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Histoire des idées politiques

M. Zawadski
L2 G1

Examen :
 Oral-écrit d'1h30
 Deux questions au choix (extraits à commenter, dissertation).
 Il est conseillé de lire les livres concernés.
 Plan pas forcément apparent, ni forcément 2 parties 2 sous parties : faire comme on veut du moment que c'est clair et structuré. Importance de
l'introduction. 4 pages maximum. Clarté, précision, exhaustivité, concision.

Introduction

Le cours porte sur la pensée de la politique moderne. Il représente une introduction à la philosophie politique. Les philosophes
tentent d'apporter une réponse à un problème concret, à un problème contemporain de leur époque, ce ne sont pas des inventions pures
à vocation fantastique :p : Par exemple, Hobbes, lorsqu'il conçoit l'idée d'un État, c'est parce qu'il cherche une réponse à la violence. Il ne
s'agit pas seulement de cataloguer les idées politiques, il est en effet intéressant de comparer et confronter ces idées.
Nous allons commencer par Machiavel. On peut le comparait à Christophe Colomb, découvrant un nouveau continent. Quels
que soit les blâmes qu'on peut lui faire, il cristallise en effet, un certain nombre d'innovations dans ce domaine. Il ouvre la première vanne
vers la philosophie politique moderne. Il exprime, outre sa propre pensée, une pensée qui est propre à la modernité politique.
La modernité politique est un terme flou : modernité et politique sont des termes tellement utilisés qu'ils en deviennent
galvaudés, voir vidés de leur sens. Mais, dans un premier temps, on ne peut s'en passer.
La modernité politique renvoie à la sortie du théologico-politique : la séparation du juridico-politique et du théologique. C'est ce
processus par lequel se constitue, progressivement, historiquement et sur la longue durée, selon des rythmes différents selon les endroits
en Europe, l'autonomie de la sphère politique. La politique comme catégorie, comme sphère de pensée, s'autonomise à l'égard du
religieux. Tous ces processus s'inscrivent dans la durée (Par exemple, le processus de «  désenchantement du monde » est un processus
long, lié à la perte d'emprise de la religion sur les autres sphères de l'activité humaine, même si les effets semblent apparaître plus
fortement au 20ème siècle.
De même, l'individualisme est un processus long, on en parle toujours aujourd'hui, alors que Tocqueville avait introduit cette notion dans
son livre De la démocratie en Amérique.
Ces processus de longue durée sont assez difficiles à appréhender.

Les auteurs qui ont participé au processus de la modernité politique : Machiavel, Hobbes, Locke, Rousseau (plus largement, les
philosophes des lumières), Tocqueville (se rapproche de la modernité démocratique) mais aussi Spinoza, La Boétie.

La modernité politique est un phénomène complexe, et les différents auteurs sur lesquels nous travaillerons nous éclairerons
dessus.

Leo Strauss a écrit un article qui se dénomme « les 3 vagues de la modernité  » : il considère que la première vague démarre
de Machiavel. Ainsi, pour Strauss, Machiavel est le représentant de la 1ère vague de la modernité. Strauss a écrit un livre qui se
dénomme « Droit naturel et histoire  » : dans celui-ci, il y consacre un passage sur Machiavel « Machiavel rejetait la philosophie politique
classique et avec elle toute la philosophie politique traditionnelle comme étant inutile  ». La question à la base de cette citation était
« comment l'homme doit-il vivre ? ». Or si l'on considère l'homme et la justice, on ne peut résoudre correctement ce problème qu'en
partant de la question « comment les hommes vivent-ils en fait ?»
« La révolte réaliste de Machiavel contre la tradition conduisait à substituer le patriotisme ou les simples vertus politiques, à l'excellence
humaine, ou plus précisément aux vertus morales et à la vie contemplative. [...?] Et cela, afin d'augmenter les chances de l'atteindre. » En
quoi il y a là une révolte dite réaliste, et quels sont les enjeux de ce délaissement de l'excellence humaine. Machiavel se détourne du
« devoir être » pour se tourner vers ce qui est en fait, au simple réalisme.
Strauss ajoute :
« La seule question est de savoir si le nouveau continent est adapté à la vie humaine ? ».
Qu'est ce que le désenchantement du monde ?
Pour en parler, on peut s'appuyer sur deux auteurs, Max Weber et Marcel Gauchet qui a écrit un livre intitulé justement « Le
désenchantement du monde ». C'est une notion générique qui désigne le processus de sortie de la religion qui est véritablement le fil
directeur de la période travaillée.
Chez Max Weber, cette notion est utilisée prend 2 significations complémentaires. Dans le premier sens, cette signification est
très technique et ne se comprend que dans le cadre de la religion. Au sens strict, il entend la démagification du monde (qui serait
technique de salut). C'est un processus qui lui paraît avoir été très largement accompli au sein même du puritanisme. Il estime dans son
fameux livre, l'avènement du protestantisme conduit à ce processus.
L'autre sens, celui qui nous intéresse réellement, est utilisé par Weber vers la fin de sa vie. Il l'entend le désenchantement du monde dans
un sens plus large et plus métaphorique. Cela renverrait à la déprise du religieux sur les représentations générales que les hommes se
font de leur existence et du monde en général. Il utilise souvent plusieurs notions « rationalisation » « intellectualisation » et donc
« désenchantement ». Pour lui, ces notions sont interchangeables et renvoie au même processus de modernité occidentale.
Aujourd'hui, un monde désenchanté est un monde où règne la conviction, explicable par les lois, que la science peut connaître, et que ce
qui est connaissable par la science et également maitrisable par la technique.
Max Weber est probablement l'un des auteurs sur lequel s'est appuyé toute une série de penseurs du XXème siècle que l'on a parfois
regroupé sous l'appellation « l'école de Francfort » dont la marque est la critique de la « raison instrumentale ». C'est une raison
hémiplégique, c'est une pensée des moyens, une pensée très faible car elle ne porte pas (jamais) sur la fin mais que sur les moyens. La
raison instrumentale, c'est, caricaturalement, la séquence de rationalité utilisée par un ingénieur.
Dans la description que Weber nous donne, il met en évidence la pensée techno-scientifique. On est capable d'expliquer beaucoup de
choses par la science, de maitriser des phénomènes, mais le fait qu'on en soit capable de choses ne signifie pas qu'on soit capable de
comprendre beaucoup de choses (Ex. : « La terre tourne autour du soleil » et relativement facile à expliquer, cependant cela ne signifie
pas que l'on puisse facilement donner un sens à ce fait. En fait, « pourquoi » ? quel est le sens de ce fait?!!). Le désenchantement du
monde contribue à nous fournir des explications très efficaces, et nous montre que les phénomènes se pensent de telle façon... mais au
fond, ce désenchantement crée une sorte de vide, de béance. Le désenchantement du monde avec la sortie des grands systèmes éthique
produit une sorte d'éradication de sens. Les êtres humains ressentent donc le besoin de recréer de façon individuelle, du sens à ces
phénomènes.
Marcel Gauchet, reprend la perspective webérienne. Le désenchantement du monde désigne entre autres choses
« l'épuisement du règne de l'invisible ». Chez lui, résonne l'idée qu'il y aurait une véritable révolution anthropologique au travers de
laquelle, les hommes, reconstruisent, en quelque sorte, leur séjour sur la terre, à l'écart de l'indépendance divine.
Il reprend le constat des anthropologues selon lesquels l'expérience religieuse, est universel ou co-extensible à l'humanité. Sur ce constat,
on aurait une trajectoire singulière qui caractérise la modernité occidentale et qui montre que notre Monde serait en rupture par rapport
aux organisations sociales anciennes fondées sur l'hétéronomie (= s'oppose à l'autonomie – capacité que nous avons de nous donner nos
propres lois -). Une société qui fonctionne à l'autonomie est une société qui se pense comme se donnant à elle-même ses propres lois.
C'est une société qui ne voit pas le fondement des lois qu'elle se donne à l'extérieur d'elle même. Une société qui fonctionne à
l'hétéronomie n'est pas forcément moins libre ni moins intelligente qu'une société autonome. Elle fonctionne juste différemment dans sa
manière de penser les institutions, car elle s'imagine recevoir la loi de l'extérieur, du passé par exemple. Ce sont souvent des sociétés
passéistes car elles pensent que le foyer de la loi se situe avant, dans un lointain passé. Les sociétés qui fonctionnent à l'autonomie
s'imagine simplement sur le mode de l'autonomie, en votant ses propres lois. Et, dans ces sociétés, le rapport au temps est complètement
différent, car tourné vers l'avenir : c'est une société futuriste.
Pour Gauchet, nous nous sommes engagés dans une dynamique qui nous mène vers une société hors religion. C'est une société qui se
pensent au travers de l'idéal d'auto-gouvernement. Qu'est ce que la démocratie si ce n'est le pouvoir que nous avons sur nous même en
tant que société, que nous concevoir dans l'avenir. La démocratie, pour Gauchet, c'est le passage vers une société qui se pense assujettie
vers une société qui se pense sujette d'elle même. « La genèse du fait démocratique ne peut s'entendre sur la longue durée que comme
la mise en place d'une forme subjective de fonctionnement social. L'avènement de la démocratie, c'est le passage de la société de
religion, c'est à dire de la société assujettie, à la société sujette d'elle-même  ». Un monde, sortie de la religion (dans le sens que l'on
entend ici), n'est pas une société dans laquelle il n'y aurait plus aucune tendance religieuse. Gauchet ne dit pas que «  Dieu est mort ». Les
Dieux ne sont pas morts mais sont devenus impuissants dans le sens où les croyances religieuses sont biens présentes, mais la religion
ne structurent plus le monde collectif.
Dans ce diagnostic de désenchantement, il y aurait un abîme qui nous séparerait des origines religieuses. Comment en est-on arrivé là?
Répondre à cette question, c'est rencontrer tout un ensemble de connaissances, relevant des théories de sécularisation. Gauchet nous
intéresse en ce sens qu'il met l'accent sur un élément de la naissance de l'État. L'État lui apparait comme l'innovation politique majeure de
l'histoire occidentale. Toutes les sociétés ne sont pas étatiques (même si le pouvoir politique existe). Comment penser ce pouvoir que
nous avons sur nous-mêmes? (voir supra). Il a fallut mettre en face du pouvoir religieux le pouvoir qui lui était au moins équivalent, qu'était
le pouvoir politique, celui de l'État. La clé du développement politique européen, c'est précisément ce problème théologico-politique. Avant
qu'apparaissent les sociétés démocratiques que l'on connait, la période qui précède l'établissement de ces régimes est une période
essentiellement marquée par le développement du pouvoir politique (autonomisation croissante), et souvent l'affirmation de formes
particulières (absolutisme, monarchisme) : d'où la notion de souveraineté. On peut distinguer 3 émergences fortes, transformations qui
constituent le passage de l'hétéronomie à l'autonomie, à savoir : l'élément politique, le droit et l'histoire. C'est une autre manière de parler
des étapes de la modernité.
Le premier élément est l'élément politique puisque à partir du théologico-politique (point de départ), il faut essayer de rendre compte de la
réaffirmation de l'autonomie de la politique. Machiavel, dans le Prince, le montre parfaitement bien et cristallise cet effort. Il y aura ensuite
Hobbes, puis Rousseau (qui introduira l'élément historique).
Quels étaient les forces politiques disponibles depuis la chute de l'Empire Romain?
La première est l'Empire : rassemblement de tout le monde connu sous un pouvoir unique, plus fondamentalement, cela correspond à
l’universalité de la nature humaine qui se voit reconnue par un pouvoir unique.
Ensuite, la Cité : modèle célèbre (cher à Machiavel) renvoyant à l’histoire des cités grecques. Cette idée est celle qu’il y a un espace
public où les hommes peuvent débattre, délibérer, décider de tout ce qui concerne leurs affaires communes.
Enfin, l'Église. Elle ne se place pas sur le même plan que l'Empire et la Cité. Elle n'a pas pour raison d’organiser la vie politique et sociale
des hommes, elle se proposait de fournir un bien qui serait le salut. Sauf qu'à partir du moment où l'Église prétend prendre en charge
l'économie du Salut, elle estime avoir un droit de regard sur tout ce qui pourrait menacer ce Salut. Et, comme toutes les actions humaines
sont confrontées au bien ou au mal, il en résulte que l'Église s’offre un droit de regard sur toutes les actions humaines. D'où le problème
que rencontraient les hommes qui avaient en tête le modèle de la Cité qui était d'affirmer suffisamment leur autonomie, leur indépendance,
à l'égard des prétentions de l'Église.
Tant Machiavel que Hobbes montrent qu'il est possible voir nécessaire d'articuler une réflexion portant sur la coexistence des hommes
dans la Cité, et qu'il est possible de résoudre une grande partie des problèmes qui résulte de cette coexistence, sans parler de Dieu ni de
l'Église.
Hobbes écrivait dans le contexte des guerres civiles anglaises (théologico-politiques), Machiavel était Italien (proximité avec le Pape). Tout
le problème des cités est d'organiser le monde profane face aux prétentions de l'Église.

« Le Prince » de Machiavel (1469-1527)

Il ne faut pas lire le texte de Machiavel comme s'il était intemporel et indépendant de toute contexte. Également, il ne faut pas
non plus en faire un « produit » de la crise florentine et donc l'étouffer dans ce contexte. Il faut comprendre ce qui est nouveau, tenant
compte du genre particulier de ce texte que Machiavel a rédigé vers 1513, qui se présente comme une sorte de manuel, ouvrage de
technique de gouvernement, adressé aux Médicis. En somme, Machiavel s'adresse au Prince, qui vient de reprendre le pouvoir de
Florence, le conseillant sur les moyens de reconstruire une principauté durable. Son intention est de voir comment l'on acquiert et l'on
garde les principautés, à savoir les mécanismes de prise et de maintien du pouvoir. Cette préoccupation technique pourrait être
anecdotique et pensante si l'on ne tenait pas compte d'un contexte très particulier, lequel constitue une des clés de la lecture Machiavel. Il
écrit dans un contexte très agité, très troublé à un moment où il a été écarté du pouvoir et où l'Italie n'est pas unifiée, partagée entre des
multiples souverainetés qui se font souvent la guerre. Cette situation d'instabilité politique produit des souffrances infinies, engendre des
douleurs, du malheur... D'emblée, même si son texte semble être écrit par un « technicien borné », son soucis d'efficacité qui transparait
est à rapporter directement à ce contexte. Il s'agit de penser l'efficacité d'un pouvoir. Il s'agit de pallier à cette instabilité qui engendre tant
de malheur, d'écrire comme il dit au chapitre XV « chose utile à qui l'entend ». Hobbes, quand il écrira le Léviathan, a un peu près la
même intention. Ce « Léviathan » tombe entre les mains d'un Roi, gouvernant quelconque, et qu'il inspire la pratique. Il s'agit donc d'écrire
des textes qui produisent des connaissances qui ont un rapport direct avec l'action. Machiavel a vraiment l'ambition d'avoir un livre utilisé
par des gens au pouvoir, et propose en ce sens, une sorte de technique du pouvoir.
Au Chapitre XV, il énonce d'emblée son intention, tout en rappelant que le genre d'exercice auquel il se livre est un gendre dans lequel il a
eu beaucoup de prédécesseurs à savoir les « Miroirs princiers  » (qui sont les textes écrits pour édifier les gouvernants), en expliquant que
ce qu'il propose ne ressemble en rien à ce qu'on dit ces prédécesseurs et précise pourquoi : « Mon intention étant chose utile à qui
l'entend etc. ». Mon propos, dit Machiavel, consiste à parler du réel : je ne vous dit pas ce qu'est une cité idéale, ni quels sont les qualités
d'âme idéales qu'il faut avoir, je ne vous parle pas d'un monde inexistant; Mon propos consiste à parler de vérité, de partir du réel et de
vous apprendre l'efficacité. Une logique du réel est mise en avant. On parle non pas « de ce qui était mais de ce qui est ». Cette logique
sera pensée comme une « logique des effets ». Machiavel oppose la vérité technique de la chose et l'imagination. Cela renvoie à
l'opposition entre la façon dont on vit et celle dont on devrait vivre. Selon Machiavel, il ne sert à rien de cultiver en politique des mondes
utopiques, de ce qui n'est pas. Au chapitre XXV « Il est nécessaire à un Prince, s'il veut se maintenir [...] et d'en user selon la nécessité (à
compléter) ». Soit un Prince veut se maintenir au pouvoir, et autant qu'il m'écoute, soit il ne veut pas et il sera balayé. Mais si c'est le
premier cas, il faut qu'il accepte de comporter d'une manière entravée en rien par des contraintes morales, et au Chapitre XVII : «  Et, il
faut comprendre ceci : c’est qu’un prince, et surtout un prince nouveau, ne peut observer toutes ces choses pour lesquelles les hommes
sont tenus pour bons, étant souvent contraint, pour maintenir l’Etat, d’agir contre la foi, contre la charité, contre l’humanité, contre la
religion. Aussi faut-il qu’il ait un esprit disposé à tourner selon que les vents de la fortune et les variations des choses le lui commandent,
et comme j’ai dit plus haut, ne pas s’écarter du bien, s’il le peut, mais savoir entrer dans le mal,s’il le faut  ». Machiavel ne préconise pas
l'immoralisme absolu mais dit que certains cas, quand la raison politique l'exige, il faut renoncer à être bon. Il faut savoir entrer dans le
mal, si besoin est... et, il va très loin en disant « contre l'humanité » ! On pourrait commettre des crimes contre l'humanité si la raison
politique l'indique. Il affirme le principe d'efficacité, au détriment de toute morale. En substance, pour arriver à certaines fins en politique,
on peut se donner tous les moyens. Rien ne saurait entraver les moyens de la politique. Ici, Machiavel semble ressembler à ce
« technicien borné » (Paul Veyne), uniquement soucieux d'efficacité, tout le reste étant mis de côté. Machiavel a conscience qu'un pouvoir
nouveau est plus fragile qu'un pouvoir ancien « Un prince, et surtout un prince nouveau etc. ».
Au Chapitre XV, Machiavel reprend la réflexion classique des miroirs princiers portant sur la qualité des princes, mais il apporte une
inflexion tout à fait déterminante et modifie très fondamentalement ces réflexions sur les vertus car il nous explique progressivement qu'un
Prince, s'il veut se maintenir au pouvoir, doit avoir certaines qualités, mais lui, il ne demande pas de se conformer aux vertus de
l'excellence humaine qui étaient mis en avant par les miroirs princiers. Bien sur, ce serait bien que l'on ne trouve pas de vices chez lui,
mais dans certains, lorsqu'un prince se conforme à la vertu, cela ne lui permet de maintenir l'État, et peut même entrainer la ruine de l'État.
Certains « vices » constituent les ingrédients d'une bonne politique, car efficace. Les vertus morales (principalement religieuses) ne sont
donc pas exactement les vertus politiques. La sphère de l'action politique ne vise pas en premier lieu à obéir à la morale mais l'efficacité et
que pour cette raison, la sphère politique admet sa propre morale, qui n'est pas la morale courante. Un bon Prince est un prince qui
réussit, mais pas forcément de manière vertueuse (au sens de la moral courante). Un bon Prince a cette capacité de bien se comporter en
politique, ce qui n'est pas d'agir en fonction du bien moral, mais dans le respect du principe d'efficacité qui assure son entreprise politique.
La démarche de Machiavel a quelque chose de « choquant » car même si nous sommes d'accord pour dire que la politique doit être
efficace, on n'est également d'accord pour considérer un certain nombre de considérations relevant de l'humanité. Nous avons un double
soucis : être efficace et entreprendre des actions conformes à nos exigences d'humanité. Mais, Machiavel s'emploie principalement dans
ce livre, non pas à moraliser l'action politique mais à autonomiser la sphère de l'action en considérant que les entraves morales et
religieuses qui pèsent sur la sphère politique, la rendent inopérante. Il faut autonomiser la sphère politique. Cet effort n'aurait aucun sens
si on ne le remettait pas dans son contexte. Le problème de Machiavel est donc l'efficacité de la politique qui a fait au bout du compte que
la seule manière de sauver la politique est de l'arracher aux entraves de la morale religieuse.
On peut faire de Machiavel un cynique absolu, un technicien borné, mais, si on veut se faire l'avocat du diable, il faut considérer qu'il opère
une sorte d'inversion puisque avant Machiavel, notamment dans les miroirs princiers que la conformité à la morale était la condition de
possibilité de la réussite en politique. Machiavel inverse ce raisonnement : il considère que les conditions de possibilités de la morale
dans la Cité résident dans l'efficacité de la politique. Le monde des républiques italiennes était un monde déchiré continuellement,
tellement violent qu'aucune morale n'est possible : nos discours moralistes ont donc bon dos. Mais, si vous voulez qu'un minimum de
règles puisse exister, il faut d'abord que le pouvoir se stabilise, il faut sortir de la guerre civile. A cette condition, on pourra peut être faire
de la moral : c'est une discours politique réaliste.
On peut également dire que Machiavel nous met en garde contre l'angélisme de la belle âme (Selon Jacques Hersch « Attitude qui
consiste à se procurer à bon marché des solutions moralement satisfaisantes et la conviction d'avoir bon cœur en se dissimulant les dures
contraintes du réel  »). L'exemple classique pourrait être le pacifisme des années 30 : il aurait fallu que Hitler se fasse botter le cul :p, mais
le pacifisme des années 30, en disant que la guerre était le mal absolu, qu'on devait à tout prix la refuser, on se procurait une décision
alors moralement satisfaisante. Le fait d'être pacifiste dans les années 30 n'a pourtant pas empêcher la guerre. Cette solution est
insuffisamment politique et simplement morale. Elle ne tient pas compte des réalités et besoins politiques du moment. Machiavel
représente donc à certains égards une critique de l'angélisme en politique. Il libère l'action politique de toute une série d'entraves : pas de
politique sans efficacité. Mais, en libérant la politique, il ne pense pas aux limites de l'action : à la démesure. On peut dire dans un certain
sens, que Staline et Hitler ont voulu être efficace. La démesure est devenu un problème majeur au XXème Siècle. Jaspers pour défendre
la Bombe atomique, a repris Machiavel : le réalisme machiavélien était la condition nécessaire de toute politique (on ne peut négliger son
apport). Mais il ne dit pas tout en politique et devient à ce moment-là faux. Les principes mis en avant par Machiavel ne sont pas
suffisants.
Le problème de Machiavel se situe en amont, il est celui de la constitution d'une entité politique stable, du maintien d'un pouvoir stable,
sans lequel il ne pourrait y avoir de morale dans la Cité.
Machiavel opère donc une redéfinition de la vertu, qu'il appelle la virtu. Il amorce un nouveau type de relation entre morale et politique. Il
semble s'inscrire dans la tradition d'un genre qui le précède très largement, c'est à dire les miroirs princiers qui, en multipliant les
ouvrages, les traités, avec l'imprimerie, considéraient que la réussite du prince reposait sur la virtu, Machiavel semble reprendre à son
compte ces préceptes. Il n'y a pas une opposition frontale à toute la tradition des miroirs princiers : « Dans les monarchies entièrement
nouvelles, on trouve à les maintenir plus ou moins de difficultés selon celui qui les acquiert est plus ou moins vertueux  ». Machiavel ne
laisse pas de définition cohérente de sa conception de la virtu princière (il faut dire que ce n'est pas une œuvre ayant l'ambition d'être
aussi complète que celle de Hobbes). Les moralistes latins avaient dit que l'homme vertueux devait avoir un certain nombre de vertus
cardinales (modération, justice etc.). Ces hommes vertueux doivent posséder d'autres qualités qui sont considérées comme
spécifiquement princières (honnêteté, et tout ce qui se rapport à l'honneur comme la magnanimité). Dans la tradition qui précède
Machiavel, les miroirs princiers considèrent que le concept central de virtu devaient être relié à l'ensemble des vertus princières et
cardinales.
Machiavel semble réfléchir sur les vertus, les vices, comme l'ont fait ses prédécesseurs, et pourtant, dans sa manière de parler, on ressent
une capacité de distanciation, d'abord parce que les auteurs anciens semblaient considérés qu'il y avait des vertus qui en toutes
circonstances étaient bonnes/mauvaises, alors que Machiavel introduit ce concept étonnant : il se rapporte à la réalité effective des
choses. On se rend compte, de fait, que certaines choses peuvent paraître constituer des vices et pourtant dans l'ordre politique, ce sont
des vertus. Machiavel n'incite pas à violer la morale courante, si on peut s'y conformer, tant mieux, mais il ne faut pas s'attendre à qu'elle
nous dirige dans l'ordre politique. Il opère donc une critique de l'humanisme classique : si vous voulez atteindre vos objectifs politiques,
alors vous vous rendrez compte qu'il n'est pas toujours raisonnable de se conformer aux règles morales les plus couramment admises.
D'où, la question centrale, qui irrigue ce texte : dans ce cas, si la boussole normale, la morale, n'est pas suffisante, alors comment les
Princes doivent-ils procéder? Si les règles de la morale conventionnelle sont insuffisantes dans l'ordre politique, où chercher ces points de
repère dans l'action politique?
Le domaine de l'action a été thématisé par les anciens (parfaitement connu de Machiavel), notamment par Aristote, et ils ont conclus que
dans le domaine de la praxis rien n'est jamais certain. Edgar Morin : « Toutes actions entreprise dans l'ordre politique est toujours lancée
dans le cadre d'un environnement  ». En bref, une action rationnelle peut, dans un certain contexte, être irrationnel. Ce sont les « effets
pervers ». Or, l'action politique est un domaine qui est soumis aux effets de l'environnement : rien n'est jamais sur dans le domaine de
l'action, comme le disait les anciens.
Machiavel est persuadé de cela, et développe alors sa réflexion sur un point essentiel : le rapport entre l'action politique et la morale, qui,
au moment où il écrivait, était généralement en lien très fort avec la morale religieuse. De fait, il frappe très fort en disant au chapitre XVIII
« Un prince nouveau ne peut s'observe toutes ces choses [...] étant souvent contraint pour maintenir l'État, d'agir contre la foi  » : au fond,
l'enjeu est clairement indiqué ici. C'est celui de l'autonomisation des principes régissant l'action politique par rapport aux principes de la
morale courante qui sont généralement soumis aux principes religieux.
Malgré tout ce qu'il peut dire de choquant, on ne peut le considérer comme un cynique. En effet, son propos n'est pas d'être mauvais etc.,
il écrit simplement ce qu'est un bon Prince : sauf que le bon Prince n'a pas les yeux rivés sur les vertus classiques, mais sur la vérité
effective de la chose. Un bon Prince est soucieux des conséquences de son action. De plus, s'il est compréhensible qu'il n'est pas bon de
tuer un être humain, il faut comprendre le contexte, et quelle est la bonne action dans un contexte de violence? (Retour à l'exemple du
pacifisme des années 30). Ce principe d'efficacité est donc central et primordial pour le Prince, d'où les passages du livre de Machiavel qui
concernent la ruse : il y a une réflexion constante dessus. Bien sur que le Prince doit savoir entrer dans le mal, mais il doit se garder de ne
pas avoir une réputation de cruel : il faut qu'il se débrouille pour agir efficacement (donc parfois cruel), mais il n'est pas bon en politique
d'avoir une image cruelle. Dans le Prince, il y a des passages qui font l'éloge de la Terreur (DANS CERTAINS CAS), car elle paraît
efficace (donc bonne). Chapitre VII : « La Romagne prise par le duc [...]  » : en bref, une région n'est plus sous contrôle, il y a donc toute
sorte de troubles, et le Prince confie a quelqu'un de « cruel et expéditif » cette région. Il y rétablit la paix et en tire un certain prestige. Il
s'agit de se livrer à une politique cruelle tout en préservant sa réputation. Cette politique apparaît donc bonne car remet de l'ordre dans le
pays, mais elle ne peut être bonne que si le pouvoir n'est pas affaibli par la réputation de cruauté qui s'en suit. Elle est bonne que si on
parvient à avoir l'air de ne pas être cruel.
Encore une fois, rien ne permet de penser que Machiavel soit plus indifférent que n'importe qui à propos de la question morale. Il
considère juste que la réussite en politique passe par une autonomie de l'action politique par rapport à la morale.
Chapitre V : « Lorsque les pays qu'on acquiert sont accoutumés à vivre selon leurs lois  », il y a 3 manières de faire selon Machiavel :
 Le détruire
 Être présent sur les lieux
 Les laisser vivre selon leurs lois
Pour conclure ensuite qu'il est absolument périlleux de devenir maitre d'une cité habituer à vivre libre et de ne pas la détruire. « Ni la
longueur du temps, ni les bienfaits, ne font jamais oubliés la mémoire de leur ancienne liberté ne peut les laisser en repos si bien que la
voie la plus sure est de les détruire  ». (à vérifier). Il est intéressant de voir que Machiavel voit la mémoire de la liberté comme un
provocateur potentiel d'effets politiques. On peut soumettre des individus qui ne connaissent pas la liberté mais c'est plus difficile pour
ceux qui la connaissent. Ce sens de la liberté ne se laisse pas détruire. C'est pour cela que le seul remède à cela est de détruire les cités,
selon Machiavel.

Comme l'a écrit Pierre Manent, il y avait à l'époque de Machiavel un autre point de vue qui prétendait à partir d'une extériorité
contrôlée. Adopter cette position dans le jugement des choses politiques était pour Machiavel, concurrencer son ennemi sur son propre
terrain à savoir le religieux. Le point de vue de l'Église ne l'intéresse pas dans l'ordre politique. Le religieux était pensé supérieur au
politique. Machiavel ne refuse pas l'Église au nom de la morale mais au nom de l'efficacité. Dans le Chapitre VI, «  Les monarchies
nouvelles qu'on acquiert par ses propres arts et ses talents  », il oppose le destin des prophètes armés, au destin des prophètes
désarmés. Il n'y a de chose plus difficile à entreprendre que de s'aventurer à introduire de nouvelles institutions. Il est donc périlleux de
passer d'homme privé à Prince. Machiavel introduit donc une variable : le fait d'être armé ou pas. Ces novateurs s'appuient-ils sur leurs
propres forces, ou dépendent-ils d'autrui? S'appuient-ils sur des prières ou bien sur des armes/contraintes? Le jugement de Machiavel est
sans ambiguïté : dans le premier cas, ils finissent toujours mal, et n'arrive à bout de rien, mais dans le second cas, lorsque ils sont en
mesure de contraindre, c'est rare qu'ils soient en danger. « Tous les prophètes armés triomphèrent et les désarmés s'effondrèrent  ».
Affirmation univoque de la supériorité de fait des prophètes armés sur les prophètes désarmés. Mais, première objection : Jésus, était bien
désarmé et a plutôt bien réussi, et Machiavel ne peut l'ignorer. Deuxième objection : De plus, vu qu'il est désarmé, pourquoi Machiavel
espère que ces maximes produisent un résultat concret en étant reprise par un Prince qui les incarne dans son action politique. Revenons
joyeusement à ce gentil agneau de Machiavel, celui ci s'efforce de définir une pensée politique autonome par rapport à la morale, en vue
de l'efficacité. Chapitre XXV « Ce que peut la fortune dans les choses humaines et comment on peut lui résister  » est un chapitre décisif
pour comprendre la fameuse virtu du Prince machiavélien. L'un des points de vue est que les choses de ce monde sont gouvernées par la
fortune, ou par Dieu, les hommes n'ont plus qu'à se laisser gouverner, par cette salope de fortune (point de vue fataliste). Machiavel va
procéder de manière logique et il considère que « pour que le libre arbitre ne soit pas aboli, je juge qu'il est peut être vrai que la fortune
soit arbitre de la moitié de nos actions mais aussi que l'autre moitié ou à peu près elle nous la laisse gouverner  ». Il est un fait qu'un Prince
« qui s'appuie totalement sur la fortune (sur le hasard et le cours des choses) s'effondre lorsque celle-ci varie ». Là dessus, Machiavel fait
entrer dans son raisonnement, une autre variable : un Prince peut être circonspect ou il peut être impétueux.
Il conclut que la fortune est variable, mais les hommes semblent obstinés dans leur façon d'être :
« …il est meilleur d’être impétueux que circonspect, car la fortune est femme, et il est nécessaire, à qui veut la soumettre, de la battre et la
rudoyer ». Exhortation à l'action, critique de la passivité et du fatalisme. Le Prince machiavélien sait se prémunir contre les coups du sort
par un effort de maitrise de la fortune.
Ainsi, cette virtu est liée aux circonstances, les qualités du Prince doivent lui permettre de saisir le moment opportun, et d'une manière
récurrente, il y a une exhortation à l'action politique (pitoyable répétition du prof). La virtu, dans cette perspective, est une manière de
maitriser la fortune, de lui donner une forme, une forme à son histoire, à son destin. Le bon Prince doit avoir sa capacité à modeler, de
maitriser, la contingence des choses, des circonstances pour retourner ces circonstances à son profit et ne pas sombrer avec le sort.
Conception de la politique tout à fait nouvelle et originale par rapport à tout ce que les anciens pouvaient en dire : On retrouve
l'appréciation de ce gentil Léo Strauss, disant que Machiavel rejetait toute la philosophie politique, il parlait d'une révolte réaliste de
Machiavel. La philosophie politique classique présentait la politique comme l'art du mimétisme de l'ordre naturel (politique inégalitaire des
grecs, position hiérarchique dans le corps social naturelle). Le projet de cette philosophie politique classique était, comme Strauss
l'indique, une quête du meilleur régime, étant entendu comme celui le plus favorable au mode de vie que les hommes devaient mener, et
donc le plus favorable à la vertu, laquelle était pensée comme la référence à une norme, conçue comme naturelle. Chez Machiavel, il n'est
pas question d'ordre naturel. Le monde politique semble radicalement coupé de cet univers là (artificialisme politique). La pensée de
Machiavel s'éloigne d'une référence à une « nature humaine » ni de limites découlant d'une certaine conception de la nature humaine. Les
repères traditionnelles de la politique sont donc mis de côté : il est vain de réfléchir au meilleur régime, il suffit d'élaborer une réflexion
technique, sur la façon de se comporter en politique, sans qu'aucune norme ne soit pensée en référence à un ordre naturel. On a pu dire
que la Cité de Machiavel n'est ouverte sur aucun au-delà, mais juste sur l'action. Ce qui se passe dans la monde politique tel que
Machiavel nous le donne à voir n'est intelligible que par rapport à l'action des hommes. Les hommes dans ce monde artificiel doivent
choisir, et c'est là qu'intervient la virtu (supra). Il s'agit de penser les vertus politiques comme capables de maitriser la fortune et
d'échapper au destin, efficace dans un monde soumis aux violences.
Dans d'autres textes de Machiavel dit que quiconque veut penser la politique ou faire de la politique doit supposer à l'avance les hommes
(comme) méchants. Machiavel est-il un misanthrope désespéré? En fait, il ne suppose pas que l'homme est méchant, il dit juste qu'il faut
les considérer comme tel (c'est un présupposé de méthode, car il ne dit pas que les hommes SONT méchants, il dit juste qu'il faut le
prendre comme un postulat, une hypothèse de travail) afin d'élaborer une politique plus pertinente.
Pour Strauss, Machiavel représente la première vague de la modernité en ce sens qu'il précise que les caractéristiques de cette vague
furent la réduction des problèmes moraux et éthiques, à un problème technique.
L'effort principal de Machiavel consiste à penser la question politique par rapport à ce qui est, et non pas par rapport à ce qui doit être
(merci de répéter, gentil prof... pitoyable! :p).
Opposition à l'idéalisme des anciens : ce réalisme est particulier, il voudrait écarter toute idée de hasard, tout du moins de réduire son rôle.
Si on place la barre moins haut, en s'en tenant à une pure efficacité, l'on a plus de chance d'atteindre le but envisagé. Hasard et force sont
réduits, et peuvent éventuellement être vaincus par la force. On observe une réduction des problèmes moraux et politiques à des
problèmes techniques.
Deuxièmement, il y a une transformation de la connaissance humaine qui, telle que Machiavel en parle dans ce texte, est entièrement
dirigée vers la maitrise de la nature. La connaissance n'est pas du tout contemplative. Un savoir est ici lié à un pouvoir. La connaissance
humaine impliquée ici est directement une action qui vise à se soumettre, ce chaos désordonné qui devient aux yeux de la science
moderne la nature.

Dans le Prince, il n'y a aucune réflexion sur les finalités du pouvoir.


La question du mal chez Machiavel. Strauss sur Machiavel mettait en avant la révolte réaliste de Machiavel : on doit désormais
partir, si l’on suit Machiavel, de la façon dont les hommes vivent effectivement. On doit réajuster le point de mire et le corrolaire immédiat
de cette interprétation est la vertu. La vertu chez Machiavel existe exclusivement en vue de la République : la moralité n’est pas possible
en dehors de la société politique, elle présuppose la société politique. La société politique ne peut être établie et préservée qu’en restant
dans les limites de la moralité pour la simple raison que les faits ne peuvent précéder la cause. On a ici un renversement fondamental de
l’approche traditionnelle de la politique qui considérait chez les Anciens que la morale était quelque chose de substantiel, qui devait à
chaque pas guider l’action de tous les hommes et du Prince en particulier. Ici, c’est l’inverse : la moralité ou la vertue peut être pensée par
Machiavel comme un résultat, un effet. Elle est à la limite ce que la politique permet de réaliser  : elle est seconde. Du coup, on comprend
pourquoi Machiavel a eu cette réputation sulfureuse : sa manière de concevoir les liens entre morale et politique est probablement une
manière qui aurait choqué les Anciens ; c’est une manière qui nous semble souvent aller de soi, même si nous reculons devant un certain
nombre de conséquences. Il y a l’idée que la morale ne désigne plus un ordre naturel, substantiel, objectif. La morale désigne quelque
chose qui est à l’origine de l’action politique. Au départ, on a pas un ordre naturel mais l’idée d’une volonté subjective qui va construire un
ordre politique. A partir de là, faut-il considérer que Machiavel est un homme immoral ou moral ? le Prince de Machiavel serait-il un
homme immoral ou amoral ? immoral non (à aucun moment, Machiavel dit qu’il ne faut pas suivre les règles morales, il n’y a pas de
volonté d’en découdre), en revanche Machiavel donne au Prince le Conseil de faire précéder la réflexion sur la morale par la réflexion sur
l’efficacité. La morale n’est pas une cause mais un effet. Machiavel n’ignore pas la question du mal et de la morale, mais lui donne
simplement un autre statut. Machiavel dit qu’il n’y a pas de constitution parfaite, il y a simplement des tentatives pour organiser le monde
humain sachant que le Mal, la violence, sont toujours « déjà là » dans le monde humain, politique. Ce n’est pas immoral au sens où il
ignore la morale et voudrait en découdre, mais il dit que le Prince devant agir dans un monde qui est ce qu’il est (brutal, violent), son
premier objectif est d’être efficace et de réussir son entreprise politique. Il n’est pas de se conformer en premier lieu aux règles morales.
C’est l’idée que le problème central de la Cité ou de la République est d’être toujours confronté à une série d’évènements destructeurs, à
la destruction du temps par exemple. Cette série d’événements destructeurs aurait pour nom selon Machiavel la fortune. La Cité est
constamment confronté à la constance. Le rôle premier du Prince est de retrouver une capacité d’agir et d’action, de ne pas se laisser
submerger par les évènements. Il énonce sans illusion selon un effort conscient pour retrouver la capacité d’action politique sans penser à
un seul moment que l’on puisse un jour imaginer un monde politique qui en est fini avec le problème du Mal et de la violence. Les hommes
sont bons mais peuvent aussi être méchants et peuvent aller dans toutes les directions tout comme la fortune. La première considération
du Prince, le premier présupposé, c’est considérer que les hommes peuvent être méchants. Il faut toujours compter avec cette
considération. En revanche, il peut changer cet état des choses en se dotant de moyens efficaces en politique : c’est une invitation, une
exhortation à l’action politique. Le machiavélisme est donc une théorie sur les moyens de se maintenir au pouvoir, dans toutes les
circonstances. Comme son enseignement porte sur la capacité d’agir, on peut considérer qu’il y a là un 1er effet positif  parce qu’il va en
quelque sorte donner aux hommes la capacité d’agir selon des moyens intellectuels. Il faut présupposer les hommes méchants, mais ce
n’est pas une réflexion sur la nature humaine dans le sens où peut-être la méchanceté est plus pertinente et plus significative dans
l’enseignement politique. Machiavel est celui qui jette le soupçon sur le plan stratégique de la vie des hommes. Il jette un soupçon sur ce
qu’est leur vie politique au même titre que d’autres auteurs nous éclaireront plus tard sur les sous-bassements économiques de la vie
sociale (pour Marx par exemple).

Ce faisant, on peut dire qu’il est un auteur qui, réduisant la politique à l’efficacité et les problèmes de la morale et de la politique
à des questions techniques, est un auteur dangereux. Il nous libère en même temps mais il n’en reste pas moins dangereux. On peut dire
ainsi qu’il libère les actions humaines de toutes les entraves et ouvre la voie de la démesure en politique (pas de limites en politique). Mais
que pourrait nous dire de Staline en 1952 : était-il un Prince Machiavelien, était-il conforme à ses enseignements ? néanmoins, on ne peut
pas ne pas reconnaître qu’il y a aussi quelque chose d’indépassable chez lui, quand il dit que lorsqu’il n’y a pas un pouvoir stable quelque
part, si l’on ne se donne pas les moyens efficaces d’agir, on a aucune chance de sortir de la violence et de vivre dans la paix. De fait, la
morale est un vain mot dans cette situation. Le renversement par rapport aux Anciens est là mais dans le Prince il ne se prononce jamais
sur la finalité de la Cité : il ne dit pas « il faut se maintenir au pouvoir, pour réaliser ceci ou cela ». On a l’impression qu’il n’y a pas d’autres
finalités que la prise et le maintien du pouvoir. Dans ce cas là, alors oui : Staline est un Prince Machiavélien : Staline réalise l’Enfer, mais
Machiavel ne se prononçant pas sur les finalités du pouvoir, il n’y a aucune raison de penser que le pouvoir stalinien ne serait pas
conforme aux conseils que Machiavel donne au Prince. Ce n’est pas l’avis du prof toutefois qui pense que Machiavel n’était pas contre la
liberté ou un ami des tyrans, mais le texte peut se conformer à tous les usages. On ne peut pas dire que Machiavel est responsable de ce
qu’ont fait les fasciste italiens de la lecture de son texte. Machiavel revalorise l’action humaine d’un autre côté. On comprend pourquoi Karl
Jaspers estime qu’aucun penseur politique moderne ne peut être vrai sans Machiavel, mais cette pensée réaliste est trop courte et devient
fausse si elle prétend tout dire. La situation dans laquelle nous faisons aujourd’hui de la politique dans la modernité est à peu près celle
que décrit Machiavel : on n’a plus à notre disposition une conception normative de la nature telle qu’elle pourrait fournir les limites de
l’action, ni une conception finalisée du cosmos. Au premier abord, notre liberté d’agir n’est jamais entravée par des considérations morales
mais il ne faut jamais oublier que l’on part du réel pour transformer une action et qu’au siècle dernier, l’utopie en politique peut être aussi
mortifère. L’utopie devient totalitaire si elle nie la réalité et broie sur son passage tout ce qui n’est pas conforme à son idéal. Une formule
assez connue existe : il faut avoir l’optimisme du cœur (idéal ou aspirations morales, ce qui manque au Prince finalement mais pas
totalement) et le pessimisme de l’intelligence (réalisme). Le plus difficile en politique est de conjuguer les deux. Comment faire pour être à
la fois dans le réalisme politique sans renoncer à l’idéal ? Pourtant si l’on renonce à l’idéalisme, on va droit dans le mur, et si l’on renonce
au cœur, on devient cynique, presque Machiavélien : tout devient possible (s’il n’y a que les questions des moyens) et c’est la démesure
en politique. Pour en revenir à la citation de Jaspers, le réalisme machiavélien est nécessaire dans la réalité mais n’est pas suffisant.

« Discours de la Servitude Volontaire » de La Boétie (1530-1563)

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi » - Montaigne.


Il s’adresse à l’ami, le thème de l’amitié doit être compris dans le sens ancien, c’est de l’amitié politique. A travers le dialogue que l’on met
le monde en sens, et qu’on définit des projets politiques communs. S’il y a de l’émotion, elle se fait jours a travers la préoccupation
politique ou la visée politique commune.

Il laisse un texte dont on n’est pas sûr de sa date, il semble qu’il l’a écrit entre l’âge de 16-18 ans. Dans les éditions des Essais de
Montaigne, Montaigne dira « qu’il n’écrivit par manière d’essai en sa 1 e jeunesse mais n’ayant pas atteint le 18 e de son age », les critiques
s’accordent pour dire que le Discours a été écrit vers 1548.

La question centrale : «oh grand dieu qu'est ce donc que cela ?, comment appellerons-nous ce malheur ?, quel est ce vice horrible de voir
un nombre infini d'hommes non seulement obéir mais servir, non pas être gouvernés mais tyrannisés, n'ayant ni biens ni parents ni
enfants ni leur vie même qui soit à eux ?».

« Pour le moment, je voudrais seulement comprendre comment ils se peut que tant d’hommes, tant de bourgs tant de villes tant de nations
supportent quelques fois un tyran seul qui n’a de puissance que celle qui lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire qu’autant qu’ils veulent
bien endurer, et qui ne pourrait lui faire aucun mal s’ils n’aimaient mieux souffrir de lui que de le contredire. »
« Chose vraiment étonnante de voir un million d’hommes misérablement asservis la tête sous le joug, non qu’ils y soient contraints par une
force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés, pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d’un seul. Qu’ils ne devraient pas redouter,
puisqu’il est seul ».

Selon Weber, la domination n’est pas la violence pure, la domination suppose la croyance en sa légitimité, on peut penser plusieurs types
de légitimité. Domination charismatique par exemple, on a à faire a quelqu'un qui a la grâce, et des qualités hors du commun, et qui pour
cela mérite d’être obéi. Tout repose sur la subjectivité, le charisme suppose qu’il y ait une croyance subjective dans notre qualité
extraordinaire.

La Boétie apporte une réflexion qui ouvre sur le phénomène de la domination charismatique qui se développe au 20 e siècle. On sent qu’il y
a un sentiment de scandale insupportable, qui est la même que celle que l’on ressent quand on assiste à une servilité chez ceux qui ne
sont pas contraints par la violence pure.
La question de Boetie ne porte pas sur la servitude exigée par la violence pure, le titre est Discours de la servitude volontaire , « la
servitude volontaire est un concept inconcevable, forgé par un accouplement de mots qui répugne à la langue ».
C’est une dénaturation, ce sentiment de révolte que l’on éprouve face a la servitude volontaire se trouve dans une série de textes. L’école
de Frankfort Adorno, Horkheimer qui ont écrit ensemble un livre qui porte sur la dialectique de la raison , quand ils questionnent cette
disposition qu’ont les masses de se laisser…
Si les tyrannies modernes se s’étaient imposées par la force, notre situation serait intellectuellement simple et moralement apaisante.

Il se trompe fort, celui qui pense que le tyran ne tire sa force que de la force armée.

Le texte de la Boetie de la 16e , n’a pas été lu pendant longtemps. Pendant la révolution, Marat fait un pastiche de ce texte, et met en
circulation revient ensuite dans les années 30 du 19e siècle. Puis il est réédité quelques fois dans les années 1930-1940.

Dans les moments de pression, ce texte revient. Ce texte est souvent mobilisés par des historiens quand ils s’efforcent de remarquer les
événements terrifiants au 20e siècle. La question de la Boetie nous hante depuis 4 siècles, et cette question nous blesse. Si elle ne se
cesse de nous hanter, c’est qu’elle plonge au cœur de la société politique en posant la question de la liberté et celle de l’asservissement.
Cette question hante les sociétés divisées (division entre Etat et société civile).
La Boetie ouvre une réflexion radicale sur le fondement même de l’obéissance, et pose une question qui renvoie chacun à la question de
soumission et de la servitude. Qu’est ce qui fait qu’à un moment on consent à la servitude ? Sa question présuppose que la question de la
légitimité du pouvoir n’aille plus de soi, qu’elle ne soit plus évidente.
Au 16e siècle, la domination peut de moins en moins se prévaloir de fondement naturel, le bon prince n’est plus a l’image de Dieu.
L’évidence se dénaturalise progressivement, et du coup il y a cette question qui se dévoile qui est «  pourquoi un homme devrait-il obéir à
un autre homme ? » .
On est confronté a la question centrale dont vit notre société qui est la liberté des hommes. La question nous blesse car elle heurte
frontalement notre conception de l’être humain moderne, car selon cette conception, l’homme a la capacité de pouvoir devenir libre et
autonome.

Hannah Arendt 20e siècle, qui a écrit un livre sur les origines du totalitarisme, « si nous nous referons a notre expérience en la matière,
nous pourrons constater que l’instinct de soumission, un ardent désir de se laisser diriger et d’obéir a un homme fort, tient dans la
psychologie de l’homme une place au moins aussi importante que la volonté de puissance, et d’un point de vue politique peut-être plus
significative. »
Politiquement, l’instinct de soumission explique plus que la volonté de puissance. Parfois, la force impose sa loi et la liberté est soumise a
la puissance, mais il est plus blessant d’observer que le désir de liberté semble de s’accompagner de la volonté de servitude.
La Boetie : « Dans toute les choses que les hommes veulent posséder et pour lesquelles ils sont prêts à s’entredéchirer, il en est une
qu’ils n’ont pas la force de désirer, c’est la liberté. » On a plusieurs manières d’interpréter :
Si on universalise la question de la Boetie, la question est de savoir, est ce que la servitude volontaire relève de la nature humaine  ? On
peut le lire comme un essai de psychologie politique qui tour a tour s’attache a l’étude de la nature humaine, et qui caractérise les
conditions humaines.

Existe-t-il des invariants anthropologiques impliqués dans « le désir de soumission » ?

Par rapport a une interprétation universaliste sur la nature humaine, on a l’autre interprétation qui soupçonne que la nature de la Boetie
n’est pas la nature humaine dans sa généralité, mais qu’il nous dit une chose importante sur l’homme des sociétés modernes. Selon
Pierre Clastres (« La société contre l’Etat »), la Boetie nous dit une chose importante sur la nature de l’homme dans les sociétés divisées,
les sociétés divisées sont des sociétés dans lesquelles le pouvoir politique est differencié, ce qui n’est pas le cas dans toutes les sociétés.
La Boetie nous éclaire sur une dimension importante de l’homme des sociétés modernes, celui qui choisit la servitude, chez qui la volonté
de liberté s’effacerait derrière la volonté de servitude. L’idée est que l’homme des sociétés modernes appelle a son tour la mise en place
d’une nouvelle science de l’homme dont la Boetie serait le pionnier.
Clastre : « il est en réalité le fondateur méconnu de l’anthropologie moderne, la Boetie anticiperait a plus de trois siècles de distance,
l’entreprise de Nietzsche plus encore que celle d’un Marx de penser la déchéance et l‘aliénation. »
On a un état d’aliénation, mais la notion d’aliénation est un anachronisme à l’époque de la Boetie. Un homme aliéné est un homme
étranger à lui-même.
La Boetie semble décrire des hommes comme étrangers à eux-mêmes, irrationnels. C’est le résultat, et non la cause  : A force de servir, ils
sont devenus aliénés. On doit avoir une conception rationnelle de l’homme, on doit comprendre pourquoi ils se comportent comme des
aliénés.
Pourtant, pour la Boetie ces hommes qui n’ont plus la force de désirer leur liberté semblent être des hommes dénaturés et déshumanisés,
car l’anthropologie de la Boetie dit que la liberté est naturelle, il nous dit que « la liberté est naturelle. »
Si se trouve quelqu'un qui doute encore, il faut regarder autour de soi, dans le monde naturel et animal pour voir que la liberté est
naturelle, « les bêtes vivent et crient la liberté. » Certains meurent dès qu’on les prend en captivité, « ils se laissent mourir or ne point
survivre a leur liberté naturelle. »
L’animalité est une figure rhétorique qui permet de dire quelque chose chez les êtres humains. Chez la Boetie il fait comparaître les
animaux pour montrer la différence entre eux et les hommes. Les animaux n’oublient pas la liberté, mais certains hommes l’oublient, c’est
une vocation.
« Puisque tout être pourvu de sentiment (les animaux et les hommes) sent le malheur de l’assujetion et cours après la liberté, Quelle
malchance a pu dénaturer l’homme au point de lui faire perdre la souvenance de son 1e état et le désir de le reprendre. »
L’idée que la servitude est une dénaturation qui se manifeste par un rapport au temps particulier, avec une perte de souvenance et de
désir de liberté. La condition de la servitude se caractérise par une détemporation, car ce qui s’y engage oublie sa liberté, perte aussi de
projet de libération. On a un figement dans la temporalité, il oublie ce qu’il était, et n’est pas capable de se projeter dans l’avenir.
Dénaturer car nous ne sommes plus dans l’anthropologie des anciens qui considère que l’esclavage est naturel. Pour la Boetie, la liberté
est naturelle est non l’esclavage.

On affirme une volonté de sortir d’une conception des anciens selon laquelle l’inégalité entre les hommes est naturelle.
Rousseau dans le Contrat Social, « Aristote avait raison, mais il prenait l’effet pour la cause, tout homme né dans l’esclavage naît pour
l’esclavage, les esclaves perdent tout dans leur fer jusqu'à désir d’en sortir. S’il y a donc des esclaves par nature, c’est parce qu’il y a eu
des esclaves contre-natures. La force a fait les 1e esclaves, leur lâcheté les a perpétués. » L’esclavage n’est donc pas naturel, mais est
produit par la force. Et il ne se maintient que pour une série de raisons historique et autres
Comment cette volonté de servir s’est enraciné si profond qu’on croirait que l’amour même de la liberté n'est pas si naturel ?
L’oublie de la liberté s’est produit a la manière d’une dénaturation, qui est historiquement avenue. On construit le problème de la servitude
chez les modernes, le texte de Kant commence par « les lumières se définissent comme la sortie de l’homme hors de l’état de minorité où
il se maintient par sa propre faute. » et il ajoute « qu’il est difficile de s’arracher tout seul a la minorité qui est devenu pour lui presque un
état naturel ».
Le point de vue kantien consiste à dire que l’homme est naturellement majeur et artificiellement mineur. Majeur car il est capable de suivre
son propre entendement, capable d’autonomie et de liberté, cependant il passe la plupart de son temps a vivre comme un mineur, il y a un
état de fait qui est le plus souvent peu conforme a la nature humaine au point d’oublier que nous sommes naturellement majeurs. Cet état
de minorité est devenu pour nous, une seconde nature.
Il faut remarque que ce n'est qu’a partir du moment ou la liberté est pensée comme naturelle, coextensive de l’humanité, que la servitude
devient un scandale. Le sentiment d’aliénation n’est pas arbitraire, on a le sentiment d’injustice. La liberté native est pensée comme
naturelle. Ce sentiment de scandale de la servitude repose sur la conception de la liberté comme une nature humaine.
Kant a une philosophie de sujet et de l’autonomie, l’autonomie est la liberté et donc de responsabilité. Chez Rousseau, on a une
complication, entre l’homme et le malheur du monde, il y a la société.

À partir de là la Boetie se confronte à cette question, pourquoi cette dénaturation ? comment expliquer cette dénaturation ? Il fait appel à
l’idée de la chaîne de servitude.

L’enjeu de la mémoire de la liberté, Machiavel prévient le prince de prendre une cité accoutumée a vivre en liberté. La liberté 1 e si elle
envient à disparaître par dénaturation, par une forme d’oublie. Orwell (1984) : La diminution de la mémoire à travers de la perte de la
langue qui fait asseoir le pouvoir du tyran.
Le questionnement de la Boetie et son étonnement ne sont compréhensibles que sur le fond de cette nouvelle manière de concevoir la
liberté. La nouveauté est rendue possible par la nouvelle conception de l’être humain (libre par nature).
C'est une question qui se profile à travers tous les textes que nous allons travailler. Comment penser l’obéissance moderne ? Pas de
servitude chez Hobbes, l’homme a le pouvoir absolu, les raisons du consentement à l’obéissance ne vont pas a la servitude. Rousseau
imagine qu’il faut contraindre les individus à être libres.
Le 19e siècle va poursuivre les questions de maître et de l’esclave chez Hegel, et la notion d’aliénation.

De quelle façon La Boetie, une fois remis la question de la liberté sur ses pieds, il en pense ?
« On ne regrette jamais ce qu’on n’a jamais eu. Le chagrin vient qu’après le plaisir »
La préoccupation de l’éducation : il y aurait-il une éducation autre que la liberté ? On peut avoir une éducation autre que la liberté ? Les
fins de l’éducation ?
Dilemme : éduquer pour produire les individus ou pour produire les citoyens ?

Pour regretter quelque chose, il faut l’avoir connu. La 1e raison de la servitude volontaire c’est l’habitude ou la coutume ou la tradition
(d’avoir traditionnellement servi). Acceptation de servir, pourtant les années ne donnent jamais le droit de mal faire.
Si on sert par habitude, si on se conforme sur la légitimité traditionnelle de nos ancêtres, on est dans un cas limite par rapport a la
servitude volontaire, car on ne voit pas le volontarisme, cet individu se soumet à une attitude habituelle traditionnelle, il considère que la
seule volonté est de se conformer a des modèles de comportements qui sont ceux de ces prédécesseurs. La seule conduite bonne pour
lui est de se conformer a la tradition.
Un certain nombre de tyrans se sont rendu compte que les livres sont source de la haine de la tyrannie. Il constate que certains hommes
se remémorent les choses passées pour prévoir l’avenir, qui juge le présent à la lumière de ce passé, ils représentent l’homme opposé a
l’homme détemporalisé qui a accepté la servitude.

La liberté est un sentiment qui renvoie à un sujet, même si ce sujet est privé de liberté, on ne pourra pas éradiquer son for intérieur qui est
son souvenir de liberté. On peut savourer la liberté dans ce for intérieur même si on est privé de liberté. La liberté renvoie au projet.
« On peut nous empêcher d’écrire nos pensées, mais on ne peut pas nous empêcher de penser »
ce qu’il développe en 1e lieu est l’idée que l’on consent avec moins de souffrance a la servitude que l’on n’a jamais savourer la liberté. La
raison pour laquelle on ne repousse pas la servitude est :Ils naissent serf, et ils ont été élevés comme tel. Sous les tyrans les gens
deviennent aisément lâches, il est certain qu’avec la liberté on perd aussitôt la vaillance, les gens n’ont pas l’ardeur au combat. Les gens
soumis ont le cœur bas et mou et sont incapables de toute grande action. »
La perte de liberté par violence pure débouche sur une perte de vaillance et de courage. Moins on est habitué a vivre dans la liberté, plus
on est habitué a vivre sous la tyrannie et plus on devient lâche. La servitude produit l’acceptation de la servitude, de la dénaturation de la
déchéance.
D’un coté, on a l’insistance sur la coutume et de l’autre coté, les tyrans savent ce mécanisme et en profitent pour maintenir leur sujets
dans un état de servitude qui renforce la servitude.
«J’en arrive maintenant à un point qui est, selon moi, le ressort et le secret de la domination, le soutien et le fondement de toute tyrannie».
Il souligne une fois de plus que la force n'explique pas tout. «Celui qui penserait que les hallebardes, les gardes et le guet garantissent les
tyrans, se tromperait fort [...] Ce ne sont pas les bandes de gens à cheval, les compagnies de fantassins, ce ne sont pas les armes qui
défendent un tyran, mais toujours (on aura peine à le croire d’abord, quoique ce soit l’exacte vérité) quatre ou cinq hommes qui le
soutiennent et qui lui soumettent tout le pays».
«Cinq ou six ont eu l’oreille du tyran et s’en sont approchés d’eux-mêmes, ou bien ils ont été appelés par lui pour être les complices de
ses cruautés, les compagnons de ses plaisirs, les maquereaux de ses voluptés et les bénéficiaires de ses rapines. [...] Ces six cents en
tiennent sous leur dépendance six mille, qu’ils élèvent en dignité».
«Grande est la série de ceux qui les suivent. Et qui voudra en dévider le fil verra que, non pas six mille, mais cent mille et des millions
tiennent au tyran par cette chaîne ininterrompue qui les soude et les attache à lui [...] On en arrive à ce point qu'ils se trouvent aussi
nombreux ceux auquel la tyrannie profite que ceux auxquels la liberté plairait».
- Ainsi, si la chaîne de la servitude s'étend à l'échelle de la société cela veut dire que chaque individu a un certain gain qui vient de la
participation à cette chaîne. C'est ce qui fait qu'il y a une volonté de servir : «il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est
assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté [...] il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas
seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude».
=>Il gagne donc quelque chose dans cette dénaturation.
- Ce qui sont tout en bas de la chaîne ne gagne par conséquent absolument rien car ceux là n'asservissent personne. Mais tous les
autres, càd l'immense majorité, gagnent quelque chose ils ont donc une bonne raison d'entrer dans la chaîne de la servitude.
=>Le pouvoir doit se comprendre par le fait qu'une toute petite poignée de privilégiés tiennent dans leurs mains de fer tout un peuple.
- On ne peut pas s'empêcher de songer à la description que Hobbes donne de l'état de nature. Par exemple, il parle des favoris qui ont
gagné beaucoup auprès des tyrans donc de ceux qui ont accepté d'entrer dans la chaîne de la servitude et se sont trouvés proches des
tyrans. Ainsi, il dit : «il en est peu ou presque pas qu'il n'est éprouvés la cruauté du tyran».
=>Autrement dit, soit on produit de la haine ou de la cruauté contre quelqu'un, soit on en est soit même l'objet. On est constamment dans
une sorte de transaction, en contact.
- Hobbes s'attarde sur la dimension d'amitié : «le tyran n'aime jamais et n'est jamais aimé».
Il y a une dimension projective chez La Boétie l'autre, que chacun sera tenté par le fait de prendre sa place, de s'emparer de ses biens.
- Le tyran se méfie parce qu'il n'ignore pas que la plupart des tyrans ont été tués par un favori.
Ainsi, l'amitié implique le regard, la connaissance mutuelle et la reconnaissance de l'un par l'autre, autrement dit cette capacité que l'autre
a de conférer une identité. Par ailleurs, il précise que son modèle a montré qu'il ne voulait pas tant nous faire tous unis que tous uns.
A) La notion d'aliénation
- La notion d'aliénation joue un rôle assez important dans la pensée politique. Étymologiquement, l'aliénation renvoie à un processus de
dépossession, perte ou séparation. En effet alienus signifie "étranger" en latin, et au fond dans sa plus simple expression quelqu'un
d'aliéné est quelqu'un qui devient en quelque sorte étranger à lui-même et il y a évidemment la connotation psychiatrique du terme, càd
qu'un aliéné est un fou.
- C’est une notion ensuite développée dans la philosophie marxiste dans sa théorie générale de l'humanité, dans son analyse du
prolétariat, parce que le prolétariat est le groupe dont l'aliénation est la plus étendue et la plus intense.
Ainsi, chez Marx on trouve 3 formes d'aliénation :
 L'aliénation par l'argent : elle renverse les choses et met les moyens à la place de la fin càd que l'homme aliéné par l'argent est un homme
qui ne va plus seulement considérer l'argent comme une médiation, un moyen mais comme un but, une fin.
 L'aliénation par la religion : elle obéit à la même logique càd lorsqu'on est accablé par le poids de ses souffrance on a tendance à chercher
une compensation particulière, une échappatoire pour rendre supportable sa condition.
=> C'est évidemment une mystification puisque c'est quelque chose qui contribue à produire de l'illusion (fausse conscience) mais c'est aussi
parfois une mauvaise compréhension.
 L'aliénation par la politique : pour l'essentiel, Marx souligne que l'Etat représentatif ne modifie pas la condition politique réelle des hommes
mais tend à produire une mystification qu'il érige comme une nouvelle divinité au dessus d'eux, nouvelle divinité qui se prétend la
représentante de l'intérêt général.
La liberté politique, selon Marx, est une liberté fantasmatique qui n'affranchit pas véritablement les hommes mais qui masque au contraire
leur exploitation et qui leur permet de la maintenir. Ainsi, l'Etat représentatif crée une illusion d'égalité et d'émancipation.
- Chez La Boétie, l'aliénation est autre chose. En effet, il ne le fait pas intervenir quand il parle de ce qui constitue le «principal ressort de
la servitude volontaire» mais il est vrai que quand il examine les raisons à la marge, il semble qu'il évoque quelque chose que nous
pourrions comprendre comme une forme d'aliénation lorsqu'il parle de l'habitude pour justifier le fait qu'on se trouve dans la servitude
volontaire.
=>Cela renvoie à une réflexion sur le souvenir de la mémoire et sur la tradition.
- «La nature de l’homme est d’être libre et de vouloir l’être» , souligne La Boétie, certes, «mais il prend facilement un autre pli : lorsque
l’éducation le lui donne». Il raconte ainsi comment les tyrans ont effectivement intérêt à supprimer certains souvenir de la conscience de
leurs sujets mais comme évidemment l’homme est né libre, seule l’éducation peut le faire.
=>L'éducation vise ici le décervelage et produit l'oubli.
 Le rapport maître/serviteur par Tocqueville
- Tocqueville, reprenant à sa manière tout ce questionnement sur le rapport du maître et du serviteur dans la démocratie (cf. La
démocratie en Amérique). Ainsi, pour lui, à un certain moment, le serviteur en vient parfois à s'identifier à la personne du maître de telle
sorte qu'il en devient l'accessoire. Autrement dit, il se désintéresse, se détache de lui-même, se déserte en quelque sorte ou plutôt il se
transforme tout entier dans son être en se créant inconsciemment une personnalité imaginaire par identification.
- C’est une certaine manière de penser l’aliénation, mais Tocqueville n’emploie pas ce mot, car les individus semblent se déserter pour se
transporter par l’imagination dans la personne du tyran, ou du tyranneau (de l'homme qui est juste au dessus d’eux).
- Ils veulent servir pour amasser des biens mais en même temps on peut l’envisager sous une forme moins matérialiste. Il y a quelque
chose comme du gain, du bénéfice comme le disait La Boétie au début de son texte : non seulement ces individus semblent perdre leur
liberté mais aussi gagner leur servitude. Ici, en certain sens, ces individus qui ont le sentiment d’avoir gagné quelque chose, La Boétie
nous les montre comme des individus qui ont tout perdu car ils se sont perdus eux-mêmes en vivant dans la dépendance, dans la
complaisance.
Est-ce à dire que le tyran, lui, bénéficie de tout ? Ce n’est pas non plus le point de vue de La Boétie parce qu’il nous décrit le tyran comme
quelqu’un qui n’aime pas et qui n’est jamais aimé donc qui vit dans une immense solitude.
 L'amitié chez le tyran
- Quand il est question de la solitude du tyran, La Boétie introduit le thème de l’amitié. En effet, l’amitié est «une chose sainte, elle naît
d’une mutuelle estime, elle s’entretient moins par les bienfaits que par l’honnêteté» . Ainsi, ce qui rend un ami sûr de l’autre c’est la
connaissance de son intégrité : «Il ne peut y avoir d’amitié là où se trouve la cruauté, la déloyauté, l’injustice. Entre méchants, lorsqu’ils
s’assemblent, c’est un complot, et non une société. Ils ne s’aiment pas mais se craignent, ils ne sont pas amis mais complices» .
- On voit ici que le tyran, nous dit La Boétie, «étant au dessus de tous, n'a pas de pairs, il est déjà au-delà des bornes de l'amitié parce
que l'amitié fleurit dans l'égalité». Ainsi, cet état des choses, cette méfiance généralisée, c'est la condition de tous mais seul le tyran doit
se méfier de tout le monde car il cumule probablement le plus grand nombre d'ennemis.
=>Il a le maximum d'avantages mais vit dans la solitude et connaît la méfiance, l'hostilité.
«Il faut avoir l'œil aux aguets, l'oreille aux écoutes pour épier d'où viendra le coup, pour découvrir les embûches [...] pour dominer le
traitre».
- La Boétie nous fait valoir cette chaîne de la servitude en opposition à un autre type non pas de société mais de liens représentés par
l'amitié. Et là, quand on parle de l’amitié chez La Boétie (et dans les textes politiques aussi), il faut avoir présent à l’esprit non pas la
rencontre de deux êtres dans une forme de sentimentalité mais la capacité de partager le monde avec d’autres à travers le dialogue et
une visée politique commune. C'est l’amitié politique.
- Chez La Boétie, il y a la question de la reconnaissance, notion fondamentale dans la philosophie contemporaine et moderne : «Cette
nature nous a tous logé en même maison, nous a tous figuré à même patron afin que chacun puisse se mirer et se reconnaître l’un dans
l’autre, comme dans un miroir». Ainsi, il y a la fois de la connaissance, de l’entre-connaissance, de la reconnaissance et du regard càd
une réciprocité.
- Ainsi, une société totalitaire est une société qui serait atomisée et dans laquelle les individus n’auraient pas de liens les uns par rapports
aux autres. Il y a une dépendance, une concurrence, une absence de reconnaissance, bref c'est l’enfer sur terre car il n'y qu'obéissance et
servitude ce qui s’oppose à une société horizontale qui fonctionne sur l’amitié politique basée sur l’obéissance mais sans tyrannie.
B) Sur la notion d'aliénation
- En un mot, nous avions introduit plus haut la notion d’aliénation d’abord parce qu’elle traine dans la littérature mais aussi parce que c’est
en quelque sorte la catégorie de pensée qui nous vient en tête de façon plus évidente quand on essaie de comprendre pourquoi les gens
se soumettent ou entrent dans des relations de servitude càd de dire qu’ils sont aliénés.
- Chez La Boétie, l'aliénation tient à l'oubli càd que les individus ne se souviennent plus de ce qui se passait avant et perdent aussi le désir
de reprendre cet état. Autrement dit, leur temporalité tout d'un coup est figée car ils n'ont plus le souvenir de leur ancienne liberté.
Mais à partir de quand considérer qu'une personne est aliénée ? A partir de quels critères ?
 L'analyse de Prévost Paradol : humiliation et historicisme

- Anatole Prévost Paradol, qui a publié un article sur La Boétie dans le journal intitulé Les débats dans lequel il traite de la question de
savoir de quelle manière on peut avoir la conviction qu'on a franchit la limite de l'obéissance pour entrer dans l'ingrate servitude.
- Pour lui, les tyrans auraient intérêt à ne jamais posé de limites à l'obéissance cela même quand elle devient de la servitude car l'art de la
tyrannie consiste à confondre cette obéissance avec la servitude au point que les 2 choses paraissent n'en faire plus qu'une chose et que
le vulgaire devient incapable de les distinguer.
- Dans quelle mesure une société a besoin d'un pouvoir pour se maintenir comme société ?
Certaines sociétés ont besoin d’un pouvoir fort, d’autres fonctionnent d’une manière suffisamment cohérente ou intégrée pour qu’on n’ait
pas besoin d’un pouvoir fort.
- Il y a un signe intérieur qui nous dit qu’on a basculé, et pour lui ce signe c'est «l’humiliation que nous ressentons en accordant à notre
semblable plus d’obéissance qu’il ne lui ait du, selon l’ordre de la nature et selon la raison» . Ainsi, cette humiliation ressentie et éprouvée,
cette expérience de l’humiliation est pour ainsi dire d’ordre divin au sens où elle est inévitable et involontaire càd qu'on n'a pas de prise
dessus, elle s'impose à nous.
- «Elle est inévitable et rien ne peut l’empêcher de paraitre et de crier à l’inconscience de l’homme qu’il est désormais esclave et qu’il se
résigne à l’être». Ainsi, Prévost Paradol ne parle pas d'aliénation puisqu’il y a toujours quelque part cette petite voix de l’inconscience qui
se manifeste à travers l’humiliation et qui permet de se mépriser soi même si on l’accepte.
=>Cette petite voix qui raisonne c'est «la voix de la dignité humaine mortellement blessée».
- Cela veut dire que le sentiment d’humiliation qui semble complètement subjectif, relatif, variable selon les sociétés, les époques, les
cultures, nous apprend toujours quelque chose car il ne renvoie pas seulement à la pure subjectivité ou au psychisme de l’intéressé. Ainsi,
il a une valeur heuristique non seulement pr les savants mais aussi pour les principaux concernés, càd pour tout un chacun qui en vient à
en éprouver à un certain moment.
- Autrement dit ce sentiment d’humiliation permet de discerner le seuil que l’on doit refuser de franchir si on ne veut pas entrer dans la
région de la servitude. C’est d’autant plus intéressant qu’il arrive souvent que les logiques humiliantes deviennent insidieuses, invisibles,
quasiment imperceptibles et se jouent dans des comportements, des gestes, des regards.
- Dans un 2eme temps, Prévost Paradol suggère que si on prête attention à cette petite voix de la conscience blessée, que l’on repère ce
sentiment d’humiliation et que l’on comprend à quoi il se rapporte, cela peut servir de point d’appui en quelque sorte vers une
transformation, voire même vers l’émancipation. Cela semble faire de l’humiliation un sentiment moral car on peut expliciter, si l’on
parvient à les saisir, les raisons de l’humiliation.
=>Toutes les raisons ne sont pas valables, ce qui veut dire que bien sur il y a toute sorte d’imposture possible avec les sentiments moraux
car on peut feindre l’humiliation.
 La notion de conscience historique
- La notion de conscience historique, dans un sens très général, désigne le sentiment de la relativité, la prise de conscience du fait que les
sociétés se produisent elles-mêmes dans le temps, qu'elles évoluent, se transforment, ne pensent pas, ne jugent pas, ne valorisent pas la
même chose d’un moment à l’autre de leur histoire.
- Ainsi, ce que l’on trouvait bon au 17 e on le trouve mauvais au 19 e siècle par exemple et le développement de cette conscience se fait de
manière très progressive, variable, contrastée mais l’approfondissement de cette conscience historique débouche sur le sentiment de la
relativité qui imprègne très fortement les sensibilités du 19e et du 20e siècles.
- L’historicisme est, dans un sens très général, la position qui consiste à prendre pour norme ce qui est historiquement constitué, parfois
même au point de disqualifier l’opposition entre la norme et le fait.
- On se rend compte que les normes, les valeurs, changent en fonction des époques, des sociétés, des cultures, bref elles sont variables
dans le temps et dans l’espace. Le problème que cela fait naitre c’est de savoir de quelle façon réussira-t-on à penser les valeurs
indépendamment de ce qui est historiquement constitué.
- Ainsi, si tout est historiquement constitué, cela veut dire que tout est valable à titre de moment historique, par ex c’était la valeur d’un
moment donné de pratiquer le cannibalisme mais aujourd'hui il appartient aux normes et aux valeurs de notre époque de le condamner.
=>Donc, nos jugements sont relatifs mais du coup, sont-ils encore des jugements ? Si on pratique l’historicisme, il n’y a plus moyen de les
distinguer, c’est relatif, un point c’est tout.
- Cependant, dans ce cas là, on peut aussi bien dire que tout est normal à titre de moment historique et qu'après tout le nazisme était
normal à titre historique. En réalité c’est un exemple extrême car nous sommes aujourd'hui convaincu de la relativité des normes et des
valeurs, et il ne viendrait à l’idée de personne de dire que l’esclavage vaut la démocratie ou encore de dire que la tolérance comme valeur
vaut le fanatisme comme pratique.
Est-ce dire que cette valeur est réductible au contexte même qui lui a donné naissance ? N’y a-t-il pas dans le processus historique des
productions de valeurs comme la tolérance qui sont, en même temps qu’elles sont produites historiquement, des valeurs
transhistoriques ? N’y a-t-il pas au sein même de la relativité de l’éternité, des choses éternelles ?
- Ainsi, La Boétie pose une question importante que Machiavel ne posait pas (car ce n’était pas du tout son problème) qui porte sur ce qui
nous fait consentir à la servitude, càd non pas pourquoi une domination parvient à ses fin mais, en partant du bas, pourquoi on consent.
Il ne faut pas oublier et ne jamais oublier, dans ces réflexions, la dimension de violence pure qui accompagne souvent, parfois, la
domination. Ainsi, il ne faut pas se demander pourquoi un homme qui est un individu cloitré chez lui, privé d’existence, accepte la situation
d’esclavage moderne dans laquelle il se trouve car il l’est évidemment parce qu’il subit une violence à un état brut, privé de toute
ressource faisant le vide de tout ce qu’il y a autour de lui. Néanmoins se poser la question du consentement à la servitude est un apport
fondamental de La Boétie et c’est quelque chose qui est pertinent dans de nombreuses situations.
C) Les quatre fonctionnaires pendant la Seconde guerre mondiale
- On prend l’exemple de 4 personnages historiques, de hauts fonctionnaires, au 20 e siècle qui actualisent la problématique de La Boétie.
Eichmann, le spécialiste de l'émigration d'Hitler et Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde ont obéit à des ordres
injustes.
=>Ils ont été obéissant et ont commis des choses horribles.
- Si on réfléchit à ce qu’est un haut fonctionnaire, on se dit que c’est tout à fait normal qu'il obéisse et qu'il considère que les ordres qu'il
reçoit répondent à ses convictions. D'ailleurs, même s'il n'est pas d'accord il se doit d'exécuter les ordres. Ainsi, on peut dire qu'il y a de
l'obéissance par respect des impératifs d'une fonctions càd que les gens obéissent parce qu'ils sont dans l'éthique ou la déontologie du
fonctionnaire qui, par nature, obéit.
- Pourtant, à la même époque, pendant la guerre, on trouve des hauts fonctionnaires désobéissants, par exemple on peut citer le consul
général du Portugal à Bordeaux Aristide de Sousa Mendes et le consul du Japon à Kaunas en Lettonie Chiune Sugihara.
=>Le paradoxe du temps c’est qu’on a à l’esprit des types obéissants comme Eichmann et Papon, mais on ne connait pas les autres, les
désobéissant.
- Concernant le consul Aristide de Sousa Mendes : Bordeaux était devenue une ville de réfugiée pendant la guerre, autrement dit il était
très intéressant en tant que réfugié d’avoir un visa portugais car cela permettait de s'échapper. Le consul qui n'avait jamais désobéit à son
gouvernement, a, un jour, a accordé des visas de transit aux réfugiés sans en demander l'autorisation au gouvernement de Salazar. La
scène est décrite par son fils : le consul devient blême, quitte le repas et disparaît pendant 3 jours et lorsqu'ils revient décide de signer des
visas à la chaîne de 8h du matin à 2h du matin suivant. Il a ainsi sauvé 30 000 personnes.
- Concernant le consul japonais Chiune Sugihara : Les réfugiés pouvaient quitter la prison européenne par l’atlantique mais aussi par
l’Oural, via l’URSS et le Japon. Ils pouvaient alors obtenir un visa de transit par le japon délivré par le consul japonais à Kaunas. A cette
époque, le Japon faisait partie des puissances de l’axe mais le consul décide d'accorder des milliers de visas de transit aux juifs polonais
qui fuyaient les nazis. En effet, il avait vu les réfugiés et en avait perdu le sommeil ce qui l'a fait basculer un jour dans la désobéissance.
- On a ces cas absolument contrastés : Papon et Eichmann sont plutôt en haut de la pyramide (sorte de tyrannie moderne, Vichy, ou
Allemagne), et y restent alors que De Sousa Mendes et Chiune Sugihara, après une crise, décident d’en sortir. Ainsi, dans les 4 cas, il
s’agissait de fonctionnaires obéissant au départ càd socialisés, intériorisés.
=>Deux vont se considérer comme dépendants de la situation, de ce qu’ils diront a chaque fois dans leur procès (je ne fais qu’obéir, je ne
pouvais pas faire autrement), deux autres ont décidés qu’ils étaient responsables et ont désobéit.
- Ainsi, Eichmann et Papon diront qu’ils n’avaient aucun choix et qu’ils n'étaient que les rouages d’un mécanisme, autrement dit ils se
décrivent eux-mêmes comme n’étant plus sujet de leur action («nous n’avons fait qu’obéir, nous ne sommes pas responsables», ce qui
philosophiquement est très difficile à penser), et les deux disent qu’ils ne voyaient pas vraiment la situation (Papon prétendait ne pas voir
la situation de surmortalité). Aucun remords
 En revanche, les deux consuls, non seulement ont vu quelque chose mais il semble qu’ils étaient incapables de ne pas voir, de
ne pas entendre. Ils ont désobéit et ont vécu une crise de conscience terriblement violente. Ainsi, ils ont conversé avec leur conscience, ils
se sont demandé s’ils allaient écouter cette petite voix qui leur disait qu’ils étaient dans la servitude s’ils obéissaient ou si au contraire ils
allaient l’ignorer. Ils ont été très violemment déchirés entre deux exigences morales, qui sont toutes les deux vraies et devaient choisir
entre 2 valeurs que sont l'obéissance qui découle de leur métier de fonctionnaire et la désobéissance qui découle des impératifs de la
conscience.

« Le Léviathan » de Thomas Hobbes (1588-1679)


- Avec le Léviathan de Hobbes, on a un monument de la pensée politique. S’agissant du contexte de cet ouvrage, il s’agit des guerres
civiles anglaises. Ainsi, l’œuvre de Hobbes, pas seulement ce livre mais véritablement sa pensée, montre un nouveau savoir politique de
manière à éclairer les hommes non seulement sur le fonctionnement de la société, de la politique, mais aussi sur la nécessité de l‘Etat et
sur sa structure interne.
- On a souvent dit à propos de Hobbes que sa philosophie qui était marquée par la peur.
En effet, dans Le béhémoth, Hobbes dit que le moment historique dans lequel il se situe représente sans aucun doute le moment le plus
noir, le plus violent, le plus terrible de l’histoire de l’humanité et Il écrit ce sentiment de vivre à un moment inouï de l’extrême violence.
Plus aucun fonctionnement social, plus aucun instinct, ne fonctionne réellement car rien n’est plus traumatique pour une conscience
individuelle et une société entière qu’une guerre civile.
Ainsi, il s’agit d’élaborer sur le plan théorique un savoir qui aurait des effets ou une utilité, une efficacité pratique et de ce point de vue ce
n’est pas sans rappeler la perspective de machiavel qui voulait faire œuvre utile en s'adressant directement au prince. Là aussi, avec
Hobbes, il y a une ambition ou une conviction très comparable parce qu’à la fin de la 2e partie du Léviathan (la 1ère partie traite de
l’homme, la 2e partie de la république), Hobbes écrit la chose suivante : «ni Platon ni jusqu’ici aucun philosophe n’ont mis en ordre ou
prouvé d’une façon adéquate […] et je me remet à espérer qu’a un moment ou un autre mon présent travail pourrait tomber entre les
mains d’un souverain».
L’ambition du savoir théorique de Hobbes est pratique et ça a été le cas par la suite d’un certain nombre d’auteurs modernes comme
Durkheim qui nous disait (dans la préface de sa thèse de doctorat sur la division du travail social) que la sociologie ne mériterait pas
grand-chose si elle ne devait avoir qu’un seul intérêt spéculatif car c’est un savoir efficace, pratique et traductible, un savoir qui devient
action ou qui se constitue en savoir d’agir.
Dans la lecture du Léviathan de Hobbes, nous partirons d’une remarque incidente faite par Leo Strauss : «s’il nous est permis d’appeler
libéralisme la doctrine politique pour laquelle le fait fondamental réside dans les droits naturels de l’ordre par opposition à ses devoirs et
pour laquelle la mission de l’Etat consiste à protéger ou à sauvegarder ces mêmes droits, il nous faut dire que le fondateur du libéralisme
fut Hobbes». comment penser en même temps un théoricien de l’Etat absolu et un fondateur du libéralisme ? C'est un défi intellectuel.
- Jean Terrel (philosophe fr) a écrit un petit livre intitulé Les théories du parti social dans lequel il affirme que Hobbes a inventé la doctrine
moderne du contrat social. Ainsi, pour lui, Hobbes est le premier théoricien de l'état de nature qui réalise une révolution au sein du droit
naturel moderne en montrant que l'existence même de la souveraineté dépend entièrement des volontés humaines, que son essence est
dépendante de ces volontés.
- Machiavel nous avait déjà incités à penser la catégorie politique comme une catégorie autonome en nous mettant sur la voie qu'une
société, pour qu'elle existe et se maintienne, nécessite une unité politique qui soit préservée par un pouvoir stable. C'est d'ailleurs à cela
que Jean Bodin a ajouté, peu après, les prémisses d'une théorie de souveraineté.
- Avec Hobbes, on a affaire à une théorie politique de plus grande ampleur, une théorie anthropologique au sens propre qu'il traite dans la
2e partie du Léviathan. Mais, de manière plus significative c’est dans la 3e partie qu’il est question de «république chrétienne» (royaume
des ténèbres, mort, au-delà) ce qui veut dire qu’au fond Hobbes écrit 380 pages sans jamais se soucier des questions religieuses.
=>Hobbes est un auteur qui tire toutes les conséquences et les apports du développement de la science de son temps (Copernic, Galilée).
Penseur matérialiste, il construit une théorie de l'homme qui correspond à cette nouvelle mécanique.
§1. L'anthropologie hobbésienne
- Pour comprendre, il faut s’imaginer quelqu'un qui (un peu comme les enfants qui veulent démonter leur jouer) met tout à plat. Ainsi,
Hobbes considère que le mouvement de la pensée et de l’intelligence, doivent fonctionner de la même façon càd essayer de penser
l’ordre politique, l’ordre humain, l’ordre social (anachronique) en mettant tous ces éléments à plat.
- Finalement, les atomes qu’il aura à disposition seront les individus et il va tout remonter pour nous renseigner sur les rouages de
l’ensemble et sur «ce qu’il faut savoir pour s’unir» , autrement dit la préoccupation centrale est vraiment la désunion des hommes et la
guerre. Comment procéder donc pour pouvoir coexister, pour pouvoir faire fonctionner l’ensemble de la machine qui est finalement la
cité ? Il considère que c’est à travers cette opération de mise à plat et de reconstruction qu’il va nous enseigner les principes de «l'être
ensemble», autrement dit de la politique.
- Ainsi, au départ, il va considérer les êtres humains à travers leur mouvement càd qu'il considère que c'est du mouvement que va naître la
sensation d'appétit, de désir (bien) ou au contraire de haine, d'aversion, de répulsion (mal). Dans ce monde des corps physiques, rien
n'est donc véritablement bien ou mal, bon en soi ou mauvais en soi car Hobbes va caractériser l'homme par son désir, lui-même
caractérisé par l'illimitation autrement dit rien n'interdit aux hommes de désirer à l'infini.
- Dans le chapitre 11 du Léviathan, il déclare : «je mets au premier rang à titre d’inclination générale de toute l’humanité, un désir
perpétuel et sans trêve d’acquérir pouvoir après pouvoir, désir qui ne cesse qu’à la mort» . Là, au fond, on voit que chaque individu se
caractérise par un désir qui ne cesse jamais, qui vise évidemment un pouvoir de plus en plus grand, et ce désir porte sur la recherche de
ce pouvoir accru.
Cela veut dire que le désir vise le pouvoir et l’accroissement de ce pouvoir pour s'assurer de la capacité de posséder plus tard, dans
l'avenir. Autrement dit, c'est la recherche d'une garantie et Hobbes décrit ce désir avec une sorte d'inquiétude pour la jouissance non
seulement du présent mais aussi de l'avenir.
- Dans ce même chapitre 11, Hobbes parle de la félicité, du bonheur et déclare qu'elle est «une continuelle marche en avant du désir d’un
objet à l’autre, la saisie du premier n’étant encore que la route qui mène au second» . Autrement dit, il s’agit, pour les être humains, de
s’assurer en permanence la route de leurs désirs futurs et on peut penser que ce désir hobbésien a quelque chose d'angoissant par
rapport aux temps à venir, devant l'avenir.
- Ainsi, on peut imaginer que ce penchant universel du genre humain, ce désir d'acquérir, découle le plus souvent d'une très grande rivalité
pour la richesse, l'honneur, le commandement ou bien d'autres puissances encore. Cela conduit alors à des formes de lutte, d'hostilité
puis incidemment à la guerre et à partir de cette caractérisation Hobbes décrit une situation en relation avec l'anxiété de l'avenir, situation
extrêmement instable faite de désirs et de rivalités incessants.
- Hobbes nous dit simplement qu'il faut caractériser les hommes par une anthropologie élémentaire, sur laquelle il s’étend un peu plus
dans le chapitre 13 (tout à fait fondamental), intitulé «de la condition naturelle des hommes en ce qui concerne leur félicité et leur misère» .
Dans ce chapitre, il dit qu’en réalité il ne s’agit absolument pas, dans cette description assez cruel des hommes à l’état de nature, de
considérer que les désirs et les autres passions de l’homme sont en tant que tels et pour eux-mêmes des péchés. Hobbes se rendait
compte qu’une telle caractérisation de l’homme, supposé créé à l’image de dieu, ne pouvait pas passer facilement sans susciter de
réactions fortes, et il disait que ces hommes incrédules n’avaient qu’à méditer leur propre expérience, réfléchir à ce qu’ils font eux-mêmes.
=>En bref, dans la fiction de l’état de nature, dans cette mise à plat de la cité, pour l’instant rien ne saurait être juste ou moral car nous
sommes en deçà du bien et du mal. Aucune loi ne peut être faite tant que les hommes ne se sont pas entendu sur la personne qui doit les
faire.
«La nature a fait des hommes si égaux quant aux facultés du corps et de l’esprit […], néanmoins tout bien considéré la différence d’un
homme à un autre n’est pas si différente»
A) L'égalité fondamentale
- «Pour ce qui est de la force corporelle, l’homme le plus faible en a assez pour tuer l’homme le plus fort» . Hobbes introduit cette
anthropologie égalitaire de manière négative càd qu'il y a égalité dans le risque qui surgit. Ainsi, le plus faible a toujours suffisamment de
force pour tuer le plus fort dans l’état de nature càd l'éventualité face au risque perpétuel de mourir subitement
- Cette question de l’égalité fondamentale, Hobbes y revient plus tard dans le chap15 sur les lois de nature, à propos de l'orgueil, où il se
demande quel est le sens de parler de la valeur des hommes à l’état de nature. Celui qui vaut le plus n’a rien à faire dans l’état de nature.
- Dans l’état de nature, tous les hommes sont égaux, donc Hobbes se réfère à ce qu’il a écrit précédemment et argumente de manière
plus fondamentale en critiquant Aristote. En effet, chez les modernes, on a toujours ou souvent une polémique avec les anciens qui
concevaient la théorie politique de manière inégalitaire.
=>Chapitre 15 : «je sais bien qu’Aristote, au livre 1 er de sa Politique, pose comme fondement de sa doctrine que les hommes sont par
nature les uns plus dignes de commander (il entendait les plus sages parmi lesquels il se rangeait dans sa qualité de philosophe), les
autres de servir (il entendait de ceux qui avaient des corps vigoureux mais qui n’étaient pas comme lui des philosophes), comme si
maitres et serviteurs ne tiraient pas leur origine du consentement des hommes mais bien d’une différence d’esprit, ce qui n’est pas
seulement contraire à la raison mais aussi à l’expérience, car bien peut sont assez [….]. Si la nature a fait les hommes égaux, cette égalité
doit tout simplement être reconnue, et si elle les a fait inégaux, étant donné que les hommes se jugeant égaux refuseront de conclure la
paix si ce n’est sur un pied d’égalité, cette égalité doit néanmoins être admise» .
- Ici, Hobbes dit que si la nature a fait les hommes égaux alors il faut le reconnaître. Inversement, si la nature a fait les hommes inégaux
alors il faut tenir compte d'une autre réalité, à savoir que les hommes se jugent égaux et refuseront donc de faire la paix autrement càd
que pour passer des conventions ils vont se considérer comme égaux parce qu'ils savent que le plus faible des 2 a toujours les moyens de
tuer l'autre. Ainsi, soit c'est un fait, soit c'est une exigence de la construction de l'ordre politique que de les considérer comme égaux.
- Ensuite, à partir de ce constat, Hobbes va considérer qu’il est raisonnable et rationnel que chacun reconnaisse autrui comme étant son
égal par nature car on ne peut pas faire autrement et l'infraction à se précepte fondamental, pour lui, c'est l'orgueil (9e loi de nature). Ainsi,
Hobbes nous situe dans une anthropologie égalitaire dans laquelle on risque de mourir à chaque instant et d'après lui il y a 3 principales
sources de conflit :
 La rivalité càd le fait de vouloir posséder matériellement davantage que l'autre. Effectivement, les hommes sont enclins à user de la
violence pour se rendre maître de la personne d'autres hommes, femmes, enfants et de leurs biens.
 La méfiance càd le fait de vouloir se sentir en sécurité. Les hommes usent de violence pour se défendre et défendre ses biens.
 La fierté càd le fait de vouloir avoir la meilleure réputation. L'homme devient violent pour des bagatelles (un mot, un sourire, une opinion
dissidente) qui le mésestime.
- Autrement dit, avec ces trois sources de conflit, on comprend que la vie dans l’état de nature est une vie extraordinairement pénible,
dangereuse à chaque instant. Dans cet état de nature, la situation se caractérise par ce que Hobbes désigne comme étant «le pire de
tout» à savoir la crainte et le risque continuel d'une mort violente et dans ce contexte là «la vie de l'homme est alors solitaire, besogneuse,
pénible, quasi animale et brève».
- Hobbes ajoute que «la nature de l’état de la guerre ne consiste pas dans un combat effectif mais dans une disposition avérée allant dans
ce sens aussi longtemps qu’il n’y a pas l’assurance du contraire» . Les hommes vivent sans un pouvoir qui les tienne tous en respect càd
un état pré-politique. Ainsi, pour sortir de l’état de guerre il faut sortir de l’état de nature et construire rationnellement quelque chose qui
empêche les hommes de se faire la guerre.
=>Cf. La Boétie : la chaîne de la servitude = figement temporaire + détemporalisation.
§2. L'état de nature
Chez tous les grands philosophes, il y a toujours une dimension politique, même lorsque cette dimension prend relativement peu de place.
Par exemple, chez Kant, la dimension politique semble plus que secondaire parce qu’on a essentielle la critique de la raison pure, la
critique de la faculté de juger, la critique de la raison pratique, etc. Ainsi, ces textes proprement politiques sont des opuscules tout à fait
cruciaux pour la philosophie politique et Hobbes est un auteur majeur, le Léviathan étant un monument dans l’histoire des idées politiques.
A) La fiction de l'état de nature
- Nous avions dit que l’état de nature est une fiction, un instrument de pensée que Hobbes se donnait pour mettre à plat le fonctionnement
de la cité. Ainsi, il renforçait l'idée que la pensée ne peut rien comprendre si ce n'est ce qu'elle est capable de faire surgir devant elle
comme un objet propre, càd constituer cette cité en objet en la mettant devant soit.
Hobbes est un auteur réaliste en politique mais ce n’est pas une manière réaliste de procéder, puisque ces hommes de l’état de nature,
personne ne les a jamais vu vivant ou sortant comme d'une génération spontanée. Cependant, certains auteurs exclut la fiction en
soutenant que quand Hobbes parle des hommes dans leur état naturel il a en tête un certain nombre de situations réelles et d'ailleurs il
prend dans le Léviathan 3 exemples réels :
 Les indiens d’Amérique
 La guerre civile
 Les relations entre Etats souverains
- Autrement dit, il prend un exemple dans l’ordre de ce que l’on appellerait aujourd'hui l'ordre international, et des auteurs justement se
réclament d’une pensée réaliste et considèrent que dans l’ordre international règne entre les Etats une situation qui est comme un état de
nature, caractérisé par le fait que la guerre est toujours possible.
=>La réflexion de Hobbes sur la guerre civile surgit du contexte d'hyperviolence de guerres théologico-politiques anglaises (décapitation
du roi) dans lequel il conçoit son Léviathan.
- Ces situations dans lesquelles, au sein même de l’Etat civilisé ou au sein même de l‘histoire, surgit l’état de nature sont tout à fait
intéressantes à analyser en ce qu’elles signifient selon Hobbes la rupture de ce que l’on peut appeler le pacte hobbésien, sur lequel nous
reviendrons. En effet, en anticipant sur le propos, le pacte hobbésien peut s’expliquer d‘une manière simple càd que pour éviter une vie
solitaire, quasi animale et brève, les hommes vont accepter d'aliéner une partie de leur liberté en échange d'une sécurité.
- En sens inverse, si on veut rendre les perspectives hobbésiennes pertinentes pour notre analyse des situations politique et notamment
de celles où se manifestent la violence dans l’ordre intérieur (et non entre les Etats), on peut se demander dans quelle mesure la violence
n’exprime pas à chaque fois ou tendanciellement une certaine rupture du pacte hobbésien.
- Encore une fois, il faut prendre des exemples historiques : parfois les individus n’acceptent plus de renoncer à leur liberté parce qu’il peut
arriver à un certain moment qu’ils n’aient plus la sécurité qui doit en principe leur être conférée aux termes du pacte hobbésien . Autrement
dit, le pacte répond à la situation de violence de l’état de nature, mais le retour de la violence dans l’état politique, dans l’état civil, dans
l’histoire, peut également exprimer ou signifier que quelque chose ne se passe plus correctement, dans le pacte hobbésien.
- Ainsi, je me révolte lorsque l’Etat n’est plus capable d’assurer ma sécurité, ou j’agis de manière violente lorsque l’Etat ne me confère plus
la sécurité. Ce pacte hobbésien est donc un instrument d’analyse ou de réflexion qui considère qu’il y a une certaine rationalité dans le fait
d'accepter l'aliénation d'une part de sa liberté pour se protéger.
- Au chapitre 8 du Léviathan, Hobbes dit que les passions qui causent des différences d’esprit sont principalement le désir de pouvoir, la
passion du pouvoir mais il n’en reste pas moins qu’au chapitre 13, Hobbes les décompose et ne la laisse en rien se réduire à l’idée que
toutes les sources de conflit dans la cité sont à ramener au jeu des intérêts économiques.
 La métaphore du «bois tordu» de l'humanité chez Kant
- Kant, dans la 4e proposition de Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, parle de «l’insociable sociabilité» des
êtres humains, du «bois tordu de l’humanité». En effet, il prend comme métaphore l'exemple d'un arbre qui pousse tout seul au milieu d'un
pré, il peut se déployer librement ou être tordu cela n'a pas d'importance car il trouvera toujours la lumière. Au contraire, si on prend une
forêt toute entière, les arbres sont obligés de pousser droits s'ils veulent avoir une chance d'atteindre la lumière sinon il sont recouverts et
ne peuvent survivre.
- Ainsi, de la même façon, l'homme reçoit la société comme une contrainte absolument affligeante et la seule manière de survivre est de
pousser droit en quelque sorte. Cela signifie que les hommes sont contraints (terme important) de vivre ensemble, et du coup ils sont
tenus d'instituer entre eux des relations pacifiques. Pourtant, et nous l’avons vu, leurs passions naturelles font obstacles à cette institution
politique, et la détruisent même parfois.
- Cela est en désaccord avec la fameuse phrase «l'homme est un animal politique» (Aristote) qui sous-entend que l'homme est
naturellement porté à vivre en société ou plus exactement qu'il est indissociable de la politique, sa nature étant directement liée à sa
capacité de communiquer pour s'organiser en société. Cependant, pour Hobbes (et déjà pour Machiavel), l'homme n'est certainement pas
un animal politique car il est naturellement en proie à des passions qui sont fondamentalement anti-politique, qui font obstacle à la
politique.
 La critique de la philosophie des anciens par Hobbes
- Hobbes considère que la grande tradition philosophique des anciens s'est trompée sur des choses absolument fondamentales
notamment sur la condition naturelle des hommes car pour lui, l'état de nature de l'homme est acheté par toutes sortes de passions
terriblement dangereuses, sources de conflit et de guerres. Sa conception de la condition naturelle de l'homme s'éloigne ainsi des vertus
de l'homme qui serait tendues vers l'excellence.
- Hobbes reproche donc aux anciens de proposer une image trompeuse de l'homme qui ne permet pas du tout de pensée la réalité
humaine (contexte de guerre civile à l'époque) càd de comprendre pourquoi les hommes se déchirent en permanence.
=>Ainsi, l’une de ses ambitions est précisément d’essayer de mener à bien la tradition socratique et de réussir là où elle avait échouée.
- La philosophie politique traditionnelle postulait, nous dit Léo Strauss, que l’homme est par nature un animal politique et social mais
Hobbes va rejeter ce postulat car il est non seulement faux mais peut être totalement pernicieux (nuisible) sur le plan politique.
- Autrement dit, Hobbes se donne pour projet d’inventer une science politique nouvelle pour résoudre ce problème politique càd que, pour
lui, les hommes doivent vivre correctement et se rassembler même si tout les les pousses à vivre en sens inverse. A cet égard, la seule
chose que Hobbes reprend aux anciens, est qu’il «acceptait en toute confiance l’idée que la philosophie ou la science politique est
possible ou nécessaire» (Strauss).
- Ainsi, il conserve des anciens l’idée que la philosophie peut nous aider à résoudre concrètement les problèmes de la cité, qu’elle a une
efficacité politique. En réalité, ce qu’il reprend des anciens, de manière plus précise, c’est la nécessité de la philosophie et il va se
proposer, tout en restant philosophique, de remettre sur pied l’entreprise des anciens sans réitérer leurs erreurs.
=>Hobbes va alors se doter d’instruments de travail efficaces parmi lesquels cette fameuse fiction de l’état de nature.
B) La dangerosité de l'état de nature
- Hobbes constate que dans l’état de nature on vit dans une situation qui équivaut à un état de guerre, puisque la guerre est toujours
possible et pour résoudre le problème politique sans tomber dans les pièges ou les erreurs des anciens, il va poursuivre la perspective
réaliste de Machiavel en considérant qu'il faut quitter l'ordre normatif (partir de ce qui est et non pas de ce qui doit être) càd quitter l'idéal
pour le réel
=>L'objectif est de restaurer les principes moraux de la politique notamment la loi naturelle mais à partir, non plus du point de départ des
anciens mais du réalisme machiavélien.
- Donc, il y a une rupture totale avec les anciens puisque la tradition dominante des anciens définissait la loi naturelle par rapport à la
perfection de l’homme, en tant qu’animal politique et rationnel alors que Hobbes va faire sienne les objections anti-utopiques de Machiavel
en conservant l'idée de la loi naturelle mais en la dissociant de la perfection humaine.
- Il va déduire cette loi naturelle non pas d'une vertu, car ce serait partir de l'idéal, mais d'une passion déterminant le comportement de fait
des hommes, mobile puissant de leurs actes. Ainsi, pour lui, «les passions qui inclinent les hommes à la paix sont la crainte de la mort, le
désir des choses nécessaires à une vie agréable et l'espoir de les obtenir par leur industrie».
 La supériorité de l'emprise de la passion sur la raison
Ce qui a le plus d’emprise sur les hommes la plupart du temps, pour Hobbes, ce n’est peut-être pas la raison comme on aimerait le croire,
mais c’est la passion.
- Parmi les passions, il faut donc trouver la plus puissante parce que c’est d'elle qu’il faudra déduire la loi naturelle et cette passion doit
évidemment être un fait naturel, en l'occurence dans le texte hobbésien, la peur d'une mort violente, inspiration naturelle du désir de sa
propre conservation. Ainsi, Hobbes va construire sa réflexion politique non pas sur l'homme tel qu'il devrait être mais tel qu'il est, tel qu'on
ne l'a jamais vu ou trop rarement.
- L’homme voulant réaliser ses désirs ne peut pas vivre dans la crainte perpétuelle de la mort violente, il ne peut pas vivre dans le combat
incessant et c'est de cette contradiction que va surgir l’état civil, l’état de société. Et logiquement, Hobbes constate que finalement les
hommes ont en quelque sorte un ennemi commun, à savoir la mort et peuvent s’accorder là-dessus.
- Mais, que faire de la nécrophilie, non pas comme perversion sexuelle mais comme passion de la mort. Erich Fromm (psychanalyste
humaniste nord américain d'origine allemande) disait que la nécrophilie n'est pas quelque chose de premier, contrairement à Sigmund
Freud (psychanalyste autrichien) qui faisait de l'instinct de mort quelque chose de constitutif, car, selon lui, il y a des conditions sociales,
culturelles et politiques dans lesquelles le goût de la mort se développe donc il faut s'interroger sur les conditions mêmes dans lesquelles
elle naît.
- Au chap. 14, Hobbes va se livrer à une réflexion sur les premières lois naturelles en opérant une distinction entre la loi en tant qu'elle
renvoie à l'obligation et le droit en tant qu'il renvoie à la liberté càd le droit de nature qu'à chacun d'user comme il le veut de son pouvoir
propre. Ainsi, on comprend que si l'on définit le droit comme une liberté alors le droit naturel n'est plus spécifiquement humain car, comme
Hobbes le disait dans Le citoyen, «les bêtes tuent les hommes par droit naturel» et donc la peur de la mort violente n'a rien d'uniquement
humain.
=>N’importe quel animal a envie de se conserver et a peur de la mort violente mais à ce moment là on peut se demander si les animaux
se suicident comme les hommes.
- Le chapitre 14 commence par une réflexion sur la loi et le droit. Ainsi, la reconstruction rationnelle de la cité va passer par l’institution
juridique chez Hobbes car cette loi n’apparait jamais comme dérivée d’un principe religieux ou d’un principe métaphysique.
- Il s’agit, pour lui, dans le contexte des guerres religieuses anglaises, de penser la coexistence des hommes et de la penser de manière
rationnelle sans jamais passer par des postulats ou des dogmes religieux. Ainsi, au chapitre 14, il va définir la loi naturelle comme «un
précepte, une règle générale découverte par la raison par laquelle il est interdit au gens de faire ce qui mène à la destruction de leur vie
ou leur enlève le moyen de la préserver». =>Autrement dit, c'est une pure liberté.
 Le jus in omnia
- A partir du moment où on considère que tous les êtres humains ont peur de la mort violente et ont besoin de se conserver eux-mêmes
alors on peut en déduire, de manière rationnelle, tout un ensemble de lois dites naturelles.
- Il s’agit d’éviter tout point d’appui normatif, toute idée utopique de ce qui est et tout de suite, dès le début du chapitre 14, Hobbes nous dit
que, par nature, l’homme a droit sur toute chose. Ainsi, il y a dans l’état de nature quelque chose que l’on peut appeler le jus in omnia càd
le droit sur tout et précisément si l’on veut sortir de cet état invivable qu'est l’état de guerre, il faut en finir avec ce jus in omnia, parce que
ce n’est pas vivable, ce n’est pas possible.
- C’est pourquoi, aussi longtemps (paragraphe 4, chapitre 14), «que dure ce droit naturel de tout homme sur toutes choses, nul aussi fort
ou sage fut-il, ne peut être assuré de parvenir au terme du temps de vie que la nature accorde ordinairement aux hommes» . Ainsi, tout le
raisonnement de Hobbes va consister précisément à limiter ce droit de nature.
- Les hommes doivent, selon Hobbes, renoncer pour une part à ce qui fait leur liberté naturelle et c'est là qu'il fait intervenir l'idée du
dessaisissement. Or, il apparaît assez logiquement qu'aucun homme, connaissant l'état de nature, n'acceptera de se dessaisir d'une partie
de son droit naturel si les autres hommes n'acceptent pas en même temps de s'en dessaisir car cela leur semblera aberrant de se
désarmé si l'autre ne se désarme pas.
§3. Les lois de nature chez Hobbes
- Il y a chez Hobbes une manière de penser rationnellement la politique qui l’inscrit dans une perspective s’éloignant de celle d’Aristote car
pour lui l’homme n'est pas un animal politique.
- Hobbes fait ainsi naitre l’ordre politique de l’impuissance humaine car il y a des effets rationnels de la peur et les hommes vivant dans
l’état de nature, cette vie quasi animale, laborieuse, solitaire, très brève, vont prendre conscience du fait qu’une telle vie n’est pas
possible, qu’il faut trouver une solution.
- Autrement dit, le passage de l’état de nature à l’état civil nait d’une prise de conscience qui est une prise de conscience rationnelle càd
que tout se passe comme si ces hommes dans un état de nature se découvraient un ennemi commun, à savoir la mort violente, brutale.
- L’état de nature est caractérisé par le fait que les hommes disposent d’un droit naturel sur tout, et on avait vu que, conçu comme une
pure liberté, ce droit naturel n’était pas spécifiquement humain puisque les animaux aussi pouvaient tuer pour survivre. Ainsi, ce peut être
quelque chose qui caractérise tous les êtres vivants et du coup, d’une manière de nouveau très rationnelle, Hobbes ne fait que constater
que tant que tous les individus de cet état de nature jouiront de ce droit naturel infini sur tout, il s’en suivra que chacun continuera de vivre
dans la peur permanente que l’autre face fasse usage de son droit naturel de le tuer.
A) La première loi naturelle
- Hobbes va considérer que la 1ère loi naturelle est que tout homme doit s'efforcer à tendre vers la paix aussi longtemps qu'il a un espoir
de l'obtenir. Ainsi, quand il ne peut pas l'obtenir, il lui est loisible d'utiliser et de rechercher tous les secours de l'avantage de la guerre.
- Hobbes affirme donc par la raison que tout homme s'efforce à se préserver physiquement pour conserver la félicité et par conséquent
s'efforce à la paix aussi longtemps qu'il peut rationnellement penser que l'autre ne va pas l'agresser ou le tuer.
- A partir de cette 1ère loi de nature, on peut se demander si cela signifie que Hobbes accorde une valeur suprême à la vie humaine. En
effet, au chapitre 11, Hobbes décrivait la vie comme une course sans fin, incessante, vers la recherche de la félicité, du bonheur, de la
satisfaction. Autrement dit, il n’y a pas seulement une perspective vitaliste dans cette construction hobbésienne qui repose sur la sécurité
physique des individus.
=>Hobbes énonce immédiatement la seconde loi naturelle.
B) La deuxième loi naturelle
- La 2e loi naturelle concerne l’ensemble du droit de nature càd le droit de se défendre par tous les moyens dont on dispose. Autrement
dit, si on a trop peu de chance d'obtenir la paix par un calcul rationnel alors il doit chercher à l'obtenir par d'autres moyens.
Logique du pacte hobbésien : je renonce à une partie de ma liberté, càd à une partie de mon droit naturel, ce fameux jus in omnia, si en
échange on me donne la garantie de ma sécurité.
- Ainsi, ce que Hobbes dit, c'est que si vous donner la sécurité vous aurez peu de chance de subir une révolte mais si vous leur retirer
cette sécurité il y aura plus de probabilité qu'ils prennent les armes de nouveau par manque de garantie de sécurité.
=>La question de la sécurité n’est pas une question secondaire dans l’ordre du politique, c’est LA question fondamentale et toute la
construction de l’état civil chez Hobbes répond à ce problème de violence, d’insécurité ou de guerre civile.
- Ce que dit Hobbes c'est que «que l’on consente, quand d’autres y consentent aussi, à se dessaisir dans toute la mesure où l’on pensera
que cela est nécessaire à la paix et à sa propre défense, du droit que l’on a sur toute chose, et qu’on se contente d’autant de liberté à
l’égard des autres qu’on en concèderait aux autres à l’égard de soi-même».
- Autrement dit, on ne renonce jamais à tout mais seulement à la partie aliénable de son droit naturel et cela signifie que chaque fois, et
Hobbes insiste beaucoup, «qu’un homme transmet ou renonce à une partie de son droit naturel, c’est soit en considération de quelque
droit qui lui est réciproquement transmis, soit à cause de quelque autre bien qu’il espère pour ce motif [...] il existe certains droits tels que
l'on ne peut concevoir qu'aucun homme les ait abandonné ou transmis par quelque parole que ce soit ou par d'autre signes».
- Hobbes ajoute cependant que «un homme ne peut pas se dessaisir du droit de résister à ceux qui l'attaquent de vive force pour lui
enlever la vie» et cela pour la raison élémentaire qu'on ne saurait concevoir que cet homme vise quelque bien pour lui-même. Ainsi, on ne
peut pas y renoncer par contrat car on ne peut pas renoncer à ce qui fait l'intérêt même du contrat à savoir la sécurité physique et donc
renoncer à se défendre si on se fait attaquer.
- Hobbes va encore plus loin en disant que «on peut en dire autant à propos des blessures, des chaines et de l‘emprisonnement, pour
l’essentiel parce qu’il n’est pas possible de dire si les gens qui usent de violence à votre égard s’ils recherchent votre mort ou non» . Par
exemple, si un homme, par la parole ou par d’autres signes, parvient à se déposséder lui-même de la fin à laquelle ceux-ci sont destinés,
autrement dit si un homme parvient à passer un contrat en oubliant le pourquoi fondamental de tous les signes et de tous les contrats, on
ne doit pas le comprendre comme si c’était bien ce qu’il voulait dire et que telle fut sa volonté mais conclure qu’il ignorait comment ses
paroles et ses actions devaient être interprétés.
=>Il ne s’agit donc plus de penser la résistance par référence à la légitimité du pouvoir parce que la seule chose que Hobbes fasse
intervenir est seulement c'est l’individu et son droit de vivre ou de survivre pour poursuivre sa félicité.
- A aucun moment, dans la construction rationnelle de Hobbes, il n’est question d’un dessaisissement total qui ferait que les individus, les
citoyens, tomberaient dans la servitude. Ils ont renoncé à une série de droits fondamentaux mais ne renoncent jamais à tout.
- Les êtres humains, tant qu’ils resteront des êtres métaphysiques, continueront d’avoir des conceptions du bien et du mal, de penser qu’il
y a des choses qui ont beaucoup de valeur et d’autres un peu moins et on peut appeler cela le sacré, l’absolu. Par conséquent, les
hommes continueront de se déchirer au nom de ces conceptions.
- C’est ce que Max Weber, au 20 e siècle, appelle la guerre des dieux : «c’est la guerre que les hommes ne se font pas seulement au nom
de leur Dieu mais essentiellement au nom de leur conception axiologique càd de ce qu’ils considèrent comme relevant du bien absolu» .
Hobbes n'est pas aussi pessimiste puisqu’il apporte une solution, à savoir le Léviathan càd l’Etat.
=>Les lois de nature sont donc les théorèmes déclenchés par la raison et qui concerne tout ce qui permet la conservation des hommes
càd qui permet l'être ensemble dans une société.
C) La troisième loi naturelle
- La troisième loi de nature, c'est la justice et elle découle logiquement de la deuxième sur laquelle Hobbes écrit : «de cette loi de nature
par laquelle on est obligé de transmettre à autrui les droits qui lorsqu'on les conserve nuisent à la paix du genre humain, il en découle une
troisième qui est que les hommes s'acquittent de leurs conventions» . Ainsi, sans cette idée de justice, les conventions n'auraient aucune
valeur et ne seraient que des paroles vaines, cela nous poussant à vivre à l'état de nature : «c'est une loi selon laquelle les hommes
s'acquittent de leurs conventions une fois qu'ils les ont passées».
- Cependant, Hobbes rappelle que lorsque aucune convention n'a été passée, chacun continue d'exercer son droit naturel dans sa
dimension illimitée car sans convention rien n'est injuste. Donc, la définition de l'injustice n'est rien d'autre que la non exécution des
conventions.
D) La quatrième loi naturelle
- Hobbes introduit la quatrième loi de nature, à savoir la gratitude : «de même que la justice dépend d’une convention antérieure, la
gratitude dépend d’une faveur antérieure, autrement dit d’un don gracieux antérieur». Ainsi, un homme qui reçoit d’un autre un bienfait
gracieux va s’efforcer à ce qu'il n'y est pas de motif raisonnable lui faisant regretter cette bienveillance.
- Hobbes énonce ensuite une proposition qui semble assez contestable : «nul ne donne, en effet, si ce n’est en vue de se procurer un bien
à lui-même car le don est chose volontaire et l'objet que poursuit chaque homme en tout acte volontaire est son bien propre» . Est-ce à dire
que l’on donne par égoïsme et de quelle façon penser l’altruisme si c’était le cas ?
=>Cf. l'article de Michel Terestchenko intitulé «Egoïsme ou altruiste : laquelle de ces deux hypothèses rend-elle le mieux compte des
conduites humaines». Nous sommes dans une problématique qui, au 20e siècle, appelée la problématique du don et du contre-don (cf.
Marcel Mauss et sa revue Mouvement anti-utilitariste dans les science sociale).
E) La cinquième loi naturelle
Il faudrait faire un séminaire entier sur la complaisance donc pour résumer Hobbes définit la complaisance comme étant «la tâche de se
rendre accommodant aux autres».
F) La sixième loi naturelle
- Sur cette loi, Hobbes écrit que «une fois que les garanties pour l’avenir ont été données, on doit pardonner les offenses passées de ceux
qui les regrettent et demandent le pardon». Hobbes ne parle pas ici du pardon chrétien mais d'un pardon en vue d'accorder la paix et
rompre avec le cycle infernal de la vengeance.
- Il faut certes pardonner mais à deux conditions, à savoir des garanties pour l'avenir et un regret sincère du geste passé. Ainsi, la magie
symbolique du pardon consiste à dénouer ou à libérer quelqu'un à l'égard de la surchage du passé, d'un fardeau encombrant.
G) La septième loi naturelle
- La 7eme loi de nature porte sur la vengeance. En effet, Hobbes écrit dans une situation qui lui parait extrême et dans les vengeances,
càd quand on rend le mal pour le mal «on ne considère pas la grandeur du mal passé mais la grandeur du bien qui doit s’en suivre».
- Ainsi, comme Machiavel, Hobbes procède sous l'influence d’une forme de réalisme, càd qu’il part de ce qu’est l’homme et non de ce qui
devrait être en tenant compte des passions : tout son système repose d’ailleurs sur la peur de la mort et la volonté de survivre.
Il y a des affects ou des passions qui ont une puissance absolument extraordinaire dans l’histoire tels que l’humiliation et le ressentiment.
En effet, le sentiment est un état qui dure et il y a une conscience malheureuse qui ne permet pas de sortir du malheur et parfois quand on
observe des explosions dans le ressentiment elles n’ont aucun rapport avec ce qu’elles étaient. Au fond il s'agit d'une rumination
vangeresque qui s’étale dans le temps.
H) La huitième loi naturelle
Hobbes constate que les signes de haine, de mépris sont souvent des provocations au combat pour autant que «la plupart des hommes
préfèrent finalement mettre leur vie en péril que de ne pas en tirer vengeance» . Ainsi, il pose comme huitième loi de nature que «nul par
ses actions, ses paroles, sa mine ou ses gestes n'exprime sa haine ou son mépris d'un autre, et l'infraction à cette loi est communément
appelée outrage».
I) La neuvième loi naturelle
- La 9e loi contre l’orgueil est liée au problème de l’égalité. C’est «la question de savoir celui qui vaut le plus n’a rien à faire dans l’état de
simple nature ou tous sont égaux, l’égalité présente a été introduite par les lois civiles».
La conclusion que Hobbes en tire est intéressante, puisque sur la question de l’égalité :
 Si la nature a fait des hommes égaux alors il faut reconnaitre cette égalité.
 Si la nature a fait les hommes inégaux alors il faut partir du fait que les hommes n’accepteront jamais de passer des conventions les uns
avec les autres autrement que sur un pied d’égalité. Par conséquent, cette égalité doit être admise.
- Dans le premier cas elle doit être admise comme un fait, dans le second cas elle doit être reconnue comme l’une des conditions de
possibilité des conventions. Ainsi, il s'agit «que chacun reconnaisse autrui comme étant son égal par nature», ce précepte c'est l'orgueil.
§4. La modernité individuo-universaliste
- Les lois de nature sont pensées par Hobbes comme immuables et éternelles, autrement dit sa pensée est radicalement universaliste sur
ce point. Ainsi, on est dans l’ordre de la modernité individuo-universaliste càd que tout est fait pour l’individu et la préservation de sa
sécurité mais en même temps il y a un certain universalisme manifesté par les lois naturelles.
=>Hobbes ajoute que ces lois de nature ont ceci de particulier qu’elles n’obligent que dans «le for intérieur» («in foro interno»).
- Le problème est de savoir de quelle façon on va véritablement s’assurer du fonctionnement d’un ordre politique à partir de la construction
de cette sagesse, parce que pour l’instant nous sommes dans de l’infra-politique càd dans la partie anthropologique du Léviathan. Ainsi, il
faut attendre le chapitre 17 pour passer à la partie qui est à proprement parler politique.
- On est devant le pro initial, à savoir que les hommes doivent trouver une solution pour s’arracher à ce misérable état de nature dans
lequel ils vivent une vie impossible. Or, «d’elles-mêmes, ces lois de nature sont contraires à nos passions naturelles qui nous portent à la
partialité, à l’orgueil et à la vengeance» . Ainsi, Hobbes prévoit des conventions, mais si on veut qu’elles ne restent pas que de pures
paroles, il faut qu’elles soient garanties.
- travers le problème de la garantie, Hobbes va donc en arriver à la définition de la souveraineté, du pacte hobbésien dans sa forme la
plus complète, et il en viendra à aborder le problème tout simplement du pouvoir et de l’Etat, le Léviathan.
A) Le problème de la garantie
- Après avoir passé quelques chapitres à penser l’homme et à réfléchir sur la question des passions, de l’état de nature ou de la condition
de l’humanité à l’état de nature, après avoir déduit de manière rationnelle les lois de nature, Hobbes va examiner au chapitre 17 les
causes de la génération et donner la définition de la République.
- Les lois de nature ne sont pas les passions et donc comment faire sachant que Hobbes, évitant tout angélisme et tout esprit utopique va
construire tout son édifice sur le constat que ces passions sont précisément ce qui met l’homme en danger.
- La seule réponse rationnelle possible passe par une construction politique, autrement dit une construction artificielle càd qu'il s’agit de
construire un pouvoir qui les fasse observer les lois de nature par l’effroi qui cela leur inspire.
 L'artificialisme de la pensée hobbésienne
- Il y a une dimension artificialiste dans la pensée de Hobbes, puisque la solution au problème politique n’est pas naturelle mais est
artificiel au sens où il faut construire quelque chose qui ne découle pas des passions naturelles de l’homme.
- Le problème qui est clairement posé dans ce chapitre est le problème politique par excellence, à savoir le problème des garanties :
qu’est-ce qui fait que les uns et les autres vont effectivement être fidèles à l’enseignement rationnel des lois de nature qu’ils ont dégagés,
qu’est ce qui fait qu’ils vont respecter les conventions, sachant que «les conventions sans glaives ne sont que des paroles dénuées de la
force d’assurer au gens la moindre sécurité».
a) Les concepts
- Hobbes va utiliser des outils ou des instruments conceptuels qu’il a mis au point au chapitre précédent intitulé «des personnes, des
auteurs et des êtres personnifiés» (chapitre 16).
- Ainsi, pour lui «est une personne celui dont les paroles et les actions sont considérées soit comme lui appartenant, soit comme
représentant les paroles ou actions d’un autre ou de quelque autre réalité à laquelle on les attribue par une attribution vraie ou fictive».
=>Il y a des personnes naturelles et il y a des personnes artificielles.
- A la page suivante, Hobbes introduit les notions d’acteurs et d’auteurs. Il nomme acteur le représentant de celui qui parle ou agit, et
l’auteur celui qui attribue les actes de l’acteur : « une multitude d’hommes devient une seule personne quand ces hommes sont
représentés par un seul homme ou une seule personne, de telle sorte que cela se passe avec le consentement de chaque individu
singulier de cette multitude, car c’est l’unité de celui qui représente et non l’unité du représenté qui rend une la personne» .
- Ainsi, la seule manière de sortir de ce misérable état de guerre est de mettre sur pied un pouvoir effroyable qui mette les individus en
respect, qui les maintiennent à bonne distance les uns les autres et la seule façon d’ériger ce pouvoir effroyable il faut «confier tous leurs
pouvoirs ou toutes leurs forces à un seul homme ou à une seule assemblée qui puisse réduire toute leur volonté par la règle de la majorité
à une seule volonté». Hobbes reprend les concepts forgés au chapitre précédent, en disant que cela revient à «désigner un homme ou
une assemblée pour assumer leur personnalité et que chacun s’avoue et se reconnaisse comme l’auteur de tout ce qu’aura fait ou fait
faire au moins dans le domaine de la sécurité».
- Et là, vient le passage fondamental qui est au cœur même du pacte hobbésien : il s’agit «d’une unité réelle de tous en une seule et
même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte» . Ainsi, c’est comme si chacun avait dit
«j’autorise cet homme ou cette assemblée et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui
abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière et cela fait, la multitude unie en une seule pers est
appelée une Rép». Hobbes finit en disant «telle est la génération de ce grand Léviathan, ou plutôt pour en parler avec plus de révérence,
de ce dieu mortel auquel nous devons notre paix et notre protection (...) le dépositaire de cette liberté est appelé souverain» .
- Autrement dit, on a une solution artificialiste au problème de la politique càd on est passé de quelque chose qu’est le droit de l’individu de
se conserver lui-même à quelque chose qui semble le déposséder de tout, à savoir un pouvoir absolu qui inspire l’effroi. Le pouvoir
absolu, l’Etat absolu, n’est, dans la construction, que l’instrument des sans pouvoirs. Autrement dit, il s’agit d’un artefact en quelque sorte
fabriqué par des artisans qu’ils ont tous en commun ceci qu’ils ont envie de vivre. Il n’y a pas d’autre inspiration au point de départ et pas
d’autre aspiration comme finalité, dans cette construction, que l’individu.
- Pour qu’il puisse y avoir quelque chose comme une émancipation de l’individu, qui est une des logiques de la modernité, il a fallu que cet
individu puisse s’arracher aux différents types de pouvoir qui pesaient sur lui. Non pas que ces pouvoir se soient naturellement effondrés
ou affaiblis, c’est que (si on suit la piste de Hobbes) à un certain moment il est apparu au dessus de ces différents pouvoir un pur centre
d’autorité politique. Pour qu’il y ait individu, il faut qu’il y ait en quelque sorte un tiers, un pouvoir tiers, qui lui permet d’exister. Un tiers qui
en est la condition de possibilité.
b) La métaphore du dieu mortel
- Cette métaphore du dieu mortel est assez curieuse et là on trouve toute sorte de commentaire. Hobbes caractérise ce pouvoir, ce
Léviathan, comme le plus grand pouvoir que les hommes puissent imaginer.
- Tout d’abord, sur le plan logique, on comprend tout à fait qu’à une situation de crise radicale qui est tout simplement la guerre civile, ou
bien l’état de nature (ce qui est la même chose), corresponde une solution radicale : c’est le Léviathan.
- Pour les croyants ou pour les non croyants, lorsque l’on pense au concept de Dieu, on est obligé d’y penser comme à un être tel qu’on
ne puisse pas en imaginer de plus grand. Jusqu’à présent on est d’accord avec ça : si on pense Dieu, on le pense comme le plus absolu.
Mais en même temps ce dont rien n’est plus grand ne saurait exister seulement dans notre intelligence. Parce que si cela n’existait que
dans l’intelligence, alors cela ne serait pas le plus grand de tout, cela ne serait pas absolu. Donc cet être dont on ne peut rien imaginer de
plus grand ne peut pas ne pas exister.
B) Le libéralisme politique
Il y a de l’Etat, il y a de l’individu, et les auteurs qui ont mis l’accent sur le libéralisme de Hobbes se sont efforcés de montrer plusieurs
choses, par exemple, qu’il y a chez lui une sorte de théorie de la socialisation civile, càd une société qui est purement volontaire, dont
l’existence repose à la fois sur la volonté et sur la raison des hommes, sur leur rationalité, une société à la fois individualiste et rationnelle
qui ne présuppose aucune allégeance religieuse, aucune loyauté religieuse, une société qui fonctionne autour de règles qui n’ont pas
besoin de théologie pour s’énoncer. On voit que tout le système, jusqu’à présent sans évoquer dieu, est une construction politique qui est
comme une association d’individus rationnels.
- Dans le même ordre d’idée, il faut bien voir que la loi, qui est promulguée par le souverain, est un pure artifice (de la même façon que le
Léviathan) qui ne va pas plus loin, càd qui n’a pas pour finalité d’aller plus loin que de permettre à ces atomes individuels de pouvoir
circuler sans s’entrechoquer, sans entrer dans des collisions, des conflits. Autrement dit, c’est une loi qui se contente de permettre un
fonctionnement de la société sans faire intervenir d’autres finalités, d’autres perspectives éthiques, religieuses, morales.
- La solution politique rationnelle consiste simplement à trouver un ordre politique ou un pouvoir politique qui permette la libre circulation
de ses individus-atomes. Autrement dit il s’agit d’une conception libérale de la loi càd dans laquelle on ne fait pas intervenir les valeurs
chrétiennes. Dans cette perspective, Hobbes est bien un théoricien du libéralisme.
- Léo Strauss disait «s’il nous est permis d’appeler libéralisme la doctrine politique pour laquelle le fait fondamental réside dans les droits
naturels de l’homme [par opposition à ses devoirs] et pour laquelle la mission de l’Etat consiste à protéger ou à sauvegarder ces mêmes
droits, il nous faut dire que le fondateur du libéralisme fut Hobbes» . Ainsi, ce n’est pas la morale ou les valeurs substantielles qui sont
engagées dans cette réflexion politique car tout repose sur une seule chose, à savoir le droit inconditionnel à la vie.
- Il y a une différence fondamentale qui fait que le problème politique des sociétés animales n’est pas du tout le même que le problème
politique des sociétés humaines. Pour Hobbes, dans les sociétés humaines il y a des guerres qui ont pour origine l’honneur et la dignité.
- L’être humain met en mémoire l’humiliation, et elle surgit quelques temps après, quelques générations après même. Les hommes se
déchirent également pour des raisons qui relèvent de l’envie et de la haine. Ils se comparent toujours aux autres. Or la modernité, et
notamment l’expérience de ce que Tocqueville un peu plus tard appellera l’égalisation des conditions, fera précisément naitre la similitude
et la comparabilité.
- Hobbes ajoute que «cet art des mots par lequel certains savent présenter aux autres ce qui est bon sous les apparences du mal, et ce
qui est mauvais sous les apparences du bien» et cette perversion, à la fois ce jeu sur les mots (la rhétorique) et les apparences, est
quelque chose qui rend les hommes insatisfaits et qui trouble leur paix. Il y a là une source de conflit qui nait de l’usage pervers de la
parole et que les animaux ne connaissent pas.
§5. Le droit de résistance
Il y a quelque chose de très intéressant chez Hobbes qui est une reformulation moderne de problématiques qui sont plus anciennes. Cf.
un article d’Yves-Charles Zarka.
A) Le droit de résistance hobbésien selon Yves-Charles Zarka
- L’auteur, grand spécialiste de Hobbes, remarque que la question du droit de résistance connait un tournant tout à fait important chez
Hobbes car l’on assiste à une mutation entre la problématique traditionnelle et une thématique moderne déployée chez Grotius.
 on pouvait résister au pouvoir lorsque le pouvoir était illégitime, autrement dit on avait une théorie de la résistance qui passait par un
questionnement portant sur la légitimité du pouvoir. On peut résister à un pouvoir si celui-ci n’est pas légitime.
 on pouvait résister à un pouvoir qui pouvait être légitime au point de départ, au sens où il n’avait pas été usurpé, mais qui pourtant ne
s’exerçait pas en vue du bien public mais simplement en vue du bien privé.
- On a au Moyen-âge deux manières de penser la résistance au tyran : il y avait les tyrans qui étaient définis comme les tyrans
d’usurpation, càd définis par un défaut de titre, et puis on avait des tyrans qui finalement n’exerçaient le pouvoir qu’en vue d'intérêts
particuliers. Ces deux conceptions de la résistance se maintiennent jusqu’à la fin du Moyen-âge et même jusqu’au début du 17 e siècle
donc ce n’est que plus tard, avec notamment Grotius puis avec Hobbes, que l’on assiste à une reformulation dite «moderne»de la chose
- Hobbes utilise assez souvent l’expression de right of resistance càd «droit de résistance» et ce qu’explique très bien Yves-Charles Zarka
c'est que cette expression n’a plus chez Hobbes pour corrélat le couple injustice/illégitimité. A vrai dire, Hobbes élimine complètement
cette problématique de la légitimité, notamment par exemple au chapitre 19, «les différentes espèces de république et de la succession au
pouvoir souverain» concernant la tyrannie et l’oligarchie, et Hobbes se rappelle que dans tous les ouvrages historiques qui ont précédé,
on trouve différentes manières de désigner le gouvernement mais il ajoute, au 2e paragraphe, «ce ne sont pas là d’autres formes de
gouvernement, ce sont les mêmes que l’on appelle ainsi quand on ne les aime pas. Ainsi, ceux qui ne sont pas satisfait sous la monarchie
l’appellent tyrannie, et ceux qui sont mécontents de l’aristocratie l’appellent oligarchie, de même aussi ceux qui ont à se plaindre sous une
démocratie l’appellent anarchie».
- La doctrine hobbésienne de la représentation implique que le seul représentant de l’Etat est le souverain et en un certain sens on
pourrait penser que toute possibilité de résistance est ainsi annulée, éradiquée, effacée mais en fait elle réapparaît sous une forme
moderne qui relève désormais de la nouvelle doctrine du droit naturel càd le droit subjectif que possède chaque individu, quel que soit le
contexte de son existence et de son relationnel.
- Ainsi, on ne peut pas se défaire de ce droit. Il n’y a pas d’aliénation possible du droit qui est par conséquent attaché irrémédiablement à
la personne naturelle de l’homme, et qui se trouve fondé sur un principe éthique fondamental, à savoir que tout homme non seulement par
droit de nature mais aussi par nécessité de nature est réputé s’efforcer autant qu’il le peut d’obtenir ce qui est nécessaire à sa
conservation. (chapitre 15, cf. supra).
- Ce droit de résistance concerne ou s’exerce face à tout ce qui peut mettre en danger notre vie de manière directe mais aussi de manière
indirecte. Par exemple, ce droit de résistance peut s’exercer lorsque notre sécurité ou notre intégrité sont mises en cause de manière
indirecte, par exemple dit Hobbes, face à ceux qui voudraient nous empêcher de «jouir de l’air, de l’eau, du mouvement, du libre passage
d’un lieu à un autre».
- Ainsi, pour Hobbes, une convention dans laquelle un homme s’engage d’abandonner son droit de résistance à un autre est toujours nulle
car aliéner son droit de résistance c’est fondamentalement se mettre en contradiction avec la raison d’être des conventions, la raison
d’être des contrats. L’acte serait en quelque sorte contradictoire, donc il ne peut résulter que d’une erreur ou d’une ignorance.
=>La contribution de Hobbes à la construction du jus naturalis moderne est importante
 L'enquête de Jeanne Hersch (UNESCO, 1968)
- Jeanne Hersch présidait la section de philosophie de l’Unesco dans les années 1960, se retrouve en 1968 à s’occuper de l’anniversaire
des 20 ans de la DDHC. A cette occasion là, comme le débat sur l’universalité des débats faisait rage et que les droits de l’homme étaient
plus ou moins soupçonnés d'être l’expression symbolique du colonialisme occidental, Hersch s'était lancé dans une enquête mondiale sur
les droits de l’homme en élaborant un questionnaire pour recueillir des textes de toute nature qui avaient été produit avant 1948, et qui
comportait une référence directe ou indirecte à la notion de droit de l’homme.
- Elle a eu des réponses venant du monde entier, publiées dans un livre appelé Le droit d’être un homme, et qui montre que les droits de
l’homme tels qu’on les exprime dans leur particularité ne sont pas nécessairement universels, mais ceux que l’on trouve partout et qui
semblent être universel est qu’un homme ne peut être traité comme une chose, comme un animal, càd ne peut être traité sans égal.
- Autrement dit, quelque chose surgit de tous ces textes de toute nature, de toute époque, quelque chose semble se dégager et va dans le
sens de l’idée qu’en tant qu’être humain quelque chose nous revient et qu’on ne peut être traité autrement que comme un être humain.
Quand on est traité autrement qu’un être humain, il s’en suit une souffrance telle que l'homme préfère éventuellement mettre fin à ses
jours plutôt que d’être traité comme moins qu’humain.
- L’ontologie de Hersch montre l’universalité de l’exigence d’être traité comme un être humain. Cela est ensuite interprétée différemment
d’une société à l’autre, càd qu’à travers le temps, les cultures, les époques, la géographie, le temps et l’espace, on a pu définir cette
manière spécifique de traiter un être humain différent. Donc le contenu est variable.
La structure, elle, semble universelle car on a jamais vu semble-t-il des sociétés dans lesquelles il semblait naturel de traiter un être
humain comme un chose ou de le traiter autrement que comme un être humain et en ce sens, Jeanne Hersch concluait à l’universalité des
droits de l’homme, pas nécessairement dans leur forme occidental, mais elle concluait à l’universalité de cette exigence humaine qui peut
aller jusqu’à l’abolition de soi plutôt qu'à la déshumanisation. Donc ce qui nous apparait souvent mais peut-être finalement à tord comme
l’expression d’une pensée hyper moderne au 20e semble en réalité (il faut rester prudent, on ne peut pas ne pas l’être) exprimer quelque
chose de beaucoup plus profond et universel même si ces formes d’expression ont des modes d’expression variables suivant le temps et
l’espace.

« Le deuxième traité du gouvernement civil » deJohn Locke (1632 – 1704)


=>Sur le deuxième traité du gouvernement civil de 1590.
- Avec Locke, ce qui s’introduit de manière tout à fait centrale, c'est la question à la fois du travail et de la propriété, autrement dit il nuance
les vues de Hobbes. Pour aller à l’essentiel, ce qu’on lit dans le 2 e traité du gouvernement civil, au § 124 notamment, c'est la chose
suivante : «la fin capitale et principale en vue de laquelle les hommes s’associent dans les républiques et se soumettent à des
gouvernements, c’est la conservation de leur propriété».
- Dans cette perspective l’état de nature apparait comme l’état marqué par le manque, la privation car la conservation de l’homme est
concerné essentiellement par la faim. Ainsi, chez Hobbes l’état de nature se caractérise par l’hostilité de chacun contre chacun et chez
Locke la mort est également menaçante mais elle apparait à travers la privation et de la faim.
- Chez Locke, l’individu est caractérisé par la faim et va partir à la recherche de la nourriture. Ainsi, il va manger ce qu’il trouvera sur les
arbres à travers la cueillette et la chasse, la question étant de savoir à partir de quand il en sera le propriétaire légitime. C là que Locke
introduit la question du travail car c’est par le travail que cette propriété deviendra légitime.
- Autrement dit, Locke dans cette fiction de l’état de nature qui vise simplement à installer une certaine compréhension des choses
sociales et politique, la propriété arrive très vite en relation directe avec le travail et ce en quoi l’homme est en quelque sorte à la source de
la propriété, c’est qu’il est propriétaire parce qu’il a en lui cette capacité de travailler, de transformer. Ainsi, de la même façon que chez
Hobbes l’homme n’était pas un animal politique, chez Locke, il est naturellement un animal propriétaire et travailleur.
- La nature n’apparait pas à travers l’abondance mais apparait plutôt à travers la privation car l’état de nature est marqué par la pénurie,
par la misère. Donc, toute la construction de Locke est de voir de quelle façon il est possible de placer l’individu en sorte en quelque sorte
dans une configuration qui est faite à la fois de propriété et de travail avec ceci de particulier, comme l’ont noté certains, que le propre du
travail n’est pas tant de produire du droit de propriété mais surtout de produire de la valeur.
- Au point de départ de Locke, il s’agit de préserver la sécurité de l’individu en le rendant propriétaire à travers le travail, autrement dit le
faire échapper à la misère, à la pénurie, à la faim et donc de le faire sortir de quelque chose qui caractérise l’état de nature traduisant
l’impuissance, et ainsi arriver à travers une réflexion sur l’utilité sociale, l’utilité collective. Autrement dit, à l’arrivée, nous avons une société
de propriété alors qu’à l’origine on avait un individu qui était toujours menacé par la faim.
- Parmi les choses que l’on souligne souvent quand on parle de Locke, c'est une réflexion en terme de propriété des choses, propriété
indissociable d'une propriété de soi. Il s'agit donc de posséder soi-même càd que l'on est propriétaire des fruits de son travail et aussi de
son corps. Ainsi, la vision selon laquelle une sécurité minimale doit être garantie à ce corps dont nous sommes propriétaire mène à une
sorte de pacte qui unit des propriétaires. Mais de quoi une société de propriétaires a-t-elle besoin pour se perpétuer, pour préserver son
existence ?
- Dans une perspective que l’on associe de manière plus directe au libéralisme telle que nous nous le représentons aujourd'hui, toute la
réflexion se noue autour des lois que cette société va se donner afin de garantir la coexistence de ces propriétaires et la possibilité qu’ils
ont de continuer de vivre, de travailler, etc. L’Etat n’est rien d’autre que l'instrument de la propriété mais il n'est pas au service du profit car
la propriété n'est pas pensée dans sa valeur d'enrichissement en tant que telle mais repose sur l'individu travaillant.
- Cette vision sera remise en question par Rousseau dans son second discours : «le premier qui ayant enclos le terrain s’avisa de dire
ceci est à moi et trouva des gens assez simple pour le croire fut le premier fondateur de la société civile . Que de crime, de guerre, de
meurtre, de misère et d’horreur n’eut pas épargné au genre humain celui qui arrachant les pieux, comblant les fossés, eut crié à ses
semblables : gardez vous d’écouter cet imposteur».
Locke est un philosophe important, on trouve chez lui des réflexions très intéressantes sur la question de la pensée, de l’identité, de
l’éducation, réflexions qui sont encore tout à fait vivante aujourd'hui.

Mardi 6 janvier 2009

L'examen a été réduit à 1H, ce qui ne change pas grand chose dans les sujets, seulement ce sera pris en compte dans la notation.

On va aborder les lumières, notamment l'article de Kant, « Qu'est ce que les Lumières ? », en mettant en parallèle la pensée de
Rousseau. Ce n'est pas arbitraire car Kant lui-même avait une grande estime envers la pensée de Rousseau, et leurs deux pensées
convergent plus ou moins vers ce qu'on appelle « l'humanisme moderne ».

« Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes » et « Le Contrat social »
deJean-Jacques Rousseau

Poursuivant les perspectives ouvertes par Hobbes, Locke et autres, Rousseau va inverser toute une série de perspectives.
La pensée de Rousseau est une pensée d'une richesse extraordinaire qui admet une multiplicité d'interprétations, parfois
complètement opposées, et en fait, la pensée elle-même de Rousseau autorise ces interprétations contradictoires, car c'est une œuvre
ambiguë à bien des égards. C'est tant un moderne qu'un anti-moderne par exemple.
Souvent quand on pense au 18ème siècle, on pense au progrès : est-ce que, de fait, Rousseau est un progressiste ? Ce n'est
pas évident. Pourtant, il introduit, dans la définition de l'homme, l'idée de perfectibilité. Sans cette dernière, il serait difficile de penser
l'éducation (d'où ces ouvrages Emile). Quand on parle de progrès, on ne doute pas qu'il puisse y avoir un progrès technique, qui n'est
jamais que quantitatif : toutes les machines sont de plus en plus efficaces. On peut également parfois avoir des progrès qualitatifs (mais
cela est plus subjectif... : est-ce que roulé à 120 km/H plutôt que 20 est une avancée ?). Pour autant, le progrès technique ne saurait être
assimilé au progrès moral (qu'on entend à la fois éthique et culturel). Rousseau aurait eu beaucoup de doutes sur le fait que les Hommes
de sa société étaient meilleurs que les hommes de Sparte ou d'Athènes. On ne peut pas, en adoptant une pensée rousseauiste, dire qu'un
philosophe du 20ème siècle est meilleur qu'un philosophe de la Grèce antique.
En 1749, sa vie bascule car il tombe à ce moment là sur la question posée par l'académie de Dijon : «  Le progrès des sciences
et des arts contribue t-il à corrompre ou à épurer les mœurs ? ». Rousseau commence sa carrière quasiment à ce moment là, et rédigent
ses différents discours, dont celui qui nous intéresse, le second. Il y essaye de comprendre d'où procède l'inégalité qui est, selon
Rousseau, la première source du mal (d'ailleurs, ses premiers écrits seront parfois qualifiés de réflexion sur le mal). Rousseau se situe
d'emblée du côté des « vaincus de l'histoire » (Voir à ce propos, Waechtel, « La vision des vaincus » : livre sur les indiens d'Amérique). Il y
a chez Rousseau cette perspective assez frappante de se ranger de ce côté, ce qui le place d'emblée en affinité avec des perspectives
radicales (des contestations radicales). Ainsi, Rousseau est très probablement l'un des auteurs, avec Marx, qui a le plus irrigué, à l'échelle
des deux derniers siècles, la pensée « protestataire », voir « révolutionnaire », par exemple, contre la propriété, ou contre la démocratie
représentative actuelle etc. (n'oublions pas que ce n'est pas forcément ce qu'il pense, car sa pensée est ambiguë, comme par exemple sur
la propriété). En tout état de cause, c'est un point de vue assez innovant, et ainsi, le discours sur les origines et les fondements de
l'inégalité des Hommes (= second discours), parle d'un état de nature auquel succède une longue déchéance, chute, qui arrive jusqu'à
l'état présent et à laquelle doit succéder, normalement, une réparation. On a parfois dit que ce discours disait ce que la société était
devenue alors que le Contrat social, écrit plus tard, exploré la perspective de ce que la société pourrait être. Au départ, les choses sont
simples dans l'état de nature : l'homme vit dans une sorte d'ile paradisiaque (il se met l'héritage de Hobbes sur le dos), en paix, en
harmonie avec lui-même, amour de soi etc. et aujourd'hui, il est divisé, aliéné. Comment parviendra t-il à cesser d'être en contradiction
avec lui-même ? Il donne donc une idée de nature étrangère à celle de Hobbes (l'état de nature pouvant être caractérisé selon Hobbes par
la violence etc.). La chute que Rousseau décrit, est une chute dans l'histoire (on inverse le schéma hobbesien) qui va se marquer par une
brisure de cette harmonie, de cet amour de soi, qui sera remplacé par l'amour propre. Avec Hobbes, on a beaucoup insisté sur la pensée
artificialiste de sa pensée, chez Rousseau, on a autre chose : ce n'est plus de l'artificialisme, mais quelque chose qui semble marquer le
retour en force de l'idée de nature. Avec ce retour, et toute la métaphysique liée, on retrouve un certains nombres de schémas relevant de
l'esprit religieux.
Rousseau, tout au début de son livre (Folio, P.62), dit « Commençons par écarter tous les faits car ils ne touchent point à la
question qui est la mienne ici ». Plusieurs interprétations possibles, mais on peut la mettre en relation avec toute la démarche de
Rousseau qui consiste à s'efforcer et à orienter son regard du côté de ce qui subsistent une fois qu'on a ôté tous les artifices
(contrairement à Hobbes donc). Là aussi, on y voit des référents au religieux, mais surtout au mythe. En gros, écartons donc tous les faits,
et effectuons des raisonnements hypothétiques. Dans cette démarche de la pensée qui va aux origines, qui s'efforcent d'aller saisir du
côté mythique quelque chose qui serait à l'origine : il faut insister sur le fait que la pensée de Rousseau ne relève pas d'un naturalisme naïf
comme on a pu le penser parfois. « Faut-il détruire les sociétés, anéantir le tien et le mien (la propriété), et retourner vivre dans les forêts
avec les ours ? Conséquence à la manière de mes adversaires, que j'aime autant prévenir que de leur laisser la honte de la tirer  ». Bref, il
n'est en aucun cas question de retourner dans un état de nature, de « vivre avec les ours ». Voltaire, qui a beaucoup critiqué de
Rousseau, a écrit, après ce livre « il prend envie de marcher à quatre pattes, quand on lit votre ouvrage  ». Rousseau répondit qu'un tel
retour serait un miracle et qu'il ne devrait pas tenter de revenir à quatre pattes ^^. Bref, il ne faut pas se réduire à le critiquer sur une
« naïveté » naturaliste. (Paul « Moi Rousseau m'agace très souvent même s'il a un style extraordinaire... mais il ne faut pas ne l'interpréter
par comme on peut le faire parfois dans les classes de Terminale, en le réduisant à quelqu'un qui veut retourner à l'état de nature »). La
voie du retour n'a donc aucune pertinence pour Rousseau, il n'a donc jamais prôné qu'il fallait retrouvé cet existence à l'état de nature.
Tout le problème politique de Rousseau est de trouver une voie dans laquelle, tout en acceptant l'inéluctable sortie de l'état de nature, on
puisse néanmoins vivre sans être divisé avec soi-même (c'est l'objet du Contrat social).
Le retour par le mythe ne sert qu'à dégager ce qui lui paraît être essentiel, le contraste entre l'homme à l'état civil et à l'état
naturel. Dans le chapitre 8 du livre 1 du Contrat social, De l'état civil, il écrit : « Ce passage de l’état de nature à l’état civil produit dans
l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui
leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir, succédant à l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme,
qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes, et de consulter sa raison avant d’écouter ses
penchants. ». Le projet de Rousseau, du Contrat social, exprime une valorisation de l'état civil tout à fait clair mais, dans le second
discours, le problème est de critiquer la société telle qu'elle est devenue, sans jamais proposer de revenir à l'état naturel (on avait compris
Paul).
Nous avons donc ce premier état, qui précède la déchéance : mais qui est responsable au fond de cette déchéance, de cette
chute ? On ne peut incriminer ni Dieu, ni la nature selon Rousseau. Dans le mythe chrétien, la réponse à cette question est simple :
l'Homme est responsable de la chute (la Pomme etc.). Chez Rousseau, précisément, et c'est là où le problème commence, c'est plus
compliqué : d'un côté, il ne s'agit de ne pas imputer la responsabilité à Dieu et à la nature ; ce serait donc logiquement, l'Homme. Dans
Emile, il dit : « Homme, ne cherche plus l'auteur du mal ; cet auteur, c'est toi-même. Il n'existe point d'autre mal que celui que tu fais ou
que tu souffres, et l'un et l'autre te vient de toi. » : c'est une perspective proche de celle de Kant. Mais comment est-ce possible si l'homme
est naturellement bon ? C'est là où Rousseau innove : il va définir un nouveau sujet d'imputabilité, il va résoudre le dilemme (ni Dieu, ni la
nature, ni l'Homme parce qu'il est bon) en plaçant la responsabilité à un endroit où jamais personne n'avait cherché, en créant un nouveau
sujet de responsabilité « Ce sujet n'est pas l'homme isolé mais c'est la société humaine » (Ernst Cassirer). L'innovation de Rousseau est
ici majeure. La responsable, c'est la société telle qu'elle est devenue, telle qu'elle s'est constituée, sur de mauvaises bases, avant même le
Contrat social.
En France, on a une tendance à penser que la responsabilité individuelle, c'est à droite, tandis qu'à gauche, on pense plutôt
que c'est la société la responsable (attention, c'est extrêmement caricatural). La pensée de gauche s'est souvent orientée vers la critique
du système : C'est un héritage de la pensée Rousseauiste. En Allemagne, un peu plus tard, lorsque Kant écrit son texte sur les lumières, il
ne prendra pas le même chemin puisqu'il dira d'emblée que la minorité (= « l'incapacité de se servir de son entendement sans la direction
d'autrui ») est due à notre propre faute, est résulte d'un manque de résolution et de courage individuel de se servir de son propre
entendement, de sa propre pensée. Ex. trivial : Prenons de jeunes gens qui brulent des voitures. En tant que Rousseauiste, on penserait
que ce sont des exclus, victimes de la société et cette dernière est donc responsable, c'est elle qui a produit ce type de situation. En tant
que Kantien, on dira pas ça, mais simplement que ces individus n'ont pas le courage, l'audace de penser par eux-mêmes : s'ils se
comportent comme des mineurs, c'est parce qu'ils n'assument pas de se comporter comme des majeurs. On impute la responsabilité aux
individus eux-mêmes. D'où les différences de conceptions entre l'Allemagne et le France (toujours dans la caricature). Là où les pensées
de gauche en Allemagne, semblent cultiver la pensée de l'individu et du sujet, et donc de la responsabilité individuelle, les pensées de
gauche françaises semblent mettre l'accent sur la critique du système. La pensée des sciences sociales, en France, tend à être une
pensée Holiste (on part du tout et on détermine l'individu en sociologie française), tandis qu'en Allemagne, on part bien plus, en sociologie,
d'un point de vue individualiste (on part de l'individu pour déterminer la société) : il y a là une sorte de matrice pour comprendre tous ces
chassés-croisés entre la France et l'Allemagne dans les qualifications droite-gauche (Par ex. Foucault, lu par un Habermas, passerait
probablement pour un anti-moderne).

Dans la seconde partie du livre, moins « mythique » mais plus « historique », il va analyser la manière dont les inégalités ont
pris force de loi, se sont « institutionnalisées ». C'est une partie extrêmement fondamentale et qui permet de comprendre l'humanisme
moderne. Rousseau s'interroge sur les différences entre l'Homme et l'animal (N.B. : il faut voir dans ces comparaisons faites par les
philosophes, des tentatives qui visent à comprendre l'homme). La Boétie prenait l'exemple de la bête afin de voir ce qui ressemblait entre
elle et l'homme. Rousseau lui, recherche plutôt la distinction : l'homme, contrairement à l'animal est libre et perfectible. « Je ne vois dans
les animaux qu'une machine ingénieuse ». L'un (l'animal) choisit et rejette par instinct, l'autre (l'Homme) par un esprit de liberté. La bête
ne peut s'écarter de la règle qui lui a été prescrite même si c'est avantageux pour elle de le faire. Ex. du Pigeon : il pourrait mourir de faim
près d'un bassin rempli de viande, ou un chat sur un tas de fruit, alors qu'il pourrait manger ces aliments ou du moins essayer. Chaque
animal est déterminé par une règle une bonne fois pour toute, c'est une machine donc. Les animaux ne s'écartent pas de ce qu'ils sont,
quittent à mourir. D'un autre côté, l'homme est capable, car il n'est pas déterminé, d'échoir, de se dépraver, car il n'a pas d'instinct qui lui
sert de garde-fou : « C’est ainsi que les hommes dissolus se livrent à des excès, qui leur causent la fièvre et la mort  ; parce que l’esprit
déprave les sens, et que la volonté parle encore, quand la nature se tait ». Rien n'empêche l'homme de commettre des excès terrifiants
« de mousse au chocolat au point d'en mourir sur place » (Merci Paul). L'opposition, à partir de là, est clairement tracée : l'homme ne se
caractérise pas par l'instinct, par une règle donnée une fois pour toute, et cela, pour le meilleur et pour le pire. De même, rien ne
l'empêche de se perfectionner : l'Homme est perfectible, là où l'animal est déterminé. Pour le meilleur et pour le pire car Rousseau
constate par une question : « pourquoi l'homme seul est-il sujet à devenir imbécile ? ». En effet, l'homme seul, tombera plus bas que la
bête alors même qu'en groupe il a atteint un meilleur niveau de perfectibilité. Les animaux sont incomparablement plus intelligents que
nous au début, tout du moins autonomes, mais plus on avance plus l'homme le rattrapera et le dépassera. Voilà pourquoi l'homme est
libre et perfectible... encore une fois pour le meilleur et pour le pire. Ce qu'on appelle à tort la bestialité de l'homme, vient précisément de
sa capacité de dépravation... s'il était tenu par instinct... il ne serait pas bestial ! Cette manière de faire jouer l'opposition entre la liberté
humaine et l'instinct animal est une chose acquise par l'humanisme moderne : on retrouve ces mêmes passages chez Kant et Fichte.
C'est aussi une forme d'anthropologie moderne : l'homme se définit ici par sa capacité d'arrachement (affranchissement du déterminisme),
par sa liberté. A la fin du 19ème siècle se déploit toutefois l'idée que l'homme ne soit pas libre (c'est même le tournant des deux derniers
siècles) : exemple de la pensée racialiste (qui pense qu'aucun être humain ne peut s'arracher de ses caractéristiques biologiques : c'est
donc du déterminisme). La pensée de Rousseau est en affinité avec l'humanisme moderne comme nous l'avons dit, mais aussi avec celle
des Lumières sur ce point.
Qu'est ce que l'homme gagne et perd avec son passage à l'état civil ? « Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa
liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et qu'il peut atteindre; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce
qu'il possède (on retrouve Hobbes ici) ». Il faut donc bien distinguer la liberté naturelle, qui n'a pour bornes que les forces de l'individu, et
la liberté civile, limitée par la volonté générale. Rousseau, à la fin du chapitre 8 du Contrat social exprime : « on pourrait, sur ce qu'il
précède, ajouter à l'acquis de l'état civil, la liberté morale : la liberté morale qui seule rend l'homme vraiment maître de lui, car l'impulsion
du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté  ». On voit là l'idée de liberté dite moderne qui est ici
pensée comme autonomie : la liberté moderne n'est pas à confondre avec l'arbitraire de la subjectivité (faire ce que l'on veut etc.) : la
liberté c'est, chez Rousseau, comme chez Kant, cette capacité qu'on les hommes à se donner à eux-mêmes leurs propres lois. L'homme
anthropologiquement parlant n'est pas déterminé par quelque chose comme un instinct, mais s'il n'obéit qu'à ses appétits, il est en réalité
esclave : l'homme étant capable du meilleur comme du pire, il lui reste à assumer sa liberté en se donnant des lois. Il y a là tout le
problème de Rousseau : comment conserver ce qui est précieux, c'est à dire la liberté chez l'homme sauvage, comment faire pour
retrouver cette plénitude, cette non-division qui caractérise l'homme à l'état de nature, dans la société... Sa réponse est encore une fois
dans le Contrat social. Jusqu'à présent, la société telle qu'elle s'est constituée est partie sur des mauvaises bases, sur une
institutionnalisation du malheur, de l'inégalité. Ce que Rousseau décrit dans cette seconde partie fait immédiatement penser, à bien des
égards, à ce que Hobbes décrit de cet état de nature. Rousseau nous a décrit la chute dans la première partie : cette chute est la sortie de
l'amour de soi et l'entrée dans l'amour propre, mais c'est aussi, - il le décrit dans la seconde partie –, une chute dans l'histoire, dans une
société qui s'est établie sur des inégalités qui ont acquis force de loi (cette chute fait penser à l'état de nature de Hobbes). Dans cette
seconde partie, Rousseau nous donne une description de ce qui constitue en fait comme un second état de nature. Rousseau utilise plus
précisément la notion de « nouvel état de nature ». Dès le début de la seconde partie, il dit cette phrase très connue «  Le premier qui,
ayant enclos un terrain, s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société
civile. Que de crimes, que de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui,
arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : Gardez-vous d'écouter cet imposteur; vous êtes perdus, si vous
oubliez que les fruits sont à tous, et que la terre n'est à personne  ». Au bout du compte, à la fin de cette société injuste, les hommes
redeviennent égaux dans le malheur... « c'est ici que tout se ramène à la seule loi du plus fort », et par conséquent, l'homme retourne « à
un nouvel état de nature » (qui est différent) : c'est le retour évident à la pensée de Hobbes.
Le sauvage, son inexistence nous étant inaccessible, vit en lui-même alors que l'homme sociable du nouvel état de nature, vit
hors de lui, il ne sait vivre que dans l'opinion des autres (c'est une des définitions de l'amour propre). L'homme sociable, de la société de
déchéance, vit constamment sous le regard d'autrui, il vit hors de lui (thématique de l'aliénation). Il n'est pas dans l'authenticité, il est
étranger à lui même.

Concernant l'évolution sur le plan de la pensée politique entre Hobbes et Rousseau : on y voit une reprise de certains termes
mais dans une architecture qui est très différente. Si on essaye d'avoir en tête le mouvement de l'histoire, ce qui est intéressant c'est que
le problème de Hobbes n'est pas le problème de Rousseau (« Il ne s'agit pas de savoir qui est le plus intelligent... quoi que j'ai déjà posé
des questions pour faire chier les élèves telles que ''Pourquoi Descartes est plus intelligent que Rousseau ?'' »). L'urgence chez Hobbes
était de sortir de cette misérable situation qu'est l'état de guerre qui désignait la violence. C'est de là qu'il va sortir se théorie de l'État
absolu : l'état de nature était une déchéance, où la vie n'était que violence, et l'entrée dans l'histoire se faisait par l'artificialisme de la
construction politique de l'État absolu. Le problème au XVIIIème n'est plus celui là, il s'est déplacé sur de nombreux points, mais en gros,
ce n'est plus celui de construire un État capable de faire régner l'ordre, d'imposer des lois, le problème est plutôt de poser des limites à cet
absolutisme, de rendre la société, non seulement pacifique, mais aussi et surtout plus juste, avec donc plus d'égalités, notamment sur le
plan de la participation politique. Quelques années après, les révolutions politiques feront un pas dans cette direction. Après la révolution
viendra un auteur qui s'efforcera de penser en profondeur avec un sens de l'ambiguïté tout à fait remarquable, à savoir Tocqueville, en
considérant que le passage de la société aristocratique à la société démocratique se fait à travers un processus d'égalisation des
conditions qui pose de nouveaux problèmes et de nouvelles réflexions.
Paul veut souligner un autre point, sur l'écriture même de Rousseau, tant dans le Contrat social que dans le Second Discours :
Le succès politique de son œuvre à quelque chose à voir avec le fait qu'il a une critique extrêmement radicale (en parlant de nouvel état
de nature, il dit presque que la société est une « non-société »). Bref, on peut difficilement faire plus radical. Mais au nom de quel idéal
Rousseau critique t-il cette société ? On pourrait penser que c'est au nom de la société grecque, du moins, il donne parfois cette
impression. Rousseau ne propose pourtant pas de revenir à la société grecque. Dans le livre 3 chapitre 15 du Contrat social : il parle
explicitement des sociétés antiques qui sont fondées sur un esclavage à grande échelle. « Pour vous, peuples modernes, vous n'avez
point d'esclaves, mais vous l'êtes ; vous payez leur liberté de la vôtre. Vous avez beau vanter cette préférence, j'y trouve plus de lâcheté
que d'humanité » (N.B. : C'est dans ce même passage qu'il critique la démocratie représentative qui n'est qu'une forme d'esclavagisme
moderne). La cité grecque semble ainsi être le point d'appui de la critique qu'il fait, mais ce n'est pas son point de référence car il ne s'en
réclame pas. Dans l'écriture de Rousseau, on ne sait jamais trop bien de quoi vraiment il parle : Il fait référence à des systèmes politiques
anciens sans les prendre explicitement comme modèle, sans en demander un retour... et il fait un projet (Contrat social) utopique... tout en
critiquant férocement la société. Il y a là une sorte de mauvaise foi selon Paul mais «  je me trompe peut être ». Paul croit que cette
mauvaise foi a très largement contribué à la popularité de la critique de Rousseau. En effet, cette absence de modèle de référence s'est
perpétuée dans les milieux protestataires qui vantent les mérites de Rousseau.

Mardi 13 janvier 2009

Rousseau est donc à bien des égards un philosophe et un écrivain ambigu. Comme nous avons insisté, l'une des dimensions
les plus importantes de la pensée de Rousseau le rattachait à la tradition de la modernité politique, à la tradition de l'humanisme moderne
et il est très proche de Kant. Proche sur un point sur lequel Kant ne cessera de lui rendre hommage à savoir la pensée de l'autonomie.
Comme nous l'avons dit, il ne prône pas un retour « avec les ours » comme le critiquait Voltaire. Dans son triptyque, dans sa vision de
l'histoire, Rousseau imagine un premier état de nature, qui est ce moment paradisiaque caractérisé par l'amour de soi dans lequel les
hommes sont simplement heureux de vivre, puis succède la chute initiée notamment par la propriété privée, et les mauvaises institutions
fondées par les hommes : ce sont des mauvaises bases, fondées sur l'inégalité. Cette chute est présentée par Rousseau lui-même
comme un nouvel état de nature, et dans ce nouvel état, Rousseau fait considérablement penser à la caractérisation hobsienne de l'état
de nature (en fait, on retrouve dans le nouvel état de nature de Rousseau, la description que Hobbes donne de l'état de nature). Le
premier état de nature pour Rousseau ne doit pas être compris comme une description réaliste (« commençons par écarter tous les
faits »). Il vise donc à nous faire comprendre une certaine évolution, et il doit pouvoir succéder pour Rousseau un véritable état civil fondé
sur le Contrat social tel qu'il l'imagine. Le Contrat social nous décrit telle que la société pourrait devenir. Dans le Contrat social: «  Ce
passage de l’état de nature à l’état civil produit dans l’homme un changement très remarquable, en substituant dans sa conduite la justice
à l’instinct, et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant. C’est alors seulement que la voix du devoir, succédant à
l’impulsion physique et le droit à l’appétit, l’homme, qui jusque-là n’avait regardé que lui-même, se voit forcé d’agir sur d’autres principes,
et de consulter sa raison avant d’écouter ses penchants.  », on voit bien ici que Rousseau, en notant un progrès moral, n'est pas
nostalgique de l'état de nature. Il déplore juste que l'homme soit divisé avec soi-même, toujours à vouloir se conformer au regard d'autrui,
dans la comparabilité incessante. Pour changer cela, il ne prône pas un retour à l'état de nature, la solution se trouve dans le Contrat
social : c'est l'autonomie. Le problème de Rousseau est de trouver une solution telle que l'Homme vivrait dans la société avec les autres,
autrement dit dans l'état civil, mais dans lequel néanmoins il serait libre comme dans le premier état de nature, dans lequel il retrouverait
son amour de soi, qui est aujourd'hui corrompu en amour-propre. Le Contrat social répond donc à ce problème. Même s'il a pu critiquer le
progrès moral dans son premier discours (la réponse à la question de l'université de Dijon, voir supra), il ne le fait plus dans ce second
discours et dans le Contrat social. Il essaye de faire la balance lors du changement de société : « Réduisons toute cette balance à des
termes faciles à comparer. Ce que l'homme perd par le contrat social, c'est sa liberté naturelle et un droit illimité à tout ce qui le tente et
qu'il peut atteindre; ce qu'il gagne, c'est la liberté civile et la propriété de tout ce qu'il possède  » : Rousseau n'est pas nécessairement
contre la propriété. Il montre bien dans ce passage qu'il y a une propriété légitime et une propriété illégitime. L'ancienne propriété, celle qui
a été instituée dans la société que Rousseau compare à un nouvel état de nature, a été bâtie par la ruse, la force, cette dernière ayant
tentée de se donner le droit comme légitimation. Cela n'a institué qu'une illégalité consacrée/gagnée par la force. Dans le Contrat social,
Rousseau montre que la propriété n'est pas condamnable en soi dès lors qu'elle est acquise sur des fondements qu'il appelle « positifs ».
« On pourrait, sur ce qu'il précède, ajouter à l'acquis de l'état civil, la liberté morale : la liberté morale qui seule rend l'homme
vraiment maître de lui, car l'impulsion du seul appétit est esclavage, et l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté  » : C'est très
précisément la définition de la liberté chez Kant (Paul rappelle l'épisode de la mousse au chocolat... il a pas compris qu'il se répète là). De
fait, Kant est précisément celui qui a thématisé dans ses œuvres philosophiques l'autonomie et la liberté ou qui a défini l'une par l'autre.
Dans « Qu'est ce que les lumières ? » : « Les lumières, c'est la sortie de l'homme hors de l'état de tutelle (ou minorité) dont il est lui même
responsable ». Chez Kant l'homme est pensé comme naturellement majeur et artificiellement mineur car en principe il est capable de
d'utiliser son propre entendement. Les lumières, chez Kant, désigne ce processus qui n'est autre que celui du passage progressif d'une
société fonctionnant à l'hétéronomie vers une société fonctionnant à l'autonomie « Aie le courage de te servir de ton propre entendement !
voilà la devise des lumières ». Kant n'est pas naïf, il voit bien que la plupart du temps, la plupart des hommes vivent comme s'ils étaient
mineurs. Il n'en reste pas moins, qu'ils sont naturellement majeurs, ça ne change pas son point de vue. Il est néanmoins difficile pour
l'individu de s'arracher tout seul à la minorité qui semble être devenue pour l'homme, comme une nature, une seconde nature. Cette
seconde nature correspond bien à la description que fait Rousseau du nouvel état de nature. Ce second état de nature, cette chute dans
l'histoire et dans la société, cette minorité qui est devenue comme une nature pour l'être humain c'est évidemment un état que les deux
constatent et qu'ils critiquent au nom de ce que la société pourrait devenir ou au nom de ce que l'homme est naturellement pour Kant. Les
deux textes se font écho(e)s. La Boétie trouve également un écho dans le texte de Kant : lorsque Kant dit que la minorité n'a qu'un
responsable, c'est l'Homme lui même qui accepte de vivre dans l'état artificiel de minorité par manque de courage. Il est difficile pour
l'Homme de s'arracher lui même de la minorité. C'est un passage intéressant car il renvoit à quelque chose de fondamental dans la
philosophie de Kant : Dans « Qu'est ce que s'orienter dans la pensée ? » à propos de la liberté : « à la liberté de pensée s'oppose en
premier lieu une contrainte civile. On dit qu'il est vrai que la liberté de parler ou d'écrire peut nous être ôté par une puissance supérieure
mais non pas la liberté de pensée ». En gros, on pourra pas nous empêcher de penser même si on peut nous empêcher de
publier/s'exprimer (= faire un usage public de la raison). Mais si on nous empêche cela, pour Kant : «  dans cette situation, penserions-
nous beaucoup et penserions-nous bien si nous ne pensions pas pour ainsi dire en commun avec d'autres, qui nous font part de leurs
pensées et auquel nous communiquerions les nôtres ? » ; « Aussi bien l'on peut dire que cette puissance extérieure qui enlève aux
hommes la liberté de communiquer publiquement leurs pensées, leur ôte également la liberté de pensée ». Dans un premier temps, on
peut pas apparemment empêcher quelqu'un de penser car la pensée est intérieure. Mais Kant conteste qu'il peut y avoir une vraie
capacité de pensée seule. On ne peut pas penser seul, la solitude empêche de penser. Un pouvoir tyrannique ou totalitaire qui empêche
les hommes de communiquer entre eux les empêchera également non pas, en fait, de penser mais de bien penser. On ne pense pas bien
seul. Ainsi, des philosophes du XXème siècle telle que Hannah Arendt ont expliqué que les totalitarismes ont atomisé la société, les ont
dérelier, ce qui provoquait un état non seulement d'isolement mais aussi un état de désolation et de désolement. Arendt reprend sur ce
point là la perspective de Kant. La liberté de pensée est liée à notre capacité d'entrer en relation, en dialogue, de communiquer avec les
autres, de construire des relations avec les autres etc. il y a également une dimension plus profonde encore dans la dimension kantienne
sur ce point là : comment se fait-il qu'on ne puisse pas bien penser seul ? En résumé, on pourrait dire que c'est la sentence fondamentale
du criticisme (= une philosophie critique) kantien... Précisons ce point : On sait que la philosophie de Kant est composée de 3 critiques :
 Critique de la raison pure : « Que puis-je savoir ? » (connaissance scientifique)
 Critique de la raison pratique : « Que dois-je faire ? » (connaissance morale)
 Critique de la faculté de juger : Réflexion sur notre capacité d'émettre des jugements.
Ces 3 critiques forment le criticisme kantien. On ne peut donc véritablement comprendre ce passage qu'en faisant référence à ce qu'on
appelle la révolution « copernicienne » de Kant. Cette révolution porte sur une certaine définition de la vérité, de l'objectivité de ce que
Kant critique. C'est une certaine conception de la vérité qui implique l'idée de d'extériorité de l'objet : un tel regard permettrait d'être
objectif... Kant dit que ça ne peut pas marcher ainsi, car on ne peut jamais savoir ce que sont les choses en soi. On peut juste savoir ce
que sont les choses pour nous, la manière dont les choses nous apparaisse : c'est le phénomène (= la chose telle qu'elle nous apparaît)
qu'il faut distinguer de la chose qui serait la chose en soi, à savoir les noumènes. Si on admet qu'on perçoit tout par le temps et l'espace
(catégorisés dans la sensibilité), alors nous n'avons pas accès aux choses en soi, c'est un objectivisme impossible, sauf à sacrifier à toute
idée de vérité. Et, Kant ne se débarrasse pas de la vérité, mais prétend qu'il faut s'y prendre autrement : Le propos consiste à dire que la
seule manière d'attester de la réalité de nos représentations passe par l'argumentation, l'intersubjectivité, le dialogue, la relation aux
autres. Sans inter-subjectivité, communication, on ne peut pas dégager de l'objectivité, de la vérité. La seule manière de vérifier que ce
qu'on dit n'est pas simplement subjectif passe par l'intersubjectivité. Ainsi l'objectivité est inaccessible sans dialogues. On ne peut donc
pas penser sans les autres en raison de la révolution copernicienne kantienne. Kant est à cet égard le premier grand penseur «  laïque »
de l'histoire : enfin, c'est le premier à ne pas avoir besoin de Dieu pour rechercher l'objectivité (contrairement par exemple à Descartes qui
avait besoin de la garantie divine). Dans un monde dans lequel nous vivions encore dans l'évidente réalité religieuse des choses, lorsque
la vérité du monde était garantie d'une manière dogmatique, ce problème ne se posait pas de la même façon. Le monde de la tradition, de
l'hétéronomie, tel qu'on peut l'imaginer est un monde dans lequel on vivait dans l'évidence du sens, c'était le monde religieux. Dès le
« désenchantement du monde », l'évidence du sens s'effondre. Mais, dès lors, ce que vous prenez pour évidence, le voisin d'à côté le
conteste. La grandeur de Kant c'est de partir de la subjectivité, de critiquer le dogmatisme objectivisme (= il n'y a que des représentations
objectives) sans pour autant sonder le dogmatisme subjectivisme (= il n'y a que des représentations subjectives). Il pense à partir de
l'intersubjectivité. Lorsque Kant considère que la seule manière de faire avancer la liberté, c'est l'usage public de la raison, il fait référence
à tout ça. Cette révolution copernicienne kantienne est indispensable afin de comprendre le criticisme kantien.

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