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M. A.

Mané professeur de Lettres Modernes / Ahoune Sané 1

Etude : Buur Tilleen Roi de Médina (1974) de Cheik Aliou Ndao

I. Notes sur l’auteur


1. Biographie
Cheik Aliou Ndao de son vrai nom Sidi Ahmed Alioune est né en 1933 Karthiak à Bignona. Fils d’un
vétérinaire, il suit son père à travers tout le Sénégal. Il affirme être formé dans la meilleure école, celle des
vieillards avec leur sagesse populaire. Il connaît très bien les traditions de son peuple, et surtout l’histoire de
son peuple.
Il a fait une partie de ses études secondaires à Dakar et en France, puis il fréquenta l'Université de Grenoble en
France et de Swansea en Grande-Bretagne. Ancien professeur d'anglais à l'Ecole Normale William Ponty, il a
également enseigné aux Etats-Unis en 1972 à De Pauw University de Greencastle (Indiana). Il fut aussi un
conseillé culturel auprès du Président de la République du Sénégal.
En marge de sa profession, l’enseignement de l’Anglais, il se passionne pour le théâtre dont il devient un des
auteurs les plus reconnus au Sénégal. Partisan de la transcription des œuvres africaines en langues
vernaculaires, il ne manifeste aucun enthousiasme à l’égard de la francophonie qu’il apprécie seulement comme
instrument de diffusion. Buur Tillen Roi de la Médina, roman édité pour la première fois en 1974, fut ainsi
rédigé en wolof puis traduit en français par l’écrivain.

2. Publications
Les principales œuvres de Cheik Aliou Ndao sont :
- Kairée, recueil de poèmes publié en 1964.
L'Exil d'Albouri, pièce de théâtre écrite en 1967 et mise en scène en 1968.
- Mogarienne recueil de poèmes édité en 1970.
- La Décision (1967)
- L’Ile de Bahila, théâtre (1975)
- La Case de l’or, théâtre (1973)
- Le Fils de l’Almamy, théâtre (1973)
- Du sang pour un trône ou Gouye Njuli un Dimanche, théâtre (1983).
- Excellence vos épouses, roman (1983)
- Buur Tillen, Roi de la Médina, roman (1972), réadapté en français.
- Le Marabout de la sécheresse, recueil de nouvelles publié en 1979.
- Mbaam Dictateur, roman écrit en wolof puis réédité en français en 1997.

II. Résumé
Ce roman structuré en 12 chapitres met en scène une histoire qui se passe dans le Sénégal colonial. Le roman
décrit l’itinéraire d’un homme, Gorgui Mbodj, issue d’une lignée princière du Walo. Cet homme a été dans
l’obligation de quitter son fief après avoir giflé un fonctionnaire français qui aux yeux de tous l’avait
déshonoré. Parti gagner sa vie avec sa femme Maram et sa fille Raki dans le bidonville de la capitale, il affiche,
stoïque, sa noblesse en dépit des sarcasmes de ses voisins. Peu lui importe la déchéance dans la misère ; les
valeurs ancestrales qui font la dignité de l’homme et de la famille se doivent d’être respectées malgré les
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bouleversements engendrés par les temps modernes. A son grand malheur, l’humiliation s’abat sur son foyer
lorsque sa fille Raki tombe enceinte en dehors des liens du mariage. Faisant fi des supplications de sa femme, il
chasse la pécheresse. Celle-ci trouve refuge auprès de sa tante propriétaire d’un maquis où à l’écart des
beuveries, des clients avertis (l’Historien, le Philosophe et le compagnon de Raki) conversent sur le sens de la
condamnation prononcée par Gorgui à l’encontre de sa fille.
Tout le monde attend la naissance de l'enfant qui pourrait peut-être réunir de nouveau cette famille déchirée.
Malheureusement, Raki et le bébé meurent durant l’accouchement en laissant des parents, des amis dans une
détresse et une douleur indescriptible.

III. Les personnages


- Gorgui Mbodj : Issu d’une famille princière du Walo, Gorgui est un homme de principe qui garde comme
repère les valeurs traditionnelles et ancestrales. Tous ses actes sont dictés par l’honneur et l’amour propre.
Malgré les sollicitations de ses parents, Gorgui refuse de prendre une deuxième femme par amour pour Maram,
son épouse. Décoré de la croix de guerre, nommé commis expéditionnaire, il n’hésitera à perdre tous ses
privilèges pour laver l’affront fait par un commandant de cercle blanc. Il se rend à Dakar et vit misérablement à
la Médina. Le surnom «Buur Tilleen » lui a été donné par les gens de la Médina, las de ne pouvoir l’attirer dans
leurs sordides intrigues. Bien qu’étant ancré dans la tradition, Il a vite compris l’intérêt de l’instruction d’une
jeune fille en inscrivant à l’école Raki, sa fille unique. A l’annonce de la grossesse de sa fille, ce chef de
famille, ne peut supporter un tel déshonneur ; en dépit des fermes et tendres protestations de Maram, il chasse la
jeune fille du cercle familial.
- Maram : elle est la femme de Gorgui Mbodj. Elle est une femme soumise et très intentionnée envers à son
mari. Elle couve sa fille Raki d’un amour maternel qui pardonnait tous ses caprices. Cependant, elle va quitter
son rôle d’épouse modèle pour braver l’autorité de son mari qui avait chassé de la maison leur fille. Elle va
même jusqu’à lui rendre visite chez sa sœur Astou malgré les interdictions de Gorgui.
- Raki : unique fille de Gorgui et de Maram, elle est une fille instruite, libérée. Sa famille se prive de tout pour
lui assurer une bonne éducation. Raki, jeune Sénégalaise acquise aux idées nouvelles, attend un enfant conçu
hors des liens traditionnels du mariage avec son ami Bougouma.
- Bougouma : C’est le fils de Meissa. Il a connu Raki depuis leur tendre jeunesse. Ils ont fréquenté le même
lycée. Les liens qui l’unissent à Raki sont très intimes. Devenu instituteur, Bougouma préparait Raki pour le
concours d’entrée à l’école des Sages-femmes.
Meissa : casté, ami et confident de Gorgui. Contrairement à beaucoup de gens castés qui ont fait du parasitisme
une profession, Meissa a assuré sa réussite sociale à force de travail. Gorgui, un noble, a beaucoup d’estime
pour lui et le considère comme une personne qui ignore l’hypocrisie et le mensonge.
Tante Astou : c’est la petite sœur de Maram. Elle est une belle femme d’âge mur, aux mœurs faciles et au cœur
généreux. Dans sa jeunesse, elle s’est enfuie de Saint Louis pour accompagner un militaire blanc qui finira par
l’abandonner. Rejetée par sa famille, elle vit à Dakar et dirige sa maison transformée en bar où se côtoient
prostituées, griots, les artistes. C’est elle qui va recueillir Raki et Bougouma quand ils seront chassés de leur
maison. Elle ne condamne ni n’approuve les jeunes ; elle se limite à la solidarité de clan.
En dehors de ces personnages, on en retrouve d’autres qui s’illustrent par leur mentalité et leurs discours. On
peut citer les clients du Bar de Tante Nabou tels que : L’artiste, le Philosophe, l’Historien, les prostituées…

IV. Les thèmes dominants


Dans ce court récit à l’écriture concise, Cheik Aliou Ndao reprend à son compte une des thématiques matrices
de l’Africanité, l’avenir de l’Africain. En effet, dans ce roman, on retrouve des thèmes variés qui sont liés aux
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bouleversements engendrés par les nouvelles valeurs apportées par le modernisme. Parmi ces thèmes, on peut
citer :
 Le choc des valeurs culturelles : les personnages de ce roman peuvent être regroupés en deux groupes :
ceux qui sont tournés vers le passé et ceux qui sont tournés vers le présent. Cependant, on retrouve des
personnages qui essaient de concilier les deux extrêmes grâce à une certaine compréhension et un
certain recul.
 L’exode rural : L’exode est souvent causé par un désir de fuir, de refaire sa vie, de noyer sa déception
dans l’anonymat de la ville. Ces conséquences sont diverses : il est pour certains l’occasion d’une
réussite sociale, pour d’autre, elle est n’est que déchéance et misère.
 Le problème de caste : il apparait en filigrane dans les rapports sociaux qui unissent les personnages.
Malgré les changements de mentalité, l’appartenance ou non à une caste détermine les liens éventuels
entre les personnes et constitue parfois un des critères pour le mariage.
 Le parasitisme : il est plus visible dans le milieu urbain. En effet, avec les profondes mutations des
structures de la société, beaucoup de personnes qui faisaient la fierté d’une société, se sont transformés
en quémandeurs érigeant le parasitisme au rang de profession.
 La dépravation des mœurs : Elle est partout présente dans cette nouvelle société en gestation. On la
retrouve à travers l’alcoolisme, la prostitution, les grossesses précoces, le dévergondage sexuel…

IV. Sens de l’œuvre


Buur Tilleen Roi de la Médine pose la problématique de l’homme face aux mutations sociales. Celui-ci doit-il
faire de ses us et coutumes ancestraux ses références principales ? De quelle manière doit-il se comporter face
aux nouvelles valeurs véhiculées par la civilisation occidentale ? Sans donner une réponse définitive, le
romancier fait défiler devant nous des personnages qui adoptent des comportements singuliers.
Gorgui Mbodj n’est pas opposé à toute évolution de la tradition dans la mesure où la nature même de celle-ci
reste entière ; ainsi a-t-il refusé en dépit des cris d’orfraie des villageois une seconde épouse quand bien même
Maram n’ait enfanté qu’une seule fois, qui plus est une fille. Mais de là à corrompre les devoirs ancestraux dans
leurs fondements, jamais ! Les jeunes de leur côté, adoptent des comportements radicaux envers la tradition.
Loin d’être pessimiste, ce récit nous enseigne que le temps est venu où la tradition et le modernisme pourraient
se réconcilier. Il peut exister un monde où les castes seraient écartées au profit de l’égalité, un monde qui, sans
renier le passé, se tournerait vers un avenir où l’individu ne serait plus dépossédé de son destin. La jeunesse
citadine éclairée des savoirs nouveaux entend bien construire un futur de solidarité tant de droit que de fait dans
une nation nouvelle.

V. Le style
Le récit ne suit pas la linéarité des événements racontés. Il est constitué d’une suite de péripéties entrecoupées
par des souvenirs, des retours en arrière des différents protagonistes. La description dans ce roman ne
développe pas trop de détails. Les descriptifs des personnages, des décors et des scènes sont réduits au strict
minimum. La sobriété est de mise. C’est ainsi qu’à un moment du roman, deux personnages interviennent sans
que le lecteur ne sachent autre chose que leur désignation : le « Philosophe » et « l’Historien ». En avançant
dans le récit, la forme romanesque laisse place à une organisation stylistique plus proche de celle du théâtre ;
une évolution qui n’est pas surprenante à la lumière des faveurs de l’auteur pour cet art. Buur Tilleen Roi de la
Médina, classique de la littérature sénégalaise, constitue un chef d’œuvre marqué par la sobriété du récit.
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NOTES COMPLEMENTAIRES
« Nous Africains n’écrivons pas en Français par amour ou à cause d’un choix délibéré. Nous employons la
langue de Molière par accident historique. La Francophonie n’est pas notre héritage, car notre Moi profond
s’exprime dans nos langues maternelles » (Mots Pluriels, n°12, 1999).

Sa pièce de théâtre, l'Exil d'Albouri (1967) a été mise en scène en 1968 au théâtre Daniel Sorano de Dakar, et a
été jouée sur de nombreuses scènes africaines et européennes, notamment à l'Odéon (Paris), ainsi qu'en
Belgique. Présentée au Festival culturel panafricain d'Alger en 1969, elle obtint le premier prix. Traduite en
anglais aux Etats-Unis, cette pièce symbolise les débuts du théâtre historique sénégalais.

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