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I. 1. Définition de la sociolinguistique
L’interrogation sur les liens entre langue et société était abordée par des linguistes (comme
Meillet) et par des sociologues (comme Bourdieu). Or, s’agit-il d’interroger la société à l’aide de la
langue ou interroger la langue à l’aide de la société ?
À propos de cette question, le linguiste américain Ralph Fasold a publié deux ouvrages conçus
comme complémentaires : The Sociolinguistics of Society (1984) et The Sociolinguistics of
Language (1990). Dans la préface du premier ouvrage, Fasold expliquait cette partition en
précisant que : « L’une de ces subdivisions prend la société comme point de départ et la langue
comme problème social et comme corpus […]. L’autre grande division part de la langue, et les
forces sociales sont considérées comme influençant la langue et comme contribuant à une
compréhension de sa nature […]. Une autre façon de voir ces subdivisions est de considérer ce
volume comme consacré à une forme spéciale de sociologie et le second comme consacré à la
linguistique d’un point de vue particulier. » (R. Fasold, The Sociolinguistics of Society, 1984).
Dans ce même ordre d’idée, le linguiste espagnol José Pedro Rona distinguait entre la
sociolinguistique proprement linguistique, qui sert à étudier la répartition interne de l’ensemble
constitué par la langue, ses dialectes et ses patois, et une sociolinguistique « alinguistique », qui se
fixe comme objectif l’étude des effets de la société sur l’ensemble précédent. (J. P., Rona, A
Structural View of Sociolinguistics, 1970).
Dans leur ouvrage intitulé Pratiques langagières et registres discursifs, publié en 1976,
Boutet, Fiala et Simonin Grumbach défendaient une sociologie du langage dont la tâche serait de «
décrire la formation langagière dans une formation sociale donnée » (J., Boutet et J., Simonin-
Grumbach, « Sociolinguistique ou sociologie du langage ? », in Critique, 1976, n° 344, p. 84).
C’est en 1993 que Pierre Achard publiait un ouvrage intitulé La Sociologie du langage, dans
lequel il avait réparti les tâches de la linguistique « sociolinguistique variationniste pour ce qui
concerne la langue, énonciation pour ce qui concerne le discours » et de la sociologie « sociologie
des langues, sociologie du discours ». (P. Achard, La Sociologie du langage, 1993. p.19).
Ainsi, on aboutit deux approches différentes qui, sous des noms variés, se ramènent toujours
à la même distinction de base : d’une part, il y a la langue, d’autre par la société, et il n’existe
aucune démarche heuristique qui peut considérer ces deux ensembles d’un même point de vue.
C’est ce que confirme d’ailleurs Joshua Fishman qui, après avoir longuement présenté la
«sociolinguistique » il précise : « La sociologie du langage est tout aussi intéressante pour qui
étudie de petites communautés que pour qui s’occupe de l’intégration nationale et internationale.
Elle doit clarifier la transition d’une situation de contact direct à une autre. Elle doit éclairer les
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différentes convictions et les divers comportements en ce qui concerne la langue de groupes entiers
ou de classes entières de la société. Dans certains cas, il faut mettre l’accent sur la variation entre
des variétés étroitement apparentées ; d’autres fois, on étudie la variation entre des langues
nettement différentes. » (J. Fishman, Sociolinguistique, 1971, p. 69). La langue peut être considérée
comme fait social certes, mais en lui conservant son autonomie, et en conservant également à la
linguistique son autonomie.
Ce point de vue est aussi partagé par le linguiste espagnol Humberto Morales Lopez qui
distingue, lui aussi, deux grands groupes dans les études consacrées à la sociolinguistique : les unes
servent à décrire les aspects linguistiques de la société, et elles sont les plus fréquentes ; les autres
étudient les phénomènes linguistiques en relation avec certaines variables sociales. Il écrit : « Les
différences, qui sautent aux yeux, procèdent de l’objet d’étude sélectionné : la langue ou la société
[…]. Le fait d’accepter la (socio)linguistique comme une discipline linguistique rendrait vaine toute
discussion de son objet d’étude, celui-ci ne pouvant être autre chose que la langue. Dans toute
recherche de cette nature, la langue est la variable dépendante. Mais la langue entre aussi en jeu
dans des recherches d’un autre ordre. Il est clair qu’ici sa grammaire ou son lexique, qui
constituent le matériel d’analyse du linguiste, ne nous intéressent plus ; ce ne sont plus que des
entités homogènes qui font partie de structures sociales plus larges. » (H. M. Lopez,
Sociolinguistica, 1989, p. 25-26).
Pour lui, même s’il existe des phénomènes liés aux langues qui concernent l’étude des sociétés
(comme par exemple le nombre de langues, leurs fonctions, le nombre de leurs locuteurs, etc.), mais
il ne s’agit que de la description de l’aspect linguistique de la société, que l’on pourrait décrire sous
d’autres aspects différents (du point de vue de la religion, du droit, des arts populaires, etc).
Ainsi, on peut voir dans toutes ces discussions que les distinctions entre sociolinguistique et
sociologie du langage, n’ont aucune pertinence théorique. Louis-Jean Calvet ajoute que même si
elles possèdent une valeur méthodologique : « on peut selon les cas travailler sur de grands
groupes ou sur quelques locuteurs, étudier les réalisations d’une variable ou l’alternance codique,
analyser les sentiments linguistiques et la forme des langues utilisées, calculer la statistique
d’apparition des langues sur un marché ou décrire la syntaxe d’une langue , mais toutes ces
approches ne peuvent pas constituer des sciences séparées puisque leur objet est unique », car
l’objet d’étude de la linguistique n’est pas seulement la langue ou les langues mais la communauté
sociale sous son aspect linguistique. (J.-L., Calvet, La sociolinguistique, p. 162).
A cet égard, il n’y a plus lieu de distinguer entre sociolinguistique et linguistique, et encore moins
entre sociolinguistique et sociologie du langage.
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I. 4. Domaines de la sociolinguistique
La sociolinguistique est la discipline qui fait intervenir « l’état social de l’émetteur, l’état
social du destinataire, les conditions sociales de la situation de communication (genre du discours),
les du chercheur (explications historiques, par exemple), la différence entre les manières dont on
utilise la langue et ce qu’on pense du comportement verbal, l’étude de la variation géographique,
enfin, en sociolinguistique appliquée, les problèmes du “planificateur linguistique” (linguiste,
éducateur, législateur, qui s’occupent de freiner ou de contrôler les variations de la langue) ».
(Marcellesi, dans Langue française, n° 3, p.3-4).
Suite à cette définition, Marcellesi précise que les domaines de la sociolinguistique sont vastes
et variés. Mais on peut dégager quelques directions essentielles de cette discipline et les illustrer par
des exemples :
a. Étude des rapports entre une langue donnée et la vision du monde de ceux qui la parlent
(exp. les champs sémantiques, les concepts, les structures, etc.)
b. Étude des réflexions du locuteur sur le langage et les langues (exp. interprétation particulière
des signes, etc.)
c. Étude de la communication (types des langues, types des discours, plurilinguisme, diglossie
et culpabilité linguistique…).
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Afin d’illustrer les rapports entre la langue et tel groupe social, l’une des préoccupations
majeures de la sociolinguistique, nous pouvons se référer à un exemple intéressant de diglossie dans
le territoire français : il s’agit de l’usage du français et de la langue occitane dans plusieurs
départements français.
La sociolinguistique s’intéresse également aux types de langues. C’est pourquoi, les registres et
les niveaux de langue représentent l’un de ses préoccupations majeures.
Dans son article intitulé « Les registres : Enjeux stylistiques et visées pragmatiques », Gilles
Philippe voit que la catégorie de « registre » entre en concurrence avec la catégorie de « niveau ».
1
Situation d’une communauté linguistique qui pratique deux langues ou deux variétés d’une même langue, chacune
d’elles ayant un statut et des fonctions différents.
2
Langue romane à laquelle est rattachée le catalan et comprenant l’ensemble des parlers gallo-romans du sud de la
France dont certains ont des ramifications hors du territoire français (Piémont en Italie et Val d’Aran en Espagne). Elle
s’étend sur 33 départements français et on évalue à environ 2 millions le nombre de locuteurs des parlers occitans en
France. (Dictionnaire Le Petit Robert de la langue française, 2014).
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La première prend acte « d’une spécialisation non hiérarchisée du vocabulaire selon les univers
discursifs de référence, généralement technique » ; la seconde « d’une hiérarchisation des pratiques
lexicales voire grammaticales (familières ou soutenues, par exemple) ». 3
a. Le niveau de langue
Quant à Henri Bonnard 4, il donne comme exemple de la multiplicité des niveaux de langue la série
suivante :
Or, l’auteur lui-même souligne que cette catégorisation constitue à la fois une échelle trop fine
« toutes les lexies n’ont pas trois équivalents de niveaux différents » et insuffisante : « par exemple
une tarte se situe entre claque et beigne».5 C’est pourquoi, une tripartition assez large entre langage
3
Philippe, Gilles, «Les registres : Enjeux stylistiques et visées pragmatiques », Gaudi-Bordes, Lucile et Salvan,
Geneviève (dir.), Les registres : Enjeux stylistiques et visées pragmatiques. Hommage à Anna Jaubert, n° 11, Academia
Bruylant, 2008, p. 28.
4
Bonnard, H., Procédés annexes d’expression, Magnard, 1986, p. 81.
5
Stolz, C., Initiation à la stylistique, Ellipses, 2006, pp. 95-96.
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soutenu, langage courant (ou familier) et langage populaire (ou argot) est finalement la plus
opérationnelle.
Il est important de préciser ici que les marques des niveaux de langage ne sont pas uniquement
d’ordre lexical, mais elles concernent aussi la morphologie et la syntaxe.
- par l’utilisation d’appuis du discours (si tu veux, tu vois, euh, ben, etc.) ;
- par une tendance vers l’abréviation des mots (apocope quand on abrège la fin : télé, pub,
restau ; aphérèse quand on abrège le début : les Récains). Cette tendance à abréger les mots
reflète une certaine familiarité entre les interlocuteurs, car la modification des mots crée une
sorte de langage codé (même mécanisme pour l’argot, par exemple) ;
- par des formes de redondance : (« ce gâteau, il est délicieux » ; « tu l’as eu, ton
concours ?) ;
- par le recours à la conjonction que vide de sens pour éviter l’inversion du sujet dans une
phrase interrogative (« pourquoi que tu boudes ? » ou dans une incise (« Exprimez-vous,
qu’il disait ») ;
- par la négation abrégée ; par la tendance à employer la parataxe à la place de l’hypotaxe ;
par le refus d’employer le passé simple et les subjonctifs imparfait et plus-que-parfait.
Ainsi, les notions de niveau de langue et de registre sont importantes pour décrire un sociolecte
(qui désigne les spécificités linguistiques d’une communauté socioculturelle, par exemple le
sociolecte des médecins, des politiciens ou des « banlieues »), ou un idiolecte (qui désigne les
spécificités linguistiques d’un individu).
b. Le registre de langue
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À l’intérieur de ces niveaux de langue, on peut distinguer également des « registres » de style
(on dit aussi couramment simplement « style ») dont le plus important à connaitre est la langue
familière (ou registre familier), qui est une forme de la langue parlée utilisée dans des contextes
non officiels, surtout perceptible par un vocabulaire dit « familier ». Elle est à utiliser avec
prudence, si les connaissances en français sont moyennes. Il y a également le style littéraire,
poétique, etc. La limite entre langue parlée et langue familière n’est pas toujours très nette (et elle
est appréciée différemment selon les locuteurs ou les chercheurs). On peut dire en simplifiant que le
caractère familier se voit surtout dans le vocabulaire plus que dans la grammaire, mais il existe
aussi des constructions grammaticales typiques du registre familier.
Quant à Claire Stolz6, elle associe le concept de « registres » aux « différents domaines
référentiels couverts par un groupe de lexies ». On aura ainsi des registres ou bien des vocabulaires
variés : religieux, technique, scientifique, affectif, moral, politique, etc. En littérature romanesque,
tous ces registres sont exploités et souvent mêlés. Par exemple chez Zola, le vocabulaire technique
est omni présent, mais il existe également dans ses œuvres d’autres registres.
- Essais et recherches
6
Sotz, Claire, Initiation à la stylistique, Paris, Ellipses, 2006.
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