Vous êtes sur la page 1sur 20

Linguistique II

Miranda Ceballos Scoponi


UNITÉ 5 – SOCIOLINGUISTIQUE

La Sociolinguistique s’attache à expliquer les rapports langue-société. Elle se propose de


montrer la corrélation ou covariance systématique entre la structure linguistique et la structure
sociale et, éventuellement, une relation de causalité dans un sens ou dans l’autre.

1. 1. Langue, dialecte et variétés linguistiques


a) Types de variétés linguistiques. b) Communautés idiomatique, linguistique, de parole.
c) Images et attitudes : valorisation et stigmatisation. d) Préjugés sur la langue. e) La norme et le
Bon Usage. f) Les accents.

Le terme de « langue », rattaché à des valeurs affectives et à « l’imaginaire » des locuteurs,


suscite assez souvent des jugements de valeur. Or, puisque la Sociolinguistique se propose
d’étudier le fonctionnement de la langue dans la société et que c’est sur ce fonctionnement que se
reflètent les attitudes sociales, le terme de « langue » doit être employé avec des réserves. Il est
ici, d’ailleurs, moins pertinent qu’en linguistique interne : en effet, la Sociolinguistique s’intéresse à
la variation et il est évident que ce phénomène est souvent neutralisé par l’emploi du terme
générique de « langue ». Voilà pourquoi les sociolinguistes préfèrent au terme de « langue » celui
de variété linguistique.
Parmi les variétés, l’une des plus connues est celle qu’on appelle « dialecte », terme que
nous allons remplacer par variété géographique afin d’éviter des connotations généralement
péjoratives attribuées au premier. Il faut d’ailleurs remarquer que « dialecte » renvoie souvent à
une notion qui n’est pas exclusivement géographique. En effet, l’expérience montre que les
usagers d’un dialecte peuvent représenter, pour des raisons diverses, un sous-ensemble de la
population ayant des caractéristiques sociales spécifiques dans la communauté prise
globalement. Dans ce cas, pour les membres de celle-ci qui ne l’emploient pas, le dialecte ne sera
pas une simple « langue régionale », mais il aura acquis une valeur sociale. Aussi la variété
géographique est-elle interprétée comme une variété sociale ou comme les deux choses à la
fois.
Il faut se rappeler également que certaines variétés, qui ont été autrefois des dialectes, sont
considérées à présent comme de « grandes langues » : l’espagnol était à son origine la variété
géographique de la Castille, comme le français l’était de l’Île-de-France et l’italien littéraire de la
Toscane. Il en résulte donc que la notion de « dialecte » ne peut être absolue.
Le terme de « variété » implique l’existence d’autres variétés, et ne désigne qu’un membre
de ce qui est appelé répertoire social. Les diverses variétés se distinguent les unes des autres
par des traits linguistiques (phonologiques, morphosyntaxiques et/ou lexicaux), certaines étant
plus éloignées entre elles que d’autres. Mais leur distinction fondamentale réside dans leur
1
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
fonctionnement social différent, cette valeur fonctionnelle ne dépendant pas des caractéristiques
du code mais de l’emploi qu’on fait de chacune d’elles dans la vie sociale. Voilà pourquoi il y a des
cas où les variétés reflètent une véritable stratification sociale : ainsi, en Inde, où le peuple est
divisé en castes, chacune des castes s’identifie à sa propre variété linguistique.
On voit donc que la notion dynamique de variété comporte des avantages considérables,
car elle permet de comprendre que la fonction de chaque variété dans la société peut changer. Et
ces changements du statut social des variétés se reflètent parfois dans l’organisation de leurs
codes. Si l’on prend comme exemple le cas des langues romanes, il n’y a pas de doute que, au
cours du temps, chacune d’elles a peu à peu assumé de pleines fonctions sur le plan de la
communication sociale. Mais c’est précisément ce changement de statut social qui a permis - et
même exigé - le plein développement linguistique des possibilités de ces systèmes. Il est possible
d’admettre des changements en sens inverse : des langues en plein essor à certaines époques
(comme l’occitan au Moyen Âge) et jouissant d’un statut social reconnu (le pouvoir politique, en
général, et c’était le cas de l’occitan), lorsqu’elles ont perdu ce statut, ont été atteintes dans leur
propre code. Celui-ci cesse alors de développer les possibilités du système, devenant ainsi une
variété aux fonctions sociales limitées : la variété étant souvent exclue du monde officiel de
rayonnement de la culture, son lexique tombe en désuétude et elle perd peu à peu son prestige
social. Il ne faut pas oublier non plus que les variétés peuvent s’influencer les unes les autres,
bien que ce soit généralement la plus prestigieuse qui exerce son influence sur celle qui a moins
de prestige. Tout cela montre bien que ce sont les circonstances sociales qui créent la dynamique
des variétés linguistiques et que celles-ci sont susceptibles de se modifier sous l’influence de
celles-là. Voilà pourquoi les communautés (concept social) et les variétés (concept linguistique)
entretiennent le plus souvent une interaction étroite. C’est cette interaction qui permet de soutenir
la thèse de la covariance des structures.
 
a) Types de variétés linguistiques
Le tableau suivant1 représente les types de variétés linguistiques pouvant exister dans une
société, et les traits qui les caractérisent.

1
Stewart, “A Sociolinguistic Typology for Describing National Multilingualism”, 1968.
2
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi

Les chiffres représentent les caractéristiques suivantes : 1 = Normativisation ; 2 = Autonomie ; 3 = Historicité ; 4 = Vitalité.

Stewart signale que le tableau n’inclut que des « systèmes linguistiques » (variétés)
suffisamment importants dans une société plurilingue. C’est pour cela qu’il ne tient pas compte de
phénomènes tels que « l’argot » ou le « jargon », qui ne sont que des sous-variétés.
Les caractéristiques de la typologie présentée permettent non seulement de définir
chacune des variétés et les relations entre elles, mais aussi de rendre compte d’attitudes et de
comportements sociaux.
1) La normativisation, l’un des comportements sociaux les mieux connus, consiste dans la
« codification et l’acceptation, par une communauté d’usagers, d’un système formel de
normes qui précisent l’usage correct » de la langue (Stewart). La codification est la tâche
typique des personnes ou des Institutions qui « veillent à la pureté de la langue »
(grammairiens, écrivains, enseignants et Académies de la langue). Elle dépend donc de
groupes qui détiennent le pouvoir culturel ou politique, et qui se chargent d’établir la norme
pour la communauté linguistique. Diffusée au moyen de listes d’orthographe, grammaires,
dictionnaires, etc., la variété promue au rang de norme est imposée par l’Etat ou les
pouvoirs politiques, les centres d’enseignement, les mass media, etc. La variété ainsi
choisie est de ce fait associée aux institutions et aux relations que les individus
entretiennent avec elles, ainsi qu’aux valeurs et aux objectifs qu’elles représentent.
La norme implique la codification totale, mais ce degré d’intervention étant difficile à
atteindre, il existe une normativisation informelle qui s’opère par l’imitation de modèles
(écrivains, gens de prestige, etc.) admis comme tels par la communauté. C’est ce qu’il est
convenu d’appeler la variété standard. Si l’on considère que cette dernière est plus proche
de la grammaire intériorisée que possèdent tous les sujets parlants, l’opposition
norme/variété standard recouvre celle de norme explicite vs norme implicite.
3
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
Qu’une norme existe ne signifie pas que d’autres variétés doivent être méprisées, puisque
celles-ci sont tout aussi importantes dans le processus d’interaction, et qu’elles permettent
la constitution du répertoire verbal nécessaire à tout usager. D’ailleurs, par suite des
changements sociaux, une variété ayant joué le rôle de norme à un moment donné peut
perdre son rang de variété standard au profit d’une autre variété qui n’avait pas ce statut
auparavant. Il est donc impossible d’admettre que les variétés géographiques ou les
vernaculaires soient des systèmes imparfaits ou dégradés par rapport à la norme. Uribe
Villegas2 signale à ce propos: « les manifestations dialectologiques hispano-américaines
ont souvent été considérées - et elles le sont encore - comme des réalités méprisables,
indignes d’être prises par les linguistes comme un objet d’étude ».
2) L’autonomie est la propriété qui, interprétée du point de vue social, fait du système
linguistique un système unique et indépendant. Des variétés sont jugées autonomes
lorsqu’il n’y a pas entre elles d’interdépendance sociolinguistique ou bien quand,
indépendamment des critères linguistiques, ces systèmes sont le symbole d’une nation,
puisque dans ce cas chacun d’eux a souvent sa propre variété standard et qu’il remplit
toutes les fonctions sociales. Ainsi, malgré la relation linguistique entre le néerlandais et
l’allemand, le fonctionnement social indépendant de chacun d’eux comme symbole de sa
nation leur confère de l’autonomie. Remarquons d’ailleurs que c’est ce trait qui explique
que le dialecte (variété géographique et/ou sociale) se sente socialement non autonome
par rapport à la norme ou à d’autres variétés fonctionnelles.
3) L’historicité. Selon Stewart, « il est admis qu’un système linguistique (considéré comme
tel) a eu un développement naturel à travers le temps ».
Le tableau montre que la variété artificielle n’a pas cette propriété. Ainsi, de par leur
finalité et leur origine, des variétés comme l’Espéranto et le Volapük (langues
internationales artificielles) ne peuvent avoir d’histoire : elles résultent d’une création et non
d’une évolution humaine et historique.
Les variétés P (pidgin) et K (créole) elles aussi ont le trait (-) : il s’agit de codes hybrides
issus du contact des langues européennes avec des langues de peuples colonisés ; les
premières apportent souvent la base lexicale et les dernières la base grammaticale. Un
« pidgin » (ou « sabir ») a la fonction de faciliter des échanges ponctuels (commerciaux, le
plus souvent), si bien qu’il n’a pas besoin d’être transmis de génération en génération ;
voilà pourquoi il n’a pas d’histoire. Le terme « pidgin » dérive du mot anglais « business »,
tel qu’il était prononcé dans l’anglais-pidgin qui s’est développé en Chine. Quant au  créole,
il s’agit d’un « système linguistique mixte provenant du contact du français, de l’espagnol,
du portugais, de l’anglais, du néerlandais avec des langues indigènes ou importées
2
Sociolingüística, Universidad Nacional Autónoma de México, 1970.
4
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
(Antilles) et devenu langue maternelle d’une communauté » (P. Robert) ; par exemple, le
créole d’Haïti, de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion, à base française ; les
créoles anglais de la Jamaïque, de la Barbade. Le créole donc est un pidgin qui est
devenu la langue maternelle d’une communauté et certains créoles ont une norme.
Ces deux variétés, appelées aussi mixtes, présentent un grand intérêt linguistique et
sociolinguistique : des recherches sont faites sur leur origine, ainsi que sur les facteurs
sociolinguistiques qui produisent actuellement un changement de statut social des variétés
créoles importantes au point de vue du nombre de leurs usagers.
4) La vitalité est définie par Stewart comme « l’utilisation du système linguistique par une
communauté de locuteurs natifs non isolée ». Notre comportement vis-à-vis d’une variété
linguistique dépend certainement du fait qu’elle soit ou non pourvue de vitalité. Cette vitalité
dépend d’ailleurs non seulement du nombre des usagers mais aussi - et surtout - de
l’importance sociale de ces derniers. En raison de sa vie éphémère, le pidgin n’a pas de
vitalité, à l’inverse du créole, qui est une langue maternelle.
La variété classique aussi porte le trait (-). C’est le cas des langues classiques, dont le
latin et le grec classique, d’une grande importance dans notre culture occidentale ; à l’heure
actuelle, la variété de ce type-là plus étendue est sans doute l’arabe classique.
En ce qui concerne la variété vernaculaire (« populaire » ou « commune »), il s’agit d’une
variété qui s’acquiert dans le milieu social naturel et avant l’apprentissage scolaire de la
norme, ce qui explique son trait (-) par rapport à la normativisation. L’attitude différente vis-
à-vis de la langue populaire et de la norme est parfois en rapport avec l’attitude face à la
« langue parlée » et à la « langue écrite », en raison de la spontanéité de la première, qui
s’oppose à la réflexion - et en grande mesure à la recherche de correction - de la seconde.
Pourtant ces dernières appellations sont équivoques : la variété littéraire, par exemple,
s’écarte souvent sciemment de la norme, bien qu’elle adopte la forme écrite. Quoi qu’il en
soit, la variété vernaculaire est indispensable dans la communication et fait partie du
répertoire de tout locuteur autochtone, répertoire qui, bien entendu, ne se borne pas à une
variété apprise dans les livres.

b) Communautés idiomatique, linguistique, de parole


Il convient de distinguer entre communauté idiomatique, communauté linguistique et
communauté de parole. La communauté idiomatique est constituée par l’ensemble des usagers
d’une langue historique. La communauté linguistique est constituée par l’ensemble des usagers
d’une langue à un moment donné et sur un territoire déterminé. Les individus qui ont utilisé,
utilisent et utiliseront une langue, comme le français, dans n’importe quelle variété géographique,

5
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
sociale ou stylistique, forment une communauté idiomatique ; les sujets parlants de langue
française forment en ce moment une communauté linguistique.
Une communauté de parole peut être définie comme un groupe dont les membres ont en
commun au moins une variété et partagent des accords implicites sur un ensemble de normes et
de valeurs de nature sociolinguistique : ils partagent les mêmes attitudes linguistiques, les mêmes
règles d’usage, le même critère au moment d’évaluer socialement les faits linguistiques. Les
francophones de France et du Canada appartiennent à une même communauté linguistique, mais
non à une même communauté de parole.

c) Images et attitudes : valorisation et stigmatisation

d) Préjugés sur la langue

e) La norme et le Bon Usage

f) Les accents

1. 2. La variation sociolinguistique
a) La variation diatopique. b) La variation diastratique. c) La variation diaphasique. d) D’autres
types de variations. e) Variation dans les niveaux de la langue. f) Facteurs déterminant
l’apparition de certaines variantes linguistiques. g) Les variations dans le système. h) Conclusion.

Toutes les langues du monde sont soumises à variation, c’est-à-dire qu’elles ne possèdent
pas un ensemble unique et stable de règles. Ces dernières varient selon différents critères. Les
locuteurs appartenant à une même communauté linguistique n’ont pas forcément tous ni toujours
les mêmes usages linguistiques. Nous distinguons généralement quatre grands types de
variations les concernant. La première (variation diachronique) 3 a été introduite par Saussure
(1968) et ne relève pas directement de la sociolinguistique, les deux suivantes (diatopique,
diastratique) ont été amenées par Flydal (1951) et repris par Coseriu, qui a notamment ajouté la
quatrième variation (diaphasique, 1966, 1973, 1988).
 
a) La variation diatopique
Que l’on appelle aussi variation régionale. Nous nous situons sur un axe géographique, et
la langue se répartit selon les différents usages qui en sont fait d’une région à une autre,

3
La variation diachronique : nous nous plaçons sur un axe temporel, puisqu’il s’agit ici du changement de la langue
selon les époques qu’elle traverse. Toutes les langues évoluent et voient naître de façon brutale ou imperceptible
certains changements qu’ils soient phonétiques, morphosyntaxiques, lexicaux ou sémantiques par exemple.
6
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
autrement dit les régionalismes qui sont faits au sein d’une même langue. Gadet (1997) propose
quelques exemples de régionalismes pour le cas du français. On obtient ainsi ce que l’on appelle
des dialectes, des régiolectes ou des topolectes.
 
b) La variation diastratique
Nous sommes ici sur un axe social, c’est-à-dire que nous observons les différences entre
les usages que font les locuteurs, selon les classes sociales auxquelles ils appartiennent. Il est
alors question de sociolectes. Il est à noter que la terminologie anglaise est légèrement différente
de la française puisqu’elle englobe sous le terme de dialecte à la fois les dialectes régionaux et les
sociolectes, alors que la terminologie française n’utilise la notion de dialecte qu’avec un point de
vue géographique (et non social).
 
c) La variation diaphasique
Que l’on appelle également variation situationnelle. Ici, ce n’est pas la société qui est
divisée mais le locuteur qui, selon les situations de communication dans lesquelles il se trouvera,
emploiera divers styles ou registres de la même langue.
 
d) Il existe bien d’autres types de variations selon les critères qui nous intéressent :
  « D’autres variables encore peuvent se révéler pertinentes pour rendre compte de la
diversité à l’intérieur d’une langue : ainsi, l’âge, le sexe, l’ethnie, la religion, la profession, le
groupe et, de manière plus générale, toute variable sur laquelle les individus fondent leur identité
(orientation sexuelle, appartenance à une congrégation religieuse, etc.) » (Moreau, 1997 : 284).
  Nous allons nous servir de la méthodologie établie par Labov pour voir si les changements
de variantes qui sont tentés par les locuteurs peuvent être appliqués à des profils sociaux
particuliers, c’est-à-dire si la variation linguistique peut être expliquée en partie par un ou plusieurs
critères sociaux caractérisant le locuteur qui le produit et la situation dans laquelle il se trouve. Il
est important dans ce cadre-là de distinguer les études sociolinguistiques, comme celles de
Labov, qui se font du point de vue du système et qui s’intéressent aux différentes variétés d’une
même langue, de celles qui, comme celles de Gumperz, se font du point de vue du
fonctionnement dans l’interaction (sociolinguistique interactionnelle). 
Labov part du principe qu’on ne peut isoler plus longtemps les systèmes linguistiques de
leurs utilisateurs. De fait, la « linguistique de bureau » est critiquée, ne rendant pas compte des
variations et des phénomènes langagiers qui prennent place dans la société, en faveur de la
« linguistique de terrain » qui remplit bien cette tâche. Labov (1976 : 37) ne peut imaginer un
instant « une théorie ou une pratique linguistiques fructueuses qui ne seraient pas sociales », et

7
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
c’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a eu du mal à accepter le terme de « sociolinguistique »
puisque son travail fait partie intégrante de la linguistique.
« La condition de cette nouvelle pratique de la linguistique est une méthodologie
d’observation qui lui permette de lire avec précision l’incidence des interactions sociales sur la
structure de la langue. L’objectif n’est pas tant d’apporter à la linguistique une nouvelle théorie
mais une méthode. C’est pourquoi les données recueillies doivent constituer autant d’arguments
empiriques susceptibles de valider ou d’invalider l’élaboration théorique » (Boyer et Prieur, 1996 :
36).
Ce lien entre les phénomènes langagiers et les facteurs sociaux qui intéresse désormais
les linguistes est le fondement de la linguistique variationniste. C’est ainsi que Labov a mené
plusieurs enquêtes visant à observer au sein d’une société particulière les variations ou les
changements portant sur un phénomène linguistique spécifique. Il s’est tout d’abord intéressé en
1961-1962 à l’utilisation des diphtongues sur l’île de Martha’s Vineyard, en intitulant son étude :
« les motivations sociales d’un changement phonétique », île au fonctionnement relativement
particulier puisque les locuteurs natifs ont tendance à centraliser certaines diphtongues de
l’anglais. Labov cherche donc à étudier la distribution des diphtongues centralisées au sein de la
communauté en prenant en compte les facteurs sociaux : âge, localisation, profession,
appartenance ethnique... Il apparaît que le trait de centralisation est une sorte de marqueur
d’appartenance à la communauté de l’île. « Les variantes en cause (formes centralisées et non
centralisées des deux diphtongues) définissent donc les identités conflictuelles, insulaire et
continentale, opposant les habitants de l’île et se répartissant dans les différents sous-groupes »
(Boyer, Prieur, 1996 : 42).
  À travers cet exemple, nous souhaitions uniquement montrer la méthodologie employée par
Labov que nous appliquerons partiellement à notre étude. Notre première tâche a consisté à
exposer les deux systèmes linguistiques arméniens, en indiquant leurs points communs ainsi que
leurs divergences, qui elles, sont les points de variation potentiels, c’est-à-dire là où des
adaptations peuvent être constatées. Nous essayerons ensuite de savoir qui sont, parmi les
locuteurs de notre corpus, ceux qui font des tentatives d’adaptation à la variante opposée,
c’est-à-dire ceux qui apportent de la variation dans leur discours, puisqu’au lieu de parler leur
dialecte d’origine, par moments, ils vont parler celui de leur interlocuteur. Notre but est donc de
combiner l’étude de la variation diaphasique avec les variations diatopiques et diastratiques.
Il nous paraît important de retenir dans ce développement l’importance des rôles de
locuteur et d’interlocuteur. Toutes les notions que nous avons tenté de définir ou tout du moins
d’éclaircir ne sont pertinentes qu’en prenant en compte le rôle indispensable des participants ainsi
que leurs compétences de départ à travers la maîtrise de telle(s) ou telle(s) variante(s)

8
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
d’arménien. C’est uniquement à travers eux et pour eux que ces notions prendront du sens. Elles
ne seront valables avec les définitions établies que dans les situations de communication que
nous aurons clairement décrites auparavant.
Après cette première clarification de la situation confrontant différents types de codes
linguistiques, nous allons tenter de comprendre quels liens ces codes entretiennent entre eux.
Notre objet de recherche portant avant tout sur la langue arménienne, nous développerons
essentiellement le lien qui existe entre les deux variantes d’arménien, et nous n’évoquerons que
brièvement le cas du français. Ces différents codes n’apparaissant pas de façon isolée, mais
cohabitant les uns avec les autres au sein de nos conversations, nous font dire que notre étude
reflète une situation plurilingue de codes en contact.
 
e) Variation dans les niveaux de la langue 4
Changement de sens ou non ? 
Les possibilités de la variabilité existent dans les langues naturelles. En effet, l’utilisation de
certaines unités linguistiques à la place d’autres peut donner lieu à des sens différents ou non.
 Variable linguistique : élément, trait ou unité linguistique qui peut se manifester de diverses
manières. Ensemble d’expressions d’un même élément. Exemple : le phonème / s /
 Variante linguistique (variante 1, 2, 3) : chacune des manifestations ou réalisations d’une
variable. Exemple : les différentes réalisations [s], [h] et [Ø].
- Variation entraînant des changements sémantiques (valeurs sémantiques différentes).
Exemples : casa ≠ caza; vestidor (el que viste a alguien) ≠ vestidero (el que es vestido); tomé
una cerveza ≠ tomé Ø cerveza (présence ou absence de déterminant); ¿puede venir mañana?
≠ ¿podría? (emploi de temps verbaux dans les actes de parole).
L’usage de deux variantes d’une même variable peut entraîner deux sens différents.
- Variation n’entraînant pas de changement sémantique (= VARIATION LINGUISTIQUE).
Exemples : réalisations [s, h, Ø] du phonème [s] implosif : casas, casah, casaØ ; réalisations
de R guttural ou apical (nord-ouest, Cba, Bs As) ; changement de L par R : murta x multa ;
emploi de morphèmes –ra ou –se à l’imparfait du subjonctif (comiera o comiese).

f) Facteurs déterminant l’apparition de certaines variantes linguistiques

4
Francisco Moreno Fernández (1998) Principios de sociolingüística y sociología del lenguaje, Chapitre 1. Barcelona,
Ariel Lingüística.
9
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
Pour H. López Morales, les facteurs qui déterminent l’apparition de certaines variantes
linguistiques dans certaines circonstances, au sein d’une communauté de parole, obéissent à 4
possibilités. Que les variantes soient déterminées :
a. Exclusivement par des FACTEURS LINGUISTIQUES.
b. Par des FACTEURS SOCIAUX (cela comprend principalement les phénomènes en rapport
avec le contact ou la coexistence de 2 ou plusieurs VARIÉTÉS).
c. Par des FACTEURS LINGUISTIQUES et SOCIAUX (variation sociolinguistique).
d. Ni par des facteurs linguistiques ni par des facteurs sociaux (c’est le cas de VARIATION
LIBRE OU POLIMORFISME).
Quand on analyse les plans linguistiques dans lesquels se produisent les variations, on
tient compte de la forme dont les facteurs linguistiques influencent (variation interne) et de la
forme dont les facteurs sociaux influencent (âge, sexe, etc.).

g) Les variations dans le système


a. La variation phonético-phonologique . Elle peut être déterminée : par des facteurs
linguistiques, ou par la combinaison de facteurs linguistiques et sociaux.
C’est la plus étudiée, la mieux connue et celle qui présente le moins de problèmes
théoriques au moment de son interprétation et de son illustration : les variantes d’un
phonème – variantes facultatives, dans la terminologie structuraliste – ne supposent, en
alternant, aucun changement de sens. Exemples : los aviones – loh avione -  lo avione
(variantes [s], [h] et [Ø] du phonème / s /) ; comer – comel (variantes [r] et [l] du phonème /r/
[République Dominicaine]) ; verdad – verdaz (variantes [d] et [Ө] du phonème /d/ en
position finale [Espagne]) ; en Argentine, diverses variantes du phonème /ll/  [l] = yeísmo.
b. La variation grammaticale : morphologie et syntaxe. La variation grammaticale peut être
déterminée : par des facteurs linguistiques, ou par la combinaison de facteurs linguistiques
et sociaux. Caractéristiques : il y a moins de variation syntaxique que de variation
phonologique ; elle est plus difficile à mesurer et à quantifier ; ses contextes de production
sont plus difficiles à identifier et à définir ; elle pose le problème des différences possibles
de signification entre les variantes.
1. Variables de type morphologique : Celles qui portent sur des éléments de morphologie
grammaticale, et qui sont souvent déterminées par des facteurs sociolinguistiques,
stylistiques, historiques et géographiques.
i. L’emploi de –mos ou de –nos comme terminaison verbale : para que fuéramos a
buscarlo / para que fuéranos a buscarlo.

10
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
ii. L’emploi de –ste ou de –stes comme terminaison verbale : viste / vistes  quisiste /
quisistes.
iii. L’emploi de –ra ou de –se comme terminaison verbale : si quisiera lo podría hacer /
si quisiese lo podría hacer.
iv. L’emploi de –ría ou de –ra comme terminaison verbale : si vendrías, no te llamaría /
si vinieras, no te llamaría.
v. Leísmo, laísmo, loísmo: no le / la has dado las gracias (a ella)
vi. En français, l’alternance de nous et de on à la première personne du pluriel  :
Qu’est-ce que nous mangeons ce soir ? /Qu’est-ce qu’on mange ce soir ?
2. Variables de type catégoriel.
i. L’emploi du subjonctif ou de l’infinitif avec para : me llaman para que redacte el
informe / me llaman para redactar el informe.
ii. Emploi d’adjectif ou d’adverbe : ella subió las escales muy rápida (adj) / muy rápido
(adv).
iii. Emploi de séquences prépositionnelles : voy por agua / voy a por agua (Espagne);
voy a casa de Martín / voy a lo de Martín / voy de Martín (Argentine) ; je vais chez le
médecin / je vais au médecin (en français).
3. Variables de type fonctionnel.
i. Emploi de que ou de de que (queísmo et dequeísmo) : me enteré de que María
llamó / me enteré ø que María llamó (queísmo) ; yo digo que esto es cierto / yo digo
de que esto es cierto (dequeísmo).
ii. Pronom sujet présent ou absent : entonces yo decidí que sí / entonces Ø decidí que
sí.
iii. Forme personnelle du verbe haber : ha habido muchos problemas / han habido
muchos problemas.
iv. Forme personnelle du verbe hacer : hace seis años que no nieva / hacen seis años
que no nieva.
v. Duplication du complément par pronom clitique : cuando conocí a Pedro / cuando lo
conocí a Pedro.
4. Variables de type positionnel : ce sont des variables qui impliquent souvent des valeurs
pragmatiques.
i. La position du possessif : su casa / la casa suya / la su casa (Bolivie).
c. La variation lexicale. Elle est en rapport à l’ancien débat sur l’existence ou l’impossibilité
théorique de la SYNONYMIE. La sociolinguistique est devenue l’un des défenseurs les plus
tenaces de l’EXISTENCE DE LA SYNONYMIE, au moins dans le plan du discours. En

11
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
même temps, on cherche à identifier le lexique caractéristique des différents groupes
sociaux : lexique des jeunes, lexique professionnel, lexique marginal, etc. Ici, il s’agit
d’expliquer l’utilisation alternative de certaines formes lexicales (noms, verbes, adjectifs),
dans des conditions linguistiques et extralinguistiques données. Il peut s’agir :
 D’unités de différente origine géolinguistique (variantes diatopiques) qui coexistent dans
une même communauté. Exemples : chico / pibe (Bs As) / chango (nord arg) / botija
(Mexique).
 De formes associées à des niveaux cultivés ou à des niveaux populaires.
 De formes associées à des styles plus ou moins formels. Exemples : encinta / preñada /
embarazada / peñarol.
 De formes tabou ou euphémistiques. Exemples : axila / sobaco (entre autres
possibilités).

h) Conclusion
Il est possible de proposer, au moins comme hypothèse de travail, que :
- La variation phonético-phonologique et celle de type morphologique et fonctionnel sont le
plus souvent déterminées par des facteurs d’ordre linguistique et extralinguistique.
- La variation catégorielle et positionnelle (syntaxique) s’explique dans la plupart des cas par
des facteurs linguistiques.
- La variation lexicale par des facteurs extralinguistiques.

1.3 La variation sociolinguistique : les variables sociales5


a) La variable sociale « sexe ». b) La variable sociale « âge ». c) La variable « classe sociale ».
d) Race et ethnie.

La variation sociolinguistique peut être définie comme l’alternance de deux ou plusieurs


expressions d’un même élément, lorsque cette alternance n’implique aucun type d’altération ou
changement de nature sémantique et qu’elle est conditionnée à des facteurs linguistiques et
sociaux.
Il n’est pas possible de connaître à l’avance quel type de variables sociales agissent sur
certains éléments linguistiques dans une communauté donnée. Et cela pour deux raisons  : en
premier lieu, parce que les facteurs sociaux agissent sur la langue d’une manière irrégulière, c’est-
à-dire que dans deux communautés de parole différentes la variation sociolinguistique d’un même
phénomène ne se manifeste pas forcément de la même manière ; en deuxième lieu, parce que les

5
Francisco Moreno Fernández, Principios de sociolingüística y sociología del lenguaje, Barcelona, Ariel Lingüística,
1998. (Trad. de S. M. de Torres).
12
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
facteurs sociaux ne se structurent pas de forme identique dans toutes les communautés, même si
on y parle des modalités voisines d’une même langue.
Voilà pourquoi les recherches sociolinguistiques doivent être précédées d’une analyse
sociologique de la communauté en question et d’études exploratoires qui permettent de constater
quelles sont les variables réellement importantes dans la structure sociale et quelles sont celles
qui, d’une façon prévisible, peuvent exercer une plus grande influence sur l’usage social de la
langue.
Généralement, les facteurs sociaux qui montrent une plus grande capacité d’influence sur
la variation linguistique sont le sexe, l’âge, le niveau d’instruction, le niveau socioculturel et
l’ethnie.

a) La variable sociale « sexe »


En Espagne, on constate que ce sont surtout les femmes qui emploient certaines formes
lexicales (monín, monada, divino, corazón !), certains préfixes (super-enamorado, super-
simpática), certaines formes euphémistiques en diminutif (braguita) ou certains tronquements
lexicaux dont le résultat est généralement bisyllabique (gordi, gordito ; pelu, peluquería ; porfa,
por favor).
Les recherches sociolinguistiques faites sur des centres urbains ont permis de découvrir et
de décrire un certain nombre de faits d’une singulière importance relatifs au sexe comme variable
sociale. Le plus important est que les femmes sont généralement plus sensibles aux normes
prestigieuses que les hommes.
Cette tendance peut être expliquée selon les raisonnements suivants : d’abord, le manque
d’un rôle important dans la société fait que les femmes éprouvent le besoin de montrer leur statut
social au moyen d’une conduite spécifique ; d’autre part, le manque de cohésion des femmes
dans les réseaux sociaux les oblige à faire face plus souvent que les hommes à des situations de
formalité. Enfin, l’adaptation à un modèle de prestige est une stratégie interpersonnelle dont la
finalité est le maintien de l’estime de soi-même dans les échanges sociaux.   
 Variabilité fondée sur le sexe : les femmes disposent d’une capacité neuro-physiologique
verbale qui peut se manifester sous forme de différences sociolinguistiques, comme
l’emploi d’un répertoire de variantes plus large ou l’usage de ressources stylistiques plus
riches que celles dont disposent les hommes dans leur même groupe social.
L’expérience confirme que les disparités sont plus grandes dans le cas de certains traits
linguistiques dont les sujets parlants ont une plus grande conscience, c’est-à-dire, des
caractéristiques qui peuvent devenir plus facilement des marques ou des symboles
sociaux. C’est nettement le cas du lexique et de la pragmatique, c’est pourquoi les

13
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
recherches sur le lexique, les analyses de la conversation et les études sur les formes de
traitement ou les ressources de la langue familière fournissent souvent des renseignements
précieux.

b) La variable sociale « âge »


L’âge conditionne la variation linguistique plus intensément que d’autres facteurs, tout aussi
importants, comme le sexe ou la classe sociale.
William Labov a établi, dans le processus d’acquisition du dialecte et du sociolecte, les
étapes suivantes :
1) Acquisition de la grammaire fondamentale, dans la première enfance, surtout grâce à
l’influence de la mère.
2) Acquisition de la variété vernaculaire, entre 5 et 12 ans, grâce à l’influence des amis et des
camarades de l’école.
3) Développement de la perception sociale, entre 14 et 15 ans, sous l’influence de sujets parlants
adultes.
4) Développement de la variation stylistique, à partir de 14 ans environ.
5) Maintien d’un usage cohérent de la variété « standard », dans la première étape adulte.
6) Acquisition de toutes les ressources linguistiques ; elle se produit chez les personnes cultivées
et particulièrement soucieuses de l’usage de la langue.
 Critiques à cette caractérisation de Labov :
- Romaine signale qu’il n’est pas convenable d’opposer les jeunes aux adultes sans tenir
compte des différences sociales pouvant exister entre certains jeunes et d’autres.
- Chambers remarque l’impossibilité de distinguer entre ce que Labov appelle
« grammaire fondamentale » et « variété vernaculaire ».
- Autre question importante : quel doit être l’âge minimum des sujets parlants pour qu’ils
puissent faire l’objet d’une étude sociolinguistique ? Il est souvent déconseillé, en
Sociolinguistique, de recueillir des données chez des sujets parlants de moins de 14 ou
15 ans pour l’étude des grands centres urbains, au moins tant qu’il ne sera pas possible
d’établir clairement comment et à quel moment on atteint la maturité dans l’usage social
de la langue.
Selon Labov, la première expérience linguistique des enfants, entre 2 et 3 ans, est dominée
par l’exemple de leurs parents ; entre 4 et 13 ans, le modèle de parole est dominé et réglé
par les groupes de pré-adolescents dont les individus font partie : cette période est censée
être celle où se fixent les modèles automatiques de production linguistique ; pendant
l’adolescence, le sujet parlant commence à acquérir un ensemble de règles d’évaluation,

14
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
jusqu’au moment où, vers 17 ou 18 ans, il arrive à prendre conscience de la signification
sociale de sa propre manière de parler et de celle des autres, ainsi que des usages
prestigieux. L’acquisition des formes de prestige est tardive, et elle l’est encore davantage
chez les groupes sociaux moins instruits.
Les groupes générationnels et les étapes d’acquisition du sociolecte peuvent déterminer
l’usage de certaines variables ou traits linguistiques permettant de marquer des écarts
entre enfants et jeunes, ou entre jeunes et adultes. Il s’agit là d’éléments qui fonctionnent
comme indicateurs d’appartenance à un groupe générationnel donné et qui peuvent se
trouver à tous les niveaux linguistiques. Cependant, ce sont les niveaux les plus superficiels
de la langue (le lexique, le discours) qui montrent le plus nettement les marques du facteur
âge. Exemples : curtir con alguien (de 15 à 30 ans) ; salir con alguien (de 31 à 50 ans) ;
noviar, festejar, afilar (de 50 à 70 ans).
Quelles sont les générations que l’on prend dans une étude sociolinguistique ? Il est
évident qu’il faut décider du nombre de générations et des limites de chacune en fonction
des objectifs de chaque étude Sociolinguistique en particulier, mais le travail se fait le plus
souvent avec non moins de trois groupes générationnels ni plus de quatre (de 20 à 35 ans,
de 36 à 50 ans et de 51 à 65 ans).    

c) La variable « classe sociale »


La classe sociale, en tant que concept théorique, a été très étudiée et discutée par les
sociologues. Les premières propositions théoriques en ont été élaborées par Karl Marx et Max
Weber, pour lesquels la classe sociale se définit en termes économiques. Pour Marx, les classes
s’établissent en fonction de la propriété du capital et des moyens de production, de sorte que la
population se divise en deux classes : ceux qui ont du capital (classe capitaliste) et ceux qui n’en
ont pas (prolétariat) ; les groupes sociaux qui échappent à cette division (paysans, petits
commerçants et petits propriétaires) sont considérés comme des résidus de l’économie pré-
capitaliste, et par conséquent voués à la disparition.
Weber distingue quatre classes : la classe propriétaire, la classe administrative, la classe
des petits commerçants et la classe ouvrière.    
Plus récemment, les sociologues américains considèrent la formation et la persistance des
couches ou strates sociales en établissant quatre classes, nommées dimensions de la
stratification : l’occupation ou métier, la classe, le standing et le pouvoir. L’occupation se définit
comme l’ensemble des activités réalisées plus ou moins régulièrement comme source principale
de revenus économiques ; la classe est une dimension en rapport avec les revenus, considérés
comme un moyen d’obtenir des objets ; le standing est une dimension sociale relative à l’obtention

15
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
du respect ; le pouvoir se définit comme la capacité d’accomplir sa propre volonté, même au-
dessus de la volonté des autres.
Les modernes théories de la stratification mettent en jeu plusieurs indicateurs qui se
combinent pour distinguer quatre classes : les individus sont classifiés tout au long d’une échelle
sociale graduée, établie en tenant compte d’attributs individuels tels que l’éducation,
les revenus ou l’occupation, entre autres.
La Sociolinguistique opère depuis les années 60 avec un modèle multidimensionnel de
stratification sociale. Elle conçoit les classifications multidimensionnelles comme une forme
valable de découvrir des différences relatives entre les individus, car il est bien évident que
certains usages linguistiques sont plus caractéristiques de certains groupes (classes, niveaux)
que d’autres et que les différences sociolinguistiques augmentent au fur et à mesure que la
distance sociale grandit entre les membres d’une communauté.
L’ensemble de traits linguistiques propres à un groupe, strate ou classe reçoit en
Sociolinguistique le nom de sociolecte.

Aux États-Unis comme au Royaume Uni, la variation sociolinguistique et la géolinguistique


s’imbriquent dans une même communauté de parole pour former la trame de la variation
linguistique. Cette interdépendance entre le géolinguistique et le sociolinguistique est représentée
par la pyramide de Trudgill (1974) : parmi les sujets parlants de la classe basse, qui emploient une
variété peu prestigieuse de l’anglais, on recueille des échantillons des différentes variétés
régionales d’un territoire, tandis que dans la haute classe l’emploi généralisé de la variété
« standard » varie très peu entre les régions d’un même pays. Autrement dit, plus la strate sociale
des sujets parlants est basse, plus il y a des possibilités de reconnaître clairement leur
provenance géolinguistique ; par contre, cette identification ne se fait pas aisément lorsque les
sujets parlants appartiennent aux classes sociales plus élevées.
Cette situation ne se présente pas toujours dans d’autres langues ou dans d’autres régions
du monde. Dans le cas du monde hispanophone, l’ascension dans l’échelle sociale ne suppose
pas forcément l’abandon total de certains traits caractéristiques de la zone dialectale dont on

16
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
provient : quelque élevé que soit le statut d’un hispanophone, il est relativement facile de
distinguer s’il provient du nord de l’Espagne, des îles Canaries, des Caraïbes ou de l’Amérique
Centrale (et il en est de même en Argentine).
 Problèmes que pose la variable « classe » :
- En dehors des considérations d’école et des manières différentes d’interpréter la réalité
sociale, les modèles multidimensionnels de stratification posent le problème que tous
les indicateurs (occupation, revenus, niveau d’instruction, etc.) n’ont pas la même
importance. Cela peut se résoudre dans chaque communauté en particulier, en
attribuant à chaque facteur un poids ou une valeur différente. Cependant, ce recours
s’avère insuffisant lorsqu’il s’agit de comparer rigoureusement des strates ou classes de
communautés différentes.
- Le nombre de personnes susceptibles d’appartenir aux diverses strates peut aussi
varier d’une communauté à une autre, comme peut varier également la mobilité entre
les classes.
- L’emploi simultané de trois, quatre ou davantage d’indicateurs pour construire les
classes pourrait cacher ou estomper l’importance particulière de l’un d’entre eux (par
ex., le niveau d’instruction). C’est pourquoi dans certaines recherches on choisit
d’opérer avec le niveau d’instruction, les revenus ou la profession comme des variables
indépendantes, et non comme composantes d’une variable abstraite et complexe
comme la classe sociale.
Ces inconvénients et d’autres ont entraîné peu à peu les chercheurs à la recherche de
nouvelles voies pour l’explication. L’une des alternatives consiste dans l’emploi des facteurs
qui constituent les classes, non comme des parties d’un tout, mais comme des variables
indépendantes : éducation, revenus et occupation. Dans ce cas, les analyses
sociolinguistiques se proposent de découvrir dans quelle mesure chacun d’eux est
important ou explicatif, dans quelle mesure l’éducation a plus de poids que les revenus, par
exemple.
 
d) Race et ethnie
Les différences linguistiques entre individus de race ou d’ethnie différente dans une
communauté sont le reflet de la distance qui existe entre certains groupes et d’autres, ainsi que du
degré d’intégration et de convivialité. À propos de la race, López Morales se prononce très
clairement sur la situation dans les Caraïbes :
El caso del Caribe hispánico donde, en igualdad de condiciones sociales, no se encuentran
diferencias lingüísticas entre blancos y negros, es una prueba palpable, entre otras muchas,
de que la raza per se no condiciona al hablante al uso de determinada variedad. Tienen que
17
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
estar presentes otros factores que son los verdaderamente determinantes: diferencias de
nivel sociocultural, inmigrantes recientes, condiciones de substratum o diversa procedencia
de los lectos manejados. (Humberto López Morales, Sociolingüística, 2ª edición, Madrid,
Gredos, 1993, p.134)

Ainsi donc, la race n’est pas un facteur qui conditionne per se la façon de parler d’une
communauté. Ces arguments s’opposent aux thèses de Jensen, qui soutenait que les différences
linguistiques entre blancs et noirs sont liées à des différences génétiques dans la capacité
intellectuelle des uns et des autres.
Dans le cas de l’immigration, il est courant que les immigrés, lorsqu’ils emploient la langue
ou la variété de leur nouvelle communauté, réalisent des transferts linguistiques de leur langue
maternelle : lors de mouvements de population, on constate l’apparition de phénomènes de
substrat, qui consistent dans la persistance de traits de la langue de l’ethnie d’origine. En général,
les immigrés tentent de faire un usage convenable, dès le début, des traits linguistiques
socialement significatifs dans leur nouvelle communauté, alors qu’ils acquièrent plus tard les traits
qui ne sont pas importants du point de vue social, et il est même possible qu’ils ne les acquièrent
jamais. La variation dans la langue de ce type de sujets parlants est fortement conditionnée par
leur niveau socioculturel et par le temps de résidence dans leur lieu de destination.

18
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
2. Langues en contact, langues en conflit
a) Bilinguisme et diglossie. Parlers créoles et « pidgins ». b) Interférence, emprunt, calque et
commutation de codes (« code-switching »).

a) Bilinguisme

b) Interférence, emprunt, calque et commutation de codes

19
Linguistique II
Miranda Ceballos Scoponi
3. Politiques et planifications linguistiques
a) France. b) Québec. c) Catalogne.

a) France

b) Québec

c) Catalogne

20

Vous aimerez peut-être aussi