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Filière : Études Françaises

Semestre : 6

Module : Sociolinguistique

Professeur : W. AIT KAIKAI

Année universitaire : 2021-2022

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Plan du cours

Introduction

I. Genèse et contextes de la sociolinguistique

II. Les limites du structuralisme

III. Définitions de la sociolinguistique

IV. La sociolinguistique à l’intersection des disciplines

V. La sociolinguistique : disciplines annexes

VI. Les concepts fondamentaux de la sociolinguistique

VII. Bilinguisme/ plurilinguisme et diglossie

VIII.Les politiques linguistiques

IX. Le paysage linguistique marocain

Conclusion

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Introduction

Parler de la sociolinguistique consiste à rendre compte de l’articulation entre


deux disciplines, à savoir la linguistique et la sociologie. La première a pour objet
« l’étude du langage, des langues envisagées comme systèmes sous leurs aspects
phonologiques, syntaxiques, lexicaux et sémantiques ». Quant à la seconde, elle
vise à comprendre comment les sociétés fonctionnent et se transforment. D’où
l’intérêt qu’elle porte aux rapports entre individus et société dans laquelle ils
évoluent. Elle s’appuie sur « un ensemble de méthodes d’observation, de manières
de penser et de cadres d’analyse en évolution qui s’applique à une gamme illimitée
de phénomènes sociaux dont « l’identité et la citoyenneté ; l’intégration sociale et
la discrimination ; la migration des populations et la transformation des mœurs
sociales ».

La sociolinguistique est l’une des sciences du langage. William Labov, l’un des
pères fondateurs de la discipline considère « qu’il s’agit tout simplement de
linguistique » (Labov, 1976, p. 259). Avec cette affirmation, il prend position contre
les linguistes qui suivent la tradition saussurienne et les enseignements du Cours de
linguistique générale de F. de Saussure. Pour lui, ces derniers « s’obstinent à rendre
compte des faits linguistiques par d’autres faits linguistiques, et refusent toute
explication fondée sur des données antérieures tirées du comportement social »
(Labov, 1976).

La sociolinguistique prend en compte tous les phénomènes liés à l’homme


parlant au sein d’une société (Boyer, 1996). On peut considérer que l’émergence du
territoire de recherche de cette discipline s’est produite d’abord sur la base d’une
critique des orientations théoriques et méthodologiques de la linguistique
structurale.

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Ce module tentera de questionner plusieurs concepts sociolinguistiques,
notamment la communauté linguistique, les statuts et fonctions des langues, les
variétés linguistiques, le bilinguisme et le plurilinguisme, la politique linguistique,
l’aménagement linguistique, etc. Des concepts que nous attacherons tout
particulièrement au paysage linguistique marocain de par la diversité des langues
en présence et qui sont aussi en concurrence (conflits entre les langues).

I. Genèse et contextes de la sociolinguistique

1. Le contexte épistémologique

Le contact entre les disciplines a permis de dépasser les frontières qui les
séparaient jadis. L’interdisciplinarité devient un fait indéniable. La jonction entres
différentes disciplines permet d’aboutir à de nouvelles combinaisons, la
sociolinguistique, à titre d’exemple.

La linguistique n’échappe pas à ce contexte épistémologique. L’étude de la


langue pour comprendre un acte de communication ne se fait pas de façon isolée;
elle fait appel à deux composantes essentielles: l’homme et la société :

- la science du langage s’est donc adjointe à d’autres disciplines qui prennent en


compte les multiples facteurs déterminants du langage et qui agissent soit sur
l’individu dans la communication (la psycholinguistique), soit sur la communication
dans la société (la sociolinguistique);

- la communication dans la société est examinée sous l’angle du rapport entre le


langage d’une part, et, de l’autre, la société, la culture, ou le comportement. Le plus
souvent, on pose deux entités distinctes, le langage et la société (ou la culture), on
étudie l’un à travers l’autre. On a donc un seul objet d’études : le rapport langue/
société.

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- L’absence d’accord entre les chercheurs quant à la nature du rapport langue/
société aboutit à un ensemble de recherches aux appellations multiples : sociologie
du langage, sociolinguistique, ethnolinguistique, géolinguistique, linguistique
sociale, anthropologie linguistique, etc.

2. Le contexte historique

La naissance de la sociolinguistique dans les pays anglo-saxons et en France à


des périodes différentes, est perçue comme une réponse aux interrogations des
linguistes, en relation étroite avec le contexte politique et social qui a contribué à
son émergence.

Aux États-Unis, l’émergence de la sociolinguistique est associée à certains


facteurs socio-économiques :

- la « redécouverte de la pauvreté » qui touche essentiellement les minorités;

- un déficit budgétaire marque les années 1960-1970: augmentation continue des


dépenses que les recettes ne suivent pas;

- la seconde guerre du Vietnam qui aggrave la poussée inflationniste;

- l’aggravation du déficit extérieur américain de 1950 à 1975 ;

- la suspension de la convertibilité du dollar en 1971 ;

- les deux chocs pétroliers qui ont entraîné une accélération de l’inflation, une hausse
des prix, un ralentissement de la croissance accompagnés d’une aggravation du
chômage frappant les minorités linguistiques.

C’est la raison pour laquelle, des chercheurs marqués par un libéralisme


humaniste tels que Labov, Hymes et Fishman se sont fixés comme l’un de leurs
objectifs d’aider à résoudre des problèmes sociaux où se trouve directement
impliqué l’emploi du langage.
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En France, les préoccupations d’ordre sociologiques ne sont pas nouvelles. Elles
vont être réactualisées par la lecture de certains travaux de recherche anglo-saxons
qui sont venus renouveler la réflexion sur le langage en tant que pratique sociale.
C’est dans ce sens que Ducrot a fait connaître les recherches sur les actes du langage
et J.B Marcellesi et Gardin ceux de W. Labov.

La société française des années 1975-1985 est en crise, en témoignent les


conditions socio-économiques:

- chômage,

- poussée nationaliste-sécuritaire;

- déclin de la culture ouvrière ;

- xénophobie;

- problèmes d’intégration;

- opposition entre immigrés, chômeurs, minorités culturelles et les Français qui se


reconnaissent une place et un rôle dans le corps social.

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II. Les limites du structuralisme

1. Le structuralisme

William Labov, l’un des pères fondateurs de la sociolinguistique considère “ qu’il


s’agit là tout simplement de linguistique ” (Labov, 1978), en prenant ainsi position
contre les linguistes qui suivent la tradition saussurienne et les enseignements du
Cours de linguistique générale de F. de Saussure, et ne s’occupent nullement de la
vie sociale : ils travaillent dans leur bureau avec un ou deux informateurs, ou bien
examinent ce qu’ils savent eux-mêmes de la langue. On doit donc considérer que
l’émergence du territoire de recherches appelé sociolinguistique, s’est produite
d’abord sur la base d’une critique des orientations théoriques et méthodologiques
de la linguistique dominante: le structuralisme et d’une révision des tâches du
linguiste.

Pour Saussure, la langue constitue l’objet premier de l’analyse linguistique.


Toute langue évolue dans le temps et à travers des espaces variés. C’est ce qui
permet d’approcher certains concepts dans leurs rapports dualistes :

- Langue/parole

La langue est un système abstrait que se partagent les individus au sein d’une
communauté linguistique donnée. Quant à la parole, c’est la concrétisation de ce
code dans diverses situations de communication de la part de tel ou tel individu.
Une dualité qui rappelle celle de compétence et de performance.

- Signifiant /signifié

Le signifiant est l'image acoustique d'un mot. Ce qui importe dans un mot, ce
n'est pas sa sonorité en elle-même, mais les différences phoniques qui le
distinguent des autres. Sa valeur découle de ces différenciations. Le signifiant est
l'outil que nous utilisons à l'oral ou à l'écrit pour faire référence à une idée, à un
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concept, afin que la personne qui recevra l'information (le destinataire) comprenne.
Quant au signifié, c’est le concept, c'est-à-dire la représentation mentale d'une
chose.

- Synchronie/ diachronie

L’approche dite diachronique s’intéresse à l’histoire de la langue et étudie son


évolution dans le temps (étymologie, évolutions phonétiques, sémantiques,
lexicales, syntaxiques). Quant à l’approche dite synchronique, elle s’intéresse à une
langue à un moment précis de son histoire.

2. Le structuralisme et la sociolinguistique

- Linguistique de bureau et linguistique de terrain : à travers ces deux ces


expressions transparaît la différence dont la langue fait l’objet dans le cadre de deux
disciplines différentes mais complémentaires. La linguistique de bureau (approche
traditionnelle structuraliste) étudie la compétence linguistique. Elle travaille
souvent sur des énoncés fictifs, empruntés au corpus littéraire ou fabriqués ad hoc
par le chercheur lui-même. Quant à la linguistique de terrain (approche
sociolinguistique) travaille sur un corpus. Ce dernier est défini comme un ensemble
des faits collectés, recueillis grâce à une enquête menée selon de règles établies
empiriquement et conduite grâce aux techniques de l’observation directe, du
questionnaire et le l’entretien.

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III. Définitions de la sociolinguistique

La sociolinguistique est l’étude des caractéristiques des variétés linguistiques,


des caractéristiques de leurs fonctions et des caractéristiques de leurs locuteurs, en
considérant que ces trois facteurs agissent sans cesse l’un sur l’autre, changent et
se modifient mutuellement au sein d’une communauté linguistique. (Fishman,
1971).

La sociolinguistique traite différents types d’objets:

- la diversité ou variétés linguistiques:

- la communication conçue comme échange entre deux ou plusieurs acteurs sociaux,


et comme ensemble de pratiques socialisées;

- Les problèmes qui relèvent du plurilinguisme: emprunt, code switching….

- La sociolinguistique (le pluriel serait peut-être plus adéquat) est bien une
linguistique de la parole, c’est-à-dire une linguistique, qui sans négliger les acquis
de l’approche structuraliste des phénomènes langagiers, situe son objet dans
l’ordre du social et du politique, de l’action et de l’interaction, pour étudier aussi
bien les variations dans l’usage des mots que les rituels de conversation, les
situations de communication que les institutions de la langue, les pratiques
singulières du langage, que les phénomènes collectifs liés au plurilinguisme. (Boyer,
1991).

Labov prend ainsi position contre les linguistes qui suivent dogmatiquement
la tradition saussurienne et les enseignements du Cours de linguistique générale de
F. de Saussure (pour lui « la grande majorité »), et «ne s’occupent nullement de la
vie sociale : ils travaillent dans leur bureau avec un ou deux informateurs, ou bien
examinent ce qu’ils savent eux-mêmes de la langue.

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Ils s’obstinent à rendre compte des faits linguistiques par d’autres faits
linguistiques, et refusent toute explication fondée sur des données “extérieures”
tirées du comportement social » (Labov, 1976).

Les linguistes s’entendent généralement pour définir la sociolinguistique


comme étant le domaine de la linguistique qui établit le corrélat existant entre les
faits sociaux et les faits de langue. Cela signifie donc qu’elle s’efforcera de
déterminer quel type de locuteur parle, quelle variété de langue il utilise, à quel
moment, à propos de quoi et en présence de quels interlocuteurs.

Elle devra également déceler les lois sociales régissant le comportement


linguistique des individus à l’intérieur des différents groupes formés par ceux-ci. La
sociolinguistique ne doit pas être vue comme une simple branche de la linguistique
ou même une discipline interdisciplinaire.

Elle serait plutôt, selon un nombre grandissant de chercheurs, une façon de


remettre la linguistique sur ses pieds, une dé-construction et une re-construction
de la linguistique. (Tousignant, 2015)

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IV. La sociolinguistique à l’intersection des disciplines

Parler de la sociolinguistique consiste à rendre compte de l’une des manières


d’appréhender les relations entre « langue » et « société ». La sociolinguistique
étant le secteur de la linguistique à interpréter comme société+ linguistique.

1. La linguistique

« La sociolinguistique tâchera de mettre en relief le rapport qui existe entre


l’organisation du message que détermine l’analyse linguistique et la destination ou
l’implication sociale de ce même message. » En effet, le fait de demander l’heure
peut s’effectuer de différentes façons en fonction des conventions sociales :

Ex 1 : T’as l’heure, mec ? (un lycéen à son camarade de classe)

Ex 2 : Avez-vous l’heure, s’il vous plaît ? (le même lycéen à son professeur, par
exemple ou tout simplement à l’égard d’un adulte de façon générale, notamment
un passant dans la rue).

Ainsi le linguiste fait-il porter son attention sur le locuteur en tant que membre
d’une communauté, en tant que sujet dont le langage peut caractériser l’origine
ethnique, la profession, le niveau de vie, l’appartenance à une classe sociale…

Cette attention peut porter sur l’auditeur, sur les conditions de la


communication, sur le niveau socioculturel du message, sur le contenu sémantico-
social du discours (langage politique…).

Les principes généraux de la méthode se répartissent en deux


démarches successives :

- une description de la structure linguistique et, indépendamment, une description


de la structure sociologique ;

- une confrontation des deux descriptions établies précédemment.


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Généralement, le but visé est la connaissance de la société, le langage étant le
moyen qui permet cette connaissance.

Rappelons dans ce sens les critiques de Labov à l’égard de la conception


structuraliste de la langue qui considère que « la sociolinguistique, c’est tout
simplement de la linguistique ».

Dans cette perspective de distance par rapport à la conception structuraliste de


la langue, Labov s’intéresse à la grammaire générative à travers notamment cette
distinction entre compétence et performance, en prenant en considération comme
objet d’étude la copule dans la langue des Noirs américains des États-Unis. C’est la
compétence des locuteurs qu’il veut abstraire de leurs performances effectives.

2. La sociologie

La sociologie implique une théorie linguistique (qu’observer ? que décrire ?) et


une conception systématique de la communauté parlante, une sociologie (qui
observer, dans quelles relations sociales ?).

On a fait observer qu’il n’existe pas de sociologie tout court : la sociologie est
médicale, politique, juridique, familiale, urbaine…Malgré cette genèse incertaine et
cette diversification, il existe cependant « un mode de pensée sociologique », une
façon de poser les problèmes et d’expliquer les faits appuyée par des techniques de
recherche nouvelles ».

La sociologie étant un champ disciplinaire auquel la sociolinguistique emprunte


plusieurs concepts et méthodes. Cette dernière montre que tout individu humain
est d’abord un objet social, le produit d’une socialisation.

Le langage est une forme de comportement social ; instrument de


communication entre les hommes, « répertoire de variétés linguistiques imbriquées
les unes dans les autres », il est à la fois un système de signes et de règles à la
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disposition du groupe et un moyen d’expression de l’individu. Partant de cette
dualité, la sociolinguistique privilégie l’élément social de la communication : la
société, la culture ne sont pas présents avec la langue et à côté de la langue, mais
présents dans la langue.

a. Les concepts empruntés à la sociolinguistique

- La notion de norme : la langue fait partie de la norme comme ensemble de


connaissances pratiques et théoriques dont dépend l’intégration à une
communauté. Un individu qui appartient à un groupe social (groupe
d’appartenance) peut moduler son comportement en fonction d’un groupe social
dont il n’est pas membre, mais qui lui sert de cadre de référence (groupe de
référence).

- La notion de rôle : le sujet social est assimilé à un acteur amené, dans le cours
d’une même journée, à remplir des rôles très divers (père de famille, enseignant,
membre d’un syndicat ou d’une association, etc.).

b. Les méthodes d’enquête

La sociolinguistique étudie la langue telle qu’elle est pratiquée au quotidien.


C’est donc l’usage de la langue dans différentes interactions orales qui prend le
dessus.

Les enquêtes sociologiques sont le résultat d’un processus qui commence par la
définition des buts et des hypothèses de travail, s’ensuit la détermination de la
population de l’enquête, c’est-à-dire l’ensemble des sujets à interroger et enfin
l’élaboration d’un questionnaire d’essai regroupant plusieurs types de questions,
notamment les questions fermées et les questions ouvertes. Une pré-enquête
(application du questionnaire d’essai à un petit nombre de sujets représentatifs de
la population de l’enquête) permet, entre autres, une redétermination de la

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population et la rédaction du questionnaire définitif, suivi de l’enquête proprement
dite et du dépouillement de l’analyse des résultats. Les résultats obtenus sont
croisés avec ceux des autres techniques : l’observation directe et l’entretien non
directif.

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V. La sociolinguistique : disciplines annexes

Outre la sociolinguistique, d’autres disciplines, dans le cadre des sciences


humaines, s’intéressent, elles aussi, à la relation entre « langue » et « société »,
notamment l’ethnolinguistique et la dialectologie.

1. L’ethnolinguistique

L’ethnolinguistique est l’association de deux champs disciplinaires : l’ethnologie


et la linguistique.

a. L’ethnologie

L’ethnologie est la science de l’autre – science des sociétés et des cultures


autres que celles auxquelles appartiennent les ethnologues – prend ses distances,
aujourd’hui avec l’ancrage rural, le passé, les traditions et le folklore… Elle s’efforce
de comprendre le fonctionnent, la diffusion et l’acceptation de la modernité et son
impressionnante cascade de conséquences en chaîne, politiques, économiques,
sociales et culturelles, elle part à la recherche de l’homo urbis, du quotidien, du
microsocial, du privé, de l’individu et de ses pratiques.

b. L’ethnolinguistique

Les recherches que l’on classe dans le domaine de l’ethnolinguistique, étude du


langage dans ses relations avec l’ensemble de la vie culturelle et sociale, sont très
variées : réflexions sur le langage et les langues, les littératures orales, les emprunts
linguistiques, le lexique, le multilinguisme, les articulations logiques du discours…
(cf. Langages n° 18, « l’ethnolinguistique, » Larousse, 1970).

Leurs objets, leurs thèmes de recherche ne sont pas en soi sociolinguistique :


le lexique relève de la linguistique, la conjonction de la grammaire… Ces activités
peuvent être définies comme ethnolinguistiques dès lors qu’elles permettent
d’appréhender les rapports entre langue et société et conceptions du monde, dès
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lors que leurs objectifs sont d’étudier « le message linguistique » en relation avec
l’ensemble des circonstances de la communication », ou « la relation de la société
à la parole ».

Dans la pratique, un critère géographique permet de délimiter


l’ethnolinguistique qui traite des langues dites exotiques et la linguistique qui étudie
généralement une langue de grande diffusion ou simplement européenne.

2. La dialectologie (ou géographie linguistique ou dialectale)

La dialectologie, « étude du dialecte et des dialectes » (Chambers et Trudgill,


Dialectology, Cambridge University Press, 1980, p.3), a la variation linguistique dans
l’espace comme fondement, domaine et argument méthodologique ».

a. La géographie linguistique

La géographie linguistique se donne pour tâche de décrire comparativement


les divers dialectes dans lesquels une langue se diversifie dans l’espace et d’établir
leurs limites ; elle définit des zones dialectales selon des critères phonétiques,
grammaticaux et lexicaux, mais peut également décrire des parlers pris isolément,
sans référence aux parlers voisins ou de même famille.

b. La dialectologie urbaine

La dialectologie urbaine veut mettre en évidence des « frontières » entre les


multiples formes que le parler des hommes peut manifester en rapport avec
l’organisation sociale, dans les villes.

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VI. Les concepts fondamentaux de la sociolinguistique

La sociolinguistique étudie différents problèmes liés aux interactions entre


individus que ce soit dans de petits groupes ou dans des groupes plus larges. Des
interactions qui mettent en avant la multitude des langues mais aussi des variétés
de langues à travers lesquelles elles ont lieu.

1. Communauté linguistique

a. Une communauté linguistique existe dès l’instant où tous ses membres ont
au moins en commun une seule variété linguistique, ainsi que les normes de son
emploi correct. Ainsi, une communauté linguistique peut se réduire à un groupe de
personnes fermé sur lui-même, dont tous les membres sont bien d’accord
ensemble, ayant besoin les uns des autres dans des circonstances déterminées.
Aucune de ces limitations, cependant, n’est caractéristique du monde entier, pas
plus que des communautés linguistiques étudiées par le sociolinguiste. (Fishman,
Sociolinguistique)

b. …une communauté née d’une communication intensive et/ ou d’une


intégration symbolique en relation avec la possibilité de communication, sans tenir
compte du nombre de langues ou de variétés employées ». (Fishman, 1971)

La communauté linguistique se définit moins par un accord explicite quant à


l’emploi des éléments du langage que par une participation conjointe à un
ensemble de normes ». (Labov, 1976)

Deux caractéristiques principales de la communauté linguistique ressortent


de ces deux définitions :

- l’intensité de la communication ;

- les normes partagées.

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 l’intensité de la communication :

L’intensité de la communication renvoie au nombre d’échanges et


d’interactions entre les membres d’une communauté linguistique et qui dépasse,
de loin, celui qu’ils ont avec des étrangers.

 les normes partagées :

Quant aux normes partagées, elles renvoient à l’usage correct de la langue et à


son adéquation avec la situation de communication où il est mis en avant.

2. Variation linguistique

Tous les locuteurs d’une langue ne parlent pas nécessairement de la même


façon. Les francophones français, québécois, belges ou sénégalais, à titre
d’exemple, n’ont pas le même accent ni le même vocabulaire et n’emploient pas
systématiquement les mêmes formes grammaticales. En dépit de cet état de fait, ils
arrivent à se comprendre mutuellement même si, par moment, c’est loin d’être une
tâche facile.

La variation dans les usages de la langue :

- La notion de la norme

Parler de la variation des usages interpelle différents concepts qui se


superposent : la norme, la règle et l’usage. Quelles acceptions peut-on attribuer à
la norme ? Elles sont en nombre de deux. La première renvoie à l’idée de précepte
et d’imposition c’est-à-dire à la manière avec laquelle il faudrait parler une langue,
ce qui est correct et ce qui ne l’est pas, notamment à travers des formules telle que :
ne dites pas… dites (plutôt). La seconde renvoie à celle de fréquence, d’habitude
majoritaire, autrement dit à la manière dont la langue est parlée à travers les
échanges spontanés de divers interlocuteurs ;

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- La notion d’usage

La variété des usages d’une langue est liée à plusieurs facteurs, à savoir :

 l’origine géographique : un Lillois ne parle pas comme un Marsellais, ni un


Québécois comme un Toulousain. De même qu’un Casablancais ne parle pas
comme un Rbati, ni un Fassi comme un Agadiri si nous prenons l’arabe dialectal
comme exemple. Des usages donc différents qui se traduisent par des différences à
plusieurs niveaux : lexical, syntaxique et phonétique.
 la diachronie : seul le temps permet de voir quelles sont les innovations qui
s’implantent dans le système et quelles sont celles qui ne répondent qu’à un effet
passager de « mode ».
 la situation : dès l’enfance, tout individu commence à acquérir une compétence
situationnelle (maîtrise des diverses situations de parole) qui s’affirme avec le
temps. Cette compétence permet au locuteur de moduler son discours – des points
de vue lexical et / ou phonétique et / ou syntaxique- selon les différentes situations
dans lesquelles il intervient, notamment en fonction du statut, de la position et de
l’attitude de l’interlocuteur, du rapport qu’il entretient avec lui (pair ou supérieur
hiérarchique), de la connaissance qu’il a de lui (et du degré de connivence qui les
lie), de ses réactions (regards, mimiques, etc.)…

Les linguistes et les sociolinguistes confèrent différents termes pour rendre


compte de la diversité des usages, notamment ceux en - lecte :

 l’idiolecte est la façon de parler caractéristique d’un individu ;


 le sociolecte est l’usage propre à une catégorie sociale particulière ;
 le technolecte est l’usage propre à un domaine professionnel donné ;
 le dialecte réfère à une variété de langue considérée d’un point de vue
géographique, à un parler régional différent du parler national officiel ;

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 le patois est un système linguistique essentiellement oral, utilisé dans des
espaces réduits par une communauté déterminée, et souvent perçue
comme inférieur à la langue officielle nationale ;
 l’idiome est un terme général qui se définit par l’ensemble des instruments
de communication linguistique utilisé par une communauté. Cette
terminologie très générique recouvre donc aussi bien les notions de langue,
de patois et de dialecte;
 la langue vernaculaire est la langue locale communément parlée au sein
d’une communauté. Ce terme s’emploie souvent en opposition avec les
termes de langue véhiculaire, standard, classique.

Tant de possibilités quant à l’usage des langues au sein d’une communauté


linguistique, auxquelles se superposent celles relatives aux interactions entre
locuteurs de langues distinctes, à travers notamment :

 la langue véhiculaire est une langue ou dialecte servant systématiquement


de moyen de communication entre des populations se langues ou de
dialectes maternels différents, tout particulièrement lorsqu’il s’agit d’une
langue tierce ;
 la koinè (< grec : koinos« commun ») désigne une langue commune qui
dépasse les frontières politiques d’un pays ; elle est acquise par des
communautés linguistiques différentes et utilisée comme vecteur de culture,
de science, de religion, de politique, de civilisation, de commerce, de
mode…Exp. L’arabe de tous les pays musulmans, le français des pays
francophones, le russe de l’ex Union Soviétique, l’anglais dans le monde
entier…

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Dans certaines conditions socio-historiques, la société peut-être un lieu de
création, de « naissance » d’une langue et de sa structuration : c’est le cas de ce que
l’on a coutume d’appeler des « langues mixtes », des langues naturelles empruntant
certains traits à une langue et certains traits à d’autres. On range sous cette
appellation […] des parlers dans des fonctions ou à des stades d’évolution
différents : pidgin, sabir, lingua franca, créole… Ces langues suscitent la plus grande
attention à la fois chez les linguistes et chez les sociolinguistes :

 le sabir est une langue véhiculaire et non maternelle comme le pidgin,


produit de mélange de plusieurs langues maternelles, souvent à usage
commercial ;
 le pidgin est une langue composite et véhiculaire, un amalgame d’éléments
linguistiques de deux ou plusieurs langues, née de besoins généralement
limités (commerciaux par exemple) entre au moins deux groupes parlant des
langues différentes, par un processus de réduction ou de simplification d’une
des langues de ces groupes, généralement celle qui occupe une position
sociale supérieure.

Ce processus est appelé pidginisation. Par définition, un pidgin, idiome


accessoire et de contact, n’est la langue maternelle d’aucun de ses locuteurs: il ne
remplace pas la langue d’origine de ceux qui le parlent, mais s’y substitue pour
certains types d’échanges :

 le créole apparaît lorsque ce pidgin devient la langue maternelle de d’une


partie ou de l’ensemble de la communauté linguistique où il est en usage. Ce
processus de « nativisation » s’accompagne d’une complexification du pidgin
ainsi que d’une diversification et d’une extension de ses pratiques appelées
créolisation. En conséquence, les créoles s’opposent généralement aux

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pidgins par une plus grande complexité fonctionnelle et structurelle et par
leur stabilité d’emploi. (Baylon, 1991)

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VII. Bilinguisme/plurilinguisme et diglossie

Dans une situation de contact de langues, le statut de chaque langue varie


suivant les rapports de domination entre les groupes qui les parlent et les
perceptions que les individus ont de ces rapports. Il s’ensuit que les usages
langagiers varient dans l’espace social et géographique en fonction de ces rapports
intergroupes, si ces rapports changent, les rapports de statut et donc les usages eux-
mêmes varieront.

1. Bilinguisme/plurilinguisme

Le terme le plus répandu dans la littérature française pour désigner aussi bien
une situation de contact de langues que l’individu ou le groupe qui utilisent deux ou
plusieurs langues est celui de bilinguisme, terme qui tend à être supplanté par les
termes plus généraux de plurilingue et plurilinguisme.

Par bilinguisme ou plurilinguisme, il faut entendre le fait général de toutes les


situations qui entraînent un usage, généralement parlé et dans certains cas écrit, de
deux ou plusieurs langues par un même individu ou un groupe. ‘’Langue’’ est pris ici
dans un sens très général et peut correspondre à ce qu’on désigne communément
comme un dialecte ou un patois » (Tabouret-Keller, 1969).

Les définitions de la notion sont naturellement abondantes : pour certains il n’y


a bilinguisme que dans le cas d’une maîtrise parfaite et identique des deux langues en
cause, alors que pour d’autres le bilinguisme commence dès qu’il y a emploi
concurrent de deux langues, quelle que soit l’aisance avec laquelle le sujet manie
chacune d’elle.

« Le vrai bilinguisme comporte non seulement le domaine structural de deux


codes linguistiques mais, plus profondément, la possession hautement
personnalisée de deux systèmes de pensée […] et dès lors de deux cultures. Le vrai

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bilinguisme est en même temps biculturalisme. Ce n’est que dans ce sens que le
bilinguisme, plutôt que représenter un obstacle pour le développement de
l’individu représente un enrichissement de la personnalité. Evidemment, l’idéal
d’un parfait équilibre entre deux langues et deux cultures est pratiquement hors
d’atteinte »

Le bilinguisme peut être considéré soit comme le fait d’un individu


(bilinguisme individuel) soit comme le fait d’une communauté (bilinguisme
sociétal).

a. Les types de bilinguisme


- Bilinguisme équilibré et bilinguisme dominant :
 On entend par bilinguisme équilibré un niveau de compétence équivalent
dans les deux langues : cette compétence permet de réaliser des tâches
cognitivement complexes dans les deux langues.
 Dans le bilinguisme dominant (moins équilibré) le niveau de compétence est
asymétrique entre les deux langues : la compétence dans la langue
maternelle est supérieure à celle dans l'autre langue. Ce type bilingue
réussira à réaliser des tâches exigeantes dans une langue mais pas dans la
deuxième.
- Bilinguisme additif et bilinguisme soustractif :
 On parle de bilinguisme additif si les deux langues sont suffisamment
valorisées dans l’entourage socioculturel de l’enfant. L’appropriation d’une
deuxième langue est valorisée et représente un enrichissement pour le
développement cognitif de l’enfant. Dans ce cas, l'enfant est capable de
développer une plus grande flexibilité cognitive par rapport à l'enfant
monolingue qui n'a pas cette expérience. La deuxième langue est acquise
sans que la langue de base ne soit sacrifiée.

24
 Le bilinguisme soustractif : contrairement au bilinguisme précédant, la
langue maternelle dans ce cas, est dévalorisée dans le milieu socioculturel de
l'enfant. L’appropriation de la deuxième langue se fait au détriment de la
première. Par conséquent, le développement cognitif du locuteur risque
d'être ralenti : la langue seconde risque de submerger et d’engloutir la langue
initiale.

Il n’est pas nécessaire de maîtriser les langues couramment pour être qualifié
de plurilingue. Il suffit d’être en mesure de mobiliser les ressources linguistiques
suffisantes pour communiquer avec différents interlocuteurs.

On parlera plus spécifiquement de “bilinguisme” quand la personne maîtrise


couramment deux langues, et de “trilinguisme” quand la personne maîtrise trois
langues. Au-delà de trois langues, l’individu sera qualifié de plurilingue, ou encore
de polyglotte. En revanche, si l’individu ne parle qu’une seule langue, on utilisera
alors le terme “monolinguisme”, ou encore “unilinguisme”.

b. Les mesures du bilinguisme

En effet, mesurer le bilinguisme chez une personne ou dans une communauté


suppose l'introduction d'une procédure d'évaluation de certaines grandeurs qui
n'ont de définition exacte que d'être relatives et variables d'une personne ou d'une
communauté à une autre.
Ainsi propose-t-on (w.mackey, w.labov, j.a.fishman…) de le mesurer à partir
d'un ensemble de paramètres qui demeurent approximatifs comme :

 Le degré :
Le degré de bilinguisme peut être testé, sur la base de "mesures comparatives",
en examinant notamment les compétences langagières dans chacune des langues.
Il est toutefois important de préciser que le concept de compétence, qui est lui
25
même multidimensionnel, ne peut définir la langue que comme système de signe
et non comme moyen de communication. L'examen des degrés de compétence a
révélé qu'il est très rare de trouver une compétence égale dans les deux langues.
Généralement la compétence en L2 est moins forte qu'en L1. Il y a fréquemment
des carences dans la maîtrise de L2 tant au niveau du parler (prononciation,
grammaire, lexique, orthographe…) qu'au niveau de la doxa (culture, vision au
monde, expérience…).
 Les fonctions :
Il s'agit de l'étude des facteurs psychosociologiques qui favorisent ou obligent
au bilinguisme. Les fonctions du bilinguisme peuvent être ou "internes" ou
"externes" :
Les fonctions externes sont déterminées par le nombre des zones de contact des
deux langues. Elles sont relatives à l'entourage tel que :
La famille : dans un foyer unilingue par exemple, la langue du foyer est différente
de celle de la communauté ;
La communauté : les relations de voisinage, les groupes de travail, le commerce, le
tourisme, les loisirs…obligent parfois à l'usage d'une deuxième langue ;
Le milieu scolaire produit une situation de bilinguisme même si l'école est unilingue
: la langue de l'enseignement est différente de celle du foyer ;
Les médias : la TV. , la presse écrite et radiodiffusée, le cinéma, la vidéo, le
web…sont sources de bilinguisme.
Les fonctions internes : sont relatives à l'individu. L'aptitude au bilinguisme dépend,
en effet, de :
L'âge : on estime que les enfants de moins de neuf ans ont une disponibilité plus
grande à apprendre une 2ème langue ;
Le sexe : les femmes semblent plus que les hommes disposées à apprendre une
langue seconde considérée comme prestigieuse ;

26
L'intelligence et la mémoire ne sont pas proportionnellement équivalentes chez
tous les individus ;
La motivation est variable en fonction de l'intérêt que l'on tire de L2. La motivation
est plus grande si la raison de L2 est plutôt professionnelle, économique ou
artistique…Elle est moins forte si elle est liée au plaisir.
c. Impacts et incidences du bilinguisme
 Sur le plan cognitif :

A l’unanimité des linguistes, l’apprentissage des langues secondaires doit passer


obligatoirement par une bonne maitrise de la langue maternelle.

 Sur le plan linguistique :


Sur le plan linguistique, les conséquences du bilinguisme sont très connues. Elles
relèvent du domaine de la micro sociolinguistique qui a mis l’accent sur les
phénomènes de l’emprunt, du calque et de l’alternance codique. C’est ce que
Boukous sous-entend en affirmant que : « le contact des langues a, toutefois, des
conséquences importantes à l'échelon de toute la communauté en ce que la seconde
langue agit sur la première en l'enrichissant par des mots nouveaux, des expressions
inédites, des éléments culturels inouïs, etc. » (Boukous, 2011)
Chaque fois que deux systèmes linguistiques sont en contact et que les individus
sont amenés à faire usage de deux ou plusieurs langues, on parle d’interférence et
d’emprunt. Les spécialistes du langage trouvent ici un sujet qui mérite d’être étudié
pour comprendre l’agencement, l’interaction et les facteurs qui poussent les
locuteurs ou scripteurs à procéder à ces mélanges.

c. Plurilinguisme et multilinguisme : quelle différence ?

Le multilinguisme c’est un concept plutôt géographique qui concerne une


région ou un pays où l’on parle officiellement plusieurs langues. Il est utilisé pour
décrire la coexistence de plusieurs langues au sein d'un même groupe social ou d’un
27
même territoire. Par exemple, le Canada, où l’on parle à la fois français et anglais,
ainsi que la Belgique, où le français, l’allemand et le néerlandais sont d’usage, sont
des pays multilingues. De même, une entreprise qui travaille dans plusieurs langues
ou une école où les cours sont dispensés dans différentes langues, sont
multilingues. Ou encore, si une chaîne de télévision diffuse des contenus dans
plusieurs langues, elle pourra être qualifiée de multilingue.

En revanche, une personne ne peut pas être multilingue. En bref, on utilisera


donc le terme “multilingue” pour décrire un pays, un lieu ou une institution qui
héberge plusieurs langues. Et l’on utilisera le terme “plurilingue” pour décrire un
individu qui s’exprime dans plusieurs langues.

2. Diglossie

a. Quelques définitions

La notion de diglossie (du grec ancien diglottos, signifiant bilingue) est un


concept sociolinguistique développé par Ferguson (1959) pour décrire toute
situation dans laquelle deux variétés d’une même langue sont employées dans des
domaines complémentaires, l’une de ces variété étant généralement de statut
socialement supérieur à l’autre.

Dans un sens large, la diglossie existe dans toutes les sociétés où l’usage
quotidien diffère sensiblement de la norme officielle, il faut que chaque variété soit
utilisées de manière systématique : par exemple, une variété est employée dans les
domaines formelles, comme l’administration, la religion, la poésie, alors que l’autre
est réservée à la conversation courante, aux discussions informelles, à la
correspondance non officielle. Fergusson qualifie ces deux variétés l’une haute et
l’autre basse.

28
[…] Il y a diglossie lorsque la distribution linguistique repose sur une délimitation
claire et nette entre les fonctions de la variété ou de la langue A (dite encore
« haute ») et celles de la variété ou de la langue B (dite encore « basse »).

Par exemple, la variété ou la langue A peut être affectée traditionnellement


aux discours publics de type formel (administratif, religieux…) et la variété ou la
langue B aux échanges « ordinaires ».

b. Traits caractéristiques de la diglossie

Le terme de diglossie a été étendu par Fishman (1967) à l’usage


complémentaire institutionnalisé de deux langues distinctes dans une communauté
donnée. Cette situation de diglossie se caractérise par un certain nombre de traits :

- La fonction : la fonction des deux variétés H et L n’est pas la même, il y a répartition


de chacune d’entre elles selon les situations de communication ;

- La notion de prestige, on se place ici au niveau de l’attitude des locuteurs qui ont
tendance à qualifier H de supérieure de plus belle, de plus logique, de plus apte à
exprimer les pensées importantes. Ils affirment aussi qu’ils préfèrent entendre un
discours politique dans cette variété. La variété L est considérée comme étant
inférieure, incapable d’exprimer un discours littéraire ;

- La littérature étant rédigée dans la variété haute, elle contribue à ce que cette
dernière soit tenue dans sa plus haute considération ;

- Le mode d’acquisition : La variété basse est généralement la langue maternelle,


son acquisition se fait par l’usage, donc au sein de la famille. La variété haute
s’apprend à l’école ;

- La standardisation constituée par la moyenne des usages des locuteurs, ex : le


français standard constitue la norme ;

29
- La stabilité : la situation de diglossie est passagère, soumise à l’évolution. Le
rapport entre une langue H et une langue L est ponctuel, éphémère, susceptible
d’évolution.

Le concept de diglossie a été étendu par Gumperz (1971) aux sociétés


multilingues, dans le sens où celles-ci peuvent utiliser différentiellement plusieurs
codes (langues, dialectes) dans des domaines et des fonctions complémentaires,
comme l’Inde, qui a deux langues officielles, hautes, à savoir le hindi et l’anglais,
auxquelles s’ajoutent les langues régionales. Notons que l’Inde compte, en effet,
pas moins de 234 langues maternelles dont 22 sont régionales.

c. Relation entre bilinguisme et diglossie

Il peut y avoir bilinguisme sans diglossie : ce serait le cas dans les situations
de migration (comme aux Etats- Unis). Les migrants vivent un état de transition : ils
doivent s’intégrer dans la communauté d’accueil avec la langue d’accueil même s’ils
conservent la connaissance et une certaine pratique de la langue d’origine.

Le caractère transitionnel de cette configuration de bilinguisme sans


diglossie, pointé par Fishman, pourrait bien être fortuit. Cette configuration permet
en effet de décrire des situations non transitionnelles, comme celles que l’on
rencontre dans différentes villes cosmopolites comme Montréal ou comme
Bruxelles, où une grande partie de la population est bilingue (et on ne vise pas
seulement ici, pour Montréal le bilinguisme français-anglais ou pour Bruxelles, le
bilinguisme français-néerlandais), sans que la répartition entre les usages des deux
langues pratiquées par les individus soit réellement codifiée – ici encore, d’un
individu à l’autre, la ligne de partage entre les deux langues pratiquées peut être
sensiblement différente, mais cette situation n’est pas forcément transitoire.

Par ailleurs de plus en plus de pays ou régions optent pour une forme
particulière du bilinguisme sans diglossie, que l’on pourrait appeler un bilinguisme
30
institutionnel, notamment la Belgique avec la région de Bruxelles. Dans une
configuration de bilinguisme institutionnel, deux langues co-existent, chacune des
deux langues pouvant couvrir tous les emplois, et les individus communiquent dans
l’une ou l’autre de ces deux langues au choix, les individus peuvent aussi ne
connaitre qu’une des deux langues en présence. On peut toutefois observer que
dans une situation comme celle de Bruxelles, région institutionnellement bilingue
de Belgique, le système éducatif vise à faire des Bruxellois des individus bilingues,
c’est-à-dire des individus connaissant deux langues, mais seule l’institution a
l’obligation de pratiquer les deux langues (d’où un affichage bilingue dans les lieux
publics, des textes bilingues émis par l’administration, etc.).

Au XXIe siècle, la Belgique se présente comme un pays constitutionnellement


trilingue. Ce contact des langues française, néerlandaise et allemande a façonné
l’architecture institutionnelle de l’État selon un modèle fédéral où chaque langue
dispose de son aire politique de diffusion. Ces langues ne se rencontrent que dans
deux zones officiellement bilingues : la région Bruxelles-Capitale où se côtoient le
français et le néerlandais ; la Communauté germanophone qui compte trois cantons
à l’est du pays et dont l’un (Malmedy) est bilingue français-allemand (Sägesser &
Germani, 2008).

[…] Précisons même la signification donnée aux termes employés :


bilinguisme, « usage indistinct de l’une ou l’autre langue et le passage de l’une à
l’autre quels que soient les circonstances et les thèmes abordés vs
diglossie, « répartition des usages dans chacune des langues selon des
circonstances et des thèmes particuliers, s’accompagnent généralement de la
prépondérance de l’usage d’une des deux langues et d’une différence de prestige ».

31
VIII. Les politiques linguistiques

La politique linguistique est l’ensemble des choix d’un État en matière


de langue et culture. Elle tient à la définition d’objectifs généraux (statut,
emploi et fonction des langues, implication en matière d’éducation, de
formation, d’information et de communication, etc.). Indépendamment des
processus décisionnels mis en œuvre, toute politique doit se fonder sur une
analyse aussi précise que possible des situations (sociolinguistiques,
sociopolitiques, socio-économiques et socioculturelles) et sur une
approche prospective de leur évolution […].

La politique linguistique (par exemple le choix du français comme


langue officielle par la plupart des pays africains au lendemain des
indépendances) participe également de la volonté des États de montrer leur
appartenance à telle ou telle sphère économique et culturelle, aux yeux de
la communauté internationale.

Les problèmes linguistiques qui ressortissent à la politique


linguistique dans ses aspects les plus globaux concernant donc
essentiellement non les formes linguistiques elles-mêmes, mais les
fonctions dévolues aux langues en présence dans un même espace national,
le plus souvent en proie à des conflits de type diglossique, voire ethnique.
(CUQ, 2003)

Commençons par deux définitions. Nous appellerons politique


linguistique un ensemble des choix conscients concernant les rapports
entre langue (s) et vie sociale, et planification linguistique, le passage à
l’acte en quelque sorte […]. Mais, dans un domaine aussi important que les
rapports entre langue et vie sociale, seul l’État a le pouvoir et les moyens

32
de passer au stade de planification, de mettre en pratiques ses choix
politiques.

C’est pourquoi, sans exclure donc la possibilité de politiques


linguistiques qui transcendent les frontières (c’est par exemple le cas de la
francophonie) ni celle de politique linguistique concernant des entités plus
petites que l’État (sur les langues régionales par exemple), nous allons
essentiellement présenter des exemples de politiques linguistiques
nationales. (Calvet, 1993)

33
IX. Le paysage linguistique marocain

Le paysage linguistique marocain se caractérise par une diversité


indéniable. C’est dans ce sens que Boukous rend compte des différentes
langues dont se constitue le marché linguistique marocain et qui oscille
entre langues nationales et langues «étrangères :

Et pour rendre compte de la typologie des langues en présence,


Boukous (1995) s’est basé sur quelques notions opératoires que propose la
sociolinguistique, à savoir :

- la standardisation est la codification d’un idiome par l’explication de ses


normes à la fois linguistiques et sociales, la reconnaissance de leur
légitimité et leur imposition par le moyen des institutions, dont
principalement l’école et l’administration (cas de l’arabe standard) ;

- l’historicité : les langues douées d’une historicité sont celles qui ont une
origine naturelle, par opposition aux langues artificielles, notamment
l’esperanto ;

- l’autonomie est une spécification des langues reconnues comme


génétiquement distinctes d’autres variétés linguistiques, c’est-à-dire des
langues uniques et indépendantes sur le plan de leurs structures et de leurs
fonctions (cas de l’arabe et de l’amazighe) ;

- la vitalité caractérise les idiomes utilisés en tant que langues premières


par une communauté de locuteurs natifs (à la différence notamment des
langues dites mortes).

34
Des langues dotées de statuts à la fois différents et complémentaires :

- L’arabe standard :

 Statut privilégié que lui confèrent la religion islamique et le pouvoir


séculier ;
 Langue liturgique des Marocains musulmans ;
 Langue officielle des institutions publiques ainsi qu’elle est définie dans le
préambule de la Constitution ;
 Langue nationale.

- L’arabe dialectal :

 Variété locale de l’arabe ;


 Langue maternelle des Marocains non-amazighophones ;
 Langage véhiculaire des Marocains (lingua franca).

- L’amazighe :

 Langue maternelle pour les Marocains pour qui l’arabe dialectal est langue
véhiculaire ;
 Langue nationale, un statut que lui confère la constitution mais il est loin de
remplir les mêmes fonctions que l’arabe standard.

- Le français :

 C’est la première langue après l’indépendance ;


 C’est aussi la langue d’ouverture sur le monde moderne.

- L’espagnol :

 Seconde voire troisième langue étrangère au Maroc.

35
Des langues dont les fonctions sociolinguistiques diffèrent tel que le
rappelle Boukouss :

- L’arabe standard :

 Langue des institutions religieuses et publiques

- L’arabe dialectal :

 Position mineure dans la relation de diglossie qui l’unit à l’arabe standard.

- L’amazighe :

 Avec l’institutionnalisation de la langue amazighe, ses fonctions en tant que


langue d’enseignement et de véhicule d’une culture savante restent à venir.

- Le français :

 Langue de modernité ;
 Langue enseignée à tous les niveaux du système éducatif.

- L’espagnol :

 Langue enseignée dans le secondaire et le supérieur ;


 Langue parlée au sein des familles appartenant aux régions anciennement
sous domination espagnole.

Le paysage linguistique marocain interpelle une question importante


relativement aux politiques linguistiques mises en application depuis
l’indépendance, notamment l’arabisation du système éducatif avec la
création de l’Institut d’Études et de Recherches pour l’Arabisation (IERA) en
1960 en lui assignant pour tâche la promotion de la langue arabe et
l’exécution de la politique d’arabisation dans l’enseignement et dans
l’administration. L’objectif déclaré par les promoteurs de l’arabisation est
d’éliminer l’usage du français au moins dans les institutions publiques et de
36
faire du français non plus une langue d’enseignement mais seulement une
langue enseignée.

La finalité du discours sur/pour l’arabisation est en définitive la


légitimation de la langue arabe en tant que langue de la modernité en vue
de la conforter dans sa lutte contre le français. Cette légitimation repose
sur des arguments variés :

• un argument d’ordre religieux : l’arabe est la langue de la religion


islamique ; de ce fait il est considéré comme sacré ;

• un argument d’ordre historique : l’arabe est la langue de l’État


national sans discontinuer depuis la dynastie idrisside ;

• un argument d’ordre culturel : l’arabe est le véhicule du patrimoine


arabo-musulman ;

• un argument d’ordre idéologique : l’arabe est le ciment


symbolique de la Nation Arabe.

37
Conclusion

A travers ce cours, nous avons tenté de mettre en avant un champ


disciplinaire inhérent aux sciences du langage à savoir la sociolinguistique
dont la genèse nous renvoie aux Etats-Unis avant qu’elle n’interpelle de
nombreuses réflexions de la part de chercheurs français ayant pris
connaissance des travaux de leurs homologues américains.

L’objet d’étude de la sociolinguistique est la langue telle qu’elle est


pratiquée en société. Un point en commun qu’elle partage avec d’autres
disciplines, notamment l’ethnolinguistique et la dialectologie et se trouve à
l’intersection de deux disciplines, à savoir la linguistique et la sociologie.
C’est ce qui explique le recours à des concepts et méthodes qui renvoient à
la fois à la première et à la seconde.

Aussi, la sociolinguistique ne s’intéresse pas uniquement à une seule


langue ou à une seule variété de langue mais plutôt aux différentes langues
en présence relativement à tel ou tel paysage linguistique, permettant de
mettre en avant les éventuels conflits entre les langues ou les variétés de
langues.

En outre, la sociolinguistique permet de tracer des lignes de


démarcation quant aux statuts et fonctions des langues en présence
qu’elles soient nationales ou étrangères et à travers lesquelles transparait
aussi une certaine hiérarchisation basée sur des critères tel que celui de
prestige associé à telle langue au détriment des autres.

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Quelques références bibliographiques

- BAYLON C., Sociolinguistique : Société, langue et discours, Nathan, Paris, 1991.

- BOUKOUS, A., Revitalisation de l'amazighe : défis, enjeux et stratégies,


Publication de l'IRCAM, Rabat, 2012.

- BOUKOUS, A., Société, langues et cultures au Maroc, publications de la Faculté


des Lettres et des Sciences Humaines, Rabat, 1995.

- BOYER H., Eléments de sociolinguistique: Langue, communication et société,


Dunod, Paris, 1991.
- BOYER H., Introduction à la sociolinguistique, Dunod, Paris, 2001.
- CALVET L.J., La Sociolinguistique, Que sais-je ?, PUF, Paris, 1993.
- CUQ, J.P. (sous la direction de), Dictionnaire de didactique du français langue
étrangère et seconde, Clé International, Paris, 2003.
- El MOUNTASSIR, A. et DORAIS, L.J., (sous la direction de), L’enseignement des
langues vernaculaires : défis linguistiques, méthodologiques et socio-
économiques, L’Harmattan, Paris, 2012.
- FISHMAN J., Sociolinguistique, Nathan, Paris, 1971.
- GARMADI S., La sociolinguistique, PUF, Paris, 1981.
- GUMPERZ J., Sociolinguistique interactionnelle, une approche interprétative,

L'Harmattan, Paris, 1989.


- TABOURET-KELLER, A., Plurilinguisme et interférence in La linguistique, Le guide
alphabétique, Denoël, Paris, 1969.
- TOUSIGNANT, C., La variation sociolinguistique : Modèle québécois et méthodes
d’analyse, Presses de l’université du Québec, 2015.

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