de chaque instant, dont il est

99
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

l’aboutissement, est un état de bénédiction consciente. L’altérité apparaît par surprise, au détour
d’un sentier, d’une rue, d’un paysage, d’une rencontre humaine, d’une présence animale ou
végétale. On ne peut la contrôler, ni la faire apparaître par la volonté, ni désirer sa permanence,
elle disparaît comme elle était venue. Nous n’avons aucune maîtrise sur ce « Sans-Fond ». On
ne saurait la nommer, ni même s’unifier avec elle totalement. L’imprévu (nouveauté, destin,
hasard) comme donnée fondamentale de l’existence nous émerveille. L’altérité débouche selon
Krishnamurti sur l›imprévu, le radicalement neuf et l›étonnement permanent d›être en vie. Les
apprentissages se réalisent donc à la fois avec l’altérité et l’imprévu.

Au fond, ce sont l’individu et son bien-être qui sont au cœur de cette conception éducative.
La méditation, l’instrument pédagogique par excellence, doit être pratiquée et maîtrisée. Par
ailleurs, l’environnement est une composante essentielle car l’apprenant doit baigner dans un
climat serein et apaisé propice à ses apprentissages qui doivent surgir de lui-même, l’enseignant
se concevant comme un médiateur bienveillant. Tous ces aspects peuvent apporter un
avantage dans des cadres d’apprentissage scolaire où parfois règne une ambiance lourde et
pesante tant pour les apprenants que pour les enseignants.

4. Les écoles Krishnamurti


De son vivant, Krishnamurti fonda plusieurs écoles en Inde, aux États-Unis, au Canada ou encore
en Angleterre, et son ambition était d’en ouvrir d’autres du même type partout dans le monde.
Il existe aujourd’hui des fondations Krishnamurti dans presque tous les pays du monde (Trouvé,
2014). Les écoles Krishnamurti sont fondées sur le principe d’une authentique autonomie de la
personne et du groupe. Le personnel et les élèves sont invités à prendre conscience avant tout
des conditionnements qui sont suscités ou imposés par la famille ou par le milieu social.

À titre d’exemple, la Brockwood Park School16 a été fondée en Angleterre en 1969. Outre les
disciplines académiques, cette institution dispense un enseignement imprégné des valeurs
défendues par Krishnamurti. Une douzaine d’élèves se sont inscrits lors de sa création et dix ans
plus tard, elle en comptait près de soixante. Au moment de son ouverture, tout le personnel
de l’école, quel que soit le poste occupé (enseignement, entretien, intendance…), percevait le
même salaire et 20 % des places étaient réservés à des élèves dispensés des frais de scolarité.
Krishnamurti avait également pour ambition de fonder sur ce même site un centre pour adultes
qui serait consacré à l’étude de son enseignement.

Aujourd’hui, cette école secondaire compte environ 70 élèves âgés de 14 ans et plus. Elle se
définit comme une grande famille multiculturelle plutôt que comme un pensionnat. Il règne
en son sein une ambiance d’« égalité amiable » : jeunes et adultes sont parties prenantes
aux décisions et ils s’assurent au quotidien du bon état des terrains et des bâtiments. Le but
recherché par ce mode de travail en collaboration est de cultiver l’esprit de responsabilité, de

16 Pour voir des témoignages d’enseignants et d’élèves, rendez-vous sur :


https://www.youtube.com/watch?v=BPOCYZ1x9QY

100
Chapitre 6 - Krishnamurti et sa philosophie éducative : le bien-être de l’individu en tant que valeur centrale

coopération et d’affection. L’apprentissage de soi et des autres est favorisé par le fait que sont

Pédagogies
I : Pédagogies
réunis des élèves venant de près de 25 pays différents qui constituent un cocktail interculturel
générateur d’une culture commune, sans qu’une perspective nationale ou ethnique particulière
prenne le pas sur les autres. Les élèves ont ainsi la possibilité d’apprendre d’autres langues et

PARTIE II :
PARTIE
de se faire des amis dans le monde entier. Le faible ratio élèves/enseignant voulu par l’école de
Brockwood permet d’optimiser la relation, l’attention, la communication et l’apprentissage. De
surcroît, les élèves sont invités à définir, en coopération avec les enseignants, le planning de
leur programme d’étude individualisé et ils créent parfois leurs propres cours, ce qui favorise
leur implication dans le processus d’apprentissage. Il n’en demeure pas moins que l’école
de Brockwood est un établissement privé qui n’est pas à la portée de tous (coût des études :
environ 21 000 livres sterling / an), mais il est possible de faire une demande de bourse.
Malgré tout, il est regrettable que ces écoles restent élitistes car elles sont inaccessibles à un
grand nombre d’élèves, ce qui rend inévitable le niveau élevé des coûts, notamment en ce
qui concerne le personnel. D’une part, le ratio élèves/enseignant est très faible. D’autre part,
les enseignants ont l’obligation d’être formés aux principes pédagogiques de la pensée de
Krishnamurti. Qui plus est, les programmes sont souvent construits sur mesure pour chaque
élève, ce qui constitue une difficulté supplémentaire si l’on souhaite généraliser ce type d’école.

En conclusion, les trois composantes centrales de la philosophie éducative prônée par


Krishnamurti sont les suivantes : (1) la connaissance de soi, (2) l’éveil de l’intuition et (3) la
présence d’un environnement propice à la compréhension et à l’échange.

Dans un monde où tout défile à une vitesse alarmante, Krishnamurti nous appelle à prendre le
temps de nous émerveiller chaque jour, à chaque instant, et à prendre conscience des petites
choses de la vie, celles qui sont en réalité infinies, colossales et perpétuelles, mais que nous
tenons souvent pour acquises. Krishnamurti tire le signal d’alarme afin que nous ralentissions,
emportés dans le train à grande vitesse qu’est devenue notre société, pour nous centrer sur l’ici
et maintenant. Dans la pensée de Krishnamurti, le véritable apprentissage se fait tout au long
de la vie, au travers d’expériences, sans être l’élève d’aucun maître en particulier. D’après cette
philosophie éducative, tout est prétexte à apprendre : une feuille morte, un oiseau en vol, une
odeur, une larme, une rencontre, les pauvres et les riches, le sourire. Ainsi le véritable Maître, c’est
la vie elle-même. Krishnamurti était un penseur radical sur l’humanité, l’éducation holistique et
la diversité (Thapan, 2018).

101
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Chapitre 7
Penseurs africains de
l’éducation :
la remise en question
de l’école postcoloniale
en Afrique

102
Chapitre 7 - Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale

PARTIE I : Pédagogies


Ce chapitre est consacré à la pensée pédagogique africaine
dont les auteurs se sont penchés sur les racines culturelles et
historiques de l’Afrique ainsi que sur les relations ambiguës
qu’entretiennent les Africains avec la forme scolaire coloniale.

1. Les raisons de l’ancrage local limitée de la pédagogie et de


l’éducation scolaire en Afrique
Dans le Chapitre 2 consacré aux savoirs autochtones, nous avons mis en évidence combien ces
savoirs étaient valorisés, en particulier dans les pays d’Amérique latine, en Australie et au Canada. En
Afrique, nous constatons au contraire un ancrage local et culturel limitée des savoirs sur l’éducation
et la pédagogie (Knaus & Brown, 2017). Plusieurs raisons expliquent ce constat alarmant.

La première renvoie au recyclage du modèle éducatif colonial dans les pays africains au
lendemain des Indépendances. En effet, le plus souvent la langue d’instruction coloniale a été
maintenue, ainsi que les structures et l’organisation du système éducatif. Il est par exemple
étonnant que plus de 60 ans après leur indépendance, les pays d’Afrique de l’Ouest continuent
d’utiliser la désignation française des degrés de l’enseignement primaire et secondaire (Cours
préparatoire, Cours élémentaire, Cours moyen, etc.) alors qu’il existe déjà depuis longtemps
une autre nomenclature internationale. Selon Mbonda (2015), « il est important de mettre
l’accent sur la profondeur de la déchéance africaine engendrée par les péripéties tragiques
de son histoire « esclavage – colonisation – néocolonialisme », pour un peuple qui a subi
sa négation à travers la violence de l’esclavage et de la colonisation, et qui perpétue cette
négation de soi, selon une logique plus ou moins inédite, à cause de la violence postcoloniale. ».
Comme le signale à juste titre Elamé (2016), le fait colonial a produit « le stéréotype du Noir,
sauvage, primitif, arriéré, inférieur et celui de l’homme blanc » (p.6). Les études postcoloniales
constituent un changement fondamental dans la posture du colonisé pour faire émerger en lui
une attitude décomplexée vis -à-vis de la civilisation occidentale. Or, cette dernière passe par
l’école et la pédagogie. Donc, sans un regard critique et lucide sur l’école que permet les études
postcoloniales, il n’est pas possible d’africaniser l’éducation.

Décoloniser l’école, le savoir et l’enseignement est une question centrale de la renaissance


africaine. Comme le processus de colonisation de l’enseignement en Afrique s’est installé dans la
durée et que les langues africaines ont été et sont toujours marginalisés, une élite nationale est
acquise à l’idée que le vrai savoir venait d’ailleurs et ce que les sociétés africaines avaient produit
depuis des millénaires n’avaient pas de grande valeur pour l’école.

La deuxième raison est une conséquence de l’omniprésence en Afrique de la coopération


internationale en matière d’éducation. La présence intensive des financements internationaux,
de la coopération internationale publique et privée et de coopérants étouffe les initiatives
locales qui pourraient penser autrement l’éducation, la formation et la pédagogie. Il suffit

103
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

d’observer la mise en place aveugle de l’approche par compétences (APC) ou les orientations
exogènes des plans sectoriels de l’éducation pour se rendre compte de l’omnipotence de la
coopération internationale dans l’orientation des politiques éducatives africaines (Lauwerier &
Akkari, 2013).

La mondialisation revitalise le rôle des agences internationales dans l’élaboration des politiques
éducatives nationales dans le Sud Gobal, notamment dans les pays les plus dépendant de
l’aide internationale. Des organisations gouvernementales (OI) ayant l’éducation comme
mandat explicite ou implicite, comme la Banque mondiale, l’UNICEF ou l’UNESCO, façonnent
les orientations éducatives et pédagogiques dans de nombreux pays africains. Mais, la
mondialisation fait également entrer de nouveaux acteurs internationaux, notamment les
organisations non gouvernementales et les fondations privées, dans l’élaboration des politiques
éducatives (Verger et al., 2018). Les programmes d’ajustement structurel (PAS) parrainés par
la Banque mondiale et le FMI et mis en œuvre dans les pays africains dans les années 80 et
Années 90 illustrent la façon dont la mondialisation a modifié les conditions structurelles
de la gouvernance de l’éducation. Les PAS ont eu de graves répercussions sur l’éducation
non seulement en abaissant le financement public nécessaire pour financer l’expansion de
l’éducation mais aussi en rendant le coût de la scolarisation plus difficile à assumer pour les
populations pauvres (Verger et al., 2018).

La troisième raison est liée au fait que la modernité postcoloniale a été essentiellement
pensée en Afrique en prenant l’Occident pour référence, comme si tout ce qui n’est pas
d’origine occidentale ou européenne ne pouvait pas contribuer au développement et à la
modernité. Il est important de se demander alors si ce mécanisme d’aliénation culturelle est
spécifique à l’Afrique. Prenant le cas de pays d’Asie comme le Cambodge ou le Vietnam qui
ont connu la colonisation et la dépendance par rapport à l’Occident après leur indépendance,
nous constatons que ces États ont mieux répondu aux besoins éducatifs et sociaux de leurs
populations, faisant un succès de la reculturation et de la renationalisation de leur système
éducatif (Abdi, 2011 ; Kwapong, 1994). Un enracinement national et local des politiques
éducatives n’est pas suffisant.

La quatrième raison renvoie aux différentes influences culturelles qui s’exercent sur
l’éducation africaine. Mazrui (1986) a mis en évidence le triple héritage de la société africaine
contemporaine : les traditions autochtones africaines, les contributions religieuses et culturelles
islamiques et les civilisations religieuses et laïques occidentales. La répartition de ces trois
traditions en Afrique n’a pas été uniforme, le patrimoine religieux et culturel autochtone étant le
plus universellement présent et néanmoins le moins mobilisé dans le secteur éducatif.

À cause de ce triple héritage, les formes autochtones, occidentales et islamiques de l’éducation


se côtoient en Afrique, instaurant un contexte éducatif complexe où coexistent ou se succèdent
plusieurs systèmes éducatifs (Baba-Moussa et al., 2014). Cela étant, la question majeure que
les concepteurs et les planificateurs de l’éducation continuent de passer sous silence a trait à
l’éventuelle compatibilité de ces différentes traditions (Semali & Stambach, 1997). Malgré son
omniprésence, l’héritage éducatif autochtone reste diffus, extrêmement diversifié et localisé,

104
Chapitre 7 - Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale

ce qui l’empêche de s’affirmer face au rouleau compresseur transnational des deux autres

Pédagogies
I : Pédagogies
influences culturelles. Malgré cela, Senghor affirmait déjà en 1956 que l’équilibre des trois
influences est possible : « Ce sont les civilisations qui m’ont formé, la civilisation négro-africaine,
la civilisation arabo-musulmane, la civilisation européenne… J’ai pris mon bien partout où je

PARTIE II :
PARTIE
l’ai trouvé, je respecte la religion, la culture, l’ethnie de l’Autre autant que les miennes et je le
proclame publiquement » (Senghor, 1956, p. 120).

La cinquième raison renvoie à la soif d’école de l’Afrique par rapport à d’autres régions du
monde. Rappelons que ce n’est qu’après 2000, après une course de rattrapage sans précédent,
que l’Afrique a atteint un niveau de scolarisation correspondant à celui atteint par la plupart
des pays d’Amérique latine et d’Asie orientale dans les années 1950 (Morrison 2003). L’Afrique
est envoûtée par le savoir scolaire et elle n’a pas encore pris le temps de rechercher du côté de
ses sources internes de savoir et de sagesse. En effet, les langues et les cultures de la majorité
de la population sont plus ou moins exclues des écoles et des universités. Outre les défis que
met en évidence ce constat dans le domaine de l’apprentissage, cet état de fait a un impact
sur l’assurance et l’estime de soi des apprenants africains et l’exclusion des savoirs autochtones
et des cultures et langues locales a des implications majeures sur la répartition du pouvoir en
Afrique. La priorisation des savoirs exogènes entraîne une sous-utilisation des ressources de
connaissances locales dans le développement du continent (Breidlid, 2009). Au lendemain de
l’accession à l’indépendance des États postcoloniaux, la diversité culturelle et linguistique a été
étouffée car elle représentait, aux yeux des nouveaux pouvoirs, un risque de déstabilisation :
« C’est ainsi que la construction de l’unité nationale est devenue un mythe fondateur créant de
véritables frustrations et d’interminables conflits » (Sy, 2009, p. 92).

En dépit des difficultés spécifiques qui entravent l’ancrage culturel et local de la pédagogie en
Afrique, nous présenterons dans les prochaines sections une synthèse des quelques auteurs
africains qui ont tenté une réflexion pédagogique ancrée dans le local et le culturel.

2. Cheikh Anta Diop et Cheikh Hamidou Kane


Même si l’éducation n’est pas le pilier de leurs œuvres – Cheikh Anta Diop est historien et Cheikh
Hamidou Kane principalement un romancier – nous estimons que ces deux auteurs sénégalais
ont contribué, chacun à sa manière, au renouvellement de la pensée éducative africaine.

Cheikh Anta Diop (1923-1986) a été l’artisan d’une « ré-africanisation » de l’Égypte en


postulant une continuité culturelle et civilisationnelle entre l’Égypte ancienne et l’Afrique (Diop,
1974). Bien que sa théorie soit contestée, elle a permis de ressusciter le lien entre l’Afrique et
l’une des civilisations les plus connues et les plus fascinantes de l’humanité.

L’œuvre de Diop nous permet de « remonter le fil de cette histoire tragique de l’Afrique jusqu’au
moment où l’on rejoint le temps de la noblesse, de la dignité et de la respectabilité. C’est ce
temps de la noblesse et de la dignité, avec l’Égypte des pharaons et les autres grands empires
et grandes civilisations de l’Afrique qu’il s’agit de retrouver. C’est ce paradis perdu qu’il faut
remettre en pleine lumière, comme quelque chose qui fut, qui appartient à l’histoire de l’Afrique,

105
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

comme témoignage de ce que l’Afrique a pu être, de ce que l’Afrique a perdu par la force des
événements, et de ce que l’Afrique peut être de nouveau » (Mbonda, 2015).

La portée symbolique de l’œuvre de Cheick Anta Diop est d’autant plus importante que
les peuples africains ont un besoin vital de se réapproprier leur histoire, de la valoriser et
de la penser sur un mode positif et autonome, car l’éducation coloniale et occidentale a
abouti à l’aliénation culturelle des Africains. Les penseurs européens, même les plus brillants,
ne contribuent guère à la renaissance africaine. Hegel (1965), l’un des penseurs européens
les plus connus, n’hésitait pas à affirmer que l’Afrique se trouve dans un état de barbarie et
de sauvagerie qui l’empêche de faire partie de la civilisation, allant jusqu’à déclarer que le
continent est resté fermé, sans lien avec le reste du monde, une affirmation que les recherches
archéologiques et anthropologiques ont démentie depuis longtemps de façon incontestable.

Bien que lançant un appel à une renaissance africaine ancrée dans l’histoire de l’Afrique, Cheikh
Anta Diop (1981) portait un jugement mitigé sur le communautarisme des sociétés africaines :

Les structures sociales communautaires sécurisantes enlisent nos peuples dans


le présent et l’insouciance du lendemain, l’optimisme, etc., tandis que les structures
sociales individualistes engendrent chez les Indo-Européens l’inquiétude, le pessimisme,
l’incertitude du lendemain, la solitude morale, la tension vers le futur et toutes ces
incidences bénéfiques sur la vie matérielle, etc.

(Diop, 1981, p. 72)

On retrouve dans l’œuvre de Cheikh Hamidou Kane (1928-), écrivain et haut fonctionnaire,
les dilemmes éducatifs que connaît l’Afrique depuis la colonisation jusqu’à l’époque actuelle.
L’Aventure ambiguë est son livre fondateur, dans lequel il expose les tensions entre les différents
héritages de l’Afrique contemporaine : héritages socio-culturels liés à l’importance des clans et
des familles, héritages spirituels catholiques ou musulmans et apports scientifiques, techniques,
politiques des traditions occidentales.

L’éducation et la formation de Samba Diallo (le héros du roman) sont doubles : autochtones
d’abord, sous la férule religieuse du Maître des Diallobé et sous l’autorité de la Grande Royale,
véritable cheffe de famille ; occidentales ensuite, par la fréquentation de « l’école étrangère » et
les « études supérieures parisiennes ».

Comment conjuguer l’identité peule, toute cette mémoire de sagesse et de rigueur héritée de
générations de Diallobé, avec l’efficacité cartésienne de la civilisation des colons ? Est-ce même
possible ? Samba Diallo peut-il faire bénéficier son peuple de son déchirement intérieur ? Peut-il
même en profiter lui-même ? Le livre de Cheikh Hamidou Kane résume les contradictions d’une
société africaine durement bousculée par la colonisation et par la nouvelle forme de pensée
qu’elle introduit. Cheikh Hamidou Kane a voulu penser cet écart ou cette articulation : chaque

106
Chapitre 7 - Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale

culture, occidentale et africaine, est à la fois riche de sa propre philosophie, et handicapée par ce

Pédagogies
I : Pédagogies
qui lui manque, mais que l’autre lui apporte.

Au fil du roman, l’écrivain se montre dubitatif, irrésolu et même sceptique sur la possibilité

PARTIE II :
de synthèse. Quand, par exemple, Samba Diallo éprouve des difficultés à réciter ses versets

PARTIE
coraniques, il est violemment réprimandé par son maître :

 Sois précis en répétant la parole de ton Seigneur… Il t’a fait la grâce de descendre
son verbe jusqu’à toi. Ces paroles, le Maître du Monde les a véritablement prononcées. Et
toi, misérable moisissure de la terre, quand tu as l’honneur de les répéter après Lui, tu le
négliges au point de les profaner. Tu mérites qu’on te coupe mille fois la langue… 

(Kane, 1961, p. 14)

La première partie de L’Aventure ambiguë décrit les réactions conflictuelles déclenchées par la
présence de l’Occident au sein de cette cité culturelle ; elle montre aussi les effets négatifs de
l’occupation coloniale sur les Diallobé en général et sur la vie de Samba Diallo en particulier. La
deuxième partie de la narration relate l’appauvrissement ultime de la vie spirituelle du héros
du roman à Paris. Cette difficulté est accentuée par l’angoisse de tout le peuple Diallobé face
au dilemme et au souci qu’ils ressentent quand ils cherchent à savoir s’ils doivent envoyer
leurs enfants à l’école des étrangers. En écoutant le chef des Diallobé, on entend d’emblée
l’incertitude qui se déploie dans le roman :

Si je leur dis d’aller à l’école nouvelle, ils iront en masse. Ils y apprendront toutes les
façons de lier le bois au bois que nous ne savons pas. Mais, apprenants, ils oublieront
aussi. Ce qu’ils apprendront vaut-il ce qu’ils oublieront ? (…) peut-on apprendre (…) sans
oublier ? (…) Et puis, l’école européenne débouche sur quoi ? 

(Kane, 1961, p. 44)

On découvre ainsi la violence de ce choc de deux cultures : « L’école où je pousse nos enfants
tuera en eux ce qu’aujourd’hui nous aimons et conservons avec soin à juste titre… » (Kane, 1961,
p. 60-61). L’Aventure ambiguë est le récit du déchirement ressenti par l’Africain scolarisé à l’école
des blancs. En somme, ce roman est le récit de l’affrontement de valeurs culturelles opposées.

L’altercation avec le fou qui poignarde Samba Diallo met fin non seulement à l’ambiguïté
de son aventure, mais aussi à l’affrontement identitaire. Le héros n’a donc pas su conjuguer
l’identité peule et l’efficacité cartésienne de la civilisation occidentale. Il a, certes, beaucoup
appris au contact de l’Europe, mais aux yeux du fou, ce qu’il a appris ne vaut pas ce qu’il a oublié,
c’est-à-dire Dieu. L’acte du fou qui tue Samba Diallo est l’acte réparateur qui préserve la tradition
et marque l’échec de la modernisation.

107
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

La mort de Samba Diallo dans L’Aventure ambiguë est la preuve de l’existence d’un véritable
conflit. S’il n’y avait pas eu au préalable une civilisation première dans laquelle Samba Diallo
était enraciné, il n’y aurait pas eu de problème lors de son entrée dans le circuit de la civilisation
occidentale ; il s’y serait épanoui. Sa mort oblige donc à réfléchir. Elle signifie : (1) que nous
sommes porteurs de valeurs culturelles irréductibles, il nous faut donc les cultiver, aller à
leur recherche si elles sont en train de disparaître ; (2) qu’à défaut de reconnaître cela, nous
aboutissons à la négation de nous-mêmes, de nos valeurs culturelles spécifiques, ce qui finira
par nous tuer. Autrement dit, les valeurs occidentales inculquées sans discernement peuvent
provoquer la destruction de l’homme africain incapable d’en faire une synthèse interculturelle
qui lui soit propre.

Il faut reconnaître à l’éducation autochtone précoloniale son immense capacité à préserver


le patrimoine culturel africain car elle représente un important outil pour la préservation et la
transmission des compétences, des coutumes et des connaissances transmises et pérennisées
de génération en génération. C’est en effet grâce à cette éducation que les jeunes
apprennent à apprécier et à valoriser le patrimoine de leurs ancêtres : leur langue, leurs normes
et des attributs tels que la chasteté, l’honnêteté, la diligence, le courage, le travail, la générosité
et l’hospitalité. Sitôt que les enfants comprennent et apprécient leur patrimoine culturel, ils sont
capables de le transmettre aux futures générations (Adeyemi & Adeyinka, 2003). Les inquiétudes
exprimées par Cheikh Hamidou Kane dans son roman ont trait à la capacité de transmission aux
jeunes générations des valeurs autochtones minées par l’école coloniale. Il a voulu réfléchir à la
tension que vivent les sociétés africaines, d’une part durement bousculées par la colonisation
et donc par l’arrivée d’une nouvelle forme de pensée, et d’autre part par des héritages culturels
caractérisés par l’importance des clans familiaux et s’opposant d’une certaine façon aux
apports techniques, scientifiques et politiques venus d’Occident. L’écrivain demeure toutefois
optimiste quant à un possible rapprochement de ces deux visions : dans son deuxième
roman, Les Gardiens du Temple (1997), le héros parvient à allier sa culture religieuse à ce qu’il a
appris au contact de la civilisation occidentale. Dans une récente interview, Cheik Hamidou
Kane a partagé sa vision : « Je ne préconise pas un retour au passé, mais un recours au passé.
Nous devons nous inspirer de l’héritage de nos ancêtres. La réappropriation de notre identité
endogène passe par cette démarche »17. L’école moderne en Afrique ne jouera pleinement
son rôle dans le développement socioéconomique et dans la renaissance du continent que
lorsqu’elle sera repensée à partir de l’héritage culturel et pédagogique autochtone africain.

17 Pour consulter l’intégralité de l’interview : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/08/31/cheikh-hamidou-


kane-l-afrique-n-existe-plus-elle-a-ete-depossedee-de-son-espace_5348682_3212.html

108
Chapitre 7 - Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale

3. Julius Nyerere

Pédagogies
I : Pédagogies
Julius Nyerere, enseignant de profession, a été le premier Président de la République du
Tanganyika. Il a laissé une forte empreinte sur les politiques éducatives en Tanzanie et plus

PARTIE II :
PARTIE
généralement en Afrique. Son œuvre est riche et originale (Kassam, 1994).

C’est la tâche de l’éducation en Afrique de réaliser cette libération mentale, ou du


moins de la commencer. L’éducation doit libérer l’Africain de la mentalité de l’esclavage et
du colonialisme en lui faisant prendre conscience du fait qu’il est un membre de la race
humaine à égalité avec tous les autres, avec les droits et les devoirs de son humanité. Elle
doit le libérer de l’habitude de se soumettre à des circonstances qui réduisent sa dignité
comme si elles étaient immuables. Et elle doit le libérer des chaînes de l’ignorance
technique afin qu’il puisse fabriquer et utiliser les outils d’organisation et de création pour
son propre développement et celui de ses semblables.18 

(Nyerere, 1976, p. 7)

Bien avant que la coopération internationale dans le domaine de l’éducation et ses


indicateurs et standards ne deviennent omniprésents, Nyerere était en faveur d’une
déconnexion pédagogique de l’Afrique qui devait trouver seule le chemin de ses choix
éducatifs :

Nous avons apporté d’importants changements, en particulier au programme


d’études et aux contenus des cours. Mais nous sommes toujours mentalement attachés
aux « standards internationaux » de l’éducation. Nous continuons apparemment à croire
qu’un Tanzanien n’est pas instruit à moins que son éducation ne prenne une forme
reconnaissable et acceptable par les autres pays - et en particulier les pays anglophones.
C’est auprès des autres que nous recherchons nos certificats de respectabilité.19 

(Nyerere, 1976, p. 11)


18
Traduction de l’anglais par les auteurs.

19
Traduction de l’anglais par les auteurs.

109
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Selon Nyerere, l’éducation coloniale, fondée sur les principes de la société capitaliste et
colonialiste, avait pour objectif de transmettre les valeurs de la puissance coloniale et de
préparer l’individu à servir celle-ci. Elle favorisait la soumission, l’inégalité entre les hommes
et l’individualisme et son but était avant tout de former une classe de fonctionnaires. Son
contenu était pour l’essentiel inadapté et tout le système éducatif reposait sur le principe de la
ségrégation raciale (Kassam, 1994).

Se basant sur une critique de l’éducation coloniale et postcoloniale jusqu’alors en vigueur


en Afrique, Nyerere propose quatre lignes de force pour réformer l’éducation. Un premier
objectif vise à « en finir une fois pour toutes avec une éducation élitiste dans sa forme et son
contenu, et à offrir à tous une éducation primaire complète, tout en limitant (par manque de
ressources) l’instruction post-primaire de façon à fournir tout juste le nombre nécessaire de
cadres ». Un deuxième objectif vise à refondre l’instruction primaire afin qu’elle ne se contente
plus de préparer l’entrée à l’enseignement secondaire mais qu’elle permette d’acquérir des
valeurs et des comportements essentiels pour la société. Le troisième objectif est « la nécessité
de renverser la tendance selon laquelle le seul savoir valable est le savoir livresque, théorique
et abstrait ». Le quatrième objectif est de faire de l’école un apprentissage de la vie. « Non
seulement l’éducation ne prépare pas la majorité des enfants africains scolarisés à leur vie
future, mais elle les en éloigne car elle est presque totalement imperméable à la vie culturelle,
sociale, économique et politique de la communauté au sein de laquelle elle fonctionne »
(Gillette, 1975). Il nous semble que les quatre lignes directrices tracées par Nyerere sont toujours
d’actualité en ce qui concerne les systèmes éducatifs en Afrique.

Alors que le cadre politique général de l’Ujamaa et du socialisme a façonné le développement


du mouvement d’éducation des adultes, les critiques de l’éducation formelle dans la stratégie
de Nyerere « Education for Self-Reliance » (l’éducation pour l’auto-dépendance) ont beaucoup
contribué à son développement rapide. Les principales critiques de Nyerere au sujet de la forme
scolaire étaient les suivantes :

3 L’éducation formelle est élitiste et ne s’adresse qu’à une faible proportion de la


population

3 La nature du curriculum utilisé dans les écoles a aliéné les élèves par rapport à la
société

3 La scolarisation formelle a fait naître l’idée que l’éducation était synonyme de


scolarisation et on a trop mis l’accent sur les qualifications sur papier (Mulenga, 2001).

Comme le suggère Philippson (1970), Nyerere qui écrivait et publiait en langue arabo-africaine
(swahili) a conduit une expérience unique en Afrique, en rapprochant la politique éducative au
plus près des plus larges couches de la population.

110
Chapitre 7 - Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale

La contribution des populations africaines à l’effort national était au cœur de la philosophie

Pédagogies
I : Pédagogies
de l’éducation pour l’autosuffisance (Education for Self Reliance – ESR) imaginée par Nyerere
(Nyerere, 1967). Les écoles des villages communautaires (Ujamaa), qui étaient les piliers du
socialisme tanzanien et du développement économique dont l’agriculture formait le cœur,

PARTIE II :
PARTIE
devaient servir les intérêts de la communauté et de la nation avant ceux des élèves et de leur
famille. Le vocabulaire de l’Ujamaa (unité nationale, solidarité, effort collectif ) demeure au centre
des débats publics et politiques, dans le domaine de l’éducation comme dans les sphères
économique, politique ou morale (Bonini, 2017).

Le concept d’Ujamaa, qui constitue la clef de voûte de la philosophie de l’éducation telle que
formulée par Nyerere, repose sur huit principes :

1. Égalité fondamentale de tous les êtres humains


2. Droit de participation à la gouvernance aux niveaux local, régional et national
3. Droit à la liberté d’expression, de circulation, de croyance religieuse, d’association
reconnu dans le cadre de la loi
4. Droit de recevoir de la société une protection efficace de sa vie et de ses biens
5. Droit de recevoir un juste retour pour le travail fourni
6. Propriété collective de toutes les ressources naturelles en vue de leur transmission
aux générations futures
7. Responsabilité de l’État d’intervenir activement dans la vie économique pour prévenir
l’exploitation de toute personne
8. Responsabilité de l’État de jouer un rôle actif dans la lutte contre le colonialisme
(Nyerere, 1967 ; Mulenga, 2001)
Grâce à un subtil dosage entre le marxisme et les valeurs autochtones africaines, Nyerere a
proposé une réflexion originale et nouvelle au service de l’éducation africaine. En Tanzanie, le
bilan de son héritage est cependant mitigé. D’une part, le mode de gouvernement de Nyerere
a été marqué par l’autoritarisme et l’étouffement des voix dissidentes. Il a su imposer le swahili
à la population et a permis qu’il devienne la langue officielle de l’administration et du système
scolaire de base. Langue orale couramment utilisée dans la société et au parlement, le swahili a
aussi supplanté la langue anglaise qui était le symbole de la colonisation. Il demeure aujourd’hui
l’une des langues africaines les plus parlées et, fait rarissime, il est plus utilisé que la langue de
l’ancien colon. C’est probablement là que réside la plus grande réussite de Nyerere. D’autre part,
les tentatives faites pour édifier une société tanzanienne socialiste et autosuffisante par le biais
de réformes politiques, économiques, sociales et éducatives ont pour la plupart échoué. Depuis
1986, en particulier, la République-Unie de Tanzanie ne cesse de virer à droite. Le pays est
aujourd’hui beaucoup plus intégré dans le système capitaliste mondial qu’il ne l’était à l’époque
de l’indépendance (Kassam, 1994). L’idée d’autosuffisance et de développement endogène ne
semble pas plus enracinée en Tanzanie qu’elle ne l’est dans les autres pays africains.

111
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

4. Joseph Ki-Zerbo
Joseph Ki-Zerbo (1922-2006) est né dans un village du nord-ouest du Burkina Faso, au cœur
même de l’empire colonial français d’Afrique de l’Ouest. L’essentiel de sa relation avec la matrice
africaine est lié à son enfance, aussi bien dans la relation avec sa grande famille qu’avec la
nature. De ses parents, il reçoit en héritage la sensibilité paysanne et la foi chrétienne. Pour
l’enfant qui naît autochtone, la réussite scolaire dans l’établissement des missionnaires est le seul
espoir d’avancement. À Paris, il rencontre notamment Frantz Fanon, Aimé Césaire, Alioune Diop
et Cheik Anta Diop qui deviendra avec Ki-Zerbo le premier grand historien africain de l’Afrique.
(Abdelmadjid, 2007).

Se distinguant tout d’abord comme l’un des premiers historiens africains de l’Afrique, Ki-Zerbo
s’est intéressé dès le début de sa trajectoire intellectuelle aux problèmes de l’enseignement et
de l’éducation (Ki-Zerbo, 1961, 1972). Ainsi, dans un texte intitulé « Enseignement et culture
africaine », il affirme (1961) que « l’éducation, c’était la colonisation continuée par d’autres
moyens que ceux de l’exploitation économique et de la domination politique » (p. 45). Il
propose alors de bâtir l’éducation sur les acquis culturels africains en s’attaquant au statut de
la langue française en Afrique. Il estime qu’il y a abus de langage lorsque l’on parle de pays
africains de langue française ou de langue anglaise. En effet, une infime partie de la population
parle ces langues européennes, même s’il est vrai qu’il s’agit de la fraction dirigeante. Au Mali,
le nombre des bambaraphones, même au sein de l’élite dirigeante, est incomparablement
plus élevé que celui des francophones. Il en va de même au Burkina Faso pour ce qui est
des mossiphones. Au Sénégal, seulement 26 % de la population parlent le français, la langue
officielle (ISU-Unesco, 2015). Ki-Zerbo observe à juste titre que lorsque plus de cent langues
africaines sont parlées dans un État, c’est une représentation erronée de la réalité, car parmi
toutes ces langues il y en a toujours une, deux ou trois qui sont largement prépondérantes,
les autres leur étant plus ou moins affiliées ou n’étant parlées que par une partie infime de la
population. De nos jours, ce phénomène est accentué par la forte urbanisation des sociétés
africaines, comme le souligne Wolff (2011) : « l’insertion urbaine s’accompagnerait d’un abandon
des langues d’origine au profit d’une ou plusieurs langues véhiculaires urbaines » (p. 40), comme
c’est le cas par exemple du wolof au Sénégal.

Ki-Zerbo (1961) établit un lien étroit entre le non-usage des langues maternelles dans
l’enseignement en Afrique et l’archaïsme des méthodes pédagogiques utilisées. D’après son
analyse, la soi-disant propension des Africains à recourir uniquement à la mémoire et leur
inaptitude à la spontanéité créatrice de l’intelligence s’expliquaient en grande partie par la
méthode dogmatique de l’enseignement dispensé, elle-même due au caractère abstrait et
étranger de cet enseignement :

112
Chapitre 7 - Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale

Pédagogies
I : Pédagogies
Lorsqu’on nous demandait à l’école un commentaire sur la description du
hêtre par un auteur français du dix-neuvième siècle, n’ayant jamais vu de hêtre, nous
n’avions d’autre ressource que de nous raccrocher par la mémoire aux termes mêmes

PARTIE II :
employés par le maître lors de l’explication en classe. D’où le développement d’un

PARTIE
certain verbalisme sans substance. L’africanisation des programmes placera le travail
pédagogique à son niveau le plus juste pour la formation des élèves, parce que leur
intelligence, leurs facultés d’observation et d’invention seront directement sollicitées.
Aussi, la description du baobab aurait bien mieux inspiré les meilleurs d’entre nous.

(Ki-Zerbo, 1961 ; p. 56)

Cette citation met en évidence la nécessité de repenser les langues d’enseignement, les savoirs
scolaires et les curricula contemporains en Afrique (Makalela, 2018 ; Shizha, 2014). Pour ce faire,
il faudra obligatoirement accorder dans l’instruction un rôle central aux langues africaines,
selon des modalités et des dosages déterminés par le contexte spécifique et la nécessaire mise
en condition. Il sera donc capital de valoriser les langues africaines aux yeux de la population
elle-même, l’État ayant pour devoir d’informer les parents sur les statuts, la place et le rôle des
langues au sein de l’école, mais aussi de fournir aux enseignants une formation de qualité et
des manuels appropriés pour ce type d’enseignement (Fuentes & Akkari, 2018). Une école
qui reconnaît et valorise la culture et les savoirs des communautés favorise l’inclusion et
l’implication des parents afin d’éliminer la barrière linguistique entre la vie scolaire et la vie en
dehors de l’école (Oaune et Glanz, 2011). Une éducation bilingue fondée sur l’utilisation de
la langue maternelle ou familière « favorisera une meilleure équité tout en permettant une
amélioration des résultats d’apprentissage ainsi qu’une diminution des taux de redoublement et
d’abandon scolaire » (Fuentes & Akkari, 2018, p. 23).

Toutefois, hormis sa pertinence, il ne faut pas sous-estimer non plus les difficultés inhérentes
à la valorisation du plurilinguisme africain dans l’enseignement et l’apprentissage. D’une part,
la diversité linguistique est telle que dans certains pays il est difficile ou même impossible de
trouver 3 ou 4 langues nationales susceptibles de servir de base aux programmes d’enseignement
bilingue. Dans un pays comme le Cameroun, par exemple, la multiplicité linguistique et les
tensions interethniques déjà existantes (ces dernières s’ajoutant à la présence de deux langues
coloniales) risquent d’être encore exacerbées par tout changement apporté aux politiques
linguistiques. D’autre part, il ne suffit pas d’instituer l’usage des langues africaines dans
l’enseignement, encore faut-il aussi encourager une production écrite significative dans ces
langues (littérature, presse, manuels scolaires), or cette perspective exige des moyens et du temps.

Ki-Zerbo préconise une réforme ambitieuse de l’éducation en Afrique. Il estime que si


l’éducation de base et l’alphabétisation ne se renouvellent pas, elles se disqualifieraient et
décourageraient les apprenants et leurs familles. Pour être plus efficaces et efficientes, elles
devront voir évoluer leur structure, leur fonctionnement, leur contenu et leurs finalités, dans
la perspective d’une émancipation culturelle et psychologique des bénéficiaires et des

113
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

attentes sociales placées en elles (Baldini, 2016).


Dans son ouvrage Éduquer ou périr, Ki-Zerbo (1990) défend la thèse que le développement
économique de l’Afrique ne pourra s’accomplir tant qu’il négligera les cultures africaines. La
lutte anticolonialiste ne suffit pas, il faut aussi une idéologie africaniste positive qui intègre
les différents aspects de la vie individuelle et sociale. Dans cette perspective, il est nécessaire
d’insister sur la mise en commun des ressources culturelles du continent, en tant que base de la
personnalité africaine, en même temps que de l’essor économique. Ki-Zerbo avance d’abord un
argument pragmatique : l’éducation est une condition du développement économique car elle
permet de former des cadres, des ingénieurs, des scientifiques. Avant la majorité des dirigeants
africains, il avait déjà saisi le potentiel économique de l’éducation. Il y ajoute un argument
politique : le développement économique ne doit pas servir d’alibi à des gouvernants qui, pour
affermir leur pouvoir, maintiennent leurs peuples dans la misère et l’ignorance. L’éducation doit
s’appuyer sur les cultures africaines, notamment sur l’étude des langues africaines. Si elle est
entièrement européanisée et si le développement n’est défini que par référence à l’Occident,
elle n’engendrera qu’une aliénation intellectuelle des Africains.

Dans La natte des autres, Ki-Zerbo (1992) reprend un dicton africain : « dormir sur la natte des
autres, c’est comme si on dormait par terre » (Baldini, 2016). Ki-Zerbo plaide en faveur d’un
« développement endogène » en déconstruisant le concept du développement. D›une part,
il estime que tout développement est un auto-développement. D’autre part, il soutient que
ce concept est le fruit de l’européocentrisme. Le développement serait l’auto-développement
des pays du Nord, conforme à leurs réalités et à leurs valeurs. Le développement doit donc être
redéfini comme étant nécessairement endogène et Ki-Zerbo suggère pour cela « le paradigme
de l›arbre ». L›arbre est enraciné, mais puisant dans les profondeurs de la culture sous-jacente, s’il
n’est pas emmuré, il est ouvert à des échanges multiformes.

Le « développement endogène » se concrétise à travers la recherche, la formation et l’action


pratique. Ki-Zerbo rejette les trois options qu’on observe encore chez bon nombre de responsables
africains : imitation enfantine, option passéiste et repli autarcique sur soi (Baldini, 2016).

Pour Ki-Zerbo, l’Afrique devra se développer en trouvant sa propre solution à la crise scolaire.
L’école, en tant qu’élément exogène transplanté, participe au sous-développement
de l›Afrique, car elle participe à la désintégration de son substrat culturel et de l’« acquis
culturel africain ». Néanmoins, cette posture de Ki-Zerbo n’est pas synonyme de repli
et d’enfermement, mais plutôt de la recherche d’une ouverture à l’altérité à partir d’un socle
culturel solidement arrimé (Soro, 2006).

Ce chapitre a mis en évidence la richesse des penseurs africains de l’éducation qui se sont
attelés à la tâche de réfléchir sur une éducation adaptée au contexte africain puisant dans la
matrice historique et culturelle du continent. Il nous paraît important de mobiliser les concepts
forgés par ces penseurs dans toute tentative de renaissance pédagogique et intellectuelle du
continent (Tounkara & Mbonda, 2015 ; Mbembe, 2013).

114
Chapitre 7 - Penseurs africains de l’éducation : la remise en question de l’école postcoloniale

En rappelant la contribution pertinente de Diop (1948) sur la problématique de la renaissance

Pédagogies
I : Pédagogies
africaine, Sall (2008) suggère que le défi de l’Afrique contemporaine consiste à mobiliser ses
intellectuels et construire une intelligentsia africaine qui pense la Renaissance africaine et
tous les autres problèmes liés à une présence de l’Afrique dans un monde. Néanmoins, deux

PARTIE II :
PARTIE
obstacles majeures se dresse pour neutraliser la Renaissance africaine : l’appauvrissement
des sociétés africaines, et le traitement des langues nationales. Cette réflexion de Sall
s’applique parfaitement à la pédagogie puisque la renaissance de la pensée pédagogique
africaine est conditionnée, d’une part, à des politiques éducatives nationales indépendantes
et orientées par les africains et d’autre part, à l’usage des langues africaines dans la
conceptualisation pédagogique.

L’exemple de l’Afrique du Sud post-Aparteid illustre bien les difficultés de la renaissance


africaine. Heleta (2018) rappelle qu’en 1994, l’Afrique du Sud est sortie de siècles d’oppression
coloniale, sociale, économique et politique de la majorité noire et des décennies de domination
et d’isolement racistes. Le système d’enseignement supérieur étant profondément ancré dans
l’apartheid. Aujourd’hui, la transformation la plus importante dans l’enseignement supérieur a
été le changement démographique avec les noirs et les femmes qui représentent la majorité
des étudiants. Cependant, Heleta (2018) suggère à juste titre que la transformation dans le
monde universitaire est inachevée, les universitaires blancs étant toujours majoritaires dans le
corps professoral. Un autre échec a été le manque de transformation des programmes d’études
dans les universités qui demeurent eurocentriques, ancrés dans les systèmes de connaissances
coloniaux et de l’apartheid, et déconnectés des réalités et expériences vécues par des Sud-
Africains noirs. La mission actuelle des jeunes étudiants noirs sud-africains est de remettre en
question le mythe de la « nation arc-en-ciel » et le manque de transformation dans la société,
dans l’économie et dans les universités du pays. Les jeunes comprennent que la connaissance
est le pouvoir. Et ceux qui contrôlent les connaissances et les programmes universitaires
contrôleront l’économie, la société et le futur du pays.

Des travaux actuels tentent également de susciter en Afrique une nouvelle réflexion
pédagogique. Ainsi, Nsamenang et Tchombé (2011) observent que dans la plupart des pays
africains, l’école est mieux adaptée au marché du travail étranger que national parce qu’elle
enseigne surtout des fragments incohérents de savoirs et de compétences occidentales. Il
manque à l’école la sagesse africaine et l’intelligence locale dont les économies et les sociétés
rurales de l’Afrique ont le plus besoin. Nsamenang et Tchombé (2011) ont édité un manuel
original dont l’objectif est de rompre avec l’organisation extravertie et étrangère de l’école. Ils
proposent un modèle de curriculum « génératif » qui, loin de la recherche d’une universalité
pédagogique, célèbre la diversité des idées et des pratiques pédagogiques. En réunissant trois
traditions pédagogiques présentes en Afrique (occidentales, arabo-musulmanes et africaines),
ce modèle ouvre la porte à une compréhension culturelle des idées et des pratiques éducatives,
des besoins éducatifs des populations africaines et de l’écologie sociale des enfants africains.
Le modèle du curriculum génératif est une approche susceptible d’ajouter de la pertinence,
de renouveler les connaissances de l’Afrique et de repenser le modèle de formation
des enseignants.

115
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Chapitre 8
Paulo Freire :
l’éducation au service
de la transformation
sociale et de
l’émancipation

116
Chapitre 8 - Paulo Freire : l’éducation au service de la transformation sociale et de l’émancipation

Au Brésil, comme dans le reste du monde, le pédagogue

PARTIE I : Pédagogies


Paulo Freire est réputé pour être l’un des auteurs les plus
influents20. Ce chapitre s’efforce de cerner l’auteur et son
œuvre pédagogique en abordant, à la fois son itinéraire
intellectuel et les concepts clefs de son œuvre et de sa
méthode d’alphabétisation. Même si l’œuvre de Freire a
une portée universelle, il nous semble incontestable que
les racines de ses orientations sont à situer dans l’identité
sociopolitique et pédagogique du continent latino-américain,
le fruit de l’héritage colonial européen, de l’Église catholique,
de l’esclavage, de la destruction des civilisations autochtones,
de l’enracinement des thèses marxistes et des inégalités
sociales criantes.

1. Une pédagogie liée à la culture brésilienne et latino-américaine


L’œuvre de Paulo Freire porte les marques de son pays d’origine, le Brésil, un espace
continental caractérisé par de fortes inégalités régionales, ethniques, sociales et éducatives.
La société brésilienne est néanmoins métissée et ouverte à la modernisation et aux échanges
internationaux, y compris dans le domaine intellectuel. Après une période de dictature militaire
couvrant plus de deux décennies, le pays a retrouvé au début des années 1980 la voie d’un
système politique relativement démocratique et pluraliste, même si la persistance de la
corruption, largement répandue, mine la confiance dans le système politique actuel. Le pays
se caractérise aussi par une religiosité active, le Brésil comptant le plus grand nombre de
catholiques au monde, ainsi que des mouvements évangélistes en pleine expansion.

Freire est né dans la ville de Recife, dans la région du Nordeste et il est décédé en 1997 à São
Paulo, la ville où il s’était installé après son retour d’exil. Si l’on excepte la période de la dictature
militaire, il aura ainsi passé toute sa vie dans son pays. Il était issu d’une famille de la moyenne
bourgeoisie urbaine de Recife, une ville historique importante qui résume bien le défi hérité
de l’époque coloniale : comment réduire les écarts entre une majorité de déshérités et de
travailleurs ruraux et une minorité de nantis. Freire a fait des études universitaires de droit, de
sciences du langage et de philosophie, une formation à l’origine de son engagement politique,
de sa curiosité intellectuelle, le portant à s’intéresser à l’existentialisme et au marxisme.

20 Parmi les nombreuses distinctions reçues par Freire, citons en particulier le Prix UNESCO de l’éducation pour la paix
qui lui a été décerné en 1986.

117
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

2. Des paysans du Nordeste à l’exil


Dès son plus jeune âge, Freire a participé aux mouvements sociaux liés à l’aile progressiste de
l’Église catholique brésilienne. Son premier contact avec la pédagogie remonte à son travail
auprès des travailleurs ruraux analphabètes du Nordeste. En effet, la région de Recife a une
importante production de canne à sucre et les propriétaires terriens emploient des milliers
de travailleurs dans des conditions d’exploitation extrême. Freire a donc démarré sa carrière
pédagogique sur le terrain, pour tenter d’alphabétiser ces travailleurs et de les conduire à
prendre en charge leur destin et à défendre leurs droits.

Homme d’action sur le terrain pédagogique, Freire s’investit dès le début des années 1960 dans le
vaste mouvement d’éducation populaire qui traverse le Brésil. Il fonde le Mouvement de culture
populaire (MCP), l’un des plus actifs et des plus innovants dans le secteur de l’alphabétisation.

En 1962, lorsqu’il lance la première expérimentation de sa « méthode d’alphabétisation », Freire


applique les deux composantes de son œuvre pédagogique : un « engagement concret sur le
terrain avec les groupes opprimés » et le « recul théorique ». En effet, Freire considère que :

 Toute action culturelle est toujours une forme d’action systématique et


délibérée qui s’exerce sur la structure sociale, soit pour la maintenir comme elle est, ou
presque comme elle est, soit pour la transformer. Considérée comme forme d’action
systématique et délibérée, toute action culturelle, nous l’avons vu, relève d’une théorie
qui, en déterminant ses buts, définit ses méthodes. L’action culturelle est au service de la
domination, que ses agents en soient conscients ou non, ou bien elle est au service de la
libération des hommes.

(Freire, 1971, p. 174)

La méthode d’alphabétisation de Freire a connu un large succès au Brésil. Les campagnes


d’alphabétisation se sont enchaînées et Freire a été invité à coordonner le Programme national
d‘alphabétisation (1963-64) inspiré de sa méthode. Cet engagement lui valut d’être emprisonné
lors du coup d’état militaire de 1964, avant son départ en exil au Chili, où il restera jusqu’au coup
d’état militaire de Pinochet. Il a passé ensuite une année aux États-Unis avant de s’installer en
Suisse, où il travaillera durant de nombreuses années au Conseil œcuménique des Églises à
Genève. Le coup d’état militaire a interrompu l’élan pédagogique de Freire au Brésil, mais il lui
a permis d’internationaliser son approche pédagogique et de la faire évoluer.

3. Du catholicisme progressiste au marxisme et au


tiers-mondisme militant
Il nous paraît pertinent de situer les influences intellectuelles qui ont marqué l’itinéraire de
Paulo Freire et en premier lieu l’influence du catholicisme. Ardent défenseur des plus démunis,
catholique pratiquant et acteur de la théologie de la libération qui anime l’Amérique latine

118
Chapitre 8 - Paulo Freire : l’éducation au service de la transformation sociale et de l’émancipation

depuis les années 1960, Freire a vécu dans une solidarité indéfectible avec ceux qu’il appelle

Pédagogies
I : Pédagogies
les opprimés.

Puis est venu son engagement politique marxiste qui l’a contraint à l’exil, où son expérience

PARTIE II :
intellectuelle a pu s’internationaliser et s’ancrer plus fortement dans le marxisme et le

PARTIE
tiers-mondisme. Le gouvernement Allende ayant officiellement adopté sa méthode
d’alphabétisation, Freire perfectionnera sa pédagogie auprès des paysans chiliens et c’est à
l’issue de cette deuxième expérience de terrain (1964 -1969) qu’il rédige son livre le plus connu,
Pédagogie des opprimés.

Alors que le continent sud-américain se trouve sous le joug de dictatures militaires, Freire publie
en français son œuvre centrale, Pédagogie des opprimés, dont le retentissement mondial doit
beaucoup à l’effervescence de l’après-68 et au rejet de toute pédagogie autoritaire et apolitique.
Les apprenants revendiquent un statut actif dans l’apprentissage. Dans de nombreuses régions
du monde, des militants-pédagogues, en particulier ceux qui œuvrent dans le domaine
de l’alphabétisation, s’emparent des thèses développées par Freire pour renouveler en
profondeur leurs pratiques pédagogiques et politiques. L’approche de Freire ne considère pas
l’alphabétisation prioritairement dans sa dimension instrumentale (lire, écrire et compter), mais
au contraire dans sa dimension sociopolitique d’outil de conscientisation et de libération des
individus et surtout des groupes.

Par la suite, Paulo Freire sera marqué notamment par ses expériences de coopération en Afrique
lusophone (Guinée-Bissau, Cap-Vert) où il s’est engagé dans le cadre de projets éducatifs pour
construire une éducation anticoloniale et postcoloniale. Par son action au sein du Conseil
œcuménique des Églises, Freire a accompagné les processus d’éducation des adultes dans
des pays qui venaient d’obtenir leur indépendance et leur libération de la colonisation comme
l’Angola, la Guinée-Bissau, le Cap Vert, São Tomé-et-Principe.

En 1980, après la restauration progressive de la démocratie, Freire a pu retourner dans son pays
natal. Membre-fondateur du Parti des Travailleurs, il devient Secrétaire de l’éducation dans la
ville de São Paulo.

4. Du changement social à la socio-pédagogie : le processus de


conscientisation
La pensée latino-américaine sur l’éducation est marquée par un consensus concernant
la contribution de l’éducation (scolarisation, alphabétisation) au changement social et au
développement socioéconomique. Néanmoins, Freire a toujours estimé que l’école n’était
que le reflet de la société : à une société inégalitaire et injuste correspond une école
inégalitaire. Il ne croyait pas que l’école pourrait à elle seule transformer une société
inégalitaire et il a donc adopté une posture dialectique : l’école et la société doivent changer
en même temps pour permettre l’avènement d’un monde plus juste : « L’éducation libératrice
n’entraîne pas le changement social à elle seule, mais il n’y aura pas de changement social sans
une éducation libératrice » (Freire, 1971, p. 23).

119
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Bien que ne partageant pas le scepticisme radical d’Illich (1971) concernant l’inutilité de l’école
et des institutions, Freire est entré en contact avec lui pour échanger autour de leurs approches
respectives de l’émancipation par l’éducation. Pour Freire (1971), il n’y a pas d’éducation
socialement neutre. Les finalités de l’éducation sont la reproduction de la société actuelle avec
ses inégalités et une adaptation aux changements, ou la transformation radicale de la société
selon les principes de la justice sociale et de l’égalité.

Freire a critiqué l’éducation scolaire contemporaine en la qualifiant de « bancaire » : il comparait


l’enseignement au dépôt de connaissances par l’enseignant (éducateur), celui qui sait, qui
éduque, qui choisit les contenus et qui évalue les apprenants. L’élève reçoit les savoirs, il ne sait
pas, il est l’objet du processus d’enseignement. C’est une éducation non-critique, verticale et
paternaliste, qui transmet des informations ou des données et qui observe des faits. C’est aussi
une éducation utilitaire qui n’explique pas les causes, ne pose pas les problèmes (sociaux), ne
problématise pas.

À l’inverse, la pédagogie des opprimés n’est pas une pédagogie « pour les opprimés » mais une
pédagogie à construire « avec les opprimés » qui ne sont pas des objets du processus éducatif,
mais des sujets actifs prenant leur destin en main. Il ne s’agit pas d’une recette pour partir à la
conquête du peuple dans le but de l’éduquer selon un programme préétabli et en suivant une
méthodologie figée. C’est une démarche de conscientisation des opprimés et une éducation
révolutionnaire et émancipatrice où l’éducateur apprend tout autant des élèves qu’il ne leur
apporte. Le chemin vers la connaissance se fait ensemble, dans l’expérience de la rencontre
entre deux consciences et le monde.

C’est une éducation où les opprimés deviennent leurs propres pédagogues, pour eux-mêmes
et pour ceux qui leur « enseignent ». C’est une pédagogie qui fait de l’oppression (inégalités,
discrimination) et de ses causes un objet de réflexion de la part des opprimés, qui les entraînera
nécessairement à s’engager politiquement dans une lutte pour leur libération, dans le cadre de
laquelle cette pédagogie s’exercera et se renouvellera.

Le projet pédagogique de Freire est en rupture totale avec tout ce qui s’est fait jusque-là, que
Freire appelle la conception bancaire et instrumentale de l’éducation. Il n’y a plus celui qui sait
et celui qui ne sait pas : « personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes
s’éduquent ensemble, par l’intermédiaire du monde » (Freire, 1971, p. 62). Comme il l’a affirmé à
plusieurs reprises, sa philosophie de l’éducation a connu plusieurs évolutions résumées dans le
Tableau 8 ci-après.

120
Chapitre 8 - Paulo Freire : l’éducation au service de la transformation sociale et de l’émancipation

Pédagogies
I : Pédagogies
Tableau 8 : Évolution de la réflexion pédagogique de Paulo Freire

Période Œuvres représentatives Orientations Espace géographique

PARTIE II :
de la période et institutions

PARTIE
1955-1964 • L’éducation, pratique de la • Projets socioéducatifs • État de Pernambouc
liberté (Freire, 1959)
• Démocratisation • Brésil

• Émergence de • Service social de


sa méthode l’Industrie
d’alphabétisation
• Église catholique
• Cercles de culture
(animateur- • Mouvement de culture
coordinateur) populaire (MCP)

• Plan national
d’alphabétisation

1964-1980 • L’éducation comme pratique • Exploitation des • Bolivie, Chili, États-


de la liberté (Freire, 1967) paysans à travers la Unis, Suisse, Afrique
modernisation de lusophone
• Pédagogie des opprimés l’agriculture chilienne
(Freire, 1969) • UNESCO
• Expérience de la
• Conscientisation et domination coloniale • Université de Harvard
révolution (1973) en Afrique
• Conseil œcuménique
• Processus de des Églises
libération des
• Institut d’action culturelle
anciennes colonies
(IDAC, Genève)
africaines

1980-1997 • Pédagogie de l’autonomie : • Redécouverte du • Brésil


Savoirs nécessaires à la Brésil
pratique éducative (Freire, • Le monde
1996a) • Engagement politique
à gauche • PUC-SP (Pontifícia
Universidade Católica de
• Secrétariat à São Paulo)
l’éducation de la ville
de São Paulo
Source : Auteurs

121
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

La pensée de Paulo Freire se développe au fur et à mesure des péripéties de sa vie au Brésil,
puis avec l’exil et le retour au pays. Dans L’Éducation, pratique de la liberté, Freire élabore une
proposition pédagogique pour le Brésil du début des années 1960 où la société agraire et
coloniale est en train de se transformer en une nation indépendante et industrialisée. Dans
Pédagogie des opprimés, il prône la nécessité d’une pédagogie révolutionnaire dont l’objectif est
l’action et la réflexion consciente et créatrice des masses opprimées en vue de leur libération.
Conscientisation et révolution est parti d’un entretien avec un groupe de militants de l’IDAC de
Genève, pendant lequel Freire a déclaré que le dialogue avec le peuple, l’action culturelle pour
sa libération, sont des conditions indispensables de l’action révolutionnaire (Goffinet, 2008). On
note une constante dans sa pensée, car il considère que l’éducation est un processus politico-
pédagogique : politique dans son essence et pédagogique dans ses caractéristiques. Après
son retour au Brésil en 1980, Freire produit des œuvres plus pédagogiques et plus proches
des préoccupations des enseignants et des éducateurs, comme l’illustre son livre Pédagogie de
l’autonomie.

Aussi bien dans ses écrits que lors de ses nombreuses conférences, Freire n’a cessé de rappeler
la nécessité de critiquer sa pensée, l’éducateur et le pédagogue devant s’adapter à leur
contexte :

 La seule manière qu’une personne a d’appliquer, dans le contexte qui est le sien,
une des propositions que j’ai faites, c’est précisément de refaire ce que j’ai fait, autrement
dit, ne pas me suivre. Pour me suivre, il est essentiel de ne pas me suivre. 

(Freire, 1996b, p. 116)

5. Méthode d’alphabétisation de Paulo Freire : « lecture du mot,


lecture du monde »
Bien qu’étant connu comme un auteur qui privilégie la portée politique de l’éducation,
Freire a également développé une méthode d’alphabétisation à l’intention des praticiens de
l’alphabétisation et de l’enseignement.

Dans son œuvre, l’alphabétisation suppose non pas une accumulation dans la mémoire de
phrases, de mots et de syllabes détachés de la vie […] mais une attitude de création et de re-
création. Elle nécessite une autoformation susceptible d’amener l’homme à intervenir sur son
environnement. Aussi le rôle de l’éducateur est-il avant tout de dialoguer avec l’analphabète,
sur des cas concrets, en lui proposant simplement les instruments avec lesquels il s’alphabétise
(Freire, 1996b).

122
Chapitre 8 - Paulo Freire : l’éducation au service de la transformation sociale et de l’émancipation

L’alphabétisation ne peut être administrée d’en haut, comme un cadeau ou une règle

Pédagogies
I : Pédagogies
imposée, mais elle doit progresser de l’intérieur de l’apprenant vers l’extérieur, grâce à l’effort
de l’analphabète lui-même, avec la simple collaboration de l’éducateur (facilitateur). C’est
pourquoi Freire voulait une méthode qui soit aussi l’instrument de l’élève et non pas seulement

PARTIE II :
PARTIE
de l’éducateur et qui identifie le contenu de l’apprentissage avec le processus même de
l’apprentissage (Freire, 1996b).

La langue est importante pour l’alphabétisé : la lecture des mots doit aboutir à la
compréhension du monde social. Il n’existe aucune séparation entre la pensée-langage et la
réalité, la lecture d’un texte exige la « lecture » du contexte social auquel il se réfère. Il ne suffit
pas de savoir lire, mécaniquement, « Ève a vu la vigne ». Il est nécessaire de comprendre quelle
position occupe Ève dans son contexte social, qui est la personne qui cultive la vigne et à qui
profite le travail.

6. Les thèmes générateurs


Les thèmes générateurs sont une composante essentielle de la méthode d’alphabétisation de
Freire. Il s’agit de recenser l’univers langagier (vocabulaire) du groupe apprenant-cible. Ces mots
ou thèmes générateurs offrent des possibilités figuratives, des problématiques existentielles
et des difficultés phonétiques qui les rendent facilement accessibles et mobilisables par les
apprenants.

Les étapes de l’approche freirienne de l’alphabétisation peuvent se résumer comme suit :

3 Choix des thèmes générateurs par les apprenants et l’éducateur

3 Création de situations existentielles typiques du groupe apprenant-cible

3 Création de fiches qui aident les organisateurs des débats dans leur travail
d’animation (fiche de découverte)

3 Travail didactique sur les fiches et décomposition des familles phonétiques

3 Analyse des situations sociales décrites par les thèmes générateurs

3 Le groupe apprenant essaie de composer d’autres mots de son univers langagier


avec des combinaisons de syllabes.

Chaque situation abordée par le groupe d’alphabétisation est visualisée, puis décrite et analysée.
Le mot générateur permet d’aborder les problèmes de logement, de travail, d’alimentation,
d’habillement, de santé, etc. On passe ensuite à la visualisation du mot lui-même, en indiquant
son contenu sémantique. Le mot est ensuite découpé en syllabes, puis en familles phonétiques.

123
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Les thèmes générateurs de Freire font un lien entre les représentations ou concepts quotidiens
et les concepts scientifiques, situations pédagogiques, didactiques, etc. Ils permettent
l’animation pédagogique du cercle de culture, un autre concept central de la méthode
d’alphabétisation de Paulo Freire. Le cercle de culture est basé sur le dialogue, l’autonomie, la
découverte. Il permet aux apprenants et à l’animateur de construire une lecture partagée du
monde et de mettre en œuvre une production et une reconstruction des savoirs.

Selon Lenoir et Lizardi, « il n’est pas possible de comprendre le concept de situation
pédagogique chez Freire sans le replacer dans le contexte de la pensée de son auteur, sinon
au risque de le réduire à un ensemble de procédures et de techniques d’apprentissage… [Il
s’agit d’une] pédagogie critique qui vise la transformation sociale, pour tous les êtres humains,
dominés comme dominants, des rapports sociaux, incluant au premier chef les processus
d’enseignement-apprentissage, et qui s’appuie sur un ensemble de paramètres qui reposent sur
la dialectique à la fois comme philosophie, comme axiologie et comme praxéologie » (Lenoir et
Ornelas Lizardi, 2012).

Figure 4 : Les processus médiateurs de la démarche praxéologique émancipatrice

MONDE

4
Sujet Objet du
Processus de
apprenant savoir
conscientisation

Situation
Sujet Sujet existentielle
oppresseur opprimé
2
1

Rapport Sujet
domination éduquant

Source : Lenoir, Y. (2017). Les médiations au cœur des pratiques d’enseignement-apprentissage : une approche
dialectique. Des fondements à leur actualisation en classe. Éléments pour une théorie de l’intervention éducative
(2e édition), Saint-Lambert (Québec, Canada) : Éditions Cursus universitaire (1re éd.2014), p. 437 (Figure n° 25), avec
l’autorisation d’Yves Lenoir, son auteur.

124
Chapitre 8 - Paulo Freire : l’éducation au service de la transformation sociale et de l’émancipation

Alors que Freire était Secrétaire à l’éducation de la ville de São Paulo (1989-91), un ambitieux

Pédagogies
I : Pédagogies
projet interdisciplinaire a été vu le jour sous son impulsion, composé de quatre phases de
développement interdisciplinaire et démocratique du curriculum, fondé sur le concept des
thèmes générateurs. La première phase a nécessité l’engagement du personnel scolaire dans un

PARTIE II :
PARTIE
processus délibéré et éclairé de participation au projet interdisciplinaire. La deuxième phase a
porté sur l’étude de la réalité (Estudo da Realidade) donnant lieu au choix du thème générateur
de l’école. Durant la troisième phase, les enseignants ont organisé le contenu et les méthodes
de leurs différentes disciplines autour du thème générateur identifié. Cette phase était intitulée
« organisation du savoir » (Organizagao do Conhecimento). Au cours de la quatrième phase,
les enseignants ont conçu des exercices, des activités et des projets permettant aux élèves
d’appliquer leurs connaissances. Il s’agit de l’application de la connaissance (Aplicagao do
Conhecimento). L’innovation pédagogique introduite par Freire dans le système scolaire montre
qu’il a toujours gardé une méfiance constructive envers la forme scolaire et sa capacité à se
transformer. La forme scolaire sépare les domaines du savoir sans établir de liens entre eux et
avec le monde. C’est pour cette raison que les savoirs et les savoir-faire transmis à l’école sont
devenus inopérants pour former le lien social et pour donner accès à la compréhension d’un
monde de plus en plus complexe (Morin, 2000, p. 44).

7. L’influence actuelle de Freire


Une enquête réalisée en 2000 a montré que plus de 350 organisations de 60 pays appliquent
l’approche Reflect-Action directement inspirée de l’œuvre de Paulo Freire. Des ONG, des
mouvements sociaux, des organisations populaires, des administrations régionales et locales
et bien d’autres acteurs « se regroupent en réseaux d’abord régionaux, puis nationaux et enfin
internationaux » pour proposer des actions éducatives s’efforçant de mettre en œuvre un
changement social (Lemaître, sd). L’œuvre de Freire s’est également prolongée par un courant
de pensée mettant en avant l’importance du concept de décolonialité en Amérique latine,
même s’il s’adresse à tous les opprimés (De Sousa Santos & Meneses, 2009 ; Quijano, 2011,
Mignolo, 2017).

Mignolo (2017) estime que la décolonialité est d’abord l’affirmation de communautés et


d’identités dévalorisées et niées par le processus historique de la colonisation. Ce concept a
émergé durant la seconde moitié du 20ème siècle, en particulier à l’occasion des conférences
de Bandung (1955) et de Belgrade (1961) : les pays du Sud ont ainsi tenté de se détacher des
principaux narratifs occidentaux. Le concept de décolonialité repose sur une nouvelle façon de
penser, déconnectée des chronologies construites par les nouveaux paradigmes occidentaux.
Selon Quijano (2011), elle implique aussi une analyse critique des liens entre capitalisme
occidental, construction de l’État-nation et colonisation.

125
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Les classes marginalisées qui constituent dans de nombreux pays les « cultures du silence »,
ont trouvé dans l’œuvre de Freire une piste pour une action éducative. Dans un monde où plus
de la moitié de la population souffre de malnutrition et où bon nombre de gens n’ont pas de
logement ou d’emploi et ne bénéficient pas d’une éducation de qualité, Paulo Freire estime que
les « opprimés » sont néanmoins capables de surmonter leur sentiment d’impuissance et d’agir
eux-mêmes pour transformer socialement leur existence (Loiola et Borges, 2005).

En Europe, c’est essentiellement dans les cours d’alphabétisation des adultes (notamment
destinés aux migrants, aux réfugiés et aux personnes peu qualifiées) que l’impact de la méthode
Freire a été important. Aux États-Unis, l’héritage de Freire est surtout perceptible dans sa
contribution à la pédagogie critique et émancipatrice. En Amérique latine, Freire demeure une
référence incontournable de la réflexion pédagogique des mouvements d’éducation populaire.
Dans les pays du Sud, Freire est mobilisé dans l’éducation rurale, l’alphabétisation et la formation
des adultes. C’est ainsi que l’ONG britannique Action Aid applique la pédagogie de Freire avec la
méthode REFLECT (Regenerated Freirean Literacy through Empowering Community Technique).
Dans le domaine du développement communautaire et de la transformation sociale, l’approche
REFLECT compte parmi les plus répandues à travers le monde (Chambers, 1997).

Aujourd’hui, l’œuvre de Paulo Freire est appliquée partout dans le monde aussi bien par des
universitaires que par des praticiens et elle reste porteuse d’espoir d’émancipation pour les
opprimés (Yu, 2018 ; de Lima Marco & Rodrigues Dias, 2018)). Mais dans son pays d’origine,
elle est contestée par les franges les plus conservatrices de l’extrême-droite (Miguel, 2018). Le
nouveau Président brésilien et son entourage d’extrême-droite en charge de l’éducation veulent
faire disparaître l’héritage pédagogique de Freire de l’école brésilienne. Ils envisagent même
de présenter au Congrès national brésilien un projet de loi pour révoquer le titre de patron de
l’éducation brésilienne attribué à Freire il y a quelques années.

En définitive, l’œuvre de Freire représente un espoir d’éducation et d’émancipation pour les


exclus et les opprimés du monde entier (Walsh, 2019). En faisant de l’engagement politique
le cœur de la relation pédagogique, Freire replace le projet humaniste et solidaire au centre
de l’éducation contemporaine. Paulo Freire est l’exemple même d’un pédagogue du Sud qui
a produit une œuvre de portée universelle et actuelle et qui a contribué au renforcement du
concept de l’éducation en tant que bien public, droit universel et instrument de libération,
et non comme un service marchand ou mis au service d’une pensée unique (De Lima &
Rodrigues Dias, 2018).

126
Chapitre 8 - Paulo Freire : l’éducation au service de la transformation sociale et de l’émancipation

PARTIE I : Pédagogies


Chapitre 9
Perspectives :
la portée universelle
et métisse des
pédagogies du Sud

127
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Dans la première partie de cet ouvrage, les pédagogies du


Sud ont été présentées par le biais d’institutions qui puisent
leur légitimité dans des contextes historiques et culturels
spécifiques. La deuxième partie quant à elle, analyse les
pédagogues du Sud en prenant l’exemple d’auteurs qui ont
élaboré des pédagogies caractérisées par leur ancrage culturel.

Ayant ainsi parcouru une partie du « monde majoritaire » et ses multiples traditions
pédagogiques, en allant des Amériques à l’Afrique et à l’Asie, nous avons acquis la conviction
que ces traditions ne sont pas contradictoires et que chaque professionnel de l’éducation
aurait tout intérêt à se demander de quelle manière il pourrait enrichir ses propres pratiques
pédagogiques en se référant à ces nombreuses traditions et façons de concevoir l’éducation,
la pédagogie, leurs caractéristiques et leurs objectifs. De surcroît, la nécessaire adaptation
des savoirs scientifiques aux pays du Sud dépasse de loin les confins de la problématique
strictement pédagogique des sciences de l’éducation pour englober d’autres savoirs
scientifiques largement inadaptés pour repenser l’école et l’enfance dans les pays du Sud, par
exemple la littérature du domaine de la psychologie (Abubakar & Van De Vijver, 2017) ou de la
petite enfance (Pérez & Saavedra, 2017 ; Liebel, 2017). De manière générale, il serait intéressant
que les cultures s’enrichissent mutuellement en apprenant les unes des autres et « l’orgueilleuse
culture occidentale, qui s’est posée en culture enseignante, doit devenir aussi une culture
apprenante » (Morin, 2000, p. 125).

Le présent ouvrage nous a offert la possibilité de présenter de manière succincte et non-


exhaustive des pédagogies et des pédagogues du Sud, mais nous avons bien conscience que
ce faisant nous avons dû laisser de côté de nombreuses alternatives pédagogiques du Sud
Global. Nous lançons donc un appel aux chercheurs des sciences de l’éducation afin qu’ils
comblent cette lacune. Cet ouvrage s’achève sur un dernier chapitre qui dégage la synthèse
des enseignements issus de cette aventure intellectuelle qui s’est centrée sur la pédagogie
comparative, un domaine relativement négligé par les sciences de l’éducation (Alexander, 2009).

Dans la première partie du chapitre, nous reviendrons sur notre critique de la forme scolaire.
La deuxième partie décrira la nécessité pour tous les acteurs de l’éducation de faire le
détour par l’altérité pédagogique. La troisième partie abordera le défi lié à la décolonisation
de la pensée pédagogique. La quatrième partie proposera quelques réflexions sur la
pédagogie culturellement et localement adaptée. Enfin, la cinquième partie proposera des
recommandations pour planifier et donner une impulsion à des transformations des politiques
éducatives afin d’y intégrer les alternatives pédagogiques du Sud.

128
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

1. L’avenir de la forme scolaire

PARTIE I : Pédagogies


À plusieurs reprises dans cet ouvrage, nous avons porté un regard critique sur la forme
scolaire, tout en reconnaissant les bénéfices qu’elle a apportés aux sociétés contemporaines.
Cette critique n’a d’ailleurs rien de nouveau. Avanzini (1975), dans un ouvrage qui a fait date
dans le domaine des sciences de l’éducation, soutenait déjà la thèse de l’immobilisme de la
forme scolaire et de son pouvoir neutralisant sur les alternatives pédagogiques proposées par
l’Éducation nouvelle. Certes, les pédagogies non directives ont bousculé la forme scolaire, lui
imprimant un mouvement de pendule. Mais après quelques oscillations de faible amplitude,
le pendule revient à sa place initiale. Cela étant, nous estimons que dans le contexte actuel, la
forme scolaire ne peut plus se contenter de faire semblant de bouger, elle doit se repenser en
profondeur. Nous traversons en effet la quatrième révolution industrielle 4.0. Contrairement
aux profondes mutations du passé, il ne s’agit pas d’une technologie particulière, mais de
la combinaison de différentes méthodes et technologies numériques qui autorisent la
mise en réseau des hommes, des produits, des machines, des systèmes et des entreprises
(Schawab, 2016). Les machines communiquent entre elles, les robots et les hommes peuvent
partager un espace de travail commun. Avec cette nouvelle révolution industrielle, la formation
devient un véritable enjeu, car les apprenants doivent s’adapter à la nouvelle donne et
continuer d’apprendre tout au long de la vie. Il serait donc inconcevable, dans ces conditions, de
conserver en l’état la forme scolaire : en particulier, il est important d’individualiser les parcours
de formation et de recourir à toutes les pédagogies qu’autorise le numérique, sans oublier que
maintenant, les apprenants ont un accès quasi-instantané à une multitude d’informations et
de connaissances. C’est pourquoi cultiver l’esprit critique et la capacité d’évaluer et de trier ces
informations doit avoir une place considérable dans l’éducation du futur.

Le collectif est d’ailleurs la clef de voûte des nouvelles formes d’apprentissage qui ont recours
aux réseaux sociaux, aux TIC, à l’apprentissage situé ou à l’apprentissage informel. Erstad (2018)
rappelle à ce propos que le modèle d’apprentissage formel adopté dans les écoles au cours du
siècle dernier est le fruit des besoins sociétaux spécifiques concernant l’éducation de masse
dans une société industrielle. Les jeunes ont besoin de nouveaux modèles d’apprentissage et de
création des connaissances pour se préparer au monde du travail de demain et à la conception
contemporaine de la citoyenneté.

2. Le passage indispensable par l’altérité pédagogique


Il nous apparaît en premier lieu qu’un détour par l’altérité pédagogique permet de jeter
un regard lucide sur la forme scolaire contemporaine qui, certes, représente un atout
indéniable pour la formation des futures générations de citoyens afin d’assurer leur insertion
économique, sociale et politique. Néanmoins, l’école rendue obligatoire à la fin du 19ème siècle
demeure prisonnière d’une vision de l’apprentissage essentiellement standardisée, utilitariste,
économique et compétitive. La forme scolaire étaye et entretient un système fondé sur la
compétition et sur un capitalisme cognitif féroce et non régulé. En somme, elle repose sur
« l’avoir » plutôt que sur « l’être ». Il est vrai que la forme scolaire continue de préserver un

129
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

petit espace dédié à la transmission de savoirs désintéressés, mais ceux-ci risquent de ne plus
faire sens pour les apprenants saisis par l’instrumentalisation de la formation et de l’éducation
et elle risque de plus en plus de délivrer des qualifications qui n’iront pas dans le sens de la
justice sociale. Dans le domaine de l’accès à la connaissance comme dans celui des ressources
économiques, l’écart entre les plus favorisés et les plus démunis ne cesse de se creuser. À
moins de lancer une mobilisation sociale planétaire, nous nous acheminons, comme l’a affirmé
Augé (2017), « vers une planète à trois classes sociales : les puissants, les consommateurs et
les exclus ».

Impuissante à se renouveler radicalement, la forme scolaire s’avère donc inadaptée aux


nouveaux défis du monde contemporain, ceux de la complexité, de l’incertitude, de la
migration, de l’interculturalité, des nouvelles technologies ou des changements climatiques.
Morin (2000) constate une inadéquation de plus en plus marquée entre « d’une part les
savoirs disjoints, morcelés et compartimentés et, d’autre part, les réalités ou les problèmes
de plus en plus polydisciplinaires, transversaux, multidimensionnels, transnationaux, globaux
et planétaires » (p. 40). Face aux changements accélérés que nous traversons, il semblerait
que l’éducation alternative/non formelle/informelle soit mieux qualifiée pour affronter les
problématiques nouvelles, pour penser la novation éducative. Mais n’oublions pas qu’elle
comporte aussi une marge d’incertitude importante susceptible de conduire à l’inféodation de
l’éducation aux lois du marché et à l’exposition effrénée des enfants et des adultes à l’inégalité
des milieux socioculturels (Garnier, 2018). Le succès de certains projets éducatifs s’éloignant de
la forme scolaire dans les pays du Sud semble pédagogiquement prometteur (Farrell, Manion, &
Rincón-Gallardo, 2017).

De Haan (2018) plaide même en faveur de la dé-pédagogisation des sociétés complexes, non
pas dans le sens où nous devrions retourner à des habitudes d’apprentissage plus « naturelles
», mais pour inventer des formes pédagogiques plus flexibles et diversifiées, plus en phase
avec la création de moyens d’observation et de participation à des pratiques authentiques
d’apprentissage, reposant moins sur des règles strictes encadrant l’activité d’apprentissage. Il
semble que la raison pour laquelle le registre de l’enseignement est notre principal scénario, le
plus important dans nos pratiques d’apprentissage, n’est pas que nous disposons de preuves en
nombre suffisant de son efficacité supérieure, mais plutôt parce que depuis l’instauration de la
forme scolaire obligatoire, ce registre est devenu le paradigme dominant de la préparation des
nouvelles générations à l’insertion socio-économique.

L’éducation alternative doit promouvoir une « intelligence générale » capable « de se référer
au complexe, au contexte de façon multidimensionnelle et au global » (Morin, 2000, p. 43).
Les technologies impulsent un changement sans précédent et bouleversent notre rapport à
l’espace, au temps, à la vie. À l’époque de l’ubiquité et de l’instantanéité, l’homme risque d’être
victime des puissants instruments qu’il a lui-même mis au point et qui menacent de subvertir la
relation de chaque individu avec les autres (Augé, 2017), d’où l’importance de s’interroger sur la
notion de compréhension comme le suggère Edgar Morin. Il est vrai que la situation planétaire
est paradoxale : d’une part, la communication triomphe (réseaux, connexions, Internet, etc.) et

130
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

d’autre part les conflits, l’incompréhension et l’absence de dialogue entre les humains demeure

Pédagogies
I : Pédagogies
générale. Ce problème est capital pour les humains et sa résolution doit être l’une des finalités
centrales de l’éducation (Morin, 2000). En effet :

PARTIE II :
PARTIE
Éduquer pour comprendre les mathématiques ou telle discipline est une chose ;
éduquer pour la compréhension humaine en est une autre. L’on retrouve ici la mission
proprement spirituelle de l’éducation : enseigner la compréhension entre les personnes
comme condition et garant de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité.

(Morin, 2000, p. 114)

Souza Santos, Meneses & Nunes (2006) suggèrent la notion féconde d’« écologie des savoirs »
pour nous aider à s’ouvrir à l’altérité pédagogique. Ils estiment que malgré la reconnaissance
croissante de la diversité culturelle dans le monde, il n’y a pas de véritable reconnaissance de la
diversité épistémologique. Ces auteurs estiment que l’une des conditions indispensables pour
un monde socialement juste est la reconnaissance et l’appréciation d’une écologie des savoirs
qui rendent possible la rupture avec la tradition moculturelle du savoir scientifique occidental.
L’écologie des savoir est basée sur le développement d’un dialogue non relativiste entre les
savoirs et l’assurance d’égalité des chances entre différents types de connaissances.

Nous devons repenser une école qui privilégie à la fois les acquis de l’apprentissage et en
particulier la culture de l’écrit et l’alphabétisation digitale, mais aussi, et sur le même pied
d’égalité, les compétences et les sensibilités des élèves à vivre et à travailler ensemble, en
s’accommodant de leurs différences culturelles. Par ailleurs, en renforçant dès leur plus jeune
âge l’estime de soi culturelle des élèves et en stimulant leur créativité, l’école gagnerait une
dimension plus profonde, au lieu de se concentrer uniquement sur les savoirs dits « scolaires »
ou standardisés. Les domaines tels que l’art, la musique, l’intelligence affective et relationnelle
peinent à se faire une place au sein de l’éducation publique, or des compétences telles que la
reconnaissance de soi et d’autrui, la capacité à exprimer ses ressentis et ses opinions ou encore à
découvrir sa richesse intérieure, ses talents, à coopérer avec les autres sont fondamentales pour
bâtir la société de demain. Comme le mentionne à juste titre Barbier (2010b), la construction
d’un rapport positif à l’autre et à l’altérité est la base de toute pédagogie que se veut sensible.

En somme, nous devons tendre vers une école qui amène les élèves à s’engager pour un
monde plus juste et plus solidaire, localement et globalement, et donc vers une école qui
contribue au changement de paradigme sociétal. C’est le chemin de la compréhension entre les
cultures, les peuples et les nations qui mènera à ce nouveau paradigme sociétal qui passe par la
généralisation de sociétés démocratiques et ouvertes (Morin, 2000). En effet « il ne peut y avoir
progrès dans les relations entre individus, nations, cultures sans compréhensions mutuelles (…)
et pour comprendre l’importance vitale de la compréhension, il faut réformer les mentalités, ce
qui nécessite de façon réciproque une réforme de l’éducation » (Morin, 2000).

131
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Aujourd’hui plus que jamais, il importe d’écouter les autres manières de concevoir la vie, la
transmission des savoirs et l’apprentissage. Comme le suggère Mestre :

Nos théories doivent se régénérer à plusieurs sources pour aborder notre monde
multiculturel où nous devons, nous, professionnels et parents, prendre en compte
que nos enfants sont des êtres biologiques, doués d’un psychisme et voués à s’affilier
à différentes cultures. Cela concerne les enfants nés de parents étrangers, les enfants
qui ont eux-mêmes migré, ou bien encore les enfants de couples mixtes, ou tout
simplement les enfants curieux et avides de notre monde globalisé.

(Mestre, 2016, p. 256)

S’aventurer dans les alternatives pédagogiques du Sud Global permet de mettre en évidence
leurs caractéristiques pertinentes (vision holistique de l’apprenant et du savoir, proximité avec la
nature et reconnaissance de celle-ci en tant que sujet et non objet, prise en compte de toutes
les facettes de l’apprenant, aussi bien cognitives qu’affectives ou spirituelles, utilisation de
l’oralité et du patrimoine artistique et culturel, etc.) :

Les indigènes vivent quatre liens fondamentaux que nous pouvons retrouver : le
lien à soi-même et à ses racines, le lien à l’autre, la relation dialogique à la nature et enfin
la relation avec le cosmos, avec Dieu. Leur vie en communauté et les liens qui existent
en son sein questionnent notre individualisme. Chaque Yanomami possède un alter
ego dans la nature : s’il chasse plus que ce qui lui est nécessaire pour manger, il risque
de se tuer lui-même en tuant son alter ego. Il ne peut ni exploiter les ressources d’un
autre village ni voler l’autre au risque de se voler lui-même. Une autre anecdote illustre
l’importance de ce lien à la nature. Un jour, les Yanomami se rendent à une réunion
dans la ville de Manaus. Les participants se plaignent parce qu’il fait trop chaud, et les
Yanomami de leur répondre : « Vous faites vos maisons en coupant tous les arbres et vous
vous plaignez qu’il fait chaud ! Nous, pour nos maisons, nous coupons le moins d’arbres
possible et il fait bon ! » Ces indigènes ont une vision du cosmos qui pose une limite à la
logique de prédation, alors que dans nos sociétés de consommation, l’environnement
devient un bien comme un autre. 

(Lopez, 2015, pp. 18-19)

132
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

Les systèmes de savoirs autochtones ont gagné en crédibilité grâce à l’exploration faites par

Pédagogies
I : Pédagogies
les chercheurs sur les savoirs écologiques autochtones, reconnaissant la relation étroite entre
les peuples autochtones et leur environnement. Ce type de savoir peut nous aider à relever les
principaux défis environnementaux de la planète (Sumida Huaman & Valdiviezo, 2012).

PARTIE II :
PARTIE
Tout bien considéré, les alternatives pédagogiques du Sud replacent à juste titre les processus
collectifs (politiques, sociaux, culturels, spirituels) au centre des dynamiques d’apprentissage.
Si, pendant le dernier siècle, l’apprentissage a surtout été considéré comme un processus
cognitif individuel, le plus souvent en lien avec l’apprentissage formel grâce à la forme scolaire,
les pédagogies du Sud illustrent parfaitement le proverbe africain qui affirme « qu’il faut tout un
village pour éduquer un enfant ». Dans la perspective des savoirs et des éducations autochtones
africaines ou asiatiques, le savoir et la connaissance sont contextualisés dans l’ici et maintenant.
Ils sont généralement transmis au cours d’étapes précises de la vie de l’individu, marquées le
plus souvent par des rites d’initiation.

Il est donc nécessaire d’initier une réflexion sous l’angle des communautés éducatives, en
adoptant la forme d’un modèle systémique et situé. L’implication de tous les acteurs de
l’éducation – enfants, parents, familles élargies, communautés – joue un rôle central dans
cette démarche. Le processus éducatif doit être élargi à l’ensemble du système qui gravite
autour de l’enfant et ne pas être axé exclusivement sur l’enfant dans l’école. Des pratiques
pédagogiques coopératives seraient donc à privilégier, dans le but d’encourager les valeurs
et les comportements de paix par la mise en avant des capacités suivantes : la participation,
la solidarité, l’inclusion, l’entraide, le partage des connaissances, l’autonomisation ou encore
l’encouragement mutuel.

Cette nouvelle société de la connaissance doit accorder autant d’importance au loisir qu’au
travail et considérer que l’éducation se produit toute la journée, partout dans la société, quelles
que soient les activités pratiquées. Elle doit appréhender l’humain en tant qu’être aux facettes
multiples, formé de personnalités physiques, vitales, émotionnelles, mentales, psychiques
et spirituelles. Par exemple, l’éducation telle qu’elle est conçue à Auroville se fonde sur une
compréhension profonde de la personnalité humaine, de la place de l›homme dans le monde
et du monde lui-même, prônant en somme une vision holistique. Robinson-Morris (2018)
préconise même une transmutation profonde de la subjectivité occidentale et une nouvelle
définition du soi. La convergence du bouddhisme d’Orient et d’Ubuntu d’Afrique engendrerait
une nouvelle façon de penser le sujet occidental, métamorphosé et reconceptualisé. La
mémoire collective de l’humanité proposée par ces philosophies du Sud rappelle notre
interdépendance, notre humanité partagée (Mukandi, 2018).

L’intérêt d’un passage par les concepts pédagogiques proposés par les peuples du Sud est
salutaire et peut nous aider à faire une analyse lucide de la forme scolaire. Dans cet ouvrage
nous avons tenté présenter d’une manière détaillé le concept de bien viver. D’autres concepts
pédagogiques du Sud méritent notre attention également. Par exemple, le concept autochtone
ancestral Āta de la Nouvelle Zélande. Ce concept d’Āta peut se traduire, selon Forsyth (2017),
par « agir avec soin et délibération ». La notion de respect est au cœur de cette approche

133
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

pédagogique. La philosophie d’Ata est fondée sur le principe de réciprocité et se concentre sur
le développement de relations respectueuses. Āta permet d’établir, de maintenir et de sortir
d›une relation sans nuire à l›identité et à l›intégrité de l›autre personne.

Dans la forme scolaire actuelle, les apprenants ont l’obligation de se mouler dans un cadre très
normatif : respect des programmes, réussite à des examens, c’est-à-dire dans un système qui
encourage une compétition acharnée et qui engendre chez de nombreux enfants la peur et
l’angoisse d’aller à l’école et de répondre aux exigences multiples qu’elle implique. Au-delà de
la rhétorique de l’enseignement axé sur l’élève, le système éducatif tel qu’il est actuellement
conçu place très souvent le savoir au centre et ce sont les élèves qui sont tenus de s’adapter
à ce savoir afin de l’acquérir. Verdiani (2017) explique que dans ce contexte, la joie et le plaisir
d’apprendre, ce don inné de l’être humain, disparaît, ce qui est très nocif pour la réalisation des
apprentissages, car lorsque nous apprenons avec enthousiasme, nous apprenons mieux et sans
devoir fournir d’efforts colossaux.

Par ailleurs, l’enfant a une prédisposition naturelle pour le jeu. Selon Hüther (2011), cette
prédisposition constitue même le mécanisme d’apprentissage le plus sophistiqué qui soit.
En effet, jouer et apprendre sont synonymes pour l’enfant et placer cet enfant dans la forme
scolaire rigide revient à lui donner l’injonction contradictoire d’arrêter de jouer pour apprendre
(Stern, 2017). Si l’on prend en compte les facultés innées de l’enfant, sa disposition à apprendre
par le jeu et l’enthousiasme qu’il en retire, les possibilités d’apprentissage deviennent infinies.

À l’instar des pédagogies dites actives, les pédagogies du Sud placent l’apprenant au
cœur du processus, ce qui signifie que les savoirs sont principalement acquis sur le fondement
de relations sociales. Cette approche permet de privilégier d’autres formes d’intelligence,
notamment les dimensions inhérentes à la créativité : arts plastiques, mouvement, capacité
d’empathie, etc. Cet apprentissage met l’accent sur la confiance et la coopération, le savoir-
être et la joie d’apprendre, plutôt que sur la compétition. Contrairement à ce qui se passe dans
le système classique, l’enfant devient acteur à part entière de son apprentissage. La posture
de l’enseignant devient centrale : il découvre en même temps que l’élève et il met en place
les conditions pour que le savoir jaillisse au sens de la maïeutique. De nombreuses initiatives
prônent les bienfaits de la pédagogie active, qui présente de multiples points de convergence
avec les pédagogies du Sud que nous venons de dépeindre.

L’intérêt de découvrir et d’appréhender les pédagogies du Sud et les pédagogies actives est une
composante de la culture générale de tout éducateur, enseignant ou chercheur en sciences de
l’éducation. C’est un exercice salutaire de décentration, car la plupart des individus passent trop
de temps à l’école et finissent par perdre la capacité de s’en distancer réellement.

134
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

3. Décoloniser la pensée pédagogique

Pédagogies
I : Pédagogies
À première vue, naviguer dans les méandres des pédagogies du Sud nous amène à interroger
les processus de colonialité, de domestication, de décolonisation et de renaissance africaine

PARTIE II :
PARTIE
ou autochtone. Nous devons collectivement reconnaître l’apport intellectuel et pédagogique
des peuples qui ont été maltraités par la conquête coloniale et la modernité contemporaine.
Dans de nombreuses régions du monde, l’école demeure un corps étranger qui peine à prendre
racine et à être pertinente (Lauwerier, 2016).

Comme alternative, Maldonado-Torres (2016) préconise la pensée décoloniale :

 ...la décolonialité désigne les efforts visant à réhumaniser le monde, à briser les
hiérarchies de différence qui déshumanisent les individus et les communautés et qui
détruisent la nature, mais également à produire des contre-discours, des contre-savoirs,
des actes contre-créatifs et contre-pratiques qui cherchent à démanteler la colonialité et
à ouvrir de multiples autres formes d’être dans le monde21.

(Maldonado-Torres, 2016, p. 31)

Dans la même perspective, Fujino et al. (2018) considèrent qu’une pédagogie pour un
monde décolonial est un système épistémologique qui considère les connaissances dans
leur multiplicité. Certaines ont été développées par des experts ou des scientifiques; d’autres
apprises à travers des expériences et des engagements quotidiens sur le lieu de travail, dans
les communautés et dans les mouvements sociaux ou transmis par les ancêtres. Le concept
zapatiste de « preguntando caminamos » (c’est par questionnement qu’on fait notre chemin)
permet d’élargir la participation démocratique, cherchant la sagesse de nos ancêtres, et ouvrant
un espace de devenir, un espace d’amour radical, d’espoir, de générosité, de courage, de pardon
et, peut-être, surtout, la dignité.

Pour les jeunes Africains en particulier, il n’existe pas de passerelle cognitive entre l’école
ou l’université qu’ils fréquentent aujourd’hui et leur histoire culturelle. Or, ces passerelles
sont absolument indispensables pour que l’école ne reste pas une institution exogène ou
une aventure ambiguë, pour reprendre l’expression de Kane. En Europe, l’élève a souvent la
possibilité de découvrir les liens qui existent entre les philosophes de l’antiquité grecque, Saint
Augustin, les penseurs des Lumières, et l’école ou son curriculum d’aujourd’hui. Ces passerelles,
qui par ailleurs font souvent l’impasse sur l’apport des autres civilisations à la Renaissance
européenne, permettent à l’apprenant européen de s’approprier son école. Nous avons besoin
de passerelles similaires pour les apprenants africains ou autochtones, qui relient la civilisation
égyptienne antique, les grands empires africains, les savoirs anciens à l’école du 21ème siècle.

21 Traduction de l’anglais par les auteurs

135
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

De surcroit, Il est important de contester les représentations habituelles sur les savoirs et les
pédagogies autochtones africaines confinés exclusivement dans le supranaturel (Emeagwali &
Shizha, 2016).

La greffe de la forme scolaire en Afrique n’a pas vraiment pris et l’école n’a toujours guère de
pertinence pour la majorité des apprenants. Comme l’a affirmé à juste titre il y a longtemps
Thành Khôi : « un hiatus encore plus profond existe dans les pays dits sous-développés où le
système d’éducation n’est pas, comme dans les nations industrialisées, le produit d’une longue
évolution nationale, mais a été transplanté de l’extérieur à l’époque du colonialisme » (Thành
Koï, 1965, p.336).

Même si l’éducation autochtone africaine accorde dans l’ensemble une place centrale à
la communauté, Kamuzinzi (2018) rappelle à juste titre qu’il est essentiel de considérer que
l’Afrique est un espace pluriel, afin de ne pas s’acharner à la considérer comme un bloc
monolithique. En outre, l’éducation coloniale s’est essentiellement fondée sur une démarche
d’extériorité. Kamuzini (2018) estime que l’éducation africaine contemporaine manque de
modèles pertinents pour se régénérer dans le contexte incertain de la mondialisation.

L’éducation en Afrique semble prisonnière de la forme scolaire coloniale et la force exogène


du colonialisme pédagogique reste d’actualité. Ainsi, pour Bierschenk (2007), les innovations
pédagogiques en Afrique sont essentiellement imposées par les acteurs internationaux à tous les
acteurs du système scolaire, y compris aux parents. Dans le meilleur des cas, les enseignants ne
sont que partiellement convaincus de l’utilité de ces innovations pédagogiques, dans la mesure
où ces principes sont de toute évidence en contradiction avec les conditions d’enseignement
réelles. Par exemple, l’exigence du travail de groupe constitue à l’évidence une provocation dans
une classe de plus de 100 élèves ayant en tout et pour tout un matériel éducatif minime. Sans
même parler du manque de conviction des parents et des autres membres de la famille, que la
philosophie pédagogique autochtone ne prépare pas à être pris en défaut par des écoliers du
primaire qui leur font subir un questionnaire sur l’histoire du village.

Ces tensions presque insolubles entre les orientations éducatives mondiales et la réalité


pédagogique locale se traduisent inévitablement par des référentiels fondés sur des principes
qui se veulent universels et des pédagogies culturellement décontextualisées. D’où l’importance
de trouver des acteurs capables de combiner le cadre global ou national et l’interprétation
locale et d’opérationnaliser par des choix pédagogiques culturellement appropriés
(Schweisfurth, 2014).

Analysant le cas de la République démocratique du Congo, André et Poncelet (2013) mettent


en avant à la fois l’importance de l’héritage colonial, la récente dynamique des acteurs
scolaires et la passivité ou l’impuissance de l’État-nation postcolonial. La référence à l’histoire
met en évidence les processus d’appropriation et d’actualisation des institutions coloniales
et postcoloniales dans des formules qui ne renvoient pas seulement à une logique dite « de
survie ». Le cas du champ de l’éducation congolaise permet d’insister sur le rôle prépondérant
qu’y jouent une pluralité d’acteurs et d’institutions hybrides. Les institutions les plus puissantes

136
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

de la société civile, à savoir les Églises, façonnent les « services éducatifs publics » et donnent

Pédagogies
I : Pédagogies
naissance à de nouvelles formes de concession négociées avec les pouvoirs publics.

Pour en finir avec la dépendance coloniale en Afrique, Diop (2010) estime à juste titre que

PARTIE II :
« toute contribution significative et durable au processus d’émancipation des peuples

PARTIE
africains nécessite non pas seulement persévérance et ténacité, mais aussi un certain degré
d’abnégation individuelle, qui implique souvent de renoncer à tout plan de carrière personnelle.
L’observation de cet esprit de sacrifice vaut pour le front culturel comme pour les autres
domaines de la vie professionnelle et sociale » (Diop, 2010, p. 140).

En ce qui concerne les peuples autochtones, l’OCDE (2018) observe à juste titre que les peuples
autochtones ont connu la colonisation qui a limité l’accès des jeunes autochtones à leur
identité, leur langue et leur culture. Par ailleurs, les enfants autochtones n’ont bien souvent
pas accès à une éducation de qualité comparable à celle dont peuvent bénéficier les autres
enfants. La combinaison de ces facteurs a eu pour conséquence de limiter les opportunités
et les résultats éducatifs de plusieurs générations d’enfants et de jeunes autochtones (OCDE,
2018). Il ne faut pas non plus oublier les ravages des placements forcés d’enfants autochtones
dans les internats. L’OCDE (2018) a identifié les nouvelles stratégies, politiques, pratiques et
programmes susceptibles d’améliorer l’apprentissage et les acquis des élèves autochtones au
Canada, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Quatre domaines de l’éducation qui se renforcent
mutuellement semblent les plus aptes à soutenir les élèves autochtones et à mieux satisfaire
leurs aspirations et leurs besoins éducatifs : le bien-être, la présence, l’engagement et la réussite.

Une étude récente de l’UNESCO (2019) en Amérique latine a mis en évidence le fait que les
savoirs des peuples autochtones continuent d’être traités dans une perspective folklorique et
muséographique. Les savoirs autochtones sont considérés comme étant ancrés dans le passé
et, par conséquent, peu pratiques et utiles pour le présent et le futur, ce qui va dans le sens
des structures sociales inégalitaires qui restent en vigueur. D’où les défis que rencontrent les
peuples autochtones dans le nécessaire repositionnement de leurs connaissances, dans leur
valorisation et leur protection par les sociétés et les États. Les savoirs autochtones devraient être
élargis à des domaines aussi divers que la linguistique, l’écologie ou l’agriculture durable. Il est
nécessaire de transformer les processus d’infériorisation et d’invisibilité pour mettre en évidence
la pluralité et la densité qui caractérisent ces peuples et leurs savoirs. Comme le signale à juste
titre Joseph (2017) « la décolonisation consiste à changer dans le même temps la façon dont les
peuples autochtones se voient et la manière dont les non-autochtones perçoivent les peuples
autochtones » (p. 1).

Pour les peuples autochtones d’Amérique du Sud et d’ailleurs, c’est par leur rapport singulier avec la
nature et la Terre-mère qu’il leur sera possible de s’approprier la forme scolaire. En effet, les menaces
existentielles qui pèsent sur la planète feront entrer, de gré ou de force, la sagesse autochtone dans
l’école contemporaine. Cette revanche des peuples colonisés qui ont failli disparaître sous le rouleau
compresseur de la civilisation est une bonne nouvelle pour la connaissance scientifique au 21ème
siècle et en particulier pour la pédagogie (Barou & Crossman, 2001).

137
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

De Sousa Santos (2009) définit le Sud comme un champ de défis épistémiques qui s’efforce de
réparer les dommages et les impacts historiques du capitalisme et de sa relation coloniale avec
le monde. Cette conception du Sud prend l’hypothèse d’un Sud géographique, c’est-à-dire
l’ensemble des pays et régions du monde soumis au colonialisme, mais elle se réfère aussi à un
« Sud » situé à l’intérieur du « Nord » géographique, composé de vastes groupes (travailleurs,
femmes, minorités ethniques, migrants) soumis à la domination capitaliste et coloniale.

La décolonisation des esprits ne doit pas nécessairement s’intéresser seulement au colonialisme


externe lié à la domination européenne. Elle doit aussi prendre en compte la persistance d’un
colonialisme profondément intériorisé. Il existe des effets de domination qui perdurent malgré
la fin des colonies. Un héritage colonial multiforme que les auteurs, latino-américains en
particulier, appellent la colonialité du pouvoir et du savoir. Tant que la colonialité demeure encore
dans les formes dominantes du savoir et dans les imaginaires collectifs, la décolonisation reste
inachevée. La mise en évidence de ces effets de domination constitue déjà une première forme
d’émancipation.

Les pédagogies du Sud sont une innovation de rupture, puisqu’elles encouragent les apprenants
à identifier et à remettre en question les catégories de domination au sein de la société
contemporaine. Elles favorisent les pratiques pédagogiques qui s’efforcent de transformer les
relations de pouvoir et les savoirs existant dans les institutions éducatives (Mills, 1997).

4. Vers une pédagogie culturellement appropriée


Quand le processus de décolonisation est bien avancé, s’ouvrent alors les perspectives nouvelles
d’une autre pédagogie décoloniale. Culturellement pertinente, cette pédagogie doit dépasser
les limites de la « bonne pédagogie » pour intégrer la culture dans toutes les pratiques
pédagogiques et éducatives (Scherff & Spector, 2011 ; Serpell & Mukela, 2019). Une pédagogie
culturellement appropriée doit prendre en compte les différentes traditions d’apprentissage et
le rapport au savoir dont sont porteurs les apprenants, en accordant une attention particulière
aux cultures et langues malmenées par la colonisation, la conquête et l’oppression. La richesse
de la pluralité pédagogique doit être reconnue pour bâtir des systèmes éducatifs plus justes et
plus équitables.

Au niveau local, la pédagogie doit aussi être à l’écoute des apprenants et de leurs cultures pour
éviter de plaquer des approches pédagogiques neutralisant tout désir d’apprentissage. Bien
que le numérique offre un accès illimité à la connaissance, la reconnaissance des savoirs ne
sera effective que dans le cadre d’une relation culturellement déterminée entre apprenants et
enseignants (Gastinel, 2019).

Analysant le cas des universités interculturelles du Mexique, Abigail Pérez-Aguilera et


Figueroa-Helland (2011) suggèrent l’existence de deux tendances peu satisfaisantes dans
le monde de l’éducation. La première est un multiculturalisme décoratif de plus en plus
populaire qui n’autorise que des îlots restreints de développement épistémique et culturel
pour les subordonnés et les défavorisés, sans toutefois contester de manière significative

138
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

ni transformer le système politique et éducatif hégémonique. La seconde est un semblant

Pédagogies
I : Pédagogies
d’interculturalisme unilatéral faute de conditions propices pour l’instauration d’interculturalisme
bilatéral pourtant nécessaire. D’une part, les groupes subordonnés et marginalisés sont
autorisés à enseigner leur propre langue, connaissances et cultures, tout en étant tenus

PARTIE II :
PARTIE
d’apprendre les langues, connaissances et cultures du ou des groupes dominants. D’autre
part, on n’attend aucun changement majeur des systèmes politiques, éducatifs et scientifiques
hégémoniques qui gardent toute latitude pour rester en grande partie imperméables à
l’influence transformationnelle des savoirs, des pratiques, des cultures et des institutions des
peuples autochtones. Il est indispensable de dépasser ce multiculturalisme décoratif ou cet
interculturalisme unilatéral, par le biais d’un engagement critique, proactif et fertile qui interroge
les relations de pouvoir, les injustices historiques et rend possibles la réciprocité épistémique et
un véritable interculturalisme bilatéral. Nous assisterons à l’émergence de cet interculturalisme
le jour où les écoles destinées aux élites urbaines au Mexique, au Pérou, au Chili en Bolivie et
dans bien d’autres pays donneraient la priorité aux langues autochtones avant de dispenser un
enseignement de l’anglais.

Selon Reyes (2019), une pédagogie de et vers la décolonialité est un processus qui se
déroule parallèlement à la colonialité. Tant que la colonialité existera, il aura un espace de
la décolonialité. En éducation, la colonialité se manifeste dans les relations de pouvoir, la
connaissance et le contrôle des apprenants. Néanmoins, les mouvements et les acteurs de
l’éducation démontrent la possibilité de refuser, rejeter, repenser, réinventer et recréer. Une
pédagogie de et vers la décolonialité dans l’éducation doit libérer l’esprit, le corps et contester le
projet moderniste d’homogénéisation et de standardisation.

Le métissage pédagogique que nous appelons de nos vœux dans cet ouvrage est en lien
direct avec le métissage culturel de notre époque inadaptée au culte de l’origine, de la pureté
ou de la stabilité identitaire. Dans la perspective métisse et créole, l’identité ne suppose pas de
n’être que soi-même et de ne rien devoir aux autres (Glissant, 1999). Cependant l’ouverture à
l’altérité n’est possible que si l’on est tout d’abord bien ancré dans sa propre culture (Laplantine
& Nouss, 1997 ; Laplantine, 2015). Comme le souligne à juste titre Cuche (1994), le métissage
s’interdit toute soumission ou tout rejet et s’ouvre vers l’imprévisible qui, souvent, effraie ceux
qui refusent le partage et la compréhension. Les identités culturelles ne peuvent plus être
considérées comme statiques et relevant d’un concept d’enfermement, elles sont au contraire
créées dans les espaces sans territoire qui caractérisent nos avenirs cosmopolites (Dolby & Rizvi,
2008). Il est plus que jamais utile en pédagogie de se rappeler de ce que nous a dit Salman
Rushdi : un homme n’a pas de racines, il a des pieds.

C’est par la reconnaissance de la diversité culturelle que peuvent se construire les alternatives
pédagogiques de demain. Le dialogue interculturel permet le développement de capacités
humaines nouvelles, susceptibles de constituer :

« Une alternative pour résoudre les conflits et construire des modèles de vie pacifiques (culture
de la paix) dans lesquels les diverses possibilités éducatives jouent un rôle très important, tant
dans l’éducation formelle que dans l’apprentissage tout au long de la vie » (Gónzalez, 2018, p.10).

139
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

Les alternatives pédagogiques du Sud sont inextricablement liées à des confrontations et des
compétitions entre la pensée éducative occidentale et les traditions éducatives du Sud, qui
devront l’une et l’autre subir un processus de modification, d’adaptation et de transformation
dans un contexte socioculturel particulier, pour déboucher sur une pédagogie hybride et
contextualisée (Deng, 2011). À cet égard, les pédagogies du Sud peuvent jouer un rôle capital
dans l’opérationnalisation de l’éducation à la citoyenneté mondiale, l’un des concepts les plus
novateurs de l’Agenda international Éducation 2030. Selon l’UNESCO (2018), il existe dans de
nombreux pays et sociétés du Sud des concepts nationaux/locaux/traditionnels qui ont déjà
pour but de promouvoir des idées similaires à celles de l’éducation à la citoyenneté mondiale (à
titre d’exemple, Ubuntu en Afrique du Sud, Charte du Mandén au Mali, Bonheur national brut
au Bhoutan, Buen Vivir en Bolivie, Sumak kawsay en Équateur, Shura (Consultation) à Oman).
Ces concepts locaux reflètent les trois notions qui différencient l’éducation à la citoyenneté
mondiale des autres approches éducatives : le respect de la diversité, la solidarité et un
sentiment d’humanité partagée.

Il convient de rappeler que les pédagogies scolaires existantes pourraient être enrichies par
une pédagogie prenant en compte la dimension culturelle. Il n’est pas question en effet de
remplacer totalement les méthodes d’enseignement et d’apprentissage dites modernes
par des formes autochtones ou des alternatives pédagogiques du Sud. L’essence d’une
pédagogie sensible à la dimension culturelle serait d’incorporer les meilleures idées et pratiques
pédagogiques issues de tous les types d’apprentissage tout en garantissant la place essentielle
du contexte culturel (Thomas, 1997).

140
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

Figure 5 : Pédagogie culturellement appropriée

Pédagogies
I : Pédagogies
Tradition
Savoirs autochtones, informels, non

PARTIE II :
formels et quotidiens

PARTIE
Langues maternelles
Rapport avec la nature (environnement)
et la terre
Liens de l’école avec les communautés
locales
Institutions traditionnelles de transmission
des savoirs
Pédagogues et pédagogies locales
Concepts issus de la tradition locale
(bien vivir, ubuntu, etc...)

Ethnothéories et croyances
Processus et contexte
pédagogiques
d’apprentissage
Systèmes de valeurs
Rapport historique avec la forme scolaire Pédagogie
culturellement Spiritualité et croyances religieuses
Styles d’apprentissage
appropriée Croyances pédagogiques (mérite,
Langues d’instruction
équité, justice, égalité etc...)
Accueil et utilisation de la diversité culturelle
Conceptions autochtones de
et linguistique des élèves
l’apprentissage et de la pédagogie

Savoirs scientifiques (y compris en


sciences de l’éducation)
Technologies numériques
Politiques éducatives nationales et
internationales
Politiques éducatives nationales et
internationales
Modernité

Source : Auteurs

Repenser la pédagogie en se référant à la Figure 5 ci-dessus conduira à plusieurs interrogations.

En premier lieu, une décentration et une réflexion critique sur la forme scolaire seront
indispensables. Il ne s’agit pas là de nier ses apports, mais plutôt et surtout de ne pas nier les
autres apports à l’apprentissage. En second lieu, nous proposons une diversité de modalités
d’apprentissage. Certains s’inscrivent dans la tradition de la forme scolaire, comme par exemple
les apprentissages liés à des disciplines d’enseignement et à des didactiques. Mais il y a d’autres
modalités, comme l’apprentissage par la résolution des problèmes de la communauté. Les
élèves sont ainsi amenés à sortir de l’école et à solliciter les savoirs et les actions de différentes
sources. La pédagogie culturellement appropriée se veut inclusive de toutes les sources du
savoir. Pour illustrer notre propos, nous souhaitons présenter un exemple issu de nos notes
de recherche prises sur le terrain à Madagascar. En arrivant dans une classe de fin de primaire
dans une école rurale isolée, nous avons été interpellés par le fait que l’enseignant avait pris

141
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

la peine de décorer la salle de classe avec des images d’horloges, d’animaux et de plantes,
même si les enfants en connaissaient très peu. Nous avons observé que l’accent avait été mis
en particulier sur la mesure du temps. Des dessins d’horloges étaient présents partout dans
la classe. Nous avons sollicité l’enseignant pour demander aux élèves de lire l’heure indiquée
sur certains dessins. Aucun élève, même parmi les meilleurs, n’y est parvenu. Ni l’enseignant ni
l’élève ne portaient d’ailleurs de montre. Nous avons alors demandé à certains élèves de nous
dire combien de temps il leur fallait pour venir de chez eux à l’école. Des réponses inattendues
ont fusé de toutes parts : le temps que prend une marmite de riz pour cuire, 2 fois le temps
que prend une marmite de riz pour cuire, etc. Cet exemple montre que la transposition de la
forme scolaire dans sa version strictement cognitive n’est pas pertinente si elle n’a pas recours à
l’intelligence et à la tradition locale.

5. Susciter et planifier les futurs changements


Repenser l’éducation à la lumière de la pluralité des traditions pédagogiques du monde représente
une tâche ardue qui nécessite l’action combinée de différents acteurs de l’éducation. Nous
proposons ci-dessous de formuler quelques recommandations et pistes d’action pour ces acteurs.

En premier lieu, il est important que les décideurs en matière de politiques éducatives veillent
à emprunter des innovations éducatives qui ont apporté la démonstration de leur plus-
value au niveau international, mais aussi et surtout, qu’ils ne perdent pas de vue le fait que ces
innovations seront amenées à s’implanter sur un terrain porteur d’une tradition pédagogique
et culturelle particulière qu’il s’agit d’analyser, de valoriser et de consolider. Préparer des ponts
entre ces deux traditions pédagogiques (international et locale) aussi légitimes l’une que l’autre
est primordial.

Dans l’exemple de l’Afrique, ce double ancrage culturel local-national et international des


politiques éducatives est un exercice ardu, car il est rare que les experts internationaux et
nationaux étudient la tradition pédagogique africaine avant de proposer les orientations à
implémenter dans le cadre des programmes et réformes en matière d’éducation. Il existe une
rhétorique des partenariats dans le domaine de la coopération internationale en éducation, mais
il nous semble indispensable de consolider l’ancrage local des politiques éducatives avant de
s’ouvrir au partenariat international. Autrement dit, il est préférable de privilégier l’appropriation
culturelle locale des politiques éducatives au lieu de mettre en place un produit exogène porté
par des acteurs internationaux avec leurs panoplie d’indicateurs standardisés (Samoff, 1999 ;
Klees, 2012 ; Lauwerier et Akkari, 2019).

Deuxièmement, l’université a un rôle crucial à jouer dans la valorisation des pédagogies


du Sud Global. La pluralité des orientations pédagogiques de l’enseignement et de la
recherche est toujours féconde. Par exemple, l’apport des linguistes est essentiel pour la
codification des langues autochtones, mais les didacticiens ont aussi un rôle important dans
la création de manuels pédagogiques culturellement pertinents qui tiennent compte de la
richesse profonde du milieu. Huaman (2019) propose de développer la recherche comparative

142
Chapitre 9 - Perspectives : la portée universelle et métisse des pédagogies du Sud

en éducation autochtone, dans le but de promouvoir des approches scientifiques axées sur

Pédagogies
I : Pédagogies
les populations autochtones dans les études comparatives et internationales. Dans cette
perspective, les peuples et les communautés autochtones définissent eux-mêmes les priorités
de la recherche, localisent les sites de recherche qui posent des questions d’intérêt local et

PARTIE II :
PARTIE
mondial et amorcent des réponses communautaires pertinentes aux niveaux local et mondial,
applicables au-delà des frontières entre les États-nations.

Dans une recherche action dans une université canadienne visant à valoriser la pédagogie des
peuples premiers et à la construction consciente d’alliés dans la formation à l’enseignement,
Morcom et Freeman (2018) mettent en évidence le chemin pour passer de niinwi « nous mais
pas vous », et kiinwa « vous mais pas nous », à kiinwi « vous et nous (ensemble) ». L’éducation
réconciliatrice exige le respect et l’amour, ainsi qu’un engagement inébranlable à honorer
les peuples autochtones, à dire la vérité. La réconciliation véritable exige la renonciation aux
privilèges historiques, raciaux et socio-économiques de la majorité euro-canadienne afin de
construire une société plus juste et plus équitable qui profite à tous.

Troisièmement, il nous paraît important de former tous les enseignants du Sud et du


Nord aux pédagogies alternatives du Sud et du Nord. Ces pédagogies qui ne sont
généralement pas traitées dans leur cursus de formation leur permettront de disposer d’outils
pour comprendre les processus d’apprentissage de leurs élèves venant d’autres cultures, mais
elles faciliteront aussi leur décentration par rapport aux orientations pédagogiques qu’ils ont
connues précédemment.

Quatrièmement, les pédagogies du Sud peuvent inspirer dans les classes des
projets pédagogiques innovants axés en particulier sur des thèmes en rapport avec le
développement durable et la proximité avec la nature, par exemple en encourageant les
élèves à sortir de la salle de classe, qui est cloisonnée et repliée sur elle-même, pour aller vers
le monde extérieur porteur d’une infinité de savoirs, et susciter ainsi la capacité de l’élève à se
déplacer en toute liberté, à être en mouvement et à manipuler des objets naturels. Plutôt que
d’être dispensée dans le cadre de leçons théoriques, l’éducation au développement durable
doit être encouragée par une pratique quotidienne de « la vie durable » et par l’écoute attentive
et la solidarité avec les peuples autochtones (Fleuri & Fleuri, 2018; Rahmani & Dozier, 2019).
L’éducation à l’alimentation et à la consommation saines et durables, également peu présente
dans les classes, doit être mise en avant dans les projets éducatifs car elle constitue un enjeu
mondial de haute importance.

Les écoles démocratiques sont également des initiatives intéressantes pour responsabiliser,
impliquer les élèves et leur donner la capacité d’influer sur leur institution scolaire. Ici, l’enjeu
est de leur permettre de développer leur sens critique et de les inciter à adopter un esprit
coopératif et citoyen. À ce propos, des activités de « parrainage » permettant à des pairs plus
expérimentés d’accueillir et de transmettre des savoirs à des enfants plus jeunes ou primo-
arrivants peuvent s’avérer très féconds en créant des liens forts au sein de la communauté
scolaire. Une autre piste peu explorée est la présence d’animaux dans les écoles et les
classes : le rôle de l’animal est alors de faciliter l’apprentissage par son influence positive sur le

143
Repenser l’éducation : alternatives pédagogiques du Sud

comportement des apprenants. Par exemple, il peut aider l’enfant très timide à acquérir de la
confiance en soi ou avoir un effet calmant sur les enfants très agités.

Il est également important de repenser la structure du « temps scolaire » car la créativité ne


peut être développée que si l’on dispose de temps libre dans une ambiance détendue. Par
ailleurs, outre les matières classiques (lecture, écriture, mathématiques…), des cours de cuisine,
de couture, de menuiserie ou de travaux manuels peuvent motiver les élèves en les faisant
participer à des apprentissages tout en leur laissant une totale liberté dans le choix de leurs
créations. Dans ce cas, des compétences en planification et en organisation seront développées
qui seront ensuite transférables à d’autres situations de la vie des élèves. Tout ceci constitue
un large champ de possibles pour le développement et la création de projets, sans jamais
oublier les valeurs fondamentales que sont l’autodétermination et la responsabilité sociale
et environnementale.

En définitive, alors que les politiques éducatives internationales et nationales et la recherche en


éducation sont majoritairement obnubilées par des préoccupations légitimes telles que « la crise
de l’apprentissage », les « résultats d’apprentissage », « les tests et les curriculas standardisées »,
« la bonne gouvernance », « l’éducation basée sur la preuve » ; les alternatives pédagogiques du
Sud Global nous invitent à s’ouvrir vers d’autres préoccupations, tout aussi légitimes, telles que
« L’interculturalité bilatérale », «  le bien vivir », « la pédagogie de la terre », « la solidarité et le vivre
ensemble » « L’éducation émancipatrice et décoloniale ». Pour repenser l’éducation humaniste du
21ème siècle, une articulation entre ces deux préoccupations est nécessaire.

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Zemanate, A. M. A., Gironza, D. C. C., Pino, D. N. G., Tróchez, L. A. C., Zemanate, M. L. J., & Gómez, P. B. (2016). Pedagogía de
la resistencia desde el buen vivir del pueblo Macizo y la educación intercultural en contextos educativos de La
Vega y Bolívar Cauca. Plumilla Educativa, Volume 17, N° 1, pp. 130-151.
Zhao, Y., Lei, J., Li, G., He, M. F., Okano, K., Megahed, N., Gamage, D. & Ramanathan, H. (Eds.). (2010). Handbook of Asian
Education: A Cultural Perspective. New York: Routledge.

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Vidéographie

Vidéographie
Davolk, B.E., (2017, 16 juin). Togo : Les secrets cachés des rites initiatiques Evala et Akpema en
pays Kabyè [Vidéo en ligne]. Vue sur https://www.youtube.com/watch?v=m4Qs7BXlQQc

CNRS, (2013). Au pays du conte. [Vidéo en ligne]. Vue sur https://videotheque.cnrs.fr/doc=4095

Lekuton, J. [Mamarungu,]. (2009, 16 février). Rite of Passage Circumcision Ceremony Kenya.


[Vidéo en ligne]. Vue sur http://www.youtube.com/watch?v=u_zmQlNmge4

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Repenser l’éducation
Alternatives
pédagogiques du Sud
A l’heure où le monde de l’éducation fait face à l’impact de la crise sans
précédent que représente la pandémie de COVID-19, le défi de repenser le
modèle scolaire, les espaces éducatifs, le contenu ainsi que les méthodes
pédagogiques se pose avec d’autant plus d’acuité.

Même avant l’apparition de la pandémie actuelle, et de ses conséquences


économiques et sociales, l’institution scolaire traversait déjà une crise
multidimensionnelle en termes d’accès et de qualité de l’éducation. Au-delà
de paramètres connus de « la crise de l’apprentissage » au niveau mondial, la
crise du modèle scolaire se manifeste également par la faible pertinence des
contenus et des méthodes d’apprentissage par rapport aux réalités des jeunes
surtout à l’ère où les technologies numériques transforment notre rapport aux
savoirs, au travail et à la culture.

Cet ouvrage offre donc une source d’inspiration et des pistes pour repenser
l’éducation sur la base de la richesse et la diversité des philosophies et des
pratiques pédagogiques du Sud.

9 789232 002341

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