Explorer les Livres électroniques
Catégories
Explorer les Livres audio
Catégories
Explorer les Magazines
Catégories
Explorer les Documents
Catégories
M. Zawadski
L2 G1
Examen :
Oral-écrit d'1h30
Deux questions au choix (extraits à commenter, dissertation).
Il est conseillé de lire les livres concernés.
Plan pas forcément apparent, ni forcément 2 parties 2 sous parties : faire comme on veut du moment que c'est clair et structuré. Importance de
l'introduction. 4 pages maximum. Clarté, précision, exhaustivité, concision.
Introduction
Le cours porte sur la pensée de la politique moderne. Il représente une introduction à la philosophie politique. Les philosophes
tentent d'apporter une réponse à un problème concret, à un problème contemporain de leur époque, ce ne sont pas des inventions pures
à vocation fantastique :p : Par exemple, Hobbes, lorsqu'il conçoit l'idée d'un État, c'est parce qu'il cherche une réponse à la violence. Il ne
s'agit pas seulement de cataloguer les idées politiques, il est en effet intéressant de comparer et confronter ces idées.
Nous allons commencer par Machiavel. On peut le comparait à Christophe Colomb, découvrant un nouveau continent. Quels
que soit les blâmes qu'on peut lui faire, il cristallise en effet, un certain nombre d'innovations dans ce domaine. Il ouvre la première vanne
vers la philosophie politique moderne. Il exprime, outre sa propre pensée, une pensée qui est propre à la modernité politique.
La modernité politique est un terme flou : modernité et politique sont des termes tellement utilisés qu'ils en deviennent
galvaudés, voir vidés de leur sens. Mais, dans un premier temps, on ne peut s'en passer.
La modernité politique renvoie à la sortie du théologico-politique : la séparation du juridico-politique et du théologique. C'est ce
processus par lequel se constitue, progressivement, historiquement et sur la longue durée, selon des rythmes différents selon les endroits
en Europe, l'autonomie de la sphère politique. La politique comme catégorie, comme sphère de pensée, s'autonomise à l'égard du
religieux. Tous ces processus s'inscrivent dans la durée (Par exemple, le processus de « désenchantement du monde » est un processus
long, lié à la perte d'emprise de la religion sur les autres sphères de l'activité humaine, même si les effets semblent apparaître plus
fortement au 20ème siècle.
De même, l'individualisme est un processus long, on en parle toujours aujourd'hui, alors que Tocqueville avait introduit cette notion dans
son livre De la démocratie en Amérique.
Ces processus de longue durée sont assez difficiles à appréhender.
Les auteurs qui ont participé au processus de la modernité politique : Machiavel, Hobbes, Locke, Rousseau (plus largement, les
philosophes des lumières), Tocqueville (se rapproche de la modernité démocratique) mais aussi Spinoza, La Boétie.
La modernité politique est un phénomène complexe, et les différents auteurs sur lesquels nous travaillerons nous éclairerons
dessus.
Leo Strauss a écrit un article qui se dénomme « les 3 vagues de la modernité » : il considère que la première vague démarre
de Machiavel. Ainsi, pour Strauss, Machiavel est le représentant de la 1ère vague de la modernité. Strauss a écrit un livre qui se
dénomme « Droit naturel et histoire » : dans celui-ci, il y consacre un passage sur Machiavel « Machiavel rejetait la philosophie politique
classique et avec elle toute la philosophie politique traditionnelle comme étant inutile ». La question à la base de cette citation était
« comment l'homme doit-il vivre ? ». Or si l'on considère l'homme et la justice, on ne peut résoudre correctement ce problème qu'en
partant de la question « comment les hommes vivent-ils en fait ?»
« La révolte réaliste de Machiavel contre la tradition conduisait à substituer le patriotisme ou les simples vertus politiques, à l'excellence
humaine, ou plus précisément aux vertus morales et à la vie contemplative. [...?] Et cela, afin d'augmenter les chances de l'atteindre. » En
quoi il y a là une révolte dite réaliste, et quels sont les enjeux de ce délaissement de l'excellence humaine. Machiavel se détourne du
« devoir être » pour se tourner vers ce qui est en fait, au simple réalisme.
Strauss ajoute :
« La seule question est de savoir si le nouveau continent est adapté à la vie humaine ? ».
Qu'est ce que le désenchantement du monde ?
Pour en parler, on peut s'appuyer sur deux auteurs, Max Weber et Marcel Gauchet qui a écrit un livre intitulé justement « Le
désenchantement du monde ». C'est une notion générique qui désigne le processus de sortie de la religion qui est véritablement le fil
directeur de la période travaillée.
Chez Max Weber, cette notion est utilisée prend 2 significations complémentaires. Dans le premier sens, cette signification est
très technique et ne se comprend que dans le cadre de la religion. Au sens strict, il entend la démagification du monde (qui serait
technique de salut). C'est un processus qui lui paraît avoir été très largement accompli au sein même du puritanisme. Il estime dans son
fameux livre, l'avènement du protestantisme conduit à ce processus.
L'autre sens, celui qui nous intéresse réellement, est utilisé par Weber vers la fin de sa vie. Il l'entend le désenchantement du monde dans
un sens plus large et plus métaphorique. Cela renverrait à la déprise du religieux sur les représentations générales que les hommes se
font de leur existence et du monde en général. Il utilise souvent plusieurs notions « rationalisation » « intellectualisation » et donc
« désenchantement ». Pour lui, ces notions sont interchangeables et renvoie au même processus de modernité occidentale.
Aujourd'hui, un monde désenchanté est un monde où règne la conviction, explicable par les lois, que la science peut connaître, et que ce
qui est connaissable par la science et également maitrisable par la technique.
Max Weber est probablement l'un des auteurs sur lequel s'est appuyé toute une série de penseurs du XXème siècle que l'on a parfois
regroupé sous l'appellation « l'école de Francfort » dont la marque est la critique de la « raison instrumentale ». C'est une raison
hémiplégique, c'est une pensée des moyens, une pensée très faible car elle ne porte pas (jamais) sur la fin mais que sur les moyens. La
raison instrumentale, c'est, caricaturalement, la séquence de rationalité utilisée par un ingénieur.
Dans la description que Weber nous donne, il met en évidence la pensée techno-scientifique. On est capable d'expliquer beaucoup de
choses par la science, de maitriser des phénomènes, mais le fait qu'on en soit capable de choses ne signifie pas qu'on soit capable de
comprendre beaucoup de choses (Ex. : « La terre tourne autour du soleil » et relativement facile à expliquer, cependant cela ne signifie
pas que l'on puisse facilement donner un sens à ce fait. En fait, « pourquoi » ? quel est le sens de ce fait?!!). Le désenchantement du
monde contribue à nous fournir des explications très efficaces, et nous montre que les phénomènes se pensent de telle façon... mais au
fond, ce désenchantement crée une sorte de vide, de béance. Le désenchantement du monde avec la sortie des grands systèmes éthique
produit une sorte d'éradication de sens. Les êtres humains ressentent donc le besoin de recréer de façon individuelle, du sens à ces
phénomènes.
Marcel Gauchet, reprend la perspective webérienne. Le désenchantement du monde désigne entre autres choses
« l'épuisement du règne de l'invisible ». Chez lui, résonne l'idée qu'il y aurait une véritable révolution anthropologique au travers de
laquelle, les hommes, reconstruisent, en quelque sorte, leur séjour sur la terre, à l'écart de l'indépendance divine.
Il reprend le constat des anthropologues selon lesquels l'expérience religieuse, est universel ou co-extensible à l'humanité. Sur ce constat,
on aurait une trajectoire singulière qui caractérise la modernité occidentale et qui montre que notre Monde serait en rupture par rapport
aux organisations sociales anciennes fondées sur l'hétéronomie (= s'oppose à l'autonomie – capacité que nous avons de nous donner nos
propres lois -). Une société qui fonctionne à l'autonomie est une société qui se pense comme se donnant à elle-même ses propres lois.
C'est une société qui ne voit pas le fondement des lois qu'elle se donne à l'extérieur d'elle même. Une société qui fonctionne à
l'hétéronomie n'est pas forcément moins libre ni moins intelligente qu'une société autonome. Elle fonctionne juste différemment dans sa
manière de penser les institutions, car elle s'imagine recevoir la loi de l'extérieur, du passé par exemple. Ce sont souvent des sociétés
passéistes car elles pensent que le foyer de la loi se situe avant, dans un lointain passé. Les sociétés qui fonctionnent à l'autonomie
s'imagine simplement sur le mode de l'autonomie, en votant ses propres lois. Et, dans ces sociétés, le rapport au temps est complètement
différent, car tourné vers l'avenir : c'est une société futuriste.
Pour Gauchet, nous nous sommes engagés dans une dynamique qui nous mène vers une société hors religion. C'est une société qui se
pensent au travers de l'idéal d'auto-gouvernement. Qu'est ce que la démocratie si ce n'est le pouvoir que nous avons sur nous même en
tant que société, que nous concevoir dans l'avenir. La démocratie, pour Gauchet, c'est le passage vers une société qui se pense assujettie
vers une société qui se pense sujette d'elle même. « La genèse du fait démocratique ne peut s'entendre sur la longue durée que comme
la mise en place d'une forme subjective de fonctionnement social. L'avènement de la démocratie, c'est le passage de la société de
religion, c'est à dire de la société assujettie, à la société sujette d'elle-même ». Un monde, sortie de la religion (dans le sens que l'on
entend ici), n'est pas une société dans laquelle il n'y aurait plus aucune tendance religieuse. Gauchet ne dit pas que « Dieu est mort ». Les
Dieux ne sont pas morts mais sont devenus impuissants dans le sens où les croyances religieuses sont biens présentes, mais la religion
ne structurent plus le monde collectif.
Dans ce diagnostic de désenchantement, il y aurait un abîme qui nous séparerait des origines religieuses. Comment en est-on arrivé là?
Répondre à cette question, c'est rencontrer tout un ensemble de connaissances, relevant des théories de sécularisation. Gauchet nous
intéresse en ce sens qu'il met l'accent sur un élément de la naissance de l'État. L'État lui apparait comme l'innovation politique majeure de
l'histoire occidentale. Toutes les sociétés ne sont pas étatiques (même si le pouvoir politique existe). Comment penser ce pouvoir que
nous avons sur nous-mêmes? (voir supra). Il a fallut mettre en face du pouvoir religieux le pouvoir qui lui était au moins équivalent, qu'était
le pouvoir politique, celui de l'État. La clé du développement politique européen, c'est précisément ce problème théologico-politique. Avant
qu'apparaissent les sociétés démocratiques que l'on connait, la période qui précède l'établissement de ces régimes est une période
essentiellement marquée par le développement du pouvoir politique (autonomisation croissante), et souvent l'affirmation de formes
particulières (absolutisme, monarchisme) : d'où la notion de souveraineté. On peut distinguer 3 émergences fortes, transformations qui
constituent le passage de l'hétéronomie à l'autonomie, à savoir : l'élément politique, le droit et l'histoire. C'est une autre manière de parler
des étapes de la modernité.
Le premier élément est l'élément politique puisque à partir du théologico-politique (point de départ), il faut essayer de rendre compte de la
réaffirmation de l'autonomie de la politique. Machiavel, dans le Prince, le montre parfaitement bien et cristallise cet effort. Il y aura ensuite
Hobbes, puis Rousseau (qui introduira l'élément historique).
Quels étaient les forces politiques disponibles depuis la chute de l'Empire Romain?
La première est l'Empire : rassemblement de tout le monde connu sous un pouvoir unique, plus fondamentalement, cela correspond à
l’universalité de la nature humaine qui se voit reconnue par un pouvoir unique.
Ensuite, la Cité : modèle célèbre (cher à Machiavel) renvoyant à l’histoire des cités grecques. Cette idée est celle qu’il y a un espace
public où les hommes peuvent débattre, délibérer, décider de tout ce qui concerne leurs affaires communes.
Enfin, l'Église. Elle ne se place pas sur le même plan que l'Empire et la Cité. Elle n'a pas pour raison d’organiser la vie politique et sociale
des hommes, elle se proposait de fournir un bien qui serait le salut. Sauf qu'à partir du moment où l'Église prétend prendre en charge
l'économie du Salut, elle estime avoir un droit de regard sur tout ce qui pourrait menacer ce Salut. Et, comme toutes les actions humaines
sont confrontées au bien ou au mal, il en résulte que l'Église s’offre un droit de regard sur toutes les actions humaines. D'où le problème
que rencontraient les hommes qui avaient en tête le modèle de la Cité qui était d'affirmer suffisamment leur autonomie, leur indépendance,
à l'égard des prétentions de l'Église.
Tant Machiavel que Hobbes montrent qu'il est possible voir nécessaire d'articuler une réflexion portant sur la coexistence des hommes
dans la Cité, et qu'il est possible de résoudre une grande partie des problèmes qui résulte de cette coexistence, sans parler de Dieu ni de
l'Église.
Hobbes écrivait dans le contexte des guerres civiles anglaises (théologico-politiques), Machiavel était Italien (proximité avec le Pape). Tout
le problème des cités est d'organiser le monde profane face aux prétentions de l'Église.
Il ne faut pas lire le texte de Machiavel comme s'il était intemporel et indépendant de toute contexte. Également, il ne faut pas
non plus en faire un « produit » de la crise florentine et donc l'étouffer dans ce contexte. Il faut comprendre ce qui est nouveau, tenant
compte du genre particulier de ce texte que Machiavel a rédigé vers 1513, qui se présente comme une sorte de manuel, ouvrage de
technique de gouvernement, adressé aux Médicis. En somme, Machiavel s'adresse au Prince, qui vient de reprendre le pouvoir de
Florence, le conseillant sur les moyens de reconstruire une principauté durable. Son intention est de voir comment l'on acquiert et l'on
garde les principautés, à savoir les mécanismes de prise et de maintien du pouvoir. Cette préoccupation technique pourrait être
anecdotique et pensante si l'on ne tenait pas compte d'un contexte très particulier, lequel constitue une des clés de la lecture Machiavel. Il
écrit dans un contexte très agité, très troublé à un moment où il a été écarté du pouvoir et où l'Italie n'est pas unifiée, partagée entre des
multiples souverainetés qui se font souvent la guerre. Cette situation d'instabilité politique produit des souffrances infinies, engendre des
douleurs, du malheur... D'emblée, même si son texte semble être écrit par un « technicien borné », son soucis d'efficacité qui transparait
est à rapporter directement à ce contexte. Il s'agit de penser l'efficacité d'un pouvoir. Il s'agit de pallier à cette instabilité qui engendre tant
de malheur, d'écrire comme il dit au chapitre XV « chose utile à qui l'entend ». Hobbes, quand il écrira le Léviathan, a un peu près la
même intention. Ce « Léviathan » tombe entre les mains d'un Roi, gouvernant quelconque, et qu'il inspire la pratique. Il s'agit donc d'écrire
des textes qui produisent des connaissances qui ont un rapport direct avec l'action. Machiavel a vraiment l'ambition d'avoir un livre utilisé
par des gens au pouvoir, et propose en ce sens, une sorte de technique du pouvoir.
Au Chapitre XV, il énonce d'emblée son intention, tout en rappelant que le genre d'exercice auquel il se livre est un gendre dans lequel il a
eu beaucoup de prédécesseurs à savoir les « Miroirs princiers » (qui sont les textes écrits pour édifier les gouvernants), en expliquant que
ce qu'il propose ne ressemble en rien à ce qu'on dit ces prédécesseurs et précise pourquoi : « Mon intention étant chose utile à qui
l'entend etc. ». Mon propos, dit Machiavel, consiste à parler du réel : je ne vous dit pas ce qu'est une cité idéale, ni quels sont les qualités
d'âme idéales qu'il faut avoir, je ne vous parle pas d'un monde inexistant; Mon propos consiste à parler de vérité, de partir du réel et de
vous apprendre l'efficacité. Une logique du réel est mise en avant. On parle non pas « de ce qui était mais de ce qui est ». Cette logique
sera pensée comme une « logique des effets ». Machiavel oppose la vérité technique de la chose et l'imagination. Cela renvoie à
l'opposition entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre. Selon Machiavel, il ne sert à rien de cultiver en politique des mondes
utopiques, de ce qui n'est pas. Au chapitre XXV « Il est nécessaire à un Prince, s'il veut se maintenir [...] et d'en user selon la nécessité (à
compléter) ». Soit un Prince veut se maintenir au pouvoir, et autant qu'il m'écoute, soit il ne veut pas et il sera balayé. Mais si c'est le
premier cas, il faut qu'il accepte de comporter d'une manière entravée en rien par des contraintes morales, et au Chapitre XVII : « Et, il
faut comprendre ceci : c’est qu’un prince, et surtout un prince nouveau, ne peut observer toutes ces choses pour lesquelles les hommes
sont tenus pour bons, étant souvent contraint, pour maintenir l’Etat, d’agir contre la foi, contre la charité, contre l’humanité, contre la
religion. Aussi faut-il qu’il ait un esprit disposé à tourner selon que les vents de la fortune et les variations des choses le lui commandent,
et comme j’ai dit plus haut, ne pas s’écarter du bien, s’il le peut, mais savoir entrer dans le mal,s’il le faut ». Machiavel ne préconise pas
l'immoralisme absolu mais dit que certains cas, quand la raison politique l'exige, il faut renoncer à être bon. Il faut savoir entrer dans le
mal, si besoin est... et, il va très loin en disant « contre l'humanité » ! On pourrait commettre des crimes contre l'humanité si la raison
politique l'indique. Il affirme le principe d'efficacité, au détriment de toute morale. En substance, pour arriver à certaines fins en politique,
on peut se donner tous les moyens. Rien ne saurait entraver les moyens de la politique. Ici, Machiavel semble ressembler à ce
« technicien borné » (Paul Veyne), uniquement soucieux d'efficacité, tout le reste étant mis de côté. Machiavel a conscience qu'un pouvoir
nouveau est plus fragile qu'un pouvoir ancien « Un prince, et surtout un prince nouveau etc. ».
Au Chapitre XV, Machiavel reprend la réflexion classique des miroirs princiers portant sur la qualité des princes, mais il apporte une
inflexion tout à fait déterminante et modifie très fondamentalement ces réflexions sur les vertus car il nous explique progressivement qu'un
Prince, s'il veut se maintenir au pouvoir, doit avoir certaines qualités, mais lui, il ne demande pas de se conformer aux vertus de
l'excellence humaine qui étaient mis en avant par les miroirs princiers. Bien sur, ce serait bien que l'on ne trouve pas de vices chez lui,
mais dans certains, lorsqu'un prince se conforme à la vertu, cela ne lui permet de maintenir l'État, et peut même entrainer la ruine de l'État.
Certains « vices » constituent les ingrédients d'une bonne politique, car efficace. Les vertus morales (principalement religieuses) ne sont
donc pas exactement les vertus politiques. La sphère de l'action politique ne vise pas en premier lieu à obéir à la morale mais l'efficacité et
que pour cette raison, la sphère politique admet sa propre morale, qui n'est pas la morale courante. Un bon Prince est un prince qui
réussit, mais pas forcément de manière vertueuse (au sens de la moral courante). Un bon Prince a cette capacité de bien se comporter en
politique, ce qui n'est pas d'agir en fonction du bien moral, mais dans le respect du principe d'efficacité qui assure son entreprise politique.
La démarche de Machiavel a quelque chose de « choquant » car même si nous sommes d'accord pour dire que la politique doit être
efficace, on n'est également d'accord pour considérer un certain nombre de considérations relevant de l'humanité. Nous avons un double
soucis : être efficace et entreprendre des actions conformes à nos exigences d'humanité. Mais, Machiavel s'emploie principalement dans
ce livre, non pas à moraliser l'action politique mais à autonomiser la sphère de l'action en considérant que les entraves morales et
religieuses qui pèsent sur la sphère politique, la rendent inopérante. Il faut autonomiser la sphère politique. Cet effort n'aurait aucun sens
si on ne le remettait pas dans son contexte. Le problème de Machiavel est donc l'efficacité de la politique qui a fait au bout du compte que
la seule manière de sauver la politique est de l'arracher aux entraves de la morale religieuse.
On peut faire de Machiavel un cynique absolu, un technicien borné, mais, si on veut se faire l'avocat du diable, il faut considérer qu'il opère
une sorte d'inversion puisque avant Machiavel, notamment dans les miroirs princiers que la conformité à la morale était la condition de
possibilité de la réussite en politique. Machiavel inverse ce raisonnement : il considère que les conditions de possibilités de la morale
dans la Cité résident dans l'efficacité de la politique. Le monde des républiques italiennes était un monde déchiré continuellement,
tellement violent qu'aucune morale n'est possible : nos discours moralistes ont donc bon dos. Mais, si vous voulez qu'un minimum de
règles puisse exister, il faut d'abord que le pouvoir se stabilise, il faut sortir de la guerre civile. A cette condition, on pourra peut être faire
de la moral : c'est une discours politique réaliste.
On peut également dire que Machiavel nous met en garde contre l'angélisme de la belle âme (Selon Jacques Hersch « Attitude qui
consiste à se procurer à bon marché des solutions moralement satisfaisantes et la conviction d'avoir bon cœur en se dissimulant les dures
contraintes du réel »). L'exemple classique pourrait être le pacifisme des années 30 : il aurait fallu que Hitler se fasse botter le cul :p, mais
le pacifisme des années 30, en disant que la guerre était le mal absolu, qu'on devait à tout prix la refuser, on se procurait une décision
alors moralement satisfaisante. Le fait d'être pacifiste dans les années 30 n'a pourtant pas empêcher la guerre. Cette solution est
insuffisamment politique et simplement morale. Elle ne tient pas compte des réalités et besoins politiques du moment. Machiavel
représente donc à certains égards une critique de l'angélisme en politique. Il libère l'action politique de toute une série d'entraves : pas de
politique sans efficacité. Mais, en libérant la politique, il ne pense pas aux limites de l'action : à la démesure. On peut dire dans un certain
sens, que Staline et Hitler ont voulu être efficace. La démesure est devenu un problème majeur au XXème Siècle. Jaspers pour défendre
la Bombe atomique, a repris Machiavel : le réalisme machiavélien était la condition nécessaire de toute politique (on ne peut négliger son
apport). Mais il ne dit pas tout en politique et devient à ce moment-là faux. Les principes mis en avant par Machiavel ne sont pas
suffisants.
Le problème de Machiavel se situe en amont, il est celui de la constitution d'une entité politique stable, du maintien d'un pouvoir stable,
sans lequel il ne pourrait y avoir de morale dans la Cité.
Machiavel opère donc une redéfinition de la vertu, qu'il appelle la virtu. Il amorce un nouveau type de relation entre morale et politique. Il
semble s'inscrire dans la tradition d'un genre qui le précède très largement, c'est à dire les miroirs princiers qui, en multipliant les
ouvrages, les traités, avec l'imprimerie, considéraient que la réussite du prince reposait sur la virtu, Machiavel semble reprendre à son
compte ces préceptes. Il n'y a pas une opposition frontale à toute la tradition des miroirs princiers : « Dans les monarchies entièrement
nouvelles, on trouve à les maintenir plus ou moins de difficultés selon celui qui les acquiert est plus ou moins vertueux ». Machiavel ne
laisse pas de définition cohérente de sa conception de la virtu princière (il faut dire que ce n'est pas une œuvre ayant l'ambition d'être
aussi complète que celle de Hobbes). Les moralistes latins avaient dit que l'homme vertueux devait avoir un certain nombre de vertus
cardinales (modération, justice etc.). Ces hommes vertueux doivent posséder d'autres qualités qui sont considérées comme
spécifiquement princières (honnêteté, et tout ce qui se rapport à l'honneur comme la magnanimité). Dans la tradition qui précède
Machiavel, les miroirs princiers considèrent que le concept central de virtu devaient être relié à l'ensemble des vertus princières et
cardinales.
Machiavel semble réfléchir sur les vertus, les vices, comme l'ont fait ses prédécesseurs, et pourtant, dans sa manière de parler, on ressent
une capacité de distanciation, d'abord parce que les auteurs anciens semblaient considérés qu'il y avait des vertus qui en toutes
circonstances étaient bonnes/mauvaises, alors que Machiavel introduit ce concept étonnant : il se rapporte à la réalité effective des
choses. On se rend compte, de fait, que certaines choses peuvent paraître constituer des vices et pourtant dans l'ordre politique, ce sont
des vertus. Machiavel n'incite pas à violer la morale courante, si on peut s'y conformer, tant mieux, mais il ne faut pas s'attendre à qu'elle
nous dirige dans l'ordre politique. Il opère donc une critique de l'humanisme classique : si vous voulez atteindre vos objectifs politiques,
alors vous vous rendrez compte qu'il n'est pas toujours raisonnable de se conformer aux règles morales les plus couramment admises.
D'où, la question centrale, qui irrigue ce texte : dans ce cas, si la boussole normale, la morale, n'est pas suffisante, alors comment les
Princes doivent-ils procéder? Si les règles de la morale conventionnelle sont insuffisantes dans l'ordre politique, où chercher ces points de
repère dans l'action politique?
Le domaine de l'action a été thématisé par les anciens (parfaitement connu de Machiavel), notamment par Aristote, et ils ont conclus que
dans le domaine de la praxis rien n'est jamais certain. Edgar Morin : « Toutes actions entreprise dans l'ordre politique est toujours lancée
dans le cadre d'un environnement ». En bref, une action rationnelle peut, dans un certain contexte, être irrationnel. Ce sont les « effets
pervers ». Or, l'action politique est un domaine qui est soumis aux effets de l'environnement : rien n'est jamais sur dans le domaine de
l'action, comme le disait les anciens.
Machiavel est persuadé de cela, et développe alors sa réflexion sur un point essentiel : le rapport entre l'action politique et la morale, qui,
au moment où il écrivait, était généralement en lien très fort avec la morale religieuse. De fait, il frappe très fort en disant au chapitre XVIII
« Un prince nouveau ne peut s'observe toutes ces choses [...] étant souvent contraint pour maintenir l'État, d'agir contre la foi » : au fond,
l'enjeu est clairement indiqué ici. C'est celui de l'autonomisation des principes régissant l'action politique par rapport aux principes de la
morale courante qui sont généralement soumis aux principes religieux.
Malgré tout ce qu'il peut dire de choquant, on ne peut le considérer comme un cynique. En effet, son propos n'est pas d'être mauvais etc.,
il écrit simplement ce qu'est un bon Prince : sauf que le bon Prince n'a pas les yeux rivés sur les vertus classiques, mais sur la vérité
effective de la chose. Un bon Prince est soucieux des conséquences de son action. De plus, s'il est compréhensible qu'il n'est pas bon de
tuer un être humain, il faut comprendre le contexte, et quelle est la bonne action dans un contexte de violence? (Retour à l'exemple du
pacifisme des années 30). Ce principe d'efficacité est donc central et primordial pour le Prince, d'où les passages du livre de Machiavel qui
concernent la ruse : il y a une réflexion constante dessus. Bien sur que le Prince doit savoir entrer dans le mal, mais il doit se garder de ne
pas avoir une réputation de cruel : il faut qu'il se débrouille pour agir efficacement (donc parfois cruel), mais il n'est pas bon en politique
d'avoir une image cruelle. Dans le Prince, il y a des passages qui font l'éloge de la Terreur (DANS CERTAINS CAS), car elle paraît
efficace (donc bonne). Chapitre VII : « La Romagne prise par le duc [...] » : en bref, une région n'est plus sous contrôle, il y a donc toute
sorte de troubles, et le Prince confie a quelqu'un de « cruel et expéditif » cette région. Il y rétablit la paix et en tire un certain prestige. Il
s'agit de se livrer à une politique cruelle tout en préservant sa réputation. Cette politique apparaît donc bonne car remet de l'ordre dans le
pays, mais elle ne peut être bonne que si le pouvoir n'est pas affaibli par la réputation de cruauté qui s'en suit. Elle est bonne que si on
parvient à avoir l'air de ne pas être cruel.
Encore une fois, rien ne permet de penser que Machiavel soit plus indifférent que n'importe qui à propos de la question morale. Il
considère juste que la réussite en politique passe par une autonomie de l'action politique par rapport à la morale.
Chapitre V : « Lorsque les pays qu'on acquiert sont accoutumés à vivre selon leurs lois », il y a 3 manières de faire selon Machiavel :
Le détruire
Être présent sur les lieux
Les laisser vivre selon leurs lois
Pour conclure ensuite qu'il est absolument périlleux de devenir maitre d'une cité habituer à vivre libre et de ne pas la détruire. « Ni la
longueur du temps, ni les bienfaits, ne font jamais oubliés la mémoire de leur ancienne liberté ne peut les laisser en repos si bien que la
voie la plus sure est de les détruire ». (à vérifier). Il est intéressant de voir que Machiavel voit la mémoire de la liberté comme un
provocateur potentiel d'effets politiques. On peut soumettre des individus qui ne connaissent pas la liberté mais c'est plus difficile pour
ceux qui la connaissent. Ce sens de la liberté ne se laisse pas détruire. C'est pour cela que le seul remède à cela est de détruire les cités,
selon Machiavel.
Comme l'a écrit Pierre Manent, il y avait à l'époque de Machiavel un autre point de vue qui prétendait à partir d'une extériorité
contrôlée. Adopter cette position dans le jugement des choses politiques était pour Machiavel, concurrencer son ennemi sur son propre
terrain à savoir le religieux. Le point de vue de l'Église ne l'intéresse pas dans l'ordre politique. Le religieux était pensé supérieur au
politique. Machiavel ne refuse pas l'Église au nom de la morale mais au nom de l'efficacité. Dans le Chapitre VI, « Les monarchies
nouvelles qu'on acquiert par ses propres arts et ses talents », il oppose le destin des prophètes armés, au destin des prophètes
désarmés. Il n'y a de chose plus difficile à entreprendre que de s'aventurer à introduire de nouvelles institutions. Il est donc périlleux de
passer d'homme privé à Prince. Machiavel introduit donc une variable : le fait d'être armé ou pas. Ces novateurs s'appuient-ils sur leurs
propres forces, ou dépendent-ils d'autrui? S'appuient-ils sur des prières ou bien sur des armes/contraintes? Le jugement de Machiavel est
sans ambiguïté : dans le premier cas, ils finissent toujours mal, et n'arrive à bout de rien, mais dans le second cas, lorsque ils sont en
mesure de contraindre, c'est rare qu'ils soient en danger. « Tous les prophètes armés triomphèrent et les désarmés s'effondrèrent ».
Affirmation univoque de la supériorité de fait des prophètes armés sur les prophètes désarmés. Mais, première objection : Jésus, était bien
désarmé et a plutôt bien réussi, et Machiavel ne peut l'ignorer. Deuxième objection : De plus, vu qu'il est désarmé, pourquoi Machiavel
espère que ces maximes produisent un résultat concret en étant reprise par un Prince qui les incarne dans son action politique. Revenons
joyeusement à ce gentil agneau de Machiavel, celui ci s'efforce de définir une pensée politique autonome par rapport à la morale, en vue
de l'efficacité. Chapitre XXV « Ce que peut la fortune dans les choses humaines et comment on peut lui résister » est un chapitre décisif
pour comprendre la fameuse virtu du Prince machiavélien. L'un des points de vue est que les choses de ce monde sont gouvernées par la
fortune, ou par Dieu, les hommes n'ont plus qu'à se laisser gouverner, par cette salope de fortune (point de vue fataliste). Machiavel va
procéder de manière logique et il considère que « pour que le libre arbitre ne soit pas aboli, je juge qu'il est peut être vrai que la fortune
soit arbitre de la moitié de nos actions mais aussi que l'autre moitié ou à peu près elle nous la laisse gouverner ». Il est un fait qu'un Prince
« qui s'appuie totalement sur la fortune (sur le hasard et le cours des choses) s'effondre lorsque celle-ci varie ». Là dessus, Machiavel fait
entrer dans son raisonnement, une autre variable : un Prince peut être circonspect ou il peut être impétueux.
Il conclut que la fortune est variable, mais les hommes semblent obstinés dans leur façon d'être :
« …il est meilleur d’être impétueux que circonspect, car la fortune est femme, et il est nécessaire, à qui veut la soumettre, de la battre et la
rudoyer ». Exhortation à l'action, critique de la passivité et du fatalisme. Le Prince machiavélien sait se prémunir contre les coups du sort
par un effort de maitrise de la fortune.
Ainsi, cette virtu est liée aux circonstances, les qualités du Prince doivent lui permettre de saisir le moment opportun, et d'une manière
récurrente, il y a une exhortation à l'action politique (pitoyable répétition du prof). La virtu, dans cette perspective, est une manière de
maitriser la fortune, de lui donner une forme, une forme à son histoire, à son destin. Le bon Prince doit avoir sa capacité à modeler, de
maitriser, la contingence des choses, des circonstances pour retourner ces circonstances à son profit et ne pas sombrer avec le sort.
Conception de la politique tout à fait nouvelle et originale par rapport à tout ce que les anciens pouvaient en dire : On retrouve
l'appréciation de ce gentil Léo Strauss, disant que Machiavel rejetait toute la philosophie politique, il parlait d'une révolte réaliste de
Machiavel. La philosophie politique classique présentait la politique comme l'art du mimétisme de l'ordre naturel (politique inégalitaire des
grecs, position hiérarchique dans le corps social naturelle). Le projet de cette philosophie politique classique était, comme Strauss
l'indique, une quête du meilleur régime, étant entendu comme celui le plus favorable au mode de vie que les hommes devaient mener, et
donc le plus favorable à la vertu, laquelle était pensée comme la référence à une norme, conçue comme naturelle. Chez Machiavel, il n'est
pas question d'ordre naturel. Le monde politique semble radicalement coupé de cet univers là (artificialisme politique). La pensée de
Machiavel s'éloigne d'une référence à une « nature humaine » ni de limites découlant d'une certaine conception de la nature humaine. Les
repères traditionnelles de la politique sont donc mis de côté : il est vain de réfléchir au meilleur régime, il suffit d'élaborer une réflexion
technique, sur la façon de se comporter en politique, sans qu'aucune norme ne soit pensée en référence à un ordre naturel. On a pu dire
que la Cité de Machiavel n'est ouverte sur aucun au-delà, mais juste sur l'action. Ce qui se passe dans la monde politique tel que
Machiavel nous le donne à voir n'est intelligible que par rapport à l'action des hommes. Les hommes dans ce monde artificiel doivent
choisir, et c'est là qu'intervient la virtu (supra). Il s'agit de penser les vertus politiques comme capables de maitriser la fortune et
d'échapper au destin, efficace dans un monde soumis aux violences.
Dans d'autres textes de Machiavel dit que quiconque veut penser la politique ou faire de la politique doit supposer à l'avance les hommes
(comme) méchants. Machiavel est-il un misanthrope désespéré? En fait, il ne suppose pas que l'homme est méchant, il dit juste qu'il faut
les considérer comme tel (c'est un présupposé de méthode, car il ne dit pas que les hommes SONT méchants, il dit juste qu'il faut le
prendre comme un postulat, une hypothèse de travail) afin d'élaborer une politique plus pertinente.
Pour Strauss, Machiavel représente la première vague de la modernité en ce sens qu'il précise que les caractéristiques de cette vague
furent la réduction des problèmes moraux et éthiques, à un problème technique.
L'effort principal de Machiavel consiste à penser la question politique par rapport à ce qui est, et non pas par rapport à ce qui doit être
(merci de répéter, gentil prof... pitoyable! :p).
Opposition à l'idéalisme des anciens : ce réalisme est particulier, il voudrait écarter toute idée de hasard, tout du moins de réduire son rôle.
Si on place la barre moins haut, en s'en tenant à une pure efficacité, l'on a plus de chance d'atteindre le but envisagé. Hasard et force sont
réduits, et peuvent éventuellement être vaincus par la force. On observe une réduction des problèmes moraux et politiques à des
problèmes techniques.
Deuxièmement, il y a une transformation de la connaissance humaine qui, telle que Machiavel en parle dans ce texte, est entièrement
dirigée vers la maitrise de la nature. La connaissance n'est pas du tout contemplative. Un savoir est ici lié à un pouvoir. La connaissance
humaine impliquée ici est directement une action qui vise à se soumettre, ce chaos désordonné qui devient aux yeux de la science
moderne la nature.
Ce faisant, on peut dire qu’il est un auteur qui, réduisant la politique à l’efficacité et les problèmes de la morale et de la politique
à des questions techniques, est un auteur dangereux. Il nous libère en même temps mais il n’en reste pas moins dangereux. On peut dire
ainsi qu’il libère les actions humaines de toutes les entraves et ouvre la voie de la démesure en politique (pas de limites en politique). Mais
que pourrait nous dire de Staline en 1952 : était-il un Prince Machiavelien, était-il conforme à ses enseignements ? néanmoins, on ne peut
pas ne pas reconnaître qu’il y a aussi quelque chose d’indépassable chez lui, quand il dit que lorsqu’il n’y a pas un pouvoir stable quelque
part, si l’on ne se donne pas les moyens efficaces d’agir, on a aucune chance de sortir de la violence et de vivre dans la paix. De fait, la
morale est un vain mot dans cette situation. Le renversement par rapport aux Anciens est là mais dans le Prince il ne se prononce jamais
sur la finalité de la Cité : il ne dit pas « il faut se maintenir au pouvoir, pour réaliser ceci ou cela ». On a l’impression qu’il n’y a pas d’autres
finalités que la prise et le maintien du pouvoir. Dans ce cas là, alors oui : Staline est un Prince Machiavélien : Staline réalise l’Enfer, mais
Machiavel ne se prononçant pas sur les finalités du pouvoir, il n’y a aucune raison de penser que le pouvoir stalinien ne serait pas
conforme aux conseils que Machiavel donne au Prince. Ce n’est pas l’avis du prof toutefois qui pense que Machiavel n’était pas contre la
liberté ou un ami des tyrans, mais le texte peut se conformer à tous les usages. On ne peut pas dire que Machiavel est responsable de ce
qu’ont fait les fasciste italiens de la lecture de son texte. Machiavel revalorise l’action humaine d’un autre côté. On comprend pourquoi Karl
Jaspers estime qu’aucun penseur politique moderne ne peut être vrai sans Machiavel, mais cette pensée réaliste est trop courte et devient
fausse si elle prétend tout dire. La situation dans laquelle nous faisons aujourd’hui de la politique dans la modernité est à peu près celle
que décrit Machiavel : on n’a plus à notre disposition une conception normative de la nature telle qu’elle pourrait fournir les limites de
l’action, ni une conception finalisée du cosmos. Au premier abord, notre liberté d’agir n’est jamais entravée par des considérations morales
mais il ne faut jamais oublier que l’on part du réel pour transformer une action et qu’au siècle dernier, l’utopie en politique peut être aussi
mortifère. L’utopie devient totalitaire si elle nie la réalité et broie sur son passage tout ce qui n’est pas conforme à son idéal. Une formule
assez connue existe : il faut avoir l’optimisme du cœur (idéal ou aspirations morales, ce qui manque au Prince finalement mais pas
totalement) et le pessimisme de l’intelligence (réalisme). Le plus difficile en politique est de conjuguer les deux. Comment faire pour être à
la fois dans le réalisme politique sans renoncer à l’idéal ? Pourtant si l’on renonce à l’idéalisme, on va droit dans le mur, et si l’on renonce
au cœur, on devient cynique, presque Machiavélien : tout devient possible (s’il n’y a que les questions des moyens) et c’est la démesure
en politique. Pour en revenir à la citation de Jaspers, le réalisme machiavélien est nécessaire dans la réalité mais n’est pas suffisant.
Il laisse un texte dont on n’est pas sûr de sa date, il semble qu’il l’a écrit entre l’âge de 16-18 ans. Dans les éditions des Essais de
Montaigne, Montaigne dira « qu’il n’écrivit par manière d’essai en sa 1 e jeunesse mais n’ayant pas atteint le 18 e de son age », les critiques
s’accordent pour dire que le Discours a été écrit vers 1548.
La question centrale : «oh grand dieu qu'est ce donc que cela ?, comment appellerons-nous ce malheur ?, quel est ce vice horrible de voir
un nombre infini d'hommes non seulement obéir mais servir, non pas être gouvernés mais tyrannisés, n'ayant ni biens ni parents ni
enfants ni leur vie même qui soit à eux ?».
« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment ils se peut que tant d’hommes, tant de bourgs tant de villes tant de nations
supportent quelques fois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qui lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent
bien endurer, et qui ne pourrait lui faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux souffrir de lui que de le contredire. »
« Chose vraiment étonnante de voir un million d’hommes misérablement asservis la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une
force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés, pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un seul. Qu’ils ne devraient pas redouter,
puisqu’il est seul ».
Selon Weber, la domination n’est pas la violence pure, la domination suppose la croyance en sa légitimité, on peut penser plusieurs types
de légitimité. Domination charismatique par exemple, on a à faire a quelqu'un qui a la grâce, et des qualités hors du commun, et qui pour
cela mérite d’être obéi. Tout repose sur la subjectivité, le charisme suppose qu’il y ait une croyance subjective dans notre qualité
extraordinaire.
La Boétie apporte une réflexion qui ouvre sur le phénomène de la domination charismatique qui se développe au 20 e siècle. On sent qu’il y
a un sentiment de scandale insupportable, qui est la même que celle que l’on ressent quand on assiste à une servilité chez ceux qui ne
sont pas contraints par la violence pure.
La question de Boetie ne porte pas sur la servitude exigée par la violence pure, le titre est Discours de la servitude volontaire , « la
servitude volontaire est un concept inconcevable, forgé par un accouplement de mots qui répugne à la langue ».
C’est une dénaturation, ce sentiment de révolte que l’on éprouve face a la servitude volontaire se trouve dans une série de textes. L’école
de Frankfort Adorno, Horkheimer qui ont écrit ensemble un livre qui porte sur la dialectique de la raison , quand ils questionnent cette
disposition qu’ont les masses de se laisser…
Si les tyrannies modernes se s’étaient imposées par la force, notre situation serait intellectuellement simple et moralement apaisante.
Il se trompe fort, celui qui pense que le tyran ne tire sa force que de la force armée.
Le texte de la Boetie de la 16e , n’a pas été lu pendant longtemps. Pendant la révolution, Marat fait un pastiche de ce texte, et met en
circulation revient ensuite dans les années 30 du 19e siècle. Puis il est réédité quelques fois dans les années 1930-1940.
Dans les moments de pression, ce texte revient. Ce texte est souvent mobilisés par des historiens quand ils s’efforcent de remarquer les
événements terrifiants au 20e siècle. La question de la Boetie nous hante depuis 4 siècles, et cette question nous blesse. Si elle ne se
cesse de nous hanter, c’est qu’elle plonge au cœur de la société politique en posant la question de la liberté et celle de l’asservissement.
Cette question hante les sociétés divisées (division entre Etat et société civile).
La Boetie ouvre une réflexion radicale sur le fondement même de l’obéissance, et pose une question qui renvoie chacun à la question de
soumission et de la servitude. Qu’est ce qui fait qu’à un moment on consent à la servitude ? Sa question présuppose que la question de la
légitimité du pouvoir n’aille plus de soi, qu’elle ne soit plus évidente.
Au 16e siècle, la domination peut de moins en moins se prévaloir de fondement naturel, le bon prince n’est plus a l’image de Dieu.
L’évidence se dénaturalise progressivement, et du coup il y a cette question qui se dévoile qui est « pourquoi un homme devrait-il obéir à
un autre homme ? » .
On est confronté a la question centrale dont vit notre société qui est la liberté des hommes. La question nous blesse car elle heurte
frontalement notre conception de l’être humain moderne, car selon cette conception, l’homme a la capacité de pouvoir devenir libre et
autonome.
Hannah Arendt 20e siècle, qui a écrit un livre sur les origines du totalitarisme, « si nous nous referons a notre expérience en la matière,
nous pourrons constater que l’instinct de soumission, un ardent désir de se laisser diriger et d’obéir a un homme fort, tient dans la
psychologie de l’homme une place au moins aussi importante que la volonté de puissance, et d’un point de vue politique peut-être plus
significative. »
Politiquement, l’instinct de soumission explique plus que la volonté de puissance. Parfois, la force impose sa loi et la liberté est soumise a
la puissance, mais il est plus blessant d’observer que le désir de liberté semble de s’accompagner de la volonté de servitude.
La Boetie : « Dans toute les choses que les hommes veulent posséder et pour lesquelles ils sont prêts à s’entredéchirer, il en est une
qu’ils n’ont pas la force de désirer, c’est la liberté. » On a plusieurs manières d’interpréter :
Si on universalise la question de la Boetie, la question est de savoir, est ce que la servitude volontaire relève de la nature humaine ? On
peut le lire comme un essai de psychologie politique qui tour a tour s’attache a l’étude de la nature humaine, et qui caractérise les
conditions humaines.
Par rapport a une interprétation universaliste sur la nature humaine, on a l’autre interprétation qui soupçonne que la nature de la Boetie
n’est pas la nature humaine dans sa généralité, mais qu’il nous dit une chose importante sur l’homme des sociétés modernes. Selon
Pierre Clastres (« La société contre l’Etat »), la Boetie nous dit une chose importante sur la nature de l’homme dans les sociétés divisées,
les sociétés divisées sont des sociétés dans lesquelles le pouvoir politique est differencié, ce qui n’est pas le cas dans toutes les sociétés.
La Boetie nous éclaire sur une dimension importante de l’homme des sociétés modernes, celui qui choisit la servitude, chez qui la volonté
de liberté s’effacerait derrière la volonté de servitude. L’idée est que l’homme des sociétés modernes appelle a son tour la mise en place
d’une nouvelle science de l’homme dont la Boetie serait le pionnier.
Clastre : « il est en réalité le fondateur méconnu de l’anthropologie moderne, la Boetie anticiperait a plus de trois siècles de distance,
l’entreprise de Nietzsche plus encore que celle d’un Marx de penser la déchéance et l‘aliénation. »
On a un état d’aliénation, mais la notion d’aliénation est un anachronisme à l’époque de la Boetie. Un homme aliéné est un homme
étranger à lui-même.
La Boetie semble décrire des hommes comme étrangers à eux-mêmes, irrationnels. C’est le résultat, et non la cause : A force de servir, ils
sont devenus aliénés. On doit avoir une conception rationnelle de l’homme, on doit comprendre pourquoi ils se comportent comme des
aliénés.
Pourtant, pour la Boetie ces hommes qui n’ont plus la force de désirer leur liberté semblent être des hommes dénaturés et déshumanisés,
car l’anthropologie de la Boetie dit que la liberté est naturelle, il nous dit que « la liberté est naturelle. »
Si se trouve quelqu'un qui doute encore, il faut regarder autour de soi, dans le monde naturel et animal pour voir que la liberté est
naturelle, « les bêtes vivent et crient la liberté. » Certains meurent dès qu’on les prend en captivité, « ils se laissent mourir or ne point
survivre a leur liberté naturelle. »
L’animalité est une figure rhétorique qui permet de dire quelque chose chez les êtres humains. Chez la Boetie il fait comparaître les
animaux pour montrer la différence entre eux et les hommes. Les animaux n’oublient pas la liberté, mais certains hommes l’oublient, c’est
une vocation.
« Puisque tout être pourvu de sentiment (les animaux et les hommes) sent le malheur de l’assujetion et cours après la liberté, Quelle
malchance a pu dénaturer l’homme au point de lui faire perdre la souvenance de son 1e état et le désir de le reprendre. »
L’idée que la servitude est une dénaturation qui se manifeste par un rapport au temps particulier, avec une perte de souvenance et de
désir de liberté. La condition de la servitude se caractérise par une détemporation, car ce qui s’y engage oublie sa liberté, perte aussi de
projet de libération. On a un figement dans la temporalité, il oublie ce qu’il était, et n’est pas capable de se projeter dans l’avenir.
Dénaturer car nous ne sommes plus dans l’anthropologie des anciens qui considère que l’esclavage est naturel. Pour la Boetie, la liberté
est naturelle est non l’esclavage.
On affirme une volonté de sortir d’une conception des anciens selon laquelle l’inégalité entre les hommes est naturelle.
Rousseau dans le Contrat Social, « Aristote avait raison, mais il prenait l’effet pour la cause, tout homme né dans l’esclavage naît pour
l’esclavage, les esclaves perdent tout dans leur fer jusqu'à désir d’en sortir. S’il y a donc des esclaves par nature, c’est parce qu’il y a eu
des esclaves contre-natures. La force a fait les 1e esclaves, leur lâcheté les a perpétués. » L’esclavage n’est donc pas naturel, mais est
produit par la force. Et il ne se maintient que pour une série de raisons historique et autres
Comment cette volonté de servir s’est enraciné si profond qu’on croirait que l’amour même de la liberté n'est pas si naturel ?
L’oublie de la liberté s’est produit a la manière d’une dénaturation, qui est historiquement avenue. On construit le problème de la servitude
chez les modernes, le texte de Kant commence par « les lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité où
il se maintient par sa propre faute. » et il ajoute « qu’il est difficile de s’arracher tout seul a la minorité qui est devenu pour lui presque un
état naturel ».
Le point de vue kantien consiste à dire que l’homme est naturellement majeur et artificiellement mineur. Majeur car il est capable de suivre
son propre entendement, capable d’autonomie et de liberté, cependant il passe la plupart de son temps a vivre comme un mineur, il y a un
état de fait qui est le plus souvent peu conforme a la nature humaine au point d’oublier que nous sommes naturellement majeurs. Cet état
de minorité est devenu pour nous, une seconde nature.
Il faut remarque que ce n'est qu’a partir du moment ou la liberté est pensée comme naturelle, coextensive de l’humanité, que la servitude
devient un scandale. Le sentiment d’aliénation n’est pas arbitraire, on a le sentiment d’injustice. La liberté native est pensée comme
naturelle. Ce sentiment de scandale de la servitude repose sur la conception de la liberté comme une nature humaine.
Kant a une philosophie de sujet et de l’autonomie, l’autonomie est la liberté et donc de responsabilité. Chez Rousseau, on a une
complication, entre l’homme et le malheur du monde, il y a la société.
À partir de là la Boetie se confronte à cette question, pourquoi cette dénaturation ? comment expliquer cette dénaturation ? Il fait appel à
l’idée de la chaîne de servitude.
L’enjeu de la mémoire de la liberté, Machiavel prévient le prince de prendre une cité accoutumée a vivre en liberté. La liberté 1 e si elle
envient à disparaître par dénaturation, par une forme d’oublie. Orwell (1984) : La diminution de la mémoire à travers de la perte de la
langue qui fait asseoir le pouvoir du tyran.
Le questionnement de la Boetie et son étonnement ne sont compréhensibles que sur le fond de cette nouvelle manière de concevoir la
liberté. La nouveauté est rendue possible par la nouvelle conception de l’être humain (libre par nature).
C'est une question qui se profile à travers tous les textes que nous allons travailler. Comment penser l’obéissance moderne ? Pas de
servitude chez Hobbes, l’homme a le pouvoir absolu, les raisons du consentement à l’obéissance ne vont pas a la servitude. Rousseau
imagine qu’il faut contraindre les individus à être libres.
Le 19e siècle va poursuivre les questions de maître et de l’esclave chez Hegel, et la notion d’aliénation.
De quelle façon La Boetie, une fois remis la question de la liberté sur ses pieds, il en pense ?
« On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu. Le chagrin vient qu’après le plaisir »
La préoccupation de l’éducation : il y aurait-il une éducation autre que la liberté ? On peut avoir une éducation autre que la liberté ? Les
fins de l’éducation ?
Dilemme : éduquer pour produire les individus ou pour produire les citoyens ?
Pour regretter quelque chose, il faut l’avoir connu. La 1e raison de la servitude volontaire c’est l’habitude ou la coutume ou la tradition
(d’avoir traditionnellement servi). Acceptation de servir, pourtant les années ne donnent jamais le droit de mal faire.
Si on sert par habitude, si on se conforme sur la légitimité traditionnelle de nos ancêtres, on est dans un cas limite par rapport a la
servitude volontaire, car on ne voit pas le volontarisme, cet individu se soumet à une attitude habituelle traditionnelle, il considère que la
seule volonté est de se conformer a des modèles de comportements qui sont ceux de ces prédécesseurs. La seule conduite bonne pour
lui est de se conformer a la tradition.
Un certain nombre de tyrans se sont rendu compte que les livres sont source de la haine de la tyrannie. Il constate que certains hommes
se remémorent les choses passées pour prévoir l’avenir, qui juge le présent à la lumière de ce passé, ils représentent l’homme opposé a
l’homme détemporalisé qui a accepté la servitude.
La liberté est un sentiment qui renvoie à un sujet, même si ce sujet est privé de liberté, on ne pourra pas éradiquer son for intérieur qui est
son souvenir de liberté. On peut savourer la liberté dans ce for intérieur même si on est privé de liberté. La liberté renvoie au projet.
« On peut nous empêcher d’écrire nos pensées, mais on ne peut pas nous empêcher de penser »
ce qu’il développe en 1e lieu est l’idée que l’on consent avec moins de souffrance a la servitude que l’on n’a jamais savourer la liberté. La
raison pour laquelle on ne repousse pas la servitude est :Ils naissent serf, et ils ont été élevés comme tel. Sous les tyrans les gens
deviennent aisément lâches, il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance, les gens n’ont pas l’ardeur au combat. Les gens
soumis ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. »
La perte de liberté par violence pure débouche sur une perte de vaillance et de courage. Moins on est habitué a vivre dans la liberté, plus
on est habitué a vivre sous la tyrannie et plus on devient lâche. La servitude produit l’acceptation de la servitude, de la dénaturation de la
déchéance.
D’un coté, on a l’insistance sur la coutume et de l’autre coté, les tyrans savent ce mécanisme et en profitent pour maintenir leur sujets
dans un état de servitude qui renforce la servitude.
«J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie».
Il souligne une fois de plus que la force n'explique pas tout. «Celui qui penserait que les hallebardes, les gardes et le guet garantissent les
tyrans, se tromperait fort [...] Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui
défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le
soutiennent et qui lui soumettent tout le pays».
«Cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de
ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. [...] Ces six cents en
tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité».
«Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions
tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui [...] On en arrive à ce point qu'ils se trouvent aussi
nombreux ceux auquel la tyrannie profite que ceux auxquels la liberté plairait».
- Ainsi, si la chaîne de la servitude s'étend à l'échelle de la société cela veut dire que chaque individu a un certain gain qui vient de la
participation à cette chaîne. C'est ce qui fait qu'il y a une volonté de servir : «il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est
assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté [...] il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas
seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude».
=>Il gagne donc quelque chose dans cette dénaturation.
- Ce qui sont tout en bas de la chaîne ne gagne par conséquent absolument rien car ceux là n'asservissent personne. Mais tous les
autres, càd l'immense majorité, gagnent quelque chose ils ont donc une bonne raison d'entrer dans la chaîne de la servitude.
=>Le pouvoir doit se comprendre par le fait qu'une toute petite poignée de privilégiés tiennent dans leurs mains de fer tout un peuple.
- On ne peut pas s'empêcher de songer à la description que Hobbes donne de l'état de nature. Par exemple, il parle des favoris qui ont
gagné beaucoup auprès des tyrans donc de ceux qui ont accepté d'entrer dans la chaîne de la servitude et se sont trouvés proches des
tyrans. Ainsi, il dit : «il en est peu ou presque pas qu'il n'est éprouvés la cruauté du tyran».
=>Autrement dit, soit on produit de la haine ou de la cruauté contre quelqu'un, soit on en est soit même l'objet. On est constamment dans
une sorte de transaction, en contact.
- Hobbes s'attarde sur la dimension d'amitié : «le tyran n'aime jamais et n'est jamais aimé».
Il y a une dimension projective chez La Boétie l'autre, que chacun sera tenté par le fait de prendre sa place, de s'emparer de ses biens.
- Le tyran se méfie parce qu'il n'ignore pas que la plupart des tyrans ont été tués par un favori.
Ainsi, l'amitié implique le regard, la connaissance mutuelle et la reconnaissance de l'un par l'autre, autrement dit cette capacité que l'autre
a de conférer une identité. Par ailleurs, il précise que son modèle a montré qu'il ne voulait pas tant nous faire tous unis que tous uns.
A) La notion d'aliénation
- La notion d'aliénation joue un rôle assez important dans la pensée politique. Étymologiquement, l'aliénation renvoie à un processus de
dépossession, perte ou séparation. En effet alienus signifie "étranger" en latin, et au fond dans sa plus simple expression quelqu'un
d'aliéné est quelqu'un qui devient en quelque sorte étranger à lui-même et il y a évidemment la connotation psychiatrique du terme, càd
qu'un aliéné est un fou.
- C’est une notion ensuite développée dans la philosophie marxiste dans sa théorie générale de l'humanité, dans son analyse du
prolétariat, parce que le prolétariat est le groupe dont l'aliénation est la plus étendue et la plus intense.
Ainsi, chez Marx on trouve 3 formes d'aliénation :
L'aliénation par l'argent : elle renverse les choses et met les moyens à la place de la fin càd que l'homme aliéné par l'argent est un homme
qui ne va plus seulement considérer l'argent comme une médiation, un moyen mais comme un but, une fin.
L'aliénation par la religion : elle obéit à la même logique càd lorsqu'on est accablé par le poids de ses souffrance on a tendance à chercher
une compensation particulière, une échappatoire pour rendre supportable sa condition.
=> C'est évidemment une mystification puisque c'est quelque chose qui contribue à produire de l'illusion (fausse conscience) mais c'est aussi
parfois une mauvaise compréhension.
L'aliénation par la politique : pour l'essentiel, Marx souligne que l'Etat représentatif ne modifie pas la condition politique réelle des hommes
mais tend à produire une mystification qu'il érige comme une nouvelle divinité au dessus d'eux, nouvelle divinité qui se prétend la
représentante de l'intérêt général.
La liberté politique, selon Marx, est une liberté fantasmatique qui n'affranchit pas véritablement les hommes mais qui masque au contraire
leur exploitation et qui leur permet de la maintenir. Ainsi, l'Etat représentatif crée une illusion d'égalité et d'émancipation.
- Chez La Boétie, l'aliénation est autre chose. En effet, il ne le fait pas intervenir quand il parle de ce qui constitue le «principal ressort de
la servitude volontaire» mais il est vrai que quand il examine les raisons à la marge, il semble qu'il évoque quelque chose que nous
pourrions comprendre comme une forme d'aliénation lorsqu'il parle de l'habitude pour justifier le fait qu'on se trouve dans la servitude
volontaire.
=>Cela renvoie à une réflexion sur le souvenir de la mémoire et sur la tradition.
- «La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être» , souligne La Boétie, certes, «mais il prend facilement un autre pli : lorsque
l’éducation le lui donne». Il raconte ainsi comment les tyrans ont effectivement intérêt à supprimer certains souvenir de la conscience de
leurs sujets mais comme évidemment l’homme est né libre, seule l’éducation peut le faire.
=>L'éducation vise ici le décervelage et produit l'oubli.
Le rapport maître/serviteur par Tocqueville
- Tocqueville, reprenant à sa manière tout ce questionnement sur le rapport du maître et du serviteur dans la démocratie (cf. La
démocratie en Amérique). Ainsi, pour lui, à un certain moment, le serviteur en vient parfois à s'identifier à la personne du maître de telle
sorte qu'il en devient l'accessoire. Autrement dit, il se désintéresse, se détache de lui-même, se déserte en quelque sorte ou plutôt il se
transforme tout entier dans son être en se créant inconsciemment une personnalité imaginaire par identification.
- C’est une certaine manière de penser l’aliénation, mais Tocqueville n’emploie pas ce mot, car les individus semblent se déserter pour se
transporter par l’imagination dans la personne du tyran, ou du tyranneau (de l'homme qui est juste au dessus d’eux).
- Ils veulent servir pour amasser des biens mais en même temps on peut l’envisager sous une forme moins matérialiste. Il y a quelque
chose comme du gain, du bénéfice comme le disait La Boétie au début de son texte : non seulement ces individus semblent perdre leur
liberté mais aussi gagner leur servitude. Ici, en certain sens, ces individus qui ont le sentiment d’avoir gagné quelque chose, La Boétie
nous les montre comme des individus qui ont tout perdu car ils se sont perdus eux-mêmes en vivant dans la dépendance, dans la
complaisance.
Est-ce à dire que le tyran, lui, bénéficie de tout ? Ce n’est pas non plus le point de vue de La Boétie parce qu’il nous décrit le tyran comme
quelqu’un qui n’aime pas et qui n’est jamais aimé donc qui vit dans une immense solitude.
L'amitié chez le tyran
- Quand il est question de la solitude du tyran, La Boétie introduit le thème de l’amitié. En effet, l’amitié est «une chose sainte, elle naît
d’une mutuelle estime, elle s’entretient moins par les bienfaits que par l’honnêteté» . Ainsi, ce qui rend un ami sûr de l’autre c’est la
connaissance de son intégrité : «Il ne peut y avoir d’amitié là où se trouve la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils
s’assemblent, c’est un complot, et non une société. Ils ne s’aiment pas mais se craignent, ils ne sont pas amis mais complices» .
- On voit ici que le tyran, nous dit La Boétie, «étant au dessus de tous, n'a pas de pairs, il est déjà au-delà des bornes de l'amitié parce
que l'amitié fleurit dans l'égalité». Ainsi, cet état des choses, cette méfiance généralisée, c'est la condition de tous mais seul le tyran doit
se méfier de tout le monde car il cumule probablement le plus grand nombre d'ennemis.
=>Il a le maximum d'avantages mais vit dans la solitude et connaît la méfiance, l'hostilité.
«Il faut avoir l'œil aux aguets, l'oreille aux écoutes pour épier d'où viendra le coup, pour découvrir les embûches [...] pour dominer le
traitre».
- La Boétie nous fait valoir cette chaîne de la servitude en opposition à un autre type non pas de société mais de liens représentés par
l'amitié. Et là, quand on parle de l’amitié chez La Boétie (et dans les textes politiques aussi), il faut avoir présent à l’esprit non pas la
rencontre de deux êtres dans une forme de sentimentalité mais la capacité de partager le monde avec d’autres à travers le dialogue et
une visée politique commune. C'est l’amitié politique.
- Chez La Boétie, il y a la question de la reconnaissance, notion fondamentale dans la philosophie contemporaine et moderne : «Cette
nature nous a tous logé en même maison, nous a tous figuré à même patron afin que chacun puisse se mirer et se reconnaître l’un dans
l’autre, comme dans un miroir». Ainsi, il y a la fois de la connaissance, de l’entre-connaissance, de la reconnaissance et du regard càd
une réciprocité.
- Ainsi, une société totalitaire est une société qui serait atomisée et dans laquelle les individus n’auraient pas de liens les uns par rapports
aux autres. Il y a une dépendance, une concurrence, une absence de reconnaissance, bref c'est l’enfer sur terre car il n'y qu'obéissance et
servitude ce qui s’oppose à une société horizontale qui fonctionne sur l’amitié politique basée sur l’obéissance mais sans tyrannie.
B) Sur la notion d'aliénation
- En un mot, nous avions introduit plus haut la notion d’aliénation d’abord parce qu’elle traine dans la littérature mais aussi parce que c’est
en quelque sorte la catégorie de pensée qui nous vient en tête de façon plus évidente quand on essaie de comprendre pourquoi les gens
se soumettent ou entrent dans des relations de servitude càd de dire qu’ils sont aliénés.
- Chez La Boétie, l'aliénation tient à l'oubli càd que les individus ne se souviennent plus de ce qui se passait avant et perdent aussi le désir
de reprendre cet état. Autrement dit, leur temporalité tout d'un coup est figée car ils n'ont plus le souvenir de leur ancienne liberté.
Mais à partir de quand considérer qu'une personne est aliénée ? A partir de quels critères ?
L'analyse de Prévost Paradol : humiliation et historicisme
- Anatole Prévost Paradol, qui a publié un article sur La Boétie dans le journal intitulé Les débats dans lequel il traite de la question de
savoir de quelle manière on peut avoir la conviction qu'on a franchit la limite de l'obéissance pour entrer dans l'ingrate servitude.
- Pour lui, les tyrans auraient intérêt à ne jamais posé de limites à l'obéissance cela même quand elle devient de la servitude car l'art de la
tyrannie consiste à confondre cette obéissance avec la servitude au point que les 2 choses paraissent n'en faire plus qu'une chose et que
le vulgaire devient incapable de les distinguer.
- Dans quelle mesure une société a besoin d'un pouvoir pour se maintenir comme société ?
Certaines sociétés ont besoin d’un pouvoir fort, d’autres fonctionnent d’une manière suffisamment cohérente ou intégrée pour qu’on n’ait
pas besoin d’un pouvoir fort.
- Il y a un signe intérieur qui nous dit qu’on a basculé, et pour lui ce signe c'est «l’humiliation que nous ressentons en accordant à notre
semblable plus d’obéissance qu’il ne lui ait du, selon l’ordre de la nature et selon la raison» . Ainsi, cette humiliation ressentie et éprouvée,
cette expérience de l’humiliation est pour ainsi dire d’ordre divin au sens où elle est inévitable et involontaire càd qu'on n'a pas de prise
dessus, elle s'impose à nous.
- «Elle est inévitable et rien ne peut l’empêcher de paraitre et de crier à l’inconscience de l’homme qu’il est désormais esclave et qu’il se
résigne à l’être». Ainsi, Prévost Paradol ne parle pas d'aliénation puisqu’il y a toujours quelque part cette petite voix de l’inconscience qui
se manifeste à travers l’humiliation et qui permet de se mépriser soi même si on l’accepte.
=>Cette petite voix qui raisonne c'est «la voix de la dignité humaine mortellement blessée».
- Cela veut dire que le sentiment d’humiliation qui semble complètement subjectif, relatif, variable selon les sociétés, les époques, les
cultures, nous apprend toujours quelque chose car il ne renvoie pas seulement à la pure subjectivité ou au psychisme de l’intéressé. Ainsi,
il a une valeur heuristique non seulement pr les savants mais aussi pour les principaux concernés, càd pour tout un chacun qui en vient à
en éprouver à un certain moment.
- Autrement dit ce sentiment d’humiliation permet de discerner le seuil que l’on doit refuser de franchir si on ne veut pas entrer dans la
région de la servitude. C’est d’autant plus intéressant qu’il arrive souvent que les logiques humiliantes deviennent insidieuses, invisibles,
quasiment imperceptibles et se jouent dans des comportements, des gestes, des regards.
- Dans un 2eme temps, Prévost Paradol suggère que si on prête attention à cette petite voix de la conscience blessée, que l’on repère ce
sentiment d’humiliation et que l’on comprend à quoi il se rapporte, cela peut servir de point d’appui en quelque sorte vers une
transformation, voire même vers l’émancipation. Cela semble faire de l’humiliation un sentiment moral car on peut expliciter, si l’on
parvient à les saisir, les raisons de l’humiliation.
=>Toutes les raisons ne sont pas valables, ce qui veut dire que bien sur il y a toute sorte d’imposture possible avec les sentiments moraux
car on peut feindre l’humiliation.
La notion de conscience historique
- La notion de conscience historique, dans un sens très général, désigne le sentiment de la relativité, la prise de conscience du fait que les
sociétés se produisent elles-mêmes dans le temps, qu'elles évoluent, se transforment, ne pensent pas, ne jugent pas, ne valorisent pas la
même chose d’un moment à l’autre de leur histoire.
- Ainsi, ce que l’on trouvait bon au 17 e on le trouve mauvais au 19 e siècle par exemple et le développement de cette conscience se fait de
manière très progressive, variable, contrastée mais l’approfondissement de cette conscience historique débouche sur le sentiment de la
relativité qui imprègne très fortement les sensibilités du 19e et du 20e siècles.
- L’historicisme est, dans un sens très général, la position qui consiste à prendre pour norme ce qui est historiquement constitué, parfois
même au point de disqualifier l’opposition entre la norme et le fait.
- On se rend compte que les normes, les valeurs, changent en fonction des époques, des sociétés, des cultures, bref elles sont variables
dans le temps et dans l’espace. Le problème que cela fait naitre c’est de savoir de quelle façon réussira-t-on à penser les valeurs
indépendamment de ce qui est historiquement constitué.
- Ainsi, si tout est historiquement constitué, cela veut dire que tout est valable à titre de moment historique, par ex c’était la valeur d’un
moment donné de pratiquer le cannibalisme mais aujourd'hui il appartient aux normes et aux valeurs de notre époque de le condamner.
=>Donc, nos jugements sont relatifs mais du coup, sont-ils encore des jugements ? Si on pratique l’historicisme, il n’y a plus moyen de les
distinguer, c’est relatif, un point c’est tout.
- Cependant, dans ce cas là, on peut aussi bien dire que tout est normal à titre de moment historique et qu'après tout le nazisme était
normal à titre historique. En réalité c’est un exemple extrême car nous sommes aujourd'hui convaincu de la relativité des normes et des
valeurs, et il ne viendrait à l’idée de personne de dire que l’esclavage vaut la démocratie ou encore de dire que la tolérance comme valeur
vaut le fanatisme comme pratique.
Est-ce dire que cette valeur est réductible au contexte même qui lui a donné naissance ? N’y a-t-il pas dans le processus historique des
productions de valeurs comme la tolérance qui sont, en même temps qu’elles sont produites historiquement, des valeurs
transhistoriques ? N’y a-t-il pas au sein même de la relativité de l’éternité, des choses éternelles ?
- Ainsi, La Boétie pose une question importante que Machiavel ne posait pas (car ce n’était pas du tout son problème) qui porte sur ce qui
nous fait consentir à la servitude, càd non pas pourquoi une domination parvient à ses fin mais, en partant du bas, pourquoi on consent.
Il ne faut pas oublier et ne jamais oublier, dans ces réflexions, la dimension de violence pure qui accompagne souvent, parfois, la
domination. Ainsi, il ne faut pas se demander pourquoi un homme qui est un individu cloitré chez lui, privé d’existence, accepte la situation
d’esclavage moderne dans laquelle il se trouve car il l’est évidemment parce qu’il subit une violence à un état brut, privé de toute
ressource faisant le vide de tout ce qu’il y a autour de lui. Néanmoins se poser la question du consentement à la servitude est un apport
fondamental de La Boétie et c’est quelque chose qui est pertinent dans de nombreuses situations.
C) Les quatre fonctionnaires pendant la Seconde guerre mondiale
- On prend l’exemple de 4 personnages historiques, de hauts fonctionnaires, au 20 e siècle qui actualisent la problématique de La Boétie.
Eichmann, le spécialiste de l'émigration d'Hitler et Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde ont obéit à des ordres
injustes.
=>Ils ont été obéissant et ont commis des choses horribles.
- Si on réfléchit à ce qu’est un haut fonctionnaire, on se dit que c’est tout à fait normal qu'il obéisse et qu'il considère que les ordres qu'il
reçoit répondent à ses convictions. D'ailleurs, même s'il n'est pas d'accord il se doit d'exécuter les ordres. Ainsi, on peut dire qu'il y a de
l'obéissance par respect des impératifs d'une fonctions càd que les gens obéissent parce qu'ils sont dans l'éthique ou la déontologie du
fonctionnaire qui, par nature, obéit.
- Pourtant, à la même époque, pendant la guerre, on trouve des hauts fonctionnaires désobéissants, par exemple on peut citer le consul
général du Portugal à Bordeaux Aristide de Sousa Mendes et le consul du Japon à Kaunas en Lettonie Chiune Sugihara.
=>Le paradoxe du temps c’est qu’on a à l’esprit des types obéissants comme Eichmann et Papon, mais on ne connait pas les autres, les
désobéissant.
- Concernant le consul Aristide de Sousa Mendes : Bordeaux était devenue une ville de réfugiée pendant la guerre, autrement dit il était
très intéressant en tant que réfugié d’avoir un visa portugais car cela permettait de s'échapper. Le consul qui n'avait jamais désobéit à son
gouvernement, a, un jour, a accordé des visas de transit aux réfugiés sans en demander l'autorisation au gouvernement de Salazar. La
scène est décrite par son fils : le consul devient blême, quitte le repas et disparaît pendant 3 jours et lorsqu'ils revient décide de signer des
visas à la chaîne de 8h du matin à 2h du matin suivant. Il a ainsi sauvé 30 000 personnes.
- Concernant le consul japonais Chiune Sugihara : Les réfugiés pouvaient quitter la prison européenne par l’atlantique mais aussi par
l’Oural, via l’URSS et le Japon. Ils pouvaient alors obtenir un visa de transit par le japon délivré par le consul japonais à Kaunas. A cette
époque, le Japon faisait partie des puissances de l’axe mais le consul décide d'accorder des milliers de visas de transit aux juifs polonais
qui fuyaient les nazis. En effet, il avait vu les réfugiés et en avait perdu le sommeil ce qui l'a fait basculer un jour dans la désobéissance.
- On a ces cas absolument contrastés : Papon et Eichmann sont plutôt en haut de la pyramide (sorte de tyrannie moderne, Vichy, ou
Allemagne), et y restent alors que De Sousa Mendes et Chiune Sugihara, après une crise, décident d’en sortir. Ainsi, dans les 4 cas, il
s’agissait de fonctionnaires obéissant au départ càd socialisés, intériorisés.
=>Deux vont se considérer comme dépendants de la situation, de ce qu’ils diront a chaque fois dans leur procès (je ne fais qu’obéir, je ne
pouvais pas faire autrement), deux autres ont décidés qu’ils étaient responsables et ont désobéit.
- Ainsi, Eichmann et Papon diront qu’ils n’avaient aucun choix et qu’ils n'étaient que les rouages d’un mécanisme, autrement dit ils se
décrivent eux-mêmes comme n’étant plus sujet de leur action («nous n’avons fait qu’obéir, nous ne sommes pas responsables», ce qui
philosophiquement est très difficile à penser), et les deux disent qu’ils ne voyaient pas vraiment la situation (Papon prétendait ne pas voir
la situation de surmortalité). Aucun remords
En revanche, les deux consuls, non seulement ont vu quelque chose mais il semble qu’ils étaient incapables de ne pas voir, de
ne pas entendre. Ils ont désobéit et ont vécu une crise de conscience terriblement violente. Ainsi, ils ont conversé avec leur conscience, ils
se sont demandé s’ils allaient écouter cette petite voix qui leur disait qu’ils étaient dans la servitude s’ils obéissaient ou si au contraire ils
allaient l’ignorer. Ils ont été très violemment déchirés entre deux exigences morales, qui sont toutes les deux vraies et devaient choisir
entre 2 valeurs que sont l'obéissance qui découle de leur métier de fonctionnaire et la désobéissance qui découle des impératifs de la
conscience.
L'examen a été réduit à 1H, ce qui ne change pas grand chose dans les sujets, seulement ce sera pris en compte dans la notation.
On va aborder les lumières, notamment l'article de Kant, « Qu'est ce que les Lumières ? », en mettant en parallèle la pensée de
Rousseau. Ce n'est pas arbitraire car Kant lui-même avait une grande estime envers la pensée de Rousseau, et leurs deux pensées
convergent plus ou moins vers ce qu'on appelle « l'humanisme moderne ».
« Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes » et « Le Contrat social »
deJean-Jacques Rousseau
Poursuivant les perspectives ouvertes par Hobbes, Locke et autres, Rousseau va inverser toute une série de perspectives.
La pensée de Rousseau est une pensée d'une richesse extraordinaire qui admet une multiplicité d'interprétations, parfois
complètement opposées, et en fait, la pensée elle-même de Rousseau autorise ces interprétations contradictoires, car c'est une œuvre
ambiguë à bien des égards. C'est tant un moderne qu'un anti-moderne par exemple.
Souvent quand on pense au 18ème siècle, on pense au progrès : est-ce que, de fait, Rousseau est un progressiste ? Ce n'est
pas évident. Pourtant, il introduit, dans la définition de l'homme, l'idée de perfectibilité. Sans cette dernière, il serait difficile de penser
l'éducation (d'où ces ouvrages Emile). Quand on parle de progrès, on ne doute pas qu'il puisse y avoir un progrès technique, qui n'est
jamais que quantitatif : toutes les machines sont de plus en plus efficaces. On peut également parfois avoir des progrès qualitatifs (mais
cela est plus subjectif... : est-ce que roulé à 120 km/H plutôt que 20 est une avancée ?). Pour autant, le progrès technique ne saurait être
assimilé au progrès moral (qu'on entend à la fois éthique et culturel). Rousseau aurait eu beaucoup de doutes sur le fait que les Hommes
de sa société étaient meilleurs que les hommes de Sparte ou d'Athènes. On ne peut pas, en adoptant une pensée rousseauiste, dire qu'un
philosophe du 20ème siècle est meilleur qu'un philosophe de la Grèce antique.
En 1749, sa vie bascule car il tombe à ce moment là sur la question posée par l'académie de Dijon : « Le progrès des sciences
et des arts contribue t-il à corrompre ou à épurer les mœurs ? ». Rousseau commence sa carrière quasiment à ce moment là, et rédigent
ses différents discours, dont celui qui nous intéresse, le second. Il y essaye de comprendre d'où procède l'inégalité qui est, selon
Rousseau, la première source du mal (d'ailleurs, ses premiers écrits seront parfois qualifiés de réflexion sur le mal). Rousseau se situe
d'emblée du côté des « vaincus de l'histoire » (Voir à ce propos, Waechtel, « La vision des vaincus » : livre sur les indiens d'Amérique). Il y
a chez Rousseau cette perspective assez frappante de se ranger de ce côté, ce qui le place d'emblée en affinité avec des perspectives
radicales (des contestations radicales). Ainsi, Rousseau est très probablement l'un des auteurs, avec Marx, qui a le plus irrigué, à l'échelle
des deux derniers siècles, la pensée « protestataire », voir « révolutionnaire », par exemple, contre la propriété, ou contre la démocratie
représentative actuelle etc. (n'oublions pas que ce n'est pas forcément ce qu'il pense, car sa pensée est ambiguë, comme par exemple sur
la propriété). En tout état de cause, c'est un point de vue assez innovant, et ainsi, le discours sur les origines et les fondements de
l'inégalité des Hommes (= second discours), parle d'un état de nature auquel succède une longue déchéance, chute, qui arrive jusqu'à
l'état présent et à laquelle doit succéder, normalement, une réparation. On a parfois dit que ce discours disait ce que la société était
devenue alors que le Contrat social, écrit plus tard, exploré la perspective de ce que la société pourrait être. Au départ, les choses sont
simples dans l'état de nature : l'homme vit dans une sorte d'ile paradisiaque (il se met l'héritage de Hobbes sur le dos), en paix, en
harmonie avec lui-même, amour de soi etc. et aujourd'hui, il est divisé, aliéné. Comment parviendra t-il à cesser d'être en contradiction
avec lui-même ? Il donne donc une idée de nature étrangère à celle de Hobbes (l'état de nature pouvant être caractérisé selon Hobbes par
la violence etc.). La chute que Rousseau décrit, est une chute dans l'histoire (on inverse le schéma hobbesien) qui va se marquer par une
brisure de cette harmonie, de cet amour de soi, qui sera remplacé par l'amour propre. Avec Hobbes, on a beaucoup insisté sur la pensée
artificialiste de sa pensée, chez Rousseau, on a autre chose : ce n'est plus de l'artificialisme, mais quelque chose qui semble marquer le
retour en force de l'idée de nature. Avec ce retour, et toute la métaphysique liée, on retrouve un certains nombres de schémas relevant de
l'esprit religieux.
Rousseau, tout au début de son livre (Folio, P.62), dit « Commençons par écarter tous les faits car ils ne touchent point à la
question qui est la mienne ici ». Plusieurs interprétations possibles, mais on peut la mettre en relation avec toute la démarche de
Rousseau qui consiste à s'efforcer et à orienter son regard du côté de ce qui subsistent une fois qu'on a ôté tous les artifices
(contrairement à Hobbes donc). Là aussi, on y voit des référents au religieux, mais surtout au mythe. En gros, écartons donc tous les faits,
et effectuons des raisonnements hypothétiques. Dans cette démarche de la pensée qui va aux origines, qui s'efforcent d'aller saisir du
côté mythique quelque chose qui serait à l'origine : il faut insister sur le fait que la pensée de Rousseau ne relève pas d'un naturalisme naïf
comme on a pu le penser parfois. « Faut-il détruire les sociétés, anéantir le tien et le mien (la propriété), et retourner vivre dans les forêts
avec les ours ? Conséquence à la manière de mes adversaires, que j'aime autant prévenir que de leur laisser la honte de la tirer ». Bref, il
n'est en aucun cas question de retourner dans un état de nature, de « vivre avec les ours ». Voltaire, qui a beaucoup critiqué de
Rousseau, a écrit, après ce livre « il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage ». Rousseau répondit qu'un tel
retour serait un miracle et qu'il ne devrait pas tenter de revenir à quatre pattes ^^. Bref, il ne faut pas se réduire à le critiquer sur une
« naïveté » naturaliste. (Paul « Moi Rousseau m'agace très souvent même s'il a un style extraordinaire... mais il ne faut pas ne l'interpréter
par comme on peut le faire parfois dans les classes de Terminale, en le réduisant à quelqu'un qui veut retourner à l'état de nature »). La
voie du retour n'a donc aucune pertinence pour Rousseau, il n'a donc jamais prôné qu'il fallait retrouvé cet existence à l'état de nature.
Tout le problème politique de Rousseau est de trouver une voie dans laquelle, tout en acceptant l'inéluctable sortie de l'état de nature, on
puisse néanmoins vivre sans être divisé avec soi-même (c'est l'objet du Contrat social).
Le retour par le mythe ne sert qu'à dégager ce qui lui paraît être essentiel, le contraste entre l'homme à l'état civil et à l'état
naturel. Dans le chapitre 8 du livre 1 du Contrat social, De l'état civil, il écrit : « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans
l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui
leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir, succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme,
qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses
penchants. ». Le projet de Rousseau, du Contrat social, exprime une valorisation de l'état civil tout à fait clair mais, dans le second
discours, le problème est de critiquer la société telle qu'elle est devenue, sans jamais proposer de revenir à l'état naturel (on avait compris
Paul).
Nous avons donc ce premier état, qui précède la déchéance : mais qui est responsable au fond de cette déchéance, de cette
chute ? On ne peut incriminer ni Dieu, ni la nature selon Rousseau. Dans le mythe chrétien, la réponse à cette question est simple :
l'Homme est responsable de la chute (la Pomme etc.). Chez Rousseau, précisément, et c'est là où le problème commence, c'est plus
compliqué : d'un côté, il ne s'agit de ne pas imputer la responsabilité à Dieu et à la nature ; ce serait donc logiquement, l'Homme. Dans
Emile, il dit : « Homme, ne cherche plus l'auteur du mal ; cet auteur, c'est toi-même. Il n'existe point d'autre mal que celui que tu fais ou
que tu souffres, et l'un et l'autre te vient de toi. » : c'est une perspective proche de celle de Kant. Mais comment est-ce possible si l'homme
est naturellement bon ? C'est là où Rousseau innove : il va définir un nouveau sujet d'imputabilité, il va résoudre le dilemme (ni Dieu, ni la
nature, ni l'Homme parce qu'il est bon) en plaçant la responsabilité à un endroit où jamais personne n'avait cherché, en créant un nouveau
sujet de responsabilité « Ce sujet n'est pas l'homme isolé mais c'est la société humaine » (Ernst Cassirer). L'innovation de Rousseau est
ici majeure. La responsable, c'est la société telle qu'elle est devenue, telle qu'elle s'est constituée, sur de mauvaises bases, avant même le
Contrat social.
En France, on a une tendance à penser que la responsabilité individuelle, c'est à droite, tandis qu'à gauche, on pense plutôt
que c'est la société la responsable (attention, c'est extrêmement caricatural). La pensée de gauche s'est souvent orientée vers la critique
du système : C'est un héritage de la pensée Rousseauiste. En Allemagne, un peu plus tard, lorsque Kant écrit son texte sur les lumières, il
ne prendra pas le même chemin puisqu'il dira d'emblée que la minorité (= « l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction
d'autrui ») est due à notre propre faute, est résulte d'un manque de résolution et de courage individuel de se servir de son propre
entendement, de sa propre pensée. Ex. trivial : Prenons de jeunes gens qui brulent des voitures. En tant que Rousseauiste, on penserait
que ce sont des exclus, victimes de la société et cette dernière est donc responsable, c'est elle qui a produit ce type de situation. En tant
que Kantien, on dira pas ça, mais simplement que ces individus n'ont pas le courage, l'audace de penser par eux-mêmes : s'ils se
comportent comme des mineurs, c'est parce qu'ils n'assument pas de se comporter comme des majeurs. On impute la responsabilité aux
individus eux-mêmes. D'où les différences de conceptions entre l'Allemagne et le France (toujours dans la caricature). Là où les pensées
de gauche en Allemagne, semblent cultiver la pensée de l'individu et du sujet, et donc de la responsabilité individuelle, les pensées de
gauche françaises semblent mettre l'accent sur la critique du système. La pensée des sciences sociales, en France, tend à être une
pensée Holiste (on part du tout et on détermine l'individu en sociologie française), tandis qu'en Allemagne, on part bien plus, en sociologie,
d'un point de vue individualiste (on part de l'individu pour déterminer la société) : il y a là une sorte de matrice pour comprendre tous ces
chassés-croisés entre la France et l'Allemagne dans les qualifications droite-gauche (Par ex. Foucault, lu par un Habermas, passerait
probablement pour un anti-moderne).
Dans la seconde partie du livre, moins « mythique » mais plus « historique », il va analyser la manière dont les inégalités ont
pris force de loi, se sont « institutionnalisées ». C'est une partie extrêmement fondamentale et qui permet de comprendre l'humanisme
moderne. Rousseau s'interroge sur les différences entre l'Homme et l'animal (N.B. : il faut voir dans ces comparaisons faites par les
philosophes, des tentatives qui visent à comprendre l'homme). La Boétie prenait l'exemple de la bête afin de voir ce qui ressemblait entre
elle et l'homme. Rousseau lui, recherche plutôt la distinction : l'homme, contrairement à l'animal est libre et perfectible. « Je ne vois dans
les animaux qu'une machine ingénieuse ». L'un (l'animal) choisit et rejette par instinct, l'autre (l'Homme) par un esprit de liberté. La bête
ne peut s'écarter de la règle qui lui a été prescrite même si c'est avantageux pour elle de le faire. Ex. du Pigeon : il pourrait mourir de faim
près d'un bassin rempli de viande, ou un chat sur un tas de fruit, alors qu'il pourrait manger ces aliments ou du moins essayer. Chaque
animal est déterminé par une règle une bonne fois pour toute, c'est une machine donc. Les animaux ne s'écartent pas de ce qu'ils sont,
quittent à mourir. D'un autre côté, l'homme est capable, car il n'est pas déterminé, d'échoir, de se dépraver, car il n'a pas d'instinct qui lui
sert de garde-fou : « C’est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la mort ; parce que l’esprit
déprave les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait ». Rien n'empêche l'homme de commettre des excès terrifiants
« de mousse au chocolat au point d'en mourir sur place » (Merci Paul). L'opposition, à partir de là, est clairement tracée : l'homme ne se
caractérise pas par l'instinct, par une règle donnée une fois pour toute, et cela, pour le meilleur et pour le pire. De même, rien ne
l'empêche de se perfectionner : l'Homme est perfectible, là où l'animal est déterminé. Pour le meilleur et pour le pire car Rousseau
constate par une question : « pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? ». En effet, l'homme seul, tombera plus bas que la
bête alors même qu'en groupe il a atteint un meilleur niveau de perfectibilité. Les animaux sont incomparablement plus intelligents que
nous au début, tout du moins autonomes, mais plus on avance plus l'homme le rattrapera et le dépassera. Voilà pourquoi l'homme est
libre et perfectible... encore une fois pour le meilleur et pour le pire. Ce qu'on appelle à tort la bestialité de l'homme, vient précisément de
sa capacité de dépravation... s'il était tenu par instinct... il ne serait pas bestial ! Cette manière de faire jouer l'opposition entre la liberté
humaine et l'instinct animal est une chose acquise par l'humanisme moderne : on retrouve ces mêmes passages chez Kant et Fichte.
C'est aussi une forme d'anthropologie moderne : l'homme se définit ici par sa capacité d'arrachement (affranchissement du déterminisme),
par sa liberté. A la fin du 19ème siècle se déploit toutefois l'idée que l'homme ne soit pas libre (c'est même le tournant des deux derniers
siècles) : exemple de la pensée racialiste (qui pense qu'aucun être humain ne peut s'arracher de ses caractéristiques biologiques : c'est
donc du déterminisme). La pensée de Rousseau est en affinité avec l'humanisme moderne comme nous l'avons dit, mais aussi avec celle
des Lumières sur ce point.
Qu'est ce que l'homme gagne et perd avec son passage à l'état civil ? « Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa
liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce
qu'il possède (on retrouve Hobbes ici) ». Il faut donc bien distinguer la liberté naturelle, qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, et
la liberté civile, limitée par la volonté générale. Rousseau, à la fin du chapitre 8 du Contrat social exprime : « on pourrait, sur ce qu'il
précède, ajouter à l'acquis de l'état civil, la liberté morale : la liberté morale qui seule rend l'homme vraiment maître de lui, car l'impulsion
du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté ». On voit là l'idée de liberté dite moderne qui est ici
pensée comme autonomie : la liberté moderne n'est pas à confondre avec l'arbitraire de la subjectivité (faire ce que l'on veut etc.) : la
liberté c'est, chez Rousseau, comme chez Kant, cette capacité qu'on les hommes à se donner à eux-mêmes leurs propres lois. L'homme
anthropologiquement parlant n'est pas déterminé par quelque chose comme un instinct, mais s'il n'obéit qu'à ses appétits, il est en réalité
esclave : l'homme étant capable du meilleur comme du pire, il lui reste à assumer sa liberté en se donnant des lois. Il y a là tout le
problème de Rousseau : comment conserver ce qui est précieux, c'est à dire la liberté chez l'homme sauvage, comment faire pour
retrouver cette plénitude, cette non-division qui caractérise l'homme à l'état de nature, dans la société... Sa réponse est encore une fois
dans le Contrat social. Jusqu'à présent, la société telle qu'elle s'est constituée est partie sur des mauvaises bases, sur une
institutionnalisation du malheur, de l'inégalité. Ce que Rousseau décrit dans cette seconde partie fait immédiatement penser, à bien des
égards, à ce que Hobbes décrit de cet état de nature. Rousseau nous a décrit la chute dans la première partie : cette chute est la sortie de
l'amour de soi et l'entrée dans l'amour propre, mais c'est aussi, - il le décrit dans la seconde partie –, une chute dans l'histoire, dans une
société qui s'est établie sur des inégalités qui ont acquis force de loi (cette chute fait penser à l'état de nature de Hobbes). Dans cette
seconde partie, Rousseau nous donne une description de ce qui constitue en fait comme un second état de nature. Rousseau utilise plus
précisément la notion de « nouvel état de nature ». Dès le début de la seconde partie, il dit cette phrase très connue « Le premier qui,
ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société
civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui,
arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous
oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne ». Au bout du compte, à la fin de cette société injuste, les hommes
redeviennent égaux dans le malheur... « c'est ici que tout se ramène à la seule loi du plus fort », et par conséquent, l'homme retourne « à
un nouvel état de nature » (qui est différent) : c'est le retour évident à la pensée de Hobbes.
Le sauvage, son inexistence nous étant inaccessible, vit en lui-même alors que l'homme sociable du nouvel état de nature, vit
hors de lui, il ne sait vivre que dans l'opinion des autres (c'est une des définitions de l'amour propre). L'homme sociable, de la société de
déchéance, vit constamment sous le regard d'autrui, il vit hors de lui (thématique de l'aliénation). Il n'est pas dans l'authenticité, il est
étranger à lui même.
Concernant l'évolution sur le plan de la pensée politique entre Hobbes et Rousseau : on y voit une reprise de certains termes
mais dans une architecture qui est très différente. Si on essaye d'avoir en tête le mouvement de l'histoire, ce qui est intéressant c'est que
le problème de Hobbes n'est pas le problème de Rousseau (« Il ne s'agit pas de savoir qui est le plus intelligent... quoi que j'ai déjà posé
des questions pour faire chier les élèves telles que ''Pourquoi Descartes est plus intelligent que Rousseau ?'' »). L'urgence chez Hobbes
était de sortir de cette misérable situation qu'est l'état de guerre qui désignait la violence. C'est de là qu'il va sortir se théorie de l'État
absolu : l'état de nature était une déchéance, où la vie n'était que violence, et l'entrée dans l'histoire se faisait par l'artificialisme de la
construction politique de l'État absolu. Le problème au XVIIIème n'est plus celui là, il s'est déplacé sur de nombreux points, mais en gros,
ce n'est plus celui de construire un État capable de faire régner l'ordre, d'imposer des lois, le problème est plutôt de poser des limites à cet
absolutisme, de rendre la société, non seulement pacifique, mais aussi et surtout plus juste, avec donc plus d'égalités, notamment sur le
plan de la participation politique. Quelques années après, les révolutions politiques feront un pas dans cette direction. Après la révolution
viendra un auteur qui s'efforcera de penser en profondeur avec un sens de l'ambiguïté tout à fait remarquable, à savoir Tocqueville, en
considérant que le passage de la société aristocratique à la société démocratique se fait à travers un processus d'égalisation des
conditions qui pose de nouveaux problèmes et de nouvelles réflexions.
Paul veut souligner un autre point, sur l'écriture même de Rousseau, tant dans le Contrat social que dans le Second Discours :
Le succès politique de son œuvre à quelque chose à voir avec le fait qu'il a une critique extrêmement radicale (en parlant de nouvel état
de nature, il dit presque que la société est une « non-société »). Bref, on peut difficilement faire plus radical. Mais au nom de quel idéal
Rousseau critique t-il cette société ? On pourrait penser que c'est au nom de la société grecque, du moins, il donne parfois cette
impression. Rousseau ne propose pourtant pas de revenir à la société grecque. Dans le livre 3 chapitre 15 du Contrat social : il parle
explicitement des sociétés antiques qui sont fondées sur un esclavage à grande échelle. « Pour vous, peuples modernes, vous n'avez
point d'esclaves, mais vous l'êtes ; vous payez leur liberté de la vôtre. Vous avez beau vanter cette préférence, j'y trouve plus de lâcheté
que d'humanité » (N.B. : C'est dans ce même passage qu'il critique la démocratie représentative qui n'est qu'une forme d'esclavagisme
moderne). La cité grecque semble ainsi être le point d'appui de la critique qu'il fait, mais ce n'est pas son point de référence car il ne s'en
réclame pas. Dans l'écriture de Rousseau, on ne sait jamais trop bien de quoi vraiment il parle : Il fait référence à des systèmes politiques
anciens sans les prendre explicitement comme modèle, sans en demander un retour... et il fait un projet (Contrat social) utopique... tout en
critiquant férocement la société. Il y a là une sorte de mauvaise foi selon Paul mais « je me trompe peut être ». Paul croit que cette
mauvaise foi a très largement contribué à la popularité de la critique de Rousseau. En effet, cette absence de modèle de référence s'est
perpétuée dans les milieux protestataires qui vantent les mérites de Rousseau.
Rousseau est donc à bien des égards un philosophe et un écrivain ambigu. Comme nous avons insisté, l'une des dimensions
les plus importantes de la pensée de Rousseau le rattachait à la tradition de la modernité politique, à la tradition de l'humanisme moderne
et il est très proche de Kant. Proche sur un point sur lequel Kant ne cessera de lui rendre hommage à savoir la pensée de l'autonomie.
Comme nous l'avons dit, il ne prône pas un retour « avec les ours » comme le critiquait Voltaire. Dans son triptyque, dans sa vision de
l'histoire, Rousseau imagine un premier état de nature, qui est ce moment paradisiaque caractérisé par l'amour de soi dans lequel les
hommes sont simplement heureux de vivre, puis succède la chute initiée notamment par la propriété privée, et les mauvaises institutions
fondées par les hommes : ce sont des mauvaises bases, fondées sur l'inégalité. Cette chute est présentée par Rousseau lui-même
comme un nouvel état de nature, et dans ce nouvel état, Rousseau fait considérablement penser à la caractérisation hobsienne de l'état
de nature (en fait, on retrouve dans le nouvel état de nature de Rousseau, la description que Hobbes donne de l'état de nature). Le
premier état de nature pour Rousseau ne doit pas être compris comme une description réaliste (« commençons par écarter tous les
faits »). Il vise donc à nous faire comprendre une certaine évolution, et il doit pouvoir succéder pour Rousseau un véritable état civil fondé
sur le Contrat social tel qu'il l'imagine. Le Contrat social nous décrit telle que la société pourrait devenir. Dans le Contrat social: « Ce
passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice
à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir, succédant à
l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes,
et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants. », on voit bien ici que Rousseau, en notant un progrès moral, n'est pas
nostalgique de l'état de nature. Il déplore juste que l'homme soit divisé avec soi-même, toujours à vouloir se conformer au regard d'autrui,
dans la comparabilité incessante. Pour changer cela, il ne prône pas un retour à l'état de nature, la solution se trouve dans le Contrat
social : c'est l'autonomie. Le problème de Rousseau est de trouver une solution telle que l'Homme vivrait dans la société avec les autres,
autrement dit dans l'état civil, mais dans lequel néanmoins il serait libre comme dans le premier état de nature, dans lequel il retrouverait
son amour de soi, qui est aujourd'hui corrompu en amour-propre. Le Contrat social répond donc à ce problème. Même s'il a pu critiquer le
progrès moral dans son premier discours (la réponse à la question de l'université de Dijon, voir supra), il ne le fait plus dans ce second
discours et dans le Contrat social. Il essaye de faire la balance lors du changement de société : « Réduisons toute cette balance à des
termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et
qu'il peut atteindre; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède » : Rousseau n'est pas nécessairement
contre la propriété. Il montre bien dans ce passage qu'il y a une propriété légitime et une propriété illégitime. L'ancienne propriété, celle qui
a été instituée dans la société que Rousseau compare à un nouvel état de nature, a été bâtie par la ruse, la force, cette dernière ayant
tentée de se donner le droit comme légitimation. Cela n'a institué qu'une illégalité consacrée/gagnée par la force. Dans le Contrat social,
Rousseau montre que la propriété n'est pas condamnable en soi dès lors qu'elle est acquise sur des fondements qu'il appelle « positifs ».
« On pourrait, sur ce qu'il précède, ajouter à l'acquis de l'état civil, la liberté morale : la liberté morale qui seule rend l'homme
vraiment maître de lui, car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté » : C'est très
précisément la définition de la liberté chez Kant (Paul rappelle l'épisode de la mousse au chocolat... il a pas compris qu'il se répète là). De
fait, Kant est précisément celui qui a thématisé dans ses œuvres philosophiques l'autonomie et la liberté ou qui a défini l'une par l'autre.
Dans « Qu'est ce que les lumières ? » : « Les lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle (ou minorité) dont il est lui même
responsable ». Chez Kant l'homme est pensé comme naturellement majeur et artificiellement mineur car en principe il est capable de
d'utiliser son propre entendement. Les lumières, chez Kant, désigne ce processus qui n'est autre que celui du passage progressif d'une
société fonctionnant à l'hétéronomie vers une société fonctionnant à l'autonomie « Aie le courage de te servir de ton propre entendement !
voilà la devise des lumières ». Kant n'est pas naïf, il voit bien que la plupart du temps, la plupart des hommes vivent comme s'ils étaient
mineurs. Il n'en reste pas moins, qu'ils sont naturellement majeurs, ça ne change pas son point de vue. Il est néanmoins difficile pour
l'individu de s'arracher tout seul à la minorité qui semble être devenue pour l'homme, comme une nature, une seconde nature. Cette
seconde nature correspond bien à la description que fait Rousseau du nouvel état de nature. Ce second état de nature, cette chute dans
l'histoire et dans la société, cette minorité qui est devenue comme une nature pour l'être humain c'est évidemment un état que les deux
constatent et qu'ils critiquent au nom de ce que la société pourrait devenir ou au nom de ce que l'homme est naturellement pour Kant. Les
deux textes se font écho(e)s. La Boétie trouve également un écho dans le texte de Kant : lorsque Kant dit que la minorité n'a qu'un
responsable, c'est l'Homme lui même qui accepte de vivre dans l'état artificiel de minorité par manque de courage. Il est difficile pour
l'Homme de s'arracher lui même de la minorité. C'est un passage intéressant car il renvoit à quelque chose de fondamental dans la
philosophie de Kant : Dans « Qu'est ce que s'orienter dans la pensée ? » à propos de la liberté : « à la liberté de pensée s'oppose en
premier lieu une contrainte civile. On dit qu'il est vrai que la liberté de parler ou d'écrire peut nous être ôté par une puissance supérieure
mais non pas la liberté de pensée ». En gros, on pourra pas nous empêcher de penser même si on peut nous empêcher de
publier/s'exprimer (= faire un usage public de la raison). Mais si on nous empêche cela, pour Kant : « dans cette situation, penserions-
nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs
pensées et auquel nous communiquerions les nôtres ? » ; « Aussi bien l'on peut dire que cette puissance extérieure qui enlève aux
hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, leur ôte également la liberté de pensée ». Dans un premier temps, on
peut pas apparemment empêcher quelqu'un de penser car la pensée est intérieure. Mais Kant conteste qu'il peut y avoir une vraie
capacité de pensée seule. On ne peut pas penser seul, la solitude empêche de penser. Un pouvoir tyrannique ou totalitaire qui empêche
les hommes de communiquer entre eux les empêchera également non pas, en fait, de penser mais de bien penser. On ne pense pas bien
seul. Ainsi, des philosophes du XXème siècle telle que Hannah Arendt ont expliqué que les totalitarismes ont atomisé la société, les ont
dérelier, ce qui provoquait un état non seulement d'isolement mais aussi un état de désolation et de désolement. Arendt reprend sur ce
point là la perspective de Kant. La liberté de pensée est liée à notre capacité d'entrer en relation, en dialogue, de communiquer avec les
autres, de construire des relations avec les autres etc. il y a également une dimension plus profonde encore dans la dimension kantienne
sur ce point là : comment se fait-il qu'on ne puisse pas bien penser seul ? En résumé, on pourrait dire que c'est la sentence fondamentale
du criticisme (= une philosophie critique) kantien... Précisons ce point : On sait que la philosophie de Kant est composée de 3 critiques :
Critique de la raison pure : « Que puis-je savoir ? » (connaissance scientifique)
Critique de la raison pratique : « Que dois-je faire ? » (connaissance morale)
Critique de la faculté de juger : Réflexion sur notre capacité d'émettre des jugements.
Ces 3 critiques forment le criticisme kantien. On ne peut donc véritablement comprendre ce passage qu'en faisant référence à ce qu'on
appelle la révolution « copernicienne » de Kant. Cette révolution porte sur une certaine définition de la vérité, de l'objectivité de ce que
Kant critique. C'est une certaine conception de la vérité qui implique l'idée de d'extériorité de l'objet : un tel regard permettrait d'être
objectif... Kant dit que ça ne peut pas marcher ainsi, car on ne peut jamais savoir ce que sont les choses en soi. On peut juste savoir ce
que sont les choses pour nous, la manière dont les choses nous apparaisse : c'est le phénomène (= la chose telle qu'elle nous apparaît)
qu'il faut distinguer de la chose qui serait la chose en soi, à savoir les noumènes. Si on admet qu'on perçoit tout par le temps et l'espace
(catégorisés dans la sensibilité), alors nous n'avons pas accès aux choses en soi, c'est un objectivisme impossible, sauf à sacrifier à toute
idée de vérité. Et, Kant ne se débarrasse pas de la vérité, mais prétend qu'il faut s'y prendre autrement : Le propos consiste à dire que la
seule manière d'attester de la réalité de nos représentations passe par l'argumentation, l'intersubjectivité, le dialogue, la relation aux
autres. Sans inter-subjectivité, communication, on ne peut pas dégager de l'objectivité, de la vérité. La seule manière de vérifier que ce
qu'on dit n'est pas simplement subjectif passe par l'intersubjectivité. Ainsi l'objectivité est inaccessible sans dialogues. On ne peut donc
pas penser sans les autres en raison de la révolution copernicienne kantienne. Kant est à cet égard le premier grand penseur « laïque »
de l'histoire : enfin, c'est le premier à ne pas avoir besoin de Dieu pour rechercher l'objectivité (contrairement par exemple à Descartes qui
avait besoin de la garantie divine). Dans un monde dans lequel nous vivions encore dans l'évidente réalité religieuse des choses, lorsque
la vérité du monde était garantie d'une manière dogmatique, ce problème ne se posait pas de la même façon. Le monde de la tradition, de
l'hétéronomie, tel qu'on peut l'imaginer est un monde dans lequel on vivait dans l'évidence du sens, c'était le monde religieux. Dès le
« désenchantement du monde », l'évidence du sens s'effondre. Mais, dès lors, ce que vous prenez pour évidence, le voisin d'à côté le
conteste. La grandeur de Kant c'est de partir de la subjectivité, de critiquer le dogmatisme objectivisme (= il n'y a que des représentations
objectives) sans pour autant sonder le dogmatisme subjectivisme (= il n'y a que des représentations subjectives). Il pense à partir de
l'intersubjectivité. Lorsque Kant considère que la seule manière de faire avancer la liberté, c'est l'usage public de la raison, il fait référence
à tout ça. Cette révolution copernicienne kantienne est indispensable afin de comprendre le criticisme kantien.