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La sociolinguistique est une discipline relativement récente étant donné que les premiers travaux
datent des années soixante. Elle est fondée en tant que discipline avec la parution en 1966 de
l’ouvrage de Labov intitulé The social stratification of English in New York City (Labov, 1966).
L’auteur montre, dans cet ouvrage, le rapport qui existe entre les variations linguistiques
individuelles et les structures générales, sociales et stylistiques. Dans cette perspective, des
facteurs extralinguistiques comme l’âge, le genre (McElhinny, 2003), la position sociale,
l’origine ethnique ou régionale, le statut et la densité des liens dans le groupe de pairs, la
formalité de la situation de communication, etc., encouragent certains usages langagiers.
La sociolinguistique se donne alors pour tâche d’étudier et de scruter « la structure et
l’évolution du langage au sein du contexte social formé par la communauté linguistique »
(Labov, 1976, p. 258). De plus, elle étudie la langue en contexte c’est-à-dire en fonction de la
situation de communication immédiate. Elle s’intéresse ainsi à des phénomènes très variés, à
savoir « les fonctions et les usages du langage dans la société, la maîtrise de la langue, l’analyse
du discours, les jugements que les communautés linguistiques portent sur leur(s) langue(s) »
(Baylon, 1991, p. 35).
Le souci de délimiter le champ d’exercice de cette discipline incite Boyer (1996) à situer ce
« vaste territoire » aux confins de sept paramètres :
Communauté(s) sociale(s) ;
groupe(s)/ réseau(x) ;
sujet(s)/acteur(s) ;
partenaire(s) langagier(s) ;
langue(s)/dialecte(s) ;
discours/texte(s) ;
pratique(s) de communication.
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L’organisation du champ de la sociolinguistique se répartit en pôles divers :
- le pôle ‘linguistique sociale’ qui s’occupe des conduites linguistiques collectives caractérisant des groupes
sociaux « dans la mesure où elles se différencient et entrent en contraste dans la même communauté
linguistique globale » (Marcellesi, Gardin, 1974, p. 15) ;
- le pôle ‘sociolinguistique fonctionnaliste’ cherchant à établir une sorte de hiérarchie des procédés
linguistiques (Garrmadi, 1981) ;
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Linguistique sociolinguistique sociologie du
sociale fonctionnaliste langage
éthnographie de sociolinguistique
la éthnolinguistique descriptive et
communication appliquée
- le pôle ‘sociologie du langage’ s’assignant pour objectif la description « des rapports de force qui
structurent les pratiques langagières » (Boutet, 1980, p. 66) ;
- le pôle ‘variationniste générativiste’ visant à étudier la langue de manière scientifique (Encrevé, 1977) ;
- le pôle ‘linguistique de l’oral’ qui s’appuie sur une théorie syntaxique « en abordant le problème des
fonctions sociales » (Branca, 1977, p. 12) ;
- le pôle ‘théorie du discours’ partant de l’analyse du discours : « cette proposition s’oppose avant tout aux
propositions sociolinguistiques se donnant pour objet des traits formels […] qui différencient les discours,
les types de discours » (Marandin, 1979, p. 34) ;
- le pôle ‘ethnographie de la communication’ s’intéressant à ‘la compétence de communication’ et aux
‘stratégies d’apprentissage’ (Bachmann, Lidenfeld, Simonin, 1981, p. 179) ;
- le pôle ‘ethnolinguistique’ consacré à « l’étude du message linguistique en liaison avec l’ensemble des
circonstances de la communication » (Pottier, 1970, p. 3) ;
- le pôle ‘sociolinguistique descriptive et appliquée’ étudiant les situations de communication et « leur
influence sur les variables linguistiques et […] les clivages sociaux qui déterminent la plupart de ces
situations » (Gueunier-Genouvrier-Khomsi, 1978, p. 7).
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Actuellement, de nombreux mythes subsistent au sujet du bilinguisme (Grosjean 2015). Par
exemple, il s'agit d'un phénomène rare (en fait, environ la moitié de la population du monde est
bilingue), la personne bilingue posséderait une maîtrise parfaite et équivalente de ses différentes
langues ; le bilingue acquerrait ses langues dans sa prime enfance (en vérité, on peut devenir
bilingue à tout âge) ; le bilinguisme précoce chez l’enfant retarderait l’acquisition du langage
( selon les psycholinguistes, les grandes étapes d'acquisition sont atteintes aux mêmes moments
chez tous les enfants, monolingues ou bilingues); et le bilinguisme affecterait négativement le
développement cognitif des enfants possédant deux ou plusieurs langues (en vérité, il semblerait
que l'enfant bilingue peut montrer une supériorité par rapport à l'enfant monolingue pour ce qui
est de l'attention sélective, la capacité à s'adapter à de nouvelles règles, et les opérations
métalinguistiques selon la psycholinguistique).
Pourquoi la réalité exige que nous soyons bilingues ou plurilingues ? (travail de
groupes, Réponses libres)
De nombreux facteurs favorisent le bilinguisme tels que le contact de langues à l'intérieur
d'un pays ou d'une région, la nécessité d'utiliser une langue de communication en plus d'une
langue première, la présence d'une langue parlée différente de la langue écrite au sein d'une
même population, la migration politique, économique ou religieuse, le commerce international,
les cursus scolaires suivis par les enfants, les mariages mixtes et la décision d'élever les enfants
avec deux langues. Le bilinguisme se manifeste dans tous les pays du monde, dans toutes les
classes de la société, dans tous les groupes d'âge.
Actuellement, plus de la moitié de la population mondiale au moins est bilingue, et deux tiers des
enfants dans le monde grandissent dans un environnement où se croisent plusieurs langues. Mais,
si le bilinguisme est fréquent, ses définitions sont variées et elles se confondent parfois avec
celles du plurilinguisme et du multilinguisme.
Commençons par présenter les critères des définitions scientifiques du bilinguisme (Elmiger,
2000)
Si le terme ‘bilingue’, base du dérivé «bilinguisme», est morphosémantiquement transparent
(bi=deux /ling=langue), il est largement sous-déterminé par rapport à des questions du type:
– bilingue: de quelle manière? où? quand? etc.
– bilingue: une personne? une communauté? une région? un texte? Un enseignement? etc.
– bilinguisme: le fait de parler deux langues? de les comprendre? de les écrire? d’en maitriser
les variantes standard? etc.
Cette sous-détermination n’est pas gênante dans le langage ordinaire, mais, dans un discours
scientifique les termes ‘bilingue’ et ‘bilinguisme’ doivent être définis de manière stable pour être
opérationnels.
Pour commencer, la définition du bilinguisme a subi une évolution au fil des siècles. Dès
1933, Bloomfield dans son ouvrage Language (p 56), retient la formule «native-like control of
two languages» qui insiste sur une maitrise à haut niveau des langues en question. Bloomfield est
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rejoint dans cette approche par d’autres, dont Lebrun, pour qui les ‘polyglottes’ sont en premier
lieu « les personnes [...] qui usent de plusieurs langues depuis l’enfance avec une égale
aisance.» (Lebrun 1982, p 129). Il y a dans cette description une vision quelque peu idéalisée du
bilingue, à travers la définition d'un bilinguisme parfait, équilibré, supposant des compétences
écrites et orales équivalentes dans les deux langues. Un bilingue serait donc, d'après cette
définition, la somme de deux monolingues.
Au lieu de fonder la définition du bilinguisme sur le critère d’une maitrise maximale,
certains auteurs proposent de se contenter d’une connaissance minimale, un seuil à franchir
dans les langues en question, comme p. ex. Macnamara (1967) pour qui la personne bilingue doit
posséder une compétence minimale dans une des quatre habiletés linguistiques (comprendre, lire,
écrire, parler).
En 1976, le bilinguisme référait à « une situation qui caractérise les communautés
linguistiques et les individus installés dans des régions, des pays où deux langues (bilinguisme)
et plus (multilinguisme=plurilinguisme) sont utilisées concurremment » (Galisson et Coste dir,
1976, p. 69). Mais en 2003, on assiste à un assouplissement de la notion puisque le bilinguisme
se rapporte désormais à la « la coexistence au sein d’une même personne ou d’une société de
deux variétés linguistiques » (Cuq, dir. 2003, p. 36). Sur ce, la définition s’étend d’une sphère
géographique à une sphère psycho-sociale.
Nous remarquons que ce sont surtout les critères d’utilisation et de maitrise dont on tient
compte en définissant le terme ‘bilinguisme’. Mais, aucune des définitions avancées n’est
cependant pleinement satisfaisante, car aucune ne permet une circonscription fine du
phénomène bilinguisme, et Mackey n’est pas le seul à constater « un certain flou
terminologique» (Moreau, 1997, p 61). À titre d’exemple Hamers et Blanc (2000) utilise le terme
bilinguisme qui englobe celui du plurilinguisme, en précisant que « le bilinguisme individuel et
par extension le plurilinguisme, (est) la connaissance et l’usage de plus d’une langue par un
individu » (p. 30). De même, la confusion entre multilinguisme et plurilinguisme est courante.
Le plurilinguisme
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Le plurilinguisme est aujourd’hui défini très fonctionnellement (Oksaar, 1980;
Grosjean, 1982; Lüdi & Py, 1984; CECR, 2001; etc.) comme capacité de communiquer,
quoique imparfaitement, dans des contextes autres que ceux de la L1, et ceci
indépendamment des modalités d’acquisition, du niveau de compétence acquis et de la
distance entre les langues. Deuxièmement, on ne considère plus les langues pratiquées par
une personne plurilingue comme une simple addition de "systèmes linguistiques" (plus ou
moins approximatifs) appréhendés chacun pour soi (Grosjean, 1985; Lüdi & Py, 1984), mais
comme une espèce de "compétence intégrée", et on a, par conséquent, remplacé la notion
classique de compétence par celle de répertoire langagier (Gumperz, 1982; Gal, 1986)
utilisé lors de l’analyse du profil sociolinguistique des personnes ou apprenants.
Troisièmement, ces répertoires plurilingues représentent bien plutôt, dans la pratique, un
ensemble de ressources – verbales et non verbales – mobilisées par les locuteurs pour
trouver des réponses locales à des problèmes pratiques, un ensemble indéfini et ouvert de
microsystèmes grammaticaux et syntaxiques (et bien sûr aussi mimogestuels),
partiellement stabilisés et disponibles aussi bien pour le locuteur que pour son interlocuteur.
Ces ressources sont mises en œuvre de manière située en fonction, entre autres, de la
configuration des connaissances linguistiques – des profils linguistiques – des interlocuteurs
(Mondada, 2001; Pekarek Doehler, 2005). Dans ce sens, il s’agit bien de "ressources
partagées"
Le multilinguisme
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En résumé et comme réponse à la question « le bi-plurilinguisme mythes ou réalités ? »,
Bernard Py et Laurent Gajo2 (2013) soulignent que le bilinguisme voire le plurilinguisme
représente la norme et non l’exception. Il suffit d’établir le rapport entre le nombre de langues
(presque 7 000) et le nombre d’États ou Territoires (moins de 250). Ce taux de diversité varie
certes d’un endroit à l’autre de la planète (en Europe, 230 langues pour une quarantaine d’États ;
au Cameroun, 279 langues pour un seul État), mais marque tout de même un bi-plurilinguisme
évident à l’échelle mondiale. L’importance des mobilités internationales, la mixité croissante
des communautés et des familles rendent cette réalité plus présente aux institutions et aux
individus.
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européenne, construite sur la diversité. Néanmoins, il ne s’agit pas seulement d’opposer des
politiques monolingues à des politiques bi- / plurilingues au sein même de ces sociétés, mais,
d’analyser l’aspect qualitatif en identifiant différents modes d’approche du contact linguistique
lui-même et l’aspect quantitatif en examinant le nombre de langues ou de variétés en présence.
Dans ce sens, Py et Gajo évoquent quatre cas de figure résultant d’une mise en rapport entre les
niveaux collectif et individuel en matière de monolinguisme ou bi- / plurilinguisme :
Un plurilinguisme4 social peut coexister avec un monolinguisme individuel
(plurilinguisme territorial ; ex. : Suisse) ;
Un monolinguisme social peut coexister avec un plurilinguisme individuel (langues
minoritaires, situations migratoires) ;
Un plurilinguisme social peut solliciter ou entrainer un plurilinguisme individuel
(plurilinguisme social intégré, diffus ; ex. : Luxembourg) ;
Un monolinguisme social peut entrainer voire imposer un monolinguisme individuel
(État-nation monolingue ; ex. : France).
Bref, le bilinguisme voire le plurilinguisme n’est plus un mythe, c’est une réalité évidente au 21 e
siècle avec la mondialisation, la globalisation et les immigrations continues. On est exposé dès la
petite enfance, à plusieurs langues, ce qui contribue à devenir bilingue ou plurilingue à plusieurs
niveaux.
Bibliographie
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Kramsch, D. Lévy et G. Zarate, Précis du plurilinguisme et du pluriculturalisme, Paris, Archives
contemporaines, p. 287-292.
CAVALLI Marisa, 2005, Éducation bilingue et plurilinguisme. Le cas du val d’Aoste, Paris,
Didier, CRÉDIF, « Langues et apprentissage des langues ».
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Le terme « plurilinguisme » est utilisé comme hyperonyme.
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CAVALLI Marisa et al., 2003, Langues, bilinguisme et représentations sociales au val d’Aoste,
Aoste, Istituto Regionale di Ricerca Educativa della Valle d’Aosta, « Documents ».
COLIN Paul, 2004, « (Co)existence d’une ou plusieurs langues dans un pays ou un individu : un
tour d’horizon terminologico-historique », Voies vers le plurilinguisme, G. Holtzer éd.,
Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, p. 25-32.
EDELSKY Carole et al., 1983, « Semilingualism and language déficit », Applied linguistics,
no 5, p. 113-127.
DOI : 10.1093/applin/4.1.1
GAJO Laurent et al. éd., 2004, Un parcours au contact des langues. Textes de Bernard Py
commentés, Paris, Didier, « Langues et apprentissage des langues ».
LÜDI George et PY Bernard, 2002 [1986], Être bilingue, Berne, Lang (2e édition revue et
complétée).
DOI : 10.3726/978-3-0351-0647-3
MOORE Danièle, 2006, Plurilinguismes et école, Paris, Didier, « Langues et apprentissage des
langues ».
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MOORE Danièle et GAJO Laurent éd., 2009, « French voices on plurilingualism and
pluriculturalism : theory, significance and perspectives », International journal of
multilingualism, no 6/2.
DOI : 10.1080/14790710902846707
ZARATE Geneviève, KRAMSCH Claire et LÉVY Danièle éd., 2008, Précis du plurilinguisme
et du pluriculturalisme, Paris, Archives contemporaines.