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Le processus

d’enseignement-apprentissage
a oir et ormation
Collection dirigée par Claudine Blanchard-Laville,
Nicole Mosconi et Patrick Geffard
Collection créée par Jacky Beillerot (1939-2004),
Dominique Fablet (1953-2013) et Michel Gault

La collection Savoir et formation accueille les manuscrits dont le contenu


relève du champ de l’éducation et de la formation.
Nous serons particulièrement attentifs aux recherches qui, dans ce champ,
s’attachent à considérer les développements concernant le rapport au savoir
des sujets. Les domaines suivants seront privilégiés : genre et éducation,
psychanalyse et éducation, éducation familiale et protection de l’enfance.

Comité éditorial : Louis-Marie Bossard, Françoise Bréant, Jean Chami,


Sigolène Couchot-Schiex, Arnaud Dubois, Séverine Euillet, Chantal Humbert,
Antoine Kattar, Gaël Pasquier, Bernard Pechberty, Anna Rurka, Catherine
Yelnik.

erni res parutions


Betty TOUX, Le professeur des écoles et l’élève en situation de handicap,
2020.
Patricia BESSAOUD-ALONSO, L’institution familiale entre continuité et rup-
tures. Enquêter auprès des familles et des professionnels, 2020.
Pascal DUPONT, Pablo BUZNIC-BOURGEACQ, Marie-France CARNUS (dir.),
Compétence(s) et savoir(s) pour enseigner et pour apprendre. Controverses,
compromis ou compromissions ?, 2019.
Catherine SELLENET, L’accueil de jour en protection de l’enfance, 2019.
Sigolène COUCHOT-SCHIEX, Du genre en éducation. Pour des clés de com-
préhension d’une structure sociale, 2019.
Séverine EUILLET (dir.), Parcours en accueil familial, Sens et pratiques,
2019.
Jacqueline FONTAINE, La passion du savoir au féminin, 2019.
Louis-Marie BOSSARD, Sophie LERNER-SEÏ, Philippe CHAUSSECOURTE,
Éducation, formation et psychanalyse : une insistante actualité, 2018.
Anne-Marie SANCHEZ, Annie DI MARTINO, Faire progresser tous les élèves
au collège, 2018.
François-Xavier BERNARD, Les apprentissages collectifs instrumentés.
Modélisation des situations, analyse des interactions, 2018.
Louis-Marie BOSSARD (dir.), Clinique d’orientation psychanalytique en
éducation et formation. Nouvelles recherches, 2018.
Patricia BESSAOUD-ALONSO (dir), Les dispositifs dans la « recherche
avec », Regards croisés en éducation, 2017.
Arnaud DUBOIS (dir.), Accompagner les enseignants, Pratiques cliniques
groupales, 2017.
Sous la direction de
Marjolaine CHATONEY
et Maria Antonietta IMPEDOVO

Le processus
d’enseignement-apprentissage
L’ armattan
- rue de ’ co e- o tec ni ue aris

www.editions-harmattan.fr

ISBN : 978-2-343-19789-0
EAN : 9782343197890
PRÉSENTATION DES AUTEURS
ET DES AUTRICES

Colette Andréucci, ingenieure d’étude, EA467 ADEF, Aix-Marseille


Université, France.

Valérie Baranès, docteure en sciences de l’éducation, en sciences de


l’éducation, EA467 ADEF, ESPE d’Aix-Marseille Université, France.

Marjolaine Chatoney, professeure des universités en sciences de


l’éducation, EA467 ADEF, ESPE d’Aix-Marseille Université, France.

Hélène Cheneval Armand, maîtresse de conférences en sciences de


l’éducation, EA467 ADEF, ESPE d’Aix-Marseille Université, France.

Fabrice Gunther, docteur en sciences de l’éducation, EA467 ADEF,


Aix-Marseille Université, France.

Jean-François Herold, maître de conférences en sciences de


l’éducation, EA467 ADEF, ESPE d’Aix-Marseille Université, France.

Maria Antonietta Impedovo, maîtresse de conférences en psychologie


des apprentissages, EA467 ADEF, Aix-Marseille Université.

Nhung Nguyen, docteure en éducation numérique, Open Polytechnic,


Nouvelle-Zélande

Victoria Prokofieva, docteure en Sciences de l’éducation, EA467


ADEF, Aix-Marseille Université, France.

Patrice Laisney, maître de conférences en sciences de l’éducation,


EA467 ADEF, ESPE d’Aix-Marseille Université, France.

Fatma Saïd Touhami, docteure en Sciences de l’éducation, EA467


ADEF, Aix-Marseille Université, France.

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John Williams, professeur des universités, School of Education de
l’Université Curtin, Perth, Australie occidentale.

Rachid Zarouf, professeur des universités en sciences de l’éducation


et analyses mathématiques, EA467 ADEF, ESPE d’Aix-Marseille
Université, France.

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INTRODUCTION

La « notion » d’enseignement apprentissage a d’abord été construite


pour les étudiants inscrits dans des cursus de formation à la recherche
en éducation dans le cadre de formations doctorales, des masters
recherche en éducation et des masters MEEF (Métiers de l’Éducation,
l’Énseignement et de la Formation). Cette notion a été également
conçue pour les praticiens, professionnels de l’enseignement et de la
formation, corps d’inspection, acteurs et responsables du système
éducatif chargés de former et/ou accompagner les futurs enseignants en
s’appuyant sur les apports de la recherche en éducation.
Cet ouvrage s’adresse à tous ceux qui s’intéressent au processus
d’enseignement apprentissage. Il permet de prendre conscience de la
complexité des interactions entre un professeur qui doit enseigner
quelque chose de prescrit et qui vise un objectif d’apprentissage
déterminé, et des élèves, tous singuliers. Ces derniers savent qu’ils sont
là pour apprendre ce que demande l’enseignant, mais ont parallèlement
d’autres préoccupations personnelles et d’autres sollicitations sociales
dans ce contexte scolaire.
L’approche privilégiée dans cet ouvrage commence par une
présentation de la complexité du processus d’enseignement-
apprentissage établie à partir de l’activité exercée par les sujets
impliqués dans l’action didactique (l’enseignant, l’élève, le groupe, le
tuteur…) via la tâche que le sujet exécute dans un milieu qui lui est
propre (les conditions techniques, sociales et organisationnelles
associées). Des recherches en éducation montrent que l’activité
d’enseignement apprentissage est un objet de recherche dont les limites
vont bien au-delà de celles imposées par les réductions disciplinaires
(didactique, psychologie, sociologie, ergonomie, physiologie, etc.), et
que les déterminants sont multiples.
L’objectif de cet ouvrage est de faire le lien entre recherche,
formation et pratique en éducation scientifique, technologique et
professionnelle, mais aussi de découvrir la diversité des recherches et
leurs intérêts pour approfondir la réflexion de chacun.

9
Les neuf chapitres de cet ouvrage présentent plusieurs regards sur
l’activité d’enseignement-apprentissage. Ces regards sont ceux portés
par l’équipe de recherche EAST (Efficacité, Apprentissage, Sciences et
Technologie) du laboratoire ADEF (Apprentissage, Didactique,
Évaluation, Formation) d’Aix Marseille Université, France.
Comprendre les processus d’enseignement apprentissage passe par
l’étude de la situation didactique et du milieu didactique associé au sens
de Brousseau (1998). La situation didactique met en dialogue trois
logiques, celle de l’institution, celle de l’enseignant et celle de l’élève.
Son analyse articule deux registres d’activité, celui de l’enseignant, du
formateur, et celui de l’apprenant (Ginestié et Tricot, 2013). La
confrontation de ces deux registres ne va pas de soi. Les recherches
dénotent de la complexité de ce domaine d’étude, d’où la nécessité et
l’importance de développer des outils d’analyse des relations entre ces
deux registres d’activité.
Pour une meilleure compréhension de l’activité des enseignants
et/ou des élèves, les études conduites dans cette équipe privilégient une
approche pluridisciplinaire associant, selon les questions de recherche
la didactique et la psychologie des apprentissages ou plus largement la
didactique, la psychologie, l’ergonomie voire la sociologie.
Nous considérons que le seul point de vue didactique ne suffit pas
pour comprendre finement l’activité des acteurs dans le processus. La
convergence pluridisciplinaire a l’avantage de compléter et renforcer
l’éclairage didactique et inversement. Cette conception
pluridisciplinaire, place les recherches de l’équipe dans une posture
originale par rapport aux recherches en éducation plus souvent de
nature socio-didactiques. Elle permet de situer, analyser, comprendre
les interactions entre professeur(s), élève(s), savoir(s) et milieu(x).
Les neuf chapitres qui constituent l’essentiel de l’ouvrage sont de
longueur inégale.
Le chapitre introductif présente une modélisation du système
didactique en contexte scolaire.
Les huit chapitres suivants portent soit sur la formation des
enseignants, soit sur la recherche. Ils portent respectivement et dans
l’ordre sur le rôle des langages, des interactions langagières, du débat,
des collaborations entre élèves, des émotions, des contextes de
formation et du socioconstructivisme dans le système didactique
d’enseignement-apprentissage.

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• Chapitre 1 : L’enseignement-apprentissage, un système complexe
d’interactions : proposition de modélisation.
Auteurs : Marjolaine Chatoney, Jean-Francois Hérold, et Patrice
Laisney
Une modélisation du processus d’enseignement-apprentissage,
s’appuyant sur des outils d’analyse relevant de l’approche systémique,
est proposée. Une telle modélisation permet de décrypter le système par
niveaux de description de l’activité. Ces niveaux commencent par une
approche macroscopique qui s’affine progressivement dans les niveaux
inférieurs. L’avantage de cet outil est de permettre l’identification des
flux informationnels [professeur(s), élève(s), savoir(s) et milieu(x)],
interprétables et exploitables sans dénaturer la complexité du système.
Mots clés : Enseignement/Apprentissage – Approche systémique –
Système complexe – Interaction

• Chapitre 2 : Rôle des langages dans le processus d’EA : langages


techniques, langages mathématiques.
Auteurs : Fabrice Gunther, Jean-Francois Hérold, et Rachid Zarouf.
À travers des exemples en technologie et en mathématique au
collège, il s’agit d’étudier le rôle des langages dans le processus
d’enseignement apprentissage. Dans ces domaines, il est fréquent
d’avoir recours à des représentations sémiotiques variées comme le
langage naturel, les formules, les graphiques, les schémas, les
photographies, etc. On trouve également des systèmes de représentation
plus complexes que sont les langages, qu’ils soient textuels ou
graphiques. Les langages permettent ainsi de représenter les procédures
d’action, les modèles de description d’un fait, scientifique et/ou
technologique, les modèles de description de système, technique ou
non. En se centrant sur l’activité de l’enseignant, ces analyses montrent
notamment que les formulations savantes auxquelles l’enseignant est
habitué, en tant qu’expert de sa discipline, génèrent de multiples
blocages chez ses élèves.
Mots clés : Sémiotique – Langages – Analyse fonctionnelle –
Calculs mathématiques

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• Chapitre 3 : Interactions langagières en technologie : le repérage des
microdécisions comme approche de l’activité réciproque
professeur/élèves.
Auteures : Colette Andréucci et Marjolaine Chatoney.
L’étude rend compte de l’activité réciproque entre enseignant et
élèves lors d’un cours de technologie sur la catégorisation des systèmes
techniques. Elle contribue à montrer qu’une bonne partie des gestes
professionnels de l’enseignant sont de nature décisionnelle laissant la
place à diverses alternatives dont les effets ne sont pas tous équivalents
quant à la structuration des connaissances chez les élèves. L’analyse
fine de l’activité didactique en termes d’actions montre aussi les
difficultés que l’enseignant rencontre pour ajuster ses actions à celle des
élèves et pour prendre des décisions plus efficientes quant aux
apprentissages visés.
Mots clés : Activités – Décisions – Interaction – Technologie

• Chapitre 4 : Rôle du débat pour identifier et dépasser les


conceptions obstacles liées à la compréhension de la diversité des
êtres vivants et de leurs stratégies adaptatives.
Auteures : Fatma Saïd Touhami et Valérie Baranes.
Cette recherche, à la fois significative et d’interprétation, vient
enrichir la panoplie de travaux didactiques sur les obstacles
d’apprentissage en lien avec la diversité des êtres vivants et de leurs
stratégies adaptatives, et sur l’efficacité des situations de débat en classe
de sciences pour identifier et dépasser ces obstacles.
Ce travail est basé sur deux études de cas distinctes. Le premier cas
étudié concerne la compréhension de la diversité des stratégies
adaptatives des êtres vivants à un milieu donné, par des élèves de lycée
en Tunisie. Le second cas concerne l’apprentissage du concept
d’environnement et de diversité des êtres vivants par des élèves de
l’école primaire en France. Ces deux études montrent qu’un
enseignement favorisant l’interaction langagière entre les élèves et la
mobilisation de l’esprit critique, permet l’identification des conceptions
obstacles et leur éventuel dépassement.
Mots clés : Débat scientifique – Conception – Obstacle –
Biodiversité.

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• Chapitre 5 : Apprentissage collaboratif dans la formation : vers la
conception d’artefacts.
Auteurs : Maria Impedovo et Patrice Laisney.
L’irruption des technologies éducatives dans les processus
d’enseignement et d’apprentissage a contribué à engager la formation
des enseignants dans des processus d’innovation des pratiques. L’étude
explore la façon dont la collaboration médiée par la technologie peut
améliorer l’apprentissage. L’apprentissage collaboratif est abordé dans
deux exemples. Le premier étudie le potentiel de l’apprentissage
collaboratif médié par ordinateur pour la conception d’un cours mixte
en ligne. Le second porte sur la conception entreprise avec une 3D
imprimante. Au travers de ces exemples, les auteurs regardent comment
l’apprentissage collaboratif croise l’apprentissage individuel, et
contribue à la conception de situations d’enseignement apprentissage
innovantes dans la formation des enseignants.
Mots clés : Apprentissage collaboratif – Technologie – Artefacts

• Chapitre 6 : Résolution collaborative d’un problème et


apprentissage de la conception : une étude en technologie au
collège.
Auteur : Patrice Laisney.
Cette étude contribue à la compréhension du processus
d’enseignement-apprentissage relatif aux situations de conception
d’objets techniques dans le cadre de l’enseignement de la technologie
au collège. Un dispositif conçu en formation continue avec des tâches
pour faire agir, faire investiguer et faire débattre des élèves est appliqué
en classe. L’analyse de ce dispositif appliqué, permet d’identifier les
difficultés auxquelles sont confrontés les élèves. Ces difficultés ont un
caractère collectif. Elles peuvent, d’une part, relever d’obstacles
épistémologiques dans le processus d’apprentissage ou, d’autre part,
d’obstacles didactiques, voire psychologiques cette fois de nature à
entraver l’activité.
Mots clés : Éducation technologique – Conception collaborative –
Résolution de problème – Difficultés d’apprentissage.

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• Chapitre 7 : Facteurs émotionnels et motivationnels dans le
processus d’enseignement-apprentissage.
Auteurs : Victoria Prokofieva et Jean-François Hérold.
De nombreux travaux de recherche mettent en évidence le rôle des
émotions présentes dans les situations d’apprentissage et leur influence
sur l’activation des processus cognitifs. Ces facteurs émotionnels et
motivationnels, susceptibles d’interférer dans les apprentissages, sont
importants à repérer et à en prendre en compte pour appréhender le
processus enseignement-apprentissage. Certains phénomènes
émotionnels les plus fréquemment rencontrés dans le contexte scolaire,
tels que le stress scolaire, l’anxiété de la performance et le stress
d’évaluation, seront étudiés plus en détail dans ce chapitre.
L’importance des facteurs liés à la motivation des élèves, comme le
sentiment de l’efficacité personnelle et académique, le but
d’accomplissement, sera soulignée.
Mots clés : Émotion – Motivation – Apprentissage – Stress scolaire
– Anxiété d’évaluation

• Chapitre 8 : Références aux savoirs dans l’enseignement


professionnel : étude des tensions entre savoirs professionnels et
scolaires dans les domaines de la santé et de la sécurité au travail.
Auteure : Hélène Cheneval Armand.
L’organisation des nouvelles maquettes de formation dans le master
MEEF mise en place suite à la réforme de 2013 du dispositif de
formation des enseignants, pose la question de l’efficacité du nouveau
dispositif de développement professionnel d’étudiants qui souhaitent
devenir enseignants. L’évolution des pratiques d’une étudiante
stagiaire, aujourd’hui enseignante, est étudiée, au travers d’un entretien
d’auto-confrontation simple au cours duquel plusieurs dimensions
professionnelles (didactique, relationnelle, disciplinaire, émotionnelle)
sont explorées. Les résultats renseignent sur la prise de conscience des
difficultés rencontrées par cette enseignante. La prise de conscience des
difficultés est effective lors du visionnage de la vidéo de sa pratique une
année plus tôt. L’explicitation du changement permet d’inférer le rôle
de la formation dans ce processus d’apprentissage et notamment
l’analyse de pratiques à partir de vidéos.

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Mots clés : Formation – Enseignant – Développement professionnel
– Pratiques professionnelles

• Chapitre 9 : Dimension socioconstructiviste des apprentissages


avec les TIC.
Auteurs : John Williams et Nhung Nguyen.
Les technologies de l’information et de la communication incluent
toutes les formes de technologies de communication et de
l’information. Elles sont associées au numérique, au réseau, à Internet,
au téléphone, et bien d’autres applications d’usage courant. L’objectif
de cette étude théorique est de synthétiser le rôle que jouent ces outils
dans le processus d’enseignement apprentissage dans une perspective
socioconstructiviste de l’apprentissage. Cette synthèse présente en quoi
les TIC facilitent l’apprentissage se déroulant dans des contextes
sociaux ; leur capacité à fournir des ressources pour enseigner,
apprendre, interagir, etc. Elle explique également en quoi ces outils
laissent une liberté de choix de méthodes d’organisation diverses de son
apprentissage. De même, cette étude met l’accent sur le rôle joué par
les TIC pour favoriser la communication, et l’apprentissage collectif.
Mots clés : TIC – Socioconstructivisme – Enseignement –
Apprentissage
Les éléments présentés dans cet ouvrage sont autant d’outils utiles
pour les enseignants et futurs enseignants, pour les étudiants et
doctorants dans la construction de leur professionnalité, que pour les
formateurs, tuteurs et corps d’inspection qui visent à assurer aux
enseignants un haut niveau de connaissances et de compétences
éthiques, disciplinaires, didactiques et professionnelles. Ces outils
permettront à chacun de modifier leur regard et leurs convictions
pédagogiques ; de prendre du recul, d’analyser, de comprendre les
enjeux éducatifs et cognitifs ; d’interroger les pratiques et de construire
ainsi des gestes professionnels, une professionnalité.

15
Chapitre 1
L’enseignement-apprentissage un système
complexe d’interaction :
essai de modélisation du complexe

Marjolaine Chatoney, Jean-François Herold et Patrice Laisney

Introduction
Dans la perspective d’une meilleure compréhension du processus
d’enseignement-apprentissage (EA) nous proposons une modélisation
qui repose sur différents niveaux de description du processus
d’enseignement apprentissage. Cette modélisation permet de
développer des outils de compréhension d’un processus complexe
qu’est le processus d’enseignement apprentissage. Elle permet aussi de
penser la formation des enseignants notamment dans l’articulation
recherche, formation et terrain dans le cadre des enseignements de
master MEEF (Métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la
formation)
Dans cette perspective, nous proposons une modélisation du
processus d’EA à un niveau « macro », en adoptant un point de vue
centré sur l’enseignant. Nous considérons l’activité de l’enseignant
comme pilote du processus d’EA dans l’élaboration de notre
modélisation. De notre point de vue, le recours à la modélisation, pour
expliquer et comprendre un processus complexe comme peut l’être le
processus d’EA, permet d’appréhender cette complexité sans pour
autant la dénaturer.
Les travaux de Brousseau (1998), dans le cadre de la didactique des
mathématiques, peuvent apporter les premiers éléments de réflexion à
la démarche de modélisation : « Est-il possible de « modéliser » tout un
système éducatif par un système « enseignant » défini par quelques-
unes des relations qu’il entretient avec un système « enseigné » qui

17
représente lui, des centaines d’élèves dont la diversité semble justement
la première source des difficultés des enseignants. C’est un pari
incontournable du processus de théorisation. » (Brousseau, 1998, p.58)
Les moyens et méthodes qu’il propose pour cette modélisation des
situations didactiques repose sur une approche systémique :
« L’approche systémique des situations d’enseignement paraît indiquée
dans la mesure où les sous-systèmes en présence : l’enseigné, le
système éducatif, sont identifiable immédiatement en tant qu’acteurs.
Elle présente de l’intérêt dans la mesure où la considération des sous-
systèmes dégagés permet, soit de simplifier sensiblement l’étude des
problèmes posés, soit d’isoler certains de ces problèmes qui peuvent
être résolus dans ces sous-systèmes. Elle se révèle indispensable si la
totalité des phénomènes didactiques peut être prise en compte de cette
façon et peut alors prétendre à fournir un fondement théorique. »
(Brousseau, 1998, p. 88)
Brousseau expose ensuite l’ambiguïté possible de cette approche :
« l’instrument d’une projection sur la réalité du modèle pensé par le
chercheur. » (Brousseau, 1998, p. 88)
Depuis ces premiers travaux fondateurs, d’autres tentatives de
modélisation s’appuyant sur une approche complexe des situations
d’enseignement-apprentissage ont été développé. Par exemple, la
nécessité de modéliser le processus d’enseignement-apprentissage dans
une approche systémique complexe pour répondre à la question de son
efficacité (Clanet, 2012) en s’appuyant notamment sur les travaux de
Le Moigne (1995).
L’ouvrage de Musial, Pradère et Tricot (2012) propose, dans le cadre
de l’ingénierie, différentes modélisations : une représentation de
l’activité d’enseignement : « Une activité d’ingénierie qui prend en
compte les connaissances sur les apprentissages et le retour
d’expérience. » (p. 18), une représentation schématique de la démarche
de conception d’un enseignement (figure 11, p. 70), un schéma de
principe de la régulation d’un système (figure 22, p. 246) et un schéma
de principe de la régulation d’une situation d’enseignement-
apprentissage (figure 23, p. 248).
Toutes ces tentatives, non exhaustives pour modéliser le processus
d’enseignement-apprentissage, ont pour objectif de contribuer à
comprendre les situations scolaires. « La constitution d’une situation
didactique dans une organisation scolaire structure un réseau

18
d’interactions entre l’activité de l’enseignant et l’activité des élèves.
Comprendre comment et pourquoi cela fonctionne est un des
principaux défis pour décrire les processus d’enseignement-
apprentissage à l’œuvre et en apprécier leur efficacité. » (Ginestié &
Tricot, 2013, p. 9) Et pour ces auteurs « Les systèmes didactiques sont
complexes et renvoient à des niveaux d’interactions imbriqués dans des
réseaux tout aussi complexes. »
La complexité de la situation d’enseignement-apprentissage est
généralement associée à la variété des interactions didactiques et des
contextes. Rendre compte de la multitude des facteurs qui interagissent
entre eux et sur la situation elle-même, ne va pas de soi, tout le monde
en convient ! Par exemple, les situations, telles que théorisées par
Brousseau, constituent autant de sous-systèmes du système didactique
in situ, en classe. Autrement dit pour lui, les frontières du système
d’enseignement-apprentissage sont celles de la situation organisée par
l’enseignant pour un objet d’enseignement prescrit et déterminé. Du
point de vue de la théorie des systèmes, cette situation n’est qu’un sous-
système d’un système élargi notamment à des domaines d’activités hors
la classe. Par ailleurs elle ne renseigne pas sur la nature des flux
d’information circulant au sein du système et leurs effets.
La situation d’enseignement-apprentissage pensée comme un
système, organisé en sous-systèmes en interaction, est modélisable à
partir de la théorie des systèmes. Parmi les outils proposés par la théorie
des systèmes, nous avons choisi le SADT (Structured Analysis and
Design Technique), car il a l’avantage de pouvoir représenter
visuellement des systèmes complexes organisés en niveaux de
description, du plus global au plus détaillé, et de faire apparaitre les
interactions et les flux d’information au sein et entre les différents
niveaux.
L’outil SADT (Favier et al. 1996) repose sur un certain nombre
d’éléments représentés ci-dessous (figure n° 1). Dans la théorie des
systèmes, tout système est défini par une frontière qui permet de
comprendre ce qui est étudié : dans notre cas, le système
d’enseignement-apprentissage. Tout ce qui est hors de cet objet d’étude
est à l’extérieur de la frontière, par exemple tout ce qui se rapportent
aux considérations historiques, économiques, sociétales. Tout système
a une fonction (ici, enseigner-apprendre) et agit sur de la matière
d’œuvre (pour nous, les savoirs). La matière d’œuvre entrante (MOE)
est transformée par la fonction (enseigner-apprendre) en matière

19
d’œuvre sortante (MOS). La matière d’œuvre sortante correspond aux
traces de l’activité d’enseignement apprentissage : les expériences
d’enseignement du professeur et les apprentissages réalisés par les
élèves. La transformation produit de la valeur ajoutée qui correspond à
la différence entre la M.O.S. et la M.O.E. La valeur ajoutée correspond
à la transformation supposée des savoirs prescrits à l’entrée du système
en compétences-connaissances des sujets (professeur et élèves) à la
sortie du système (les acquisitions). Par ailleurs tout système est en
relation avec des milieux associés, extérieurs au système, qui agissent
sur lui. Pour cette raison, des données de contrôle modulent son
fonctionnement (contingences institutionnelles, valeurs et perceptions
de l’enseignant).

Figure n° 1 : SADT

La méthode SADT, procède par ailleurs par approche descendante.


L’approche descendante va du plus général au plus détaillé, en
s’intéressant aux activités du système (figure n° 2). Le premier niveau
du modèle, appelé niveau A-0 (boite mère), représente le système au
niveau macro. Le deuxième niveau, appelé A0 (boite enfant), précise
les activités et les moyens nécessaires à leur réalisation. Chaque activité
peut de la même manière constituer un sous-système à un niveau
inférieur. Chaque niveau est un moyen de description de l’activité du
plus global (macro) au plus fin (micro).

20
Figure N° 2 : Les différents niveaux

À chaque niveau de description, les activités sont des « boîtes » qui


représentent la décomposition du système en sous-systèmes (parties).
Les flèches, dans cette figure (N° 2) relient les boîtes et codifient les
interactions, elles sont significatives des flux (informationnels,
transformation du savoir…). Elles renseignent sur la nature des données
sur lesquelles agissent les activités et conditionnent le déroulement du
processus à l’œuvre.

Modélisation SADT du processus d’EA


Première niveau de description (Boite mère)
Ce premier niveau général de description du système propose donc
l’étude du processus d’enseignement-apprentissage (figure n° 3). Le
système étudié à l’aide de la représentation SADT est le processus
d’enseignement-apprentissage au niveau macro. À ce stade, le point de
vue retenu est purement didactique, centré sur l’enseignant. L’ensemble
des élèves de la classe est considéré comme un ensemble homogène
d’élèves.

21
Figure N° 3 : Le niveau général A-0

Les savoirs (matière d’œuvre entrante) sont des savoirs à enseigner


issus des prescriptions institutionnelles.
Les traces de l’activité d’enseignement-apprentissage (matière
d’œuvre sortante) sont des artefacts (matériels et sémiotiques) produits
par l’activité du (des) sujet(s) par exemple : les traces de l’activité du
professeur, les traces de l’activité des élèves.
Les données de contrôle regroupent les contingences
institutionnelles, le milieu dans lequel le processus évolue, le lieu
(topogenèse) le temps (chronogenèse), mais aussi les contingences
relatives aux sujets impliqués dans le milieu (système de valeurs).
La valeur ajoutée (différence entre la matière d’œuvre entrante et la
matière d’œuvre sortante) est significative de l’efficacité au sens de son
efficience dans le processus d’enseignement-apprentissage.
L’efficience est la capacité du système à atteindre les objectifs au prix
d’une consommation optimale des ressources. Le degré d’efficience
peut être mesuré à partir d’indicateurs des rapports entre l’activité
déployée par l’enseignant et les apprentissages réalisés par les élèves.

22
Deuxième niveau de description
Ce deuxième niveau consiste à « ouvrir » la boîte
« enseigner/apprendre ». Il décrit le processus d’enseignement-
apprentissage du point de vue de l’activité d’enseignement (figure n° 4).
On distingue à ce niveau les fonctions « Planifier l’enseignement »,
« Mettre en œuvre l’enseignement » et « Évaluer son enseignement »
qui s’ordonnent dans le temps Δt1, avant ; Δt2, pendant et Δt3, après la
mise en œuvre de l’enseignement :
- Planifier l’enseignement : Activité réalisée par le professeur
avant l’enseignement.
- Mettre en œuvre l’enseignement : Activité réalisée par le
professeur et les élèves pendant l’enseignement.
- Évaluer son enseignement : Activité réalisée par le professeur
après l’enseignement.

Figure N° 4 : Le niveau A0

Les flèches sont représentatives des interactions entre les fonctions


(activités) sous formes de flux d’information ou de contrôle. Ces flux
d’information peuvent être de différentes natures. Ils peuvent être
matériels (traces physiques) et/ou sémiotiques (connaissances
construites par les sujets). À ce niveau, on distingue :

23
- Les savoirs, la M.O.E. au niveau A-0 (figure N° 3).
- Les traces de la situation construite : Ensemble des documents
du professeur, les évaluations prévues, les moyens, ressources,
supports didactiques et organisation (le dispositif
d’enseignement).
- Les traces de la situation évaluée : Ensemble des documents du
professeur et des élèves, les évaluations prévues, les moyens,
ressources, supports didactiques et organisation : le dispositif
d’enseignement évalué et potentiellement reconstruit.
- Les traces de l’activité d’EA, la M.O.S. au niveau A-0 (figure
N° 3).
Troisième niveau de description
Ce troisième niveau ouvre successivement les boîtes « Planifier
l’enseignement », « Mettre en œuvre l’enseignement » et « évaluer son
enseignement ».
La boîte « Planifier l’enseignement » décrit le processus
d’anticipation, c’est-à-dire de conception de la situation
d’enseignement-apprentissage avant sa mise en œuvre (figure n° 5). On
y distingue deux fonctions « Transposer les savoirs » et « Concevoir
son enseignement ».
- Transposer les savoirs : Arrière-plan conceptuel (épistémologie)
du professeur défini par l’ensemble des règles, des valeurs, de
l’idéologie privée et de ses expériences. Aspects historico-
culturels. Les données de contrôle de cette fonction sont
constituées d’un ensemble de règles, de valeurs et
d’expériences.
- Concevoir son enseignement : Activité d’élaboration
(conception) de la situation d’enseignement prévue par
l’enseignant.

24
Figure N° 5 : Le niveau A1 « Planifier l’enseignement »

À ce niveau, les données de contrôle relèvent de l’ensemble des


contingences institutionnelles, mais aussi de la perception de l’enseignant et
de ses valeurs. L’enseignant ne les prend pas toutes en compte à ce stade du
processus, soit qu’il n’en ait pas conscience, soit qu’il choisisse d’en écarter
certaines selon un processus de gestion des contraintes par réduction des
incertitudes (Lebahar, 2007).
Les interactions entre les fonctions sous forme de flux d’information ou
de contrôle sont :
- Les savoirs, la M.O.E. au niveau A-0 (Figure N° 3 et N° 4).
- Les savoirs à enseigner : Produit de l’activité de transposition
réalisée par le professeur pour interpréter les prescriptions.
- Les traces de la situation construite : Ensemble des documents du
professeur, les évaluations prévues, les moyens, ressources,
supports didactiques et organisation (le dispositif d’enseignement).
Les traces de la situation construite constituent la dimension
productive de ce processus. Pour Rabardel (1995) l’activité
productive d’un sujet est une activité de réalisation de tâches, visant
à atteindre des buts. Elle se finalise dans l’atteinte ou non de ces buts,
des buts concrets, dans le monde concret.
- Les traces de l’activité construite : L’expérience acquise et la
construction de la professionnalité du professeur. Les traces de
l’activité construite constituent la dimension constructive de ce

25
processus. Pour Rabardel (1995) l’activité constructive d’un sujet
est orientée vers son propre développement, son évolution à travers
une reconfiguration de ces ressources. Notons qu’activité
constructive et productive restent indissociables : « L’activité
constructive par laquelle s’élaborent les capacités de faire et d’agir
du sujet s’inscrit dans l’activité productive où se réalisent les
capacités de pouvoir à travers l’usage effectif des ressources. »
(Rabardel & Pastré, 2005, p. 20)
La boite « Mettre en œuvre son enseignement » décrit le processus de
conduite de la situation d’enseignement-apprentissage (figure n° 6). Elle
distingue les deux fonctions « Enseigner » et « Apprendre ».
- Enseigner : Activité du professeur quand il est en interaction avec
les élèves. Cette interaction peut se concevoir in situ de classe
ordinaire ou à distance.
- Apprendre : Activité de l’élève(s) quand celui-ci est en interaction
avec les sujets impliqués dans la situation prévue et mise en œuvre
par l’enseignant. Les sujets sont les autres élèves, l’enseignant ou
toute autre personne impliquée dans la situation. L’interaction peut
se concevoir in situ de classe ordinaire.

Figure N° 6 : Le niveau A2 « Mettre en œuvre l’enseignement »

26
Comme précédemment, les données de contrôle relèvent de
l’ensemble des contingences institutionnelles et de la perception de
l’enseignant et de ses valeurs. À celles-ci s’ajoutent les contraintes liées
aux caractéristiques intrinsèques des élèves prises en compte par
l’enseignant.
Les interactions entre les fonctions sous forme de flux d’information
ou de contrôle sont :
- Les traces de la situation construite : Le dispositif
d’enseignement, la M.O.S. au niveau A1 (Figure N° 5).
- Les traces de l’activité d’enseignement (professeur) : Divers
artefacts (matériels et sémiotiques) produits par l’activité
d’enseignement du professeur (dispositif d’enseignement).
- Les traces de l’activité d’apprentissage (élève) : Divers artefacts
(matériels et sémiotiques) produits par l’activité d’apprentissage
de l’élève (connaissances).
- Les traces de l’activité d’E-A : Divers artefacts (matériels et
sémiotiques) produits par l’activité des sujets, le dispositif
d’enseignement du professeur, et les traces des apprentissages
(connaissances construites par les élèves) ; la M.O.S. au
niveau A-0 (figure N° 3 et N° 4).
- Régulation de l’enseignement : Les traces de l’activité
d’apprentissage des élèves perçues par le professeur permettent
la régulation de son activité d’enseignement.
- Retour d’expérience : « Dimension constructive » : Les traces
de l’activité d’E-A constituent la dimension productive de ce
processus. Les effets de cette activité conduite par le professeur
se traduisent aussi dans sa dimension constructive (expérience
acquise et construction de sa professionnalité).
La boite « Évaluer son enseignement » décrit l’activité produite par
l’enseignant après avoir réalisé son enseignement, un retour critique sur
ce qui s’est passé pendant son cours. Cela permet dans un processus
itératif de reconduire à nouveau la situation d’enseignement après
quelques réajustements. Nous l’appelons ici : situation reconstruite
(figure n°7).

27
Figure N°7 : Le niveau A3 « Évaluer son enseignement »

On distingue à ce niveau les fonctions « Analyser a posteriori » et


« Reconcevoir son enseignement ».
- Analyser a posteriori : Arrière-plan conceptuel de l’enseignant
défini par l’ensemble des règles, des valeurs et des expériences
d’enseignement vécues. Aspects historico-culturels. Les
données de contrôle de cette fonction sont constituées d’un
ensemble de règles, de valeurs et d’expériences. Produit de
l’activité de transposition réalisée par le professeur pour
interpréter les prescriptions.
- Re-concevoir son enseignement : Activité d’adaptation (re-
conception) de la situation d’enseignement mise en œuvre par
l’enseignant.
Les données de contrôle spécifiques à ce niveau relèvent de
l’ensemble des contingences institutionnelles, de « l’environnement »
du processus, de la perception de l’enseignant et de son expérience
acquise dans la ou les mises en œuvre antérieures.
Les interactions entre les fonctions sous forme de flux d’information
ou de contrôle sont :
- Traces de l’activité d’E-A : Divers artefacts (matériels et
sémiotiques) produits par l’activité des sujets, le dispositif
d’enseignement du professeur, et les traces des apprentissages

28
(connaissances construites par les élèves) ; la M.O.S. au niveau
A-0 (figure N°3, N°4 et N°6).
- Résultats de l’analyse : Produits de l’analyse du professeur à
travers son expérience, ses croyances, ses points de vue. Divers
artefacts (matériels et sémiotiques) produits par l’activité des
sujets, le dispositif d’enseignement du professeur, et les traces
des apprentissages (connaissances construites par les élèves).
- Traces de la situation reconstruite : Produit de l’activité du
professeur, réalisé après l’enseignement, permettant d’ajuster
(ou de re-concevoir) la situation d’enseignement en vue d’une
nouvelle mise en œuvre. Ensemble des documents du professeur
et des élèves, les évaluations prévues, les moyens, ressources,
supports didactiques et organisation (le dispositif
d’enseignement reconstruit).
- Données de régulation : Les traces de la situation reconstruite
constituent la dimension productive de ce processus. Les effets
de cette activité conduite par le professeur se traduisent aussi
dans sa dimension constructive (expérience acquise et
construction de sa professionnalité).
Quatrième niveau de description
Ce quatrième niveau ouvre permet d’atteindre un niveau de
description du processus d’EA, très précis de l’activité des sujets
(professeurs et élèves) impliqués dans la situation.
La boite « Enseigner » décrit le processus d’enseignement (figure
n°8) relatif à l’activité du professeur. Comme nous l’avons vu
précédemment elle permet un focus sur l’activité du professeur quand
il est en interaction avec les élèves. On distingue trois fonctions :
« S’adapter à la situation », « Réaliser l’enseignement » et « Finaliser
l’enseignement. »

29
Figure N°8 : Le niveau A21 « Enseigner »

- S’adapter à la situation : Correspond aux ajustements successifs


que fait l’enseignant quand il est en situation effective
d’enseignement.
- Réaliser l’enseignement : Englobe l’ensemble des actions de
réalisation de l’enseignement.
- Finaliser l’enseignement : Correspond au moment où
l’enseignant atteint l’objectif qu’il s’est fixé. Cette fonction peut
parfois, ne pas être réalisée dans le temps prévu par l’enseignant,
différée, laissée en suspens voire jamais réalisée.
Les données de contrôle spécifiques à ce niveau relèvent des
contingences institutionnelles qui pèsent sur le sujet (professeur), autres
professeurs…
Les interactions entre les fonctions sous forme de flux d’information
ou de contrôle sont :
- Traces de l’activité du professeur et des élèves : Produits de
l’activité d’E-A effectivement mise en œuvre par le professeur
et les élèves. L’activité de l’enseignant à ce niveau, est une
adaptation de la situation préparée en amont au contexte réel.
Elle nécessite de multiples ajustements aux imprévus
(temporels, organisationnels, matériels…), et aux réactions des
élèves non anticipés par le professeur.

30
- Action(s) du professeur : Activité du professeur perçue par les
élèves pour réaliser son enseignement.
- Traces des actions du professeur : Les actions réalisées par le
professeur et leurs effets sur les élèves lui permettent d’adapter
(modifier) son activité d’enseignement.
- Traces de l’activité d’enseignement (professeur) : Divers
artefacts (matériels et sémiotiques) produits par l’activité
d’enseignement du professeur.
- Régulation : Les effets sur les élèves des actions réalisées par le
professeur permettent de réguler (contrôler) l’activité
d’enseignement.
La boite « Apprendre » décrit le processus d’apprentissage (figure
n°9) relatif à l’activité de l’élève. Comme nous l’avons vu
précédemment elle permet un focus sur l’activité de l’élève quand il est
en interaction avec les sujets impliqués dans la situation prévue et mise
en œuvre par l’enseignant.

Figure N°9 : Le niveau A22 « Apprendre »

On distingue ici trois fonctions : « Interpréter les tâches


d’apprentissage », « Réaliser les tâches d’apprentissage » et
« Construire des connaissances ».

31
- Interpréter les tâches d’apprentissage : Consiste pour l’élève à
s’emparer du travail à réaliser, prendre connaissance de la
consigne, la décrypter et en décoder les enjeux.
- Réaliser les tâches d’apprentissage : Correspond aux actions et
à l’activité nécessaire pour réaliser la tâche. Ici, l’élève s’appuie
sur les connaissances dont il dispose.
- Construire des connaissances : Correspond au moment où
l’élève atteint l’objectif fixé par l’enseignant. Ici l’élève en
mobilisant ses connaissances préalables construit de nouvelles
connaissances. Cette construction cognitive peut ne pas être
réalisée dans le temps prévu par l’enseignant. Elle peut être
différée et se réaliser ultérieurement ou jamais construite. Enfin,
elle peut aussi concerner d’autres connaissances qui n’étaient
pas visées, échappant ainsi au contrôle de l’enseignant.
Les données de contrôle spécifiques à ce niveau relèvent des
contingences institutionnelles qui pèsent sur le sujet (élève), autres
élèves… Elles concernent également les caractéristiques intrinsèques
des élèves (facteurs psychologiques, émotionnels et motivationnels).
Les interactions entre les fonctions sous forme de flux d’information
ou de contrôle sont :
- Traces de l’activité des élèves : Résultat de l’accommodation
des élèves à la situation d’enseignement. Interprétation de la
situation au travers des tâches d’apprentissage prescrites par
l’enseignant en tâches effectives.
- Action(s) de l’élève : Activité effective des élèves. Réalisation
des tâches d’apprentissage.
- Traces des actions de l’élève : Les actions réalisées par l’élève
et leurs effets sur l’enseignement du professeur lui permettent
d’interpréter et de s’accommoder à la situation d’enseignement.
- Traces de l’activité d’apprentissage (élève) : Divers artefacts
(matériels et sémiotiques) produits par l’activité d’apprentissage
de l’élève.
- Régulation : Les effets sur l’enseignement du professeur des
actions réalisées par l’élève permettent de réguler (contrôler)
l’activité d’apprentissage.

32
Limite du modèle SADT-EA et perspectives
Le modèle SADT-EA a l’avantage d’identifier et de localiser les
interactions au sein du processus dans un milieu déterminé avec
beaucoup de précision, allant du global à un grain d’analyse de plus en
plus fin. Il permet ainsi aux jeunes chercheurs de faire des choix
méthodologiques cohérents au regard des questions de recherche qu’ils
se posent.
Le modèle SADT-EA a l’inconvénient de ne pas rendre compte
totalement de certains aspects psychologiques propres aux sujets
(cognitifs, émotionnels, relationnels...). Même au niveau le plus fin de
description du modèle, aussi bien du côté de l’enseignant que de l’élève,
il n’est plus possible de prendre en compte ces aspects et les processus
associés. Pour cela, à l’instar des travaux de Ginestié et Tricot et des
apports de la psychologie des apprentissages, un changement d’outil
s’impose en prolongement du modèle SADT-EA. Un outil
complémentaire de représentation permettrait au niveau « Enseigner »,
de faire face aux aspects temporels et non séquentiels de ces sous-
processus. De la même maniéré, le niveau « Apprendre », pourrait être
affiné en ayant recours aux propositions de la psychologie des
apprentissages (Hérold & Ginestié, 2011 ; Mayer, 2008). Ces deux
changements de modèle qui viendraient en complément du modèle
SADT-EA sont actuellement à l’étude au sein de l’équipe de recherche.

Bibliographie
Brousseau, G. (1998). Théorie des situations didactiques. Grenoble : La
pensée sauvage.
Clanet, J. (2012). L’efficacité enseignante, quelle modélisation pour
servir cette ambition ? Questions Vives, (6) 18,15-37.
Favier, J. Gau, S. Gavet, D. Teixido, C. Rak, I. (1996). Dictionnaire de
technologie industrielle - Conception, Production,
Maintenance. Paris : Foucher.
Ginestié, J., & Tricot, A. (2013). Activité d’élèves, activité
d’enseignants en éducation scientifique et technologique.
Recherches en Didactique des Sciences et des Technologies, 8,
9-22.

33
Hérold, J. F., & Ginestié, J. (2011). Help with solving technological
problems in project activities. International Journal of
Technology and Design Education, 21, 55-70.
Le Moigne, J.L. (1995). La modélisation des systèmes complexes.
Paris : Dunod.
Lebahar, J.C. (2007). La conception en design industriel et en
architecture. Désir, pertinence, coopération et cognition. Paris :
Hermès-Lavoisier.
Mayer, R. (2008). Learning and Instruction. Upper Saddle River (NJ) :
Prentice Hall.
Musial, M., Pradère, F., & Tricot, A. (2012). Comment concevoir un
enseignement ? Bruxelles : de boeck.
Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies ; approche
cognitive des instruments contemporains. Paris : Armand Colin
Éditeurs.
Rabardel, P., & Pastré, P. (2005). Modèles du sujet pour la conception
- Dialectiques activités développement. Toulouse : ÉDitions
Octares.

34
Chapitre 2
Rôle des langages dans le processus d’EA :
langages techniques, langages mathématiques

Fabrice Gunther, Jean-François Hérold, Rachid Zarouf

Introduction
Dans le domaine des sciences, des mathématiques et de la
technologie, il est d’usage de faire appel à différents systèmes
sémiotiques pour représenter l’information. Duval (1993) définit les
registres de représentation sémiotique comme étant comme des
productions s’appuyant sur l’emploi de signes appartenant à un système
de représentation qui a ses propres contraintes de signifiance et de
fonctionnement. L’ensemble des signes appartenant au système de
représentation constitue un registre de représentation sémiotique. Ainsi,
l’analyse des productions dans le domaine des sciences, des
mathématiques et de la technologie montre une utilisation de
représentations sémiotiques variée comme le langage naturel, les
formules, les graphiques, les schémas, les photographies, etc. Au-delà
de ces systèmes de production de représentations, on trouve également
des systèmes de représentation plus complexes que sont les langages,
qu’ils soient textuels ou graphiques. Les langages permettent ainsi de
représenter les procédures d’action, les modèles de description d’un
fait, scientifique et/ou technologique, les modèles de description de
système, technique ou non.

Le cas des langages techniques


Pour Ginestié (1999), un langage technique permet de rendre
compte, selon un point de vue particulier, d’un processus d’actions tout
en permettant une structuration de la pensée. Il s’agit de décrire, de
façon formelle, comment aboutir à un résultat, et notamment les actions

35
à accomplir pour aboutir à ce résultat (ibid). Un langage technique peut
se caractériser par plusieurs composantes, qui peuvent être abordées
sous l’angle d’une analyse sémiotique.
En effet, les langages techniques s’appuient sur un registre
sémiotique particulier qui vient en complément d’autres registres
sémiotiques : la langue naturelle, la représentation graphique, l’écriture,
le dessin, etc. Ainsi, d’après Duval (1993) il est indispensable, pour
apprendre un langage technique, de pouvoir changer de registre et de ne
pas confondre un objet avec la représentation que l’on en propose. Pour
Duval (1993), il existe des registres de représentations sémiotiques
adaptées et propres aux langages techniques. En effet, cet auteur définit
les représentations sémiotiques par des productions, constituées de
signes graphiques et/ou issus de la langue naturelle, appartenant à un
système de représentation qui a ses propres contraintes de signifiance,
de fonctionnement (Duval, 1991). Les langages techniques apparaissent
bien comme une combinaison de registres. Parmi les différents
véhicules de ces langages, par exemple, lorsqu’elle existe, la partie
graphique peut être considérée comme un registre sémiotique
particulier et la langue naturelle apparait comme un autre registre.
Duval introduit la coordination des registres sémiotiques comme une
condition nécessaire à la compréhension. On observe donc, dans les
productions ou les activités ayant pour support des langages techniques,
l’utilisation de différents registres avec, comme condition sine qua non,
une coordination de cet ensemble afin d’assurer sa compréhension.
Il existe cependant certaines contraintes à prendre en compte dans
cette approche sémiotique.
Une des premières limitations concerne la tendance à se référer à un
registre maitrisé et ainsi à passer d’un langage technique à une
expression langagière formelle, mais dépourvue du sens technique
originel. Par exemple, Chatoney (2003) explique que, si un mot est vide
de sens pour un apprenant qui se trouve face à un langage technique
inconnu, l’enseignant se trouve face à un dilemme, mais il a pour
solution de donner la définition langagière commune du mot. Si cela
permet une certaine compréhension, il y a toutefois un évitement du
processus de conceptualisation de l’aspect technique. L’enseignant
fournit une solution qui ne correspond pas nécessairement à l’objectif
pédagogique qu’il s’était fixé au départ. Il est alors possible pour l’élève
que l’apprentissage d’un registre différent ne s’effectue pas de façon
optimale. Si nous étendons cela à l’ensemble du langage, on peut alors

36
imaginer qu’un langage technique nécessite la connaissance des outils
et cela dans une démarche d’élaboration conceptuelle. C’est une vision
contextuelle et systémique qui doit être acquise. On peut alors se placer
dans l’approche développée par Bruner qui a étudié la place des
langages dans la structuration de la pensée et de se référer à l’étayage
qui, pour Bruner, crée une situation d’apprentissage ou s’articulent
pensée, parole et action (Bruner, 1983).
Une seconde contrainte s’applique sur la spécificité des registres
utilisés. Par exemple pour les langages issus de la robotique et de
l’informatique, Leroux (2009) a montré leurs intérêts et apports dans
l’ensemble que représente un apprentissage technique. Mais nous
sommes cependant alors dans des langages décrits comme très
spécifiques et intégrés à un contexte limité. Il s’agit de savoir si, pour
les registres de ce type de langage, une signification particulière est
rattachée à l’aspect technique. Dans ces deux cas cités, robotique et
informatique, nous restons dans le monde de la technologie, nous avons
donc une similitude disciplinaire assez forte.
On note cependant que ces types d’enseignement ont surtout été
introduits et mis en valeur dans des filières spécifiques et
principalement en études supérieures. De ce fait, ils ont été peu analysés
du point de vue de l’étude des processus d’enseignement –
apprentissage.

Problèmes d’apprentissage liés aux langages techniques :


l’exemple de l’analyse fonctionnelle
Les difficultés concernent plus particulièrement les connaissances et
les références qui sont mises en jeu dans les enseignements de
technologie. Il est peut-être erroné de penser que l’approche
constructiviste, fondée sur l’élaboration de connaissances, qui s’opère
en classe n’a pas ou peu de liens avec ce qui se passe dans l’industrie et
de manière plus générale dans un environnement technologique.
Ginestié (2008) parle de modèle de la logique d’apprentissage
organisée autour d’acquisition de compétences. Ces compétences
peuvent se repérer au travers de comportements observables
significatifs qui, pour l’enseignement, sont proches de ce qui se passe
dans l’industrie.

37
Ces compétences peuvent requérir la connaissance d’outils telle que
l’analyse fonctionnelle.
Si l’on s’intéresse au rôle éventuel de l’analyse fonctionnelle dans
l’enseignement de la technologie au collège on peut se poser la question
de savoir dans quelle mesure elle sert d’instrument dans les pratiques
enseignantes. En France, ce champ de recherche, sur l’utilisation de
l’analyse fonctionnelle par les enseignants, a été ouvert à l’école
primaire par Chatoney (2003). Les études empiriques conduites pour ce
niveau d’enseignement général indiquent que l’analyse fonctionnelle
est un instrument structurant pour les enseignants. Elle permet
notamment d’inscrire l’éducation technologique dans le cadre des
activités humaines de production d’objets techniques et de ne plus
cantonner l’éducation technologique en application des sciences. Du
côté des élèves, l’analyse fonctionnelle situe leur action dans
l’ensemble du système technique. Autrement dit, elle donne du sens aux
activités de conception d’artefact. En termes d’apprentissage on voit
tout l’intérêt de l’analyse fonctionnelle. Cependant, la mise place de
l’analyse fonctionnelle issue du monde industriel fait apparaître entre
autres deux problèmes : un problème de transfert des outils industriels
vers l’éducation technologique notamment sur les savoirs en jeu et les
références (Graube, Dyrenfurth, et Theuerkauf, 2003), et un problème
de transformation en instruments pour enseigner.
Le problème se situe ainsi au niveau de l’adaptation et de la
transformation d’outils, comme l’analyse fonctionnelle, en instruments
pour enseigner.
Le principal enjeu est de discerner quelles références et
connaissances doivent être transmises en éducation technologique. En
fait, les élèves vivent dans un monde de systèmes techniques qui
comportent des aspects technologiques multiples et multidisciplinaires,
et nous devons leur enseigner cette réalité complexe. Ceci peut être
réalisé avec l’utilisation partielle ou totale de l’analyse fonctionnelle.
L’analyse fonctionnelle permet de prendre en considération la
relation entre les humains et les machines et l’interdépendance entre les
différentes fonctions et solutions techniques, au sens de Simondon
(1958), mais son efficacité dans l’enseignement n’apparait pas toujours
comme évidente aux différents acteurs.
Il apparait donc regrettable, du point de vue de l’enseignement, de
se passer d’outils qui permettraient à différents élèves, notamment ceux

38
qui ont des difficultés scolaires de développer certaines capacités tout à
fait adaptées à notre environnement actuel (Gunther, 2016).

Un exemple de situation d’enseignement : l’enseignement


de l’analyse fonctionnelle en Technologie au Collège
L’enseignement de l’analyse fonctionnelle

La composante pluridisciplinaire de la technologie fait partie


intégrante de cet enseignement. Il appartient à l’enseignant de faire
référence ou non à d’autres disciplines lorsqu’il présente des méthodes
d’analyse d’objets techniques. Ces références, fonction de l’objet
servant de support, peuvent être diverses et variées : physique,
mathématiques, automatisme, électronique, mécanique… Cependant
elles ne couvriront qu’une partie de la description d’un système et cela
laisse donc toute une place à un véritable outil support de la technologie.
La technologie est une discipline relativement récente. Elle apparait,
de ce fait, différente des mathématiques et est sujette à de nombreuses
adaptations et modifications. Les registres utilisés suivent ces
modifications.
Le terme d’analyse fonctionnelle apparait dès l’introduction d’un
enseignement de la technologie dans l’éducation nationale vers 1960.
On le trouve dans les programmes du collège, sous la forme d’un
enseignement optionnel. C’est par l’observation des objets techniques,
associée au dessin technique que sont abordées les notions de logique
fonctionnelle (Lebeaume & Martinand, 1998). La technologie voudrait
s’imposer comme une discipline à part entière, en se basant sur le fait
que certains langages graphiques sont essentiels à la compréhension de
notre monde où les systèmes et objets techniques tiennent une place qui
ne cesse de croitre. Dans les années 1970, lorsque l’enseignement de la
technologie est rendu obligatoire, c’est principalement au travers de
schémas et toujours par l’intermédiaire du dessin technique que sont
étudiés des objets mécaniques simples. Ces études concernent
majoritairement l’aspect pratique plutôt que l’aspect fonctionnel même
si à la base, les programmes de technologie mettent en évidence les
fonctions techniques et leurs organisations logiques ; c’est un mélange
de sciences physiques et de technologie qui alors est enseigné. Vient
ensuite, à partir de 1977, la période de l’EMT (Éducation Manuelle et

39
Technologique). La réforme mise en place est principalement orientée
vers un renoncement à l’aspect « physique ». Le terme « physique » est
dans ce cas associé à la discipline du même nom, elle concerne la
science qui tente de comprendre et modéliser le monde qui nous
entoure. Les programmes indiquent clairement que l’analyse
fonctionnelle doit être enseignée, mais dans les classes, la réalité de
l’enseignement de la technologie est plus axée sur la partie « éducation
manuelle ». Les travaux manuels sont largement dispensés durant cette
période tout en accordant une moindre importance à l’aspect
technologique (Harlé, 2012).
La technologie fut instaurée en tant que discipline en 1985, les
programmes introduisant alors la démarche de projet et l’ensemble se
veut proche de l’organisation réelle du monde du travail et de
l’entreprise. De fait, l’analyse fonctionnelle est alors plus centrée sur
les outils tels que le cahier des charges, le cycle de vie d’un produit.
En 1996 de nouveaux programmes de technologie sont adaptés aux
différents niveaux du collège. Le but est d’amener l’élève à maitriser la
démarche de projet en dernière année de collège.
Les derniers programmes mis en place en 2009 fournissent de
nouvelles indications et repositionnent l’objet technique d’une nouvelle
manière. Par exemple, dans les ressources pour faire la classe,
proposées par le Ministère, la question posée est de savoir si un objet
technique choisi par l’élève lui convient, en tenant compte de
l’ensemble des contraintes, des performances de l’objet ainsi que de son
influence et de son intégration dans le monde extérieur.
C’est principalement en classe de 4e, pour des élèves âgés de 13 à
14 ans, qu’apparaît le terme de représentation fonctionnelle. Seules, la
modification ou la création partielle de diagrammes ou schéma-blocs,
sont préconisées. Pas plus que le codage de programmation
d’automatismes, ces outils ou méthodes ne doivent être un objet
d’enseignement à part entière pour ce niveau. En classe de 3e, élèves
âgés de 14 à 15 ans, l’élève doit acquérir certaines capacités sur la
représentation fonctionnelle : énoncer et décrire sous formes
graphiques, rédiger ou compléter un cahier des charges. C’est à partir
de ces fonctions que l’élève sera sensibilisé à la notion de valeur d’un
objet technique.
L’étude des programmes officiels et des manuels scolaires indique
de quelles façons l’analyse fonctionnelle peut s’étudier au collège ou

40
elle est introduite. Les choix pédagogiques et l’environnement
épistémologique sont des indicateurs de la manière dont les
connaissances sont transmises (Johsua & Dupin, 1993). Dans le cas de
l’analyse fonctionnelle, la transposition peut s’effectuer avec au moins
deux approches différentes. La première consiste en une indication des
principaux concepts comme les interrelations dans un système, le
rapport de l’homme au système. Chatoney (2003) explique que, pour
conceptualiser, il faut discerner les attributs d’une acceptation
générique et sélectionner l’information. Cette démarche est destinée
aux enseignants. Une autre approche plus pragmatique considère
l’enseignement des outils à partir de la description d’un objet, c’est un
modèle utilitaire qui est proposé, il est pensé pour l’apprenant. Il s’agit
de lui fournir une représentation qui peut aider à la conceptualisation et
qui soit inhérente aux pratiques (Lebahar, 2006).
Les programmes de technologie au collège incluent également un
aspect économique et présentent toujours des connaissances à acquérir
qui concernent le coût d’un objet technique ou des matériaux utilisés.
C’est par une analyse fonctionnelle correcte que les coûts inhérents à la
conception et à la fabrication d’un produit pourront être réduits. Cette
approche s’intègre dans une démarche systémique et augmente le cadre
d’analyse et de définition tout en rejoignant les origines de cette
méthode.
Si elle est bien présente dans l’enseignement technologique,
l’introduction de l’analyse fonctionnelle ne va pas sans poser certains
problèmes. Les outils associés à l’analyse fonctionnelle ont une
provenance industrielle. De ce fait, leur transfert dans le milieu scolaire
à visée d’apprentissage de savoirs n’est pas sans difficulté.
Exemple de situation d’enseignement
L’exemple suivant est issu d’une situation d’enseignement avec une
introduction et une première initiation à l’analyse fonctionnelle par
l’intermédiaire d’un diagramme FAST (technique d’analyse
fonctionnelle de système). Nous rappelons que le diagramme FAST
permet de décrire un système technique en distinguant fonction
principale, fonction technique et solution. L’objectif, outre l’initiation
à un langage technique, est de montrer que l’outil FAST permet tout
aussi bien de décrire un système que les représentations graphiques,
schématiques ou textuelles qui sont couramment utilisés dans les
disciplines scientifiques ou littéraires.

41
Figure 1. Initiation à l’analyse fonctionnelle pour étudier un système
en classe de technologie

Dans un premier temps, la figure précédente (figure 1) est présentée


et explicitée par l’enseignant aux élèves.
L’enseignant prescrit ensuite une tâche aux élèves. La tâche consiste
à décrire un nouveau système : par exemple une brouette. Les élèves
ont quelques minutes pour effectuer cette tâche. Ce temps
intentionnellement court oblige les élèves à choisir une représentation
adaptée à cette durée. Cela exclut la dissertation et oriente les élèves
vers une représentation similaire à celle qui vient d’être proposée par
l’enseignant. Cette façon de procéder va dans le sens des travaux de
Bandura (voir, par exemple, Bandura, 1986) qui ont montré que
l’enseignement qui précède un exercice peut être réutilisé par l’élève
par imitation. L’élève reproduit un modèle qu’il a perçu comme une
référence, et ce qui a précédé est donc important pour lui.
L’objet choisi, la brouette, est, comme les autres systèmes, bien
connu des élèves. Ce système est choisi pour éviter une situation où le
problème peut être difficile à résoudre pour les élèves dans un temps
aussi court (Leplat & Paihlous, 1977).
L’enseignant propose ensuite une correction de l’exercice.
L’objectif est alors de renforcer l’apprentissage pour les élèves par une
activité de médiation entre pairs en confrontant leurs solutions, la
validité de l’analyse fonctionnelle étant, bien évidemment, contrôlée
par l’enseignant. De par le fait que le temps de réalisation de la tâche

42
prescrite est très court, les propositions des élèves sont très proches du
modèle fonctionnel proposé (voir Figure 1), ce qui facilite le
développement d’automatismes qui sont à la base de l’expertise, tout en
laissant un minimum de flexibilité dans cette construction pour
permettre aux élèves d’exercer un minimum de contrôle attentionnel
(Crahay, Dutrévis et Marcoux, 2010).

Les langages en mathématiques


Pour qu’un savoir mathématique puisse être appris par un élève en
classe, l’enseignant a recours à des systèmes d’écriture et de
représentations.
Par exemple, les nombres sont appris par les élèves, tout d’abord à
partir du système d’écriture décimale, puis à partir du système
d’écriture fractionnaire, etc.
Autre exemple, en géométrie, les objets mathématiques tels que les
droites, les segments, les formes, etc., s’appréhendent, d’une part, par
leurs écritures symboliques (parenthèses pour les droites, crochets pour
les segments), et d’autre part, par leurs figures. De ce fait, en classe,
l’enseignant et les élèves, pour communiquer, s’appuient sur au moins
trois catégories de registres sémiotiques (Duval, 1995) : les registres du
langage symbolique, les registres figuratifs et aussi les registres du
langage naturel pour décrire les objets géométriques, voire pour
présenter les énoncés des problèmes à résoudre.
Ainsi, l’enseignant, à tout moment, dans son activité mathématique,
traite, bien évidemment, les différents registres, passant d’une
représentation à l’autre du même objet mathématique en utilisant les
bons signes du registre concerné, car, étant expert dans la discipline, il
est effectivement capable d’effectuer une bonne coordination des
différents registres concernés.
Mais quid de l’élève qui, lui, est en classe pour apprendre ?
L’apprentissage du savoir mathématique nécessite la maîtrise de la
conversion des différentes représentations sémiotiques d’un objet
mathématique, et cet apprentissage, pour la grande majorité des élèves,
correspond à une activité cognitive qui n’est pas spontanée et est
difficile à faire acquérir (Duval, 1995).

43
Par exemple, le signe « = », pour la calculatrice, a pour signification
« donner le résultat de l’opération ». Cette représentation est bien ancrée
chez les élèves, ce d’autant qu’ils utilisent la calculatrice dès l’école
primaire. Les élèves vont donc intégrer cette représentation et la
réutiliser dans d’autres activités, comme le développement de calculs.
Par contre, en analyse mathématique, la représentation sémiotique du
signe « = » diffère quelque peu, puisque dans ce cas, il traduit la
représentation du fait que « ce qui est à gauche du signe est strictement
égal à ce qui est à droite ». Aussi, les élèves, lorsqu’ils vont être
confrontés à ce changement de représentation, qui, très souvent, leur est
présentée de façon implicite, peuvent se retrouver en difficulté
d’apprentissage.
Autre exemple, la représentation symbolique des nombres rationnels
ou fractions (ce qui correspond, en fait, déjà à deux représentations du
même objet mathématique dans le langage naturel : rationnel et
fraction). Ainsi, pour une représentation d’une fraction, sur le papier,
en langage symbolique, on utilise la notation :
Par contre, on peut être amené à rencontrer une autre représentation,
comme, par exemple, dans les IHM de logiciels comme Excel, où le
nombre rationnel a pour représentation : 𝑎 𝑏
Bien évidemment, le passage d’une représentation à l’autre ne va
poser aucun problème à l’enseignant, puisqu’il est expert dans sa
discipline, mais va être source de problèmes pour certains élèves,
comme le montre l’extrait d‘expérimentation suivant (Hérold &
Montuori, 2018) :
Des élèves de Lycée Professionnel, en section tertiaire, ont suivi un
enseignement de prise en main du tableur Excel de Microsoft, qui
consistait à leur faire apprendre les premiers éléments du tableur
(modes de représentation, utilisation de fonctions, tri de valeurs dans
une table…). Suite à cet enseignement, un test de connaissances a été
effectué par l’enseignant. Onze tâches ont été prescrites, chaque tâche
correspondant à une feuille d’un fichier Excel. Les élèves travaillent
seuls, sur un poste informatique, mais peuvent échanger entre eux,
poser des questions à leur enseignant.
Pour la tâche 4, la prescription de l’enseignant correspondait à un
changement de format d’un nombre en écriture décimale en écriture
fractionnaire. L’énoncé était le suivant : « Modifie la présentation de la

44
valeur de la cellule B6 pour que la valeur 0,666 s’affiche sous la forme
2/3 ». La lecture de cet énoncé posa quelques problèmes à certains
élèves, comme le montre le recueil de dialogue suivant :
Elève 1 : 2/3, ça s’appelle comment ?
Elève 2 : Fraction.
Elève 1 : Ce n’est pas écrit.
Elève 2 : Si, regarde.
L’élève 2 affiche la fenêtre correspondant au format de cellule
proposé par le tableur :

Figure 2 : L’énoncé de la tâche 4 et le résultat de la recherche d’aide


effectuée par l’élève.

45
Elève 1 : Mais, y a pas 2/3…
Elève 2 : T’en ais sûre ?
Elève 1 : Je ne comprends pas ce qu’est 0,666.
Elève 2 : ça doit être 2/3, c’est dans l’énoncé.
Elève 1 : Ah bon ? OK.
Ici, ce qui est implicite pour l’enseignant, faire la conversion de
différentes représentations sémiotiques d’un même objet mathématique
(« un entier divisé par un autre entier », « fraction »), ne l’est pas du
tout pour l’élève qui, de plus, est confronté au fait qu’il doit associer la
valeur « 0,666 » au résultat de l’opération « 2 divisé par 3 » représentée,
dans l’énoncé, sous la forme d’une fraction. Aussi, on s’aperçoit que
l’élève peut être capable de faire la tâche prescrite, il peut avoir les
connaissances suffisantes relatives à l’utilisation de l’outil, ici le tableur
Excel, mais, très souvent, sa maîtrise des registres sémiotiques relatifs
au domaine applicatif est insuffisante, car il est novice dans le domaine
et est en classe pour apprendre. De ce fait, l’élève peut se retrouver en
grande difficulté, voire dans une impasse et donc parfois abandonner
son activité, car incapable d’élaborer une interprétation adéquate de la
tâche prescrite par son enseignant.
Autre domaine qui pose souvent problème aux élèves, la géométrie,
où les difficultés rencontrées par les élèves au niveau des
représentations symboliques des objets géométriques sont grandes de
par la richesse du vocabulaire utilisé, avec des termes issus du langage
naturel (comme, par exemple, la hauteur d’un triangle) et différentes
représentations et symboles qui désignent le même objet, mais avec des
représentations différentes. Ainsi, si on prend, par exemple, l’énoncé
suivant : « Trace un triangle ABC tel que AC = 6 cm… » et « Trace la
médiane [BK] relative à [AC] », on a deux représentations différentes
du même objet ; la première représentation, AC, désigne la longueur du
segment alors que la deuxième représentation, [AC], désigne le
segment en lui-même. Dans un autre énoncé, on a « Trace la hauteur
[CT] dans le triangle ABC et montre que les droites (BJ) et (CT) sont
parallèles ». Dans la première partie de l’énoncé, [CT] est donc un
segment, même si cela n’est pas précisé dans l’énoncé, segment qui a
aussi le statut d’une hauteur de triangle ; et, dans la deuxième partie de
l’énoncé, (CT) désigne la droite qui passe par les points C et T qui n’est
donc pas limitée par les points C et T, même si ces derniers délimitent

46
des segments. Il y a donc nécessité, pour les élèves, de devoir maîtriser
la conversion des différentes représentations sémiotiques, qui sont
utilisées ici, d’un même objet géométrique.
De même, classiquement, pour les enseignants, les verbes
« Prouver », « Démontrer », « Déduire » correspondent à des
représentations sémiotiques identiques. Or, pour les élèves, on peut
faire le constat que, très souvent, dans leurs activités de résolution de
problèmes, confrontés à ces termes, ils essaient de comprendre la
différence dans la prescription afin d’être sûrs de bien répondre aux
exigences de la tâche ; ce qui suscite des difficultés pour les élèves,
voire, parfois, des blocages qui peuvent les amener à abandonner leur
résolution.
Exemple de situation d’enseignement : Le rôle du langage dans
l’apprentissage des mathématiques
L’exemple, présenté maintenant, est un exemple de situation
d’enseignement traitant de l’arithmétique des nombres entiers et
montrant le rôle que peut jouer le langage dans la compréhension d’un
concept mathématique.
Dans une classe de 4° de Collège, au sein de laquelle un enseignant
a choisi d’approfondir certains aspects de la notion de divisibilité dans
l’ensemble des nombres entiers naturels, l’expression « 15 est multiple
de 5 » employée par l’enseignant, est régulièrement reprise par les
élèves sous la forme « 15 est dans la table de 5 ». L’enseignant, qui
rencontre ces élèves pour la première fois, constate donc rapidement
que ces derniers préfèrent et choisissent sans exception, une tournure
langagière qui renvoie à la connaissance des tables de multiplication
plutôt que d’avoir recours au vocabulaire « être multiple de ».
Nous allons tenter ci-dessous d’expliquer ce choix, en illustrant et
appuyant notre propos sur les interactions entre l’enseignant et les
élèves concernés.
De toute évidence, les élèves ont été habitués à substituer « a
est multiple de b » par « a est dans la table de b ». Notons cependant
que rien ne semble indiquer aux enseignants de mathématiques de
Collège, dans les programmes officiels, de faire ce choix dans leurs
classes.
Pourquoi donc est-ce que certains professeurs l’aient fait ? Et
pourquoi la réaction des élèves valide-t-elle la pertinence de ce choix

47
pédagogique ? Il semble que le vocabulaire choisi par ces derniers, au-
delà de la référence aux tables de multiplication, les renvoient de
manière concrète à la procédure correspondante. Après avoir rappelé
le critère de divisibilité par 3, ainsi que la définition d’un nombre
premier (c’est-à-dire un nombre dont les seuls diviseurs sont 1 et lui-
même), l’enseignant demande à ses élèves : « 39 est-il un nombre
premier ? » La réponse qu’il obtient est « Non, 39 est dans la table de
3 ».
Le caractère « savant » de la formulation « être multiple de »
présuppose pour celui ou celle qui l’utilise, l’accès à un certain degré
d’abstraction. Manier ce vocabulaire pour un élève de Collège ou plus
généralement peut donc se révéler source de difficulté et générer des
erreurs. Par exemple, si l’enseignant impose ce registre sémiotique,
l’utilisation d’une formulation « savante », on peut observer des
confusions comme en témoigne, par exemple, l’affirmation formulée
par un élève « 5 est multiple de 15 » au lieu de « 15 est multiple de 5 ».
La raison pour laquelle cette confusion ne se produit pas lorsque l’on
utilise à la place la formulation « être dans la table de » est que cette
dernière renvoie à un processus opératoire qui permet une vérification.
Ainsi, l’élève visualise la table de 5 dans laquelle il fabrique 15 à
partir de 5.
Forts de cette expérience, nous l’avons mis à profit directement au
sein de l’ESPE, pour la formation des futurs professeurs des écoles en
mathématiques. Nous remarquons que parmi les questions récemment
posées à ces derniers en vue de leur recrutement, figurent par exemple :
« Si un nombre est multiple de 6 et de 9, alors il est aussi multiple de
54. Vrai ou Faux ? »
À la lumière de l’expérience faite dans cette classe de 4° de Collège,
nous nous rappelons combien nos étudiants souffraient lorsque
nous introduisions en cours la notion de multiples et de diviseurs. Nous
sentions une difficulté certaine, chez les étudiants, à jongler entre les
définitions équivalentes, tout aussi abstraites l’une que l’autre :
- « a est un multiple de b »,
- « b divise a »,
- « b est un diviseur de a »,
- « a est divisible par b ».

48
Nous choisissons alors, en cours, de systématiquement employer
l’expression « a est dans la table de b » pour traduire l’une des quatre
expressions savantes ci-dessus.
Le résultat est sans appel, et est particulièrement net avec les étudiants en
difficulté. Certains voient même à travers cette simple observation un déclic
permettant de lever les barrières psychologiques que les expressions
« savantes » ont érigé, entravant leur réflexion et inhibant tout processus
cognitf.
Cela va permettre à l’apprenant d’établir un lien entre le nouveau concept
introduit, par exemple les définitions de multiples et diviseurs d’un nombre,
et ce qu’il a déjà appris auparavant, et parfois depuis fort longtemps comme
la table de multiplication d’un nombre, et le nouveau concept introduit. Il
s’agit donc aussi de réveiller une connaissance enfouie afin de donner les
moyens à l’apprenant d’en développer une plus profonde.

Conclusion
À travers ces différents exemples, on peut établir que l’utilisation, par
l’enseignant, d’un ou de plusieurs registres sémiotiques, en classe, peut
poser problème aux élèves dans l’interprétation et la mise en œuvre des
tâches prescrites. Il est donc nécessaire que l’enseignant prenne la précaution
d’aider l’élève à établir un lien entre ce qu’il sait déjà du savoir enseigné et
ce qu’il ne connait pas encore.
D’un point de vue philosophique, ce principe d’enseignement remonte
au IV-ème siècle av. J.-C. et est attribué à Socrate : il s’agit de la maïeutique
qui consiste à faire accoucher les esprits de leurs connaissances. Elle est
destinée à faire exprimer un savoir caché en soi. Cette technique
d’apprentissage, que Platon développe et illustre dans le Ménon, génère un
échange permanent entre l’enseignant et l’enseigné, sur un mode où ce
dernier est sécurisé par un questionnement suffisamment habile pour que
l’élève ne se sente pas dérouté.
Au-delà des l’exemples développés ci-dessus, l’enseignement-
apprentissage des mathématiques et/ou de la technologie regorge de
situations où l’enseignant, oubliant ce principe énoncé par Platon, il y a déjà
plus de 2000 ans, utilise sans précautions les formulations savantes
auxquelles il est habitué en tant qu’expert de sa discipline, et génère ainsi
de multiples blocages chez ses élèves ou étudiants.

49
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51
Chapitre 3
Interactions langagières en technologie : le
repérage des microdécisions comme approche de
l’activité réciproque professeur/élèves

Colette Andréucci et Marjolaine Chatoney

Introduction
L’activité des enseignants ne se réduit pas à ce qu’ils font en classe,
puisque tout un travail de préparation précède au contraire le contenu et
la structuration du discours qu’ils vont tenir aux élèves, le choix des
documents sur lesquels ils vont s’appuyer, le choix des activités qu’ils
vont leur proposer, le choix des exemples qu’ils vont utiliser, etc.
Toutefois, c’est bien principalement par le biais de l’analyse de ce qui
se passe en classe que l’on peut appréhender la façon dont s’opère le
réglage de l’activité de l’enseignant sur celle des élèves et
réciproquement. Or, pour appréhender cette activité réciproque,1 il n’y
a pas trente-six méthodes possibles : il faut en passer par l’observation
directe des faits et gestes qui se manifestent durant la classe. Par contre,
s’il s’agit de s’intéresser à la façon dont l’enseignant doit ajuster son
comportement à celui des élèves et réciproquement nous préférons
effectivement parler d’activité réciproque plutôt que conjointe selon la
terminologie consacrée par certains auteurs (Assude & Mercier, 2007 ;
Sensevy, 2007 ; Vernant, 1997).

1 L’activité reciproque : activité au cour de laquelle chaque partie - qu’il s’agisse de


l’enseignant, ou de l’élve(s) - reçoit la même chose que ce qu’elle donne. Les deux parties se
nourissent et s’ajustent l’une par rapport à l’autre.

53
Les travaux sur l’activité décisionnelle des enseignants
Bien des travaux d’observation en classe conduits avant les années
1980 sont parvenus à la conclusion que le comportement des maîtres
est largement standardisé et profondément stable. Ces constats sont
toutefois à revoir dans la mesure où les conduites discursives des
enseignants ont pu aussi pendant longtemps apparaître d’autant plus
rigides et uniformes qu’elles étaient objectivées à partir de quelques
catégories prédéterminées et dans le cadre de dispositifs comparatifs
visant à privilégier le rôle de macro variables (ancienneté des
enseignants, nature de la discipline...) sur des effets de contextes, quant
à eux généralement neutralisés. Il paraît significatif à cet égard que les
recherches à caractère plus écologique (Bayer, 1979 ; Doyle & Ponder,
1975 ; Jackobson, 1981) - qui ont tenté de saisir l’effet des contraintes
de la situation ou du contexte sur les comportements individuels des
professeurs – ont déjà contribué à remettre en cause une part importante
du déterminisme et de la stabilité qui les caractérisent.
À partir des années 1980, en abordant les échanges en classe d’un
point de vue didactique, on a pu aller encore plus loin en montrant que
les enseignants disposent au contraire d’une marge de manœuvre très
ouverte en ce qui concerne la façon dont ils s’y prennent pour
transmettre un savoir donné. Vouloir repérer les microdécisions que
l’enseignant prend pour conduire sa classe vise à sensibiliser les
pédagogues à l’ampleur et à l’enjeu de la tâche qu’ils ont à assumer
pour construire et mener une séquence didactique - du fait de l’étendue
et de la variété des alternatives qui se posent à eux pour faire évoluer et
de mettre en situation le savoir -, mais aussi du fait de l’impact que de
tels choix présentent du point de vue de la construction du savoir chez
l’élève.
À première vue, cette finalité apparaît relativement contradictoire
avec l’un des faits marquants qui se dégage du courant de recherche
consacré aux processus décisionnels des enseignants (Freyberg, 1980,
Peterson & Clark, 1978 ; Shavelson, 1976 ; Snow 1972 ; Taylor, 1970).
En effet, la plupart de ces travaux ont contribué à montrer qu’ils
prennent peu de décisions durant leurs cours. Ce paradigme de
"l’enseignant-décideur" s’est, de surcroît, révélé relativement décevant,
bien qu’on ait cru qu’il fournirait des résultats précieux pour orienter la
formation des professeurs en leur apprenant à mieux rationaliser leurs
choix pour interagir avec la classe. Pour autant, c’est peut-être moins le

54
paradigme lui-même qu’il convient de remettre en cause ou de juger
"dépassé" (Riff & Durand, 1993) que les postulats de départ et les
dispositifs qui ont jusqu’ici servi à l’opérationnaliser.
À notre sens, le repérage des décisions liées au travail d’enseignant
s’est heurté dans ces travaux à deux types de limites. L’une renvoie au
fait que, selon les auteurs ce paradigme a servi à étudier soit les
conduites de planification de cours (Charlier, 1987 ; Taylor, 1970 ;
Tochon, 1989 ; Zahorick, 1975) soit les conduites d’interaction en
phase de leçon (Charlier & Donnay, 1987 ; Clark & Peterson, 1986 ;
Clark & Yinger, 1987 ; Peterson & Clark, 1978 ; Shavelson, 1976 ;
Shavelston & Stern, 1981). Ces deux types d’activité ont ainsi été
considérés comme autonomes et indépendants l’un de l’autre. Selon
nous, la planification constitue au contraire pour l’enseignant le moyen
de régler un certain nombre d’alternatives possibles en en limitant le
nombre. On peut ainsi faire l’hypothèse que les choix ainsi pré-opérés,
de manière consciente ou non, perdent ultérieurement leur statut de
décisions manifestes en cours d’action. C’est en ce sens que Comiti et
al. (1995) semblent éprouver le besoin de distinguer "macro" et des
"micro" décisions : « Au début de notre travail, nous nous sommes
intéressés à l’écart existant entre le projet du professeur - analysé en
terme de macrodécisions - et le déroulement effectif de la situation de
classe - analysé en termes de microdécisions ». Dans la plupart des
recherches, le fait de limiter les décisions prises dans l’action à celles
qui n’ont pas été pré-planifiées est au contraire problématique. Elle
conduit à ne pas considérer en tant qu’actions décisionnelles tous les
aspects de sa conduite que l’enseignant a anticipés.
La seconde limite consiste en ceci que cette restriction du champ
d’analyse s’est elle-même trouvée renforcée par la façon dont la plupart
des auteurs ont défini et objectivé ce concept de décision. Il a été en
effet appréhendé en tant que processus conscient et délibéré pouvant se
prêter en tant que tel à une auto-analyse a posteriori par les acteurs de
leur activité. Riff et Durand le soulignent clairement : « On peut
considérer qu’il y a aujourd’hui accord entre les chercheurs pour
définir de manière plus large une décision comme un choix délibéré de
mettre en œuvre une action spécifique. Les recherches qui adoptent
cette définition et qui tentent de quantifier les décisions montrent que
les enseignants décident peu ». En conséquence, la plupart de ces études
ont fait appel à des entretiens d’explicitation a posteriori (méthode de
"rappel stimulé"). Pour autant, les enseignants disposent-ils des

55
capacités métacognitives suffisantes pour procéder à l’analyse
exhaustive de leur activité ? Si tel n’est pas le cas, il est à craindre que
les décisions qu’ils sont en mesure d’analyser se limitent aux actions
dont ils perçoivent a posteriori des variantes d’exécution possible.
L’absence de référence théorique et épistémologique sur le contenu à
enseigner laisse également à craindre que ces analyses passent à côté de
la dimension didactique de l’activité.
Cette méthodologie d’’analyse de l’activité décisionnelle en classe
risque donc de produire deux types de biais qui en polluent les résultats :
l’un qui aurait tendance à occulter toute la part d’initiative personnelle
et de fixité que le professeur introduit d’entrée de jeu dans la
planification de son activité ; l’autre qui conduirait au contraire à faire
prendre a posteriori certaines actions qui n’en étaient pas sur le champ
pour des décisions à la vue des résultats inattendus qu’elles ont pu
engendrer.
Pour rompre avec cette technique, nous parlerons donc de
microdécisions, ce qui revient à considérer qu’une bonne part des
actions que l’enseignant réalise ne se présentent pas pour lui en tant
qu’options du fait de leur caractère proactif, faisant partie du scénario
de cours anticipé. La possibilité que de telles actions puissent être
identifiées a posteriori en tant que prises de décisions manifestes
supposerait d’ailleurs en outre que lors de la planification de son
intervention l’enseignant ait imaginé diverses formes d’alternatives
possibles pour organiser son intervention. Le fait qu’il ait construit un
scénario, sans forcément en envisager des variantes, tendrait ainsi au
contraire à limiter habituellement les décisions qui se révèlent pour lui
manifestes aux comportements d’ordre rétroactif qui surviennent face à
la part d’imprévu que comporte nécessairement la façon dont les élèves
peuvent réagir à son discours. On peut en ce sens restreindre, comme le
font Comiti et al. L’approche des microdécisions à celles qui n’ont pas
pu faire l’objet d’une anticipation : « Lorsqu’on confronte les séances
réalisées en classe au scénario de départ et aux intentions exprimées
par le professeur - avant le démarrage de la séquence sur l’introduction
de la racine carrée -, on constate l’apparition, en situation de classe,
d’événements imprévus par le professeur qui entraînent chez ce dernier
des prises de décisions immédiates, que nous appelons
microdécisions ». Lorsqu’on ignore en revanche, comme tel est souvent
le cas, en quoi l’activité de l’enseignant s’avère déjà préréglée, ce genre
de restriction paraît beaucoup moins légitime. Dans ce cas, on peut au

56
contraire faire l’hypothèse qu’une bonne partie de la conduite d’une
séquence didactique repose sur des choix latents ou implicites qui n’en
traduisent pas moins pour autant ce que l’enseignant semble en
définitive penser de ses élèves et du savoir auquel il cherche à les faire
accéder. En ceci, on rejoint davantage la position adoptée par Walker
& Adelman (1975) : « L’essence de l’observation, c’est la perspicacité,
la création de significations à partir de ce qui peut paraître initialement
routinier et ordinaire. Cachées sous la surface d’une leçon se trouvent
des questions clés non résolues qui, lorsqu’elles sont rendues visibles,
révèlent des croyances, des valeurs et des pratiques alternatives
possibles ».

Contexte de la séquence didactique analysée


L’intervention, réalisée par un professeur expérimenté, a lieu au
cours du mois de septembre lors d’un cours d’initiation aux sciences de
l’ingénieur en classe de seconde. Elle correspond au second cours de
l’année. La première séance a été consacrée à une première approche
du concept de système technique (ST) qui a conduit à dissocier la
production de biens matériels et la production de services. Le choix de
cette seconde séance nous est apparu plus intéressant dans la mesure où
elle offre l’occasion de voir comment l’enseignant s’y prend pour
raccrocher le contenu de cette nouvelle intervention à celui de la fois
précédente. L’analyse porte sur les deux premiers épisodes de cette
séance, dont le contenu sur la catégorisation des systèmes techniques,
nous a paru très intéressante du fait de son enjeu didactique fondamental
pour l’éducation technologique. Comme on le sait, la catégorisation
constitue en effet un processus cognitif essentiel dans l’appréhension et
la compréhension des concepts et des objets comme dans toutes les
formes d’interaction avec l’environnement. Toutefois, on peut se
demander si l’enseignement de la technologie, sous prétexte de vouloir
coller de près à l’expérience concrète, n’a pas tendance d’ordinaire à
négliger cette activité cognitive pourtant indispensable à la
compréhension de la nature artefactuelle de la réalité technique
(Frederik, Sonneveld & de Vries, 2011 ; Margett & Witherington, 2011,
German, Truxaw & Defeyter,2007)). Comme cette séance nous en
donne un exemple, cette catégorisation des artefacts techniques est en
outre suffisamment subtile et difficile à opérer pour que les programmes
et les enseignants y consacrent de l’attention et du temps. C’est aussi à
cet objectif que cet article souhaite contribuer en pointant du doigt les

57
difficultés de nature épistémique rencontrées dans ce travail de
catégorisation.

L’entrée en matière ou de la difficulté de raccrocher le


savoir nouveau à l’ancien
Souvent pressés par le temps pour couvrir un programme chargé, les
enseignants choisissent couramment de rentrer directement dans le vif
du sujet en énonçant d’entrée de jeu l’objet de la séance (“Alors
aujourd’hui on va voir...”). Dans d’autres cas, il arrive au contraire
qu’ils s’emploient à préciser ce que l’intervention du jour apporte de
nouveau par rapport à la précédente. Chaque cours démarre ainsi sur
une première prise de décision soit que l’enseignant décide pour x
motifs (nouveau point du programme, durée des séquences…) de
procéder ou non à un retour en arrière avant d’aller plus avant.
La question qui consiste à vouloir raccrocher le nouveau savoir à
l’ancien paraît elle-même susceptible d’être réglée de différentes
façons. Par exemple, selon l’idée que l’enseignant se fait du caractère
plus ou moins fondamental et plus ou moins progressif des
apprentissages en jeu, il est probable qu’il lui apparaisse souhaitable ou
non de se contenter de procéder lui-même à un rappel des faits
essentiels dont il convient de repartir plutôt que de chercher à l’obtenir
de ses élèves. Dans le premier des cas, notre séance aurait pu démarrer
par une introduction du type de celle-ci :
“Souvenez-vous lors de la première séance, on a introduit un
premier type de distinction à propos des systèmes techniques
(S.T) en général en soulignant qu’ils participent soit à la
production de biens matériels soit à la production de services.
Aujourd’hui on va voir qu’on peut différencier l’ensemble des
S.T en faisant cette fois-ci référence à leur degré d’évolution.
Ceci va nous conduire à distinguer des ST élémentaires, des ST
mécanisés et des ST automatisés”.
Cette séance est intéressante en ceci que son activité d’entrée en
matière est au contraire assez longue, reflétant par-là les difficultés qui
peuvent déjà se poser au tout démarrage d’une leçon. L’enseignant
s’est placé ici dans le second cas. Il voulait d’abord obtenir des élèves
qu’ils se remémorent le savoir institutionnalisé lors du cours précédent,
afin de pouvoir le raccrocher au nouveau point de vue à construire à

58
propos de la façon dont les S.T peuvent être catégorisés. Cette activité
se déroule ainsi en deux temps, chacun étant associé à un but particulier
selon la hiérarchie entre activité, action et opération de Léontiev (1975).
Ce découpage de l’activité en actions reliées à des buts particuliers
permet aussi de s’interroger sur la façon dont le but aurait pu être atteint
différemment.

Comment obtenir le rappel du titre de la leçon précédente


sans se montrer trop directif ?
L’enseignant se place dans une situation délicate en voulant
obtenir une information ponctuelle à partir d’une question
ouverte
L’enseignant prend la décision de revenir sur le contenu de la séance
antérieure en confrontant les élèves à une tâche de rappel, apparemment
assez ouverte (du genre qu’est-ce qu’on a vu la dernière fois ?) si on
tient compte du fait qu’au cours d’une séquence les apports didactiques
sont généralement nombreux :
« Nous nous intéresserons ici aux ST. Est-ce que vous vous
rappelez comment on avait un petit peu défini les systèmes ?
Est-ce que vous vous rappelez ce qu’on a dit de leur utilité c’est-
à-dire de ce qu’on appellera leur fonction ? À quoi servent les
systèmes qui vont nous intéresser ? (...) »
Le type de sollicitation qui ouvre cette leçon s’avère donc beaucoup
trop large, ou bien trop imprécis, pour que les élèves prennent le risque
de se prononcer, d’où le silence qui suit (les silences étant ici notés par
(...)).
Au plan didactique, on constate que l’enseignant aborde la notion de
fonction du point de vue de son sens courant (utilité) plutôt qu’en terme
d’usage, de finalité de fonction principale, primaire ou secondaire, etc.
Il contribue ainsi à banaliser un concept tout à fait central dans
l’approche des systèmes techniques.
Du point de vue méthodologique, soulignons qu’il serait impossible,
en l’absence de la suite de ce discours, de savoir si la question ainsi
réitérée en ce début de cours s’avère délibérément large ou
involontairement vague. Ceci montre combien il s’avère problématique
d’attribuer une intentionnalité à des messages isolés que l’on code en

59
direct à partir d’une grille préétablie, ainsi qu’on a pu le faire dans
beaucoup de travaux anciens avant que l’usage de la vidéo se répande.
Dans la mesure où il s’avère possible de répertorier dans les séquences
didactiques des épisodes entiers organisés autour d’une seule
intentionnalité globale, il nous semble au contraire qu’ils constituent
une sorte d’unité d’analyse minimale à considérer pour accéder à la
compréhension du sens partagé que l’enseignant tente de construire et
des difficultés rencontrées à cette occasion.
Aussi procédons-nous ici à un découpage du discours, consistant
d’abord à répertorier dans la séance différents épisodes entre lesquels
une sorte de rupture intervient du point de vue de la fonctionnalité
didactique globale (introduction - structuration - exemplification -
contrôle -... du savoir) qu’on peut leur assigner. À l’intérieur d’un
épisode, il s’avère à notre sens utile d’identifier ensuite les phases
consacrées à des finalités plus spécifiques en fonction du contenu
abordé (différenciation conceptuelle de tel et tel aspect puis de tel et tel
autre, etc.). Ce n’est que dans un troisième temps, compte tenu de la
dynamique globale qui s’établit à l’intérieur de chacune de ces phases
que nous tentons de saisir à quels types de décisions l’enseignant a été
confronté et les choix (conscients ou non) qu’il a opérés face à d’autres
alternatives possibles.
Ces précisions conduisent à envisager que ce début de cours puisse
aussi soumettre les élèves à une tâche de contrôle destinée à vérifier ce
qu’ils ont retenu du cours précédent. On peut en effet noter que les
diverses reformulations utilisées par l’enseignant ne l’ont pas conduit à
refermer sa question, ainsi que cela arrive souvent de manière
routinière. On pourrait donc y voir le signe d’une intention délibérée de
sa part de repartir d’un complexe d’idées élaboré la fois précédente,
plutôt que d’une information précise. On peut aussi avoir l’impression
que l’enseignant cherche ainsi à ne pas se montrer d’emblée trop directif
ou trop inducteur. La suite de la séquence contredira toutefois cette
interprétation.
L’enseignant retourne la situation à son avantage
Face au mutisme de la classe, le professeur a clairement perçu qu’il
lui fallait changer de stratégie pour parvenir à ses fins, et cette décision
se manifeste, cette fois, de manière tout à fait explicite :
« Bon alors on va prendre les choses d’une autre façon, quels
systèmes on a abordés la semaine dernière ? »

60
Remettant en cause le caractère peu explicite de sa question, il aurait
pu la formuler une nouvelle fois, de manière plus directe, en posant une
question du type : « Rappelez-vous ce qu’on a vu, quels sont les deux
types de production auxquels participent les ST d’une manière
générale ? » ou encore « qui se souvient du titre de la question traitée
la dernière fois ? ». Il semble qu’il n’ait pas cherché à vérifier de la
sorte si le silence de l’auditoire pouvait être dû à l’imprécision de sa
question. Plutôt que d’imputer ainsi l’absence de réaction des élèves à
l’inefficacité relative de son action, l’enseignant réagit d’une manière
qui revient en quelque sorte à attribuer aux élèves l’entière
responsabilité de leur mutisme. Ce silence, au lieu de passer pour
l’indice d’une question mal posée, devient ainsi révélateur d’une
question qui s’avère hors de portée des élèves, à tout le moins
transitoirement.
Ceci justifie donc de la part du professeur un changement de
technique qui consiste à revoir à la baisse son objectif du moment. Il
semble ainsi faire une concession aux élèves en acceptant de repartir de
plus bas, ce qui l’amène cette fois à formuler une question qui ne devrait
plus comporter d’incertitude pour la classe : « Quels systèmes on a
abordés la semaine dernière ? » Par le biais de ce type de procédé, il
est clair que l’enseignant parvient à retourner à son avantage une
situation embarrassante : il évite ainsi de pouvoir se trouver confronté
à un nouveau mutisme qui risquerait de lui donner l’impression que les
élèves n’ont pas retenu l’essentiel du cours précédent, et il évite d’avoir
à admettre qu’il n’est pas parvenu à se faire comprendre des élèves.
Pour autant, cela ne signifie pas que la nouvelle procédure enclenchée
(repartir des exemples traités la fois d’avant) résulte elle-même d’un
choix conscient entre diverses alternatives que le professeur aurait eu le
temps de soupeser.
Il paraît probable au contraire, que le fait d’avoir à réagir dans
l’instant engendre une réaction de nature à la fois intuitive et instinctive
à la situation. C’est d’ailleurs en cela que le “style” propre à chaque
enseignant devient intéressant à analyser. Face à des situations
identiques (du type mutisme de la classe), chaque enseignant possède
sans doute une stratégie préférentielle. Dans le répertoire des solutions
disponibles dont chaque professeur dispose pour faire face à des classes
de situations particulières, chacun aurait tendance à en privilégier
certaines en fonction de l’expérience et des conceptions qui lui sont
propres. En d’autres termes, c’est précisément parce qu’elles seraient

61
révélatrices de la façon dont le pédagogue conçoit sa discipline,
envisage l’apprentissage, appréhende les capacités des élèves qui lui
font face, évalue la difficulté des savoirs en jeu, etc., que ses modes
d’action deviennent intéressantes à analyser, beaucoup plus que pour
procéder à un simple recensement des décisions et des alternatives qui
s’offrent à lui au niveau du pilotage de la classe. La prise en compte de
ces diverses alternatives n’est, en soi, intéressante que si elle permet de
mieux comprendre quels avantages offriraient à l’enseignant le fait de
pouvoir agir ou réagir autrement à certains moments.
L’enseignant se place dans une situation problématique en
voulant obtenir une réponse de nature discriminative à partir
d’exemples non contrastés
Dans la suite, il semble bien que ce soit le fait de chercher à concilier
des objectifs contradictoires (avancer dans le cours, mais vouloir laisser
aux élèves le temps de se remettre les choses en tête ; accepter de faire
un retour en arrière, mais ne pas vouloir y consacrer trop de temps) qui
ait conduit l’enseignant à se placer dans une situation délicate :
- Une cafetière
- Seulement une cafetière ? On avait parlé de quoi aussi ?
- Un moulin à café et une machine qui servirait aux deux
- Voilà. Une cafetière, un moulin à café et une machine qui
remplacerait les deux. Alors qu’est ce qu’il produit ce
système ? (...) Il produit du café. Mais comment est-ce
qu’on pourrait le qualifier ce service qu’il nous rend de
façon plus générale ?
- Il transforme Monsieur
L’évocation par les élèves d’une lignée de systèmes (Deforges,
1985) traités la fois d’avant (un moulin à café, une cafetière, une
machine qui remplacerait les deux) offre l’occasion à l’enseignant de
reprendre sa question initiale, en la particularisant (Alors qu’est-ce qu’il
produit ce système ?). Le professeur va répondre lui-même dans la
foulée à cette pseudo question, préoccupé qu’il est visiblement de faire
avancer le cours (Il produit du café). Mais, en répondant “il produit du
café ” (plutôt que “il produit un service”) le professeur est conduit, dans
le souci qu’il a par ailleurs de ne pas se montrer directif, à proposer une
réponse nettement plus locale que celle recherchée. Pensant avoir mis

62
ainsi les élèves sur la voie, il se risque donc à revenir sur sa question
plus large du départ (Mais comment est-ce qu’on pourrait le qualifier
ce service qu’il nous rend de façon plus générale ?). Afin que les élèves
puissent lui fournir la réponse de nature discriminative qu’il attend
(production de services plutôt que de biens matériels), il aurait
néanmoins fallu qu’il reparte de deux exemples de systèmes contrastés,
plutôt que de s’empresser d’exploiter le premier venu.
Ainsi, bien qu’elle comporte une partie de la réponse attendue (le
mot “service”), sa nouvelle sollicitation (qualifier les choses d’une
façon plus générale), plutôt que d’être perçue en tant que demande
d’extension de nature conceptuelle, n’a pu être finalement décodée que
comme une simple incitation à reformuler ce qu’il venait de dire ; d’où
la réponse qu’il obtient (« il transforme Monsieur »).
L’enseignant va ignorer cette réponse pourtant tout à fait pertinente
eu égard à la question posée. Cette initiative résulte donc à nouveau
d’un choix qui n’est pas neutre pour l’enseignant. Accepter cette
réponse aurait conduit à admettre qu’il s’était encore mal fait
comprendre et qu’il lui fallait à nouveau s’efforcer de poser le problème
différemment.
L’enseignant décide de couper court à la situation tout en
ménageant son image
Plutôt que de procéder à une nouvelle tentative dans ce sens, le
professeur juge bon de couper court à cette situation. Pour la dénouer,
il fait cette fois appel à un procédé radical : renvoyer les élèves à leurs
notes :
- Qu’est-ce qu’on avait dit ? Essayer de retrouver dans vos
notes ce qu’on avait dit sur la généralité des systèmes.
- Ils transforment de la matière d’œuvre
- Oui, alors puisqu’on est là-dessus, continuons. Ils
transforment de la matière d’œuvre en lui donnant quoi à
cette matière d’œuvre ?
- Une valeur ajoutée (VA)
- Voilà. Vous vous rappelez ce que c’est une valeur ajoutée, ou
il faut y revenir ? (...) Non, pas de problème. Alors je
reprends ce que je vous demandais au départ. Mais dans le

63
premier paragraphe, vous allez le voir les systèmes
techniques on les a définis en disant qu’ils apportent ?
- Une valeur ajoutée à la matière d’œuvre
- Oui, d’accord, mais de façon plus précise ?
- Ils participent à la production de biens matériels ou de
services (lu dans ses notes)
- Voilà. Alors, ça, c’est important comme distinction. Les
systèmes techniques, qu’ils soient d’ailleurs automatisés ou
non, apportent simplement cela, production de biens
matériels ou de services.
Une première réponse est apportée (ils transforment la matière
d’œuvre) qui n’est pas celle attendue (Oui, alors puisqu’on est là-
dessus, continuons…), mais qui n’est pas rejetée dans la mesure où, à
l’image des exercices à trous (« Ils transforment de la matière d’œuvre
en lui donnant quoi à cette matière d’œuvre ? ») elle peut se laisser
compléter par un seul mot (Une valeur ajoutée) dont la signification est
importante dans l’élaboration du savoir en jeu. Solliciter la classe pour
s’assurer en retour que tous les élèves sont au clair sur la signification
du concept concerné (vous vous rappelez ce que c’est une valeur
ajoutée ou il faut y revenir ?) fait donc partie dans ce cas des actes de
structuration que le professeur se sent en devoir d’assumer.
Les faits montrent qu’il ne s’agit néanmoins que d’une nouvelle
pseudo-sollicitation. En dépit de sa forme interrogative, la part de
simulacre que comporte ce genre de question apparaît clairement dans
le fait que l’absence de réponse (...) devient, dans pareil cas, le signe
d’une compréhension partagée (non pas de problème), contrairement à
ce qui se passe pour des questions authentiques. Si près du but, il est
tout à fait manifeste au contraire que l’enseignant n’a pas l’intention de
se laisser dérouter. Il formule donc une ultime fois sa question (alors je
reprends ce que je vous demandais au départ), tout en ne résistant pas
au besoin de signaler au passage à ses élèves qu’il ne leur demandera
pas toujours ainsi d’ouvrir leurs cahiers.
C’est sans doute une manière de fixer, en ce début d’année, un
élément du “contrat didactique” (Brousseau, 1998) en signifiant
implicitement aux élèves qu’ils doivent revoir leurs notes d’une séance
à l’autre, mais c’est aussi une façon de rejeter à nouveau sur eux la
responsabilité du piétinement de ce début de séance. Sans vouloir le

64
laisser transparaître, il semble bien que l’enseignant soit malgré tout
conscient du fait qu’il s’y est mal pris. Cherchant à atténuer le reproche
qu’il vient d’adresser à la classe, il s’inquiète ainsi de savoir si certains
ont besoin d’un autre exemple, ce qui est peut-être une manière pour lui
de ne pas s’en vouloir d’avoir effectivement court-circuité cette étape
quelques instants auparavant.
Comment savoir jusqu’où reculer avant d’aller plus loin ?
Étant finalement parvenu à faire retrouver aux élèves (dans leur
cahier plutôt qu’en mémoire) l’information souhaitée, l’enseignant
procède ensuite à un bref retour en arrière pour se « remettre un peu
dans le bain », et raccrocher ainsi le nouveau savoir à l’ancien.
L’enseignant se limite à revenir sur ce qui doit lui servir pour la suite.
Cette nouvelle phase démarre, comme la précédente, par une tâche
de contrôle soumise à la classe. Revenant sur la notion de matière
d’œuvre évoquée par un élève, l’enseignant semble une nouvelle fois
vouloir s’assurer du sens qu’elle recouvre pour la classe :
- Ce qui fait que, on va le voir, la matière d’œuvre, je vous
précise... Qu’est-ce que c’est la matière d’œuvre ?
- C’est l’objet qui reçoit la transformation.
- Et cette transformation donc va rendre cette matière plus
efficace ou plus utile ou simplement plus disponible qu’au
départ. Alors on avait donc parlé d’une cafetière. Pour
résumer, pour se remettre un peu dans le bain, on parle
duquel ? On en a vu trois la semaine dernière, on parle
duquel ?
- Le moulin à café
- (Dessine au tableau un rectangle avec une flèche vers
l’entrée et une autre qui en sort). Qu’est-ce que je mets ici ?
- Café en grains
- Oui. Vous l’avez déjà noté ça hein. Et ici ?
- Café en poudre
- Alors on va rajouter ici matière d’œuvre comment ?
- À l’état initial

65
- Et ici ?
- À l’état final
- Bien on avait abordé la semaine dernière un certain nombre
d’autres choses. Qu’est-ce qu’on avait ajouté ?
- Énergie perdue égale chaleur
- On commence par la fin si vous voulez, ici on aura des
énergies perdues d’accord. Et ici à l’entrée qu’est-ce qu’on
aura, de l’énergie ?
- Électrique
- Qui peut être électrique oui
- ça dépend si on a un moulin électrique ou non
La suite permet toutefois de douter à nouveau de la réalité de cette
intention puisque l’enseignant va laisser passer une réponse (C’est
l’objet qui reçoit la transformation) qui s’avère très incomplète, mais
qui, de fait, correspond habituellement à la représentation restrictive
que les élèves possèdent de cette notion (Andreucci, Froment, Verillon,
1996).
Selon divers modèles d’analyse des prises de décision en classe
(Peterson & Clark 1970; Shavelson & Stern 1981), cette absence de
réaction désapprobatrice serait le signe d’une réponse que l’enseignant
juge tolérable. S’il est tout à fait possible que cette absence de réaction
immédiate contribue effectivement à fixer chez certains élèves des
représentations intuitives erronées, pour autant la formule qui veut que
“qui ne dit mot consent ” paraît bien mal adaptée à l’analyse du discours
en classe, où les propositions ne sont bien souvent consenties qu’à titre
provisoire, en attendant de pouvoir revenir dessus. Tel est le cas ici.
Une extension de cette notion sera ainsi proposée, mais bien plus tard
au cours de la séance. La façon dont il est possible de gérer des séances
longues (deux heures) n’est d’ailleurs sans doute pas étrangère à la
manière dont le professeur revoit chemin faisant la planification de la
seconde partie (après la pause) de son intervention en fonction d’une
check-list progressivement constituée des points sur lesquels il lui
faudra revenir.
En ceci, on voit bien néanmoins que le contenu intrinsèque d’une
réponse n’est pas seul en cause, dans le fait qu’elle puisse ou non être
en apparence considérée comme acceptable. Les circonstances du

66
moment qui peuvent conduire l’enseignant à vouloir poursuivre,
l’amène à ignorer des réponses qui, à d’autres moments du cours,
donneraient lieu à un développement spécifique. Il n’en demeure pas
moins que, dans les cas où l’enseignant n’est pas prêt à se laisser dévier
de sa trajectoire pour traiter les réponses erronées qui surviennent, il
ferait sans doute mieux de s’abstenir de poser des questions
périphériques par rapport à son objectif du moment.
Il paraît non moins clair que, chez certains professeurs, cette
tendance à vouloir procéder à une sorte de contrôle systématique des
connaissances participe d’un certain automatisme, utilisé à tout bout de
champ, y compris dans des occasions non propices. Il n’en demeure pas
moins aussi que, plutôt que de conforter les élèves dans une vision
erronée des choses en s’abstenant de réagir, l’enseignant dispose aussi
de la possibilité de temporiser, ce qu’il aurait pu faire ici en disant « la
matière d’œuvre cela peut être autre chose qu’un objet, on en reparlera
tout à l’heure ». De surcroît, il aurait pu procéder à un apport très limité
en signalant simplement que « la matière d’œuvre cela peut être aussi
une énergie comme dans le cas d’une centrale hydraulique, ou une
information comme dans le cas d’un ordinateur ». Pour ne pas avoir
apporté, en son temps cette simple précision, l’enseignant sera conduit,
quelques instants plus tard, à mettre de côté la proposition d’un élève
(« la calculatrice et l’ordinateur on les met entre parenthèses pour
l’instant »), sans pouvoir fournir de raisons à cette éviction. Il existe
ainsi une certaine logique dans la chaîne du discours, qui fait que le fait
de ne pas apporter certaines informations en temps voulu exclut ensuite
qu’on puisse en fournir d’autres à un moment où elles viendraient à
point.
La suite révèle qu’en choisissant au contraire d’enchaîner par un
retour sur la représentation fonctionnelle d’un ST, l’enseignant
souhaitait réintroduire au plus vite l’idée selon laquelle le type
d’énergie apportée permet de différencier deux types de systèmes. Il est
possible, autrement dit, qu’il ait pressenti que le fait de faire référence
à des ST pour lesquels la matière d’œuvre est elle-même une énergie
d’un type que l’on transforme en une énergie d’un autre type, risquait
de l’entraîner à devoir modifier tout le plan de l’exposé qu’il avait
prévu. Laissant d’ailleurs assez spontanément aux élèves le choix d’un
exemple (« On parle duquel ? »), il se ravise aussitôt pour restreindre
le champ d’investigation à l’un des cas évoqués la fois précédente (« On
en a vu trois la dernière fois, on parle duquel ? »).

67
L’enseignant énonce enfin le thème de la leçon du jour
La suite lui permet donc d’attirer l’attention des élèves sur le fait que
selon le type d’énergie (électrique ou mécanique) apportée, on peut
distinguer deux types de systèmes, alors que l’intervention du jour a
pour objectif d’en distinguer trois :
- Voilà. Alors cette remarque est très importante, elle introduit
toute la suite du cours. Vous dites on aura un apport d’énergie
électrique forcément pourquoi ? On pense tout de suite à
énergie électrique parce qu’on est plus habitué maintenant à
utiliser un moulin à café électrique qu’un pilon ou qu’un moulin
à café mécanique. Mais là, je vous dis tout de suite cette
distinction porte sur deux types de systèmes et le cours
d’aujourd’hui est centré sur la définition de trois types de
systèmes dans lesquels peuvent rentrer tous les systèmes. Est ce
qu’il y a des questions là-dessus ? (...) Non pas de problème ?
Alors, on va avancer. Est-ce que vous souhaitez qu’on prenne
un autre exemple ? (...) Non ? Personne ? Alors, comme
numérotation je ne me rappelle plus ce qu’on avait pris. On
avait pris 1.1 but, 1.2 exemples, c’est ça ?
- Oui
- 2 classifications des systèmes (écrit au tableau)
Le thème de la séance a ainsi finalement été énoncé (« Le cours
d’aujourd’hui est centré sur la définition de trois types de systèmes »),
introduit par ces mots « mais, là je vous dis tout de suite » comme si
l’enseignant avait inconsciemment perçu qu’il aurait sans doute mieux
fait de commencer par là.
Comment expliquer les difficultés rencontrées au cours de cette
première activité ?
Si l’intention de l’enseignant était de ne pas se montrer trop directif,
il est manifeste que la suite des événements l’on conduit à le devenir
résolument pour se tirer de l’impasse dans laquelle l’a conduit le fait de
ne pas parvenir à obtenir des élèves la réponse attendue. Ceci montre
bien à quelles difficultés se heurtent la communication en classe, mais
ne dit rien sur leur origine potentielle. On a souvent fait aux enseignants
le reproche de confronter essentiellement les élèves à des questions
fermées ou fortement inductrices qui n’appellent qu’une seule réponse
ou qui limitent considérablement l’émergence de réponses erronées.

68
Ceci peut donner l’impression qu’on a à faire à une classe vivante, alors
que cela revient souvent à soutenir un certain niveau d’attention et de
vigilance à défaut de favoriser un réel travail cognitif.
Dans le cas présent, il est clair pourtant qu’une question fermée ou
directe aurait finalement été mieux adaptée, dans la mesure où
l’enseignant attendait une réponse précise. La sollicitation lancée au
départ ne se voulait donc pas relativement vaste, mais était de fait
beaucoup trop vague, compte tenu du feed-back attendu. Il est ainsi
manifeste que cet enseignant n’est pas parvenu à ajuster son action à
l’action en retour qu’il attendait de la part des élèves. Ce qu’il convient
donc d’expliquer, c’est que qui a pu l’empêcher d’opérer ce bon
réglage. Nous avons suggéré sa crainte d’apparaître trop directif en
ouvrant directement la leçon sur une demande de rappel du titre du
cours précédent. L’insistance donnée au fait qu’il s’agissait de se
remémorer une caractéristique générale des systèmes techniques laisse
toutefois entrevoir une autre explication. En effet, tout se passe comme
si cet enseignant n’était pas parvenu à dissocier la forme et le contenu
de sa question, ou plus exactement comme si, sollicitant une réponse
d’un haut degré de généralité à ses yeux avait été pour c’était avéré
incompatible avec le fait d’y procéder à l’aide d’une question purement
factuelle.
En définitive, il peut ainsi sembler que c’est parce qu’il craignait que
ses élèves ne se révèlent pas à la hauteur de ses attentes, qu’il n’a pu
effectivement trouver les moyens de rendre sa question compréhensible
en permettant aux élèves de contredire ce genre de pronostic implicite.
Ce ne serait donc jamais qu’une forme d’effet Pygmalion, dont on
connaît mieux les manifestations à un niveau macroscopique
(évaluation de performances finales), et dans un contexte moins naturel
puisque dans la recherche princeps de Rosenthal et Jackobson (1971) il
s’agit notamment de préjugés induits expérimentalement. Il n’apparaît
pas néanmoins trop surprenant que ce processus de confirmation
automatique des attentes implicites des professeurs ait aussi des
répercussions au plan didactique. De l’analyse fine de ce début de
séance un peu chaotique, il ressort donc que les difficultés rencontrées
par l’enseignant proviennent, entre autres choses, de sa propre
perception d’un décalage entre ce qu’il voudrait exiger des élèves et ce
qu’il se sent en mesure de pouvoir obtenir de leur part.

69
La structuration du savoir à l’aide d’exemples de
différents types de systèmes
Cette nouvelle activité se décompose en deux actions. La première
porte sur la distinction entre ST « élémentaire » (ce n’est pas toutefois
ce qualificatif qui va se trouver utilisé) et ST « mécanisé ». La seconde,
portant sur la notion de ST automatisé, ne sera pas étudié ici, faute de
place.
L’enseignant exploite la mémoire des redoublants pour donner
l’impression que tout le monde suit
- Alors Laurent, Jérôme (redoublants) pour vous ça va être
évident tout ça, je vais reprendre un exemple, d’ailleurs le même
que l’année dernière. On suppose qu’on a un puits et que dans
ce puits il y a de l’eau. Ce qu’on veut c’est pouvoir utiliser cette
eau parce qu’on en a besoin pour l’irrigation, pour boire, etc.
Alors comment on peut faire ?
- On installe une corde et un sceau
- Alors voilà la corde et le seau, mais si ça reste comme cela, ça
va peut-être pas monter facilement
- On met un homme
- Alors on met un homme pour le tirer, c’est un premier système
mécanique. Alors là on a un deuxième puits, chercher un autre
moyen de faire monter cette eau
- un moteur qui enroule la corde
- Donc ici un moteur (dessine au tableau), voilà un deuxième
système. Vous êtes d’accord ou pas ? Entre ces deux systèmes
qu’est-ce que vous voyez comme différence fondamentale ?
- L’homme ne force plus
- Effectivement. Alors là, petite parenthèse, on a souvent
tendance à dire l’homme, mais ça pourrait très bien être une
femme aussi, ce qui fait qu’on pourra utiliser pour être un peu
plus technique, vous utiliser ce que vous voulez hein, mais
personnellement je dirais l’opérateur humain. Alors l’homme
ou l’opérateur humain vous dites il ne force plus. Lorsque vous

70
dites il ne force plus, cette notion de force est-ce que vous
pouvez l’exprimer avec un terme plus technique ?
- Il n’y a pas d’effort
- Si il y en a, même si il est petit, il faut appuyer sur le bouton
pour que ça marche
- Tout à fait. Alors lorsqu’il y a un effort à faire qu’est-ce qu’il
faut pour produire cet effort ?
- Une énergie
- Voilà. C’est une chose très importante, la notion d’énergie.
Au terme de l’épisode précédent, le thème de la séance a finalement
été introduit (classification des systèmes en trois types), mais les élèves
ignorent à quelle question le relier. L’enjeu du savoir n’a pas été précisé
et les élèves ignorent donc qu’il est important de disposer d’un mode
de classification des ST, par exemple pour rendre compte de leur
évolution au cours de l’histoire, ou au sein d’une lignée d’objets
(Deforges, 1985) qui remplissent le même type de fonction. La
séquence ne comporte d’ailleurs aucune référence explicite à cette
dimension évolutive de systèmes appartenant à une même famille. De
la même façon, aucune allusion n’est faite à la dimension cognitive des
activités classificatoires du point de vue de l’importance qu’elles
offrent pour interpréter le monde environnant. Ici, plus
dogmatiquement, il s’agit donc d’apprendre à classer les systèmes pour
savoir les classer, ou de devoir en passer par ce savoir pour la simple
raison qu’il figure au programme. Ce qu’on pourra en faire n’entre pas
en ligne de compte, ou à tout le moins pas pour le moment.
Ayant simplement fixé un type de besoin (puisage de l’eau),
l’enseignant invite les élèves à se représenter des moyens techniques de
le satisfaire (comment peut-on faire ?). Une réponse est proposée (on
installe une corde et un seau) par l’un des deux redoublants de la classe.
L’enseignant se trouve à nouveau ici face à une alternative : inviter les
élèves à se représenter d’autres types de solutions possibles ; ou
exploiter d’emblée cette première réponse. Pour bien comprendre
l’option qu’il prend, il faut ici se demander s’il aurait, de la même façon,
choisit d’exploiter dans la foulée cette première réponse si le système
évoqué n’avait pas été celui d’un système élémentaire. Il est probable
que non, puisqu’un peu plus tard dans la séance, l’exploitation d’un
exemple de système automatisé (un système avec une information sur

71
l’heure) va au contraire se trouver différée (ah, attendez on va déjà
reprendre l’idée ici), du fait qu’il est jugé survenir trop tôt. Il est
vraisemblable, autrement dit, que l’enseignant aurait invité la classe à
penser à une solution technique plus simple, si cette première réponse
proposée n’avait pas satisfait le scénario de cours qu’il s’était fixé.
Il paraît donc manifeste que l’enseignant avait pré planifié son cours.
Avant que la séance ne démarre, il avait déjà pris une décision : celle
d’envisager chaque type de solution technique tour à tour en
commençant par le plus simple, plutôt que de partir d’un inventaire des
solutions existantes dont les différences et les analogies auraient ensuite
été examinées pour procéder à la catégorisation voulue. A-t-il pour
autant délibérément opté entre ces deux démarches avant de commencer
son exposé ? Rien n’est moins sûr. En d’autres termes, rien ne prouve
qu’a priori l’enseignant ait envisagé de pouvoir construire
différemment son intervention. Quoi qu’il en soit, à défaut de pouvoir
éventuellement le justifier, le type de cheminement envisagé aurait pu,
à tout le moins, être annoncé aux élèves. La connaissance du plan que
le professeur s’était fixé aurait d’ailleurs permis d’éviter que certains
élèves ne veuillent tout de suite en venir à des exemples de systèmes
complexes. Au contraire, il s’avère que l’enseignant est ici le seul à
savoir où il va, ou ce vers quoi il tend, s’il n’y avait pas dans la classe
deux redoublants qui ont déjà vécu cet épisode didactique, et sur
lesquels l’enseignant peut donc s’appuyer pour progresser dans son
scénario.
À ce niveau, une autre décision préalable a d’ailleurs été prise : celle
de réutiliser l’exemple de l’année précédente plutôt qu’un autre.
Pourquoi ? A priori le choix de ce type de besoin (puisage de l’eau)
n’était pas plus pertinent, ou plus facile à schématiser que d’autres (par
exemple se déplacer sur l’eau avec une barque, un canot à moteur ou un
paquebot en pilote automatique, percer une pièce avec une perceuse
manuelle, électrique ou à l’aide d’une machine-outil à commande
numérique, etc.). Si on peut douter que l’enseignant ait eu ainsi des
raisons objectives d’attribuer à cet exemple des vertus didactiques
particulières, il reste qu’il a sans doute en revanche perçu un intérêt au
fait de pouvoir exploiter la mémoire didactique (Matheron, 2010) de
ces deux redoublants. Mais, du même coup, en renonçant à faire varier
les situations il semblerait que cet enseignant ait craint implicitement
que ses anciens élèves aient du mal à transférer leurs acquis à propos
d’une nouvelle lignée d’objets. Comme dans l’épisode précédent, on

72
retrouverait donc ici une manifestation de l’effet Pygmalion. Le fait de
replacer des redoublants dans une situation strictement identique à celle
qu’ils ont déjà vécue participe sans doute aussi d’un préjugé négatif sur
les capacités de transfert dont ils sont capables, surtout dans un cas
comme celui-ci, où la situation aurait pu être modifiée à moindres frais
(pas de transparents à refaire, etc.).
Bien d’autres aspects seraient intéressants à relever dans la suite de
cette phase. On pourrait s’interroger sur le besoin auquel répond l’acte
de solliciter l’approbation (“Vous êtes d’accord ou pas ?) de la classe
sur des choses (le fait que deux systèmes différents se trouvent
schématisés au tableau) qui ne peuvent faire l’objet d’aucune
contradiction. S’agit-il de se donner l’impression que les élèves suivent
sans prendre le risque d’interrompre le fil de l’exposé ?
On pourrait aussi se demander pourquoi, alors que l’information est
toujours dispensée sous une forme impersonnelle (on installe une
corde ; on met un homme ; ...), l’enseignant a soudain recours au “je”
(personnellement je dirais l’opérateur humain), alors qu’il s’agit
simplement de recourir à un langage “plus technique”. On pourrait aussi
voir dans le recours au terme « opérateur » une manifestation du
caractère stéréotypé et ségrégatif du facteur « genre » dans le cadre de
l’éducation technologique : le terme d’opératrice étant principalement
associée à des tâches considérées comme subalternes (opératrice de
saisie, de standard téléphonique). L’apport suivant qui revient à dire que
l’énergie est un terme technique, sans préciser en quoi cela permet de
particulariser son sens par rapport à d’autres usages de cette notion
mériterait sans doute aussi des commentaires. Pour ne pas alourdir cette
analyse, il convient néanmoins de s’attacher à ce qui paraît le plus
pertinent du point de vue de l’élaboration du savoir en jeu, à savoir sur
quoi fonder une catégorisation des systèmes techniques.
L’enseignant renonce à faire partager son savoir
On se souvient à cet égard qu’à la fin de l’épisode précédent,
l’enseignant a attiré l’attention des élèves sur le fait qu’on pouvait
distinguer deux types de systèmes (moulin à café mécanique vs
électrique) en référence au type d’énergie apportée. Au terme de la
présente phase, le terme de système non mécanisé est introduit par
opposition à celui de système mécanisé, et ceci pour catégoriser les
systèmes techniques selon que l’énergie est apportée ou non par un
opérateur humain.

73
Qu’est-ce que vous constatez comme différence du point de
vue de l’énergie dans ces deux systèmes ?
- C’est l’homme ou le moteur qui produit l’énergie
- Voilà. Si on numérote celui-ci 1 et celui-ci 2 on a deux types
de systèmes. Alors Laurent ou Jérôme celui-là c’est un système
comment ?
- Mécanique
- Oui c’est vrai
- Manuel et semi-automatique
- C’est pas faux, mais vous ne caractérisez pas vraiment les
systèmes. Alors celui-ci on va dire qu’il est mécanisé et celui-ci
qu’il est tout simplement non mécanisé. Voilà deux grands types
de systèmes. Quelle est la différence fondamentale entre les
deux, c’est que dans le système non mécanisé ?
- C’est l’opérateur qui fait l’effort
- Voilà alors que dans les systèmes mécanisés l’opérateur
n’apporte pas l’énergie, elle est produite par autre chose.
D’accord ? C’est pas difficile hein, mais je passe assez
longtemps malgré tout parce que c’est une façon, vous vous
rappelez tout à l’heure vous avez dit mécanique. Si on dit
mécanique ou mécanisé, ça peut vouloir dire la même chose,
mais c’est une approche qui n’englobe pas tout à fait les mêmes
choses. Et puis, si on a un troisième puits...
Un nouveau critère de classification (d’où provient l’énergie plutôt
que de quelle nature, mécanique, électrique ou autre elle est) a ainsi été
introduit, mais sans que ce changement de point de vue ait été signalé
aux élèves. On comprend d’ailleurs pourquoi : il ne s’agit pas de deux
modes de catégorisation totalement distincts l’un de l’autre puisqu’ils
reposent sur des critères non disjoints (l’homme ne pouvant produire
grâce à ses muscles qu’une énergie de type mécanique). Il est ainsi
probable que les élèves ne perçoivent pas l’intérêt que peut offrir l’un
des modes de classification sur l’autre. Ce qui est plus grave néanmoins,
c’est que la façon dont les apports s’enchaînent aboutit finalement à
mettre l’accent sur des éléments de connaissances qui ont tout lieu de
s’avérer contradictoires pour l’élève.

74
Que se passe-t-il en effet ? Ayant fixé la situation-problème
(puisage de l’eau), l’enseignant s’appuie sur un premier exemple (alors
on met un homme pour tirer le seau, c’est un premier système) qu’il
qualifie lui-même de mécanique. À la suite de la présentation du second
exemple (un moteur qui enroule la corde), les deux redoublants sont
spécifiquement sollicités pour trouver un qualificatif applicable à
chacun de ces systèmes. L’un des deux propose de qualifier le premier
système de mécanique, ne faisant donc en cela que reprendre ce que
l’enseignant a dit quelques minutes plus tôt. Or, il se trouve que
l’enseignant va rejeter partiellement cette proposition (ce n’est pas faux,
mais vous ne caractérisez pas vraiment les systèmes) de même que celle
du second redoublant (manuel et semi-automatique) avant de proposer
lui-même de catégoriser le premier système de non mécanisé et le
second de mécanisé.
Les élèves en auront donc conclu que ces adjectifs étaient plus
appropriés, bien qu’ils ne sachent pas en quoi (leur aspect
complémentaire ayant été passé sous silence). Mais, ils auront pu aussi
en conclure que le premier exemple est en définitive celui d’un système
mécanique non mécanisé, ce qui risque d’être pour le moins confus pour
eux. Contrairement à ce qui ressortait de l’épisode précédent, il est clair
que l’enseignant peut donner ici l’impression de surévaluer de
beaucoup les capacités de son auditoire en voulant faire comme si les
élèves avaient pu construire du sens à partir de cet échange. Ce n’est
pas difficile, conclura-t-il d’ailleurs, en se référant au fait que c’est
l’opérateur humain qui apporte l’énergie dans un cas et pas dans l’autre.
Effectivement, ce n’est pas à ce niveau que la difficulté épistémique
peut se situer et il semble qu’il l’ait pressenti en paraissant vouloir
revenir sur la réponse de l’élève (Vous vous rappelez tout à l’heure vous
avez dit mécanique). Le problème c’est que l’apport qui suit (Ca peut
vouloir dire la même chose, mais c’est une approche qui n’englobe pas
tout à fait les mêmes choses) peut sembler en dire trop ou pas assez,
puisqu’il ne clarifie rien. Manifestement, il s’avère qu’il n’en dit pas
assez puisque l’enseignant a lui-même commencé son exposé en
caractérisant ce premier système de mécanique, avant de le caractériser
de non mécanisé plutôt que d’élémentaire, ce qui aurait évité de semer
un trouble dans l’esprit des élèves. Mais, dans la mesure où il attribue
cette réponse à l’élève, l’enseignant donne l’impression d’estimer lui-
même qu’il en a au contraire trop dit, car il enchaîne aussitôt sur la
sollicitation d’un nouvel exemple. Il semble ainsi regretter d’avoir

75
alerté les élèves sur une distinction jugée trop subtile à leur niveau, ou
prématurée en ce début d’année. L’effet Pygmalion serait donc être à
nouveau à l’origine de la décision qui consiste à ne pas vouloir traiter
la question du fait que les élèves sont supposés ne pas être en mesure
de saisir les explications qu’elle impliquerait. Tout ceci montre, qu’il
n’est pas facile loin de là, y compris pour un enseignant chevronné et
doté des meilleures intentions didactiques, de trouver le bon ajustement
qui consiste à mettre sa propre pensée à la portée des élèves tout en
respectant le fait qu’ils soient capables de penser par eux-mêmes. Que
l’on ne si trompe pas en effet, les difficultés didactiques auxquelles les
enseignants s’exposent sont à la hauteur de l’ambition des enjeux
cognitifs qu’ils assignent à leur discipline et à leur enseignement.

Conclusion
Comme toujours, il convient d’être prudent quant aux conclusions
qu’il est possible de tirer à partir d’une observation singulière, surtout
lorsque celle-ci peut faire figure de cas peu ordinaire. Ainsi se présente
cette séquence didactique qui n’a pas été sélectionnée par hasard, mais
au contraire parce qu’elle offre de nombreuses manifestations de la
façon dont il arrive que la communication en classe dysfonctionne. Si
cette observation peut être considérée comme atypique en ce sens qu’il
est peu courant que les malentendus et les incidents critiques en phase
de leçon se manifestent de manière aussi condensée, elle n’en présente
pas moins par là un intérêt certain pour la valeur de contre-exemple
qu’elle offre au plan théorique. Il semble en effet que l’étude de ce type
de séquence permet tout d’abord de rompre avec le paradigme
"processus-produit" qui a orienté la première lignée des travaux
d’observation en classe. Selon cette optique, on a cru pouvoir fonder
des modèles pour la formation des maîtres en caractérisant les pratiques
à promouvoir à partir des conduites des enseignants réputés les
meilleurs. On peut au contraire estimer que dans le cadre d’une
formation professionnelle, la connaissance des "bons gestes" ne peut
avoir de réelle valeur opératoire que si l’on sait par opposition
caractériser ceux qui conduisent à des "ratés". L’étude d’observation de
ce type tend également à montrer les limites de l’utilisation du
paradigme "novice-expert" de la psychologie cognitive expérimentale
en ce qui concerne l’approche des actes d’enseignement. Le protocole
ici examiné pourrait facilement passer pour celui d’un professeur en
formation alors qu’il se réfère à un enseignant expérimenté, preuve que

76
l’expérience et l’expertise ne doivent pas être confondues. À l’évidence,
l’expérience seule ne permet pas nécessairement de déclencher toujours
ce qui serait de l’ordre du bon "réflexe" au bon moment. Ceci tend donc,
en troisième lieu, à discréditer en partie les modélisations qui
conduisent à appréhender l’essentiel du pilotage de la classe en tant que
mise en œuvre de routines ou d’automatismes progressivement
constitués grâce à la pratique, et limitant par-là la prise de décisions à
la gestion des incidents et des imprévus crées par les élèves. Notre
analyse revient au contraire à montrer qu’une bonne partie des gestes
professionnels de l’enseignant sont de nature décisionnelle en tant
qu’ils laissent la place à diverses alternatives dont les effets ne sont pas
tous équivalents quant à la structuration des connaissances chez les
élèves. Ici, on relève par exemple que l’enseignant n’arrive pas à mettre
en concordance son but et ses actions.

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79
Chapitre 4
Rôle du débat pour identifier
et dépasser les conceptions obstacles liées
à la compréhension de la diversité des êtres
vivants et de leurs stratégies adaptatives

Fatma Saïd Touhami et Valérie Baranès

Introduction
Le présent chapitre s’inscrit dans la lignée des travaux en didactique
des sciences sur l’efficacité d’un enseignement basé sur la prise en
compte des conceptions des élèves (Astolfi et Peterfalvi, 1997 ;
Peterfalvi, 2001 ; Giordan & Devecchi, 1994). Cette prise en compte ne
se limite pas à l’identification des conception-obstacles, mais
également à la mise en œuvre de stratégies d’enseignement susceptibles
de favoriser leur dépassement. Parmi les stratégies les plus étudiées
dans les travaux didactiques, celles qui font appel à des dispositifs basés
sur l’esprit critique, telles que le débat, nous intéressent plus
particulièrement. Des travaux (Orange, 2012 Simonneaux, 2003)
partent du principe que ce genre de situation d’enseignement,
permettant la confrontation des idées et le conflit socio-cognitif
(Mugny, Doise & Perret Clermont, 1976), génère un espace
argumentatif, dans une dynamique de construction de preuve,
mobilisant les connaissances et les conceptions.
L’objectif de ce travail est de montrer, à partir de deux études de cas
distinctes, le rôle du débat dans l’identification, et éventuellement le
dépassement de certaines conceptions-obstacles chez les apprenants. Le
premier cas étudié concerne la compréhension de la diversité des
stratégies adaptatives des êtres vivants à un milieu donné, par des élèves
de lycée en Tunisie. Le second cas concerne l’apprentissage du concept
d’environnement et de diversité des êtres vivants par des élèves de

81
l’école primaire en France. À la suite d’un éclairage théorique sur les
conceptions-obstacles, l’importance de leur prise en compte dans
l’enseignement apprentissage et le rôle du débat dans le dépassement de ces
conceptions obstacles, nous présentons chaque cas d’étude, depuis la
problématique jusqu’à l’interprétation des résultats, avant de discuter
l’ensemble de cette recherche.

Fondements théoriques
Conceptions-obstacles et apprentissage
Entre le psychologique et le social, est né le concept de représentation
pour montrer que toutes les expressions et les réactions des individus sont le
produit de la façon dont ils se représentent, eux-mêmes, les autres et le
monde (Durkheim, 1898 ; Muscovici, 1976). Ce concept a été repris par les
didacticiens des sciences expérimentales (Giordan & De Vecchi, 1987 ;
Giordan & Martinand, 1988), qui ont proposé désormais d’utiliser plutôt le
terme « conception » à la place de « représentation » devenu « trop
polysémique ». Selon ces didacticiens, l’élève n’est pas un vase vide qu’il
suffit de remplir ; il a des connaissances préalables. Ces connaissances
préalables jouent un rôle dans l’apprentissage. Elles peuvent être des
obstacles à l’appropriation de nouvelles connaissances scientifiques. Ces
obstacles ne sont pas de simples erreurs d’apprenant qui peuvent être
corrigées par l’enseignant. Ce sont des systèmes d’explication installés que
la personne mobilise facilement sans trop réfléchir. Ces systèmes sont déjà
là, bien construits, résistants à la réfutation. S’alignant sur les travaux
épistémologiques, notamment ceux de Bachelard, les recherches
didactiques considèrent que toute connaissance se construit contre ce que
l’on sait déjà. Pour accéder à un mode de pensée scientifique, il faut franchir
des obstacles. Les obstacles ne sont pas de simples erreurs d’apprenants qui
peuvent être corrigées par l’enseignant. Ce sont des systèmes d’explication
installés que la personne mobilise facilement sans trop réfléchir, qui sont
déjà là, bien construits, résistant à la réfutation. Ces mêmes travaux
didactiques ont montré que les conceptions sont résistantes dans la durée ;
elles fonctionnent comme des modèles théoriques avec une cohérence
interne. Elles sont évolutives et elles sont opérationnelles, c’est-à-dire
qu’elles sont performantes pour résoudre des situations. Elles s’enracinent
dans l’expérience passée de l’individu, qu’elle soit sociale, issue d’une
culture communément partagée, affective, en lien avec la structuration de la
personnalité, médiatique ou même, didactique, véhiculée par un

82
enseignement passé. Apprendre, c’est, entre autres, modifier ses conceptions
initiales pour en construire de nouvelles. Cependant, l’apprenant peut
manifester une résistance à ces transformations, car la déstabilisation ainsi
provoquée peut toucher son identité, ses pratiques sociales, ses croyances ou
encore son système de valeurs.
Afin d’être dépassées, ces conceptions-obstacles doivent être d’abord
identifiées. Les recherches didactiques ont testé différents dispositifs pour
identifier et déstabiliser les conceptions obstacles : questionnaires, traces
écrites, entretiens, débats…. Le débat constitue une des stratégies
didactiques les plus recommandées par les résultats des travaux didactiques
(Orange, 2000 ; Saïd Touhami & Delserieys Pedregosa, 2016) pour
favoriser l’identification et le dépassement des obstacles. Ainsi face aux
contradictions multiples mobilisées dans un débat, les conceptions de
l’apprenant entrent en conflit avec d’autres points de vue. La confrontation
des idées de chacun devient un élément motivant pour chercher et construire
des arguments, afin de défendre ses opinions. L’argumentation enrichit ainsi
les savoirs de chacun en le poussant à chercher d’autres références, d’autres
points de vue. Le débat sous forme de jeu de rôle constitue un outil
remarquable pour que chaque apprenant puisse s’approprier un autre point
de vue que le sien sans se sentir en défaut en prenant de la distance avec ses
propres idées.
À travers les deux études de cas que nous présentons dans ce chapitre,
nous tentons d’identifier et d’analyser les conceptions obstacles d’élèves,
suite à la mise en œuvre de situations de débat.
Le débat scientifique : les caractéristiques d’un dispositif critique en
faveur de l’identification et le dépassent des conceptions-obstacles
Dans la société, le débat occupe une large place. Du débat très médiatisé
entre politiciens au débat entre citoyens, il est devenu une forme essentielle
de la démocratie. Le débat entre les parties permet d’envisager les différents
points de vue avec la même légitimité. Il devient ainsi, selon Tutiaux-
Guillon (2006), pour l’enseignement, une nouvelle pratique sociale de
référence. « Débattre en classe est devenu une obligation dans les
programmes de l’enseignement primaire et dans un certain nombre de
disciplines de l’enseignement secondaire […]. À l’école, le débat trouve sa
place dans quatre domaines principaux : le débat scientifique, le débat
d’interprétation en littérature et le débat sur la vie de la classe ou de
l’établissement, qui sont prescrits par les textes officiels du premier et
second degré. » (Bussienne & Tozzi, 2017, p.1). Un débat est dit

83
scientifique, quand son objet concerne un problème scientifique. « Le débat
scientifique tel qu’il se pratique à l’école s’appuie sur une pratique sociale
de référence, celle des chercheurs qui échangent entre eux, mais s’en
différencie, car le problème a déjà été, même provisoirement, résolu »
(Bussienne & Tozzi, 2017, p.2). En didactique des sciences expérimentales,
plusieurs travaux (Schneeberger, 1997 ; Orange, 2000, 2002 ; Saïd Touhami
& Delserieys Pedregosa, 2016, …) ont montré que la caractéristique
principale, qui donne au débat ce privilège de travailler avec et contre les
conceptions obstacles des élèves, est liée au fait qu’il constitue un espace de
conflit sociocognitif et d’argumentation. Astolfi et Peterfalvi (1993)
considèrent que l’évolution conceptuelle doit commencer par une prise de
conscience par des élèves de leurs conceptions et celles de leurs pairs, ce qui
provoque une déstabilisation chez ces apprenants. Le débat constitue donc
une occasion pour le diagnostic des obstacles et la déstabilisation
conceptuelle des élèves. Il permet à l’enseignant de préparer des situations
didactiques plus élaborées pour le franchissement des obstacles qui ont
résisté aux tentatives de déstabilisation proposées par l’apprentissage
« classique » et le débat scientifique. Selon cette perspective, le débat jouera
un rôle comme outil pertinent au changement de la méthodologie de
l’enseignement scientifique. D’après Fabre et Orange (1997), le débat est un
moment de travail sur les conceptions des apprenants, et ce grâce aux
conflits cognitifs et socio-cognitifs (Perret Clermont, 1999). La
confrontation de modèles explicatifs des phénomènes en question va obliger
chacun à extérioriser ses conceptions initiales, qui ne sont que les
conclusions de raisonnements personnels, et à énoncer des raisons et des
arguments pour justifier son jugement.
Dans le cas d’une contradiction plus tenace, le sujet sera amené à exposer
ses garanties, lois plus générales qui assurent la validité de l’argument
énoncé (Toulmin, 1958, p. 128). Le débat permet à chaque élève de réfléchir
à son propre cheminement pour chacune des tâches programmées, et
d’intervenir dans le cas échéant. Le débat permet à l’enseignant de suivre
discrètement l’évolution des apprentissages par chacun de ses élèves, et
d’intervenir le cas échéant, directement ou indirectement.
Dans ce présent travail, et à travers les deux cas étudiés, nous nous basons
sur des débats scientifiques, comme stratégie d’enseignement critique, pour
identifier les conceptions et les obstacles.

84
Première étude de cas : conceptions obstacles à la
compréhension de la diversité des stratégies adaptatives à un
milieu donné
Problématique
Nous proposons dans cette étude une perspective de repérage et
d’interprétation de conceptions-obstacles d’élèves, liées à un thème
scientifique particulier, et identifiées comme « erreurs ». L’objectif de cette
recherche est d’identifier les conceptions des élèves tunisiens du secondaire
qui font obstacle à la compréhension des mécanismes d’adaptation des êtres
vivants aux milieux arides. Selon Bachelard, dans une perspective
épistémologique reprise plus récemment par Fabre, et par Astolfi et
Peterfalvi (1997) en didactique, les obstacles se caractérisent par leur
résistance. L’accès au raisonnement scientifique proprement dit nécessite
leur dépassement. Pour cette raison, cette étude cherche à élucider le
processus d’enchaînement des idées et leurs degrés de résistance aux
tentatives de déstabilisation, pour pouvoir les interpréter en termes
d’obstacles. Des études menées par Astolfi et Peterfalvi (1997), dans le cadre
d’une recherche à l’INRP, se sont intéressées au mode de fonctionnement
des « conceptions-obstacles », et ont montré que ces dernières sont
l’expression d’un ensemble d’idées associées, cohérentes au point de
préserver à l’individu un certain « confort intellectuel », ce qui explique leur
résistance. C’est ainsi qu’à notre question principale, vient se joindre une
interrogation complémentaire relative à la mise en évidence des idées
associées qui expliquent la résistance des obstacles identifiés.
Méthodologie
Une stratégie de mise en évidence des obstacles doit, selon nous,
satisfaire deux conditions que nous jugeons nécessaires et suffisantes pour
identifier les obstacles : d’une part, elle doit nous permettre de suivre
l’enchaînement des conceptions (leur évolution ou leur absence d’évolution,
la façon dont les différentes idées sont articulées) ce qui permet de saisir leur
degré de cohérence ; d’autre part, elle doit favoriser des situations de
déstabilisation de ces conceptions pour vérifier leur degré de résistance.
Cette recherche a concerné 30 élèves tunisiens de première année du
secondaire (13ans) comprenant un groupe expérimental de cinq élèves et un
groupe témoin de 25 élèves.

85
Nous avons commencé notre démarche de recueil des données par un
entretien semi-directif avec le groupe expérimental. Cet entretien a été
effectué avant apprentissage, dans le but de vérifier l’hypothèse de la
présence de préconceptions « erronées » concernant l’adaptation des êtres
vivants aux milieux arides. Ce même groupe d’élèves a suivi une phase
d’enseignement classique dans la classe avec leurs camarades. Par la suite,
chaque élève appartenant à ce groupe, a dû répondre à un questionnaire
semi-ouvert. Ce questionnaire nous a permis de repérer les conceptions de
ce groupe d’élèves qui ont résisté à l’apprentissage classique scolaire, et
celles qui ont évolué dans un sens ou dans l’autre.
Après ce questionnaire, nous avons regroupé ces élèves pour un débat
collectif. L’objectif principal de ce débat est d’essayer de dépasser certaines
conceptions qui ont pu résister à l’apprentissage.
La deuxième étape de cette démarche a consisté à faire passer un
questionnaire à ce même groupe d’élèves, quelques semaines après le débat
collectif. L’objectif de ce questionnaire est de mettre en évidence les
conceptions qui ont pu résister à toute tentative de déstabilisation
(apprentissage classique, débat), et donc de nous permettre de confirmer
l’hypothèse de présence de conceptions-obstacles à la compréhension des
mécanismes d’adaptation des êtres vivants aux milieux arides chez des
élèves tunisiens du secondaire, et de bien qualifier ces conceptions
d’obstacles.
Pour interpréter nos données, nous avons procédé à une analyse des
discours de chaque élève qui a suivi la totalité du protocole que nous venons
d’élaborer.
Afin de pouvoir affirmer que les obstacles que nous avons identifiés ne
se limitent pas uniquement au groupe d’élèves que nous avons testés et
suivis tout au long de cette stratégie, et vu que ce protocole est difficile à
appliquer à un effectif plus élevé, nous avons essayé de montrer que ces
obstacles sont presque généralisés chez plusieurs apprenants. Ainsi, nous
avons passé le premier questionnaire après apprentissage à un groupe témoin
de vingt-cinq autres élèves pour détecter les conceptions qu’ils possèdent
même après apprentissage. Ces élèves ont dû répondre aussi après quelques
mois, au dernier questionnaire, au même titre que le groupe expérimental,
pour identifier les conceptions qui ont persisté.

86
Résultats et interprétations
L’analyse des données nous a permis de repérer treize conceptions-
obstacles très répandues chez les élèves interrogés, dont sept conceptions-
obstacles qui sont liées à la compréhension des mécanismes d’adaptation
des animaux aux milieux arides, cinq liées à la compréhension des
mécanismes d’adaptation des végétaux aux milieux arides, et une
conception-obstacle liée à la compréhension des mécanismes d’adaptation
aux milieux arides aussi bien des animaux que des végétaux. Dans la suite
de cet article, nous allons nous limiter à la présentation des résultats de la
dernière catégorie d’obstacles. La conception obstacle la plus répandue dans
cette catégorie concerne « la nécessité d’un réservoir localisé d’eau chez les
êtres vivants des milieux arides ». Cette conception constitue un obstacle à
la compréhension des constituants de la matière vivante ou de l’organisme
vivant qui contient l’eau dans toutes les cellules et à la compréhension que
la mise en réserve de l’eau n’est pas une stratégie adaptative commune à
toutes les espèces végétales et animales. À partir des idées des élèves eux-
mêmes, nous avons formulé le réseau d’idées suivant :
1 2
Conception-obstacle Concept visé

Tous les êtres vivants des Le réservoir d’eau n’est pas


milieux arides doivent disposer nécessairement localisé chez
de réservoirs pour mettre l’eau les êtres vivants des milieux
arides.
3 4 5
Réseau d’idées Ce que l’obstacle empêche Conditions de possibilité
associées qui explique de comprendre de franchissement
la résistance de l’obstacle l’obstacle
* le lieu de la transpiration * La diversité des * Donner des exemples
correspond au lieu de présence stratégies d’êtres vivants qui
d’eau (bosse du dromadaire, adaptatives. économisent la perte
épines des plantes, feuilles). d’eau sans en mettre en
* Le dromadaire possède un * La composition de réserve.
réservoir pour mettre l’eau l’organisme vivant.
qu’il boit d’un seul coup. * Montrer que l’eau se
* L’olivier par exemple doit trouve dans toutes les
disposer d’un grand réservoir cellules vivantes.
pour mettre l’eau pendant 20
ans.
Figure 1 : Réseaux d’idées qui expliquent la résistance de l’obstacle

87
La figure suivante nous permet de mieux interpréter la résistance de
cet obstacle :

L’eau dans les cellules est On ne voit


Attachement à
absente de la conception pas d’eau
la perception.
sur la constitution de la dans les
matière vivante. cellules.

Projection d’un
Autocentration/Anthro caractère Les animaux
pomorphisme. humain sur l’ensemble comme les
du vivant. végétaux et
l’Homme ont
besoin
Valorisation Eau comme substance d’eau/idée de
vitale raréfiée dans les gourde de
milieux arides. l’Homme.

Figure.2 : Obstacles à la compréhension des mécanismes d’adaptation


des êtres vivants aux milieux arides

Les deux figures ci-dessus nous ont permis d’identifier une


conception obstacle très répandue chez les élèves qui ont participé à
cette recherche, qui est la « la présence automatique d’un réservoir
d’eau chez les êtres vivants des milieux arides ». Le débat a constitué
un espace où les élèves ont pu exprimer leurs propos et leurs arguments.
En se basant sur les arguments des élèves, qui sont assez cohérents entre
eux, nous avons pu identifier l’origine de cet obstacle, qui est
principalement anthropomorphique « l’idée de gourde chez l’homme »
et selon laquelle nous remarquons bien l’aspect valorisant de l’eau
comme substance vitale à préserver, surtout quand elle s’avère rare.
Dépasser cette conception obstacle, consiste à s’attaquer à cet
anthropomorphisme et ses origines, explicitées dans les figures ci-
dessus.

88
Deuxième étude de cas : conceptions-obstacles à
l’apprentissage du concept d’environnement et de la
diversité des êtres vivants par des élèves de l’école primaire
en France
Problématique
Nous proposons dans cette étude d’observer et d’expliquer l’évolution
des conceptions des élèves au travers des choix didactiques de l’enseignant
dans une stratégie éducative critique (Simonneaux, 2011) qui met en place
un débat. L’objectif de ce travail est de déterminer et caractériser l’éventuelle
évolution des conceptions des élèves sur la diversité des êtres vivants sous
l’influence d’un débat mis en œuvre sous forme d’un jeu de rôle dans la
classe pour essayer de déterminer les obstacles aux apprentissages. Les
conceptions de la biodiversité dans son ensemble peuvent être caractérisées,
entre autres, d’anthropocentrée ou d’écolocentrée en fonction des valeurs
qui lui sont attribuées (Maris, 2010). Nous appuierons notre étude sur ces
deux conceptions afin d’envisager si elles peuvent constituer des obstacles à
l’évolution des conceptions des élèves de la notion d’être vivant et du
concept d’environnement après la mise en place d’un débat en classe.
Méthodologie
Pour évaluer l’effet de la situation didactique choisie, nous avons élaboré
un protocole basé sur un pré-test et un post-test absolument identiques
encadrant une séquence intégrant un débat. L’étude a été réalisée dans deux
classes de cycle 3 avec des élèves de 10 ans, elle concerne donc 47 élèves
au total. La séquence d’investigation mise en œuvre concerne l’utilisation
de l’huile de palme dans l’industrie alimentaire. Pour répondre à la question
« pourquoi certains industriels n’utilisent pas d’huile de palme alors que
d’autres le font ? », les élèves ont été conduits, après avoir formulé quelques
hypothèses, à les éprouver en prenant des rôles différents. Ils ont dû
construire des arguments favorables ou défavorables à cette utilisation. Puis,
au travers d’un jeu de rôle où ils ont pris la place des agriculteurs, des
industriels, des écologistes ou des consommateurs, les élèves ont défendu un
point de vue argumenté qui s’appuie sur les documents fournis. Parmi les
arguments élaborés, la question de la diversité des êtres vivants et la
protection de la biodiversité a été évoquée en émettant les hypothèses que la
culture du palmier à huile était nuisible pour les autres arbres qu’il a fallu
couper et pour les animaux qui habitaient les forêts ainsi détruites. Les élèves

89
ont donc été conduits à envisager les effets de cette culture sur la diversité
des êtres vivants, et par conséquent, à définir la notion d’être vivant.
Pour déterminer les conceptions de la notion d’être vivant et de diversité,
les élèves ont été interrogés, individuellement, à partir d’une série d’images
sélectionnées à l’aide de questions ouvertes pour ne pas introduire dans son
répertoire cognitif des connaissances qui ne s’y trouvaient pas. Dans un
premier temps il a été demandé à chacun de choisir l’image où il percevait
le plus d’êtres vivants différents et celle où il les percevait en danger. Dans
un deuxième temps, nous leur avons demandé de choisir l’image qui
représentait le mieux l’environnement. Sur certaines images, seulement des
humains sont présents dans des environnements variés ; sur d’autres images,
d’autres animaux et des végétaux différents sont visibles ou suggérés.
Les réponses des élèves nous renseignent ainsi sur leur conception de la
notion d’être vivant, notion qui a subie une influence didactique puisqu’elle
a dû être travaillée dans le cycle d’enseignement précédent. Pour notre
analyse, nous avons pris en compte la nature des êtres vivants figurant sur
les photos choisies par les élèves. S’ils choisissent des images où seuls des
Hommes semblent présents alors ils n’appréhendent la notion d’être vivant
et de diversité qu’au travers la diversité génétique de l’espèce humaine, leur
conception du vivant est donc anthropocentrée. S’ils préfèrent des images
incluant d’autres espèces animales et végétales alors ils connaissent la
diversité spécifique et leur conception du vivant s’éloigne de
l’antropocentrisme et se rapproche de l’écolocentrisme.
Résultats et analyses
Les réponses obtenues ont été consignées puis comparées pour
déterminer l’évolution des conceptions des élèves de la notion d’être vivant
et du concept d’environnement en tenant compte du fait que certains élèves
maitrisaient déjà les notions évaluées. Nous ne prenons en considération que
les élèves dont la conception du vivant était anthropocentrée lors du pré-test
pour évaluer leur évolution.
Lorsqu’on leur demande, dans le pré-test, de désigner les images où se
trouvent le plus grand nombre d’êtres vivants, 14 % des élèves désignent des
images qui comportent une grande diversité d’espèces vivantes. Notre
analyse se concentrera donc sur les 86 % restants, ceux qui ont une
conception anthropocentrée des êtres vivants. Après la séquence-débat, le
post-test nous donne les résultats suivants :

90
Conception Conception
anthropocentrée des écolocentrée des êtres
êtres vivants vivants
Avant débat (pré-test) 86 % 14 %
Après débat (post-test) 67 % 23 %

Tableau 1 : évolution des conceptions de la notion d’être vivant chez les


élèves interrogés.

La proportion d’élèves qui s’éloignent de la conception anthropocentrée


de la notion d’être vivant vers une conception plus écolocentrée, après le
débat sur l’utilisation de palme, est de l’ordre d’un élève sur trois. Les autres,
malgré la séquence menée et la construction d’arguments basés sur la
disparition de la diversité du vivant, gardent leurs conceptions initiales.
Cet important pourcentage d’élèves, dont les conceptions de la notion
d’être vivant demeurent inchangées, nous amène à penser que
l’anthropocentrisme est un obstacle à l’évolution des conceptions des êtres
vivants chez de nombreux élèves du cycle 3.
D’autre part, nous avons demandé aux élèves de désigner l’image qui
représente le mieux l’environnement. Avec les mêmes critères que
précédemment, nous avons caractérisé leurs conceptions en fonction de la
diversité biologique présente ou suggérée par les images. Les résultats des
pré-test et post-test sont les suivants :
Conception Conception écolocentrée
anthropocentrée de de l’environnement
l’environnement
Avant débat (pré-test) 44 % 56 %
Après débat (post-test) 27 % 83 %

Tableau 2 : évolution des conceptions de l’environnement


chez les élèves interrogés.

Plus de la moitié des élèves ont progressé en abandonnant leur conception


anthropocentrée de l’environnement pour adopter une conception plus
écologique. La séquence-débat envisageait l’environnement sous l’aspect des
relations entre ses composantes, il est donc perçu au travers de la multitude
des liens existants entre ses éléments dont les êtres vivants font partie. Ainsi

91
mise en évidence, la complexité du système a permis de démontrer la diversité
des êtres vivants.
Dans ce cas, nous pouvons être plus réservés sur l’impact de
l’anthropocentrisme comme obstacle à l’évolution du concept
d’environnement.
Cette séquence sur l’utilisation de l’huile de palme incluant un débat sous
forme de jeu de rôle avec des élèves de cycle 3, grâce à la prise en compte de
différents points de vue, a permis la déconstruction - reconstruction du concept
d’environnement pour une majorité d’élèves. La considération de la diversité
des solutions possibles au problème posé, en offrant plusieurs visions de
l’environnement, a déstabilisé le réseau conceptuel des élèves concernés et a
favorisé son appréhension dans la complexité. Par contre cette même stratégie
n’a eu qu’un effet réduit sur l’évolution de la notion de diversité des êtres
vivants. L’effet « obstacle » de l’anthropocentrisme du vivant et de
l’environnement peut être ainsi représenté :

Conception
anthropocentrée
du monde vivant

Obstacle Obstacle
fort léger

CONCEPT
DIVERSITÉ DES D’ENVIRONNEMENT
ÊTRES VIVANTS

Figure 5 : conception-obstacle à l’apprentissage de la diversité des


êtres vivants et de l’environnement

Discussion et conclusion
Les deux études menées et présentées dans le présent texte, montrent
qu’un enseignement favorisant l’interaction langagière entre les élèves

92
et la mobilisation de l’esprit critique, permet l’identification des
conceptions obstacles et leur éventuel dépassement. Ceci rejoint les
travaux didactiques (Schneeberger et al., 2007 ; Orange, 2002 ;
Simonneaux, 2003,…) qui mettent l’accent sur l’importance de ces
stratégies d’enseignement. Ainsi, en sciences, qu’ils appartiennent à des
savoirs stabilisés ou controversés, pour être assimilées, les
connaissances doivent être discutés (Orange, 2002).
Les résultats des deux recherches menées nous ont permis
d’identifier, aussi bien chez des élèves du primaire que du lycée, un
obstacle majeur relatif aux apprentissages liés à la compréhension de la
diversité des êtres vivants et de leurs stratégies adaptatives :
l’antropocentrisme. Cet anthropocentrisme se manifeste d’une part par
un anthropomorphisme, c’est-à-dire une valorisation de tout ce qui a
une caractéristique humaine et tout ce qui est indispensable à la vie
humaine, comme l’eau par exemple ; et d’autre part, par une centration
des élèves sur l’espèce humaine comme principal élément du monde
vivant. Il empêche ainsi les apprenants d’appréhender la diversité du
monde vivant. Ceci rejoint les résultats de travaux didactiques (Astolfi
& Peterfalvi, 1993) qui ont interrogé des concepts écologiques et
d’environnement, comme celui, du milieu par exemple, et qui ont
permis la mise en évidence de ce même obstacle chez les apprenants.
Dépasser cet obstacle d’anthrocentrisme nécessite la mise en œuvre de
stratégies d’enseignement qui ne se limitent pas à l’observation, mais
qui s’étendent à la discussion des possibles et à la négociation de ce qui
fait preuve, permettant ainsi l’exemplification et la confrontation des
données et des arguments contradictoires. La situation de débat est une
de ces stratégies d’enseignement ; testée dans ce travail et dans les
travaux didactiques cités ci-dessus. Elle a prouvé son efficacité en terme
de dépassement d’obstacles et donc d’apprentissage.
En conclusion, ces deux recherches à la fois interprétative et de
signification, viennent enrichir la panoplie de travaux didactiques sur
les obstacles d’apprentissage en lien avec la diversité des êtres vivants
et de leurs stratégies adaptatives, et sur l’efficacité des situations de
débats en classe de sciences pour identifier et dépasser ces obstacles.

Bibliographie
Astolfi, J. P., & Peterfalvi, B. (1997). Stratégies de travail des
obstacles : Dispositifs et ressorts. Aster, 25, 193-216.

93
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94
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Toulmin, S. E. (1958). The philosophy of science,14. Pvt Ltd : Genesis
Publishing.

95
Chapitre 5
Rôle des apprentissages collaboratifs
dans la conception d’artefacts :
2 études de cas en situation de formation

Maria Impedovo et Patrice Laisney

Introduction
La formation des enseignants est de plus en plus dématérialisée par
l’aide de cours en ligne (Impedovo, Said & Brandt-Pomares, 2016). Ces
cours sont reconnus comme constituant une méthode de prestation de
l’enseignement alternatif viable dans l’enseignement supérieur.
L’introduction de la technologie a rendu possibles le renforcement de
l’abandon des formes traditionnelles d’enseignement et la promotion
des formes plus actives de participation de l’apprenant. Par conséquent,
il est important que les systèmes éducatifs pensent des programmes de
formations optimisés par le numérique, pour améliorer l’éducation et
qu’ils conçoivent des formations en ligne. Pour y parvenir, ils peuvent
s’appuyer sur les enseignants-éducateurs, car ces derniers jouent un rôle
important dans la mise en place de pratiques innovantes dans la
formation des enseignants.

L’apprentissage collaboratif
L’apprentissage collaboratif postule que l’interaction entre pairs est
un moment qui génère l’apprentissage. Coopérer ne correspond pas à la
simple division du travail pour que chacun prenne en charge une partie
de la tâche. Etre coopératif ne dépend pas d’une prédisposition
personnelle, mais elle est surtout étroitement liée à la structuration du
contexte et des tâches.

97
Cinq principes sont à la base de l’apprentissage collaboratif dans le
groupe (un minimum de trois personnes, hétérogène à la fois de genre
et de niveau) :
- Positive interdépendance : capacité d’un participant (ou d’un
groupe) pour terminer sa tâche sans l’aide des autres, avec une
planification des tâches et une division détaillée du travail ;
- Fiabilité individuelle : pouvoir compter sur l’engagement de
chacun ;
- Promotion de l’interaction : toutes les activités doivent être
discutées au sein du groupe pour obtenir des commentaires et
des consensus ;
- Former les compétences de collaboration : les élèves devraient
être encouragés à mettre en œuvre des stratégies telles que la
confiance mutuelle, la prise de décision collective, la gestion
des conflits, la communication efficace ;
- Processus du groupe : les groupes devraient définir des objectifs
pour atteindre les meilleurs résultats possibles.
Avec cette activité, chacun devient responsable, non seulement de
son propre apprentissage, mais aussi celui de leurs pairs. Le travail
collaboratif rend possible chez les élèves l’estime de soi, la sécurité,
l’équilibre psychologique et la réussite scolaire. Aussi, il conduit à
percevoir la relativité des points des vues et ainsi la capacité à prendre
différentes perspectives et expériences.

La construction collaborative des artefacts avec le


numérique
Les artefacts sont des éléments de la médiation entre les individus et
le monde, ce qui donne un nouveau sens aux expériences (Impedovo,
Ginestié & Williams, 2017). En effet, ils sont considérés comme les
résultats d’un processus de communication entre le sujet et les autres
autour d’une activité.
Les concepts de médiation et d’artefact sont cruciaux dans la
perspective Vygotskienne. Le concept de médiation postule que les
hommes ne disposent pas d’un accès direct à la réalité, mais qu’ils ont
besoin d’outils de médiation.
La capacité d’influer sur la structure psychologique reste une
fonction essentielle des instruments de médiation, qui sont renommés

98
« artefacts » juste pour souligner le fait que ce ne sont pas des objets
donnés dans la nature, mais sont les « faits » avec « art » et en tant que
tels réfléchir et en même temps façonner les processus mentaux de ceux
qui les ont construits (Impedovo & Andreucci, 2016).
Les artefacts sont « externalisés » sous forme de processus mentaux
et la manifestation de l’activité mentale se déroule sur deux niveaux :
les artefacts effectivement utilisés pour mener à bien une certaine
activité, un niveau psychologique, intériorisé, lorsque l’action devient
la médiation symbolique. D’abord apprendre à utiliser un certain outil,
et par la suite internaliser ; c’est-à-dire par exemple, d’abord l’accent
est mis sur l’apprentissage nécessaire pour utiliser un stylo (pour
écrire), puis nous pensons à l’activité d’écriture sans penser à la façon
dont on utilise le stylo. Autrement dit : les artefacts médiatisent nos
actions sur le monde, et par conséquent déterminent les processus
psychiques.
L’usage des TIC a considérablement renforcé ces pratiques qui sont
devenues courantes grâce à l’usage de l’Internet, à la création de forums
de discussion, de sites dédiés ou de plateformes spécialisées dans ce
type d’échanges (de scénarios de séances, d’activités, de
documentation). L’apprentissage collaboratif soutenu par l’ordinateur
permettent de prolonger et d’étendre les capacités des individus, de les
positionner en tant que coauteurs dans la conception de nouveaux
savoirs. Aussi, la production collaborative des objets de connaissance
collaborative (par exemple, des rapports, des modèles, des wikis ou des
vidéos) permet aux étudiants et au groupe d’externaliser leurs
connaissances (Bruner, 1990). Enfin, la dimension conversationnelle
des échanges au sein des communautés en ligne facilite par ailleurs
l’activation des processus métacognitifs et la négociation de sens relatif
aux concepts à l’œuvre et aux idées en jeu.
L’attention récente dans la conception de cours en ligne a mis
l’accent sur la création d’objets de connaissances pratiques, de
collaboration (par exemple, des rapports, des modèles, des schémas, des
cartes, des chiffres ou des vidéos).

99
Première cas : Collaboration et construction des artefacts
dans l’apprentissage mixte
L’apprentissage collaboratif peut être particulièrement utile dans la
conception des interventions mixtes ou mode dit « blended learning »
(Garrison & Kanuka, 2004). En fait, le scénario pédagogique Blended
Learning (BL) peut inclure des éléments comme les projets
collaboratifs impliquant une interaction sociale ; problèmes ouverts et
complexes nécessitant une enquête et un engagement actif ; objets de
connaissance partagés, en soutenant de tels efforts collectifs
d’avancement des connaissances.
Dans cette section, nous présentons le projet BLTeae « Blended
Learning courses for Teacher Educators between Asia and Europe »
(traduction en français, « Cours d’apprentissage mixte pour les
enseignants en Asie et en Europe ») dirigé par l’Université d’Aix-
Marseille et financé par l’Union européenne pour trois ans (2016-
2019)2. Le projet vise à soutenir le développement professionnel et
éducatif des enseignants. Ce cours BL vise à créer une communauté
collaborative européenne et asiatique capable de réfléchir à
l’enseignement des formateurs avec le support eportfolio et vidéo en
tant qu’instruments réflexifs. L’objectif est d’améliorer les
compétences des formateurs d’enseignants, avec des implications
directes et indirectes sur la qualité des compétences des enseignants. De
cette façon, les formateurs pourront préparer les futurs enseignants en
supposant des rôles multiples et changeants dans leur communauté
d’appartenance. Grâce au cours BL, les enseignants impliqués dans le
projet seront prêts à réfléchir à ce qu’ils ont appris et à réévaluer ces
expériences pour les voir de nouvelles façons qui pourraient suggérer
de nouvelles pratiques, ce qui a un impact sur leur enseignement. Le
projet répond à un problème commun européen et asiatique pour
promouvoir la professionnalisation des enseignants et la révision des
programmes de formation des enseignants. En effet, les groupes cibles
sont des formateurs d’enseignants issus des établissements
d’enseignement supérieur impliqués dans le projet. La nécessité
d’améliorer les pratiques d’enseignement est un élément commun dans
tous les partenaires sélectionnés. À cette fin, nous considérons comme
précieux de fournir et d’équiper les formateurs d’enseignants de

2
Pour plus d'informations sur le projet, visiter le site web : http://blteae.eu/

100
pratiques pédagogiques novatrices. Ce besoin est particulièrement
évident dans les pays asiatiques sélectionnés. Le projet sera réalisé en
étroite coopération avec des partenaires de quatre pays européens : la
France, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, et quatre pays asiatiques :
la Malaisie, le Bangladesh, le Bhoutan et le Pakistan.
Les outils numériques du projet sont principalement les forums et les
vidéos. Les forums encouragent l’utilisation de l’écriture comme outil
de discussion. Ils permettent également d’avoir plus de temps et de
l’espace pour la réflexion - à l’appui de la dimension métacognitive - et
soutenir la valeur créatrice de l’écriture. Les forums permettent aux
enseignants de suivre le processus de discussion, grâce à
l’enregistrement automatique des interventions (Allaire et al. 2013). En
même temps, ils sont également intéressants pour le chercheur qui veut
utiliser ces discussions pour l’analyse de l’efficacité de l’apprentissage
collaboratif (Allaire, 2010). L’utilisation des outils vidéo, en tant
qu’outils de partage pouvant soutenir la réflexion, est une composante
essentielle du développement professionnel des enseignants.
Le projet vise à proposer des modules de formation en ligne sur la
plate-forme Moodle (http://moodle.blteae.eu/). Les cours de formation
se déroulent sur les sujets suivants conçus par le consortium des
universités concernées :
- Résolution de problème et apprentissage par problème ;
- Apprentissage actif ;
- Apprentissage réflexif ;
- Pratiques d’apprentissage mixte ;
- DPI, éthique et droit d’auteur dans l’apprentissage en ligne ;
- Développer les compétences des jeunes enseignants en utilisant
l’analyse vidéo ;
- Apprentissage contextualisé ;
- Analyse de l’outil de soutien ;
- Éducation pour le développement durable ;
- Pratiques d’évaluation ;
- Ressources éducatives ouvertes ;
- Classes inversées ;
- Systèmes de vidéoconférence : enseignement et supervision ;
- Logiciel de discussion et Vote ;
- L’apprentissage hybride ;
- Médias sociaux dans l’enseignement ;
- Les outils numériques pour les enseignants ;

101
- Introduction aux TIC et à la conception de l’apprentissage ;
- Création et utilisation de vidéo pour l’enseignement et
l’apprentissage ;
- La radio en classe.

Les enseignants en formation ou en service peuvent suivre les


modules, participer à des discussions en ligne et participer aux activités
de la plate-forme sur les pratiques professionnelles. Toutes les activités
sont en anglais.
La figure ci-dessous (figure 1) présente l’ingénierie pédagogique du
projet.

Figure 1 : Ingénierie pédagogique du projet BLTeae

L’objectif général est d’explorer la professionnalité des formateurs


au travers de la co-élaboration des artefacts et des connaissances dans
les espaces en ligne. Les questions de recherches générales qui
guideront le processus d’analyse des données sur le projet sont les
suivantes : Comment les formateurs conçoivent et utilisent les artefacts
dans l’environnement en ligne en soutien de leur apprentissage ?
Comment les formateurs organiser des discussions en ligne afin de créer
de nouvelles connaissances sur les pratiques professionnelles ? Cette
recherche (en cours) permet l’identification des dynamiques utiles à la
conception de formations en ligne et des activités qui vont avec.

102
Deuxième cas : Conception collaborative d’objet à l’aide
d’imprimante 3D
Une expérimentation menée en 2015-2016 (Laisney, 2016 ; Laisney
& Hérold, à paraître) a permis d’analyser le processus d’enseignement
apprentissage de la conception collaborative d’objet ayant recours aux
imprimantes 3D. Le rôle des imprimantes 3D utilisées comme moyen
de prototypage rapide a fait l’objet d’une analyse particulière dans le
but d’une meilleure compréhension de l’enseignement de la conception
collaborative en technologie au collège.
Dans l’enseignement de la Technologie au Collège, la conception
recouvre l’ensemble des tâches permettant d’aboutir aux choix
définitifs des solutions satisfaisant aux exigences fonctionnelles et aux
performances attendues. Cette activité constitue la plupart du temps une
réponse à un Cahier Des Charges Fonctionnel (CDCF). Dans cette
perspective, la recherche des solutions est effectuée par les élèves au
cours de tâches de conception (Laisney & Brandt-Pomares, 2015 ;
2016) concrétisées sous la forme de dessins mettant en œuvre des outils
informatisés tels que des logiciels de Conception Assistée par
Ordinateur (CAO) et de prototypage. Enfin, l’évaluation des solutions
doit permettre d’effectuer un choix selon les points de vue des coûts, de
la faisabilité, des risques et de leur combinaison. Ces tâches de
conception effectuées par les élèves alternent des phases individuelles :
appropriations des outils numériques, recherche des solutions ; et
collectives : confrontation et choix des solutions. D’une part, les outils
de CAO permettent d’obtenir un modèle virtuel de l’objet qui s’enrichit
grâce à l’assistance offerte par ces outils aux élèves. D’autre part, les
outils de prototypage rapide (Imprimante 3D) permettent de réaliser un
modèle matériel de l’objet nécessaire à la validation in fine d’une
solution.
La diversité des réponses produites par les élèves est un élément
central du processus d’apprentissage de la conception permettant
d’organiser des confrontations entre eux. Ces confrontations les
amènent à développer une argumentation au niveau des choix de
conception qu’ils ont eu à opérer pour aboutir à leur(s) solution(s). C’est
dans cette confrontation que les enjeux de savoir vont être mobilisés et
seront à l’origine des apprentissages. Cependant, pour qu’il y ait
confrontation, il faut créer les conditions pour que les élèves produisent
suffisamment de solutions variées. Le processus créatif de conception

103
collaborative d’objets, dans une activité d’élèves en classe de
Technologie au Collège, peut être favorisé, par exemple, à l’aide d’un
système informatique d’impression 3D. Les résultats de cette étude
(Laisney & Hérold, à paraître) permettent d’envisager les apports
possibles des imprimantes 3D pour favoriser le processus de recherche
de solution en permettant des « allers-retours » (reconception) entre le
modèle numérique et l’objet fabriqué.
Nous avons testé une ingénierie didactique, communicable et
reproductible. Il s’agissait pour les élèves, à partir d’un CDCF, de
concevoir et de fabriquer une protection pour smartphone à l’aide d’une
imprimante 3D. Les élèves disposaient des outils traditionnels de dessin
(papier/crayon), d’un logiciel de CAO couramment utilisé en
technologie au collège (SolidWorks ou Google SketchUp) et d’une
imprimante 3D (Figure 2).

Figure 2. Exemple d’imprimante 3D

La planification des séances propose une alternance de situations


individuelles et collectives. Chaque séance permet d’envisager les
allers-retours possibles entre chacune des phases permettant
l’élaboration des solutions au problème dans un processus itératif :
- La séance 1 correspond à la phase « d’exploration » : il s’agit pour
les élèves de prendre connaissance collectivement du cahier des charges
initial qui constitue la commande et de procéder individuellement à la

104
recherche de solutions en ayant recours aux outils de dessin
traditionnels (esquisses réalisées « à la main »).
- La séance 2 correspond à la phase de « génération » : après une
première revue collective des esquisses réalisées, les élèves peuvent
revenir sur la définition du cahier des charges initial, le faire évolué et
l’enrichir. Ils poursuivent ensuite individuellement leurs recherches de
solutions à l’aide des outils de dessin traditionnels et du logiciel de
CAO.
- La séance 3 correspond à la phase de « modélisation » : les élèves
réalisent le modèle numérique précis de leurs solutions à l’aide du
logiciel de CAO et les présentent en vue d’un choix.
- La séance 4 : Les élèves finalisent les modèles numériques et les
impriment. Une reconception éventuelle s’en suit pour arriver au choix
définitif.
Ainsi posé, il s’agit d’un problème ouvert sur plusieurs solutions
possibles que les élèves pourront explorer. Dans ce cas, les élèves sont
confrontés aux choix de la forme, des dimensions, de la structure et des
matériaux utilisés. Pour cela ils devront mobiliser des connaissances
relatives aux caractéristiques physiques des matériaux, à leurs procédés
de mise en forme et des capacités liées à l’usage des outils du dessin
traditionnel et de CAO. En partant d’un objet proche de leur
environnement ce problème de conception devrait d’une part susciter
l’intérêt des élèves et d’autre part leur permettre d’élaborer des
solutions nouvelles en innovantes (Figure 3).

Figure 3. Exemples de solutions possibles

Les principaux résultats de cette expérimentation que nous ne


détaillerons pas ici montrent que les outils numériques de CAO

105
associées aux imprimantes 3D permettent de passer rapidement du
virtuel (modèle numérique 3D) au réel (objet matériel fabriqué) ce qui
favorise la phase de modélisation et l’intégration des contraintes du
cahier des charges, Elles contribuent à une recherche de solution plus
large et plus variée, condition nécessaire aux confrontations organisées
dans le cadre d’un apprentissage collaboratif.

Conclusion
Ces deux exemples illustrent l’apprentissage collaboratif dans la
formation dans deux situations d’enseignement apprentissage ayant
recours aux technologies éducatives. Ils permettent de voir comment,
en alternant le travail individuel et collectif, l’apprenant peut en tirer
bénéfices en termes d’apprentissage. Ces deux situations mettent en jeu
des outils numériques différents, en ligne et à distance ou des
imprimantes 3D en présentiel, au service d’activité d’apprentissage
collaboratif dont on peut mesurer les possibilités nouvelles qu’ils
offrent pour enseigner et pour apprendre.

Bibliographie
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multiples facettes de l’engagement social du chercheur œuvrant
dans un contexte d’innovation sociale et technologique.
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transformative au primaire : interventions enseignantes et
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technologie au collège : ébauche de solutions formelles dans le
processus de conception d’une table basse. In C. Marlot & L.
Morge (Eds.), L’investigation scientifique et technologique (pp.
271-287). Rennes.

107
Chapitre 6
Résolution collaborative d’un problème
et apprentissage de la conception :
une étude en technologie au collège

Patrice Laisney

Introduction
En technologie, la conception recouvre l’ensemble de tâches
permettant d’aboutir aux choix définitifs des solutions satisfaisant des
exigences fonctionnelles et des performances attendues. Cette activité
constitue la plupart du temps une réponse à un Cahier Des Charges
Fonctionnel (CDCF) et porte sur l’analyse et le choix définitif du
produit en réponse aux objectifs du CDCF. Une relation étroite est
nécessaire entre conception, fabrication et utilisation afin de pouvoir
intégrer très tôt les techniques associées à ces trois étapes du processus
de création des objets techniques. L’enseignement de la conception
dans le cadre de la technologie au collège en France repose sur la
réalisation par les élèves de tâches collectives à travers la conduite d’un
projet. Cette étude constitue une approche empirique de l’enseignement
de la conception au collège ; il s’agit d’identifier les difficultés que
rencontrent les élèves lorsqu’ils réalisent collectivement une tâche de
conception. Cette analyse doit permettre de caractériser l’activité de
résolution de problèmes du point de vue de la nature des interactions
observées entre les élèves.

Contexte de l’étude
L’étude de l’activité des élèves lorsqu’ils sont confrontés à des
situations de résolution de problèmes de conception dans le cadre de
l’enseignement de la technologie au collège est à l’origine de différents
travaux (Laisney, 2012a, 2012 b ; Laisney & Brandt-Pomares, 2015).

109
Ces travaux ont notamment permis de modéliser l’activité de
conception des élèves et d’envisager le rôle des outils de représentation
graphique (esquisse et modèle numérique 3D) et leur complémentarité
pour favoriser la recherche de solution.
Ces travaux posent la question de l’évaluation des situations
d’enseignement du point de vue de leur efficacité en terme
d’apprentissage. Pour être éclairée, cela suppose de considérer des
situations, des problèmes et des outils spécifiques contingents, mais
permettant néanmoins de contribuer à une meilleure compréhension du
processus d’enseignement-apprentissage de la conception en
technologie au collège. Cette compréhension étant pour nous un
préalable pour évaluer et envisager des situations effectivement plus
« efficaces », voire « efficientes » (Clanet, 2012) que d’autres du point
de vue de l’enseignement et de l’apprentissage.

Apprentissage de la conception en technologie au collège


Tâches de conception collaborative
La conception est au cœur des enseignements technologiques et
« traverse » les programmes de l’école primaire au lycée. Qu’elle soit
considérée comme un point de vue (Deforge, 1985), une étape de la
démarche technologique ou un processus (Lebahar, 2007), la
conception occupe une place centrale et consiste, à partir d’un cahier
des charges, à aboutir à un prototype validé ainsi qu’à la constitution
d’un dossier définissant l’objet. Cette étape se décompose en plusieurs
phases : rechercher des idées et des solutions ; étudier les solutions d’un
point de vue théorique et pratique (essai, maquette) à partir de différents
critères ; étudier et choisir la ou les solutions et communiquer les
solutions à travers un dossier.
Pour Deforge (1990) « dans la phase de conception, les processus
mis en œuvre font appel à l’inventivité, l’imagination, la créativité, le
talent, l’originalité, etc. » et pour Lebahar (2007) la situation de
conception est « un système spécifique que l’on peut définir comme un
complexe d’interactions centrées sur le sujet-concepteur. Certains
éléments de ce système évoluent à différentes échelles de temps. Par
exemple, dans le temps d’un processus de conception, la représentation
de l’artefact évolue à travers différents états intermédiaires (croquis,
schémas, notes écrites, brouillons, maquettes provisoires, avant-

110
projets, modèles réalisés sur ordinateur, études techniques, prototype,
etc.). On peut également faire l’hypothèse, qu’une partie importante de
la compétence d’un sujet-concepteur se construit au fur et à mesure
qu’il conçoit de nouveaux artefacts. » (p. 25).
Il s’agit donc d’un processus mettant en jeu des tâches complexes,
nécessitant du temps et c’est bien ce qui pose problème dès qu’on se
confronte à la réalité du fonctionnement d’une classe.
En France, dans le cadre de l’éducation technologique, il s’agit de
demander aux élèves de reconnaître, éclairer et discuter la réalité des
modèles et concepts à la lumière des projets qu’ils conduisent. Un
enseignement réflexif où les aspects collectifs de l’activité (interactions
entre concepteurs) peuvent être pris en compte (Caelen, 2009 ; Darses,
2009) dans la perspective d’une meilleure compréhension du processus
d’enseignement et d’apprentissage et notamment des difficultés que
peuvent rencontrer les élèves.
Résolution de problème et difficultés d’apprentissage
Simon (1991) assimile l’activité de conception à la « résolution de
problèmes mal définis ». Pour De Vries (1995) : « l’approche par la
conception met l’accent sur les processus technologiques dans lesquels
les élèves doivent résoudre des problèmes non déterminés. » C’est-à-
dire que la conception relève de la résolution de problèmes de type
« ouverts », de problèmes dont l’ensemble des solutions n’est pas connu
d’avance et peut être infini. Dans ce cas, l’élève est confronté aux choix
de la forme, des dimensions, de la structure de l’objet, ainsi que des
matériaux utilisés. Pour autant les situations qu’il convient de proposer
sont encore à définir, car la résolution de problèmes ne se décrète pas
(Ginestié, 2005, 2011). Or dans la réalité du fonctionnement de la
classe, il arrive que le professeur procède par un fort guidage de l’action
indiquant aux élèves ce qu’ils doivent faire pour arriver au résultat,
allant jusqu’à leur indiquer des éléments de solution. Ce qui empêche
toute résolution de problème.
Les situations de résolution de problèmes reposent le plus souvent
sur la mise en œuvre par l’élève de tâches dites complexes. C’est-à-dire
de tâches mettant en œuvre une combinaison de plusieurs procédures
qui elles-mêmes peuvent être simples, automatisées et connues, mais
qui nécessitent l’élaboration par l’élève d’une stratégie propre et non
pas d’une stratégie experte attendue, et qui font appel à plusieurs
ressources. C’est dans cette mise en œuvre que les difficultés

111
d’apprentissage se révèlent, dès lors que l’élève est confronté à une
tâche qui combine la recherche, la découverte, l’exploration empirique
par tâtonnements successifs, voire l’intuition, dans un processus non
linéaire et itératif. Autant de modalités de résolution encore mal
comprises par les spécialistes. Lorsque nous parlons de difficultés
d’apprentissage, nous considérons les difficultés ordinaires
d’apprentissage au sens de Perraudeau (2006) et pas les troubles de
l’apprentissage ou les handicaps. La difficulté est en ce sens une étape
normale de l’apprentissage pouvant recouvrir des causes très diverses
et qui nécessitent une analyse fine pour être comprise. Fabre (1999)
considère la difficulté comme un moteur de la connaissance
indissociable du problème, « elle bloque l’élan de pensée et en même
temps le ravive » (p. 12). Or, l’identification préalable des difficultés
que rencontre l’élève permet de progresser dans la compréhension des
processus d’apprentissage. Concernant les problèmes relevant
spécifiquement de la conception, Fabre ajoute : « Projet, difficulté,
saillance, il faut penser ces trois ingrédients dans la dialectique des
différentes dimensions du problème. » (p. 13).
Pour tenter de comprendre le travail des élèves au regard d’une tâche
complexe, l’élaboration d’une grille d’analyse permet d’identifier les
caractéristiques des composantes en jeu dans la résolution de problème.
À l’instar des travaux de Weil-Barais (2004), nous pouvons dégager
cinq composantes principales :
(i) La composante didactique : qui permet d’identifier la structure du
problème.
(ii) La composante logique : qui regroupent les opérations logiques
de la pensée qu’il faut mobiliser : identifier, ranger, classer, mettre en
correspondance, comparer, déduire.
(iii) La composante cognitive : c’est-à-dire la capacité à traiter
l’information : anticiper l’activité ; sélectionner les données utiles ;
planifier les divers moments de l’activité qui s’engage ; utiliser la
mémoire à long terme si nécessaire ; mobiliser l’attention ; contrôler la
validité des résultats obtenus.
(iv) La composante langagière : qui concerne la compréhension dans
les différents aspects : l’énoncé ; la question posée ; le vocabulaire plus
ou moins spécifique utilisé.

112
(v) La composante sociale : Il s’agit de la situation en elle-même, de
sa proximité avec le vécu réel de l’élève. Il s’agit aussi de la capacité
d’échanger entre pairs, de confronter, de négocier, de s’écouter, de
justifier.
Ces différentes composantes guident notre analyse de
l’enseignement de la conception en technologie.
L’articulation tâche-activité
L’acquisition des savoirs relève de la construction de sens au travers
des situations proposées aux élèves. Cette construction relève de
l’articulation tâche-activité telle qu’elle a été étudiée dans la
psychologie du travail (Leplat & Hoc, 1983). De nombreux travaux
(Collis & Margaryan, 2004) montrent tout l’intérêt de ce paradigme
pour penser les situations d’enseignement dans les domaines
scientifiques et technologiques.
En éducation technologique, les élèves sont confrontés à des
environnements d’apprentissage censés leur permettre de construire
une compréhension du monde à partir des objets, physiques ou
conceptuels, qu’ils manipulent et sur lesquels ils réfléchissent. En fait,
cette construction consiste à donner un sens à ces objets et au monde
qui les entoure. Ce sens est ancré dans une culture. Selon Vygotski
(1997) et Leontiev (1972) notre relation à l’environnement est
médiatisée par des activités. Nous apprenons dans l’action et
précisément à propos des objets techniques, Simondon (1989, p. 107)
pense qu’« il y a plus d’authentique culture dans le geste d’un enfant
qui réinvente un dispositif technique que dans le texte où
Chateaubriand décrit cet effrayant génie qu’était Blaise Pascal. » Cette
approche repose sur une conception de l’activité historico culturelle
telle qu’elle a été développée dans les travaux de la psychologie
soviétique par des auteurs tels que Galperine (1966) et Leontiev (1976)
par exemple.

Analyse d’une situation d’enseignement-apprentissage de


la conception en technologie au collège
Notre analyse des difficultés rencontrées par les élèves au cours
d’une activité de résolution de problème de conception d’un objet
technique (Simondon, 1989) se focalise tout particulièrement sur la
phase de recherche de solutions. L’objet à concevoir est un jeton

113
publicitaire pour caddie de supermarché. Cet objet a été choisi pour sa
facilité de mise en œuvre par des élèves en classe, pour son faible
niveau d’intégration de technologie et pour son degré de familiarisation
avec les élèves. L’analyse de la tâche, de l’activité a priori et de
l’activité observée des élèves à travers cette situation d’enseignement-
apprentissage doit nous permettre d’identifier les difficultés qu’ils
rencontrent au cours du processus de conception de l’objet, depuis la
recherche de solutions jusqu’à la fabrication avec les moyens de la
classe.
Pour analyser l’activité d’un sujet réalisant une tâche, nous
proposons de conduire une analyse de la tâche a priori et une analyse
de l’activité. La première permet de qualifier les présupposés
épistémologiques et leur arrangement pédagogique dans le cadre de la
situation construite par l’enseignant. La seconde permet de caractériser
les éléments de stratégie de résolution de la tâche et d’organisation des
différentes actions ; cette dernière analyse caractérise les dimensions
psychologiques en matière d’apprentissage, notamment afin de prévoir
ce à quoi conduit un choix en termes de logique qui en découle.
Analyse de la tâche donnée aux élèves
Les consignes sont communiquées oralement par le professeur et
données aux élèves au travers d’une lettre qui simule une commande et
d’un cahier des charges. La lettre permet d’exposer la nature de la
demande et le cahier des charges expose les fonctions de l’objet et les
contraintes à respecter. Cette mise en situation est conforme aux usages
en technologie au collège.
Les élèves disposent en outre des documents nécessaires à
l’élaboration des croquis permettant la recherche de solutions et la
représentation finale d’une solution commune. Au niveau matériel, ils
ont la possibilité de prendre des mesures à l’aide de réglets sur quatre
exemplaires de consigneurs partiellement démontés qui sont à leur
disposition.
Selon le dispositif, après la mise en situation par le professeur, la
tâche de conception proposée aux élèves se décompose en quatre parties
organisées de la manière suivante : premièrement la prise en main des
documents et des ressources matérielles par les élèves qui correspond
au temps où les élèves vont pouvoir librement lire le cahier des charges
et observer les consigneurs. Deuxièmement, la recherche et
l’élaboration des solutions par les élèves qui pourront individuellement

114
ou collectivement (à deux, trois ou tous ensembles) produire des
représentations graphiques de leurs solutions à partir de leurs idées.
Troisièmement, le choix d’une solution après la mise en commun de
l’ensemble des propositions élaborées par les élèves. Ce choix devant
se faire à partir d’une négociation argumentée de la part des élèves.
Quatrièmement, la finalisation de la solution (définition,
dimensionnement) en vue de la réalisation de l’objet.
Ainsi posée, cette tâche de conception relève d’un problème plutôt
« ouvert », c’est-à-dire qu’il s’agit d’un problème pour lequel il existe
plusieurs réponses possibles, mais dont l’ensemble des solutions est
relativement limité. L’analyse de la tâche et les propositions de
solutions permettent d’appréhender ce qui est demandé aux élèves, les
problèmes de conception qu’ils sont censés résoudre et l’espace de
liberté qu’ils pourront occuper pour élaborer une solution technique.
Afin de conduire l’analyse de la tâche proposée et ainsi identifier les
savoirs en jeu dans cette situation, leur organisation et les possibles que
cela induit dans la recherche de solutions, trois modèles conceptuels
distincts permettent de délimiter des espaces de problème dans lesquels
les contraintes seront circonscrites, qu’elles soient explicitées ou non
dans l’énoncé de la tâche. Comme de nombreux travaux le montrent
(Chevalier & Cegarra, 2008 ; Ginestié, 2005 ; Lebahar, 2007 ; Rabardel
& Pastré, 2005 ; Weill-Fassina, 1979) la découverte et la gestion des
contraintes dans un espace de problème est un élément essentiel de
construction de la stratégie de réalisation de la tâche. L’activité de
conception peut être étudiée selon trois approches différentes qui ne
sont pas forcément contradictoires. La première rend compte de
l’articulation conception, réalisation et usage, la seconde rend compte
de l’articulation géométrique, technologique et sémiologique lorsque la
troisième rend compte de l’articulation fonctionnement, fonction,
structure, forme, matière. La tâche proposée aux élèves reprenait
partiellement ou globalement des éléments liés à chacune de ces
approches, c’est ce que nous examinons à présent.
La première inscrit la conception dans les organisations sociales du
travail en les étudiants au travers de l’articulation conception,
réalisation et usage. Il s’agit là de rendre compte de la division sociale
du travail qui permet aux objets d’exister. En effet, dans une première
approche, pour pouvoir exister, un objet doit être conçu (imaginé) pour
pouvoir être réalisé avant de pouvoir être utilisé. Cette articulation
permet de comprendre notamment la manière dont l’activité humaine

115
se structure dans la diversité des organisations et des institutions pour,
in fine, permettre à un objet réalisé de rencontrer un usager. Bien
évidemment, des approches plus fines montrent que l’anticipation des
contraintes liées à l’usage dès la conception de l’objet est un des gages
d’efficacité de ce processus. Cette approche rend compte de la division
du travail et donc des différents métiers qui coexistent et s’articulent
entre eux ; elle a largement alimenté la construction d’organisations
scolaires fondée sur la référence à des pratiques sociales. En revanche,
cette approche ne permet pas de faire émerger les contraintes propres à
ce processus de mode d’existence d’un nouvel objet technique.
Dans ce dispositif d’enseignement, les élèves sont confrontés à des
savoirs relevant, selon Rabardel et Vérillon (1987) et Rabardel (1989),
des trois champs notionnels liées à l’activité de conception : la
géométrie, la technologie et le code. Dans la phase d’exploration
(recherche de solution), les élèves sont amenés à représenter
graphiquement leurs propositions de solution. Ces intermédiaires
graphiques peuvent être analysés à partir de ces trois espaces de
problèmes qui organisent l’activité : la géométrie renvoie aux formes et
donc aux propriétés d’apparence des objets, la technologie renvoie à la
manière de réaliser (d’obtenir) ou à la manière d’utiliser l’objet, le code
renvoie à la sémiologie de l’objet. Pour cet auteur, c’est sur cette
articulation entre ces trois espaces de problèmes que se fonde la théorie
instrumentale qui relève que l’activité humaine met en jeu des schèmes
procéduraux (comment je le fais) et des schèmes sémiotiques (pourquoi
je le fais). Nous illustrons plus bas ces champs notionnels au travers des
différents problèmes à résoudre pour élaborer des solutions possibles.
D’autres savoirs sont liés à la situation elle-même qui implique la
coopération entre les membres de l’équipe et l’utilisation d’un
vocabulaire univoque.
Dans ce cas, les élèves devront résoudre des problèmes pour la
plupart liés au raccordement du jeton, de forme circulaire, avec le
support publicitaire, de forme rectangulaire. Ce problème renvoie au
caractère géométrique la représentation du raccordement entre un cercle
et un rectangle, au caractère fonctionnel pour ce qui concerne, d’une
part, le respect des cotations pour assurer le verrouillage du jeton dans
le consigneur et, d’autre part, les quantités de matières nécessaires pour
assurer la résistance en flexion à l’endroit du raccordement entre le
jeton et le support publicitaire ; la prise en compte du rayon d’outil pour
le détourage de la pièce finale induit également des contraintes sur le

116
choix de cet assemblage de formes. En revanche, le choix du matériau
est imposé par le cahier des charges et il n’est fait nulle référence aux
aspects économiques de production de cet objet.
Considérons à présent les savoirs en jeux dans la situation étudiée et
leurs liens avec les champs notionnels :
- Savoirs relevant du champ notionnel « géométrie » : le
raccordement du jeton avec le support publicitaire, problème
plan (2D) ne nécessite pas plusieurs vues pour la représentation,
mais une simple vue en projection de face. Il s’agit de réaliser
le raccordement du jeton (un cercle de Ø 23,5) et du support
publicitaire (un rectangle de 52x35) le tout devant s’inscrire à
l’intérieur d’un carré de 85 mm de côté (Cf. Figure 1).
-

Figure 1. Problème géométrique de raccordement cercle-rectangle

- Savoirs relevant du champ notionnel « technologie » au niveau


fonctionnel : Assurer le verrouillage du jeton dans le consigneur
en prenant en compte la distance minimale entre le centre du
cercle et le bord du rectangle (Cf. Figure 2). Distance D à
déterminer en fonction des dimensions du consigneur.
Déterminer la quantité de matière nécessaire à la résistance en
flexion au niveau du raccordement entre le jeton et le support

117
publicitaire, distance d. Compte tenu du matériau imposé par le
cahier des charges : le PVC, disponible au collège, ses
propriétés en termes de résistance, d’usinabilité et de mise en
forme ne sont pas forcément connues des élèves, mais ils
peuvent tester son comportement, notamment en flexion.

Figure 2. Verrouillage du jeton dans le consigneur

- Savoirs relevant du champ notionnel « technologie » au niveau de


la fabrication : La prise en compte du rayon de l’outil
(raccordement cercle tangent) pour le détourage sur la MOCN
(Machine Outils à Commande Numérique) suppose la
connaissance de ce moyen de production disponible dans le
laboratoire de technologie et déjà mis en œuvre par les élèves
au cours de l’année.
À l’issue de ce travail de recherche et de choix d’une solution, les
élèves produisent le modèle numérique correspondant en utilisant le
logiciel de CFAO et fabriquent le jeton publicitaire à l’aide de la
MOCN. Cette phase de modélisation et de réalisation ne fait pas partie
de notre analyse qui se centre uniquement sur la phase d’exploration et
de génération de solutions. Les élèves sont alors en mesure de tester le
fonctionnement de l’objet sur un consigneur et d’effectuer des actions
correctives de re-conception le cas échéant. La figure 3 propose un
exemple de production attendue.

118
Figure 3. Exemple de production attendue

Dans une deuxième approche, De Vries (2005) porte un regard de


philosophe de l’Éducation Technologique, il s’agit d’une articulation
au sens piagétien du terme dans une construction dynamique qui associe
des champs de signification dans chacun de ces espaces. Les deux
approches de Rabardel et De Vries renvoient une image statique des
objets alors que dans une troisième approche, il s’agit d’analyser les
processus liés aux organisations sociales par et pour lesquelles les
objets existent. Cinq espaces rendent compte de la dynamique de
l’objet. Partant d’une organisation de tâche traditionnelle telle qu’elle
peut être organisée par un enseignant ordinaire de technologie afin de
pouvoir identifier les difficultés rencontrées par les élèves et
caractériser si ces difficultés sont liées à l’épistémologie, à
l’organisation pédagogique ou à la stratégie de résolution des élèves.
Pour cela, nous considérons les cinq espaces suivants : fonctionnement,
fonction, structure, forme, et matière pour lesquels nous déterminons le
domaine de validité des solutions possibles :
(i) le fonctionnement relève de la façon dont l’objet fonctionne
(comment ça marche), d’une manière plus générale, il s’agit de rendre
compte de l’interaction objet-sujet sur à quoi ça sert et comment on s’en
sert. Il s’agit là de décrire les attentes de l’usager, de l’utilisateur, de
l’acheteur (qui peuvent être des personnes sociales différentes).
(ii) La fonction relève de l’agencement fonctionnel qui permet
d’assurer la fonction principale. À ce niveau, il s’agit bien sûr d’une
décomposition de type SADT par exemple qui va permettre de penser
l’objet comme un arrangement ordonné et coordonné de fonctions que
l’on peut élémentariser de plus en plus.

119
(iii) La structure correspond aux organisations matérielles qui
permettent de remplir les fonctions arrêtées.
(iv) La forme définit l’intégration des structures dans des formes
mécaniques, matérielles et physiques.
(v) Le matériau renvoie aux possibles pour réaliser les formes en
intégrant les structures prévues.
Le tableau 1 ci-après propose des solutions avec une qualification du
domaine de validité pour chaque espace.

Solutions Fonction Foncti Struct For Mati


nement on ure me ère
NON NON OUI OUI OUI

OUI OUI OUI OUI OUI

NON NON NON OUI NON

OUI OUI OUI OUI OUI

Tableau 1. Espaces des solutions possibles

Analyse de l’activité des élèves a priori


Le but de cette expérimentation est d’identifier et de caractériser les
difficultés des élèves dans la résolution d’une tâche collective de
conception dans le cadre d’un enseignement de la technologie. Dans
cette perspective, nous proposons d’analyser les évolutions des traces
graphiques depuis les premiers dessins qui relèvent d’une forme de

120
« libre expression » lors de la phase d’exploration jusqu’aux solutions
effectives produites à l’issue de la séquence.
L’enseignant pense laisser aux élèves une grande liberté au départ et
toute son activité d’enseignant va être ensuite de les contraindre à
rentrer progressivement dans une logique fermée qui les conduit à la
solution qu’il a prévue. Ce qui est important c’est donc de repérer le
phasage des différents temps, celui qui est laissé aux élèves pour
échanger entre eux, celui ou l’enseignant dit ce qu’il faut faire, celui ou
il intervient pour réguler... Il s’agit donc d’analyser (i) les traces
graphiques des élèves et leur évolution, (ii) les échanges et donc les
prises de parole des élèves et de l’enseignant, (iii) la prise en compte
des contraintes par les élèves et leur mise en scène dans le dispositif de
l’enseignement, (iv) la nature des échanges.
Nous analysons les productions graphiques que les élèves ont
réalisées et les discours des élèves ont été retranscrits à partir de
l’enregistrement vidéo des séances d’enseignement. Le dispositif
prévoit une première séance d’environ 50 minutes pour l’élaboration de
solutions suivie d’une deuxième séance, une semaine plus tard, de 30
minutes pour la fabrication.
Recueil et analyse des données
Nous avons procédé à une première observation du déroulement
d’un dispositif d’enseignement qui relève de la mise en œuvre par les
élèves de tâches de conception, de type résolution de problème.
L’objectif étant d’analyser ce que des élèves sont capables de proposer
et les difficultés qu’ils rencontrent lorsqu’ils sont confrontés à un
problème de conception tel qu’on peut l’observer en situation
d’enseignement de la technologie au collège.
Le dispositif objet de l’observation a été conçu par un groupe de
professeurs de technologie au cours d’un stage de formation continue
organisé dans l’académie d’Aix-Marseille. Mis en œuvre dans leurs
enseignements par la plupart des enseignants ayant participé à la
formation, un des professeurs a accepté de participer à cette recherche.
Cet enseignant d’un collège des Bouches-du-Rhône a permis de tester
et de valider la faisabilité du dispositif préalablement à la mise en œuvre
d’un dispositif de captation vidéo. La tâche de recherche de solution a
été ensuite proposée à des élèves de 4ème d’un autre collège des
Bouches-du-Rhône, le tableau 2 ci-dessous donne des précisions sur le
terrain où ont été réalisés le pré-test et le test du dispositif observé.

121
Collèges Classement Nature de Niveau Nombre
Académique l’observation d’élèves
Clg A Moyen Pré test 4ème 24
Clg B Favorisé Test 4ème 8

Tableau 2. Le terrain d’observation

Deux équipes de quatre élèves volontaires pour l’expérimentation


constituées de filles et de garçons ont été proposées par le professeur de
technologie habituel à partir d’une de ses classes de 4ème. La première
équipe est qualifiée de « plutôt bons élèves » par leur professeur, la
seconde « d’élèves moyens ». D’autre part, les élèves choisis ont déjà
été confrontés à de telles tâches, dans des conditions matérielles
similaires, mais sans explication préalable concernant la conception
industrielle et sans expérience en matière de dessin technique.
Les données recueillies sur le terrain lors de la mise en œuvre du
dispositif d’enseignement sont de différentes natures. L’essentiel des
données (discours, échanges, gestes…) se trouvent dans les
enregistrements vidéos réalisés lors de la mise en œuvre du dispositif
dans la classe. On ajoute à cela les productions réalisées par les élèves,
c’est-à-dire les dessins que chaque élève a produits, ainsi que la ou les
solutions usinées correspondantes, soit toutes les traces disponibles de
leur activité.
Nous analysons essentiellement les données verbales, les
enregistrements vidéo sont visionnés et les discours des sujets - le
professeur et les élèves - retranscrits. Chaque fois que le texte des
échanges verbaux ne permet pas de rendre compte des difficultés
rencontrées par les élèves, des commentaires sur de la situation, les
gestes, les regards ou les attitudes des sujets complètent les
retranscriptions. Un repérage des différents épisodes permettant le
découpage du dispositif est réalisé à partir d’indicateurs verbaux liés à
l’avancée de l’activité conjointe du professeur et des élèves. Chaque
épisode est identifié comme une action et fait l’objet d’une analyse
quantitative : nombre d’interventions, c’est à dire de phrases
prononcées et nombre de mots prononcés par les sujets ; et d’une
analyse qualitative : nature des interactions (discours, échanges,
gestes…) entre les sujets. C’est notamment à partir de l’analyse de ces
échanges que vont apparaître les difficultés rencontrées par les élèves.

122
Résultats
Planification
La comparaison entre, d’une part, la planification des tâches confiées
aux élèves et prévue par l’enseignant et, d’autre part, l’organisation
chronologique des activités telle qu’elle s’est mise en place dans la
classe montrent que le déroulement des séances est similaire pour les
deux observations. L’analyse des résultats met en évidence que
l’enseignant s’efforce, comme dans une situation traditionnelle, de
respecter sa planification en guidant la tâche des élèves la plupart du
temps. Néanmoins, chaque imprévu ou difficulté que les élèves
rencontrent et que l’enseignant n’a pas anticipée, donne lieu à des
ajustements, des prises de décisions, qui peuvent varier en fonction du
groupe d’élèves. Par exemple dans la deuxième observation, à la fin de
la première séance l’enseignant ne peut pas organiser de mise en
commun pour confronter les différentes solutions élaborées par les
élèves, car le groupe a progressé ensemble dans l’élaboration d’une
solution unique. Cela montre qu’il existe bien un espace de liberté pour
les élèves qui leur permet d’effectuer effectivement une recherche de
solution conduisant à des négociations et des prises de décisions qui
peuvent être différentes d’un groupe d’élève à l’autre, et cela malgré le
guidage de l’enseignant. Nous avons donc à faire dans cette situation à
une activité qui relève bien de la conception telle que nous l’avons
défini.
Dessins élaborés
L’analyse des dessins élaborés par les élèves des deux groupes
montre qu’au final il n’y a pas de différence importante. Le résultat de
l’activité des élèves n’est pas significatif des variations possibles dans
les solutions à un problème de conception. Dans ce cas qui relève d’un
problème plutôt fermé, nous savons que l’espace des possibles est
restreint. En pages suivantes, les figures 4 à 5 illustrent les traces écrites
des solutions élaborées par les élèves dans les deux séquences
observées que nous analysons.

123
Élève E1

Élève E2

Élève E3

Figure 4. Solutions élaborées (Observation 1)

124
Élève E1 Élève E2

Élève E3 Élève E4

Figure 5. Solutions élaborées (Observation 2)

Difficultés rencontrées par les élèves


L’analyse des retranscriptions a permis l’identification des
difficultés rencontrées par les élèves. Elles montrent de nombreuses
similitudes dans les deux observations. C’est bien la situation elle-
même qui confronte les élèves à ces difficultés. Elles concernent les
éléments suivants :
(i) La prise en compte des contraintes du cahier des charges :
Nous illustrons ici avec des extraits de ces retranscriptions, les
difficultés rencontrées par les élèves pour tenir compte des contraintes
du cahier des charges lors des deux observations. La redondance des

125
moments où apparaissent ces difficultés montre que cette question n’est
jamais réellement réglée. Le professeur doit revenir régulièrement à
l’expression des contraintes données dans le CdC et doit amener les
élèves d’une part à leur compréhension et d’autre part à leur prise en
compte.
Lors de la première observation, le professeur intervient à plusieurs
reprises pour rappeler aux élèves la nécessité de prendre en
considération le cahier des charges. Les élèves ont des difficultés à
interpréter certaines contraintes du cahier des charges. Par exemple
dans l’épisode 3 un élève demande au professeur :
E3 : « On ne peut pas un peu le modifier le… » (Il montre le
consigneur)
Dans l’épisode 6 un autre élève :
E1 : « Est-ce qu’on peut mettre un autocollant sur ça ? » (Il
montre le consigneur).
On retrouve à plusieurs reprises des questions de la part des élèves
(Épisodes 3, 4, 6, 7 et 8) qui montrent les difficultés qu’ils rencontrent
pour prendre en compte les contraintes du cahier des charges. Le
professeur intervient pour les amener à relire le CdC, par exemple dans
l’épisode 6 :
P : « Là, en tous les cas le cahier des charges dit qu’on ne fait
rien sur le consigneur. »
Lors de la deuxième observation, le professeur intervient là
encore à plusieurs reprises pour rappeler aux élèves la nécessité
de prendre en considération le cahier des charges. Les élèves ont
des difficultés à interpréter certaines contraintes du cahier des
charges (Épisodes 2, 4, 6, 8, 10 et 13). Par exemple dans
l’épisode 4 :
P : « Alors que dit le cahier des charges ? » (S’adressant à tous)
E4 : « Que le chose doit être plus gros que le jeton ! »
P : « Non, il ne dit pas ça… »
E4 : À bon !
Les élèves ont également des difficultés à envisager ce que le cahier
des charges et ses contraintes laissent comme espace de liberté pour
élaborer des solutions. Les contraintes sont plus des limitations, des

126
entraves qui ne leur permettent pas de voir ce qu’il est possible de faire.
Là encore le professeur doit susciter de leur part une autre façon de voir
et d’utiliser ces contraintes (Épisodes 2 et 4). Dans l’épisode 2 le
professeur rappelle :
P : « Regardez un peu les contraintes qu’on vous donne et ce
qu’il est possible de faire. »
Pour conclure, on observe à travers les difficultés révélées dans ces
extraits des formes de falsification du cahier des charges et de ses
contraintes où les élèves ignorent, explicitement ou non certaines et
prennent en compte d’autres.
(ii) L’expression et la communication avec les autres :
Les extraits des retranscriptions illustrent aussi les difficultés que
rencontrent les élèves pour communiquer les uns avec les autres élèves
lors de la première observation.
L’absence ou le manque de maîtrise d’un vocabulaire adapté conduit
les élèves à faire des gestes pour exprimer leur idée (Épisode 5) :
E4 : « Parce que moi je pensais au début laisser le jeton… faire
le jeton, mais à la fin comme si on le tenait (accompagné d’un
geste comme pour saisir le prolongement du jeton) ça faisait la
publicité… »
Ce qui rend les échanges difficiles entre les élèves qui s’adressent le
plus souvent au professeur (Épisodes 5 et 13). Comme le montre la
deuxième observation, le professeur doit organiser la confrontation par
la médiation et la tutelle ou en laissant les élèves interagir sans
intervenir. Ainsi le travail de groupe produit des interactions à l’origine
de confrontations efficaces sur le plan des apprentissages. Par exemple
dans l’épisode 10 :
E2 : « On peut essayer de faire comme ça, enfin en pointu et
arrondi. » (Il montre sur son dessin)
E3 : « Mais ça va faire énorme ! »
E2 : « Mais non ! Parce que ça va être carré, je veux dire, ça va
être à peu près comme ça. » (Il montre avec les mains la
dimension)

127
Là encore, l’absence ou le manque de maîtrise d’un vocabulaire
adapté conduit les élèves à faire des gestes pour exprimer leur idée
(Épisodes 3, 8, 10, 11 et 13). Par exemple dans l’épisode 8 précédent :
E2 : « Mais non ! Parce que ça va être carré, je veux dire, ça va
être à peu près comme ça. » (Il montre avec les mains la
dimension)
Ou l’épisode 11 :
E3 : « On la laisse comme ça. Tu la rentres comme ça. » (Il fait
un mouvement de vertical de haut en bas pour montrer comment
se range la carte)
(iii) La représentation de l’objet en dessin et schéma :
Les extraits des retranscriptions illustrent aussi les difficultés
rencontrées à plusieurs reprises par les élèves pour représenter leurs
idées à l’aide de dessin ou de schéma, lors de la première observation.
Dans la première observation, les épisodes 8, 9, 10, 11 et 16
traduisent la difficulté rencontrée par les élèves pour coter leurs dessins.
Par exemple, dans l’épisode 8 :
E3 : « Ça fait combien ça ? »
P : « Normalement ça fait 23,5 mm, vérifie… »
E3 : (E3 prend un réglet et mesure le jeton sur sa feuille) « Ça
fait 23,5 ! »
E2 : « Il faut compter en mm ? Ça je ne connais pas les mm ! »
De la même manière, dans la deuxième observation, les épisodes 3,
4, 6, 8 et 11 traduisent cette difficulté. Le dimensionnement n’est réalisé
que parce que le professeur sollicite les élèves. Par exemple dans
l’épisode 4 :
P : « Alors, OK, maintenant essayez de commencez à mettre des
dimensions, parce que rappelez-vous, il y a des contraintes
dimensionnelles à respecter. Par exemple là, sur ton dessin
(montrant le dessin de E1) qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas sur
ton dessin ? »
E4 : « Les dimensions. »
E3 : « La languette, elle est plus petite que le rond ! »

128
De plus, la perception des dimensions réelles de l’objet semble
être disproportionnée pour certains élèves (Épisodes 4, 6, 10 et
11). Par exemple dans l’épisode 10 :
E2 : « On peut essayer de faire comme ça, enfin en pointu et
arrondi. » (Il montre sur son dessin)
E3 : « Mais ça va faire énorme ! »
E2 : « Mais non ! Parce que ça va être carré, je veux dire, ça va
être à peu près comme ça. » (Il montre avec les mains la
dimension)
Malgré ces difficultés, qui occupent une part importante de l’activité
des élèves, tous ont produit des dessins (Cf. Illustrations 9 et 10) qui ont
évolué tout au long du processus de recherche de solutions pour arriver
à une ou plusieurs propositions. Aucun élève n’a évincé cet outil de
représentation, favorisant la plupart du temps les interactions entre les
élèves ou avec le professeur.
(iv) L’argumentation des choix :
Les extraits des retranscriptions illustrent aussi les difficultés des
élèves pour argumenter les choix qu’ils sont amenés à faire pour
élaborer leurs solutions, lors de la première observation. La mise en
tension ne se fait que par la présence du professeur qui organise le débat
entre les élèves (Épisode 15 de la première observation et 13 de la
deuxième). Nous pouvons mettre en lien ces difficultés
d’argumentation avec les difficultés d’expression et de communication
déjà évoquées. Par exemple dans l’épisode 15 :
P : « Là ma question c’est : est-ce qu’il vaut mieux réfléchir sur
ça (désignant la solution de E4) ou sur sa solution avec les deux
jetons (la solution de E3) ? À votre avis ? »
E2 : « C’est un peu pareil ! »
P : « C’est un peu pareil, sauf que… quoi ? Qu’est-ce qu’il y a
qui change ? »
E2 : « Le jeton. »
E1 et E4 : « Là il y a un jeton en plus. »
P : « Là vous avez un objet qui en fait a deux positions
possibles. »

129
E4 : « Mais aussi comme il y a les deux dans un, si on le perd,
on perd les deux en même temps. »
P : « Oui, c’est le même objet de toute façon ! Si tu le perds, tu
perds l’objet. »
E3 : « Mais si on en casse, si on en plis un de jeton, on peut se
servir de l’autre côté. »
P : « Oui, c’est un argument, mais si vous voulez respecter le
cahier des charges « à la lettre » dans le cahier des charges est-
ce qu’on vous dit qu’il faut mettre deux jetons ? »
Es : « Non. » (Réponse collective)
Cet extrait montre l’articulation entre la prise en compte des
contraintes déjà identifiées comme une difficulté pour les élèves et
l’argumentation des choix qui ne se fait qu’avec l’intervention du
professeur qui organise cette discussion pour essayer de les mettre en
tension.
(v) Les situations de blocage :
Au tout début du processus de recherche de solutions (Épisode 6 de
la première observation), les élèves tentent d’éviter la confrontation au
problème et adoptent facilement la solution élaborée par un autre élève.
E1 et E2 ont du mal à proposer une solution malgré de nombreux
échanges (chuchotés) et commencent à adopter l’idée de E4.
P : « Alors ? Que pensez-vous de son idée ? »
E2 : « Elle est bien ! »
L’épisode 2 de la deuxième observation illustre aussi cette
difficulté :
E3 : « Mais ce n’est pas possible, ils ne peuvent pas dire que le
jeton fait 23,5 et la publicité 52 par 35 ? »
E1 : « Il faut chercher ! »
P : « Débattez de cela entre vous ! Regardez un peu les
contraintes qu’on vous donne et ce qu’il est possible de faire. »
E2 : « Monsieur, dans la lettre ils disent que le jeton… en fait il
faut voir la publicité sur le jeton quand on le met dans le
consigneur ? »

130
P : « Oui. »
E2 : « Mais le problème c’est que dans les contraintes ils disent que
le consigneur on ne peut pas le changer ! Mais on ne peut pas le voir
alors le truc, il faut le… »
P : « Et bien c’est là tout le problème ! »
E2 : « Ah, c’est ça qu’il faut trouver… le problème… »
Là encore, les élèves tentent d’éviter la confrontation au problème en
essayant de montrer que la tâche est impossible à réaliser et exploitent des
données censées être contradictoires ou incompatibles. On retrouve là
encore une forme de falsification des contraintes permettant aux élèves de
contourner le problème dans une stratégie d’évitement.
(vi) Les impasses de conception :
Les extraits des retranscriptions illustrent enfin la difficulté que
représentent pour les élèves l’exploration d’idées qui ne peuvent pas se
traduire par l’élaboration de solutions au problème.
Certains élèves proposent des solutions qui se révèlent être des impasses
(Épisodes 5 et 7). Par exemple dans l’épisode 7 :
E4 : « Mais on ne peut pas coller le jeton sur le truc ? » (E4 insère
un jeton dans le consigneur et montre au professeur)
E4 : « On met le jeton là et on peut le mettre là. »
P : « Et ça fait quoi de la coller ? Je ne vois pas le… ? »
E4 : « Mais là dessous… »
P : « Pourquoi tu veux le coller ? »
E3 : « Mais tu ne peux pas parce ça fait 3,5 et que ça rentre pas ici. »
E4 : « Ah oui, ce n’est pas bête ! »
Même après avoir été invalidé par les élèves eux-mêmes, ces solutions
sont de nouveau envisagées (Épisode 5 et 9). Dans l’épisode 5 l’élève E1
propose une solution qui consiste à positionner le support publicitaire sur la
tranche du jeton. Cette solution s’avère impossible compte tenu des
dimensions minimales imposées par le CdC :
E1 : « Tu le mets autour, tu le vois. » (Il montre la tranche du jeton
inséré dans le consigneur)
E4 : « Mais il faut que ce soit bien voyant quand même ! »

131
E3 : « Tu ne crois pas que les gens vont faire comme ça pour voir la
publicité ! » (Il penche la tête)
E2 : « Tu imagines quand ils font les courses ! » (rires)
E1 : « Bon… » (Il quitte le consigneur sur la table, désabusé)
Dans l’épisode 9 ce même élève (E1) envisage de nouveau cette
solution et propose d’augmenter l’épaisseur du jeton pour recevoir
l’espace publicitaire :
E1 : « On peut garder la même dimension et la grossir… »
P : « Le tout c’est que ça décroche un chariot ! »
E1 : « On peut grossir le jeton alors ! »
E3 : « Non, on n’a pas le droit parce que ça rentre plus dedans
après ! »
P : « Ça dépend, où tu veux le grossir ? »
E1 : « Au lieu que ça soit fin on le grossi un petit peu pour
qu’après… »
E3 : « Deux mm, c’est écrit dedans… » (Il fait référence au CdC)
P : « Si tu me trouves une solution pour épaissir ! Mais je ne sais pas
trop comment tu vas faire ? Je ne comprends pas bien ce que tu veux
dire ? Mais vas-y, va au bout de ton idée… »
E3 : « Il ne veut pas faire 2 mm, il veut faire plus grand ! »
P : « La première question c’est pourquoi ? Et ensuite la deuxième
c’est comment ? »
E3 : « Pour mettre le motif [la publicité] autour. »
E1 : « Voilà pour mettre le motif [la publicité] sur le truc, mais il
faudrait beaucoup le grossir ! »
E2 : « Mais ça sert à rien, les gens quand ils font les courses, ils n’ont
pas que ça à faire que de regarder autour ! »
E4 : « S’il y a un truc qui sort c’est voyant ! »
E3 : « Il faut réfléchir ! »
Pour autant, dans cette situation même si les impasses de conception
conduisent à un blocage des idées pour un élève, elles permettent
néanmoins aux autres élèves de l’équipe de poursuivre le processus de

132
recherche. Il semble que ces impasses permettent collectivement aux
élèves d’abandonner certaines pistes en procédant par réduction
d’incertitude.

Conclusion
Dans la perspective d’une meilleure compréhension des processus
d’enseignement-apprentissage relatifs aux situations de conception
d’objets par des élèves en technologie au collège, nous avons réalisé
une analyse d’un dispositif d’enseignement. À partir d’un dispositif
existant conçu dans le cadre de la formation continue d’enseignants de
technologie et mis en œuvre dans la classe, nous avons identifié des
difficultés auxquelles sont confrontés les élèves lorsqu’ils effectuent
des tâches de conception. Nous avons vu que ces difficultés, peuvent
avoir plusieurs causes. Elles peuvent relever d’obstacles
épistémologiques ou d’obstacles didactiques voire psychologiques. Les
premières étant nécessaires à l’apprentissage et les secondes de nature
à entraver l’activité. Dans cette étude, nous supposons que l’efficacité
escompter des situations d’enseignement apprentissage repose sur
l’identification et la prise en compte de ses difficultés. L’analyse des
données relatives à ces observations permet de tirer deux principaux
résultats.
Un premier résultat porte sur l’identification de la nature même de
ces difficultés. Nous avons identifié des difficultés pour les élèves (i)
dans la prise en compte des contraintes du cahier des charges, (ii) dans
l’expression et la communication avec les autres, (iii) dans la
représentation de l’objet en dessin et schéma, (iv) dans l’argumentation
des choix, (v) dans les blocages qu’ils rencontrent et (vi) dans les
impasses qu’ils empruntent au cours du processus de recherche de
solutions. Ces difficultés en lien avec les enjeux de savoir
(épistémologiques) ont émergé de nos analyses au travers des
interactions entre les élèves, sous la forme de verbalisations et de traces
graphiques, que nous avons analysées
Un second résultat porte sur la permanence de ces difficultés. Nous
avons montré sur ces deux observations, avec deux groupes d’élèves
différents, que l’activité produite, quelle que soit l’attitude des
individus et notamment le nombre d’échanges, était toujours en lien
avec le franchissement de difficultés communes. Nous pouvons dire
que dans cette situation, les difficultés auxquels sont confrontées les

133
élèves ne varient pas d’un groupe d’élève à l’autre, elles sont de même
nature et méritent donc d’être mises à l’étude en prolongement de ce
travail.
Dans cette perspective, des travaux ont été conduits pour approfondir
d’une part le rôle des représentations graphiques et des outils (Modeleur
3D et Imprimantes 3D) permettant de les réaliser (Laisney, à paraître ;
Ndiaye, Hérold, & Laisney, 2016, 11 -13 novembre, 2017, 15 -17 mars)
et d’autre part pour proposer des situations « efficaces »
d’enseignement apprentissage de la conception d’objet technique en
technologie au collège (Laisney & Brandt-Pomares, 2016).

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136
Chapitre 7
Facteurs émotionnels et motivationnels dans les
processus d’enseignement-apprentissage

Victoria Prokofieva et Jean-François Hérold

Aperçu des recherches sur l’interférence des émotions


avec le processus d’apprentissage
Jean Piaget considérait que l’affect et la motivation sont des facteurs
indispensables au fonctionnement et au développement intellectuel de
l’enfant. Ainsi, pour lui, même s’il n’y a pas de mécanisme cognitif sans
élément affectif, inversement, il n’y a pas non plus d’état affectif sans
élément cognitif (Piaget, 1989). Ainsi, dans ses travaux, il introduit la
notion d’affectivité qui contient, selon lui, deux types de phénomènes :
les sentiments (ou les « émotions ») et les diverses « tendances
supérieures », notamment, la volonté. Piaget postulait que l’affectivité
et l’intelligence sont en constante interaction et que le rôle de
l’affectivité peut se révéler « double » : elle peut soit accélérer, soit
perturber les apprentissages.
Suite aux travaux de Piaget et pendant longtemps, la plupart des
théories d’apprentissage ont été élaborées sur la base d’une distinction
entre émotions et cognition, voire d’une non prise en compte du rôle
des émotions sur la cognition.
Le vrai tournant dans la prise en compte du rôle des émotions dans
l’apprentissage est effectué quand Goleman en 1995 introduit le
concept de l’intelligence émotionnelle. Plus tard, Mayer et Salovey
(1997), Shelton (2000), avancent le terme de compétence émotionnelle,
comme étant une habilité à percevoir, à comprendre et à réguler les

137
émotions. Selon ces auteurs, la compétence émotionnelle peut faciliter
l’apprentissage. Dans le même sens, Postle (1993) souligne que
l’incompétence émotionnelle peut inhiber l’apprentissage.
Pour les sciences cognitives qui ont pour objet l’apprentissage de
connaissances et les mécanismes associés, il y a maintenant consensus
sur le fait que l’individu est caractérisé par trois ensembles de facteurs :
les facteurs cognitifs, les facteurs conatifs et les facteurs affectifs (Reed,
2011). Les facteurs cognitifs (la mémoire, l’attention, le langage,
l’interprétation des situations, les fonctions exécutives) concernent les
connaissances et les processus mentaux qui permettent à un individu
d’acquérir, de traiter, de stocker et d’utiliser des informations ou des
connaissances, notamment, dans la prise de décision ou la résolution de
problèmes. Les facteurs conatifs sont d’ordre motivationnel, liés au but
d’accomplissement (estime de soi, sentiment de l’efficacité
personnelle, but de performance, but d’apprentissage). Les facteurs
affectifs relèvent des émotions ressenties par l’individu et susceptibles
d’affecter son comportement : plaisir, joie, tristesse, etc. (NKambou,
Delozanne et Frasson, 2007). Ainsi, dans la conception actuelle de la
psychologie des apprentissages, l’apprentissage est vu comme un
processus complexe, avec une dynamique temporelle, mettant en jeu
des éléments d’ordre cognitif, métacognitif, motivationnel et
émotionnel, éléments qui sont en interaction réciproque et de façon
continue (Crahay et Dutrévis, 2015). De nombreuses recherches ont
ainsi mis en évidence l’impact des émotions sur l’apprentissage et leur
influence dans la mise en œuvre de certains processus cognitifs
(Boekaerts, 1993 ; Pekrun, Goetz, Titz et Perry, 2002). Par contre, seuls
quelques travaux ont étudié les états affectifs, émotionnels et
motivationnels en contexte académique (Pekrun et al., 2002 ;
Linnenbrink, 2006).
Schutz et De Cuir (2002) identifient dans la littérature trois niveaux
d’analyse des états affectifs en contexte scolaire : en termes de
structure, de processus et de contexte socio-historique. Schutz et ses
collègues (ibid.) portent leur attention sur la régulation émotionnelle en
contexte d’évaluation, tandis que Pekrun et al. (2002) s’intéressent aux

138
émotions dites « académiques », c’est-à-dire les émotions qui sont
induites par l’activité réalisée en classe. Meyer et Turner (2006)
considèrent les émotions ressenties par les élèves et l’enseignant en tant
que processus. Op’t Eynde et Turner (2006) proposent de définir les
émotions en termes de systèmes dynamiques et de prendre en compte
les facteurs personnels et socio-historiques afin de mieux comprendre
les émotions des individus (élèves et enseignants) en contexte
d’interaction à école.
De nombreux chercheurs soulignent l’importance de l’influence des
situations stressantes (qui activent les états d’anxiété) sur les
mécanismes de la cognition, affectant les processus de perception,
d’encodage et de rétention en mémoire de l’information apprise
(Pekrun, 1992 ; Tardif, 1999). D’autres soulignent le fait que les affects
peuvent altérer la façon dont l’information est stockée en mémoire,
mais aussi comment l’information est traitée et comment la personne
aborde la situation nouvelle (Bless, 2000 ; Forgas, 2000 ; Fredrickson,
1998). Tobias (1992) insiste particulièrement sur l’impact prépondérant
des états émotionnels négatifs (anxiété, angoisse, inquiétude) sur
l’étape « post-processing » qui correspond au transfert et à l’utilisation
des connaissances apprises et des compétences chez les élèves.
La plupart des chercheurs reconnaissent que les émotions, induites
ou non, contenues dans la tâche scolaire, influencent les performances
de l’élève (Pons, de Rosnay et Cuisinier, 2010 ; King, Ritchie, Sandhu
et Henderson, 2015). Cependant, le consensus n’est pas encore trouvé
au sujet de la nature de cette influence. Ellis et Moore (1999), par
exemple, parlent de l’impact négatif des émotions à deux valences
(positives et négatives) sur les capacités attentionnelles lors de
l’exécution d’une tâche difficile. Selon d’autres chercheurs, certaines
émotions peuvent avoir une influence positive sur la performance
scolaire, car une émotion active mobilise et motive le déploiement de
son attention (Fiedler et Beier, 2014, par exemple). Ainsi, la nature de
l’impact sur la performance de l’élève selon la valence de l’émotion,
positive ou négative, n’est pas encore bien définie.

139
Il est opportun de noter que le rôle de la motivation a été développé
dans de nombreux travaux et est présenté comme étant directement liée
aux états affectifs et cognitifs (Bandura, 1986 ; Reuchlin, 1990). Tout
en prenant en compte la distinction entre la motivation intrinsèque, qui
correspond à l’intérêt et à l’inspiration internes de l’individu, et la
motivation extrinsèque qui est mobilisée par une récompense extérieure
à la personne (Lieury et Fenouillet, 2013), on soulignera, également, le
rôle que jouent dans l’apprentissage certaines composantes de la
motivation, telles que le sentiment d’efficacité personnelle (Bandura,
1994) ou le but d’accomplissement. Le sentiment d’efficacité
personnelle ou académique se réfère à la perception par l’étudiant de
ses capacités, de son efficacité à bien faire, dans une matière particulière
(Marsh, 2006) ou à « la croyance que possède l’enfant en ses capacités
à mener à bien son métier d’élève » (Masson et Fenouillet, 2013). Le
but d’accomplissement renvoie à l’objectif que l’élève poursuit en
s’engageant dans les apprentissages scolaires qui peut être fixé soit sur
la performance afin de prouver ses capacités, soit sur l’apprentissage
dans l’objectif de gagner en compétence. Les travaux en psychologie
de Dweck et Legget (1988) ont clairement montré que l’élève qui
poursuit le but d’apprentissage sera plus intéressé par une tâche difficile
et fournira plus d’effort en cas d’échec, alors que l’élève fixé sur la
performance sera plus fragilisé par l’échec qu’il attribuera au manque
de capacités intellectuelles plutôt qu’aux efforts insuffisants fournis et
aura une tendance à éviter les tâches complexes et difficiles. De tels
élèves seront le plus souvent des sujets développant des traits et des
symptômes émotionnels négatifs tels que le stress et l’anxiété
d’évaluation.
Traditionnellement, la plupart des études des états affectifs en
situation scolaire portent sur le rôle des émotions négatives sur
l’apprentissage (Pekrun, Frenzel, Goetz et Perry, 2007), et, plus
particulièrement, sur l’influence négative de l’anxiété, notamment due
à la pression de la performance dans les situations d’évaluations et/ou
d’examens ; ces états affectifs sont alors regroupés sous le concept
d’anxiété d’évaluation (Sarason, 1984 ; Wigfield et Eccles, 1989 ;

140
Segool, Carlson, Goforth, von der Embse et Barterian, 2013) ou
l’anxiété liée à une discipline particulière, telle que l’anxiété des
mathématiques, qui est en lien avec le phénomène de stéréotypes de
genre. Ces multiples phénomènes négatifs peuvent créer chez l’élève le
stress scolaire.

Un exemple du phénomène émotionnel négatif à l’école :


le stress scolaire
Bien qu’il n’existe pas dans la littérature éducative de définition
claire du concept du stress scolaire, ce phénomène regroupe au sens
large les états affectifs négatifs qui peuvent se manifester chez les
élèves à l’école. De façon générale, la littérature sur le stress en milieu
scolaire recouvre plusieurs phénomènes liés à l’école et à la situation
d’apprentissage (Lassarre, 2001).
Les causes de tension y sont multiples et peuvent être suscitées par
de nombreux facteurs : physiologiques, pédagogiques, socio-
psychologiques, tels que, entre autres, les charges scolaires, les
relations avec l’enseignant, le jugement des pairs, les exigences des
parents ou même divers tracas quotidiens (« daily hassles ») dans des
domaines variés qui peuvent affecter l’apprentissage : école, famille,
pairs, avenir, etc. (Elias, 1989 ; de Anda, 2002 ; Dumont, Leclerc et
Deslandes, 2003).
Selon la plupart des recherches, le stress scolaire influence les trois
variables de l’environnement éducatif de façon assez égale :
l’adaptation émotionnelle des élèves, leur comportement et leur
performance académique (Kaplan, Peck, et Kaplan, 1994 ; Kaplan, Liu
et Kaplan, 2005). Ces variables sont articulées au sein de
l’environnement scolaire, et leurs interactions concernent tous les
acteurs de la communauté éducative : les élèves, les enseignants, les
éducateurs, mais aussi les parents.
Les recherches montrent dans leur ensemble que le progrès
académique est souvent affecté à la fois par le stress scolaire (« school-
realted stress ») et par la pression que les élèves se mettent eux-mêmes

141
vis-à-vis des résultats ou de l’anxiété qu’ils perçoivent chez leurs
parents, leurs éducateurs et même leurs pairs (Zakari, Walburg et
Chabrol, 2008). La relation élève–enseignant ou élève-élèves (conflits
interpersonnels, harcèlements, etc.) peuvent créer du stress chez les
élèves. Néanmoins, la pression perçue par des élèves venant des
enseignants constitue une des causes les plus importantes du stress
scolaire par rapport à d’autres types de pression venant des parents ou
des pairs (ibid). D’autres causes majeures, révélées par toutes les
études, sont le stress face à la pression de la performance, la charge
scolaire et les problèmes liés à l’apprentissage.
Elkind (1986) définit les catégories suivantes des sources du stress
chez les adolescents : celles prévisibles et évitables (la consommation
de drogues, la délinquance), celles imprévisibles et inévitables (la mort
des proches, les maladies) et celles prévisibles et inévitables (les
contrôles et les évaluations). L’échec à faire face à l’une ou à plusieurs
sources de stress de ces catégories provoque chez l’individu des
symptômes émotionnels tels que, respectivement, l’anxiété, la
dépression ou la colère.
Les problèmes familiaux sont une très grande source de tension qui
peut interférer avec le travail de l’enfant à l’école, de même pour ce qui
est des problèmes d’ordre social.
Dans les travaux plus récents, le stress scolaire peut se définir
comme un état de stress chronique chez des élèves s’étant fixés des buts
inatteignables, à un instant donné de leur scolarité au regard de leurs
capacités, ou dont la perception des attentes que peut avoir leur
entourage, notamment les parents, dépasse leurs capacités (Ang et
Huan, 2006 ; Zakari et al., 2008). Certains chercheurs qui se penchent
sur le problème du stress scolaire, ont introduit le terme « burnout
scolaire » (Meylan, Doudin, Curchod-Ruedi et Stephan, 2015),
phénomène initialement étudié chez l’adulte et faisant référence au
burnout professionnel. Meylan et al. (2015) postulent que ce
phénomène est dû à l’augmentation des exigences de performance et de
réussite qui caractérise l’évolution des sociétés libérales modernes.
Selon ces travaux, ces exigences mettent à l’épreuve les « ressources

142
narcissiques » de l’individu et entraînent le stress qui génère les
souffrances de l’enfant et l’adolescent à l’école (Jeammet, 2007). Ainsi,
le burnout scolaire correspond, pour ces auteurs, à un syndrome
d’épuisement, de cynisme et d’inadéquation envers l’école : un
épuisement émotionnel face aux demandes de l’école avec une fatigue
chronique liée à une surcharge de travail scolaire ; du cynisme à l’égard
de l’école, par exemple une perte d’intérêt et une incapacité pour l’élève
à donner du sens à sa scolarité ; un sentiment d’inadéquation qui se
traduit par un manque d’accomplissement dans le travail scolaire et
dans l’école en général.

Un exemple de stress dans le cas d’une évaluation de


nature sommative : un test de connaissances avec des
élèves de 11-12 ans, en classe
Dans une recherche expérimentale sur le stress d’évaluation lors
d’un test de catégorisation d’objets avec des élèves de 11-12 ans
(Prokofieva, Brandt-Pomares, Velay, Hérold et Kostromina, 2017 ;
Prokofieva, 2017), il a été montré que même pendant un test de
connaissances de courte durée, en classe, lorsque l’enseignant annonce
que celui-ci va être noté, les élèves manifestent une augmentation
considérable du stress (en terme de changement de la balance
sympatho-vagale attesté par les enregistrements de la Variabilité du
Rythme Cardiaque). La notation est donc un facteur de stress chez les
élèves. Et même si le lien entre la présence, continu ou ponctuelle, de
ce stress d’évaluation et la performance est difficile à établir,
néanmoins, dans cette recherche expérimentale, les performances des
élèves sur les tâches difficiles pendant un test noté se sont révélées
inférieures par rapport au test non noté. Par ailleurs, la limitation du
temps de réponse est un fort facteur de stress lors des contrôles de
connaissance et évaluations faites en classe. Ce facteur de stress se
révèle même plus fort que celui provoqué par la notation.
Dans les situations de classe ordinaires, pendant une activité
régulière, la plus forte augmentation des réactivités émotionnelles a été
constatée dans les situations de l’interaction de l’enseignant avec sa

143
classe. Lorsque l’enseignant approche l’élève pendant une petite
évaluation écrite en lui faisant une remarque, ou même pour vérifier s’il
a bien compris la consigne, l’élève manifeste des périodes de stress et
cette réactivité peut l’empêcher de se concentrer par la suite sur la tâche
à réaliser. De plus, il a été observé que la classe réagit émotionnellement
de manière très forte aux paroles de l’enseignant qui, en essayant de
mobiliser les élèves pour bien réaliser le test écrit, insiste sur
l’importance des résultats pour un bulletin trimestriel.
Nous avons aussi pu constater que les élèves manifestent plus de
réactions de stress vers la fin de l’épreuve (quand il reste peu de temps),
et ce stress augmente de manière significative lorsque l’enseignant
annonce le temps restant à haute voix.
Cette recherche révèle que, dans la même lignée que l’importance de
la prise en compte des facteurs susceptibles de provoquer chez les
élèves un stress d’évaluation (temps de réponse limité, notation, etc.),
le rôle de la relation enseignant-élève(s) ne doit pas être sous-estimée,
car la figure de l’enseignant, sa posture, l’image qu’il renvoie, ses
gestes, ses paroles influencent très fortement l’équilibre émotionnel des
élèves.

Autre exemple de stress d’évaluation : un élève de


Terminale au tableau
Une observation en situation de classe, dans le cadre d’une analyse
de pratiques effectuées par un enseignant-chercheur, met en lumière
comment le stress d’évaluation peut altérer le traitement cognitif chez
un élève en le renvoyant vers des processus de traitement automatisés.
Il s’agissait d’une séance « classique » de correction d’exercices que
des élèves de Terminale en Lycée Technologique avaient à faire en
devoir à la maison. La thématique des exercices imposait de devoir faire
des traitements arithmétiques relativement conséquents pour obtenir les
expressions numériques demandées. Un élève a été désigné par
l’enseignant pour aller au tableau afin qu’il propose sa solution aux
exercices prescrits. Nous sommes donc dans une situation « classique »,

144
très fréquente dans les situations d’enseignement en classe. L’élève,
envoyé au tableau, va alors se retrouver dans un processus d’évaluation
à caractère formatif, processus pendant lequel l’enseignant va pouvoir
observer ses comportements, sa production afin de lui proposer, par la
suite, un accompagnement adapté (Allal, 1991).
A priori, cet élève n’avait pas fait le travail demandé. L’élève, face
à l’enseignant, devant les autres élèves de la classe, s’est donc
rapidement retrouvé, a priori, stressé. Ainsi, dans sa proposition de
résolution d’un exercice, l’élève, à un moment donné, est confronté à
devoir faire un développement arithmétique pour lequel un calcul sur
des nombres relationnels, entre parenthèses, doit être effectué. La règle,
ici, est bien évidemment la réduction au même dénominateur pour les
nombres relationnels. Mais, ce n’est pas ce que fait l’élève qui se met à
additionner les numérateurs entre eux, puis les dénominateurs.
Il semble difficile de penser qu’un élève, à un niveau Terminale, ne
connaisse pas la règle du dénominateur commun, règle qui relève d’un
apprentissage des premières années de sa scolarité.
Aussi, en fait, dans la situation observée, l’élève traite les nombres
relationnels comme étant des entiers, des entiers « catégorisés » : on
additionne les « numérateurs » entre eux, puis les « dénominateurs »
entre eux. L’élève, puisqu’il est stressé, reproduit un comportement
assez répandu lorsqu’on ne sait pas répondre, qui est de mobiliser des
connaissances « familières » (Boder, 1992), c’est-à-dire des
connaissances apprises depuis fort longtemps, souvent mobilisées, dans
des situations diverses et variées, mais qui, dans le cas présent, comme
bien souvent, sont inappropriées à la situation à laquelle le sujet est
confronté. Ici, ce sont donc ses connaissances relatives au traitement
arithmétique portant sur des entiers. Sauf que pour cet élève, dans cette
situation, ce n’est pas qu’il ne sait pas que ces connaissances sont
activées, mais c’est le fait d’être sous l’effet du stress. Mentalement,
l’élève, parce qu’il est stressé, se retrouve en surcharge mentale, ou
« surcharge cognitive » (voir exemples de travaux allant dans ce sens
dans Chanquoy, Tricot et Sweller, 2007). Cet effet de surcharge
cognitive amène son système cognitif à activer des connaissances

145
« familières », donc d’un accès plus « facile » parce que fort connues,
afin de soulager la charge cognitive imposée par la situation vécue par
l’élève (Hérold, 2012, 2014).
Il peut être relativement facile pour un enseignant, avec un peu
d’expérience, d’identifier le fait qu’un élève puisse être, effectivement,
stressé dans ces conditions (voir éléments d’expression motrice
présentés plus haut), comme, ici, le fait d’être seul au tableau à corriger
un exercice. Néanmoins, peu d’enseignants essaient d’interpréter les
réponses de leurs élèves dans ce type de situations. Or, essayer
d’interpréter leurs réponses, dans ce cas, peut s’avérer utile pour
identifier une situation stressante pour un élève qui ne le montre pas
forcément, donc dont les éléments d’expression motrice et/ou faciale
sont peu visibles.
À travers cet exemple, on voit que, pour l’enseignant, il est important
de comprendre pourquoi un élève fait ainsi, de comprendre pourquoi
telle ou telle connaissance est mobilisée par le système cognitif de
l’élève dans une situation particulière. L’enseignant doit alors pouvoir
analyser les caractéristiques de la situation dans laquelle un élève est
amené à réaliser la tâche qu’il lui a lui-même prescrite, et de
comprendre pourquoi des connaissances, pas toujours appropriées à la
situation de la tâche prescrite, ont été mobilisées par l’élève. Il peut
s’agir aussi de comprendre pourquoi l’élève s’est engagé dans un type
de traitement plutôt qu’un autre.
Faire cette analyse de l’activité de l’élève en classe et comprendre le
pourquoi de cette activité n’est, certes, pas chose aisée à faire par un
enseignant, en classe, face à un une cohorte d’élèves plus ou moins
importante. Mais, elle semble nécessaire pour aider tous les élèves à
apprendre.

Conclusion : climat scolaire et bien-être à l’école, nouvel


objectif des politiques éducatives
L’importance des facteurs émotionnels dans l’apprentissage à
l’école montrée par la recherche est de plus en plus reconnue par les

146
organismes internationaux qui visent l’évaluation de l’efficacité des
politiques sociales et éducatives des pays développés. Les derniers
rapports PISA de l’Organisation de Coopération et de Développement
Économique, (voir notamment les rapports de 2009 et de 2012),
affichent clairement l’importance d’un bon climat scolaire comme étant
une condition favorable aux apprentissages, et le rôle des facteurs
émotionnels en tant que soutien des apprentissages est également
souligné dans les rapports PISA 2015 qui visent à estimer les capacités
« socio-émotionnelles » des élèves, composées des facteurs
psychologiques et physiologiques. Le facteur de bien-être de l’élève est
ainsi de plus en plus pris en compte comme étant un élément essentiel
non seulement au développement des apprentissages individuels, mais
également en tant que compétence socialement indispensable pour le
parcours de vie de chaque élève, et pour la vie en communauté en
général. En France, la nouvelle loi de refondation de l’École 2013 met
au centre de sa préoccupation le bien-être de tous les acteurs (élèves,
enseignants, parents, etc.), comme condition nécessaire pour la bonne
réussite de tous.
De plus en plus de recherches en éducation s’intéressent au rôle des
phénomènes émotionnels dans l’apprentissage. La recherche a déjà
montré l’importance des émotions négatives et positives sur toutes les
étapes de l’apprentissage. Cependant, il reste encore à approfondir la
nature des effets de ces phénomènes sur les activités d’apprentissage et
d’évaluation en classe. Quels sont des signes du stress chez les élèves
que l’enseignant pourrait repérer dans leur activité en classe pour mieux
comprendre et accompagner l’élève dans son apprentissage, comment
l’enseignant pourrait améliorer sa pratique pour créer un meilleur
climat scolaire favorables à tous, sont encore des questions auxquelles
la recherche doit apporter ses réponses.

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153
Chapitre 8
Références aux savoirs dans l’enseignement
professionnel : étude des tensions entre savoirs
professionnels et scolaires dans les domaines de la
santé et de la sécurité au travail

Hélène Cheneval Armand

Introduction
L’intégration dans les pratiques professionnelles des techniciens de
gestes relatifs à la prévention des risques représente un enjeu majeur
d’évolution de ces pratiques alors que la pression sur la productivité et
sur le rendement des professionnels est de plus en plus forte et se
retrouve souvent en contradiction avec la mise en œuvre de conduites
préventives des risques, qu’il s’agisse de préserver le professionnel qui
agit, les personnes qui sont autour de lui ou les matériels sur lesquels il
intervient. Il ne s’agit pas simplement de quelques aménagements dans
les conduites des professionnels, il s’agit réellement de transformer ces
pratiques, notamment au travers de la formation en lycée professionnel.
C’est ainsi qu’a été introduit, un enseignement relatif à la santé et à la
sécurité du travail (ES & ST) dans les cursus de baccalauréat
professionnel. Cet enseignement ne constitue pas une « nouvelle »
discipline, il se trouve à l’interface d’un triptyque de formation :
enseignement de Prévention Santé Environnement (PSE),
l’enseignement technologique et professionnel et les périodes de
formation en milieu professionnel. Les deux premières composantes de
ce triptyque relèvent d’un contexte scolaire et rentrent dans la
classification proposée par Martinand (1992) en deux catégories : les
disciplines de formation et les disciplines de service. Les disciplines de
formation sont constitutives du cœur d’une filière, dans le cadre de la
formation des futurs techniciens, c’est le rôle qui est dévolu à
l’enseignement technologique et professionnel. Les disciplines de

155
service ont comme objectif de construire des connaissances qui
deviendront opératoires dans la discipline de formation. Dans le cadre
de la formation des futurs professionnels, c’est le rôle qui est dévolu à
l’enseignement de PSE. La dernière composante de ce triptyque de
formation, les périodes de formation en milieu professionnel, est
présentée comme un moyen de découverte du milieu industriel afin
d’appréhender l’entreprise dans sa réalité technique et commercial,
mais aussi comme un lieu d’application de la formation réalisée dans
l’établissement. Même si l’ES & ST est pensé en termes de
complémentarité dans les textes officiels, cette organisation selon trois
pôles distincts qui reflète une dichotomie ancienne, mais encore vivace
entre enseignement professionnel – encore assimilé au concret, aux
activités manuelles – et enseignement général – renvoyant à l’abstrait,
au théorique, permet-elle de faire de la maîtrise des risques une
composante à part entière de la qualification professionnelle ? D’autre
part, si l’on considère que l’élève n’aborde pas la plupart des objets
d’enseignements l’esprit vide de tout contenu, mais avec tout un
ensemble de connaissances enracinées dans des usages et des pratiques
de leurs environnements quotidiens, alors comment évoluent le rapport
aux savoirs des élèves dans le domaine de la PRP ? Autrement dit, la
confrontation de l’apprenant à ces différents environnements (scolaire,
industriel) lui permet-elle de développer un rapport aux savoirs qui lui
permet d’appréhender, d’analyser et de prévenir les risques d’une
situation de travail ? Ce questionnement initial constitue le point
d’entrée d’une réflexion sur l’influence des organisations de formation
sur l’évolution du rapport aux savoirs des élèves en PRP.

Les savoirs de référence en ES & ST


L’intégration de ces nouvelles conduites de prévention dans
l’activité ordinaire des professionnels interroge les institutions de
formation qui sont sollicitées pour inclure cette dimension dans les
curricula des formations professionnelles et in fine les choix que les
enseignants doivent faire pour construire les situations d’enseignement
qu’ils vont mettre en œuvre dans leurs classes. Les enjeux sont
importants puisqu’il s’agit de faire de la maitrise des risques une
composante à part entière de la qualification professionnelle. Dès lors,
l’introduction de l’ES & ST suppose de penser et d’organiser un champ
de références qui va permettre aux enseignants de concevoir les
dispositifs et les situations d’enseignement fondées sur les pratiques des

156
professionnels et surtout, dans le cas d’espèce, sur ce que seront ces
pratiques lorsqu’elles intégreront ces préoccupations de prévention des
risques.
Dans le prolongement des travaux de recherche en didactique des
enseignements scientifiques et technologiques (Amigues, Ginestié, &
Gonet, 1991 ; Andreucci & Ginestié, 2001 ; Ginestié, 1997 ; Johsua,
1997) et de l’étude de la transposition didactique dans le champ de la
formation professionnelle, le modèle proposé ici présente une approche
originale de la transposition didactique telle qu’elle peut apparaître dans
la construction d’un champ de références pour les formations
professionnelles scolaires en général, et en particulier dans l’ES & ST
(Cheneval-Armand, 2010)

Figure 1 : Processus d’élaboration et de transposition didactique


en ES & ST

Dans ce modèle, quatre niveaux de savoirs nous permettent


d’analyser les pratiques professionnelles :
Le premier niveau, les savoirs académiques sont issus de
l’organisation conceptuelle des disciplines, ils permettent d’agir dans la
pensée avant de l’être dans la réalité, de faire des choix en suggérant
des voies possibles et d’évaluer les conséquences a posteriori de ces
choix. Ainsi, dans une référence au savoirs académiques, l’ES & ST
prend la forme d’un enseignement scientifique, montrant le rôle des
facteurs d’ambiance, des différents risques et de l’activité de travail sur
l’intégrité des fonctions physiologiques et psychologiques. Par
exemple, l’étude du mécanisme d’accommodation de l’œil doit montrer
le rôle du niveau d’éclairement sur l’intégrité de la fonction visuelle. Or

157
penser, l’enseignement dans une seule référence à des savoirs
académiques ne permet pas de prendre en compte les situations réelles
de travail et leurs caractéristiques ou encore les pratiques de gestion des
risques efficaces mises en œuvre par les individus.
Le deuxième niveau, les savoirs technologiques permettent de relier
les techniques à des concepts théoriques afin de les généraliser. Dans le
domaine de la prévention, c’est le rôle qui est dévolu aux normes, aux
règlementations, mais aussi aux différentes approches (par le travail,
par l’accident, par les risques) développées et diffusées par l’institution
de prévention autrement dit, les experts de l’Institut National de
Recherche en Sécurité (INRS). Cette modélisation de la technique
repose d’une part, sur la capitalisation des acquis dans le domaine de la
sécurité et, d’autre part, sur des concepts et des théories issues de
plusieurs domaines : sciences de l’ingénieur (génie mécanique, génie
électrique), sciences appliquées (biologie, physique), sciences
humaines (médecine, psychologie) et sciences sociales (droit,
économie)
Le troisième niveau, les savoirs techniques permettent de
formaliser les gestes professionnels dans le but de les diffuser. Dans le
domaine de la sécurité, on peut par exemple citer les guides élaborés
par les organismes professionnels. Cependant, dans une conception de
l’homme au travail considéré comme « exécutant », « inconscient »,
« qui ne sait rien », « qui prend des risques », cette formalisation des
savoir-faire des opérateurs en matière de sécurité se transforme la
plupart du temps en guide de « bonnes conduites », qui renvoie à
l’application de prescriptions législatives et réglementaires. Leplat
(2004) définit ces documents prescripteurs comme des documents
techniques visant à orienter les actions, c’est-à-dire à dire ce qui doit
être fait dans des conditions données pour obtenir un certain résultat.
Ce sont donc des principes opératifs ou des algorithmes opératoires
permettant d’atteindre un objectif de sécurité. Ils sont conçus pour
permettre d’éviter la production d’un accident. Nous considérerons ces
prescriptions comme des algorithmes opératoires, des adaptations
locales de prescriptions plus générales (réglementations, normes),
comme une technologie pratique (Deforge, 1993) visant à atteindre un
objectif de sécurité.
Le quatrième niveau, les savoir-faire concernent les gestes
professionnels ou les habiletés que mettent en œuvre l’individu ou le
groupe d’individus pour effectuer une tâche, sans qu’il soit en mesure

158
de dire, voire de justifier, ce qu’il fait et surtout comment il le fait. Ces
habiletés, dans le cadre de la prévention des risques professionnels,
peuvent être rapprochées de la fonction de prévention (Faverge, 1967),
ou des « savoir-faire de prudence » selon les termes de Cru (2014). Plus
récemment encore, Rabardel et al (1998) parlent de « conduites
sécuritaires » pour caractériser les manières de faire par lesquelles les
opérateurs atteignent les objectifs de l’entreprise tout en préservant leur
sécurité et leur santé. Pour Cru (2014), « ces savoir-faire s’apprennent
sur le chantier en regardant faire les anciens, puis en articulant ses
propres exigences ». Ils ont pour caractéristique de rester méconnus des
organismes de sécurité ou de l’organisation au travail. Ils peuvent être
appréhendés comme la mise en œuvre d’une règle intégrant des
connaissances à la fois techniques et sécuritaires (Vidal-Gomez, 2001).
Il s’agit donc de règles non écrites, de pratiques informelles, issues de
l’expérience des opérateurs. Ces savoir-faire de prudence sont portés
individuellement et mis en œuvre dans l’activité de travail. Cependant,
comme le souligne Cru (2014), ils sont transmis par la collectivité de
métier, ce qui laisse sous-entendre qu’ils peuvent être portés
collectivement dans l’entreprise et devenir des règles de métier, ce qui
suppose qu’ils soient partagés et reconnus au sein d’un groupe. De ce
fait, la lisibilité de telles pratiques n’est évidente que dans des dialogues
entre pairs et est totalement opaque dans toutes autres formes de
dialogue.

Qu’est ce que le rapport personnel aux savoirs ?


Si le concept de rapport aux savoirs peut être abordé selon différents
points de vue, Chevallard, en 2003, dans une approche
anthropologique, définit trois notions fondamentales : objet, institution
et personne. Est objet « toute entité matérielle ou immatérielle, qui
existe pour au moins un individu » (Chevallard, 2003). Tout est donc
objet (au sens d’objet de connaissance) y compris une personne. Pour
définir la notion d’institution, Chevallard se réfère aux travaux de
Douglas. Pour cette anthropologue, une institution est : « Un
groupement social légitimé. L’institution en question peut être une
famille, un jeu ou une cérémonie ; l’autorité légitimante peut venir
d’une personne, un père, un docteur, un juge, un arbitre ou un maître
d’hôtel ou bien de façon plus diffuse, se fonder sur un consensus ou sur
un principe fondateur général » (Douglas, 2004). Pour Chevallard
(2003), il faut entendre : "Un dispositif social « total », qui peut certes

159
n’avoir qu’une extension très réduite dans l’espace social (il existe des
« micro-institutions »), mais qui permet et impose à ses sujets, c’est-à-
dire aux personnes x qui viennent occuper une position p offerte dans I,
la mise en jeu de manière de faire et de penser propres » (Chevallard,
2003)
On peut donc parler d’institution pour les trois composants du
triptyque de formation sur lesquels repose l’enseignement de la santé et
de la sécurité au travail : « la classe en enseignement de prévention des
risques professionnels » la classe en enseignement technologique et
professionnel », mais aussi "l’entreprise durant la période de formation
en entreprise". Mais on peut également considérer que la famille et
l’environnement culturel quotidien constituent aussi la première
institution qui met en présence un sujet et des objets de savoirs. Dans
ces institutions vivent des objets et des personnes. Il se crée des
relations entre cet objet et la personne ou l’institution. Il existe donc
deux grands types de rapports au savoir :
- Des rapports personnels pour chaque personne,
- Des rapports institutionnels pour chaque institution.
Quand un individu entre dans une institution, il va être confronté à
chaque objet institutionnel connu de l’institution à travers le rapport que
l’institution entretient avec lui. Apprendre un objet de savoir pour un
sujet revient donc à rendre conforme son rapport personnel avec cet
objet au rapport institutionnel (Maury & Caillot, 2003). Un
apprentissage se caractérise ainsi par la création ou une modification
d’un rapport personnel à un objet de savoir. Mais quelles peuvent être
les conséquences sur l’apprentissage si un individu est confronté à une
multitude d’institutions présentant chacune des rapports institutionnels
aux objets de savoirs différents ? Selon Chevallard (2003), c’est par le
fait qu’il est le sujet d’une multitude d’institutions que l’individu se
constitue en une personne (ensemble formé par l’individu et les rapports
personnels qu’il entretient avec les différents objets). Mais le fait que le
rapport personnel émerge d’une pluralité de rapports institutionnels
peut avoir aussi plusieurs conséquences : le rapport personnel n’est
jamais parfaitement conforme à tel ou tel rapport institutionnel parce
que « son rapport s’est formé par l’intégration, au fil du temps, des
influences exercées par les divers rapports institutionnels auxquels il a
été assujetti » (Chevallard, 2003). Le rapport personnel n’est jamais
original parce qu’« il reflète, en les altérant plus ou moins, les rapports

160
institutionnels sous l’influence desquels la personne x s’est formée »
(Chevallard, 2003).
Ainsi la formation à la santé et à la sécurité au travail, parce qu’elle
prétend construire ou développer de nouveaux rapports aux savoirs, doit
prendre en compte les rapports institutionnels aux objets au sein de
chacune des institutions, car le savoir et le savoir-faire dispensés par
une institution peuvent venir en contradiction avec ceux déjà constitués
par la famille ou une autre institution.
Dans ce contexte, on peut envisager que le rapport personnel à un
objet de savoir « prévention des risques professionnels » peut fluctuer,
voire être complètement remis en cause dès lors que le sujet change
d’institution. Ceci pourrait créer des tensions quand le sujet passe d’une
institution à une autre. Selon nous, ces tensions sont décelables au
travers des références qui se construisent et se développent dans
l’interaction en situation.
Compte tenu des différents sens attribués au terme « situation », nous
allons définir ce que nous entendons par situation dans le cadre de notre
étude. Celle-ci devrait nous permettre de valider les différents rapports
institutionnels à l’objet « prévention des risques professionnels » qu’il
existe au sein de chacune des institutions composantes de l’institution
de formation.

Les situations d’enseignement dans un environnement


scolaire
Dans un environnement scolaire, les situations proposées sont
généralement des dispositifs que les enseignants conçoivent, mettent en
œuvre et évaluent à partir des contraintes qui relèvent en grande partie
de la transposition didactique externe (Chevallard, 1985). En effet, les
situations d’enseignement qui sont proposées aux élèves ne dépendent
pas seulement des choix des enseignants, mais également des
organisations curriculaires qui régissent leur enseignement, des
contenus proposés dans le cadre des dispositifs de formation et des
ressources pédagogiques disponibles telles que les ouvrages scolaires.
L’analyse des textes fondateurs (Ceccaldi, 1990 ; ministère de
l’Éducation nationale & Caisse Nationale de l’Assurance Maladie des
Travailleurs Salariés, 1993, 1997) et des programmes intégrant la
dimension prévention des risques professionnels dans les baccalauréats

161
professionnels (1988, 2000, 2009), nous montre que le transfert des
savoirs et des savoir-faire de l’institution prévention vers l’institution
d’enseignement repose sur une stratégie de démultiplication. Cette
politique de transfert par démultiplication s’appuie essentiellement sur
la transmission de connaissances scientifiques (électricité, mécanique,
biologie, physique…), techniques (procédures, consignes…),
règlementaires (normes, règlements…) et méthodologiques (approche
par l’accident, approche par les risques et approche par le travail) dans
le cadre des actions de formation organisées à l’échelon national et
académique par l’institution de prévention. Cette transmission de
savoirs et de savoir-faire est d’autant plus efficiente que, dès le début
du partenariat entre les deux institutions, un ensemble de ressources
adaptées et spécifiques à l’enseignement de la prévention des risques
professionnels a été mis à la disposition des enseignants pour qu’ils
deviennent « le plus rapidement opérationnel » (accord-cadre, 1993).
Dans ce contexte, on peut supposer que les situations
d’enseignement qui vont être mises en œuvre par les enseignants de
PSE et les enseignants du domaine professionnel intègrent
majoritairement les références aux savoirs de l’institution prévention
(scientifiques, règlementaire et méthodologiques). L’analyse des tâches
prescrites pour traiter « le risque électrique » dans un ouvrage scolaire
de Prévention Santé Environnement (Crosnier, Cruçon, & Naulleau,
2013) et, l’analyse des tâches prescrites dans le cadre du module
spécifique « certificatif » de formation à la prévention des risques
électriques devrait nous permettre de confirmer ce constat.
Le « risque électrique » en PSE
Cette séquence intitulée « le risque électrique » est abordée en trois
étapes : analyser la situation, mobiliser les connaissances et proposer
des solutions
Pour analyser la situation, les auteurs adoptent une approche par les
risques. L’activité proposée est axée sur le schéma d’apparition des
dommages, méthodologie préconisée par les experts de l’institution
prévention. À l’aide des définitions issues des normes NF EN 292–1&
2 et NF EN 1050, les élèves doivent compléter le schéma d’apparition
d’un dommage en indiquant le danger, la situation dangereuse,
l’événement dangereux et le dommage envisagé pour la situation
professionnelle proposées. L’évaluation du risque est l’estimation du
risque électrique est alors obtenue en croisant sur une matrice « niveau

162
gravité » et « niveau de probabilité d’apparition du dommage ».
Pour la deuxième étape, mobiliser les connaissances, les auteurs
mettent en lumière la particulière gravité du risque électrique. Pour cela,
sur les huit tâches proposées aux élèves, sept font apparaître des notions
scientifiques dans le domaine de la biologie comme les effets du courant
électrique sur l’être humain (contraction musculaire, la fibrillation
ventriculaire) et dans le domaine de l’électricité comme la loi d’Ohm
avec la valeur moyenne de la résistance du corps humain au courant
électrique en fonction de la tension et de la résistance du corps humain
placé dans des conditions variables (peau sèche-peau humide). La
dernière tâche propose des sous-tâches en liaison avec les aspects
règlementaires de prévention et de protection contre le risque électrique
et sur l’habilitation électrique.
Pour la dernière étape « proposer des mesures de prévention », les
auteurs proposent quatre tâches en liaison avec les aspects
règlementaires de prévention et de protection contre le risque électrique
et cinq tâches sur l’habilitation électrique.
Cette analyse d’une situation d’enseignement dans un ouvrage
scolaire confirme que les aspects scientifiques, méthodologiques,
règlementaires pour la maîtrise des risques sont abordés à partir d’une
démarche de prévention conforme aux attentes de l’institution de
prévention. On peut également noter que dans cet ouvrage tous les
autres risques (mécanique, biologique, thermique, éclairage) et les
évaluations (CCF) sont abordés à partir de l’approche par les risques.
Le risque électrique en enseignement professionnel
Compte tenu de l’absence d’ouvrage scolaire, nous allons faire
référence au classeur « Habilitation électrique », ED 1522, proposé par
l’INRS. Actuellement, la formation à la prévention des risques
électriques repose sur un module spécifique certificatif qui comprend
deux parties : une partie théorique et une partie pratique.
La formation théorique porte sur les risques électriques et leur
prévention, ainsi que sur les prescriptions de sécurité relatives aux
opérations qui peuvent être réalisées au niveau d’habilitation visé. La
formation et la validation sont réalisées au cours de la période
d’apprentissage par l’équipe pédagogique. Les moyens d’évaluation
sont à mettre en place par l’équipe sous forme de Questions à Choix

163
Multiples (QCM) à l’aide d’un logiciel « Habilec », « Ah tension » ou
autres.
Les aspects théoriques de la formation sont organisés en huit
rubriques comme le montre le tableau 1.

Tableau 1 : « Enseigner la prévention des risques électriques -


habilitation électrique ». Les rubriques.
Extrait de la brochure INRS ED 1522

La rubrique « Réglementation » expose les textes et les normes


règlementaires applicables dans le domaine de l’électricité
(installations électriques et construction de matériels) et dans le
domaine de la protection des travailleurs contre les risques d’origine
électrique. La rubrique « Accidents au travail » analyse les statistiques
des accidents au travail d’origine électrique. La rubrique « Effets
physiologiques du courant électrique » traite des effets du courant sur
l’organisme et des facteurs de gravité ayant une origine électrique

164
(intensité, tension) ou biologique (résistance du corps, trajet du
courant). La rubrique « Moyens de protection contre les chocs
électriques » aborde les différents moyens pour se protéger des contacts
directs et indirects (protection différentielle, éloignement, protection,
isolation, Très Basse Tension de Sécurité). La rubrique « Publication
qui concerne l’habilitation » traite du domaine d’application de la
publication UTE C18-510 (les différentes habilitations, les protections
individuelles (…), rôle du chargé de consignation, procédure de
consignation…). La rubrique « Classification de matériel » donne la
norme C15-100 qui fixe la réglementation des installations électriques.
La rubrique « Matériel de protection et outillage électrique » expose la
publication UTE C18-510 qui concerne le matériel de protections
individuelles et collectives (gants, tapis isolant, vérificateur d’absence
de tension). La rubrique « Conduite à tenir en cas d’accident d’origine
électrique » présente les gestes d’urgence à mettre en place en cas
d’électrisation ou d’électrocution.
Concernant l’évaluation, le test de connaissance est composé de sept
thèmes : les dangers de l’électricité, habilitation, appareillages
électriques, les distances et les zones d’environnement, les mesures de
protection, les limites des opérations d’ordre électrique, les procédures.
À chaque partie correspond une série de questions. Par exemple, pour
la partie théorique associée au thème 4, les questions du référentiel
sont indiquées dans le tableau 2 :

165
Thème 4 : Les distances et les zones d’environnement Vrai Faux Note

4 Pour pénétrer dans un local d’accès réservé aux


électriciens, le titre d’habilitation est obligatoire.
5 Un local d’accès réservé aux électriciens est
reconnaissable :
au triangle jaune posé sur la porte.
par le fait que la porte soit fermée à clef.
7 Vous reconnaissez un ouvrage électrique souterrain :
à la grosseur de la canalisation électrique isolée ;
à la couleur du grillage placé au-dessus de la canalisation
électrique isolée.
grâce aux indications de l’exploitant.
8 Vous vous approchez d’une installation 400 V alternatifs
dans un local d’accès réservé aux électriciens. À partir de
quelle distance des pièces nues accessibles et sous tension
devez-vous prendre des précautions particulières ?
1 m.
0,5 m.
0,3 m.

Tableau 2 : Test de connaissances « Thème 4 : les distances et les


zones d’environnement »

Pour cette partie de la formation à la prévention des risques


électriques, on constate que les savoirs à enseigner aux élèves relèvent
essentiellement de savoirs dans le domaine de la biologie et de
l’électricité, mais aussi de savoirs règlementaires et normatifs qui
concernent les prescriptions de sécurité. Cette analyse montre donc que
les aspects scientifiques, législatifs et règlementaires sont dominants.
Ces différents aspects se situent essentiellement au niveau des savoirs
académiques, technologiques et techniques, car la formation vise
également l’acquisition de connaissances sur des procédures
normalisées (comme la procédure de consignation par exemple).
La formation pratique doit assurer une bonne connaissance des
installations et des procédures de mise en œuvre des prescriptions de
sécurité relatives au niveau d’habilitation visée. Elle s’organise donc

166
autour de la mise en œuvre de tâches professionnelles qui sont
significatives des travaux exécutés en milieu professionnel.

Tableau 3 : Extrait du référentiel de formation à la prévention des


risques d’origine électrique (DESCO, 2013)

La mise en œuvre du module de formation B1V – BR, correspond à


la formation pratique d’un exécutant électricien - chargé d’intervention
(tableau 3). L’analyse des tâches du niveau BR montre, parmi les
résultats attendus, pour un chargé d’intervention, l’obligation de
procéder à une analyse sur site du risque électrique. Cette analyse doit
être réalisée à partir du « modèle de représentation du processus
d’apparition d’un dommage (modèle utilisable quelle que soit la nature
du phénomène dangereux et ici appliqué aux risques d’origine
électrique » (ministère de l’Éducation nationale, 2013), appelée
« approche par les risques » par l’institution prévention. On constate
également dans les scénarios des tâches les termes « réglementation »,
« UTE C18-510, « consignes particulières », « autorisation de
travail intégrant la consignation », laisse supposer une référence à des
savoirs techniques et règlementaires.
En résumé, pour l’ensemble du module de formation à la prévention
des risques électriques, on constate que les savoirs à enseigner aux
élèves relèvent essentiellement de savoirs académiques dans le domaine
de l’électricité et de la biologie, de savoirs méthodologiques d’analyse
des risques, de savoirs technologiques qui concernent les normes et les
réglementations applicables aux risques électriques, et des savoirs

167
techniques visant la mise en œuvre de procédures prescrites par les
instructions de sécurité. On constate également que l’organisation
curriculaire de la formation repose sur une dichotomie théorie-pratique
d’autant plus prégnante que chacune des étapes de la formation
comporte une validation et que « pour un niveau d’habilitation donné,
l’obtention des validations théorique et pratique entraîne la validation
correspondante » (ministère de l’Éducation nationale, 2013).
Cette étude préliminaire des tâches proposées aux élèves dans
l’environnement scolaire nous permet de confirmer que les situations
d’enseignement intègrent massivement une démarche de prévention par
les risques conformément aux attentes de l’institution de prévention.
L’analyse de l’organisation de formation de l’ES& ST dans l’institution
scolaire repose sur une alternance de savoirs, de temps et de lieux
différents. Nous faisons ici l’hypothèse que les situations
d’enseignement proposées dans cette organisation influencent le
rapport aux savoirs des élèves dans le domaine de la prévention des
risques. Pour vérifier l’impact des situations d’enseignement sur le
rapport aux savoirs des élèves, nous avons choisi de mener une étude à
partir d’un questionnaire qui sera soumis à des élèves qui ont suivi ou
n’ont pas suivi un enseignement de Prévention des Risques
Professionnels.

Les situations de travail dans un environnement


industriel
Dans les référentiels de formation des diplômes professionnels, la
Période de Formation en Milieu Professionnel (PFMP) est présentée
comme un moyen de découverte du milieu industriel afin
d’appréhender l’entreprise dans sa réalité technique et commerciale,
mais aussi comme un lieu de compréhension de l’importance de
l’application des règles d’hygiène et de sécurité. Dans ce contexte, on
peut considérer que les périodes de formation en entreprise sont des
occasions de mettre en pratique les connaissances acquises en cours de
formation dans des cas concrets, sous contraintes industrielles. Pour
autant, une approche de l’analyse de l’activité de gestion des risques par
les professionnels (Cheneval-Armand & Ginestié, 2009), nous a permis
de montrer que les savoirs mis en œuvre dans les pratiques
professionnelles relèvent d’une articulation entre savoirs théoriques et
savoirs experts. Dans une référence théorique, les savoirs mobilisés

168
permettent au technicien d’évaluer la dangerosité de la situation de
travail. Cette évaluation de la dangerosité permet, en retour, dans une
référence experte, la mise en œuvre de savoir-faire qui peuvent
compléter ou se substituer à la règle prescrite. En effet, l’analyse de
l’activité de technicien en maintenance de systèmes frigorifiques à
partir de la Théorie Homéostatique du Risque, THR (Wilde, 1988)
montre que si le risque perçu (dangerosité de la situation) est inférieur
au risque préférentiel (gain de temps, perte de temps) le technicien met
en œuvre une conduite individuelle qui se substitue à la règle prescrite
(les travaux doivent être effectués hors tension). À l’inverse, si le risque
perçu est supérieur au risque préférentiel, le technicien adopte une
stratégie moins risquée (l’intervention à deux). Dans une référence
experte, les savoirs technologiques de type réglementaire et normatif
permettent la mise en œuvre de technologies pratiques, de savoir-faire
visant à concilier prévention des risques et objectifs de production.
Le positionnement des entreprises comme lieu d’apprentissage, où
la sécurité s’exprime en termes de compromis entre la réglementation à
appliquer et l’obligation d’optimisation des interventions dans des
conditions de concurrence économique, pose le problème des rapports
entre les jeunes apprentis et les travailleurs expérimentés dans la prise
en compte des conduites sécuritaires et, de manière plus large, du
rapport à la sécurité des entreprises lieu d’apprentissage. En effet, si les
comportements sécuritaires ne sont pas mis en œuvre par les travailleurs
experts et/ou que l’entreprise privilégie une logique de production
plutôt qu’une logique d’apprentissage des pratiques de prévention, on
peut se poser la question de l’influence de ces premières expériences
sur le processus d’apprentissage. Va-t-il y avoir un modèle dominant
privilégié par l’apprenant ? Nous faisons alors l’hypothèse que les
situations de travail proposées dans l’environnement industriel vont
rentrer en contradiction avec les savoirs véhiculés par l’institution
scolaire dans le domaine de la prévention des risques. Cette Influence
contradictoire peut conduire à une banalisation du risque et de ses
conséquences au détriment des aspects de production. Pour vérifier
l’impact de ces premières expériences de l’environnement industriel sur
l’évolution du rapport aux savoirs des élèves, nous avons choisi de
mener une étude à partir d’un questionnaire qui sera soumis aux élèves
avant et après expérience professionnelle en entreprise.

169
Métodologie
Cette étude a été réalisée auprès de trois-cent-dix-huit (338) élèves de
l’enseignement professionnel du domaine industriel. Les élèves ont été
soumis à un questionnaire identique. Cet échantillon général, a été découpé en
fonction de deux variables l’expérience en entreprise (sans/avec) et la
présence ou non dans le cursus de formation d’un enseignement de prévention
des risques (sans/avec)
Sous-échantillon de l’étude
Le croisement des deux variables, nous permet de dégager les sous-
échantillons suivants :

Echantillon A B C D
Classe Seconde Bac Seconde Bac 1ère Bac Pro Terminale Bac
Pro Pro Pro
Effectif par 123 78 11 106
échantillon
Variable PRP Sans PRP Sans PRP Avec PRP Avec PRP
Variable Sans Avec Sans Avec
expérience expérience expérience expérience Expérience

Tableau 4 : Découpage de l’échantillon général en fonction des deux


variables expérience en entreprise (expérience) et enseignement de
Prévention des Risques (PRP)

Le sous-échantillon A est composé des élèves qui n’ont pas d’expérience


en milieu professionnel et qui n’ont pas suivi d’enseignement de PRP. Le
sous-échantillon B comprend les élèves qui ont une durée de stage de
minimum sept semaines et qui n’ont pas suivi d’enseignement de PRP. Le
sous-échantillon C des élèves qui ont suivi un enseignement de PRP, mais qui
n’ont pas d’expérience en milieu professionnel. Enfin le sous échantillon D de
ceux qui ont une durée de stage de plus de seize semaines et qui ont reçu un
enseignement de PRP. La faiblesse du sous échantillon C (onze élèves) est
liée à l’effectif des élèves concernés par une réorientation via passerelle des
élèves de seconde générale ou technologique. Cet échantillon présente
l’intérêt de coupler une absence d’expérience en entreprise dans la spécialité
de formation, mais d’un enseignement de PRP puisque se sont des élèves de
première baccalauréat professionnel.

170
Questionnaire
Cette étude est réalisée à l’aide d’un questionnaire qui permet
d’analyser l’évolution du rapport aux savoirs des élèves dans le
domaine de l’ES& ST. Trois situations professionnelles présentant un
risque d’accident sont présentées aux élèves. Pour chacune des
situations, les élèves doivent identifier le risque, évaluer le risque et
proposer des solutions. Dans le présent travail, seuls les résultats des
étapes « justifier le risque » et « proposer des solutions » correspondant
à un risque électrique feront l’objet d’une analyse. Les élèves doivent
répondre à deux questions ouvertes qui doivent les amener à justifier
leurs réponses et à faire des propositions pour réduire ou supprimer le
risque. Nous pourrons ainsi interpréter les raisons de ses choix et en
particulier qu’elles sont les références (savoirs académiques, savoirs
technologiques, savoirs techniques ou savoir-faire) qu’ils mettent en
œuvre pour analyser la situation professionnelle. Nous faisons ici
l’hypothèse que les élèves qui ont suivi un enseignement en PRP
proposent des mesures pour supprimer ou réduire le risque en
adéquation avec le rapport aux savoirs de l’institution scolaire et donc
de l’institution prévention. On peut également supposer une influence
du milieu professionnel sur les mesures proposées.

Résultats
Il s’agit ici d’identifier à quels savoirs les élèves font référence pour
analyser les conséquences du risque et pour proposer des mesures de
prévention pour le réduire ou le supprimer. Pour cela, le modèle de
transposition didactique spécifique à l’enseignement de la prévention
des risques nous sert de cadre pour analyser les savoirs mis en jeu par
les élèves. Seule la situation professionnelle n°3 correspondant à un
risque électrique est analysée, car ce risque est un risque spécifique qui
concerne tous les métiers du secteur industriel.
Les savoirs théoriques ou académiques
L’analyse des réponses des élèves à la question ouverte « Justifiez
votre choix », nous permet de dégager des références à des savoirs
académiques. Pour chacun des sous-échantillon, on peut relever les
extraits suivants :

171
Pour le sous-échantillon A
« Car l’eau et l’électricité ne font pas bon ménage » ;
« L’eau est conducteur » ;
« Si le courant est trop fort, il peut mourir » ;
« Car si il ou elle s’électrocute, il ou elle est atteint par du 230
volts » ;
« Il suffit que le courant traverse pour que le courant passe dans le
corps » ;
« Tout dépend de l’intensité » ;
« Ça peut chauffer et commencer à prendre feu ».
Pour le sous-échantillon B :
« Il risque de prendre une « décharge » ;
« Il y a un fluide conducteur sur la double prise » ;
« Le choc électrique risque de le tuer » ;
« Il peut y avoir un court circuit ou pire un incendie »
Pour le sous-échantillon C :
« Elle peut mourir, car elle prend du 230 volts » ;
« Les prises sont mouillées. Le risque est mortel, car c’est lui qui
branche » ;
« Le risque est possible, mais peut-être qu’il y a la prise de terre ».
Pour le sous-échantillon D :
« Si la personne prend le courant, si elle ne meurt pas électrocutée,
il peut quand même y avoir des brûlures ou des séquelles » ;
« Présence d’eau sur la multiprise » ;
« Si la personne touche la prise mouillée, elle va s’électrocuter » ;
« La prise a des fils dénudés ».
« Risque de créer une surintensité sur le circuit » ;
« Un court circuit peut entraîner le feu ».

172
Dans ces extraits, les références aux savoirs académiques sont faites
par les élèves sur le danger du courant électrique en relation avec les
notions de tension (« atteint par du 230 V », « prend du 230 V »),
d’intensité (« courant trop fort », « une décharge », « prend le
courant ») et d’un facteur aggravant lié à la présence d’eau (« l’eau est
conducteur », « fluide conducteur », « les prises sont mouillées »,
présence d’eau sur »). On constate également une référence à des
savoirs académiques pour évaluer les conséquences d’un incident
électrique sur l’environnement (« prendre feu », « incendie »,
« entraîner le feu », « surintensité sur le circuit »), sur le danger
d’échauffement des conducteurs lié à un court circuit par une mise en
contact accidentelle de deux conducteurs dénudés et pouvant conduire
à un incendie (« un court circuit peut entraîner le feu ») et sur le danger
d’échauffement des conducteurs lié à une surcharge par branchement
de plusieurs appareils branchés sur la même prise (« surintensité sur le
circuit »).
Ces extraits montrent que les élèves font appel à des savoirs
académiques pour évaluer la dangerosité des situations de travail.
Cependant on constate que les élèves du sous-échantillon B utilisent des
expressions plus en lien avec le milieu professionnel (« prendre une
décharge », « choc électrique ») alors que les élèves ayant suivi un
enseignement de PRP vont se référer à un vocabulaire spécifique au
risque professionnel d’origine électrique (« si elle ne meurt pas
électrocutée, il peut quand même y avoir des brûlures ou des
séquelles »). On peut donc noter une influence de l’environnement
scolaire sur les terminologies utilisées par les élèves ayant suivi un
enseignement de PRP, mais également une influence du milieu
professionnel notamment sur l’usage d’expressions professionnelles en
lien avec le métier d’électricien par exemple : « prendre une décharge,
une châtaigne, le jus… »
Les savoirs technologiques
L’analyse des réponses des élèves à la question ouverte « Que faut-
il faire pour réduire le risque ou le supprimer ? », nous permet de
dégager des références à des savoirs technologiques.
Pour le sous-échantillon A, on peut relever les extraits suivants :
« Respecter les normes de sécurité. » ;
« Utiliser des appareils plus isolés. » ;

173
« Appeler un électricien. »
Dans ces extraits, les références aux savoirs technologiques sont faites
par les élèves en relation avec les mesures protections prévues par la
réglementation sur l’habilitation électrique (« appeler un électricien ») ou
les normes de sécurité des appareils électriques (« normes de sécurité »).
Pour le sous-échantillon B, nous retrouvons une référence aux savoirs
technologiques dans l’extrait ci-dessous :
« Utiliser un appareillage conforme. »
Dans cet extrait, la référence aux savoirs technologiques est faite par
l’élève en relation avec la notion de conformité qui renvoie aux normes de
sécurité des appareils électriques (« utiliser un appareillage conforme »).
Pour le sous-échantillon C, nous retrouvons une référence aux savoirs
technologiques dans l’extrait ci-dessous :
« Il faut mettre une prise avec la terre (s’il n’y en a pas). » ;
Dans cet extrait, la référence aux savoirs technologiques est faite par un
élève en relation avec les dispositifs de sécurité qui sont intégrés aux
installations lorsque celle-ci est conforme à la norme. Ainsi, la présence
d’une prise de terre laisse supposer que les moyens de protection présents
sur l’installation peuvent être suffisants pour assurer la santé et la sécurité
des personnes. Cette attitude vis à vis des moyens de protection peut être
également relevée dans le comportement des jeunes vis-à-vis du port du
casque et de la protection qu’il assure en cas d’accident. « J’ai le casque…
je risque rien ». Or, le casque protège en cas d’accident, mais n’empêche pas
l’accident de se produire. De plus, les conséquences de l’accident peuvent
être très graves même avec un casque.
Nous retrouvons également des références aux savoirs théoriques ou
académiques dans les extraits du sous-échantillon D :
« Mieux informer les personnes pour qu’elles se mettent aux normes. » ;
« Prendre des prises aux normes. » ;
« Mettre un disjoncteur et une prise de terre. » ;
« Isoler tout ce qui est prise électrique. » ;
« Une seule multiprise « waterproof. » ».
Dans ces extraits, les références aux savoirs technologiques sont
faites par les élèves en relation avec les moyens de protection intégrés

174
à l’installation (disjoncteur, prise de terre) et par l’utilisation d’un
matériel électrique adapté aux contraintes environnementales (présence
d’eau). Ainsi, l’utilisation du terme « waterproof » peut être rapprochée
des matériels protégés contre la pénétration d’eau. Il est ici intéressant
de noter que la référence aux savoirs technologiques est faite par un
élève qui met en regard les dispositifs de sécurité (disjoncteur et prise
de terre) mis en place sur l’installation et la prévention des accidents
d’origine électrique.
Le savoir technique ou technologie pratique
L’analyse des réponses des élèves à la question ouverte « Que faut-
il faire pour réduire le risque ou le supprimer » nous permet de dégager
des références à des savoirs techniques.
Pour le sous-échantillon A, on peut relever les extraits suivants :
« Il fait arrêter de brancher beaucoup d’appareils. » ;
« Il faut inspecter le matériel. » ;
« D’abord tout débrancher et essuyer l’eau sur les prises. » ;
« Mettre des gants spéciaux. »
Dans ces extraits, les références aux savoirs techniques sont faites
par les élèves en relation avec les mesures de prévention de types
consignes de sécurité qui renvoient à des règles d’intervention. Ainsi,
l’extrait « D’abord tout débrancher et essuyer l’eau sur les prises » peut
être rapproché de la consigne « Intervenir hors tension pour effectuer
une réparation », « Il faut inspecter le matériel » de la consigne « Faire
vérifier et entretenir le matériel » et « Mettre des gants spéciaux » de la
consigne « Utiliser les protections individuelles ».
Nous retrouvons également des références aux savoirs techniques
dans les extraits du sous-échantillon B :
« Couper le courant et changer les prises. » ;
« Mettre des gants et chaussures de sécurité. » ;
« Utiliser un appareillage conforme. »
Dans ces extraits, les références aux savoirs techniques sont faites
par les élèves en relation avec les mesures de prévention de types
consignes de sécurité qui renvoient à des règles d’intervention. Ainsi,
l’extrait « Couper le courant et changer les prises » peut être rapproché

175
de la consigne « Intervenir hors tension pour effectuer une réparation »,
« Utiliser un appareillage conforme » de la consigne « Utiliser des
matériels normalisés » et « Mettre des gants et chaussures de sécurité »
de la consigne « Utiliser les protections individuelles ».
Nous retrouvons également une référence aux savoirs techniques
dans les extraits du sous-échantillon C :
« Mettre des gants isolants pour être en sécurité. »
Dans cet extrait, la référence aux savoirs techniques est faite par un
élève en relation avec les mesures de prévention à prendre si les travaux
de réparation sont effectués sous tension. Elle renvoie à la consigne
« utiliser les protections individuelles » pour intervenir en toute
sécurité.
Nous retrouvons également une référence aux savoirs techniques
dans les extraits du sous-échantillon D :
« Entretenir son réseau électrique. » ;
« Mettre des gants ou couper le courant. »
« Mettre le matériel à jour et dans les normes. » ;
« Refaire l’installation électrique dans les normes (changer la
multiprise, ne pas brancher ce câble dénudé). » ;
« Tapis isolant. »
Dans ces extraits, les références aux savoirs techniques sont faites
par les élèves en relation avec les mesures de prévention à prendre si
les travaux de réparation sont effectués sous tension : « Mettre des gants
ou couper le courant ». Il précise également qu’une autre possibilité
peut être envisagée « couper le courant ». Cette mise en parallèle de
deux solutions possibles laisse supposer qu’un compromis entre la
nécessité d’appliquer la réglementation et l’obligation de réaliser
l’intervention, est envisagé. Ce passage des principes règlementaires à
des principes applicables aux cas particuliers relève d’une adaptation
locale visant à concilier sécurité et production. Les extraits montrent
également une obligation de respect de la « norme » notamment en ce
qui concerne le matériel et l’installation. La présence du « tapis isolant »
renvoie aux consignes d’utilisation des protections individuelles lors
des interventions en présence de courant électrique.

176
Les savoir-faire
S’agissant de règles non écrites issues de l’expérience et transmis
par la collectivité de métier les savoir-faire sont généralement opaques
à toutes formes de dialogues exceptés entre pairs. Dans ce contexte,
l’analyse des réponses des élèves aux questions ouvertes « Justifiez
votre choix » et « Que faut-il faire pour réduire le risque ou le
supprimer ? », ne nous permet pas de dégager des références à des
savoir-faire. Cependant, la mise en parallèle des résultats obtenus avec
l’analyse des savoirs mis en jeu par les professionnels (Cheneval-
Armand & Ginestié, 2009) lorsqu’ils sont confrontés à un risque
électrique devrait nous permettre d’inférer certains de ces savoirs
Sous-échantillon D : « le compteur le sauvera peut-être »
Dans cet extrait, la prise en compte par l’élève d’un dispositif de
protection intrinsèque (compteur – disjoncteur) présent sur
l’installation et susceptible de le « sauver » pourrait le conduire dans
les mêmes circonstances à réaliser une manipulation en présence de
courant électrique. Pourtant une prescription règlementaire rend
obligatoire la mise hors tension de l’installation avant toute
intervention. Dans ce cas, l’élève pourrait mettre en œuvre un geste
professionnel qui se substitue à la norme ou au règlement.
Parcours de formation et évolution du rapport aux savoirs
Pour nous permettre d’identifier comment évoluent les références
aux savoirs académiques, technologiques, techniques et savoir- faire
des élèves, nous avons regardé si le nombre de références à ces
différents types de savoirs est influencé par le parcours de formation.
Le tableau suivant reprend le nombre de références mobilisées par les
élèves des sous-échantillons A, B, C et D dans la situation
professionnelle n°3 correspondant à un risque électrique.

177
A B C D Total
Savoirs 20 15 4 35 74
académiques
Savoirs 3 1 1 6 11
technologiques
Savoirs 68 45 3 83 199
techniques
Savoir-faire 0 0 0 1 1
Total 91 61 8 125 285

Tableau 5 : Nombre de références mobilisées par les élèves des sous-


échantillons A, B, C et D dans la situation professionnelle n°3

Du point de vue des références aux savoirs académiques et


technologiques mis en jeu, on constate que se sont les élèves du sous-
échantillon C qui performent le mieux c’est-à-dire les élèves qui ont
suivi un enseignement de PRP, mais qui n’ont pas d’expérience
professionnelle en entreprise. On peut donc supposer une influence de
l’institution scolaire sur l’augmentation du nombre de références mis
en jeu par les élèves. Du point de vue des références aux savoirs
techniques mis en jeu, on constate que c’est dans le sous-échantillon B
que les élèves performent le mieux c’est-à-dire les élèves qui n’ont pas
suivi d’enseignement de PRP, mais qui ont une expérience
professionnelle en entreprise de minimum sept semaines. Nous
trouvons ensuite les élèves du sous-échantillon D qui ont une
expérience professionnelle en entreprise de vingt-deux semaines, mais
qui ont suivi un enseignement de PRP. On peut donc supposer une
influence de l’institution milieu professionnel sur l’augmentation du
nombre de références aux savoirs techniques mis en jeu par les élèves.
Du point de vue des références à des savoir-faire, seuls les élèves ayant
une expérience de vingt-deux semaines semblent les mettre en jeu.
L’analyse des réponses des élèves pour justifier des conséquences
du risque et proposer des mesures de prévention pour le réduire ou le
supprimer, nous permet de mettre en lumière l’influence du milieu
professionnel et de l’enseignement de PRP sur les savoirs mis en jeu
par les élèves. Les résultats montrent que l’expérience acquise par les
élèves lors des périodes de formation en entreprise a une influence

178
directe et significative sur la limitation des savoirs transmis par l’école.
En effet, les élèves (échantillon C) qui n’ont pas encore d’expérience
professionnelle font facilement et abondamment référence aux savoirs
enseignés en PRP (savoirs académiques et technologiques). Lorsque
l’expérience s’accroit, cela les amène à réduire de manière drastique ces
références (comparaison C et D). Cette situation confirme que
l’expérience professionnelle favorise l’adoption des références
véhiculées par le milieu professionnel. Les résultats montrent
également que la durée de l’expérience professionnelle a une influence
directe sur la mobilisation de références aux savoir-faire.

Discussion
Cette influence des variables du parcours de formation
(enseignement de PRP, expérience professionnelle en entreprise) sur les
savoirs mis en jeu révèle que le rapport personnel à l’objet de savoir
« prévention des risques » peut fluctuer voir être complément remis en
cause dès lors que le sujet change d’institution. En effet, la
confrontation de l’apprenant à des organisations de savoirs différentes
selon les lieux de formation (école – entreprise) conduit les élèves à
développer un rapport personnel aux savoirs en référence à l’institution
industrielle et en contradiction avec les savoirs véhiculés par
l’institution scolaire. Cette mise en tension des différents rapports aux
savoirs, nous permet de qualifier les écarts entre ce qui est proposé aux
élèves et les pratiques effectives des professionnels dans les entreprises.
Cet écart relève de la nature des problèmes auxquels sont confrontés les
professionnels qui doivent penser leurs actions dans des cadres concrets
et réels, dans des pratiques quotidiennes, où la sécurité s’exprime en
termes de compromis entre la réglementation à appliquer et l’obligation
d’optimisation des interventions dans des conditions de concurrence
économique. Bien évidemment, les problèmes scolaires ne relèvent pas
de ce type de contraintes. Dans ce système, c’est la maîtrise des
démarches d’analyse des risques et des connaissances scientifiques qui
est privilégiée. Il y a une mise en tension entre deux mondes aux
finalités radicalement différentes : l’entreprise et l’école. Dans
l’entreprise, la productivité et l’efficacité organisent largement
l’activité. À l’école, le rapport à la norme va trancher dans cette
confrontation. De fait, l’élève va être soumis à cette double injonction,
celle de l’école qui ne transige avec la sécurité et celle de l’entreprise
qui s’en accommode. Cela induit un décalage entre les activités

179
scolaires qui disent comment il faudrait faire (et qu’il l’explique et le
justifie largement) et les activités professionnelles dans lesquelles il
faut faire en préservant la productivité. Les pratiques des professionnels
s’imposent comme référence pour les élèves. Ce qui a pour
conséquence de limiter considérablement la prétention à faire évoluer
les gestes professionnels à partir de la formation initiale. On ne modifie
pas les pratiques professionnelles sans une implication forte des
professionnels. De ce fait, cela pose la question des organisations de
formation qui se pensent trop de manière discontinues et ne donnent pas
les moyens aux élèves de construire leur identité professionnelle
autrement que dans le processus adhésion opposition. La construction
de continuité suppose de développer des organisations de formation
centrées sur les progressions des élèves, l’accompagnement personnel
et l’évaluation formative au travers de conduite de projets, de travaux
collaboratifs et d’approche par résolution de problème.

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182
Chapitre 9
Dimension socio-constructivisme des apprentissages
avec les TIC

John Williams et Nhung Nguyen

Introduction
Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont
définies par l’UNESCO comme des formes de technologies utilisées pour
créer, diffuser, stocker, manipuler et échanger des informations (Meleisea,
2007). Cette large définition inclut toutes les formes de technologies de
communication de l’information. Les TIC sont aujourd’hui généralement
associées aux formats numériques et électroniques de la technologie tel que
les ordinateurs, les réseaux, le courrier électronique, Internet, le téléphone, la
télévision, la radio etc.
Dans les années 1960 et 1970, les enseignants et professeurs universitaires
ont commencé à utiliser la télévision, la radio, des rétroprojecteurs et des films
dans leurs enseignements. Depuis que les ordinateurs personnels et Internet
ont été développés à la fin des années 1980 et au début des années 1990,
l’utilisation des TIC dans l’éducation s’est rapidement accrue. L’histoire de
l’utilisation des technologies dans l’apprentissage est récapitulée sur sept
générations dans le tableau 1.
Pour les première et deuxième générations (les années 1960 et 1970), la
mise en place des TIC concerne du matériel imprimé, des diapositives, des
cassettes audios, des bandes vidéo et l’apprentissage informatique (Caladine,
2008). Les supports pédagogiques technologiques ont été utilisés en tant que
matériels didactiques dans la salle de classe et dans la formation à distance.
Ce n’est pas avant la troisième génération que les TIC commencent à être
utiliser comme un outil interactif dans l’enseignement et l’apprentissage.
À la fin des années 1980 et 1990, la prolifération des ordinateurs
individuels et d’Internet ont abouti à des changements significatifs lors de la

183
mise en œuvre des TIC dans l’enseignement. Pour les quatrièmes et
cinquièmes générations, les TIC ne sont pas seulement des ressources pour
apprendre, mais aussi des outils pour faciliter l’interaction et la collaboration
(Taylor, 1995). L’apprentissage de systèmes de gestion des cours en ligne
(comme par exemple les plateformes WebCT et Blackboard) deviennent
répandus. La mise en place de multimédia interactif en ligne, l’accès aux
ressources Internet, l’ordinateur comme outil de médiation des
communications, les systèmes de réponses automatisées et les portails
universitaires permettant l’accès aux processus et ressources institutionnels
ont fourni un environnement d’apprentissage fortement interactif et flexible
pour les étudiants.
La sixième génération diffère des autres générations en raison de la mise
en place de techniques et d’environnements interactifs à la pointe de la
technologie (Caladine, 2008). Les caractéristiques particulières de la sixième
génération concernent l’utilisation de matériels didactiques produits par les
apprenants, l’utilisation de logiciels comportant des interactions sociales (par
exemple les blogs et les wikis) et la croissance de ressources multimédias
partagées. Les caractéristiques de la sixième génération correspondent au
passage du Web 1.0 au Web 2.0. Le Web 1.0 se réfère à la première génération
du Web ou les informations sont simplement publiées. La deuxième
génération du Web (le Web 2.0) permet aux utilisateurs de contribuer au Web
(Downes, 2005). Par exemple, les réseaux sociaux (comme Facebook, Flicker
et Yahoo360) permettent de créer son propre profil et de télécharger des
informations incluant des textes, des photos, des images, des fichiers audios
et vidéos. Les utilisateurs peuvent aussi ajouter, éditer et enlever du contenu.
Wikipédia est un autre exemple de Web 2.0 écrit collaborativement par des
utilisateurs.
La septième génération utilise le Web 3.0 c’est-à-dire le Web sémantique.
Dans son ensemble le Web 3.0 se distingue par des technologies issues de
l’intelligence artificielle. Ces technologies intègrent et transforment les
différents types de données produites par des programmes issus d’utilisateurs
et d’ordinateurs. Elles fournissent des informations qui s’adaptent aux besoins
de l’utilisateur. Ces technologies aboutissent à des plates-formes
communicatives permettant d’échanger des connaissances et de coopérer.
Elles ouvrent de nouvelles approches pour l’apprentissage et fournissent aux
apprenants de multiples possibilités. Par exemple, les sites collaboratifs basés
sur la 3D virtuelle et l’interopérabilité du Web 3.0 au travers de différents
dispositifs (comme des télévisions, des téléphones portables, des voitures, des
réfrigérateurs, des appareils portatifs et des ordinateurs) fournissent aux

184
apprenants des expériences d’apprentissages riches et efficaces (Rajive et Lal,
2011). Les moteurs de recherche du Web 3.0 sont pour les apprenants des
outils de recherche puissants, intelligents et adaptatifs. De nos jours avec
Internet des quantités énormes d’informations sont stockées, elles incluent la
connaissance et l’expertise des organisations sociales mondiales au travers des
cultures et des artefacts. À partir de ces sources, les moteurs de recherche
intelligents du Web 3.0 permettent aux apprenants de récupérer de
nombreuses informations significatives. Les résultats des recherches sont
adaptés aux besoins particuliers des apprenants. Les jeux, les simulations et
les laboratoires virtuels 3D sont autant de nouveaux exemples en ligne, ils
permettent de collaborer et d’interagir d’une façon plus naturelle et fournissent
des expériences virtuelles qui seraient trop coûteuses ou difficiles à réaliser
dans la réalité.
Génération Technologies associées
Première génération
Le modèle avec Impression papier
correspondance

Deuxième génération Impression papier, projection de


diapositives, cassettes audios ou vidéos,
Le modèle apprentissage assisté par ordinateur, vidéo
multimédia interactive (disques et cassettes)
Troisième génération Audio et téléconférence, vidéoconférence,
Le modèle par communication audio et par graphiques,
téléapprentissage télé et radiodiffusions
Quatrième génération
Multimédia interactif, accès Internet et aux
Le modèle par ressources du Web, communication par
apprentissage ordinateur
flexible
Multimédia online interactif
Cinquième
Accès Internet et aux ressources du Web
génération
Communication par ordinateur avec
Le modèle par
systèmes de réponses automatiques
apprentissage
flexible et intelligent Portail universitaire d’accès à des
ressources ou processus institutionnels

185
Logiciels sociaux
Sixième génération
Création de ressources par les étudiants
Web 2.0 e-learning
Partage d’expérience et de ressources
2.0
Contenu médiatique enrichi
Septième génération Web sémantique, intelligence artificielle,
Web 3.0 e-learning graphique et contenu Web 3D,
3.0 interopérabilité, recherches intelligentes.

Tableau 1 : L’histoire des TIC dans l’éducation

Un modèle pédagogique d’intégration


La relation entre l’apprentissage et les TIC est présentée dans le
modèle pédagogique intégrant le Constructivisme et les principes
d’apprentissage Socioculturels par les TIC (Modèle CST, figure 1). Le
modèle sera expliqué en détails et quelques éléments spécifiques du
cadre schématique de la figure 1 seront à nouveau analyser pour les
situer plus facilement dans le modèle et pour les détailler.
Principes d’apprentissage socioculturel
Ce chapitre explorera l’aspect social de l’apprentissage (la partie
inférieure du modèle de CST). Il expliquera la nature de l’apprentissage
du point du vue culturel et social puis spécifiera alors cette perspective
dans un principe d’apprentissage socioculturel et expliquera comment
les TIC peuvent faciliter l’apprentissage dans des contextes sociaux.
La nature de l’apprentissage
Dans le modèle CST (figure 1), l’apprentissage est placé au centre.
En général, la nature de l’apprentissage peut être expliquée à partir des
points de vue constructivistes, socioculturels et cognitifs.
L’apprentissage a lieu dans des contextes sociaux (théories
socioculturelles) et entraîne la création individuelle et l’organisation de
connaissances (constructivisme cognitif).
Les aspects socioculturels de l’apprentissage impliquent que les
apprenants participent à un processus social de construction de
connaissances (Cobb & Bowers, 1999 ; Cole, 1995 ; Greeno, 1997 ;
Lave & Wenger, 1991). Les connaissances (cognitives ou intelligentes)

186
sont dispensées au travers de systèmes sociaux, à travers et parmi les
personnes, les apprenants, les cultures, des artefacts, des
environnements et des situations (Cole & Engeström, 1997 ; Pea, 1997 ;
Salomon & Perkins, 1996 ; Salomon & Perkins, 1998). L’apprentissage
est également orienté vers des objectifs (Cole & Engeström, 1997 ; Pea,
1997 ; Salomon & Perkins, 1996 ; Salomon & Perkins, 1998), il est
intégré à des contextes et des activités (Brown, Collins, & Duguid,
1989 ; Greeno, 1997 ; Lave & Wenger, 1991). Il est aussi véhiculé par
des artefacts et des outils culturels (Salomon & Perkins, 1998 ; Wertsch,
1991, 1994 ; Wertsch, Río, & Alvarez, 1995).

TIC : outils support Apprentissage : création


d’un apprentissage et auto-organisation de
connaissances
Apprentissage
facilité par des
Constructivisme
outils de
médiation
Aspect individuel

TIC : apport de flexibilités Apprentissage


dans l’apprentissage

Aspect social

Théories
socioculturelles

L’apprentissage
TIC – artéfacts : apparait dans des
Favoriser contextes sociaux

Figure 1 : Modèle pédagogique intégrant le Constructivisme et les


principes d’apprentissage Socioculturels par les TIC (Modèle CST).

Le modèle CST se concentre sur trois significations de


l’apprentissage social qui ont été présentées par Salomon et Perkins
(1998) :

• Médiation sociale active de l’apprentissage individuel,


• Médiation sociale comme construction de connaissance
participative,
• Médiation sociale par échafaudage culturel.

187
La deuxième signification de l’apprentissage - médiation sociale
comme construction de connaissance participative – le présente comme
un processus social participant à la construction de connaissance. Ce
type de perspective est aussi partagé par plusieurs chercheurs dans ce
domaine, dont Cole (1995) et Greeno (1997).
La médiation sociale de l’apprentissage et l’individu impliqué sont
perçus comme intégrés l’un à l’autre et sont présents dans un système
très ancré. Dans un tel système, l’interaction sert à véhiculer des
pensées socialement partagées. En conséquence, les résultats de
l’apprentissage, conjointement construits, sont distribués à tout le
système social plutôt que de rester en possession de l’individu
participant (Salomon & Perkins, 1998, p. 4).
La médiation sociale par échafaudage culturel - troisième
signification de l’apprentissage – montre que, selon Salomon et Perkins
(1998), l’apprentissage pourrait être obtenu par la médiation d’artefacts
culturels utilisés comme des outils (par exemple des livres, des photos
et des vidéos) et des sources d’informations.
De tels artefacts peuvent aller de livres et bandes vidéo, qui incarnent
tacitement des accords culturels partagés, à des outils statistiques qui
incarnent eux des symboles socialement partagés, par exemple, "une
langue de pensée" qui inclut des termes finalement élaborés comme
hypothèse, conjecture, théorie et supposition (Salomon et Perkins,
1998, p. 5).

Un principe d’apprentissage socioculturel :


l’apprentissage dans un contexte social
D’un point de vue socioculturel, l’apprentissage s’intègre dans des
contextes sociaux (Figure 2). Ce principe s’inscrit dans la signification
de l’apprentissage et est identifié par Salomon et Perkins (1998) : la
médiation sociale vue comme construction de connaissance
participative. Il est également basé sur les notions de distribution de
connaissance et d’apprentissage en situation.
La cognition (au sens intelligence ou connaissance) se répand au
travers des systèmes sociaux, des individus, des apprenants, des
cultures, des artefacts, des environnements et des situations (Pea, 1997 ;
Salomon & Perkins, 1996 ; Salomon & Perkins, 1998). Il est admis que

188
la connaissance (au sens de l’intelligence) s’acquiert plutôt que d’être
détenue par des individus participant à des activités apprenantes (le
Pois, 1997 ; Salomon et Perkins, 1998) et "l’apprentissage est une
participation à une pratique sociale" (Greeno, 1997, p. 9). En d’autres
termes, selon ces auteurs, la connaissance ou l’intelligence se mettent
en place en participant à des activités sociales.

TIC : offrent des flexibilités


dans l’apprentissage Apprentissage

Aspect social

Théories socio-culturelles

TIC – artéfacts : L’apprentissage se produit dans


favorisent les interactions des contextes sociaux

Figure 2 : Les TIC comme support de l’apprentissage au travers des


aspects sociaux (partie inférieure du modèle de CST)

Selon Pea (1997), la distribution de la connaissance a deux


dimensions : sociale et matérielle. La distribution sociale de la
connaissance se rapporte à celle construite en participant à des activités
organisées sociales comme le travail en groupes pour accomplir des
objectifs qui sont partagés. Dans cette perspective, l’acquisition de
connaissances et compétences de la part des apprenants se produisent
quand ils participent aux pratiques sociales (Cobb & Bowers, 1999 ;
Greeno, 1997 ; Salomon & Perkins, 1998). Donc, " les débats au sujet
des dispositions alternatives pour l’apprentissage nécessitent de prendre
en compte des valeurs comme d’avoir des étudiants qui apprennent à
participer aux pratiques d’apprentissage que ces arrangements
permettent " (Greeno, 1997, p. 10). La distribution matérielle des

189
connaissances concerne les connaissances construitent en utilisant des
artefacts pour finaliser des activités. Ainsi, en concevant des tâches
d’apprentissage pour des étudiants, les éducateurs du secteur socioculturel
doivent concevoir des activités de travail en groupes pour que les étudiants
aient des opportunités de participer et travailler dans ces groupes. Les
étudiants interagissent et collaborent l’un avec l’autre quand ils effectuent la
tâche d’apprentissage et coconstruisent leurs connaissances et compétences.
En partant du fait que l’apprentissage est facilité par la participation à des
pratiques sociales (Cobb & Bowers, 1999 ; Lave & Wenger, 1991), il est
possible de soutenir que " les connaissances se mettent en place en étant en
partie le produit d’une activité, d’un contexte et d’une culture dans laquelle
elles sont développées et utilisées " (Brown et al., 1989, p. 32). En parallèle
à cette notion ou l’apprentissage est lié aux contextes et activités, des aspects
culturels mettent aussi en valeur des systèmes d’activités interactives dans
lesquelles les apprenants interagissent avec d’autres personnes (autres
apprenants, des professeurs et tuteurs) aussi bien qu’avec des artefacts (tel
que les outils des TIC et ressources pour apprendre) (Cobb & Bowers, 1999
; Cole & Wertsch, 1996 ; Greeno, 1997).
Les TIC facilitent l’apprentissage se déroulant des contextes sociaux
L’apprentissage est facilité par des outils médiatiques, tel que des signes,
des diagrammes, la réalité virtuelle, le langage, un équipement expérimental,
des outils techniques et la technologie (Daniels, 2008) (Figure 3). Ces outils
permettent fortement d’améliorer les processus d’apprentissage. Ils peuvent
orienter la pensée et moduler les actions. Les outils de médiation stimuleront
les apprenants qui peuvent alors construire leurs propres connaissances dans
un contexte social si les enseignants utilisent ces outils efficacement.

Apprentissage facilité par


des outils médiatiques

TIC : offrent des flexibilités


dans l’apprentissage

Figure 1 : Outils médiatiques (partie gauche du modèle CST).

190
Les TIC en tant qu’artefacts peuvent promouvoir l’interaction et
faciliter la co-construction de connaissances dans des contextes sociaux
(Figure 2). On considère que l’interaction dans ce modèle contient
l’interaction entre (1) étudiants - enseignants, (2) étudiants - étudiants
et (3) étudiants – matériel et tâches d’apprentissage.
Un environnement d’apprentissage flexible se décline généralement,
dans une pensée commune, comme un enseignement à distance,
pourtant l’apprentissage flexible s’associe, pour les étudiants, à
différents choix du point de vue temporel, du point du vue du lieu, des
sujets et du matériel d’apprentissage. Les lieus où les apprenants
contactent les enseignants et d’autres apprenants sont simplement une
des dimensions de la flexibilité.
Collis et Moonen (2001) statuent que la flexibilité dans les
apprentissages concerne une variété d’options pour les apprenants dans
l’environnement d’apprentissage. Dans les recherches actuelles, les
TIC sont utilisées afin de diversifier les options pour des étudiants en
termes de ressources et d’organisation des instructions d’apprentissage
et de communication. De plus, les TIC sont mises en place pour aider
les apprenants dans leurs choix parmi les organisations sociales
d’apprentissage et les langages.
Les ressources d’apprentissage
Les apprenants disposent d’un large éventail de ressources
d’apprentissage, y compris des ressources traditionnelles (manuels,
ressources de bibliothèque) et des ressources TIC (logiciels éducatifs,
applications, jeux, réalité virtuelle, ressources enrichies sur Internet et
vidéos). Les étudiants ont la possibilité d’accéder à des ressources en
ligne illimitées créées par des scientifiques, experts, conférenciers,
leurs pairs et différentes communautés. Ces ressources sont tout aussi
riches que variables du point de vue du format par exemple des textes,
des photos, des diagrammes, des animations, la 3D, la réalité
augmentée, de l’audio, des vidéos et la réalité virtuelle. Les étudiants
ont l’occasion d’interagir avec ces ressources et d’exploiter ces artefacts
des TIC pour s’engager dans des activités d’apprentissage significatives
et des connaissances coconstruites (Pea, 1997 ; Salomon & Perkins,
1998).

191
L’organisation des instructions d’apprentissage
L’organisation des instructions d’apprentissage devient plus flexible
quand des interactions face à face, des systèmes de gestion des cours et
d’autres de tests assistés par ordinateur sont intégrés aux cours. Cette
organisation fournit aux apprenants de nombreuses alternatives pour
leurs proposer des devoirs et d’interagir dans un cours. Des logiciels et
des outils technologiques sont mis en œuvre lors de cours magistraux.
Cette intégration permet aux étudiants : de décider de l’allure de l’étude,
de choisir le mode d’instruction (par exemple face à face ou en ligne),
de l’horaire et du lieu pour contacter les enseignants et d’autres
étudiants (par exemple dans les classes à un moment donné ou hors
campus pendant des jours ouvrables). De plus, la mise en place des TIC
donne aux étudiants le choix des méthodes et de la technologie à utiliser
pour obtenir de l’aide et prendre contact.
Communication
La mise en œuvre des TIC offre une gamme de méthodes alternatives
pour communiquer comme la conversation face à face, le courrier
électronique, le chat en ligne, la conférence vidéo, les forums et les
réseaux sociaux. Ces pratiques améliorent la flexibilité de
l’organisation sociale d’apprentissage à travers le temps, les lieux et les
méthodes d’interaction. La communication peut être synchrone ou
asynchrone. Ces flexibilités dans la communication apportent des
opportunités aux enseignants et aux étudiants pour promouvoir la
discussion et l’interaction (Jonassen, Carr & Yuen, 1995), et fournissent
ainsi un environnement de soutien pour apprendre de manière collective
(Thomas & Brun, 2011).
Les discussions et interactions entre les apprenants et les
enseignants-apprenants dans des systèmes sociaux interactifs sont les
pierres angulaires d’un apprentissage basé sur une approche
socioculturelle. Le pouvoir des TIC comme artefact socioculturel est
perçu dans ses capacités à promouvoir la discussion et l’interaction.
Avec les fonctions des TIC comme supports de communication, les
étudiants peuvent travailler en groupes, résoudre des problèmes ou
conduire des tâches d’apprentissage spécifiques. Ils peuvent présenter
leurs raisonnements, argumenter sur la signification et coconstruire
leurs connaissances. Parallèlement à l’interaction avec leurs pairs, les
TIC peuvent fournir aux étudiants des occasions d’interagir avec les
enseignants, tuteurs et experts. Ils peuvent alors obtenir des supports,

192
des conseils et construire leurs connaissances. En fournissant un large
éventail de choix dans des méthodes de communication, les TIC
peuvent assister et améliorer l’apprentissage des étudiants.
Organisation sociale de l’apprentissage et langages
Les étudiants explorent les diverses alternatives des organisations
sociales d’apprentissage et des langages. Les TIC favorisent
effectivement les différentes sortes d’organisations sociales
d’apprentissage (par exemple travailler en groupes, travailler
individuellement ou combiner ces pratiques). Les ressources
d’apprentissage enrichies sont disponibles dans des langues différentes
les étudiants peuvent donc choisir les langues qui leurs conviennent.
La flexibilité des choix offerts par les TIC fournit aux apprenants
une variété d’occasions de participer aux activités d’apprentissage et à
des pratiques sociales sans trop de dépendance du lieu. Les étudiants
peuvent donc être à différents endroits (par exemple à leur domicile,
dans un café, à la bibliothèque etc.) et travailler ensemble sur une tâche
partagée. Les étudiants peuvent aussi participer aux activités
d’apprentissage à n’importe quel moment. Jusqu’à un certain degré, ils
peuvent aussi décider de l’allure à laquelle ils veulent étudier et de la
méthode de travail, soit en groupes soit individuellement. Les choix
décrits précédemment, qui sont facilités par les TIC, encouragent les
apprenants à participer aux systèmes sociaux et s’approprier de
nouvelles connaissances.
Les connaissances des étudiants se construisent quand ils finalisent
des réalisations partagées. Ils apprennent en participant à des systèmes
sociaux interactifs dans lesquels les individus interagissent les uns avec
les autres (étudiants et enseignants) et avec des artefacts (les TIC), y
compris des ressources d’apprentissages conçues par d’autres
professeurs (Greeno, 1997 ; Salomon & Perkins, 1996). La flexibilité
des TIC en termes de communication, d’organisation des instructions,
du temps, du lieu et de l’organisation sociale d’apprentissage peut aider
à promouvoir les interactions et les discussions dans les systèmes
sociaux, et de ce fait améliore l’apprentissage des étudiants.
En fournissant plusieurs options de ressources apprenantes comme
l’organisation de l’instruction, la communication, l’organisation sociale
d’apprentissage, les TIC peuvent faciliter l’apprentissage. Ils peuvent
alors être un outil permettant aux individus de créer et d’autoorganiser

193
la connaissance et de favoriser l’apprentissage par la collaboration et
l’interaction.
Les principes d’un apprentissage constructiviste
L’apprentissage est constitué de deux aspects : l’un individuel et
l’autre social. La nature de l’aspect individuel de l’apprentissage peut
être expliqué par le constructivisme cognitif.
La connaissance, du point de vue d’une perspective constructiviste
(Figure 4), ne peut pas être transférée des enseignants vers les étudiants,
mais est construite par les étudiants.

Les TIC : un outil d’aide à Apprentissage : création et auto


l’apprentissage individuel organisation de connaissances

Constructivisme cognitif

Aspect individuel

TIC : offrent des flexibilités dans


l’apprentissage Apprentissage

Figure 2 : Les TIC favorisent l’aspect individuel de l’apprentissage


(partie supérieure du modèle CST)

Les étudiants apprennent en intériorisant et réorganisant leur


système cognitif (Von Glasersfeld, 1989). Les individus interagissent
activement et dans un but spécifique avec leur environnement lors du
processus d’apprentissage plutôt que de rester passif (Driver and
Oldham, 1986).
Vico dans les années 1600 est à l’origine de la conception du
constructivisme. Deux siècles après Vico, Piaget a significativement
poursuivi la théorie constructiviste (Driver & Oldham, 1986), et a
proposé que le savoir provienne de la construction et de la
reconstruction de connaissances.
Le processus cognitif est l’« optimisation d’un équilibre » qui nous
amène d’un « équilibre » à un nouvel « équilibre » (Bettencourt, 1993).
Ce processus peut aboutir à l’acquisition ou à la modification de
connaissances existantes. Pendant le processus cognitif, des schèmes

194
(concepts, modèles, ou structures) sont créés par assimilation et
adaptation (Von Glasersfeld, 1989). En se confrontant à l’expérience,
les êtres humains ont tendance à juger les schèmes, les assimiler et les
intégrer en tant que structures de connaissance actuelles. Les schèmes
deviennent alors assimilés. Quand les assimilations sont faites, elles
sont utilisées plusieurs fois. Les trois conséquences de ces assimilations
répétées sont la généralisation et la flexibilité des schèmes, l’intégration
de différents schèmes et problèmes. Quand les problèmes apparaissent,
les êtres humains commencent à remarquer les différences et font des
ajustements conséquents dans leurs activités cognitives. Basé sur des
concepts, des modèles et des structures, ils produisent de nouvelles
solutions à plusieurs reprises et ce jusqu’à ce que les nouveaux schèmes
fournissent des résultats attendus. De cette façon, les schèmes suivent
le processus d’accommodation. Piaget déclare que l’assimilation et
l’accommodation, qui mènent à un nouvel équilibre de connaissance,
sont deux pôles opposés de l’interaction entre les êtres humains et leur
environnement lors des processus d’’apprentissage.
Piaget souligne le processus intérieur par lequel un être humain
individuel construit sa propre connaissance (Piaget & Gabain, 1932 ;
Salomon & Perkins, 1996). Bien qu’il y ait parfois interaction sociale,
les schèmes se construisent principalement par l’expérience personnelle
(Piaget & Gabain, 1932 ; Powell & Kalina, 2009) et par des
organisations cognitives. Cette théorie constructiviste, que se focalise
sur l’individu construisant la connaissance, est dénommée le
constructivisme cognitif.
Le constructivisme cognitif explique qu’un être humain en tant
qu’individu construit sa propre connaissance. Cependant, les êtres
humains vivent en société et beaucoup de théoriciens proposent que cet
environnement social ait une influence sur l’apprentissage ; donc, les
facteurs sociaux devraient aussi être pris en compte dans la théorisation
du processus de construction de connaissance (Cobb, 1994 ; Salomon,
1998 ; Von Glasersfeld, 1989). C’est l’aspect social de l’apprentissage
présent dans le modèle CST décrit précédemment.
Du point de vue d’une perspective constructiviste cognitive, les
apprenants créent et autoorganisent leur propre connaissance pour
apprendre (Fosnot & Perry, 2005 ; Von Glasersfeld, 1989) (Figure 4).
Ce principe concerne le processus interne humain de construction de la
connaissance (le constructivisme cognitif). L’apprentissage commence
généralement en observant ou en expérimentant, il continue lorsqu’on

195
donne de la signification et lorsqu’on met en relation les expériences
actuelles avec les systèmes cognitifs que les apprenants ont
précédemment développés. Les apprenants intègrent alors ou
différencient la nouvelle connaissance, ainsi se forme un nouvel
équilibre dans leur système cognitif. Basé sur cette théorie, les
enseignants peuvent faciliter l’apprentissage pour les étudiants en leurs
offrant autant d’occasions que possible d’observer et d’expérimenter
dans un contexte d’apprentissage (Watts & Pope, 1989).
L’enseignement devrait prendre en considération les connaissances
antérieures des apprenants (Driver & Oldham, 1986 ; Ozkal, Tekkaya,
Cakiroglu & Sungur, 2009). Les enseignants doivent fournir l’aide
appropriée de manière à ce que les apprenants puissent relier les
nouvelles informations aux systèmes cognitifs antérieurs, effectuer
ensuite un changement et enrichir leur compréhension.
Les TIC sont utilisées comme outil d’aide à l’apprentissage
individuel
Les TIC, du point de vue du constructiviste cognitif, sont un outil
qui permet aux apprenants de construire individuellement leurs
connaissances (voir figure 4). L’apprentissage du point de vue de la
perspective constructiviste cognitive est un processus d’auto-
organisation de la connaissance. Dans ce processus, l’expérience faite
par les apprenants produit l’assimilation et l’accommodation et cela
permet ensuite d’obtenir un nouvel équilibre des connaissances. Les
TIC offre un matériel d’apprentissage enrichi et des ressources qui
peuvent aider les apprenants à observer et à saisir la signification de
nouveaux phénomènes, ils expérimentent dans un environnement
favorable.
Selon Jonassen, Carr et Yueh (1998) les outils des TIC comme les
moteurs de recherche, les liens hypermédias et les instruments de
visualisation peuvent aider les apprenants à construire leurs
connaissances. Ces auteurs soutiennent qu’avec le volume énorme et
l’intensification des informations, il est nécessaire pour les apprenants
d’avoir un outil qui les aide à avoir accès et à traiter ces informations.
Les moteurs de recherche peuvent jouer ce rôle et localiser les sources
d’information (c’est-à-dire des sites Web) qui correspondent à leurs
besoins. De manière générale les sites Web présentent des informations
sous différentes formes incluant des textes et éléments visuel (par
exemple des photos, des diagrammes, des supports audios et vidéos).
Jonassen et al. (1998) notent que les apprenants mémorisent plus

196
d’informations de manière visuelle plutôt qu’avec d’autres sens. Donc,
les aspects visuels, avec des couleurs, des photos, des supports vidéo
peuvent être considérer comme des outils utiles pour aider les
apprenants à construire leurs propres connaissances.
De plus, les informations contenues dans les sites Web peuvent être
organisées sous formes de structures linéaires ou avec des liens
hypermédias. Une architecture avec des liens permet aux informations
d’être organisées en formes structurées qui montrent des relations
significatives entre et parmi les différents groupes d’informations.
Grace aux liens hypermédias, les apprenants peuvent naviguer entre les
ressources d’informations, ils apprennent comment sont composer les
sources d’informations, ils organisent et réorganisent leurs propres
connaissances. Beaucoup de sites Web avec des fonctions hypermédias
permettent aux apprenants d’ajouter ou de modifier le contenu ou les
liens de ces sites. En modifiant et créant du contenu sur des sites Web,
les apprenants montrent qu’ils comprennent les connaissances
présentées et leurs organisations.
Dans le contexte des principes d’un apprentissage constructiviste, les
TIC peuvent aussi fournir aux étudiants des occasions de construire
leurs connaissances sous des formes symboliques (par exemple des
mots, des diagrammes et des photos) et ils peuvent organiser leurs
connaissances dans un système structuré (par exemple les cartes
heuristiques, les structures avec dossiers et les bases de données)
(Salomon, 1998). Selon Jonassen et al. (1998) les outils de visualisation
issus des TIC aident les apprenants à raisonner visuellement et à
transmettre leurs images mentales. Par exemple, les logiciels qui sont
utilisés pour créer des cartes heuristiques (tel que Mindmap,
SmartDraw et FreeMind) peuvent être un outil efficace pour que des
étudiants organisent et affinent l’agencement des idées. Les logiciels de
dessin et de création d’animation sont des exemples d’outils des TIC
qui aident les apprenants à représenter leurs images mentales.

Conclusion
Il est maintenant impératif que les éducateurs incorporent les
technologies numériques de l’information dans leurs enseignements.
Ceci pour que leurs étudiants puissent bénéficier d’apprentissages
flexibles et être assurer que ces activités d’apprentissages soient
significatives et pleines de sens. Quand cet impératif se situe dans les

197
cadres théoriques du constructivisme cognitif et des principes
socioculturels, les potentialités d’apprentissage résultantes sont
appropriées à un apprentissage efficace et effectif dans lequel les
étudiants peuvent s’engager.

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200
TABLE DES MATIERES

Présentation des auteurs et des autrices ................................................ 7


Introduction .......................................................................................... 9
1. L’enseignement-apprentissage un système complexe d’interaction :
essai de modélisation du complexe .................................................... 17
2. Rôle des langages dans le processus d’EA : langages techniques,
langages mathématiques ..................................................................... 35
3. Interactions langagières en technologie : le repérage des
microdécisions comme approche de l’activité réciproque
professeur/élèves ................................................................................ 53
4. Rôle du débat pour identifier et dépasser les conceptions obstacles
liées à la compréhension de la diversité des êtres vivants et de leurs
stratégies adaptatives .......................................................................... 81
5. Rôle des apprentissages collaboratifs dans la conception d’artefacts :
2 études de cas en situation de formation ........................................... 97
6. Résolution collaborative d’un problème et apprentissage de la
conception : une étude en technologie au collège ............................ 109
7. Facteurs émotionnels et motivationnels dans les processus
d’enseignement-apprentissage.......................................................... 137
8. Références aux savoirs dans l’enseignement professionnel : étude des
tensions entre savoirs professionnels et scolaires dans les domaines de
la santé et de la sécurité au travail .................................................... 155
9. Dimension socio-constructivisme des apprentissages avec les
TIC.................................................................................................... 183

201
Structures éditoriales du groupe L’Harmattan

L’Harmattan Italie L’Harmattan Hongrie


Via degli Artisti, 15 Kossuth l. u. 14-16.
10124 Torino 1053 Budapest
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L’Harmattan Sénégal L’Harmattan Mali


10 VDN en face Mermoz Sirakoro-Meguetana V31
BP 45034 Dakar-Fann Bamako
senharmattan@gmail.com syllaka@yahoo.fr

L’Harmattan Cameroun L’Harmattan Togo


TSINGA/FECAFOOT Djidjole – Lomé
BP 11486 Yaoundé Maison Amela
inkoukam@gmail.com face EPP BATOME
ddamela@aol.com
L’Harmattan Burkina Faso
Achille Somé – tengnule@hotmail.fr L’Harmattan Côte d’Ivoire
Résidence Karl – Cité des Arts
L’Harmattan Guinée Abidjan-Cocody
Almamya, rue KA 028 OKB Agency 03 BP 1588 Abidjan
BP 3470 Conakry espace_harmattan.ci@hotmail.fr
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L’Harmattan Algérie
L’Harmattan RDC 22, rue Moulay-Mohamed
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