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Stefan Gandler
Universidad Autónoma de Querétaro
Résumé / abstract
Dans les dernières années, l'Amérique latine a commencé, dans le terrain social, à se
distancer des centres mondiaux de pouvoir, réorganisant les relations économiques et
politiques; cette tendance, cependant, est à peine évidente dans le domaine de la
philosophie sociale. Il est maintenant urgent de réorganiser la discussion internationale
philosophique et des sciences sociales, utilisant la Théorie Critique comme point de départ.
La Théorie Critique (comme partie de la tradition non dogmatique de marxisme) est une
des théories sociales existantes qui ont la capacité de développer et reconstruire les
éléments restantes des possibilités pour l'autocritique dans société mondiale contemporaine.
Un résultat de cette réorganisation théorique, pourrait être surmonter la dominance
continue de l'européocentrisme philosophique; une dominance qui n'est réellement pas
moins virulent aujourd’hui que dans les années du colonialisme. Seulement par une
réorganisation ouverte et non-européocentrique de la discussion internationale sur la théorie
et la philosophie sociales, il sera possible de donner à société les outils conceptuels qu'elle a
besoin pour surmonter la stagnation de la réflexion théorique dans laquelle elle a été
emprisonnée pendant les dernières trois décennies. Cette stagnation, visible dans notre
incapacité de abandonner la soi-disant idéologie néo-libéral, nous a poussé a réaliser nôtres
vies quotidiennes dans un monde où les conséquences sociales et écologiques de cette
idéologie deviennent irréversibles. La Théorie Critique, à l'origine développée par l'école
de Francfort dans les années 20, 30, 40, 50 et 60 du vingtième siècle, a une certaine
2
D'une part, ce lui que Echeverría appelle l'éthos baroque, qui en Amérique Latine et au
Mexique coexiste avec l'éthos réaliste, n'est pas entendu réellement par la critique classique
de l'idéologie fondé seulement sur le concept du réification; d’autre part, il est nécessaire de
remarquer que la théorie d'Echeverría de l'ethe historique paye un certain prix pour les
contributions qu'il apporte, en perdant certaine radicalité dans la critique de l'idéologie déjà
réaliser dans le marxisme non dogmatique ou « occidental ».
L'intention de ce document est la de reprendre le développement interrompu de cette
tradition philosophique sans reprendre ses limitations née de son européocentrisme, avec
l'aide théorique de certains théories et philosophies sociales produites en Amérique Latine,
comme celui de Bolívar Echeverría. Au même temps, les limitations de ces dernières
théories peuvent, peut-être, être surmontés en les confrontant avec la Théorie Critique
« classique ». Dans cet contexte nous essayerons de développer un concept critique de la
modernité (capitaliste) qui respecte différentes identités culturelles, sans perdre de vue la
réclamation universaliste de la justice et de l'égalité des droits.
Pour réaliser cet projet, à savoir apporter réellement quelque chose à une théorie critique
qui mérite ce nom, nous commençons par l'analyse et la critique de certaines de ses bases
théoriques d'origine, ainsi que la réflexion de discussions tenues à leur propos hors du soi-
disant premier monde, sous prise en considération surtout de la discussion de théorie et
philosophie sociale au Mexique. Ici, au cours des dernières décennies s'est élaborée une
version de la théorie critique dont la discussion scientifique internationale n'a pratiquement
pas tenu compte. Au Mexique lui-même elle ne recueille pas l’attention qu’elle mérite, bien
qu'elle y jouisse de davantage de considération qu'ailleurs. Néanmoins au Mexique
également, dans l'écrasante majorité des cas, lorsqu'on parle de nouveaux apports à la
théorie critique, on pense généralement en productions théoriques en Allemagne. Encore
aujourd'hui très peu auteurs auraient osé imaginer que de nouveaux apports à une théorie
critique du 21ème siècle autrement plus pertinents que ceux d'Habermas, Honneth et leurs
partisans pouvaient provenir par exemple du Mexique.
Alors que l'objet de notre projet ces huit dernières années était de perturber la fixation
allemande sur ses propres contributions en matière de critique sociale - allant de pair avec
l'ignorance vis-à-vis de contributions provenant d'autres pays, comme par exemple le
4
Mexique, il s'agit aujourd'hui pour nous de nous adresser à un public plus vaste: la
communauté des scientifiques et tous ceux qui s'intéressent aux théories et critiques
sociales de France et d'Europe.1
À cette fin nous analysons un auteur qui travaille au Mexique, dont le projet consiste à
enrichir une théorie critique non eurocentriste: Bolívar Echeverría. Ce qui nous intéresse
dans cet essai est sa vision d'un des fondements théoriques de l'École de Francfort des
années 30: le livre Histoire et conscience de classe de Georg Lukács.2 Á son époque, ce
texte a constitué un des premiers apports pour un marxisme non dogmatique, en effet il y
tentait de rompre avec la thèse soutenue par les marxistes orthodoxes, selon laquelle le
prolétariat serait révolutionnaire par définition.
Cette thèse est devenue obsolète au moment de l'ascension du national-socialisme en
Allemagne et du fascisme en Europe, rendue possible entre autres grâce à l'appui d'une
partie du prolétariat et l'échec de la gauche européenne. L'expression principale de cet
échec ayant justement été son incapacité à empêcher cette ascension. L'importance de
l'École de Francfort tint et tient encore aujourd'hui à ce qu'elle a été l'une des rares
tentatives sérieuses d'analyser d'abord empiriquement, ensuite théoriquement le
comportement de grandes parties du prolétariat européen et dans certains autres pays.3
L'ouvrage de Lukács mentionné a été le précurseur théorique de cette tentative d'analyse
scientifique de ce qui était inexplicable pour le marxisme orthodoxe.
1 Le problème est encore plus compliqué: aussi dans le cadre académique allemand il y a
des zones 'périphériques', ou mieux dit exclues, comme par exemple aujourd’hui les
auteurs qui essayent de renouer dans le projet original d'une radicale critique à la société
bourgeoise existante et ses bases conceptuelles les plus profondes.
2 Georg Lukács, Geschichte und Klassenbewußtsein. Studien über marxistische Dialektik.
Berlin: Malik, 1923, Collection: Kleine revolutionäre Bibliothek; 9, 341 p. (Version en
français: Histoire et conscience de classe. Essais de dialectique marxiste. Trad. Kostas
Axelos. Paris. Les Éds. de Minuit, 1984.)
3 Voire par exemple le cas de l'Argentine, et la discussion – même aujourd'hui très
polémique – sur les alliances des parties de gauche avec les péronistes, qui à son tour
avaient une aile clairement fasciste ou même pronazi. (Voir par exemple: Ximena
Ortuzár, « Las respuestas siguen pendientes. Abrió Menem los archivos nazis en
Argentina; poco enseñaron. » Dans: proceso. Semanario de información y análisis.
México, D.F., 24 d'août 1992, n° 825, pp. 44-47.)
5
distinction établie par le fondateur de la sémiotique entre des langues humaines différentes
d'une part et le langage (l'aptitude à la langue) unifiant toute l'humanité d'autre part,
pourrait jouer le rôle de sage-femme pour cette tentative d'un universalisme concret
(contrairement à l'universalisme faussement abstrait, c'est-à-dire eurocentrique, qui domine
aujourd'hui).
Le deuxième thème central de Bolívar Echeverría consiste dans un traitement spécifique
d'une question fondamentale pour le marxisme occidental: Comment est-il possible, que la
forme de production capitaliste, en évidence insupportable, et sa société bourgeoise
correspondante, se présentent aux sujets de cette société comme inévitables, supportables,
et même raisonnables?
Malgré toutes les ressemblances en la question, la réponse de Echeverría s'est
considérablement éloignée du chemin analytique pris en général par le marxisme
occidental. Dans quelques cas, il le fait avec l'intention explicite de continuer à développer
cette analyse avec son empreinte indépendante et aussi de l'enrichir par ses propres
considérations théoriques postérieures. En poursuivant de façon autonome et critique le
marxisme occidental en dehors de la région géographique généralement associée à l'
« occident » Echeverría se distingue dans sa philosophie sociale d'auteurs tels que Georg
Lukács, Karl Korsch, Walter Benjamin, Theodor W. Adorno et Max Horkheimer, auxquels
il se réfère de façon réitérée - quelque fois d'une façon explicite et quelques fois d'une façon
plus distante - sous deux aspects: d'une part, il élargit la perspective de la critique de
l'idéologie qu'il n'abandonne pas, mais la modifie considérablement. D'autre part, il tente,
en recourant par exemple au postulat « entre les lignes » de l'École de Francfort, de sauver
le spécifique et le particulier devant l'emprise théorique et réelle des généralisations, sans
pour autant sacrifier ni les concepts généraux ni l'aspiration générale à la liberté. Ce n'est
pas fortuit qu'une tentative de cette envergure soit entreprise justement en Amérique Latine,
c'est-à-dire, hors du centre aussi apparent que réel, du monde contemporain.
Echeverría prétend démontrer que les différentes formes qu'adopte la vie quotidienne, à
savoir les conceptions existantes et la production de valeurs d'usage dans le cadre des
rapports de production capitaliste, ne doivent pas être conçues comme stades d'un processus
historique qui s'écoule de manière linéaire, mais qu'il y a plutôt diverses modernités
7
capitalistes simultanées (même si l'une d'entre elles tend toujours à prédominer les autres.)
Afin de dépasser la conception superficielle de la progressivité historique, Echeverría
recourt à Walter Benjamin et à ses Thèses de philosophie de l'histoire,4 dont il cite un
passage comme épigraphe dans l'un de ses textes et applique explicitement son critère de
« brosser l'histoire à rebrousse-poil ». (Walter Benjamin)5
Il est remarquable que Echeverría propose ce « brossage à contre-poil » non seulement
dans le sens de rompre avec le «continuum de l'histoire»,6 ce qui pour Benjamin signifie
surtout vaincre le dogme de Cronos, mais qu'il souhaite réaliser cette rupture avec
l'apparent développement historique linéaire sous un autre angle. Il veut échapper à cette
conception de l'histoire soutenue dans une vision linéaire, selon laquelle un développement
historique commence à un point déterminé pour s'étendre lentement vers le reste du monde,
de telle sorte qu'il y aurait toujours des régions plus évoluées que d'autres. Dit d'une autre
manière: tandis que Benjamin veut brosser le continuum historique principalement à
contre-poil du point de vue temporel (chronologique), Echeverría se propose de le faire
dans le spatial (géographique).7
4 Walter Benjamin, Sur le concept d’histoire. Trad. P. Missac, dans: Les Temps Modernes
2, 1946/47 n°25, oct.1947, p. 623-634. Texte original: Walter Benjamin, « Über den
Begriff der Geschichte. » Dans: Walter Benjamin, Schriften, Vol. I, 2. 2. Ed. Frankfurt
am Main 1978, p. 693-704.
5 Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », op. cit. thèse VII, p. 628. Echeverría fait
cette référence à Benjamin dans son texte « El Ethos Barroco », quand il formule en
référence au «siècle XVIIe Américain»:
«La particularité et l’importance de ce siècle apparaissent seulement en vérité quand, en
suivant le conseil de Benjamin, l’historien revient sur la continuité historique qu’a mené
au présent, mais en la révisant ‘à rebrousse-poil’.» (Bolívar Echeverría, « El Ethos
Barroco », dans: Bolívar Echeverría (dir.), Modernidad, mestizaje cultural, ethos
barroco. México, D.F. UNAM et El Equilibrista, 1994, pp. 13-36, ici: p. 29.)
Echeverría emploie le vocable «américain» en sens géographique et non idéologique
comme il est commun dans beaucoup de pays. Il se réfère au continent américain.
6 Ibid. p.49.
7 Walter Benjamin est conscient de l’impossibilité de voir l’histoire comme une continuité
spatiale, comme il a toujours été conçu dans le progressisme que critique. Voir à ce sujet
Benjamin: «Es träumt sich sehr verschieden nach Gegend und Straße, vor allem aber
ganz unterschieden nach Jahreszeiten und nach dem Wetter.» [«On rêve très différent
selon la région et la route, mais surtout, très différent selon les saisons et le temps.»]
(Walter Benjamin, « Das Passagen-Werk », dans: Walter Benjamin, Gesammelte
8
Ici le concept central est la notion des ethos modernes, que Echeverría classifie selon
quatre types de base: ethos réaliste, classique, romantique et baroque. Avec cette
conception il cherche à développer une critique de l'eurocentrisme (philosophique), même
s'il ne l'exprime pas explicitement. Contrairement à Lukács, par exemple non seulement il
se propose d'analyser les effets que le processus de production de marchandises provoque
dans le processus de la connaissance en général, mais souhaite souligner les différences qui
se manifestent selon les régions. Ici il trouve le germe d'une critique à l'universalisme et au
progressisme ingénu. Les deux tendent à l'ethnocentrisme. Un prétendu universalisme
déclare que la forme particulière (nordique et méridionale) européenne du mode de
production capitaliste, avec ses rapports sociaux correspondants et ses manifestations
idéologiques d'une influence protestante prédominante, est la forme développée de cette
étape historique. Puis le progressisme prescrit à toutes les autres régions de suivre cette
forme développée.
L'importance politique de cette différenciation des divers ethos, et avec eux celle des
diverses modernités, est que les pays de la périphérie - périphérie si apparente comme en
même temps réelle - ne sont pas obligés d'attendre la « modernisation » ou de courir après
elle pour participer aux merveilles des rapports de production capitalistes. Avant tout pour
Echeverría ces pays se trouvent déjà - (et en partie depuis beaucoup de temps) immergés
dans la modernité capitaliste, même si elle apparaît sous une autre forme que celle-ci. Dans
la discussion politique et théorique actuelle au Mexique, cet argument n'est pas insignifiant,
étant donné que non seulement le gouvernement central insiste pour entreprendre une
« modernisation » du pays, mais qu'aussi beaucoup de ses adversaires déclarés parlent sans
cesse d'elle. Implicitement il y a ainsi deux suppositions: premièrement le Mexique est un
pays pré-moderne, et deuxièmement tout sera mieux quand le Mexique sera modernisé.
Avec cela on fait référence, pratiquement dans tous les blocs politiques principaux, à ce que
Echeverría appelle « modernité capitaliste ». Sa théorie condamne les deux suppositions
comme totalement fallacieuses.
premier cas le problème se pose du côté de la valeur et, pour le second du côté de la valeur
d'usage. Lukács part de la valeur des marchandises, ce qui n'exprime rien d'autre qu'un
rapport social, ce qui cependant transmet aux producteurs l'apparence objective que la
marchandise serait dotée de vie propre. Pour lui le caractère social de la production
s'incarne par le côté de la valeur des marchandises. Mais cela se soustrait à la
compréhension immédiate à cause de la fixation sur l'aspect de la valeur d'usage, ce qui est
surtout en rapport avec le côté privé de la production, présent aussi dans le double caractère
des marchandises. Lukács se propose d'élucider surtout comment l'idéologie surgit
nécessairement de la forme de production mercantile, pour pouvoir expliquer, à son tour,
pour quelle raison la subjectivité révolutionnaire nécessaire et espérée ne se formait pas à
son époque, bien que les conditions objectives fussent données.
Pour l'auteur latino-américain, le problème se présente différemment, et non en dernière
instance en vertu d'expériences historiques différentes. Pour Lukács et tout le marxisme
occidental la question centrale est de savoir comment peuvent exister des formes de
conscience réifiée également au sein des classes opprimées, surtout dans le prolétariat. Ils
se demandent comment il est possible que des prolétaires, c'est-à-dire des potentiels
révolutionnaires, puissent avoir une conscience contre-révolutionnaire. Avec la montée du
fascisme et du national-socialisme cette question a pris plus d'importance pratique et
théorique.
Pour Echeverría la problématique se présente d'une autre façon.9 En Amérique latine il
n'y avait pas - ou ceci est arrivé à plus petite échelle - cette désertion de grandes masses des
organisations traditionnelles de la gauche vers les mouvements fascistes ou des nationale-
socialistes. C'était justement à cause de cette désertion que l'article le plus connu de
Histoire et conscience de classe, celui qui se réfère à La réification et la conscience du
prolétariat, a eu tant d'importance pour le marxisme occidental, comme c'est le cas pour
l'École de Frankfurt. Mais ce qui pendant des décades a préoccupé la gauche critique de
l'Amérique Latine et préoccupe en partie encore aujourd'hui (dans la mesure où cette
gauche existe encore) est un autre problème: celui de l'eurocentrisme, présent dans de
grands secteurs de la gauche. Il est nécessaire de critiquer l'eurocentrisme non parce qu'il
implique une « mince auto-estime nationale », comme on pense d'habitude dans les
respectives critiques totalement superficielles, mais parce qu'il a mené et mène encore à de
graves erreurs politiques, en particulier par rapport à la politique d'alliances des classes. À
partir des observations les plus superficielles d'un apparent parallélisme entre la réalité
latino-américaine du vingtième siècle et du féodalisme européen on déduit rapidement et
sans grande rigueur conceptuelle que ce continent se trouverait dans l'époque du
féodalisme. Après, on conclut que le prochain pas révolutionnaire serait celui de la
révolution bourgeoise, pour ensuite mettre en marche la révolution socialiste ou
communiste. Ainsi, on essaye de justifier cette façon de flatter servilement les bourgeoisies
nationales respectives et, en même temps, de rejeter n'importe quelle collaboration avec les
classes « en retard », comme par exemple la population rurale appauvrie, les agriculteurs
sans terre, les campagnards et - moins imaginable encore - les indigènes, qu'on considère
plus rétrogrades et même préfeodales.10
Dans une première confrontation entre le concept d'idéologie de Marx (dans le sens de
Lukács) et celui de l'ethos de Echeverría il peut être vérifié que le concept du dernier est
plus large que celui du premier, puisqu'il inclut en grande partie aussi bien l'aspect subjectif
qu'objectif du processus social. Avec cela le concept d'ethos est même plus vaste que le
second concept d'idéologie qu'utilise Marx (celui d'idéologie dans le sens des « formes
juridiques, politiques, religieuses, artistiques et philosophiques, c'est-à-dire idéologiques »)
qui est plus étendu que le premier (idéologie comme « conscience nécessairement fausse »).
Un aspect central de l'ethos historique est, par exemple, la production de valeurs d'usage,
qui comme nous avons déjà vu, diffère toujours et est extérieur à ces « formes
13 Voire: Bolívar Echeverría, « Lukács y la revolución como salvación », op. cit., surtout p.
109.
14 «Le livre de Lukács a perdu son actualité politique au moment même quant il a été
publié. Rédigé dans la première post guerre, dans cet esprit exalté, d’inspiration
apocalyptique, dans laquelle la possibilité de l’ ‘attaque du ciel’ était ‘à l’ordre du jour’;
quand l’ ‘actualité de la révolution communiste’ semblait avoir passé son degré le plus
élevé dans les sociétés européennes, la publication de Histoire et conscience de classe a
coïncidé cependant avec la rapide dépérie de cette actualité révolutionnaire et avec la
canalisation accablante de cet esprit dans une direction résolument messianique, tant
vers sa bureaucratisation au service de la ‘construction du socialisme dans un seul pays’
que vers son éruption contre-révolutionnaire, qui lui transformerait dans l’impulsion
15
Seulement une étude exhaustive de sa philosophie sociale19 pourrait dire si le prix que
paye Bolívar Echeverría pour la possibilité de développer sa théorie non eurocentriste de
l'ethos n'est pas trop élevé ou s'il mène à des connaissances qui le justifient. Malgré les
réserves que l'auteur prend vis-à-vis de la théorie de Bolívar Echeverría, celui-ci dépasse
sans doute amplement et dans des multiples aspects le niveau de la critique atteint
aujourd'hui en Europe. La connaissance de son oeuvre est un impératif pour que puisse
finalement être développé le débat nécessaire sur la possibilité et les conditions préalables
d'un dépassement des rapports sociaux existants et pour commencer à développer une
théorie critique non-européocentrique.